Titre : Le Constitutionnel : journal du commerce, politique et littéraire
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1869-08-28
Contributeur : Véron, Louis (1798-1867). Rédacteur
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 28 août 1869 28 août 1869
Description : 1869/08/28 (Numéro 240). 1869/08/28 (Numéro 240).
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
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5.4® ANNEE#—N* MO,
ABONNEMENS DES DÉPÀBTEMENS
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BUREAUX À PARIS | rue de Valois (Palais-Royà1)f-nr?
SAMEDI 28 AOUT 1869.
TROIS MOIS.....
SIX MOIS..
UN AN
pour îles pats étrangers , voir le tableau
~ Pttiaé les 5 et 20 de chaque mois.
Imprimerie du Constitutionnel,
E. Gibiat et G®,
g rue des Bons-Enfans, 19.
TROIS MOIS 13 FR.
SIX MOIS.........." 26 FR.
UN AN..... S2 FB.
UN NUMÉRO 20 CENTIMES.
JOURNAL POLITIQUE LITTERAIRE, UNIVERSEL.
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nement, les Abonnés nouveaux du journal
le Constitutionnel recevront en prime le com
mencement du feuilleton en cours de publi
cation :
IîA
PARIS, 27 AOUT.
L'obligation où se trouve le gouvernement
autrichien de faire voter certaines dépenses,
notamment, celles-de la guerre et de îa ma
rine, successivement par deux Parlemens,
donns lieu à des résultats assez singuliers.
Les journaux de P§sth annoncent que la dé
légation hongroise vient de voter le budget
de la marine. Elle a accordé 600,000 florins
ide plus que la délégation autrichienne, celle-
ci n'ayant voté pour la construction de nou
veaux navires qu'un million, tandis que la
délégation hongroise a affeclé à ce travail
1 million 600,000 florins. Plusieurs délégués
hongrois étaient même disposés à voter tou
te la somme de 2 millions 760,000 florins
demandée par le gouvernement.
C'est une conviction très ' généralement
répandue dans les cercles politiques hon
grois que l'Empire a besoin d'une force
navale respectable pour pouvoir prendre
une position forte et résolue dans las affaires
d'Orient. La marine austro-hongroise est
bonne, mais trop peu nombreuse. La délé
gation hongroise est donc toute disposés à
seconder les vues du gouvernement, qui veut
construire plusieurs frégates cuirassées.
Une lettre adressée de Peslh à la Corres
pondance du Nord-Est raconte que le repré
sentant du gouvernement a déclaré, dans la
délégation hongroise, qu'il se chargerait,
avec quinze frégates cuirassées,,de défendre
les côtes de la Dalmatie même contre une
puissance maritime de premier ordre ; il a
ajouté qu'une flotte ainsi composée serait
suffisante pour dominer sur la mer Adriati
que et pour faire respecter en Orient le pa
villon commun. Celte déclaration a fait une
profonde impression sur la délégation hon
groise, et si, malgré cela, elle a réduit d'un
million la somme demandée, par le gouver
nement, elle bo l'a -fait que pour éviter
un nouveau ' sujet de conflit avec la délé
gation autrichienne dans le sein de laquelle
on a peu de sympathie pour la marine.
La Hongrie en effet est, des deux moitiés
de la monarchie, celle où l'on prend le
plus d'intérêt à ce qui se passe en Orient.
Tout le monde comprend que la flotte a
beaucoup moins d'importance au point de
vue des affaires allemandes qu'en ce qui
touche la question d'Orient.
Gouverner sans" conflit en se maintenant
d'accord avec deux assemblées où régnent
souvent des vues et des intérêts contradic
toires est une tâche qui exige, on l'avouera,
une rare dextérité.
M. de Beust y a réussi jusqu'ici, puis
samment aidé, il est vrai, par l'admirable et
clairvoyant patriotisme de M. Deak et des
autres chefs de la délégation hongroise.
Le chancelier de l'Empire est du reste, en
ce moment, dans une bonne veine; On pa
raît décidément avoir renoncé, à Berlin, à
lui faire la guerre. Les journaux prussiens
sont devenus tout à fait calmes. Le symp
tôme la plus rassurant est un article de la
Gazette de la Croix fort bienveillant pour
M. de Beust. Ce journal reconnaît que le
chancelier autrichien a fait réellement des
avances directes ou indirectes à la Prusse, kt
il cite comme des procédés amicaux de
sa part : la résolution prise de ne pas
publier la correspondance relative à la
note Usedom; l'attitude pleine de réserve
et de mesure du cabinet de Vienne dans la
question du Sleswig du Nord, et dans celle
des alliances avec les Etats de l'Allemagne
du Sud; les démarches personnelles faites
par M. de Beust pour obtenir que les mem
bres de la maison Toyale de Prusse conser
vent les régi mens dont ils'sont titulaires en
Autriche ; enfin,, les efforts, couronnés
succès, pour rarrânœment de l'affaire du
Luiembourg." "- J
C^article-,a/^lurellement produit à
Vienne îaHaa©jàkfffre impressioB,et il permet
d'espérer le complet apaisement de l'orage
diplomatique qui commençait à agiter les
deux grandes puissances allemandes.
Les rapports du cabinet autrichien avec la
cour de Rome s'améliorent aussi. La répon
se du Saint-Père aux félicitations des catho
liques autrichiens, qui vient d'être publiée,
est un nouveau gsge du changement qui
s'opère dans les dispositions du Vatican.
Cette réponse évite avec soin tout ce qui
pourrait*être pris pour un, blâme des mesu
res adoptées par le gouvernement de Vienne.
La Correspondance provinciale de Berlin
annonce que les travaux préparatoires pour
la prochaine session sont poussés rapide
ment dans tous les ministères. On se hâte
d'autant plus de les terminer qu© la convo
cation des Chambres prussiennes est prévue
déjà pour les premiers jours du mois d'oc
tobre.
Le Parlement de la Confédération du Nord
se réunira probablement tout au commen
cement de l'année prochaine, pour le cas où
les Chambres prussiennes auraient alors
achevé leurs travaux.
Nous publions plus loin l'article delà Ga
zette de l'Allemagne du Nord, signalé par le
télégraphe, dans lequel l'organe du cabinet
prussien a très vivement démenti le bruit
que le ministre de la guerre demanderait au
Reichst8g une allocation supplémentaire de
cinq millions de thalers. Il n'est question
d'aucune augmentation dans les dépenses
militaires.
L9 télégraphe a signalé il y a quelque
temps l'avortement d'une tentative de révo^-
lutiondans l'Uruguay, et la capture du chef
du mouvement, Caraballo. Le Standard de
Buenos-Jyres a fait à ce propos une remar
que bien curieuse, reproduite ce matin par
Ite Times : « À notre connaissance, dit-il,
c'est la première fois qu'une tentative de
révolution ne réussit pas dans ce.pays. »
Un autre fait, unique aussi en son genre
probablement, est la décret rendu sur la
proposition de l'amiral Topete. A la suite
de la révolulion de septembre, dont il a été,
on s'en souvient, l'un dos agens les plus
puissans, le brigadier Topete fut nommé
amiral. Il vient de faire rendre lui-même
un décret qui annule cette nomination et le
rétablit dans son grade de brigadier.
France.
Toulon, 26 août, 0 h. 40 du soir,
(arrivée ce matin à 4 h. 20.),
•L'Impératrice et le Prince Impérial sont arri
vés à Toulon à quatre heures et demie. La foule
était immense et l'enthousiasme a été indescrip
tible. Les maisons étaient pavoisées.
Après une visite à la cathédrale, l'Impératrice
s'est rendue à ia préfecture, où elle a reçu plu
sieurs dames de la ville, les membres du con
seil général et les autorités:
Sa Majesté s'est embarquée sur l'Aigle à six
heures, au bruit des salves d'artilierie.
Bordeaux, 27 août.
Le général Prim, arrivé ici hier soir, est re
parti ce matin pour Paris, où il arrivera aujour
d'hui.
c. barbe.
BflMgSnvt-m
TÉLÈGBAPBIE SPHFSTÊE.
agbnce havas.
Antrlebe.
Vienne, 26 août.
La Gazette officielle annonce quo le lieute
nant feld-maréehal Mœring, qui était chargé
provisoirement de la lieutenance de Trieste, est
nommé lieutenant de Trieste.
L'empereur a accordé l 'exequatur à M. Royce
consul des Etats-Unis à Prague.
gïSBmgjsse.
Madrid, 26 août, soir.
M. Rivero, qui avait été frappé d'une conges
tion cérébrale, va mieux aujourd'hui.
La Iberia, la Nation et d'autres journaux
engagent le gouvernement à user de sévérité à
l'égard dés, membres du clergé coupables d'in
subordination.
