Titre : La Fronde / directrice Marguerite Durand
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1898-01-14
Contributeur : Durand, Marguerite (1864-1936). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb327788531
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 14 janvier 1898 14 janvier 1898
Description : 1898/01/14 (A2,N37). 1898/01/14 (A2,N37).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6703156j
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, GR FOL-LC2-5702
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/01/2016
060 des machinations du commandant du
Paty de Clam, comment le général Mercier,
les généraux de Boisdeffre et Gonse ont pu
t'y laisser prendre, engager peu à peu leur
responsabilité dans cette erreur, qu'ils ont
cru devoir, plus tard, imposer comme la
vérité sainte, une vérité qui ne se discute
même pas. Au début, il n y a donc de leur
part tout que de l'incurie et de l'inintelligence.
out au plus, les sent-on céder aux passions
religieuses du milieu,et aux préjuges de
t'csprit de corps. Ils ont laissé faire la sot-
^Mais voici Dreyfus devant le conseil de
guerre. Le-huis clos le plus absolu est
exigé. Un traître aurait ouvert la frontière
à l'ennemi, pour conduire l'empereur alle-
oiand jusqu'à Notre-Dame, qu'on ne pren-
drait pas de mesures de silence et de mys-
tère plus étroites. La nation est frappée de
stupeur, on chuchote des faits terribles, de
ces trahisons monstrueuses qui indignent
l'Uistoire, et naturellement la nation s'in-
cline. Il n'y a pas de châtiment assez sé-
vère, elle applaudira à la dégradation pu-
blique, ello voudra que le coupable reste
sur son rocher d'infamie, dévore par le re-
mords. Est-ce donc vrai, les choses indici-
bles, les choses dangereuses, capables de
mettre l'Europe en flammes, qu'on a dû en-
terrer soigneusement derrière ce huis-clos?
Non 1 il n v a eu, derrière, que les imagi-
nations romanesques et démentes du com-
mandant du Pal y de Clam. Tout cela n'a été
fait que pour cacher le plus saugrenu des
romans-feuilletons. Et il suffit, pour s 'eii
assurer, d'étudier attentivement l 'acte d 'ac-
cusation lu devant le conseil de guerre.
Ah 1 le néant de cet acte d'accusation !
Qu'un homme ait pu être condamné sur cet
acte, c'est un prodige d'iniquité. Je défie les
honnêtes gens de le lire sans que leur cœur
bondisse d'indignation et crie leur révolte,
en pensant il l'expiation démesurée, là-bas,
it l'ile du Diable. Dreyfus sait plusieurs lan-
gues, crime; on n'a trouvé chez lui aucun
papier compromettent, crime ; il va parfois
dans son pavs d'origine, crime ; il est labo-
rieux, il a le souci de tout savoir, crime ; il
lie se trouble pas, crime ; il se trouble,
crime. Et les naïvetés de rédaction,
les formelles assertions dans le vide!
On nous avait parlé de quatorze chefs d'ac-
ousation : nous n'en trouvons qu'une seule
en tin de compte : celle du bordereau; et
nous apprenons môme que les experts
n'étaient pas d'accord, qu'un d'eux, M. Go-
bert, a été bousculé militairement, parce
qu'il se permettait de ne pas conclure dans
le sens désiré. On parlait aussi de vingt-
trois officiers qui étaient venus acoabler
Dreyfus de leurs témoignages. Nous igno-
rons encore leurs interrogatoires, mais il
est certain que tous ne l'avaient pas charge;
et il est à remarquer, en outre, que tous
appartenaient aux bureaux de la guerre.
C est un procès de famille, on est là entre
soi, et il l'ailt s'en souvenir : l'état-major a
voulu le procès, l'a jugé, et il vient de le
juger une seconde fois.
Dono, il ne restait que le bordereau, sur
lequel les experts ne s étaient pas entendus.
