Titre : La Fronde / directrice Marguerite Durand
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1898-06-20
Contributeur : Durand, Marguerite (1864-1936). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb327788531
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 20 juin 1898 20 juin 1898
Description : 1898/06/20 (A2,N194). 1898/06/20 (A2,N194).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6703313g
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, GR FOL-LC2-5702
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/01/2016
que retenu ailleurs pour raison de crise
ministérielle.
M. LarrouQ1ct a commencé par faire
118 éloge bien senti do l'Université d où
Sainte-Beuve était sorti. Puis c'est le
tour de M. François Coppie, qui après
Taine, proclame Sainte-Beuve un des
cinq ou six serviteurs les plus utiles de
l'esprit humain.
M. Vandal prononce un discours au
nom de l'Académie française, en passant
d surnomme Sainte-Beuve « le Balzac de
la critique »• ...
Puis M. Gaston Boissier, le succes-
seur de Sainte-Beuve au Collège de
France, vient apporter à son prédéces-
seur, l'hommage de cet établissement.
Enfin, M. Auguste Dorobain a lu une
belle poésie dont il est l'auteur et dont
voici les derniers vers :
Certes, après la tiède et fécosie tlmière
bi tt ton sang plus par et tes épis plus beaux,
fi rayonnas toujours, mais sur 111 cimetière,
tairne une lane morte éclairant des tombeau.
iassi, lorsque d'un œil de regret et d'eat»,
fiei11ari ta remontais vers ton clair Boréal,
h lei pletrai., ces mois célestes de ta vie
là l'.uvre fut pareille à toa rêve idéal.
Il ti disais : t C'est là que je rani que l'on n'aime,
U cp"a me cherche, là '1"01 me retroave enla I...
— Je viens me conformer, poète, à toa vœu mené ;
SI ce soir ton appel n'aura pas été nie.
laftra, si tx permets qu'ea ces vers appaniue
L'oobre de ce rapide et glorieux instant,
1t que de l'arbre ea fleura oh chantait ta jeunesse
le détache sue fleur et te l'offre el chantant.
Pour clore ta cérémonie, M. Larrou-
met a remis à M. Puech la rosette d offi-
cier de la Légion d'honneur et les pal-
mes académiques à M. Mouret, archi-
tecte du monument.
Pendant que parlaient les personna-
ges officiels et graves, la Revue rétros-
pective expédiait son numéro qui con-
sent deux lettres fort curieuses d&
Sainte-Beuve, écrites à une dame. qui
était, paraît-il, fort belle en 1842 ; les étu-
diants l'avait surnommée « la belle Ro-
maine », ce dont elle se plaignait au
célèbre critique, lui disant qu on la
comparait à une salade.
Voici une de ces deux lettres ; elle
n'en dit pas trop, mais elle en dit assez
pour que nous soyons flxés.
Ce 22 mai.
Ma chère enfant,
Je vous remercie de votre lettre amicale
et des sentiments qu'elle exprime à mon
égard. Je vous les rends de mon cote et n ai
gardé que de bons souvenirs de votre bonté
et de votre grilce. Je vous accorde tout ce
que vous voudrez pour les raisons que vous
aviez d'être mécontente : mais j'ai toujours
évité ces discussions oti -il faut tenir une
balance. J'aimerais bien mieux que ces
querelles fussent à tous les diables et avoir
encore chance de vous voir entrer en riant
et en faisant vos malices, comme du temps
où tout le monde s'aimait. Je vous souhaite
einoèrement bien du bonheur et de conser-
ver celui que vous avez présentement, el
que vous ne sauriez trop apprécier. Je vous
. embrasse.
SAINTE-BEUVB.
Après les éloges pompeux, c'est là as-
Jurément de la menue monnaie de l'his-
toire, mais c'est aussi intéressant que les
aanésrvnques débités en cadence.
MARIANNE VILAIN.
LA GUERRE
Si ladépêchede l'agence Reu ter est e xacte
ane partie du corps expéditionnaire a dé-
barqué à Santiago. Le reste serait e1l vue
de nie, el les Etats-Unis estimeraient que
la prise de possession du grand territoire
colonial va devenir une réalisation défini-
tive dans le plus court délai. Tout cela nous
parait un peu prématuré. Cependant les I
troupes des insurgés cubains constituent de
solides auxiliaires sous le rapport des con-
naissances topographiques ; et il ne semble-
rait donc pas impossible que malgré la va-
leur héroïque des soldats espagnols, le suc-
cès des forces américaines ne devint tout a
coup très sérieux. Le gouvernement fúdé-
ral oroit pouvoir tenter un nouvel appel
des volontaires, mais il veut attendre ce-
pendant que la fièvre jaune ait cessé ses
ravages avant de pouvoir envoyer de nou-
veaux effectifs à la Havane.
En attendant, de Jpetits engagements
ont lieu devant Santiago de Cuba. Le iO juin
à Ponto Cabrera, à quatre lieues ouest
de Santiago, deux vaisseaux ouvrirent le
feu. Les Américains dirigèrent de ce côté
des chaloupes à vapeur destinées à un dé-
barquement que le colonel Aldea parvint à
repousser ; l'escarmouche n'a que les pro-
portions d'un fait-divers. Ce qui préoccupe
passionnément les esprits en la conjoncture
présente, c'est Manille, et la même insolu-
ble question se dresse pour les politiciens
de tous les partis : a-t-elle ou n'a-t-etle pas
capitulé? Les nouvelles de source espa-
gnole penohent pour la négativo, malgré les
télégrammes d'hier. Ce que l'on a le ttroit
J'écrire, c'est que si l'événen»M -zoa, eu
lieu, il est imminent, et oetjfc ldd*tbn . est j
surtout valable par la démlllioià fiMsumée
du gouverneur général qui doit résigner ses
pouvoirs 8Itre les mains dm générai Jaude-
nas et aller poursuivre l'œaft'8 de la résis-
tance ailleurs. Le cabinet d8 Madrid a dé-
cidé ane si Manille est prisa par l'armée
fédérale, la capitale devra être transporta
à llo-llo. A Hong-Kong, à Sanghaï, à Singa-
pour,des mesures seront aéoptées pour que
des voies de communications soient éta-
blies entre les divers archipels espagnols.
Quelques nuances d'opinions surgissent
à Madrid sur l'efficacité des moyens em-
ployés pour réagir contre le fatalisme des
faits.
Le parti régioniste catalan, tout en aspi-
rant à fautonomie administrative complète
de la province, et en reconnaissant l'absolue
souveraineté de l'Espagne ne vient pas
moins de formuler une véritable proclama-
tion en faveur de la cessation de la guerre.
La résistance opiniâtre est considérée
comme devant être une cause d'affaiblisse-
ment et même de ruine pour le pays. Re-
marquons toutefois que les nouvelles reçues,
comme on a pu le voir, n'indiquent pas pré-
cisément que les intentions du cabinet de
Madrid facilitent cette solution. Le départ
de l'escadre de Cadix, qui, nous avons le
droit de le croire, n'est point pourvue de
forces suffisantes pour livrer un combat
final, ne démontre qu'une chose : c'est que
l'on verra se renouveler les manœuvres
qui ont amené de si désastreux résultats
pour l'amiral Cervera.
A son tourl'amiral Camara va recommen-
cer à harceler la flotte américaine qui
croira le saisir sur tous les points où Il
semblera possble, qu'il se trouve. La tacti-
que consistera de nouveau à égarer les re-
cherches des Etat s-lims.De plus, le ministère
dela marine à Washington ayant déclaré que
l'on ne transporterait les hostilités en Espa-
gne qu'après la conquête avérée de Santiago
et de Porto-llico, il s'ensuit fatalement d'in-
terminab'es retards. Ce qu'il y a de certain,
c'est que l'attaque de la Havane est momen-
tanément abandonnée pour n'être reprise
qu'en automne et que tous les moyens de
résistance seront épuisés avant due des
tentatives de conciliation se produisent.
Nos informations particulièros nous attes-
tent que le président Mac Kinlev avait con-
tinué d'espérer quand même la fin de la
~ luite, il doit être absolument fixé à l'heurt
actuelle,, comme nous le sommes sur les
conséquences d'effondrement politiqut
qu'engendrera la coupable obstination dt
gouvernement espagnol.
IBO.
Le Concours de pèche à la ligne
Le plus joli décor du monde ce quai de
dimanche après-midi ; et l'animation qu'y
mettent ces promeneurs convaincus, —
ceux de l'unique hebdomadaire prome-
nade - semble amortir par le charme
voilé d'un ciel indécis où les tulles déchi-
rés de nuages légers et les éclairs d'azur,
pâles comme des regards, se doublent
aux moires lentes du nellve. C'est entre
le pont de l'Aima et le pont des Invali-
des : les berges sont couvertes de l'om-
bre changeante des peupliers, ces peu-
pliers blancs de Hollande qui secouent
leur poussière fleurie comme une neige
tiède.
Les parapets sont noirs et grouillants :
foule moutonnière, badaude, accourue
pour s'amuser à la vue du fameux con-
cours ; vingt-deux pécheresses... pardon
pêcheuses très graves, qui, attentives à
toutes les règles de leur art — c'est que
c'en est un paralt-il — se livrent au sport
qu'on aurait l'indicible toit de croire
inoffensif : la pêche à la ligne... Rien de
plus faux que la commune croyance en
la douceur, la patience et autres qualités
assoupissantes généralement attribuées
à ses fervents.
Pratiquée isolément, à la rigueur, c'est
une occupation plutôt tranquille; mais
dès que plusieurs se trouvent assemblés
dans le même but et sur un point rap-
proche, c'est une tyrannie quasi-turque.
Que l'un tousse ou éternue, ce sont des
regards furibonds, et presque de la haine
si une exclamation accueille un heu-
reux coup. C'est ce qu'on appelle une
passion muette.
Le poisson, contrairement à l'homme,
se laisse prendre au silence et non aux
paroles; cela seul suffirait à faire trouver
paradoxale cette idée de concours en
pleine berge parisienne, spectacle gratis
offert aux populations lâchées du di-
manche.
Ainsi tous les yeux braqués sur le
« champ de manœuvre »... rien ne
vient... et s'il vient quelque chose le
trois quarts de spectateurs n'en voit rien.