Madrid, 27 août, 2 h. du matin.
Les débris des bandes de la Manche, au nom
bre de quarante hommes, se sont fait donner
des vivres, cette nuit, à la Canada. Les troupes
sont à leur poursuite.
On a pris, à Tortusa, le cabecilla Léon y Co
quette, de la ban-de dissoute d'Aleala.
Rien de nouveau dans le reste de la Pénin
sule.
Portugal.
Lisbonne, 26 août.
Aujourd'hui a eu lieu la clôture des Cham
bres. Le roi a prononcé un discours approprié
aux circonstances. lia dit que le gouvernement
s'occuperait des réformes à effectuer dans l'ad
ministration.
La reine va mieux.
. SERVICE DE NUIT.
Prcasse.
Berlin, 27 août.
A propos de l'assertion de la Correspondance
Zeidlerque le gouvernement prussien prendrait
des mesures^ par ia voie légale, contre le Con
cile, dans le cas où les délib érations de celui-ci
auraient un caractère hostile aux d foi ta de
l'Etat, la Gazette de VAllemagne du Nord dé
clare qbe la Correspondance, Zdidler n'est pas
en géuéral.un organe du gouvérnement, etqu'elle
ne l'est nullement dans le cas actuel.
Danemark.
Copenhague, 27 août.
Le congrès archéologique a été ouvert aujour
d'hui. La famille royale, les ministres, le corps
diplomatique et les autorités principale^ y as
sistaient. sLe professeur Worsaac a prononcé le
discours d'ouverture. Lé second discours a été
prononcé par M, de Quairefagés, de Paris.
Un message royal, en date d'aujourd'hui, fixe"
les élections pour ie Reiehstag au 22 septembre.
j£S»^agae>.
Madrid^ 27 août.
L'Impartial dit que M. Martos a envové 8u
général Prim une lettre dans laquelle il démon
tre l'inefficacité de la peine de mort en matière
politique. Le général Prim aurait donné au
conseil des ministres les raisons présentées par
M. Marlos.
Le même journal nie qu'il ait é'é question de
Ja candidature du maréchal Serra no au trône
d'Espagne lors de la réception des journalistes
à La Granja.
Porfagal.
Lisbonne, 27 août
{source paraguayenne).
Le paquebot anglais de la Piata qui vient
d'arriver apporte -les nouvelles suivantes du
théâtre do la guerre au Paraguay.
Les alliés ne se trouvant pas en force pour
attaquer les positions paraguayennes dés Cor
dillères, so maintiennent dans une complète
inaction derant leurs adversaires.
On dit qu'une révolution est imminente dans
les provinces «rgeritines contre la politique du
président Sarmienîo,,qu'on accuse a» s'être in
féodé au Brésil, au détriment des intêrêis argen
tins.
France.
Toulon, 27 août, 3 h. du soir.
L'Impératrice et le Prince Impérial ont visité
les établissemens publies. Un accueil enthou
siaste leur a été fait en entrant à l'Arsenal. Des »
promotions et des décorations ont eu lieu. Ce
soir, uîuer sur l'Aigle. Départ à dix heures.
COURS DÈ LA BOURSE.
cours de clôture , le 26 le27 Hausse. Baisse.
30/0aucompt. 73 25 7180 » » 1 55
—Fin du mois. 73 35 71.75 * » 1 60
41/2aucompt. 105. » 104.80 » » » 20
Le sénatus-consulte est plus qu'une mo
dification constitutionnelle, c'est un acte
d'émancipation..
Le suffrage universel, établi en France il
y a vi4gt et un ans par une révolution, est
aujourd'hui majeur.
Pendant ses premières années, on l'a éclai
ré, protégé; il n'avait guère conscience de
sa force, et demandait à être guidé.
L© 12 juillet, il a repris possession de tous
ses droits. A la prochaine réunion des Cham
bres, et pendant la vérification des pouvoirs,
le gouvernement lui rendra ses derniers
comptes de tutelle, et désormais, libre, dé
gagé de toute entrave, il devra fonctionner
en ne prenant conseil que des intérêts du
pays.
Mais, il ne faut pas s'y tromper, si les ré
formes libérales augmentent la somme de
nos droits, elles nous imposent aussi des
obii gâtions nouvelles.
L'initiative des peuples est en raison inver
se de celle des gouvernemens: quand l'action
gouvernementale diminue, la nôife doit
"augmenter dans une juste proportion, et si
nous ne voulons pas que le pouvoir exécu-
r 1ff iatervienne plus que de raison dans les
affaires du suffrage universel, il faut que
nous prenions en main le iôie qu'il aban
donne volontairement, il faut que nous nous
organisions, pour protéger nous-mêmes la
paix publique et les 'libertés si laborieuse
ment acquises.
Aux élections dernières, le département
du Var donnait un grand et salutaire exem
ple, qui partout devrait être suivi. Sollicité
en sens contraire par l'administration pré
fectorale qui lui recommandait un candidat
officiel, et les cofnités démocratiques qui
prétendaient lui imposer un irréconciliable,
il choisissait librement, spontanément, M.
Emile Ollivier. Sur les divers points de
la circonscription, toutes les nuances du
parti libéral se groupaient autour du can
didat indépendant, les notabilités les plus
considérables du département s'improvi
saient courtiers d'élection ; on s'agitait, on
luttait pour le triomphe des idées modérées,
et devant cet irrésistible mouvement d'opi
nion, M. Lescuyer d'Altainville se retirait,
M. Laurier succombait l
Dans ce même département du Var, qui a
le premier proclamé l'émancipation du suf-
. frage universel, M. Emile Ollivier vient d'a
dresser un appel à l'intelligence, à l'activité
de# citoyens : -
Libéraux! leur dit-il, qui ne séparez pas plus
la liberté de l'égalité et de l'ordre quo vous ne
la séparez du bon sens, de là science et du sen
timent des réalités, ne vous endormez pas: rap
prochez-vous, organisez-vous et résistez. Vous
êtes les plus inteiligens, les plus instruits, les
plus honnêtes, ne soyez pas les plus itidolens,
les pius'inous, les plus effacés ; ne laissez pas à
vos adversaires le divin privilège de la passion;
soyez passionnés, vous qui avez raison, autant
que ie sont ceux qui ont tort ; agissez, agissez
sans cesse ; secondez la politique nouvelle au
tour de vous.
L'année dernière, à pareille époque, nous
disions :
Depuis dix-huit aBS, le "parti dynastique,
confiant dans la sagesse et la fermeté du chef
de l'Etat, remet ses destinées entre ses mains,
et s'endort paisiblement sur l'épaule du gouver
nement. Il faut qu'il s.) réveille, il faut qu'en
présence d'ennemis résolus il sorte enfin de sa
dangereuse apai(lie. Jusqu'ici on l'a protégé,
qu'il se protège à son tour, et que son action
libre vienne en aide aux inspirations de ceux
qui nous gouvernent.
Aujourd'hui, c'est M. Émile Ollivier qui
reprend nôtre thèse avec une bien plus
haute, une bien plus grande autorité.
Son magnifique Sursum corda I retentira
dans tous les cœurs, réveillera toutes les
intelligences et évoquera toute* les forces
conservatrices qui sommeillent encore.^
Agissons donc, agissons sans cesse, et
n'oublions pas que les peuples libres sont
des peuples responsables.
Bobert Mitchell.
Ce fut une heureuse et humaine pensée
qu'eurent les* maîtres de la république de
1848 d'abolir la peine de mort en matière
politique.
Mais il y a un châtiment tout aussi cruel
que la mort, plus cruel peut-être, c'est l'exil.
Nous voyons, depuis -quelques jours, les
' tristes ravages qu'il peut faire fur les plus
fermes esprits. Un. homme est arraché à sa
famille, à son pays, à ses amitiés, à ses am
bitions ; il part triste et irrité. Il ne sait pas
combien de jours, combien de mois, com
bien d'années durera la séparation. Le cli
mat sous lequel il est condamné à vivre, les
moeurs auxquelles il faut qu'il soumette
ses habitudes, \es absens dont le souvenir
l'attendrit, les désolations de l'âme et les
bouilloncemens du sang sont autant de tor
tures qui brisent ie corps et atteignent jus
qu'aux facultés morales. Une idée fixe le
poursuit ; il se fait en lui des concentra
tions violentes qui usent peu à peu les res
sorts de la volonté et livrent bientôt le mal
heureux aux erremens de la manie.