On raconta que, dans la chambre du con-
seil, les juges allaient naturellement ac-
quitter. Et, dès lors, comme l'on comprend
l'obstination désespérée avec laquelle, pour
justifier la condamnation, on affirma aujour-
d'hui l'existence d'une pièce secrète, acca-
blante,la pièce qu'on ne peut montrer,qui lé-
gitime tOllt,tlevanl laquelle nous devons nous
incliner, le bon dieu invisible et inconnais-
sable. Je la nie, cette pièce, je la nie de toute
ma nuisance! t'ne pièce ridicule, oui, peut-
*trc la pièce oii il est question de petites
femmes, et 011 il est parlé d'un certain D...
qui devient trop exigeant, quelque mari
sans doute trouvant qu'on ne lui payait pas
sa femme assez cher. Mais une pièce inté-
ressant la défense nationale, qu'on ne sau-
rait produire sans que la guerre fût décla-
rée demain, non, non! C'est un mensonge;
et cela est d'autant plus odieux et cynique
qu'ils mentent impunément sans quon
puisse les en convaincre. Ils ameutent la
France, ils se cachent derrière sa légitime
émotion, ils ferment les bouches en trou-
blant les cœurs, eu pervertissant les esprits.
Je ne connais pas de plus grand crimo ci-
%'^oilà donc, monsieur lePrésidenl, les faits
qui expliquant comment une erreur judi-
ciaire a pu être commise; et les preuves
morales, la situation de fortune de Dreyfus,
l'absence de motifs, son continuel cri d in-
nocence, achèvent de le montrer comme
une victime des extraordinaires imaginations
du commandant du Paty cie Cl;.m, du milieu
clérical où il se trouvait, de la chasse aux
«sales juifs u, qui déshonore notre épo-
que.
• •
Et nous arrivons à l'affaire Esterhazy.
Trois ans se sont tuasses, beaucoup de cons-
rieitc.es restent t roublées profondément, s in-
quiètent, cherchent, finissent pa1* se con-
vaincre de l'illlloceucc de Dreyfus.
Je ne ferai pas l'historique les doutes,
puis do la conviction de M. Sclicurer-Ke^L-
iîer. Mais. pendant qu d touillait de son
«ai/, il i.i«:iii dp* faits i:raves à 1 etal-
major môme. Le colonel Sandherr était
mort, et le lieutenant-colonel Picquart lui
avait succédé comme chat du bureau des
renseignements. Et c'est à oe titre, dans
l'exercice de ses fonctions, que ce dernier
eut un jour entre les mains une lettre-télé-
gramme, adressée au commandant Ester-
hazy, par un agent d'une puissance étran-
gère. Son devoir striot était d'ouvrir une
enquête. La oertitude est qu'il n'a Jamais
agi en dehors de la volonté de Mt supé-
rieurs. Il soumit dono ses soupçons a ses
supérieurs hiérarchiques, le général Gonse,
puis le général de Boisdeffre, puis le
général Billot, qui avait succédé au gé-
néral Meroier oomme ministre de il.
guerre. Le fameux dossier Pioquart, dont il
a été tant parlé, n'a jamais été que le dos-
sier Billot, j'entends le dossier fait par un
subordonné pour son ministre, le dossier
qui doit exister encore au ministère de la
guerre. Les recherches durèrent de mai à
septembre 1896; et ce qu'il faut affirmer bien
haut, c'est que le général Gonse était con-
vaincu de la culpabilité d'Est.erhazy, c'est
que le général de Boisdetfre et le général
Billot ne mettaient pas en doute que le fa-
meux bordereau fût de l'écriture d'Ester-
hazy. L'enquête du lieutenant-colonel Pic-
quart avait abouti à celte constatation
certaine. Mais l'émoi était grand, car la con-
damnation d'Esterhazy entraînait inévita-
blement la revision du procès Dreyfus; et
c'était ce que l'état-major ne voulait à aucun
prix.