N'importe : on regarde des gens qui
attendent quelque chose: parfois un coup
de vent tombe des nuages, semble mon-
t,. de l'eau, enveloppe comme un filet
frissonnant la foule et semble faire on-
duler jusqu'à l'horizon le grand poème
du fleuve, des rives, tandis que tout
près, le décor des échafaudages du pont
Alexandre III, et ceux, apparus, par
dessus la cime des arbres, des palais de
la prochaine Exposition, découpent sur
le grand ciel pale un beau dessin so-
lide.
MAY.
LA CRISE
M. Barrien a commencé dès hier matin ses
démarches auprès de ses amis politiques
— non pour leur offrir des portefeuilles —
mais pour les consulter sur les bases du
programmme qui devra être celui du futur
cabinet.
A cet effet M. Sarrien a vu MM. Charles
Dupuy Ri bot et Delcassé et enfin les prin-
cipaux membres du comité directeur de
l'Union progressiste à l'exception de M.
Leyguei absent do Paris.
vers six heures plusieurs amis politiques
de M. Sarriense sont rendus chez lui,avenue
de l'Obser\'atoire,et après cett entrevue M.
Sarrien déclarait qu'il espérait aboutir au-
jourd'hui.
Le programme du futur cabinet ajourne-
rait à un an la révision de la constitution
et accepterait comme réforme fiscale 10
projet Peytral relatif à Timpôt proportion-
nel sur le revenu.
Dans la soirée, M. Sarrien a consulté MM.
Peytral, Trouillot, Mougeot et Ricard de la
Côte-d'Or.
On assure qu'un portefeuille sera offerl
à M. de Freycinet, soit celui de la guerre
ou des aflaires ét.rangères.
Les négociations très laborieuses ont.
continué dans la soirée,et ce matin. M. Sar-
rien recevra quelques personnalités politi-
ques qu'il n'a pu voir hier. A trois 'hc'n'os, il
se rendra auprès du président de la IlÓpu-
blique pour lui faire connaître sa réponse
définitive. __ _
H. S.
La Comédie du Crime
Qui pourrait dire à quel mobile, obéis-
sait la foule accourue hier, des huit,
heures du matin, clan j la grand'ruc de
Saint-Maurice, pour assister à t'arnvée
de Peugnez, de cet. assassin prosqu'en-
fant qui dans la chambre aux volets olo
au parquet encore taché de sang, doit
reconstituer la scène tragique, mimer l'a-
gres-sion, revivre en quelques minutes le
drame horrible.
Est-ce une curiosité malsaine? un be-
soin do voir ce jeune garçon que tous
connaissent, mais qui sans doute main-
tenant va apparaître tout autre aux
yeuxdeceux qui le fréquentaient. Ce n'est
plus Peugnez l'ouvrier paresseux, indé-
licat, le gamin que l'on invitait il prendre
une « verte » sur le zinc, c'est un être
sorti de l'obscurité, presque céH'lJre, e'e:;t
le « tueur » l'homme rouge, dont les
mains se sontteintées dans le sang chaud
de ses victimes.
— Quel air doit-il avoir, se demandent
les femmes avec un petit frisson a Heur
de peau qui fait partie des sensations j
qu'elles sont venues chercher là.
Et les langues marchent.
— Oh! pour moi, il va être pâle comme
un cadavre, et sûrement les dents ne
manqueront pas de lui claquer quand il
se verra devant cette maison où il est
entré si souvent, gai, la chanson aux lè-
vres.
A côté de ce désir de voir, il y aussi,
comme un besoin de jnstice, un soulage-
ment, un plaisir âpre pour ce peuple, à
honnir l'assassin au passage, à lui jeter a
la tête des cris de mort, à lui cracher son
mépris.
C est comme un écho de la conscience
publique qui se révolte et se soulevé pour
protester contre l'opprobre qui rejaillit
sur l'humanité, quand une brute s'ou-
blie dans le crime.
Disons tout : (il y a aussi dans ces ma-
nifestations un peu de lâcheté.
Tel qu'injurie, provoque, clame des
menaces avec une superbe arrogance,
parce que l'assassin passe devant lui,
ligotté, abattu, inoffeiisit, ne songe-
rait pas un instant à donner ainsi une
leçon de morale pratique, si le meurtrier
était libre, tête levée et prêt à la riposte.
Une trenlaine d'agents de ville, main-
tiennent -l'ordre dans la rue, obligeant
les curieux à demeurer sur les trottoirs,
afin que la chaussée ne soit pas envahie,
quand tout à l'heure, au grand trot de
deux forts chevaux, une voiture fermée
amènera Peugnez..
Le commissaire de police de Saint-
Maurice se multiplie, bienveillant du
reste.
— Soyez raisonnables, dit-il aux ha-
bitants massés en groupes serrés qui se
bousculent pour gagner un peu de ter-
rain, et on vous laissera là, sinon je vous
fait refouler au bout de la rue.
Des gendarmes causen t paternellement,
«contant le crime;, parlant de l'assassin,
l'étendant sur Ja pôasibiKtÔ ^i.circons-
ances atUnuant.W..- . '«
— Des circonstance* ttunuanta 1 un , y
m a pas,il ne peut y en avoir! s'écrie une
forte tête du pays, paraissant jouir de la
considération obséquieuse, de ses voi-
du.-
-Ta, ta, ta, riposte te brigadier, on
ne sait jamais, vu que dans l'espèce...
Et 1e brave homme avec un tas de
phrases ronflantes, de « aubséquem-
ment e de « nonobstant » explique que
la grosse aflaire consiste, pour Peugnez,
k savoir si le vol a été opéré avant ou
après la mort des victimes.
— Qu'est-ce que cela vientf... iche là
dedans, s'exclame un second notable.
Il a tué, on doit le tuer, moi je ne con-
nais que ça.
Le gendarme s'entête.
— Vous ne comprenez pas ; si l'assas-
sin a commencé par voler, il a assassiné
la femme Bertrand et son neveu pour ne
pas être pris, donc il n'y a pas eu pré-
méditation.
La discussion continue; je m'éloigne
pour prêter l'oreille àla causerie de deux
agents qui ont mission de garder les
abords de la maison où demeurait la
victime.
— Ah! c'pauvre vieux, c'est tout de
même triste, dit l'un, il s'était ramassé
quatr'sous pour vivre en paix et faire
bouillir tranquillement sa popote et crac
voilà la marmite qui se renverse.
— Hum ! répond le camarade, c'est
pourtant vrai, ah! je n'aurais jamais
pensé que ce gamin de Peugnez, aurait
Hui dans la peaud'un chourineur. Voleur
oui, mais assassin.. enfin. Et dire pour-
tant qu'il vous avait une petite voix polie
et douce pour parler au monde. 11 n'y a
pas longtemps, qu'un jour comme je pas-
sais pir ici, je lo trouvai avec la pauvre
vieille Bertrand qui lui disait : — « Tu
serais bien ai'nab!c de venir tendre des
cor les d.tifct notre cuur pour que je me!t .
sécher mm linge» —et lui bien genti-
m'nt: « m U-Ï '!'''t'uftcrn.;nL marne Ber-
trand, je ;1 i i ; Il tilde pis mieux, tout de
suite si votio vt-ilez. Il
— M ,i, Vdd- ¡ou, mon avis est que ri
prison lui ¡¡,'ad ''"n'no retourné le cœur
et l'c-:pr)L. il n'éu.i plus le niême depuis
son retour, sombre, sournois, lair de
manigancer un la? de choses. Les gars
se seront chargés''Me son éducation !à-
bas; le terrain était peut-ètro bon, m -,is
n'efnpô"hp que la graine a dû être bien
jetée.
Une rumeur annonce l'approche de
Peugnez. En effet, tout en haut de la rue
apparaît la voiture. La portière n est pas
encore ouverte, l'assassin n'a pas mis le
pied su" la chaussée, qu'un grand cri
de : à mort! il mort! retentit, des épittiè-
les s'entrecroisent : «Canaille! bandit!
vaurien !
Enfin voilà Peugnez, très pâle, la peau
de ce jaune olivâtre, particulier aux pri-
sonniers. Il e.,t petit, menu, -c tient à
peine sur ses jambes. Il fume 1 n 1 ciga-
rette qu'il jette au moment de franchir le
seuil de l'étroit couloir qui conduit à la
cour intérieure de la maison, une cour
pittoresque, aux vieux murs gris. que le
lierre mange par endroits, faisant éclater
h pierre sous ses racines noueuses qui
courent capricieusement,jetant de ci, de
là des bouquets de verdure tendre.
Pour la première fois, et selon la loi
nouvelle, la défense est admise à pé-
nétreravecles membres du parquet pour
assister à la reconstitution du crime, et
enregistrer peut-être le mouvement d 'é-
motion, la phrase alambiquée, l'hésita-
tion, autant de menus faits qui réunis et
bien exploités à la barre, pourront arra-
cher les circonstances atténuantes.
Vu la petitesse du local, les journalistes
sont obligés de rester devant la porte de
la rue que deux agents défendent. Vai-
nement, j'insiste près de M. Cochefert
pour obtenir d'assister à cette scène
émouvante.
— C'est impossible, m'est-il répondu,
nous ne permettons à la presse d'entrer
que dans les vastes locaux, hangars,
écuries, etc., sans cela nous ne pourrions
plus avoir la liberté de nos mouvements
dans ces petits appartements où les
chambres sont grandes comme des
mouchoirs de poche.
Et là-dessus le commissaire de police
se met à parler d un certain logement où
les chaises étaient accrochées au p'a.'nnù
durant les heures où elles ne servaient
pas, afin que les habitants de la pièces
pussent vaquer à leurs occupations.
— Mais ne craignez rien ajoute M. Co-
cherert en s'éloignant, je vous raconterai
tout très fidèlement ainsi qu'à ces mes-
sieurs, ce sera comme si vous l'aviez
vu.
Ah ! ça non, car chacun voit,sent d , une
manière différente, avec ses nerfs, avec
son cœur, avec son te mpérament, a vec
sa passion pour la recheroh^ tfi&Diitlôuse
des détails et des à-côbfet...CfésfrfcTaide
de ces menues broutilles que,nousautres, <
journalistes, nous animons notre récit et <
le rendons vivant.