De même qu'on a vu parfois des prison
niers, épuisés par une longue captivité, ne
plus' Vouloir quitter leur étroite cellule, de
même quelquefois on-voit des ëxilés.s'atta-
cher au sol étranger avec une ténacité ma-
!adiKe~£i les portes de la patrie leur .sont
ouvertes, ils ont comme une sorte d'effroi
et s'enfoncent d'autant plus avant dans leur
malheur qu'il a été plus accablant. D'autres
cèdent à une préoccupation différente ils
vivent, chaque jour, dans l'espoir d'une dé
livrance prochaine ; ils appuient leurs illu
sions sur des faits imaginaires, et arrivent à un
état de crédulité naïve que, sains d'esprit, ils
eussent énergiquement répudiée. Il y a dix
ans, nous avons rencontré à Bruxelles un
des hommes les plus distingués de l'émi
gration française; sa manie était douce, il
croyait toujours que l'Empereur allait être
détrôné la semaine suivante et qu'il pour
rait retourner triomphant à Paris. Il avait
cette conviction si enracinée, qu'il nous en
gageait à différer notre départ de huit jours
pour faire notre entrée avec lui. Il vit ainsi
depuis le coup d'Etat * sa foi la soutient.
Les plus tristes effets de cette -funeste in
fluence se sont manifestés chez un homme
qui a été et qui serait encore, sans le mal
heur qui lui est arrivé, le plus grand poète
de ce. temps-ci. Victor Hugo n'est plus au
jourd'hui que la grande ombre de lui-mê
me; son génie s'est exalté jusqu'au délire.
Nous voulo'ns bien admettre que sa princi
pal® torture lui, est vènue de. ses déceptions '
républicaines; mais il a.subi aussi l'action
de l'isolement; il a eu, comme les autres,
cet affreux mal du pays qui noie le cœur et
porte à la tête; il a eu, pour l'achever, le
spectacle continu et absorbant de la mer au
bord de laquelle le poète rêveur était venu
se poser.
À chaque œuvre nouvelle qu'il nous en
voyait de l'exil, on sentait décroître le génie.
Les Misérables ont marqué* les premières
phases de cette décadence ; les Chansons des
rues et des bois, à côté de quelques beautés
solides, ont des symptômes inquiétans ; les
Travailleurs de la mer sont la commence
ment d'un cauchemar qui devient plus pen
sant dans l'Homme qui rit et qui, dans la
correspondance du proscrit, tourne au bé
gaiement sénile. Si on relit les Orientales,
lés Chants du crépuscule, Notre-Dame de
Parisj on mesqre la, profondeur de la
chute et les effrayans progrès du mal;
lé style est saccadé comme le pouls d'un fié
vreux, la pensée se charge d'ombres et de
fantômes; on est dans un monde de visions
et dans les pénibles efforts d'une âme à qui
échappant déjà les douces réalités qui suf
fisaient jadis à son inspiration. L'exil nous
a pris Victor Hugo; il nous ï'a pris tout en
tier.
Les hautes intelligences n'ont pas été seu
les frappées ; le fléau n'a pas épargné de
plus modestes capacités.. M. Félix Pyat,
par exemple, est entré aujourd'hui dans
la crise des visions. La liberté, dont-il par
lait autrefois avec quelque tonvenancë, n'est
plus pour lui qu'une grande idole. »
Si l'on soumettait à un homme de, l'art
quelques passages d'une élucubration pu
bliée jiier dans ; le Rappel, quelle opinion
aurait-il de l'état mental de celui qui l!a
écrite? La maladie de cet exiléest de se croire
mort : « Une vision m'apparut, écrit-il (il a
même oublié l'idiome natal]; ma tomb9 s'é
largit et s'illumina soudain de toutes les
couleurs du prisme, et je revis devant moi
la grande idole, la foi de mon jeune âge, la
raison de mon âge mûr, le culte de toute
ma vie, avec son nimbe d'or... C'était tou
jours la Minerve d'Athènes, telle qu'elle est
née de la tête d'Homère (avec le, nimbe d'or)
et de la main d© Phidias... » La Liberté, —
neus ne l'aurions pas reconnue — touche
l'infortuné « de son doigt de marbre » et lui"
demande s'il dort. Celui-ci de répondre :
« J'essaie la mort. » Suit un dialogue où la
graud» idole déclare au mort qu'il se fait
vieux, lui parla de la Constituante, de la
monnaie anglaise, du droit de mouture en
Italie, fait de l'économie politique et socia
le, s'exalte jusqu'à la colère et terrifie le
pauvre patient par d'étranges apostrophes :
« Peuple de conscrits, d'inscrits, de vendus, x
d'hurluberlus; peuple de girouettes et fJe,i
pirouettes, vide et vain, pâte et cire/^oûp
«dard et frocard... » Ressuscité par c ■jr" "
jurgations, qui sont bien faites, d'aiï
pour réveiller un mort, le malade fret
un couplet de la Marseillaise. — Tels
les ravages de l'exil. '
Plus bas encore dans l'échelle des capa
cités, on découvre un sujet moins intéres-i
gânt, mais curieux encore à observer. Chez
M. Henri Rochefort, l'action pernicieuse a
été plus rapide et tout aussi profonde que
chez les autres. Il n'est à l'étranger que de
puis quelques mois, et déjà tout l'esprit
qu'il avait s'est évaporé; tout l'effort de sa
vanité ne l'élève pas au-dessus de l'injure
banale et du dénigrement grossier.
, L'ex-chroniqueur du Figaro est devenu on
ne sait quoi de creux, de prétentieux et
dîarrogant. Son style est naturalisé belge,
et il ose écrire de Bruxelles, dans un exil
qu'il a soin, dit-on, d'entourer de beau
coup de charmes, des choses qui ne lui se
raient jamais venues près des boulevards.
Sa maladie est dô se croire un grand démo
crate et un martyr; si l'on remonte à un an,
il n'en avait pas encore les premiers symp
tômes ; elle s'est développée en six mois à
l'air de Bruxelles,
I Ce jeune homme aurait fait son chemin
dans la ganta badin; il avait déjà une bonne
place dans la petite littérature et M. Veuillot
l'avait distingué ; on le surcharge de mois
de prison, on l'accable d'amendes, H cher
che un refuge dans l'exil. La prison peut- .
être lui eût été moins funeste ; elle lui
aurait laissé la plénitude de sa raison. L'exil
ni'a fait que lui donner, des rancunes ét une
grande exaltation nerveuse. Il èn est arrivé
à; ne plus vouloir être amnistié que par le
peuple ; il prétend que les gens du gouver
nement lui doivent être présentés. Si on
lui dit qu'il peut revenir en France, il bal
butie des mots entrecoupés j prend des
airs effarés et s'attache au territoire belge
comme un nadfragé au radeau. Il est mani
feste que le cerveau est atteint.
11 y a dos tempéramensplus robustes qui
ont résisté à ; ce dépérissement intellectuel;
M. Quinet, sans être tout à fait le même
homme qu'il était il y a quinze ans, a pu
écrire dans l'exil l'Enchanteur Merlin et un
beau livre sur la Révolution ; mais il baissa
visiblement dans les articles qu'il fournit au
Rappel. Louis Blanc s'est préservé en se fe-
nant en relations suivies avec un journal
français. Ledru-Rollin, lui, a, le sang riche;-
sa belle organisation, aidée des héureuses
diversions que donne la fortune, a défié la
nostalgie. Mais que d'autres ont laissé aux
broussailles de l'exil des lambeaux de leur
raison ! •
. Ce né sont point, hélas! les seules victi
mes. Mais nous ne croyons pas utile de pro
longer côtte douloureuse enquête. Ce que
nous avons dit suffit amplement pour pro
voquer une salutaire horreur de l'exil et lui
donner autant d'adversaires qu'en a pu avoir,
un jour, la peine de mort appliquée aux
érimes politiques. C'est au nom des mêmes
principes d'humanité, au nom des mê
mes sentimens que nous exprimons ici
le vœu de voir supprimer la peinai de l'exil.
Élle n® prévient pas,.les crises sociales et
donne naissance à des maux d'une autre es
pèce. Après avoir épargné la vie des gens.,
il ne faudrait pas éteindre en eux, lente
ment, heure par heure, ce qui «st plus pré
cieux que la vio, l'intelligenca. Un de. ces
proscrits, dont l'exil ne fut pas toujours vo-»
l'on taire, avait le pressentiment de son mal
heur le jour où ib formulait en un beau vers
cette prière que nous répétons pour lui eft
pour tous ceux que l'exil a perdus :
Oh! n'exilons personne, oh ! l'exil est impie !
a. rénal.
NOUVELLES POLITIQUES.
: De nouveaux' bruits relatifs à l'état de
^anté de l'Empereur ont fâcheusement im
pressionné la Bourse d'aujourd'hui.
Feuilleton du Constitutionnel 28 août.
LA DESTINEE
Première partie.