Il dut y avoir là une minute psychologi-
que pleine d'angoisse. Remarquez que le
général Billot n'était compromis dans rien,
il arrivait Lout frais, il pouvait fairo la vé-
rité. Il n'osa pas, dans la terreur sans doute
de l'opinion publique; certainement, aussi
tans la crainte de livrer tout t'état-major,
le général de Boisdell'l'e, le général Gonse, ■
sans compter les sous-ordres. Puis ce ne
fut là qu'une minute de combat entre sa
conscience et ce qu'il croyait être l'intérêt
militaire. Quand cette minute fut passée, il
était déjà trop tard. Il s'était engagé,il ("Iliii
compromis. Et, depuis lors, sa responsabi-
lité n'a fait que grandir, il a pris à sa charge
le crime des autres, il est aussi coupable
que les autres, il est plus coupable qu *etl-\-,
car il a été le maître de faire justice, et il
n'a rien fait. Comprenez-vous cela 1 voici
un an que le général Billot, que les géné-
raux de Boisdeffre et Gonse savent que
Dreyfus est innocent, et ils ont gardé pour
eux cette effroyable chose. Et ces gens là
dorment,et ils ont des femmes et des entants
qu'ils aiment !
Le colonel Picquart avait rempli son de-
voir d'honnête homme. Il insistait auprès
de ses supérieurs, au nom de la justice. il
' les suppliait même, il leur disait combien
leurs délais étaient impo!itiqucs devant le
terrible orage qui s'am'.ucetait, qui devait
fêtait', lorsque la vérité serait cont'uc. Ce
l'ut, plus tard, le langage que M. Scheurer-
Kestner tint également au général t{)Hot.
l'adjurant par patriotisme de prendre en
main l'affaire, de ne [KIS la laisser s ag-
ir ra ver, au point de devenir un desastre
public. Non! le crime était commis, t't':ta!
major ne pouvait plus avouer son crime.
Et le lieutenaut-cclonel Picquart fut envoyé
en mission, on l'cloiprna de plus loin t'il plus
loin, jusqu'en Tunisie, olt l'on voulut môme
un jour honorer sa bravoure, en le char-
geant d'une mission qui l'aurait fait sûre-
ment massacrer, dans les parages où le
marquis de Murés a trouve la mort. Il
j n'eL-ot pas en disgrâce, le générât Gons-
entretenait avec lu: une correspondance
amicale. Seulement, il est des secrets qu'il
ne fait pas bon d'avoir surpris.
A Paris, la vérité marchait, irrésistible,
et l'on sait de qu-lle façon l'orage attendu
ectata. M. Mathieu Dreyfus dénonça le coin-
mandant Esterhazy comme t' véritable au-
teur du bordereau, au moment oiI M. Scheu-
rer-Kestner allait déposer, entre les mains
,lu garde des sceaux, une demande en ré-
vision du procès. Et c'est ici que le com-
mandant Esterhazy parait. Des témoigna-
ges le montrent d'abord aft'ote, prêt au sui-
cide ou à la fuite. Puis, tout d'un coup, il
paye d'audace, il étonne Paris par la vio-
lence de son attitude. C'est que du secours
lui était venu, il avait reçu une lettre ann-
nyme t'avertissant des menées de ses enne-
lIIis, une dame mystérieuse s'était même
dérangée de nuit pour lui remettre une
pièce volée à l'état-major, qui devait, le
sauver. Et je ne puis m'empêcher de re-
trouver là le !ieutenaut-co!one! du Paty de
«îl.mi, eu reconnaissant les expédients de
son imagination fertile, Son œuvre, la cul-
pabiiit'- «le Dreyfus, et AIL EN JXTII, et il
,i voulu sûrement détendre son œu-
vre, la revision du procès: mais c'e! ail
t'ecrou!emeut du rOIl1ll1l-I',milldtl!l si e\tra-
vagant. si trngiqlle, dont le dénouement
abominable a lieu à l'île du Diable! I. est ce
-iu'it ne pjuvut per-tnefti'e. Des lors, le duel
v.! avoir lien entre le lieutenant-colonel
Picquart ef le lieutenant-colonel du Pal y de
Cl;,m, l'un le visage decouvr). )'au!re mas-
qué. Ou les retrouvera prochainement tous
deux devant la justice civile. Au fond, c'est
toujours l'état-major qui se défend, qui ne
veut pas avouer son crime, dont l'abomina-
tion grandit d'heure en heure.