Après plus d'une heure d attente, M. <
Cochefert reparaît en effet, et nous en- ,
traîne à sa suite dans la patite cour, (
toute gaie sous les frondaisons des ,
lierres. # <
— Eh ! bien qu'a-t-il dit? <
— Est-il abattu?
— A-til raconté de nouveaux detaus? ]
On voudrait tout savoir à la fois. 1
Très calme, M. Cochefert répond len-
tement, comme un professeur dictant à j
ses élèves pour permettre aux crayons, <
criant nerveusement sur le papier, d'en- 1
registrer le maximum de notes. ]
— Peugnez est très maître de lui, «
la voix est. nette, nullement émue, ni ,
même troublée, quand une question
l'embarrasse, il dit : « cela ne me revient
pas bien », et il garde le silence, cher- ,
chant une idée meilleure.
— Alors, nous mettons, assassin, te-
nue cynique, s'écrie un journaliste.
— Non, ce n'est pas tout à fait exact, il
est plutôt très fort.
— Eh bien demande un autre a-t-il
expliqué les faits qui avaient précédé le
crime ?
— Oui, voici sa version, mais elle est
contestable sur certains points. Et tou-
jours à voix lente M. Cochefert ponc-
tuant ses mots reprend : « Le jour du
crime, Peugnez vint chez les époux Ber-
trand,but avec le pauvre vieux deux ver-
res de vin, prit son café et se mit en de-
voir d'aider la bonne femme. Il devait
réparer des chaises légèrement dé-
clouées et c'est, selon lui, ce qui a motivé
la présence d'un gros marteau entre ses
mains. « C'était pour mon travail » dit-il.
Il oublie que Mme Bertrand avait chez
elle tous les outils nécessaires pourcogner
deux 0'1 trois clous.
« Vous < -oiinaissez l'histoire des bou-
teilles de bière. Peugnez a soif, la victime
va lui chercher à boire, elle revient, le
trouve dans la cuisine. C'est alors, ra-
conte Peugnez qu'obéissant à une impul-
sion tyranique plus forte que sa volonté,
il prit son gros marteau et en porta un
coup terrible à la pauvre femme qui
tomba assommée. L'enfant, toujours d'a-
près ses dires, le regardait de ses grands
yeux égarés d'effroi. Il se précipita sur
lui et lui asséna un violent coup de sa
massue. Il n'en fut point terrassé.
Il fallait bien l'achever, conclut Peu-
gnez. Je me mis à chanter pour couvrir
le bruit de sa voix,et je battais la mesure
en frappant.
Un frisson passe sur nous à cet horri-
ble récit.
— Ah ! un détail, souligne M. Coche-
fert, l'assassin, quelques minutes avant,
jouait avec l'enfant et lui faisait écrire
non le Pater, comme on l'a poétiquement
dit, mais une lettre à sa maman.
Pauvre mère, qui en même temps que
les lignes péniblement tracées par son
cher petit, aura reçu la nouvelle de son
atroce mort.
— Est-ce une version plausible?
— Non, pas complètement, Peugnez a
volé dans une armoire à linge de l'ar-
gent, que, par parenthèse,il nous déclare
avoir jeté dans la Seine lors de son ar-
restation or, s'il avait tué avant, ses
mains auraient dû être tâchées et pas
une seule trace de sang n'a été remar-
quée.
« Il y a selon nous deux hypothèses :
(f 1° Il a commencé par voler, l'enfant
le voyant a menacé de parler; il l'a tué,
et est allé attendre la tante pour l'assom-
mer à son tour.
« 21 lia terrassé ses deux victimes,s'est
emparé de l'argent, puis repassant par
la cuisine, a vu le pauvre corps de la
femme Bertrand, tout pantelant, se sou-
lever dans des soubressauts d'agonie et,
pour être plus sûr de la mori,il a coupé
le cou de sa victime avec un rasoir, qui
était, nous a-t-il expliqué à un de ses
amis, qui le lui prêtait pour sa toilette.
L'arme par hasard se serait trouvée dans
sa poche. »
Voilà, très complète, la déposition de
Peugnez dans sa brutalité froide, toute
simple et sans phrases, telle que nous
l'avons écrite sous la dictée de M. Coche-
fert.
Un détail à noter encore qui prouve
, jusqu'à quel point»l'assassin est de sang-
; t'roid.
En entrant dans la cuisine du ménage
llerlranù, l'accusé n'a pas un tressaille-
i ment, pas une émotion, mais d'une voix
■ assurée prie que l'on veuille bien deman-
5 der au secrétaire de M. Gutzwilter, le
commissaire de police de Saint-Maurice
ï « s'il n'a pas trouvé sur son bureau le
paquet de cigarettes que j'y ai laissé le
jour de mon arre#-"O». »
Cela juge l'homme.
Des cris de mort ont annoncé l'arrivée
ie Peugniez, des cris de mort saluent
son départ.
Pas un muscle ne tressaille, dans le
visage du meurtrier, à peine une lueur
ie dédain passe-t-elle dans ses yeux.
Somme il va s'éloigner, un petit garçon,
un brassard des communiant au bras,
irrive pour rentrer chez lui. Les agents
occupent toujours la porte.
— Attends petit, laisse-nous nous dé-
barrasser de ce monstre,puis tu pourras
monter retrouver ta maman.
Le gamin, qui a un joli visage bien
franc a, tout à coup, pour regarder cette
voiture qui fuit sous la malédiction de
la foule, un grand œil profond, et s'ap-
prochantd'un des sergents de ville, de
sa voix chantante d'écolier, il inter-
roge, timide :
— C'est Peugnez, m'sieu l'agent.
— Oui, c'est lui, la canaille, s'ils
avaient deux sous de cœur, ils l'auraient
mis dans la Marne, tiens moucheron.
Et le communiant calme, hochant la
tête, de poursuivre :
— Mais alors, ça ne serait pas flni dans
Saint-Maurice, et au lieu d'un assassin,
il y en aurait plus de cinquante.
^— 2etit sot, ce ne serait pas un assas-
sinat çà...
— Ah 1... fit l'enfant songeur et comme
frappé, tiens, c'est drôle.
Et il disparut avec son brassard
blanc, par l'étroit couloir sombre, ses
les grands yeux vagues, croyant voir tous
es curieux de la rue, se ruer sur Peu-
gnez, le tuer, le jeter à l'eau et sortir do.
cette lutte les mains nettes, !a conscience
paisiblcî
MARIE-LOUISE NÉRON.
Lire denutin tl. lu Tribune de i):t
« Fronde » •
c Shakespeare ri,,nilnlste. »
par M!tth!!dc ïléliol.
Lettre de Londres
MISS TSIENIB MINIEL'DOWIE ET SON NOUVEAU:
LIVRE. UNE ANGLAISE EN TURQUIE. —
MADAME REID, CAPITAINE DE VAISSEAU ET
GARDE-MALADE.
Il y a quelque cinq ou six ans, une docte
assemblée de Londres — je n'oserais pas
j affirmer que c'était la Société de Géogra-;
phie, mais je crois cependant bien me rap-
peler que c'était elle — se réunit pour *,
écouter une conférence faite par une jeune
fille de vingt-quatre ans, jolie et élégante
d'ailleurs, cela ne gâte rien, bien au con-
traire, au sujet d'un voyage qu elle vouait.
de faire toute seule à travers les monts Car-'
pathes. tk
La conférence eut un grand succès qui fut/
suivi d'un autre grand succès en librairie
lorsque la conférence fut publiée en vo-
lume sous le litre: « A yirl in lite Karpu-•
thiaus Il. La brillante conférencière-auteur
Miss Menie Muriel Dowie a depuis cette
date de son début dans les lettres, publié
deuxjromans : Gallia et Sa me Whiins of Fale
deux volumes très féministes.
Cette semaine Miss Dowie publie la meil-
leure œuvre que nous ayons d'elle jusqu'ici
The Crook or the liowjh (le coude de la
branche) titre qui semble d'abord inexpli-
cable et dont on ne comprend le symbohs-.
me un peu exagéré qu'à la lecture du li-
vrc.
lslay Netherrlale,l'héroïne du livre,est une
charmante jeune tille aux idées subversive- •
ment avancées, qui voyage en Orient avec
son frère. A Constantinople, elle fait lacon-
naissance d'un certain Hassan Bey, officier
dans l'armée du sultan, mais membre (tu.
parti de la Jeune-Turquie, qui devient t.rès
épris de la jeune Angtaise. Lt pO'Jrqnoi,sc)
demande-t-on, car l'auteur a eu soin de
nous dire qu'lslay est avant tout un apôtre'
du mouvement féministe, un des apôtres
de la première heure, de celles qui volon-
tairement s'enlaidissaient croyant ainsi, en
niant leurs pnlces de femmes, aftirmcr leur
individualité pensante.
Et Islay apparaît pour la première fois
devant son bien-aimé I( vêtue d'un cos'.umï'
tailleur couvert de poussière. Sa voilette,
trop épaisse était mal choisie et mal mise
aussi,renlranl sous le rebord'du chapeau et.
était trop tirée sur le nez qu'il écrasait ".
Certes un Français moderne, — même en
lui supposant des idées avancées — n'au-
rait pas regardé cette jeune Anglaise à deux
fois, mais Hassan depuis longtemps « las
du type apathique de la femme de son.
pays et des poupées maquillées qu'il a ren-
contrées dans toutes les grandes villes de
l'Europe », se sent attiré vers cette tranche
et sincère créature quoique mal attifée
« dans sa robe de serge grossière, chaussée
de bottines épaisses et larges, mal cha
peautée eL mat gantée ».
A undéjeunerquialieu au Club de Constan-
tinople, Is!ay qui est avec son frère,deux au-
tres jeunes gens anglais et le colonel Hassan,
parle de la situation des femmes en Orient
TRIBUNE DE LA FRONDE
DU 20 JUIN 1898
LA TRIBUNE
A TRAVERS L'EDUCATION
(LES EXAMENS)
Celle rubrique forme un feuilleton volant
4mt le sujet change tous les trois jours.
III
Diplômes divers
et brevet supérieur
Après avoir lu les deux articles qui
précèdent, le lecteur a le droit de me de-
mander si je suis partisan de la liberté
absolue de l'enseignement ; c'est-à-dire
si j'accepterais que le premier venu s'ins-
tallât dans une chaire pour y débiter une
marchandise plus ou moins frelatée.