XXVII. (Suite.)
Il y avait des momens eù cette aimable
Nana prenait au sérieux le blason de feu
son époux. Ell« se croyait alors une noble
comtesse pour de bon, et elle entendait
Qu 'on la traitât avec les égards réservés aux
punefisses du sang. Elle trouvait que le ba
ron aurait pu mettre plus d'empressement
à lui faire sa cour depuis son retour à Pa
ris; elle croyait donc de sa dignité de lui en
garder un peu rancune et de le lui faire sen
tir par la réserve de son accueil ; mais Re-
zan« avait dit vrai; elle s'était toujours senti
ua petit faible pour lui, et la rancune ne
devait pas tenir longtemps centre le plaisir
au 'i 'lle avait à le revoir. La première glace
fut bientôt fondue.
— Vous avez raison, dit Jacques en lui
baisant la main qu'elle venait de lui tendre
avec un geste patricien ; c'est un revenant !
— Un revenant bon! au moins, reprit la
(Voir le Constitutionnel du 27 août.)
comtesse en lui indiquant une place à côté
d'elle. '
Comme Nana s'était montrée assez aima
ble pour lui ce soir-là, le marquis se sentait
disposé à lui passer quelqués petits capri
ces, pourvu qu'ils n'allassent'pas trop loin.
Il fut donc charmant avec le nouveau venu.
„— Vous n'avez pas voulu faire de jaloux !
lui dit-il d'un air bon enfant, et après avpir
commencé la soirée avec la femme, vous la
finissez avec le mari...
— Tu sais, toi, fit la Pietra-Nera, ea don
nant au marquis un coup d'éventail sur le
bout des deigts, qu'il y a des noms qu'il n®
faut jamais prenoncer devant moi... Donc,
attention ! ! Si tu recommences, je demande
ma séparation.
— Que l'on s'empressera de né pas t'ac-
corder! répliqua M.deMeillan.
A ce moment la belle Rozane s'approcha
du commandant, et prenant s@n bras avec
une grâce familière :
— J'espère bien, lui dit-elle, que vous al
lez déclarer tout de suite que c'est pour moi,
«t non pour notre irrésistible Nana que vous
êtes venu ici... Elle a tant d'adorateurs,
qu'un de plus se compterait pas... tandis
qu'avec moi...
Tout en parlant, elle emmena le baron
d'Ambleuse dans la serre, déserte en ce mo
ment, et, se suspendant à son bras, avec cet
te gracieuse coquetterie de mouvemens par
ticulière aux petites femmes :
— N'allez pas croire, au moins, moi\ com
mandant, lùi dit-ells avec son regard d'es
piègle., qu© ja jette ainsi pour tout de bon de
vant le mande mon bonnet par-dessus les
maisons. J« ne marche pas si audacieuse-
ment sur la traîne de Mme t'utiphar. Mais
on a parlé de vous un peu trop pendant le
souper; le marquis a froncé deux ou trois fois
le sourcil; vous savez à quel point il est sin
gulier... Je n'ai pas voulu qu'il pût croire
que .vous étiez venu pour la comtesse...
bien qu'au fond de l'âme ceci, pour moi,'ne
fasse pas un doute... C'est ce que je vous
ai dit tantôt qui vous amène ici mainte
nant... Coureurs d'aventures, vous êtes bien
tous les mêmes!...
— Et nous ne valons pas grand' chose ! je
vous l'accorde ! d'ailleurs, c'est convenu!
Seulement, aujourd'hui, par extra«rdinaire,
vous vous êtes trompée... Voici déjà long
temps que je ne cours plus les aiventures,
comme vous dites, et si ravissante que soit
votre amie , ce serait bien la dernière des
femmes qui me ferait reprendre le manteau
couleur de muraille.
— Ce n'est cependant pas pour moi que
vous êtes venu? répliquaRozano en le re
gardant.
— Non, dit-il, car aujourd'hui je ne serais
pas tout à vous, et, certes, vous méritez
mieux que ce que je pourrais vous donner.
J'aime mieux vous dire la vérité vraie. Vous
voyez cette longue moustache!
— M. deBlangy?
— Lui-même !
— Eh bien ?
— C'est poar lui que je suis ici.
— Alors, allez le prendre à celte Espa
gnole.
— De Montmartre?
— Tout juste, mais avouez du moins
qu'elle est bien jolie !
— Pas tant que vous ! Mais puisse,-t-elle
me pardonner d'interrompre son tête-à-tête.
— Allez toujours! Vous n'avez rien à
craindre; elle ne porte point de poignard à
sa jarretière.
Le commandant s'approcha d'un divan que
M. de Blangy partageait avac cetle brune
aux yeux noirs, que Rozane^ qualifiait du
titre d'Espagnole, et que, certes, n'auraient
reniée ni Séville, ni Cadix.
— Pardonnez-moi, Madame, fit-il en la
saluant avec ce grand air. de courtoisie qui
ne l'abandonnait jamais, pardonnez-moi si
je vous enlève un moment cet aimable cau
seur..^ Je vous le rendrai !
— Eh ! que diable viens-tu faire ici à cinq
heures du matin? demanda l'officier, qui so
laissa emmener à l'écart. '
— J'ai besoin da toi !
— Eh bien! me voilà.
— Je met bats demain... c'est-à-dire tan
tôt.
— Ahlavec qui?
— Avec le prince Ilermiloff !
—Naturellement! répliqua M. de Blangy
en tirs a t sa moustache.
— Que veux-tu ? cela devait arriver tôt
ou tard.!
— Et c'sst grave ?
— Très grave ! insulte publique.
— Alors, il faut que l'un de vous deux
y reste !. '
— C'est ce que j'ai voulu. '
— Tu fais granaement les choses.
— Ou bien je ne les fais pas !
— Enfin, à ton service, ou tu voudras, et
comme tu voudras.
— Voilà où l'on reconnaît les amis.
— Pardieu ! Peux-tu me donner quelques
détails.
- — Ici, c'est impossible!
— Et inutile! tu as raison ! tu me conte
ras cela en route.
— Oui, pour tuer le temps.
— Avant de tuer ton Russe !
— Ou qu'il me tue!
— Dame! un duel, c'est pile ou face!
Où est le rendez-vous?
— A la perte Maillot.
— L'heure?
— Le point du jour.
— Les armes ?
•— Ma foi ! je t'avoue que nous ne sommes
conveaus de rien.
— C'est singulier !
t -Que veux-tu? cela s'est fait un peu
vite! .
— Nous prendrons une paire d'épées et
une pçiire de pistolets.
— Un arsenal si tu veux!
— On n'est pas obligé da se servir de
tout..;
— Sans doute, on choisira sur le terrain.
— Mais avec toi, il me faut encore quel-,
qu'un.
— Nécessairement ! mais n» crains rien,
çe quelqu'un se trouvera.
'— Je croyais que Chaulieu était ici ?
— Oui, il fait au sentiment dans quelque
coin.
— Le fou !
— Je te conseille de parler.
— Charge-toi de le prévenir J Je ne veux
pas aveir l'air de vous embaucher tous les
uns après les autres.
— Sois tranquille, cela me regarde; je me
charge de tout.
Chaulieu fut mis en deux mots au fait de
la situation.
— Très bien! fit-il avec l'insouciance, du
soldat bronzé par l'habitude et la vue du
danger, et toujours prêt à jouer sa vie et
celle des autres sur tous lés tapis verts de
la destinée, sur un champ de bataille de
cent mille hommes, ou dans le champ clos
d'un duel.
— Tu sais que c'est pour ce matin? con
tinua M. de Blangy.
— Je ne sais rien ! Mais alors il est fort
inutile de nous aller coucher. Nous parti
rons d'ici.
— C'est une idée.
Ceci une fois réglé, M. de Blangy retourna
vers le commandant.
— Tu n'as plus à t'occuper de rien, lui
dit-il; tout va comme sur des roulettes. Ne
désires-tu point te reposer quelques ins-
tans.
— Me reposer ! à quoi bon 1 Je ne dormi
rais pas !
.— N'as-tu point quelque lettre à écrire,
quelques dispositions à prendre?
Sans doute, sans doute! comme tout
1® monde en pareil cas, répondit M. d'Asa-
bleuse, mais ce ne sera pas long...
:— Alors, reste ici avec nous : nous allons
faire flamber tous ensemble un punch en
l'honneurde Nana.
— Non ! je rentre un instant ches moi;
j'aime autant être seul. '
— Tu as raison; le punch agite, et il faut
ménager tes nerfs, surtout si veus tous bat
tez au,pistolet.
— C'est ce que je pensais ! Buvez donc à
ma santé, et soyez exacts.