On s'est demandé aveo stupeur quels
étaient les protecteurs du commandant
Esterhazy. C est d'abord, dans l'ombre, le
lieutenant-colonel du Paty de Clam, qui a
i tout machiné, qui a tout conduit. Sa main
I se trahit aux moyens saugrenu. Puis c'ait
le général de Boisdeffre, o'est le général
Gonse, c'est le général Billot lui-méme, qui
sont bien obliges de faire acquitter le com-
mandant, puisqu'ils ne peuvent laisser re-
connaître l'innocence de Dreyfus, sans que
les bureaux de la guerre croulent sous le mé-
pris public. Et le beau résultat de cette situa-
tion prodigieuse, c'est que l'honnête homme
là-dedans, le lieutenant-colonel Picquart,
qui seul a fait son devoir, va être la victime,
celui qu'on bafouera et qu'on punira. 0 jus-
tice, quelle affreuse désespérance Serre le
cœurf On va jusqu'à dire que c'est lui le
faussaire, qu'il a fabriqué la carte-télé-
gramme pour perdre Esterhazy. Mais, grand
Dieu! pourquoi? dans quel but? Donnez un
motif. Est-ce que celui-là aussi est pavé
par les juifs? Le joli de l'histoire est qu'il
etait justement antisémite. Oui! nous assis-
tons à ce spectacle infâme, des hommes
perdus de dettes et de crimes dont on pro-
clame l'innocence, tandis qu'on frappe
l'honneur même, un homme à la vie sans
tache! Quand une société en est là, elle
tombe en décomposition.
Voilà donc, monsieur le Président, l'af-
fairo Esterhazy: un coupable qu'il s'agissait
d'innocenter. Depuis bientôt deux mois,
nous pouvons suivre heure par heure la
belle besogne. J'abrège, car ce n'est ici, en
gros, que le résumé de l'histoire dont les
brûlantes pages seront un jour écrites tout
ati long, Et nous avons donc vu le général
(le Pellieux, puis le commandant lia va r y,
conduire une enquête scélérate, d'où les
coquins sortent transfigurés et les honnêtes
gens salis. Puis, on a convoqué le conseil
de guerre.
• *
Comment a-t-on pu espérer qu'un conseil
de guerre déferait ce qu'un conseil de
guerre avait fait?
Je no parle même pas du choix toujours
possible des juges. L'idée supérieure de dis-
cipline, qui est dans le sang de ces soldats,
ne suffit-elle il infirmer leur pouvoir même
d'équité? Qui dit, discipline dit, obéissance.
Lorsque le ministère de la guerre, le grand
chef, a établi publiquemant, aux acclama-
tions de la représentation nationale, l'auto-
rité absolue de la chose jugée, vous voulez
qu'un conseil de guerre lui donne un formel
démenti? Hiérarchiquement, cela est impçs*-
sible. Le général Billot a suggestionné les
juges par sa déclaration, et ils ont juge
comme ils doivent aller au feu, sans raison-
ner. L'opinion précouçuequ'ils ont apportée
sur leur siège est évidemment, celle-ci :
" Dreyfus a été condamné pour crime de
trahison par un conseil de guerre; il est
donc coupable, et nous, conseil de guerre,
sious ne pouvons le déclarer innocent; or
nous savons que reconnaître la culpabilité
d'E,;torhazy, ce serait proclamer l'innocence
de Dreyfus. )J Hien ne pouvait les faire sor-
Lir do là!
Ils ont rendu une sentence inique qui a
jamais pèsera sur nos conseils de guerre,
qui entachera désormais de suspicion tous
leurs arrêts. Le premier conseil de guerre
a pu être inintelligent, le second est forcé-
ment criminel. Son excuse, je le répète, est
que le chef suprême avait parlé, déclarant
la chose jugée inattaquable, sainte et su-
périeure aux hommes, de sorte que des
inférieurs ne pouvaient dire le contraire.