Pas du tout. L'Etat, ayant assumé la
responsabilité de l'éducation nationale,
doit à la Nation une édueation de bon
aloi. et nous le félicitons d'organiser ces
enquêtes qui, sous le nom d'examens,lui
permettent de piger l'aptitude de celui
08 de celle qui s'offre pour collaborer à
■w œuvre.
Nous ne critiquons que l'abus.
Une personne désire enseigner une
langue étrangère. « La connaissez-vous
grammaticalement • lui demande l'Etat
ou le chef d'institution, ou les parents à
qui elle se présente. En possédez-vous le
vocabulaire? » « L'avez-vous assez pra-
tiquée pour la parler couramment? » Les
épreuves écrites de l'examen, thème et
version, puis l'épreuve pratique sont une
réponse relativement péremptoire.
En ce cas, pourquoi compliquer? pour-
quoi exiger dos diplômes préalables
comme attestation d'une certaine cul-
ture générale? L'examen lui-même se
charge de la révéler. Un futur profes-
seure de langues, qui ne saurait pas le
français, ferait une version inacceptable
et laisserait percer son ignorance litté-
raire à l'épreuve de lecture et de con-
versation.
« Mais le crible? » m'objcctera-t-on.
— Eh bien le crible laisse passer une
quantité de bon grain et en retient, par-
fois, dont la qualité est loin d'être supé-
rieure. Il y a très peu de temps, une
jeune fille qui a fait, en Suisse, des
études très profondes et qui sait l'alle-
mand comme une Allemande, est ve-
nue me demander renseignements et ]
conseils ; elle désirait passer l'examen
du certificat d'aptitude à renseignement
de Callemand. Mais elle n'était munie
d'aucun diplôme, la Suisse n'étant pas
un pays de mandarinat,et son inscription
sur la liste des aspirantes était, par cela
même impossible.
Je continue mon raisonnement :
Y a-t-il du bon sens à demander d'un
professeur de dessin, de comptabilité,
de couture, de gymnastique (car la gym-
nastique elle-même est passée au crible
de l'orthographe et de la composition
française) autre chose que d être excel-
lent dans sa spécialité ?
On nous répond que le diplôme ou les
diplômes préalables assurent au profes-
seur du prestige, et par conséquent de
l'autorité. Voilà qui est très grave, car
cela donne à la jeunesse l'habitude de ne
pas tenir compte de la distinction native,
de la délicatesse morale, de l'expérience,
et de regarder avec un certain dédain les
personnes de mérite et les parents eux-
nêmes dont les qualités n'ont pas été
;stam pillées.
II
S'il est vrai que les examens ont leur
valeur, quand il s'agit des enseignements
spéciaux, on ne saurait la leur contester
quand il s'agit de la culture générale de
l'esprit, et c'est à cette culture générale
que répond le brevet supérieur.
Ici, je suis forcée de faire appel à tout
ce que je puis avoir de modération et
d'impartialité pour ne pas laisser débor-
der ma rancune, et je me hâte de dire —
pour me donner à moi-même des gages
— que, profondément modifié dans son
esprit (et surtout dans celui des examina-
teurs) allégé dans son programme, et
augmenté cependant d'épreuves prati-
ques, il est, pour les institutions et les
familles la seule garantie de la culture
dss institutrices, lorsque celles-ci n'ont
pas été élevées dans les écoles normales.
Tel qu'il est, grâce surtout à l'abus que
l'on en fait, c'est un monstre qui cause
de véritables ravages dans l'intelligence
féminine, et dans sa santé plus encore;
monstre d'autant plus dangereux qu'il
est insaisissable comme tout ce qui est
illimité.
Il a pourtant un programme, mais un
programme flasque, se laissant pénétrer
de toutes parts, embrassant toutes les
matières, toutes, mais surtout laissant le
champ libre aux examinateurs qui par- I
tent la bride sur le cou. Oh! les exami-
nateurs qui s'écoutent parler, et dont les
questions ont pour butd'« épater» la gale-
iie 1 Certes, ils forment la minorité de la
plupart des commissions, mais vous sa-
vez qu'il suffit d'un seul microbe pour
avoir raison d'un organisme bien cons-
titué.
Un potache qui se présente , . au « ..bacho »
~ sait sur quel terrain il marche; s il est
inscrit pour la rhétorique, il n aura pas
à répondre à une question du programme
de philosophie ; un aspirant à l'école po-
lytechnique est encore mieux protégé,
l'examen étant plus spécial. 11 en est de
lême pour toutes les agrégations. Mais
1 brevet supérieur, il faut s'attendre à
i ut, à tout i
Prenons deux exemples. L'3 premier
ins le programme des épreuves écrites,
: second dans celui des épreuves orales
1 une composition française : littérature
u morale.
A quelle époque littéraire devra cor-
;spondre ce sujet?
C'est le secret du professeur ou du
metionnaire qui sera chargé de choi-
,r. Entre le Roman de la Rose,et l'œuvre
c Taine, je ne parle pas de ceux « du
ernier bateau », il y a de la marge.
2° Epoques mim?rable,ç, grands noms,
ait s essentiels de l'histoire générale et
e f histoire de France, principalement
ans les temps modernes.
Je n'étonnerai personne en disant que
i champ est... vaste et qu'une jeune fille
e dix-huit ans est exposée à s'y perdre.
.haque année, cependant, il y en a des
entaines qui réussissent à cet examen.
lais à quel prix! au prix de fatigues
isproportionnées avec leurs forces et
vec la valeur du but poursuivi. Car on
Le peut pas tout savoir; car il ne résulte
ntellectucllement rien de bon de l'entas-
ement des connaissances ; car l'esprit
te profite que de ce qu'il s'est assimilé.
Parmi les jeunes filles qui ont obtenu
e brevet supérieur, l'élite seule, après
(uelquc repos, classe ses connaissances,
«jette les détails inutiles, fait la synthèse
les idées et continue ses études pour
tlle et pour ses élèves. Les autres... se
)arent de leurs lauriers, et se figurent
In'ane intelligence vaut par ce qu'elle
ait. Leurs élèves sont à plaindre, car
illes ne suceront jamais la moello des
îhoses.
Mais parmi l'élite, il y en a qui ne sa-
rent pas enseigner et qui ne sauront ja-
nais; il faudrait donc les astreindre à
ine épreuve pratique- un crible encore,
;t qui vaut ce qu'il vaut — comme leurs
;o-forçates des examens spéciaux dont
j'ai parlé au commencement de cet arti-
cle. Cette Abreuve aurait ea mime temps
le mérite de faire supprimer le certificat
d'aptitude pédagogique qui est un véri-
table tissu d'inutilités et d'anomalies.
« Inutilités »? Les épreuves écrites sont
à peu près renouvelées de celles du bre-
vet supérieur, et la dissertation sur un
sujet pédagogique ne prouve pas que
l'aspirant sache donner une leçon.
(f Anomalies? n Voyez plutôt. Ce certifi-
cat d'aptitude pédagogique, obligatoire
pour la titularisation de l'instituteur
(c'est-à-dire pour lui conférer le droit de
diriger une école et le directeur d'une
école est, dans plusieurs cas, déchargé de \
lotit enseignement), ne l'est pas pour
l'exercice courant de sa profession. On
peut, enseigner sans s'être présenté à
l'examen; on peut continuer à enseigner
après y avoir échoué!
Je me résume quant au brevet supé-
rieur. Il faut d'une part que le pro-
gramme perde son caractère encyclo-
pédique; il faut que les examinateurs
renoncent à la fantaisie et aux minuties;
il faut qu'une ou plusieurs épreuves
pratiques s'ajoutent aux épreuves écrites
et aux épreuves orales; il faut enfin que
l'examen ne s'adresse pas — inutilement
— aux élèves des écoles normales qui,
entréos après concours, ayant subi un
examen de passage au commencement
de la deuxième année, ayant fait leur
apprentissage professionnel dans les
écoles annexes offrent toutes les garan-
ties. Un certificat d'études signé par la
direction et par la commission de sur-
veillance doivent suffire.
Car, je le répète, pourquoi compliquer?
pourquoi, surtout, inventer des examens
inutiles parce qu'ils ne prouvent rien.Tel
est le cas dl4 certificat d'aptitude à l'ins-
pection primaire et à la direction des
écoles normales qui est, pour l'ordre pri-
maire, le couronnement de l'édifice.
Les aspirants à ce certificat (ou les
aspirantes) ont déjà passé les examens
d'agrégation primaire; ils sont pourvus
l du certificat d'aptitudes au professorat
des écoles normales et ils ont exercé plus
ou moins longtemps dans ces écoles,
Leut instruction ne fait -aucun doute. Ils
ont cependant à subir des épreuves écri-
tes de pédagogie (je répète qu'ils ont déjà
fait leurs preuves), d administration (je
n apprendrai à personne que l'on apprend
le code à mesure qu'on l'applique, mais;
je surprendrai peut-être quelques-uns
en leur disant que ni les inspecteurs
d'académie, dont les attributions ad-
ministratives nécessitent la connais-
sance approfondie des lois et règle-
ments scolaires, ni les recteurs, qui
sont dans le même cas, ni les inspecteurs
généraux n'ont subi aucun examen de ce
genre). Reste l'épreuve d'inspection, qui
vaut quelque chose, et qui mériterait
d'être plus longue et plus profonde..
Quant à l'épreuve de direction, on a. com-
pris qu'elle était impraticable et elle n'a
pas de place dans le programme.
Maintenant, comptons nos morts, nos
amputés et nos valides - (Nos morts, hé-
las ! se portent encore bien, et nos am-
putés se moquent de nous) ! COTÉ DES
MORTS : le certificat d'études sprimaircs
quia mille fois mérité son sort;
Le brevet élémentaire qui avait un s HII
mérite : C'est de ressembler au souiier
de l'auvergnat : tenir de la place.
Le certificat d aptitude pédagogique.
COTÉ DES AMPUTÉS .' le brevet supérieur;
le certificat d'aptitude à l'inspection uri-
maire et à la direction des écoles norma-
les, auquel il ne reste qu'un membre sur
quatre.
COTÉ DES VALIDES, tous les examens
ayant pour but de connaître le degré
d'instruction de ceux qui veulent ensei-
gner, et leur aptitude à faire passer dans
l'esprit des autres ce qu'ils savent eux-
mêmes.