Le commandant dit adieu à Rozane assez
tendrement, baisa la main de la" comtesse,*
et, tout en saluant le marquis, ne put s'em
pêcher de se dire :
— C'est pourtant lui qui devrait être à
ma place, et il ne se doute même pas que jè
vais jouer ma vie pour sa femme.
Il se jeta dans sa voiture en disant à son'
cocher:
— Au club !
I ~ *W
5.4® ANNEE#—N* MO,
ABONNEMENS DES DÉPÀBTEMENS
,• \^M
BUREAUX À PARIS | rue de Valois (Palais-Royà1)f-nr?
SAMEDI 28 AOUT 1869.
TROIS MOIS.....
SIX MOIS..
UN AN
pour îles pats étrangers , voir le tableau
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TROIS MOIS 13 FR.
SIX MOIS.........." 26 FR.
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UN NUMÉRO 20 CENTIMES.
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N du journal. ■
Sur présentation de la quittance d'abon
nement, les Abonnés nouveaux du journal
le Constitutionnel recevront en prime le com
mencement du feuilleton en cours de publi
cation :
IîA
PARIS, 27 AOUT.
L'obligation où se trouve le gouvernement
autrichien de faire voter certaines dépenses,
notamment, celles-de la guerre et de îa ma
rine, successivement par deux Parlemens,
donns lieu à des résultats assez singuliers.
Les journaux de P§sth annoncent que la dé
légation hongroise vient de voter le budget
de la marine. Elle a accordé 600,000 florins
ide plus que la délégation autrichienne, celle-
ci n'ayant voté pour la construction de nou
veaux navires qu'un million, tandis que la
délégation hongroise a affeclé à ce travail
1 million 600,000 florins. Plusieurs délégués
hongrois étaient même disposés à voter tou
te la somme de 2 millions 760,000 florins
demandée par le gouvernement.
C'est une conviction très ' généralement
répandue dans les cercles politiques hon
grois que l'Empire a besoin d'une force
navale respectable pour pouvoir prendre
une position forte et résolue dans las affaires
d'Orient. La marine austro-hongroise est
bonne, mais trop peu nombreuse. La délé
gation hongroise est donc toute disposés à
seconder les vues du gouvernement, qui veut
construire plusieurs frégates cuirassées.
Une lettre adressée de Peslh à la Corres
pondance du Nord-Est raconte que le repré
sentant du gouvernement a déclaré, dans la
délégation hongroise, qu'il se chargerait,
avec quinze frégates cuirassées,,de défendre
les côtes de la Dalmatie même contre une
puissance maritime de premier ordre ; il a
ajouté qu'une flotte ainsi composée serait
suffisante pour dominer sur la mer Adriati
que et pour faire respecter en Orient le pa
villon commun. Celte déclaration a fait une
profonde impression sur la délégation hon
groise, et si, malgré cela, elle a réduit d'un
million la somme demandée, par le gouver
nement, elle bo l'a -fait que pour éviter
un nouveau ' sujet de conflit avec la délé
gation autrichienne dans le sein de laquelle
on a peu de sympathie pour la marine.
La Hongrie en effet est, des deux moitiés
de la monarchie, celle où l'on prend le
plus d'intérêt à ce qui se passe en Orient.
Tout le monde comprend que la flotte a
beaucoup moins d'importance au point de
vue des affaires allemandes qu'en ce qui
touche la question d'Orient.
Gouverner sans" conflit en se maintenant
d'accord avec deux assemblées où régnent
souvent des vues et des intérêts contradic
toires est une tâche qui exige, on l'avouera,
une rare dextérité.
M. de Beust y a réussi jusqu'ici, puis
samment aidé, il est vrai, par l'admirable et
clairvoyant patriotisme de M. Deak et des
autres chefs de la délégation hongroise.
Le chancelier de l'Empire est du reste, en
ce moment, dans une bonne veine; On pa
raît décidément avoir renoncé, à Berlin, à
lui faire la guerre. Les journaux prussiens
sont devenus tout à fait calmes. Le symp
tôme la plus rassurant est un article de la
Gazette de la Croix fort bienveillant pour
M. de Beust. Ce journal reconnaît que le
chancelier autrichien a fait réellement des
avances directes ou indirectes à la Prusse, kt
il cite comme des procédés amicaux de
sa part : la résolution prise de ne pas
publier la correspondance relative à la
note Usedom; l'attitude pleine de réserve
et de mesure du cabinet de Vienne dans la
question du Sleswig du Nord, et dans celle
des alliances avec les Etats de l'Allemagne
du Sud; les démarches personnelles faites
par M. de Beust pour obtenir que les mem
bres de la maison Toyale de Prusse conser
vent les régi mens dont ils'sont titulaires en
Autriche ; enfin,, les efforts, couronnés
succès, pour rarrânœment de l'affaire du
Luiembourg." "- J
C^article-,a/^lurellement produit à
Vienne îaHaa©jàkfffre impressioB,et il permet
d'espérer le complet apaisement de l'orage
diplomatique qui commençait à agiter les
deux grandes puissances allemandes.
Les rapports du cabinet autrichien avec la
cour de Rome s'améliorent aussi. La répon
se du Saint-Père aux félicitations des catho
liques autrichiens, qui vient d'être publiée,
est un nouveau gsge du changement qui
s'opère dans les dispositions du Vatican.
Cette réponse évite avec soin tout ce qui
pourrait*être pris pour un, blâme des mesu
res adoptées par le gouvernement de Vienne.
La Correspondance provinciale de Berlin
annonce que les travaux préparatoires pour
la prochaine session sont poussés rapide
ment dans tous les ministères. On se hâte
d'autant plus de les terminer qu© la convo
cation des Chambres prussiennes est prévue
déjà pour les premiers jours du mois d'oc
tobre.
Le Parlement de la Confédération du Nord
se réunira probablement tout au commen
cement de l'année prochaine, pour le cas où
les Chambres prussiennes auraient alors
achevé leurs travaux.
Nous publions plus loin l'article delà Ga
zette de l'Allemagne du Nord, signalé par le
télégraphe, dans lequel l'organe du cabinet
prussien a très vivement démenti le bruit
que le ministre de la guerre demanderait au
Reichst8g une allocation supplémentaire de
cinq millions de thalers. Il n'est question
d'aucune augmentation dans les dépenses
militaires.
L9 télégraphe a signalé il y a quelque
temps l'avortement d'une tentative de révo^-
lutiondans l'Uruguay, et la capture du chef
du mouvement, Caraballo. Le Standard de
Buenos-Jyres a fait à ce propos une remar
que bien curieuse, reproduite ce matin par
Ite Times : « À notre connaissance, dit-il,
c'est la première fois qu'une tentative de
révolution ne réussit pas dans ce.pays. »
Un autre fait, unique aussi en son genre
probablement, est la décret rendu sur la
proposition de l'amiral Topete. A la suite
de la révolulion de septembre, dont il a été,
on s'en souvient, l'un dos agens les plus
puissans, le brigadier Topete fut nommé
amiral. Il vient de faire rendre lui-même
un décret qui annule cette nomination et le
rétablit dans son grade de brigadier.
France.
Toulon, 26 août, 0 h. 40 du soir,
(arrivée ce matin à 4 h. 20.),
•L'Impératrice et le Prince Impérial sont arri
vés à Toulon à quatre heures et demie. La foule
était immense et l'enthousiasme a été indescrip
tible. Les maisons étaient pavoisées.
Après une visite à la cathédrale, l'Impératrice
s'est rendue à ia préfecture, où elle a reçu plu
sieurs dames de la ville, les membres du con
seil général et les autorités:
Sa Majesté s'est embarquée sur l'Aigle à six
heures, au bruit des salves d'artilierie.
Bordeaux, 27 août.
Le général Prim, arrivé ici hier soir, est re
parti ce matin pour Paris, où il arrivera aujour
d'hui.
c. barbe.
BflMgSnvt-m
TÉLÈGBAPBIE SPHFSTÊE.
agbnce havas.
Antrlebe.
Vienne, 26 août.
La Gazette officielle annonce quo le lieute
nant feld-maréehal Mœring, qui était chargé
provisoirement de la lieutenance de Trieste, est
nommé lieutenant de Trieste.
L'empereur a accordé l 'exequatur à M. Royce
consul des Etats-Unis à Prague.
gïSBmgjsse.
Madrid, 26 août, soir.
M. Rivero, qui avait été frappé d'une conges
tion cérébrale, va mieux aujourd'hui.
La Iberia, la Nation et d'autres journaux
engagent le gouvernement à user de sévérité à
l'égard dés, membres du clergé coupables d'in
subordination.
Madrid, 27 août, 2 h. du matin.
Les débris des bandes de la Manche, au nom
bre de quarante hommes, se sont fait donner
des vivres, cette nuit, à la Canada. Les troupes
sont à leur poursuite.