On nous parle de l'honneur de l'armée, on
veut que nous l'aimions, que nous la res-
pections. Ah! certes, oui, l'armée qui se
lèverait à la première menace, qui défen-
drait la terre française, elle est touL le peu-
ple et nous n'avons pour elle que tendresse
et respect. Mais il ne s'agit pas (l'elle, dont
nous voulons justement la dignité, dans
notre besoin de justice. Il s'agit du sabre,
le maître qu'on nous donnera demain peut-
être. Et baiser dévotement la poignee du
sabre, le dieu, non ! .
Je l'ai démontré d'autre part; 1 affaire
Dreyfus était l'affaire des bureaux de la
guerre, un officier de t'état-major, dénoncé
par ses camarades de l'état-major, COIl-
damné sous la pression des chefs de 1 état-
major. Encore une fois, il ne peut revenir
innocent, sans que tout l'état-major soit
coupable. Aussi les bureaux, par tous les
moyens imaginables, par des campagnes de
presse, par des influences, n'ont-ils couvert
K-'crtmzy que pour perdre une seconde fois
Oreytus. Ah! quel coup de balai le gouver-
nement républicain devrait donner dans
cette jésuitière, ainsi que les appelle le gé- '
néraf Billot lui-même! 011 est-il le ministere
vraiment fort et d'un patriotisme sage, qui
osera tout y refondre et tout y renouve-
1er '! Que dé gens je connais qui, devant
une guerre possible, t remblent d'angossc,
en Sl chant dans quelles mains est la dé-
fense nationale, et quel nid de basses in-
trigues, de commérages et de dilapidations,
est devenu cet asile sacré, où se décide le
sort de la patrie 1 On s'épouvante devant le
iour terrible que vient d'y jeter l'affaire
Dreyfus, cataerifloe humain d'un malheu-
reux, d'un « «aie juif .1 Ahl tout ce qui I
s'est agité là de démenoe et de sottise, des
imaginations folles, des pratiques de basse
police,des moeurs d'inquisition et de tyran-
nie. te bon plaisir de quelques galonnés
mettant leurs bottes sur la nation, lui ren-
trant dans la gorge son cri de vérité et de
jualiee, sous le prétexte menteur et sacri-
lège de la raison d'Etat 1
Et c'est un crime encore que de s'être ap-
puyé sur la presse immonde, que de s'être
laissé défendre par toute la fripouille de Pa-
ris,de sorte que voilà la fripouille qui triom-
phe insolemment, dans la défaite du droit
et de la simple probité. C'est un crime d'a-
voir accusé de troubler la France ceux qui
la veulent généreuse, à la tête des nations
libres et justes, lorsqu'on ourdit soi-même
l'impudent complot d'imposer l'erreur, de-
vant le monde entier. C'est un crime d'éga-
rer l'opinion, d'utiliser pour une besogne de
mort cette opinion qu'on a pervertie Jusqu'à
la faire délirer.Cest un crime d'empoisonner
les petits et les humbles, d'exaspérer les
passions de réaction et d'intolérance, en
s'abritant derrière l'odieux antisémitisme,
dont la grande France libérale des droits
de l'homme mourra, si elle n'en est pas
guérie. C'est un crime que d'exploiter le
patriotisme pour des œuvres de haine, el.
c'est un crime enfin que de faire du sabre
le dieu moderne, lorsque toute la science
humaine est au travail pour l'œuvre pro-
chaine de vérité et de justice.
Cette vérité, cette justice, que nous avons
si passionnément voulues, quelle détresse
à les voir ainsi souffletées, plus méconnues
et plus obscurcies! Je me doute de l'écroule-
ment qui doit avoir heu dans l'âme de M.