N'est-ce donc pas suffisant? Et puis,
c'est rationnel; et puis c'est... intelligent^
enfin c'est... humain.
PAULINE KERGOMARD.
ministérielle.
M. LarrouQ1ct a commencé par faire
118 éloge bien senti do l'Université d où
Sainte-Beuve était sorti. Puis c'est le
tour de M. François Coppie, qui après
Taine, proclame Sainte-Beuve un des
cinq ou six serviteurs les plus utiles de
l'esprit humain.
M. Vandal prononce un discours au
nom de l'Académie française, en passant
d surnomme Sainte-Beuve « le Balzac de
la critique »• ...
Puis M. Gaston Boissier, le succes-
seur de Sainte-Beuve au Collège de
France, vient apporter à son prédéces-
seur, l'hommage de cet établissement.
Enfin, M. Auguste Dorobain a lu une
belle poésie dont il est l'auteur et dont
voici les derniers vers :
Certes, après la tiède et fécosie tlmière
bi tt ton sang plus par et tes épis plus beaux,
fi rayonnas toujours, mais sur 111 cimetière,
tairne une lane morte éclairant des tombeau.
iassi, lorsque d'un œil de regret et d'eat»,
fiei11ari ta remontais vers ton clair Boréal,
h lei pletrai., ces mois célestes de ta vie
là l'.uvre fut pareille à toa rêve idéal.
Il ti disais : t C'est là que je rani que l'on n'aime,
U cp"a me cherche, là '1"01 me retroave enla I...
— Je viens me conformer, poète, à toa vœu mené ;
SI ce soir ton appel n'aura pas été nie.
laftra, si tx permets qu'ea ces vers appaniue
L'oobre de ce rapide et glorieux instant,
1t que de l'arbre ea fleura oh chantait ta jeunesse
le détache sue fleur et te l'offre el chantant.
Pour clore ta cérémonie, M. Larrou-
met a remis à M. Puech la rosette d offi-
cier de la Légion d'honneur et les pal-
mes académiques à M. Mouret, archi-
tecte du monument.
Pendant que parlaient les personna-
ges officiels et graves, la Revue rétros-
pective expédiait son numéro qui con-
sent deux lettres fort curieuses d&
Sainte-Beuve, écrites à une dame. qui
était, paraît-il, fort belle en 1842 ; les étu-
diants l'avait surnommée « la belle Ro-
maine », ce dont elle se plaignait au
célèbre critique, lui disant qu on la
comparait à une salade.
Voici une de ces deux lettres ; elle
n'en dit pas trop, mais elle en dit assez
pour que nous soyons flxés.
Ce 22 mai.
Ma chère enfant,
Je vous remercie de votre lettre amicale
et des sentiments qu'elle exprime à mon
égard. Je vous les rends de mon cote et n ai
gardé que de bons souvenirs de votre bonté
et de votre grilce. Je vous accorde tout ce
que vous voudrez pour les raisons que vous
aviez d'être mécontente : mais j'ai toujours
évité ces discussions oti -il faut tenir une
balance. J'aimerais bien mieux que ces
querelles fussent à tous les diables et avoir
encore chance de vous voir entrer en riant
et en faisant vos malices, comme du temps
où tout le monde s'aimait. Je vous souhaite
einoèrement bien du bonheur et de conser-
ver celui que vous avez présentement, el
que vous ne sauriez trop apprécier. Je vous
. embrasse.
SAINTE-BEUVB.
Après les éloges pompeux, c'est là as-
Jurément de la menue monnaie de l'his-
toire, mais c'est aussi intéressant que les
aanésrvnques débités en cadence.
MARIANNE VILAIN.
LA GUERRE
Si ladépêchede l'agence Reu ter est e xacte
ane partie du corps expéditionnaire a dé-
barqué à Santiago. Le reste serait e1l vue
de nie, el les Etats-Unis estimeraient que
la prise de possession du grand territoire
colonial va devenir une réalisation défini-
tive dans le plus court délai. Tout cela nous
parait un peu prématuré. Cependant les I
troupes des insurgés cubains constituent de
solides auxiliaires sous le rapport des con-
naissances topographiques ; et il ne semble-
rait donc pas impossible que malgré la va-
leur héroïque des soldats espagnols, le suc-
cès des forces américaines ne devint tout a
coup très sérieux. Le gouvernement fúdé-
ral oroit pouvoir tenter un nouvel appel
des volontaires, mais il veut attendre ce-
pendant que la fièvre jaune ait cessé ses
ravages avant de pouvoir envoyer de nou-
veaux effectifs à la Havane.
En attendant, de Jpetits engagements
ont lieu devant Santiago de Cuba. Le iO juin
à Ponto Cabrera, à quatre lieues ouest
de Santiago, deux vaisseaux ouvrirent le
feu. Les Américains dirigèrent de ce côté
des chaloupes à vapeur destinées à un dé-
barquement que le colonel Aldea parvint à
repousser ; l'escarmouche n'a que les pro-
portions d'un fait-divers. Ce qui préoccupe
passionnément les esprits en la conjoncture
présente, c'est Manille, et la même insolu-
ble question se dresse pour les politiciens
de tous les partis : a-t-elle ou n'a-t-etle pas
capitulé? Les nouvelles de source espa-
gnole penohent pour la négativo, malgré les
télégrammes d'hier. Ce que l'on a le ttroit
J'écrire, c'est que si l'événen»M -zoa, eu
lieu, il est imminent, et oetjfc ldd*tbn . est j
surtout valable par la démlllioià fiMsumée
du gouverneur général qui doit résigner ses
pouvoirs 8Itre les mains dm générai Jaude-
nas et aller poursuivre l'œaft'8 de la résis-
tance ailleurs. Le cabinet d8 Madrid a dé-
cidé ane si Manille est prisa par l'armée
fédérale, la capitale devra être transporta
à llo-llo. A Hong-Kong, à Sanghaï, à Singa-
pour,des mesures seront aéoptées pour que
des voies de communications soient éta-
blies entre les divers archipels espagnols.
Quelques nuances d'opinions surgissent
à Madrid sur l'efficacité des moyens em-
ployés pour réagir contre le fatalisme des
faits.
Le parti régioniste catalan, tout en aspi-
rant à fautonomie administrative complète
de la province, et en reconnaissant l'absolue
souveraineté de l'Espagne ne vient pas
moins de formuler une véritable proclama-
tion en faveur de la cessation de la guerre.
La résistance opiniâtre est considérée
comme devant être une cause d'affaiblisse-
ment et même de ruine pour le pays. Re-
marquons toutefois que les nouvelles reçues,
comme on a pu le voir, n'indiquent pas pré-
cisément que les intentions du cabinet de
Madrid facilitent cette solution. Le départ
de l'escadre de Cadix, qui, nous avons le
droit de le croire, n'est point pourvue de
forces suffisantes pour livrer un combat
final, ne démontre qu'une chose : c'est que
l'on verra se renouveler les manœuvres
qui ont amené de si désastreux résultats
pour l'amiral Cervera.
A son tourl'amiral Camara va recommen-
cer à harceler la flotte américaine qui
croira le saisir sur tous les points où Il
semblera possble, qu'il se trouve. La tacti-
que consistera de nouveau à égarer les re-
cherches des Etat s-lims.De plus, le ministère
dela marine à Washington ayant déclaré que
l'on ne transporterait les hostilités en Espa-
gne qu'après la conquête avérée de Santiago
et de Porto-llico, il s'ensuit fatalement d'in-
terminab'es retards. Ce qu'il y a de certain,
c'est que l'attaque de la Havane est momen-
tanément abandonnée pour n'être reprise
qu'en automne et que tous les moyens de
résistance seront épuisés avant due des
tentatives de conciliation se produisent.
Nos informations particulièros nous attes-
tent que le président Mac Kinlev avait con-
tinué d'espérer quand même la fin de la
~ luite, il doit être absolument fixé à l'heurt
actuelle,, comme nous le sommes sur les
conséquences d'effondrement politiqut
qu'engendrera la coupable obstination dt
gouvernement espagnol.
IBO.
Le Concours de pèche à la ligne
Le plus joli décor du monde ce quai de
dimanche après-midi ; et l'animation qu'y
mettent ces promeneurs convaincus, —
ceux de l'unique hebdomadaire prome-
nade - semble amortir par le charme
voilé d'un ciel indécis où les tulles déchi-
rés de nuages légers et les éclairs d'azur,
pâles comme des regards, se doublent
aux moires lentes du nellve. C'est entre
le pont de l'Aima et le pont des Invali-
des : les berges sont couvertes de l'om-
bre changeante des peupliers, ces peu-
pliers blancs de Hollande qui secouent
leur poussière fleurie comme une neige
tiède.
Les parapets sont noirs et grouillants :
foule moutonnière, badaude, accourue
pour s'amuser à la vue du fameux con-
cours ; vingt-deux pécheresses... pardon
pêcheuses très graves, qui, attentives à
toutes les règles de leur art — c'est que
c'en est un paralt-il — se livrent au sport
qu'on aurait l'indicible toit de croire
inoffensif : la pêche à la ligne... Rien de
plus faux que la commune croyance en
la douceur, la patience et autres qualités
assoupissantes généralement attribuées
à ses fervents.
Pratiquée isolément, à la rigueur, c'est
une occupation plutôt tranquille; mais
dès que plusieurs se trouvent assemblés
dans le même but et sur un point rap-
proche, c'est une tyrannie quasi-turque.
Que l'un tousse ou éternue, ce sont des
regards furibonds, et presque de la haine
si une exclamation accueille un heu-
reux coup. C'est ce qu'on appelle une
passion muette.
Le poisson, contrairement à l'homme,
se laisse prendre au silence et non aux
paroles; cela seul suffirait à faire trouver
paradoxale cette idée de concours en
pleine berge parisienne, spectacle gratis
offert aux populations lâchées du di-
manche.
Ainsi tous les yeux braqués sur le
« champ de manœuvre »... rien ne
vient... et s'il vient quelque chose le
trois quarts de spectateurs n'en voit rien.