On a pris, à Tortusa, le cabecilla Léon y Co
quette, de la ban-de dissoute d'Aleala.
Rien de nouveau dans le reste de la Pénin
sule.
Portugal.
Lisbonne, 26 août.
Aujourd'hui a eu lieu la clôture des Cham
bres. Le roi a prononcé un discours approprié
aux circonstances. lia dit que le gouvernement
s'occuperait des réformes à effectuer dans l'ad
ministration.
La reine va mieux.
. SERVICE DE NUIT.
Prcasse.
Berlin, 27 août.
A propos de l'assertion de la Correspondance
Zeidlerque le gouvernement prussien prendrait
des mesures^ par ia voie légale, contre le Con
cile, dans le cas où les délib érations de celui-ci
auraient un caractère hostile aux d foi ta de
l'Etat, la Gazette de VAllemagne du Nord dé
clare qbe la Correspondance, Zdidler n'est pas
en géuéral.un organe du gouvérnement, etqu'elle
ne l'est nullement dans le cas actuel.
Danemark.
Copenhague, 27 août.
Le congrès archéologique a été ouvert aujour
d'hui. La famille royale, les ministres, le corps
diplomatique et les autorités principale^ y as
sistaient. sLe professeur Worsaac a prononcé le
discours d'ouverture. Lé second discours a été
prononcé par M, de Quairefagés, de Paris.
Un message royal, en date d'aujourd'hui, fixe"
les élections pour ie Reiehstag au 22 septembre.
j£S»^agae>.
Madrid^ 27 août.
L'Impartial dit que M. Martos a envové 8u
général Prim une lettre dans laquelle il démon
tre l'inefficacité de la peine de mort en matière
politique. Le général Prim aurait donné au
conseil des ministres les raisons présentées par
M. Marlos.
Le même journal nie qu'il ait é'é question de
Ja candidature du maréchal Serra no au trône
d'Espagne lors de la réception des journalistes
à La Granja.
Porfagal.
Lisbonne, 27 août
{source paraguayenne).
Le paquebot anglais de la Piata qui vient
d'arriver apporte -les nouvelles suivantes du
théâtre do la guerre au Paraguay.
Les alliés ne se trouvant pas en force pour
attaquer les positions paraguayennes dés Cor
dillères, so maintiennent dans une complète
inaction derant leurs adversaires.
On dit qu'une révolution est imminente dans
les provinces «rgeritines contre la politique du
président Sarmienîo,,qu'on accuse a» s'être in
féodé au Brésil, au détriment des intêrêis argen
tins.
France.
Toulon, 27 août, 3 h. du soir.
L'Impératrice et le Prince Impérial ont visité
les établissemens publies. Un accueil enthou
siaste leur a été fait en entrant à l'Arsenal. Des »
promotions et des décorations ont eu lieu. Ce
soir, uîuer sur l'Aigle. Départ à dix heures.
COURS DÈ LA BOURSE.
cours de clôture , le 26 le27 Hausse. Baisse.
30/0aucompt. 73 25 7180 » » 1 55
—Fin du mois. 73 35 71.75 * » 1 60
41/2aucompt. 105. » 104.80 » » » 20
Le sénatus-consulte est plus qu'une mo
dification constitutionnelle, c'est un acte
d'émancipation..
Le suffrage universel, établi en France il
y a vi4gt et un ans par une révolution, est
aujourd'hui majeur.
Pendant ses premières années, on l'a éclai
ré, protégé; il n'avait guère conscience de
sa force, et demandait à être guidé.
L© 12 juillet, il a repris possession de tous
ses droits. A la prochaine réunion des Cham
bres, et pendant la vérification des pouvoirs,
le gouvernement lui rendra ses derniers
comptes de tutelle, et désormais, libre, dé
gagé de toute entrave, il devra fonctionner
en ne prenant conseil que des intérêts du
pays.
Mais, il ne faut pas s'y tromper, si les ré
formes libérales augmentent la somme de
nos droits, elles nous imposent aussi des
obii gâtions nouvelles.
L'initiative des peuples est en raison inver
se de celle des gouvernemens: quand l'action
gouvernementale diminue, la nôife doit
"augmenter dans une juste proportion, et si
nous ne voulons pas que le pouvoir exécu-
r 1ff iatervienne plus que de raison dans les
affaires du suffrage universel, il faut que
nous prenions en main le iôie qu'il aban
donne volontairement, il faut que nous nous
organisions, pour protéger nous-mêmes la
paix publique et les 'libertés si laborieuse
ment acquises.
Aux élections dernières, le département
du Var donnait un grand et salutaire exem
ple, qui partout devrait être suivi. Sollicité
en sens contraire par l'administration pré
fectorale qui lui recommandait un candidat
officiel, et les cofnités démocratiques qui
prétendaient lui imposer un irréconciliable,
il choisissait librement, spontanément, M.
Emile Ollivier. Sur les divers points de
la circonscription, toutes les nuances du
parti libéral se groupaient autour du can
didat indépendant, les notabilités les plus
considérables du département s'improvi
saient courtiers d'élection ; on s'agitait, on
luttait pour le triomphe des idées modérées,
et devant cet irrésistible mouvement d'opi
nion, M. Lescuyer d'Altainville se retirait,
M. Laurier succombait l
Dans ce même département du Var, qui a
le premier proclamé l'émancipation du suf-
. frage universel, M. Emile Ollivier vient d'a
dresser un appel à l'intelligence, à l'activité
de# citoyens : -
Libéraux! leur dit-il, qui ne séparez pas plus
la liberté de l'égalité et de l'ordre quo vous ne
la séparez du bon sens, de là science et du sen
timent des réalités, ne vous endormez pas: rap
prochez-vous, organisez-vous et résistez. Vous
êtes les plus inteiligens, les plus instruits, les
plus honnêtes, ne soyez pas les plus itidolens,
les pius'inous, les plus effacés ; ne laissez pas à
vos adversaires le divin privilège de la passion;
soyez passionnés, vous qui avez raison, autant
que ie sont ceux qui ont tort ; agissez, agissez
sans cesse ; secondez la politique nouvelle au
tour de vous.
L'année dernière, à pareille époque, nous
disions :
Depuis dix-huit aBS, le "parti dynastique,
confiant dans la sagesse et la fermeté du chef
de l'Etat, remet ses destinées entre ses mains,
et s'endort paisiblement sur l'épaule du gouver
nement. Il faut qu'il s.) réveille, il faut qu'en
présence d'ennemis résolus il sorte enfin de sa
dangereuse apai(lie. Jusqu'ici on l'a protégé,
qu'il se protège à son tour, et que son action
libre vienne en aide aux inspirations de ceux
qui nous gouvernent.
Aujourd'hui, c'est M. Émile Ollivier qui
reprend nôtre thèse avec une bien plus
haute, une bien plus grande autorité.
Son magnifique Sursum corda I retentira
dans tous les cœurs, réveillera toutes les
intelligences et évoquera toute* les forces
conservatrices qui sommeillent encore.^
Agissons donc, agissons sans cesse, et
n'oublions pas que les peuples libres sont
des peuples responsables.
Bobert Mitchell.
Ce fut une heureuse et humaine pensée
qu'eurent les* maîtres de la république de
1848 d'abolir la peine de mort en matière
politique.
Mais il y a un châtiment tout aussi cruel
que la mort, plus cruel peut-être, c'est l'exil.
Nous voyons, depuis -quelques jours, les
' tristes ravages qu'il peut faire fur les plus
fermes esprits. Un. homme est arraché à sa
famille, à son pays, à ses amitiés, à ses am
bitions ; il part triste et irrité. Il ne sait pas
combien de jours, combien de mois, com
bien d'années durera la séparation. Le cli
mat sous lequel il est condamné à vivre, les
moeurs auxquelles il faut qu'il soumette
ses habitudes, \es absens dont le souvenir
l'attendrit, les désolations de l'âme et les
bouilloncemens du sang sont autant de tor
tures qui brisent ie corps et atteignent jus
qu'aux facultés morales. Une idée fixe le
poursuit ; il se fait en lui des concentra
tions violentes qui usent peu à peu les res
sorts de la volonté et livrent bientôt le mal
heureux aux erremens de la manie.