N'importe : on regarde des gens qui
attendent quelque chose: parfois un coup
de vent tombe des nuages, semble mon-
t,. de l'eau, enveloppe comme un filet
frissonnant la foule et semble faire on-
duler jusqu'à l'horizon le grand poème
du fleuve, des rives, tandis que tout
près, le décor des échafaudages du pont
Alexandre III, et ceux, apparus, par
dessus la cime des arbres, des palais de
la prochaine Exposition, découpent sur
le grand ciel pale un beau dessin so-
lide.
MAY.
LA CRISE
M. Barrien a commencé dès hier matin ses
démarches auprès de ses amis politiques
— non pour leur offrir des portefeuilles —
mais pour les consulter sur les bases du
programmme qui devra être celui du futur
cabinet.
A cet effet M. Sarrien a vu MM. Charles
Dupuy Ri bot et Delcassé et enfin les prin-
cipaux membres du comité directeur de
l'Union progressiste à l'exception de M.
Leyguei absent do Paris.
vers six heures plusieurs amis politiques
de M. Sarriense sont rendus chez lui,avenue
de l'Obser\'atoire,et après cett entrevue M.
Sarrien déclarait qu'il espérait aboutir au-
jourd'hui.
Le programme du futur cabinet ajourne-
rait à un an la révision de la constitution
et accepterait comme réforme fiscale 10
projet Peytral relatif à Timpôt proportion-
nel sur le revenu.
Dans la soirée, M. Sarrien a consulté MM.
Peytral, Trouillot, Mougeot et Ricard de la
Côte-d'Or.
On assure qu'un portefeuille sera offerl
à M. de Freycinet, soit celui de la guerre
ou des aflaires ét.rangères.
Les négociations très laborieuses ont.
continué dans la soirée,et ce matin. M. Sar-
rien recevra quelques personnalités politi-
ques qu'il n'a pu voir hier. A trois 'hc'n'os, il
se rendra auprès du président de la IlÓpu-
blique pour lui faire connaître sa réponse
définitive. __ _
H. S.
La Comédie du Crime
Qui pourrait dire à quel mobile, obéis-
sait la foule accourue hier, des huit,
heures du matin, clan j la grand'ruc de
Saint-Maurice, pour assister à t'arnvée
de Peugnez, de cet. assassin prosqu'en-
fant qui dans la chambre aux volets olo
au parquet encore taché de sang, doit
reconstituer la scène tragique, mimer l'a-
gres-sion, revivre en quelques minutes le
drame horrible.
Est-ce une curiosité malsaine? un be-
soin do voir ce jeune garçon que tous
connaissent, mais qui sans doute main-
tenant va apparaître tout autre aux
yeuxdeceux qui le fréquentaient. Ce n'est
plus Peugnez l'ouvrier paresseux, indé-
licat, le gamin que l'on invitait il prendre
une « verte » sur le zinc, c'est un être
sorti de l'obscurité, presque céH'lJre, e'e:;t
le « tueur » l'homme rouge, dont les
mains se sontteintées dans le sang chaud
de ses victimes.
— Quel air doit-il avoir, se demandent
les femmes avec un petit frisson a Heur
de peau qui fait partie des sensations j
qu'elles sont venues chercher là.
Et les langues marchent.
— Oh! pour moi, il va être pâle comme
un cadavre, et sûrement les dents ne
manqueront pas de lui claquer quand il
se verra devant cette maison où il est
entré si souvent, gai, la chanson aux lè-
vres.
A côté de ce désir de voir, il y aussi,
comme un besoin de jnstice, un soulage-
ment, un plaisir âpre pour ce peuple, à
honnir l'assassin au passage, à lui jeter a
la tête des cris de mort, à lui cracher son
mépris.
C est comme un écho de la conscience
publique qui se révolte et se soulevé pour
protester contre l'opprobre qui rejaillit
sur l'humanité, quand une brute s'ou-
blie dans le crime.
Disons tout : (il y a aussi dans ces ma-
nifestations un peu de lâcheté.
Tel qu'injurie, provoque, clame des
menaces avec une superbe arrogance,
parce que l'assassin passe devant lui,
ligotté, abattu, inoffeiisit, ne songe-
rait pas un instant à donner ainsi une
leçon de morale pratique, si le meurtrier
était libre, tête levée et prêt à la riposte.
Une trenlaine d'agents de ville, main-
tiennent -l'ordre dans la rue, obligeant
les curieux à demeurer sur les trottoirs,
afin que la chaussée ne soit pas envahie,
quand tout à l'heure, au grand trot de
deux forts chevaux, une voiture fermée
amènera Peugnez..
Le commissaire de police de Saint-
Maurice se multiplie, bienveillant du
reste.
— Soyez raisonnables, dit-il aux ha-
bitants massés en groupes serrés qui se
bousculent pour gagner un peu de ter-
rain, et on vous laissera là, sinon je vous
fait refouler au bout de la rue.
Des gendarmes causen t paternellement,
«contant le crime;, parlant de l'assassin,
l'étendant sur Ja pôasibiKtÔ ^i.circons-
ances atUnuant.W..- . '«
— Des circonstance* ttunuanta 1 un , y
m a pas,il ne peut y en avoir! s'écrie une
forte tête du pays, paraissant jouir de la
considération obséquieuse, de ses voi-
du.-
-Ta, ta, ta, riposte te brigadier, on
ne sait jamais, vu que dans l'espèce...
Et 1e brave homme avec un tas de
phrases ronflantes, de « aubséquem-
ment e de « nonobstant » explique que
la grosse aflaire consiste, pour Peugnez,
k savoir si le vol a été opéré avant ou
après la mort des victimes.
— Qu'est-ce que cela vientf... iche là
dedans, s'exclame un second notable.
Il a tué, on doit le tuer, moi je ne con-
nais que ça.
Le gendarme s'entête.
— Vous ne comprenez pas ; si l'assas-
sin a commencé par voler, il a assassiné
la femme Bertrand et son neveu pour ne
pas être pris, donc il n'y a pas eu pré-
méditation.
La discussion continue; je m'éloigne
pour prêter l'oreille àla causerie de deux
agents qui ont mission de garder les
abords de la maison où demeurait la
victime.
— Ah! c'pauvre vieux, c'est tout de
même triste, dit l'un, il s'était ramassé
quatr'sous pour vivre en paix et faire
bouillir tranquillement sa popote et crac
voilà la marmite qui se renverse.
— Hum ! répond le camarade, c'est
pourtant vrai, ah! je n'aurais jamais
pensé que ce gamin de Peugnez, aurait
Hui dans la peaud'un chourineur. Voleur
oui, mais assassin.. enfin. Et dire pour-
tant qu'il vous avait une petite voix polie
et douce pour parler au monde. 11 n'y a
pas longtemps, qu'un jour comme je pas-
sais pir ici, je lo trouvai avec la pauvre
vieille Bertrand qui lui disait : — « Tu
serais bien ai'nab!c de venir tendre des
cor les d.tifct notre cuur pour que je me!t .
sécher mm linge» —et lui bien genti-
m'nt: « m U-Ï '!'''t'uftcrn.;nL marne Ber-
trand, je ;1 i i ; Il tilde pis mieux, tout de
suite si votio vt-ilez. Il
— M ,i, Vdd- ¡ou, mon avis est que ri
prison lui ¡¡,'ad ''"n'no retourné le cœur
et l'c-:pr)L. il n'éu.i plus le niême depuis
son retour, sombre, sournois, lair de
manigancer un la? de choses. Les gars
se seront chargés''Me son éducation !à-
bas; le terrain était peut-ètro bon, m -,is
n'efnpô"hp que la graine a dû être bien
jetée.
Une rumeur annonce l'approche de
Peugnez. En effet, tout en haut de la rue
apparaît la voiture. La portière n est pas
encore ouverte, l'assassin n'a pas mis le
pied su" la chaussée, qu'un grand cri
de : à mort! il mort! retentit, des épittiè-
les s'entrecroisent : «Canaille! bandit!
vaurien !
Enfin voilà Peugnez, très pâle, la peau
de ce jaune olivâtre, particulier aux pri-
sonniers. Il e.,t petit, menu, -c tient à
peine sur ses jambes. Il fume 1 n 1 ciga-
rette qu'il jette au moment de franchir le
seuil de l'étroit couloir qui conduit à la
cour intérieure de la maison, une cour
pittoresque, aux vieux murs gris. que le
lierre mange par endroits, faisant éclater
h pierre sous ses racines noueuses qui
courent capricieusement,jetant de ci, de
là des bouquets de verdure tendre.
Pour la première fois, et selon la loi
nouvelle, la défense est admise à pé-
nétreravecles membres du parquet pour
assister à la reconstitution du crime, et
enregistrer peut-être le mouvement d 'é-
motion, la phrase alambiquée, l'hésita-
tion, autant de menus faits qui réunis et
bien exploités à la barre, pourront arra-
cher les circonstances atténuantes.
Vu la petitesse du local, les journalistes
sont obligés de rester devant la porte de
la rue que deux agents défendent. Vai-
nement, j'insiste près de M. Cochefert
pour obtenir d'assister à cette scène
émouvante.
— C'est impossible, m'est-il répondu,
nous ne permettons à la presse d'entrer
que dans les vastes locaux, hangars,
écuries, etc., sans cela nous ne pourrions
plus avoir la liberté de nos mouvements
dans ces petits appartements où les
chambres sont grandes comme des
mouchoirs de poche.
Et là-dessus le commissaire de police
se met à parler d un certain logement où
les chaises étaient accrochées au p'a.'nnù
durant les heures où elles ne servaient
pas, afin que les habitants de la pièces
pussent vaquer à leurs occupations.
— Mais ne craignez rien ajoute M. Co-
cherert en s'éloignant, je vous raconterai
tout très fidèlement ainsi qu'à ces mes-
sieurs, ce sera comme si vous l'aviez
vu.
Ah ! ça non, car chacun voit,sent d , une
manière différente, avec ses nerfs, avec
son cœur, avec son te mpérament, a vec
sa passion pour la recheroh^ tfi&Diitlôuse
des détails et des à-côbfet...CfésfrfcTaide
de ces menues broutilles que,nousautres, <
journalistes, nous animons notre récit et <
le rendons vivant.
Après plus d'une heure d attente, M. <
Cochefert reparaît en effet, et nous en- ,
traîne à sa suite dans la patite cour, (
toute gaie sous les frondaisons des ,
lierres. # <
— Eh ! bien qu'a-t-il dit? <
— Est-il abattu?
— A-til raconté de nouveaux detaus? ]
On voudrait tout savoir à la fois. 1
Très calme, M. Cochefert répond len-
tement, comme un professeur dictant à j
ses élèves pour permettre aux crayons, <
criant nerveusement sur le papier, d'en- 1
registrer le maximum de notes. ]
— Peugnez est très maître de lui, «
la voix est. nette, nullement émue, ni ,
même troublée, quand une question
l'embarrasse, il dit : « cela ne me revient
pas bien », et il garde le silence, cher- ,
chant une idée meilleure.
— Alors, nous mettons, assassin, te-
nue cynique, s'écrie un journaliste.
— Non, ce n'est pas tout à fait exact, il
est plutôt très fort.
— Eh bien demande un autre a-t-il
expliqué les faits qui avaient précédé le
crime ?
— Oui, voici sa version, mais elle est
contestable sur certains points. Et tou-
jours à voix lente M. Cochefert ponc-
tuant ses mots reprend : « Le jour du
crime, Peugnez vint chez les époux Ber-
trand,but avec le pauvre vieux deux ver-
res de vin, prit son café et se mit en de-
voir d'aider la bonne femme. Il devait
réparer des chaises légèrement dé-
clouées et c'est, selon lui, ce qui a motivé
la présence d'un gros marteau entre ses
mains. « C'était pour mon travail » dit-il.
Il oublie que Mme Bertrand avait chez
elle tous les outils nécessaires pourcogner
deux 0'1 trois clous.
« Vous < -oiinaissez l'histoire des bou-
teilles de bière. Peugnez a soif, la victime
va lui chercher à boire, elle revient, le
trouve dans la cuisine. C'est alors, ra-
conte Peugnez qu'obéissant à une impul-
sion tyranique plus forte que sa volonté,
il prit son gros marteau et en porta un
coup terrible à la pauvre femme qui
tomba assommée. L'enfant, toujours d'a-
près ses dires, le regardait de ses grands
yeux égarés d'effroi. Il se précipita sur
lui et lui asséna un violent coup de sa
massue. Il n'en fut point terrassé.
Il fallait bien l'achever, conclut Peu-
gnez. Je me mis à chanter pour couvrir
le bruit de sa voix,et je battais la mesure
en frappant.
Un frisson passe sur nous à cet horri-
ble récit.
— Ah ! un détail, souligne M. Coche-
fert, l'assassin, quelques minutes avant,
jouait avec l'enfant et lui faisait écrire
non le Pater, comme on l'a poétiquement
dit, mais une lettre à sa maman.
Pauvre mère, qui en même temps que
les lignes péniblement tracées par son
cher petit, aura reçu la nouvelle de son
atroce mort.
— Est-ce une version plausible?
— Non, pas complètement, Peugnez a
volé dans une armoire à linge de l'ar-
gent, que, par parenthèse,il nous déclare
avoir jeté dans la Seine lors de son ar-
restation or, s'il avait tué avant, ses
mains auraient dû être tâchées et pas
une seule trace de sang n'a été remar-
quée.
« Il y a selon nous deux hypothèses :
(f 1° Il a commencé par voler, l'enfant
le voyant a menacé de parler; il l'a tué,
et est allé attendre la tante pour l'assom-
mer à son tour.
« 21 lia terrassé ses deux victimes,s'est
emparé de l'argent, puis repassant par
la cuisine, a vu le pauvre corps de la
femme Bertrand, tout pantelant, se sou-
lever dans des soubressauts d'agonie et,
pour être plus sûr de la mori,il a coupé
le cou de sa victime avec un rasoir, qui
était, nous a-t-il expliqué à un de ses
amis, qui le lui prêtait pour sa toilette.
L'arme par hasard se serait trouvée dans
sa poche. »
Voilà, très complète, la déposition de
Peugnez dans sa brutalité froide, toute
simple et sans phrases, telle que nous
l'avons écrite sous la dictée de M. Coche-
fert.
Un détail à noter encore qui prouve
, jusqu'à quel point»l'assassin est de sang-
; t'roid.
En entrant dans la cuisine du ménage
llerlranù, l'accusé n'a pas un tressaille-
i ment, pas une émotion, mais d'une voix
■ assurée prie que l'on veuille bien deman-
5 der au secrétaire de M. Gutzwilter, le
commissaire de police de Saint-Maurice
ï « s'il n'a pas trouvé sur son bureau le
paquet de cigarettes que j'y ai laissé le
jour de mon arre#-"O». »
Cela juge l'homme.
Des cris de mort ont annoncé l'arrivée
ie Peugniez, des cris de mort saluent
son départ.
Pas un muscle ne tressaille, dans le
visage du meurtrier, à peine une lueur
ie dédain passe-t-elle dans ses yeux.
Somme il va s'éloigner, un petit garçon,
un brassard des communiant au bras,
irrive pour rentrer chez lui. Les agents
occupent toujours la porte.
— Attends petit, laisse-nous nous dé-
barrasser de ce monstre,puis tu pourras
monter retrouver ta maman.
Le gamin, qui a un joli visage bien
franc a, tout à coup, pour regarder cette
voiture qui fuit sous la malédiction de
la foule, un grand œil profond, et s'ap-
prochantd'un des sergents de ville, de
sa voix chantante d'écolier, il inter-
roge, timide :
— C'est Peugnez, m'sieu l'agent.
— Oui, c'est lui, la canaille, s'ils
avaient deux sous de cœur, ils l'auraient
mis dans la Marne, tiens moucheron.
Et le communiant calme, hochant la
tête, de poursuivre :
— Mais alors, ça ne serait pas flni dans
Saint-Maurice, et au lieu d'un assassin,
il y en aurait plus de cinquante.
^— 2etit sot, ce ne serait pas un assas-
sinat çà...
— Ah 1... fit l'enfant songeur et comme
frappé, tiens, c'est drôle.
Et il disparut avec son brassard
blanc, par l'étroit couloir sombre, ses
les grands yeux vagues, croyant voir tous
es curieux de la rue, se ruer sur Peu-
gnez, le tuer, le jeter à l'eau et sortir do.
cette lutte les mains nettes, !a conscience
paisiblcî
MARIE-LOUISE NÉRON.
Lire denutin tl. lu Tribune de i):t
« Fronde » •
c Shakespeare ri,,nilnlste. »
par M!tth!!dc ïléliol.
Lettre de Londres
MISS TSIENIB MINIEL'DOWIE ET SON NOUVEAU:
LIVRE. UNE ANGLAISE EN TURQUIE. —
MADAME REID, CAPITAINE DE VAISSEAU ET
GARDE-MALADE.
Il y a quelque cinq ou six ans, une docte
assemblée de Londres — je n'oserais pas
j affirmer que c'était la Société de Géogra-;
phie, mais je crois cependant bien me rap-
peler que c'était elle — se réunit pour *,
écouter une conférence faite par une jeune
fille de vingt-quatre ans, jolie et élégante
d'ailleurs, cela ne gâte rien, bien au con-
traire, au sujet d'un voyage qu elle vouait.
de faire toute seule à travers les monts Car-'
pathes. tk
La conférence eut un grand succès qui fut/
suivi d'un autre grand succès en librairie
lorsque la conférence fut publiée en vo-
lume sous le litre: « A yirl in lite Karpu-•
thiaus Il. La brillante conférencière-auteur
Miss Menie Muriel Dowie a depuis cette
date de son début dans les lettres, publié
deuxjromans : Gallia et Sa me Whiins of Fale
deux volumes très féministes.
Cette semaine Miss Dowie publie la meil-
leure œuvre que nous ayons d'elle jusqu'ici
The Crook or the liowjh (le coude de la
branche) titre qui semble d'abord inexpli-
cable et dont on ne comprend le symbohs-.
me un peu exagéré qu'à la lecture du li-
vrc.
lslay Netherrlale,l'héroïne du livre,est une
charmante jeune tille aux idées subversive- •
ment avancées, qui voyage en Orient avec
son frère. A Constantinople, elle fait lacon-
naissance d'un certain Hassan Bey, officier
dans l'armée du sultan, mais membre (tu.
parti de la Jeune-Turquie, qui devient t.rès
épris de la jeune Angtaise. Lt pO'Jrqnoi,sc)
demande-t-on, car l'auteur a eu soin de
nous dire qu'lslay est avant tout un apôtre'
du mouvement féministe, un des apôtres
de la première heure, de celles qui volon-
tairement s'enlaidissaient croyant ainsi, en
niant leurs pnlces de femmes, aftirmcr leur
individualité pensante.
Et Islay apparaît pour la première fois
devant son bien-aimé I( vêtue d'un cos'.umï'
tailleur couvert de poussière. Sa voilette,
trop épaisse était mal choisie et mal mise
aussi,renlranl sous le rebord'du chapeau et.
était trop tirée sur le nez qu'il écrasait ".
Certes un Français moderne, — même en
lui supposant des idées avancées — n'au-
rait pas regardé cette jeune Anglaise à deux
fois, mais Hassan depuis longtemps « las
du type apathique de la femme de son.
pays et des poupées maquillées qu'il a ren-
contrées dans toutes les grandes villes de
l'Europe », se sent attiré vers cette tranche
et sincère créature quoique mal attifée
« dans sa robe de serge grossière, chaussée
de bottines épaisses et larges, mal cha
peautée eL mat gantée ».
A undéjeunerquialieu au Club de Constan-
tinople, Is!ay qui est avec son frère,deux au-
tres jeunes gens anglais et le colonel Hassan,
parle de la situation des femmes en Orient
TRIBUNE DE LA FRONDE
DU 20 JUIN 1898
LA TRIBUNE
A TRAVERS L'EDUCATION
(LES EXAMENS)
Celle rubrique forme un feuilleton volant
4mt le sujet change tous les trois jours.
III
Diplômes divers
et brevet supérieur
Après avoir lu les deux articles qui
précèdent, le lecteur a le droit de me de-
mander si je suis partisan de la liberté
absolue de l'enseignement ; c'est-à-dire
si j'accepterais que le premier venu s'ins-
tallât dans une chaire pour y débiter une
marchandise plus ou moins frelatée.
Pas du tout. L'Etat, ayant assumé la
responsabilité de l'éducation nationale,
doit à la Nation une édueation de bon
aloi. et nous le félicitons d'organiser ces
enquêtes qui, sous le nom d'examens,lui
permettent de piger l'aptitude de celui
08 de celle qui s'offre pour collaborer à
■w œuvre.