De même qu'on a vu parfois des prison
niers, épuisés par une longue captivité, ne
plus' Vouloir quitter leur étroite cellule, de
même quelquefois on-voit des ëxilés.s'atta-
cher au sol étranger avec une ténacité ma-
!adiKe~£i les portes de la patrie leur .sont
ouvertes, ils ont comme une sorte d'effroi
et s'enfoncent d'autant plus avant dans leur
malheur qu'il a été plus accablant. D'autres
cèdent à une préoccupation différente ils
vivent, chaque jour, dans l'espoir d'une dé
livrance prochaine ; ils appuient leurs illu
sions sur des faits imaginaires, et arrivent à un
état de crédulité naïve que, sains d'esprit, ils
eussent énergiquement répudiée. Il y a dix
ans, nous avons rencontré à Bruxelles un
des hommes les plus distingués de l'émi
gration française; sa manie était douce, il
croyait toujours que l'Empereur allait être
détrôné la semaine suivante et qu'il pour
rait retourner triomphant à Paris. Il avait
cette conviction si enracinée, qu'il nous en
gageait à différer notre départ de huit jours
pour faire notre entrée avec lui. Il vit ainsi
depuis le coup d'Etat * sa foi la soutient.
Les plus tristes effets de cette -funeste in
fluence se sont manifestés chez un homme
qui a été et qui serait encore, sans le mal
heur qui lui est arrivé, le plus grand poète
de ce. temps-ci. Victor Hugo n'est plus au
jourd'hui que la grande ombre de lui-mê
me; son génie s'est exalté jusqu'au délire.
Nous voulo'ns bien admettre que sa princi
pal® torture lui, est vènue de. ses déceptions '
républicaines; mais il a.subi aussi l'action
de l'isolement; il a eu, comme les autres,
cet affreux mal du pays qui noie le cœur et
porte à la tête; il a eu, pour l'achever, le
spectacle continu et absorbant de la mer au
bord de laquelle le poète rêveur était venu
se poser.
À chaque œuvre nouvelle qu'il nous en
voyait de l'exil, on sentait décroître le génie.
Les Misérables ont marqué* les premières
phases de cette décadence ; les Chansons des
rues et des bois, à côté de quelques beautés
solides, ont des symptômes inquiétans ; les
Travailleurs de la mer sont la commence
ment d'un cauchemar qui devient plus pen
sant dans l'Homme qui rit et qui, dans la
correspondance du proscrit, tourne au bé
gaiement sénile. Si on relit les Orientales,
lés Chants du crépuscule, Notre-Dame de
Parisj on mesqre la, profondeur de la
chute et les effrayans progrès du mal;
lé style est saccadé comme le pouls d'un fié
vreux, la pensée se charge d'ombres et de
fantômes; on est dans un monde de visions
et dans les pénibles efforts d'une âme à qui
échappant déjà les douces réalités qui suf
fisaient jadis à son inspiration. L'exil nous
a pris Victor Hugo; il nous ï'a pris tout en
tier.
Les hautes intelligences n'ont pas été seu
les frappées ; le fléau n'a pas épargné de
plus modestes capacités.. M. Félix Pyat,
par exemple, est entré aujourd'hui dans
la crise des visions. La liberté, dont-il par
lait autrefois avec quelque tonvenancë, n'est
plus pour lui qu'une grande idole. »
Si l'on soumettait à un homme de, l'art
quelques passages d'une élucubration pu
bliée jiier dans ; le Rappel, quelle opinion
aurait-il de l'état mental de celui qui l!a
écrite? La maladie de cet exiléest de se croire
mort : « Une vision m'apparut, écrit-il (il a
même oublié l'idiome natal]; ma tomb9 s'é
largit et s'illumina soudain de toutes les
couleurs du prisme, et je revis devant moi
la grande idole, la foi de mon jeune âge, la
raison de mon âge mûr, le culte de toute
ma vie, avec son nimbe d'or... C'était tou
jours la Minerve d'Athènes, telle qu'elle est
née de la tête d'Homère (avec le, nimbe d'or)
et de la main d© Phidias... » La Liberté, —
neus ne l'aurions pas reconnue — touche
l'infortuné « de son doigt de marbre » et lui"
demande s'il dort. Celui-ci de répondre :
« J'essaie la mort. » Suit un dialogue où la
graud» idole déclare au mort qu'il se fait
vieux, lui parla de la Constituante, de la
monnaie anglaise, du droit de mouture en
Italie, fait de l'économie politique et socia
le, s'exalte jusqu'à la colère et terrifie le
pauvre patient par d'étranges apostrophes :
« Peuple de conscrits, d'inscrits, de vendus, x
d'hurluberlus; peuple de girouettes et fJe,i
pirouettes, vide et vain, pâte et cire/^oûp
«dard et frocard... » Ressuscité par c ■jr" "
jurgations, qui sont bien faites, d'aiï
pour réveiller un mort, le malade fret
un couplet de la Marseillaise. — Tels
les ravages de l'exil. '
Plus bas encore dans l'échelle des capa
cités, on découvre un sujet moins intéres-i
gânt, mais curieux encore à observer. Chez
M. Henri Rochefort, l'action pernicieuse a
été plus rapide et tout aussi profonde que
chez les autres. Il n'est à l'étranger que de
puis quelques mois, et déjà tout l'esprit
qu'il avait s'est évaporé; tout l'effort de sa
vanité ne l'élève pas au-dessus de l'injure
banale et du dénigrement grossier.
, L'ex-chroniqueur du Figaro est devenu on
ne sait quoi de creux, de prétentieux et
dîarrogant. Son style est naturalisé belge,
et il ose écrire de Bruxelles, dans un exil
qu'il a soin, dit-on, d'entourer de beau
coup de charmes, des choses qui ne lui se
raient jamais venues près des boulevards.
Sa maladie est dô se croire un grand démo
crate et un martyr; si l'on remonte à un an,
il n'en avait pas encore les premiers symp
tômes ; elle s'est développée en six mois à
l'air de Bruxelles,
I Ce jeune homme aurait fait son chemin
dans la ganta badin; il avait déjà une bonne
place dans la petite littérature et M. Veuillot
l'avait distingué ; on le surcharge de mois
de prison, on l'accable d'amendes, H cher
che un refuge dans l'exil. La prison peut- .
être lui eût été moins funeste ; elle lui
aurait laissé la plénitude de sa raison. L'exil
ni'a fait que lui donner, des rancunes ét une
grande exaltation nerveuse. Il èn est arrivé
à; ne plus vouloir être amnistié que par le
peuple ; il prétend que les gens du gouver
nement lui doivent être présentés. Si on
lui dit qu'il peut revenir en France, il bal
butie des mots entrecoupés j prend des
airs effarés et s'attache au territoire belge
comme un nadfragé au radeau. Il est mani
feste que le cerveau est atteint.
11 y a dos tempéramensplus robustes qui
ont résisté à ; ce dépérissement intellectuel;
M. Quinet, sans être tout à fait le même
homme qu'il était il y a quinze ans, a pu
écrire dans l'exil l'Enchanteur Merlin et un
beau livre sur la Révolution ; mais il baissa
visiblement dans les articles qu'il fournit au
Rappel. Louis Blanc s'est préservé en se fe-
nant en relations suivies avec un journal
français. Ledru-Rollin, lui, a, le sang riche;-
sa belle organisation, aidée des héureuses
diversions que donne la fortune, a défié la
nostalgie. Mais que d'autres ont laissé aux
broussailles de l'exil des lambeaux de leur
raison ! •
. Ce né sont point, hélas! les seules victi
mes. Mais nous ne croyons pas utile de pro
longer côtte douloureuse enquête. Ce que
nous avons dit suffit amplement pour pro
voquer une salutaire horreur de l'exil et lui
donner autant d'adversaires qu'en a pu avoir,
un jour, la peine de mort appliquée aux
érimes politiques. C'est au nom des mêmes
principes d'humanité, au nom des mê
mes sentimens que nous exprimons ici
le vœu de voir supprimer la peinai de l'exil.
Élle n® prévient pas,.les crises sociales et
donne naissance à des maux d'une autre es
pèce. Après avoir épargné la vie des gens.,
il ne faudrait pas éteindre en eux, lente
ment, heure par heure, ce qui «st plus pré
cieux que la vio, l'intelligenca. Un de. ces
proscrits, dont l'exil ne fut pas toujours vo-»
l'on taire, avait le pressentiment de son mal
heur le jour où ib formulait en un beau vers
cette prière que nous répétons pour lui eft
pour tous ceux que l'exil a perdus :
Oh! n'exilons personne, oh ! l'exil est impie !
a. rénal.
NOUVELLES POLITIQUES.
: De nouveaux' bruits relatifs à l'état de
^anté de l'Empereur ont fâcheusement im
pressionné la Bourse d'aujourd'hui.
Feuilleton du Constitutionnel 28 août.
LA DESTINEE
Première partie.