Nous ne critiquons que l'abus.
Une personne désire enseigner une
langue étrangère. « La connaissez-vous
grammaticalement • lui demande l'Etat
ou le chef d'institution, ou les parents à
qui elle se présente. En possédez-vous le
vocabulaire? » « L'avez-vous assez pra-
tiquée pour la parler couramment? » Les
épreuves écrites de l'examen, thème et
version, puis l'épreuve pratique sont une
réponse relativement péremptoire.
En ce cas, pourquoi compliquer? pour-
quoi exiger dos diplômes préalables
comme attestation d'une certaine cul-
ture générale? L'examen lui-même se
charge de la révéler. Un futur profes-
seure de langues, qui ne saurait pas le
français, ferait une version inacceptable
et laisserait percer son ignorance litté-
raire à l'épreuve de lecture et de con-
versation.
« Mais le crible? » m'objcctera-t-on.
— Eh bien le crible laisse passer une
quantité de bon grain et en retient, par-
fois, dont la qualité est loin d'être supé-
rieure. Il y a très peu de temps, une
jeune fille qui a fait, en Suisse, des
études très profondes et qui sait l'alle-
mand comme une Allemande, est ve-
nue me demander renseignements et ]
conseils ; elle désirait passer l'examen
du certificat d'aptitude à renseignement
de Callemand. Mais elle n'était munie
d'aucun diplôme, la Suisse n'étant pas
un pays de mandarinat,et son inscription
sur la liste des aspirantes était, par cela
même impossible.
Je continue mon raisonnement :
Y a-t-il du bon sens à demander d'un
professeur de dessin, de comptabilité,
de couture, de gymnastique (car la gym-
nastique elle-même est passée au crible
de l'orthographe et de la composition
française) autre chose que d être excel-
lent dans sa spécialité ?
On nous répond que le diplôme ou les
diplômes préalables assurent au profes-
seur du prestige, et par conséquent de
l'autorité. Voilà qui est très grave, car
cela donne à la jeunesse l'habitude de ne
pas tenir compte de la distinction native,
de la délicatesse morale, de l'expérience,
et de regarder avec un certain dédain les
personnes de mérite et les parents eux-
nêmes dont les qualités n'ont pas été
;stam pillées.
II
S'il est vrai que les examens ont leur
valeur, quand il s'agit des enseignements
spéciaux, on ne saurait la leur contester
quand il s'agit de la culture générale de
l'esprit, et c'est à cette culture générale
que répond le brevet supérieur.
Ici, je suis forcée de faire appel à tout
ce que je puis avoir de modération et
d'impartialité pour ne pas laisser débor-
der ma rancune, et je me hâte de dire —
pour me donner à moi-même des gages
— que, profondément modifié dans son
esprit (et surtout dans celui des examina-
teurs) allégé dans son programme, et
augmenté cependant d'épreuves prati-
ques, il est, pour les institutions et les
familles la seule garantie de la culture
dss institutrices, lorsque celles-ci n'ont
pas été élevées dans les écoles normales.
Tel qu'il est, grâce surtout à l'abus que
l'on en fait, c'est un monstre qui cause
de véritables ravages dans l'intelligence
féminine, et dans sa santé plus encore;
monstre d'autant plus dangereux qu'il
est insaisissable comme tout ce qui est
illimité.
Il a pourtant un programme, mais un
programme flasque, se laissant pénétrer
de toutes parts, embrassant toutes les
matières, toutes, mais surtout laissant le
champ libre aux examinateurs qui par- I
tent la bride sur le cou. Oh! les exami-
nateurs qui s'écoutent parler, et dont les
questions ont pour butd'« épater» la gale-
iie 1 Certes, ils forment la minorité de la
plupart des commissions, mais vous sa-
vez qu'il suffit d'un seul microbe pour
avoir raison d'un organisme bien cons-
titué.
Un potache qui se présente , . au « ..bacho »
~ sait sur quel terrain il marche; s il est
inscrit pour la rhétorique, il n aura pas
à répondre à une question du programme
de philosophie ; un aspirant à l'école po-
lytechnique est encore mieux protégé,
l'examen étant plus spécial. 11 en est de
lême pour toutes les agrégations. Mais
1 brevet supérieur, il faut s'attendre à
i ut, à tout i
Prenons deux exemples. L'3 premier
ins le programme des épreuves écrites,
: second dans celui des épreuves orales
1 une composition française : littérature
u morale.
A quelle époque littéraire devra cor-
;spondre ce sujet?
C'est le secret du professeur ou du
metionnaire qui sera chargé de choi-
,r. Entre le Roman de la Rose,et l'œuvre
c Taine, je ne parle pas de ceux « du
ernier bateau », il y a de la marge.
2° Epoques mim?rable,ç, grands noms,
ait s essentiels de l'histoire générale et
e f histoire de France, principalement
ans les temps modernes.
Je n'étonnerai personne en disant que
i champ est... vaste et qu'une jeune fille
e dix-huit ans est exposée à s'y perdre.
.haque année, cependant, il y en a des
entaines qui réussissent à cet examen.
lais à quel prix! au prix de fatigues
isproportionnées avec leurs forces et
vec la valeur du but poursuivi. Car on
Le peut pas tout savoir; car il ne résulte
ntellectucllement rien de bon de l'entas-
ement des connaissances ; car l'esprit
te profite que de ce qu'il s'est assimilé.
Parmi les jeunes filles qui ont obtenu
e brevet supérieur, l'élite seule, après
(uelquc repos, classe ses connaissances,
«jette les détails inutiles, fait la synthèse
les idées et continue ses études pour
tlle et pour ses élèves. Les autres... se
)arent de leurs lauriers, et se figurent
In'ane intelligence vaut par ce qu'elle
ait. Leurs élèves sont à plaindre, car
illes ne suceront jamais la moello des
îhoses.
Mais parmi l'élite, il y en a qui ne sa-
rent pas enseigner et qui ne sauront ja-
nais; il faudrait donc les astreindre à
ine épreuve pratique- un crible encore,
;t qui vaut ce qu'il vaut — comme leurs
;o-forçates des examens spéciaux dont
j'ai parlé au commencement de cet arti-
cle. Cette Abreuve aurait ea mime temps
le mérite de faire supprimer le certificat
d'aptitude pédagogique qui est un véri-
table tissu d'inutilités et d'anomalies.
« Inutilités »? Les épreuves écrites sont
à peu près renouvelées de celles du bre-
vet supérieur, et la dissertation sur un
sujet pédagogique ne prouve pas que
l'aspirant sache donner une leçon.
(f Anomalies? n Voyez plutôt. Ce certifi-
cat d'aptitude pédagogique, obligatoire
pour la titularisation de l'instituteur
(c'est-à-dire pour lui conférer le droit de
diriger une école et le directeur d'une
école est, dans plusieurs cas, déchargé de \
lotit enseignement), ne l'est pas pour
l'exercice courant de sa profession. On
peut, enseigner sans s'être présenté à
l'examen; on peut continuer à enseigner
après y avoir échoué!
Je me résume quant au brevet supé-
rieur. Il faut d'une part que le pro-
gramme perde son caractère encyclo-
pédique; il faut que les examinateurs
renoncent à la fantaisie et aux minuties;
il faut qu'une ou plusieurs épreuves
pratiques s'ajoutent aux épreuves écrites
et aux épreuves orales; il faut enfin que
l'examen ne s'adresse pas — inutilement
— aux élèves des écoles normales qui,
entréos après concours, ayant subi un
examen de passage au commencement
de la deuxième année, ayant fait leur
apprentissage professionnel dans les
écoles annexes offrent toutes les garan-
ties. Un certificat d'études signé par la
direction et par la commission de sur-
veillance doivent suffire.
Car, je le répète, pourquoi compliquer?
pourquoi, surtout, inventer des examens
inutiles parce qu'ils ne prouvent rien.Tel
est le cas dl4 certificat d'aptitude à l'ins-
pection primaire et à la direction des
écoles normales qui est, pour l'ordre pri-
maire, le couronnement de l'édifice.
Les aspirants à ce certificat (ou les
aspirantes) ont déjà passé les examens
d'agrégation primaire; ils sont pourvus
l du certificat d'aptitudes au professorat
des écoles normales et ils ont exercé plus
ou moins longtemps dans ces écoles,
Leut instruction ne fait -aucun doute. Ils
ont cependant à subir des épreuves écri-
tes de pédagogie (je répète qu'ils ont déjà
fait leurs preuves), d administration (je
n apprendrai à personne que l'on apprend
le code à mesure qu'on l'applique, mais;
je surprendrai peut-être quelques-uns
en leur disant que ni les inspecteurs
d'académie, dont les attributions ad-
ministratives nécessitent la connais-
sance approfondie des lois et règle-
ments scolaires, ni les recteurs, qui
sont dans le même cas, ni les inspecteurs
généraux n'ont subi aucun examen de ce
genre). Reste l'épreuve d'inspection, qui
vaut quelque chose, et qui mériterait
d'être plus longue et plus profonde..
Quant à l'épreuve de direction, on a. com-
pris qu'elle était impraticable et elle n'a
pas de place dans le programme.
Maintenant, comptons nos morts, nos
amputés et nos valides - (Nos morts, hé-
las ! se portent encore bien, et nos am-
putés se moquent de nous) ! COTÉ DES
MORTS : le certificat d'études sprimaircs
quia mille fois mérité son sort;
Le brevet élémentaire qui avait un s HII
mérite : C'est de ressembler au souiier
de l'auvergnat : tenir de la place.
Le certificat d aptitude pédagogique.
COTÉ DES AMPUTÉS .' le brevet supérieur;
le certificat d'aptitude à l'inspection uri-
maire et à la direction des écoles norma-
les, auquel il ne reste qu'un membre sur
quatre.
COTÉ DES VALIDES, tous les examens
ayant pour but de connaître le degré
d'instruction de ceux qui veulent ensei-
gner, et leur aptitude à faire passer dans
l'esprit des autres ce qu'ils savent eux-
mêmes.
N'est-ce donc pas suffisant? Et puis,
c'est rationnel; et puis c'est... intelligent^
enfin c'est... humain.
PAULINE KERGOMARD.
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