XXVII. (Suite.)
Il y avait des momens eù cette aimable
Nana prenait au sérieux le blason de feu
son époux. Ell« se croyait alors une noble
comtesse pour de bon, et elle entendait
Qu 'on la traitât avec les égards réservés aux
punefisses du sang. Elle trouvait que le ba
ron aurait pu mettre plus d'empressement
à lui faire sa cour depuis son retour à Pa
ris; elle croyait donc de sa dignité de lui en
garder un peu rancune et de le lui faire sen
tir par la réserve de son accueil ; mais Re-
zan« avait dit vrai; elle s'était toujours senti
ua petit faible pour lui, et la rancune ne
devait pas tenir longtemps centre le plaisir
au 'i 'lle avait à le revoir. La première glace
fut bientôt fondue.
— Vous avez raison, dit Jacques en lui
baisant la main qu'elle venait de lui tendre
avec un geste patricien ; c'est un revenant !
— Un revenant bon! au moins, reprit la
(Voir le Constitutionnel du 27 août.)
comtesse en lui indiquant une place à côté
d'elle. '
Comme Nana s'était montrée assez aima
ble pour lui ce soir-là, le marquis se sentait
disposé à lui passer quelqués petits capri
ces, pourvu qu'ils n'allassent'pas trop loin.
Il fut donc charmant avec le nouveau venu.
„— Vous n'avez pas voulu faire de jaloux !
lui dit-il d'un air bon enfant, et après avpir
commencé la soirée avec la femme, vous la
finissez avec le mari...
— Tu sais, toi, fit la Pietra-Nera, ea don
nant au marquis un coup d'éventail sur le
bout des deigts, qu'il y a des noms qu'il n®
faut jamais prenoncer devant moi... Donc,
attention ! ! Si tu recommences, je demande
ma séparation.
— Que l'on s'empressera de né pas t'ac-
corder! répliqua M.deMeillan.
A ce moment la belle Rozane s'approcha
du commandant, et prenant s@n bras avec
une grâce familière :
— J'espère bien, lui dit-elle, que vous al
lez déclarer tout de suite que c'est pour moi,
«t non pour notre irrésistible Nana que vous
êtes venu ici... Elle a tant d'adorateurs,
qu'un de plus se compterait pas... tandis
qu'avec moi...
Tout en parlant, elle emmena le baron
d'Ambleuse dans la serre, déserte en ce mo
ment, et, se suspendant à son bras, avec cet
te gracieuse coquetterie de mouvemens par
ticulière aux petites femmes :
— N'allez pas croire, au moins, moi\ com
mandant, lùi dit-ells avec son regard d'es
piègle., qu© ja jette ainsi pour tout de bon de
vant le mande mon bonnet par-dessus les
maisons. J« ne marche pas si audacieuse-
ment sur la traîne de Mme t'utiphar. Mais
on a parlé de vous un peu trop pendant le
souper; le marquis a froncé deux ou trois fois
le sourcil; vous savez à quel point il est sin
gulier... Je n'ai pas voulu qu'il pût croire
que .vous étiez venu pour la comtesse...
bien qu'au fond de l'âme ceci, pour moi,'ne
fasse pas un doute... C'est ce que je vous
ai dit tantôt qui vous amène ici mainte
nant... Coureurs d'aventures, vous êtes bien
tous les mêmes!...
— Et nous ne valons pas grand' chose ! je
vous l'accorde ! d'ailleurs, c'est convenu!
Seulement, aujourd'hui, par extra«rdinaire,
vous vous êtes trompée... Voici déjà long
temps que je ne cours plus les aiventures,
comme vous dites, et si ravissante que soit
votre amie , ce serait bien la dernière des
femmes qui me ferait reprendre le manteau
couleur de muraille.
— Ce n'est cependant pas pour moi que
vous êtes venu? répliquaRozano en le re
gardant.
— Non, dit-il, car aujourd'hui je ne serais
pas tout à vous, et, certes, vous méritez
mieux que ce que je pourrais vous donner.
J'aime mieux vous dire la vérité vraie. Vous
voyez cette longue moustache!
— M. deBlangy?
— Lui-même !
— Eh bien ?
— C'est poar lui que je suis ici.
— Alors, allez le prendre à celte Espa
gnole.
— De Montmartre?
— Tout juste, mais avouez du moins
qu'elle est bien jolie !
— Pas tant que vous ! Mais puisse,-t-elle
me pardonner d'interrompre son tête-à-tête.
— Allez toujours! Vous n'avez rien à
craindre; elle ne porte point de poignard à
sa jarretière.
Le commandant s'approcha d'un divan que
M. de Blangy partageait avac cetle brune
aux yeux noirs, que Rozane^ qualifiait du
titre d'Espagnole, et que, certes, n'auraient
reniée ni Séville, ni Cadix.
— Pardonnez-moi, Madame, fit-il en la
saluant avec ce grand air. de courtoisie qui
ne l'abandonnait jamais, pardonnez-moi si
je vous enlève un moment cet aimable cau
seur..^ Je vous le rendrai !
— Eh ! que diable viens-tu faire ici à cinq
heures du matin? demanda l'officier, qui so
laissa emmener à l'écart. '
— J'ai besoin da toi !
— Eh bien! me voilà.
— Je met bats demain... c'est-à-dire tan
tôt.
— Ahlavec qui?
— Avec le prince Ilermiloff !
—Naturellement! répliqua M. de Blangy
en tirs a t sa moustache.
— Que veux-tu ? cela devait arriver tôt
ou tard.!
— Et c'sst grave ?
— Très grave ! insulte publique.
— Alors, il faut que l'un de vous deux
y reste !. '
— C'est ce que j'ai voulu. '
— Tu fais granaement les choses.
— Ou bien je ne les fais pas !
— Enfin, à ton service, ou tu voudras, et
comme tu voudras.
— Voilà où l'on reconnaît les amis.
— Pardieu ! Peux-tu me donner quelques
détails.
- — Ici, c'est impossible!
— Et inutile! tu as raison ! tu me conte
ras cela en route.
— Oui, pour tuer le temps.
— Avant de tuer ton Russe !
— Ou qu'il me tue!
— Dame! un duel, c'est pile ou face!
Où est le rendez-vous?
— A la perte Maillot.
— L'heure?
— Le point du jour.
— Les armes ?
•— Ma foi ! je t'avoue que nous ne sommes
conveaus de rien.
— C'est singulier !
t -Que veux-tu? cela s'est fait un peu
vite! .
— Nous prendrons une paire d'épées et
une pçiire de pistolets.
— Un arsenal si tu veux!
— On n'est pas obligé da se servir de
tout..;
— Sans doute, on choisira sur le terrain.
— Mais avec toi, il me faut encore quel-,
qu'un.
— Nécessairement ! mais n» crains rien,
çe quelqu'un se trouvera.
'— Je croyais que Chaulieu était ici ?
— Oui, il fait au sentiment dans quelque
coin.
— Le fou !
— Je te conseille de parler.
— Charge-toi de le prévenir J Je ne veux
pas aveir l'air de vous embaucher tous les
uns après les autres.
— Sois tranquille, cela me regarde; je me
charge de tout.
Chaulieu fut mis en deux mots au fait de
la situation.
— Très bien! fit-il avec l'insouciance, du
soldat bronzé par l'habitude et la vue du
danger, et toujours prêt à jouer sa vie et
celle des autres sur tous lés tapis verts de
la destinée, sur un champ de bataille de
cent mille hommes, ou dans le champ clos
d'un duel.
— Tu sais que c'est pour ce matin? con
tinua M. de Blangy.
— Je ne sais rien ! Mais alors il est fort
inutile de nous aller coucher. Nous parti
rons d'ici.
— C'est une idée.
Ceci une fois réglé, M. de Blangy retourna
vers le commandant.
— Tu n'as plus à t'occuper de rien, lui
dit-il; tout va comme sur des roulettes. Ne
désires-tu point te reposer quelques ins-
tans.
— Me reposer ! à quoi bon 1 Je ne dormi
rais pas !
.— N'as-tu point quelque lettre à écrire,
quelques dispositions à prendre?
Sans doute, sans doute! comme tout
1® monde en pareil cas, répondit M. d'Asa-
bleuse, mais ce ne sera pas long...
:— Alors, reste ici avec nous : nous allons
faire flamber tous ensemble un punch en
l'honneurde Nana.
— Non ! je rentre un instant ches moi;
j'aime autant être seul. '
— Tu as raison; le punch agite, et il faut
ménager tes nerfs, surtout si veus tous bat
tez au,pistolet.
— C'est ce que je pensais ! Buvez donc à
ma santé, et soyez exacts.
Le commandant dit adieu à Rozane assez
tendrement, baisa la main de la" comtesse,*
et, tout en saluant le marquis, ne put s'em
pêcher de se dire :
— C'est pourtant lui qui devrait être à
ma place, et il ne se doute même pas que jè
vais jouer ma vie pour sa femme.
Il se jeta dans sa voiture en disant à son'
cocher:
— Au club !
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