Scheurer-Kestner, ot je crois bien qu'il
finira par éprouver un remords, celui de
n'avoir pas agi révolutionnairement, le jour
de l'interpellation au Sénat, en lâchant tout
le paquet, pour tout jeter à bas. Il a été le
grand honnête homme, l'homme de sa vie
loyale, il a cru que la vérité se suffisait à
elfe-même, surtout lorsqu'elle lui apparais-
sait éclatante comme le plein jour. A quoi
bon tout bouleverser, puisque bientôt le
soleil allait luire? Et c'est de cette sérénité
confiante qu'il est si cruellement puni. De
même pour le lieutenant-colonel Picquart,
qui, par un sentiment de haute dignité, n'a
pas voulu publier les lettres du général
Gonse. Ces scrupules l'honorent d'autant
plus que, pendant qu'il restait respectueux
de la discipline, ses supérieurs le faisaient
couvrir do boue, instruisaient eux-mêmes
son procès, de la façon la plus inattendue et
la plus outrageante. Il y a deux victimes,
deux braves gens, deux cœurs simples, qui
ont laissé faire Dieu. tandis que le diable I
agissait. Et l'on a même vu, pour le lieute-
nant-colonel Picquart, cette chose ignoble :
un tribunal français, après avoir laissé ln
rapporteur charger publiquement un té-
moin, l'accuser de toutes les fautes, a fait
le huis clos, lorsque ce témoin a été intro-
duit pour s'expliquer et se défendre. Je dis
que cela est un crimede plus etquececrime
soulèvera la conscience universelle. Décidé-
ment, les tribunaux militaires se font une
singulière idée de la justice.
Telle est doue la simple vérité, monsieur
le Président, elle est elfroyable, elle restera
pour votre présidence une souillure. Je me
doute bien que vous n'avez aucun pouvoir
en cette affaire, que vous êtes le prisonnier
de la Constitution et de votre entourage.
Vous n'en avez pas moins un devoir
d'homme, auquel vous songerez, et que
vous remplirez. Ce n'est pas, d'aillem',.;,
que je désespère le moins du monde du
triomphe. Je répète avec une certitude
plus véhémente : la vérité est en marche
et rien de l'arrêtera. C est d aujourd liui
seulement que l'atlairc commence, puis-
queaujourd'hui seulement les posilionssonl
nettes: d'une part. les coupables qui ne
veulent pas que la lumière se fasse; de
I l'autre, les justiciers qui donneront leur vie
pour qu'elle soit l'aile. Quand on enferme la
vérité sons terre, elle s'y amasse, elle
y prend une force telle d'explosion que,
le jour oll elle éclate, elle fait tout sauter
avec elle. On verra bien si l'on ne vient pas
de préparer, pour plus tard, le plus reten-
tissant des désastres.
* »
Ma is cette lettre est lon'.rue, monsieur le
Président, et il est temps de conclure.
J'accuse le lieutenant-colonel du Paty de
Clam d'avoir été l'ouvrier diabolique de l'er-
reur judiciaire, en inconscient, je veux le
croire, et d'avoir ensuite défendu son œu-
vre néfaste, depuis trois ans, par les machi-
nations les plus saugrenues et les plus cou-
pables..
J'accuse le général Mercier de s être
rendu complice, tout au moins par faiblesse
d'esprit, d'une des plus grandes illiquiétès
du siècle.
J'accuse le général Billot d avoir eu
entre les mains les preuves certaines de
l'innocence de Dreyfus et de les avoir
étouffées, de s'ètre rendu coupable de ce
crime de lèse-humanité et de lèse-justice
dans un but politique et pour sauver l'état-
major compromis.
J accuse le général de Boisdeffre et le
du général Gonse de s'être rendus complices
u même crime, l'un sans doute par pas-
sion cléricale, l'autre peut-être par cet es-
prit de corps qui fait des bureaux de la
guerre l'arène sainte inattaquable.
J'accuse le générale de Pellieux et le com-
mandant Ravary d'avoir fait une enquête
soélérale, j'entends par là une enquête de
la plus monstrueuse partialité, dont nous
avons, dans le rapport du seoond, un impé-
rissable monument de naïve audace.
J'accuse les trois experts en écritures,
les sieurs Belhomme, Varinard et Couard,
d'avoir fait des rapports mensongers et
frauduleux, à moins qu'un examen médical
ne les déclare atteints d'une maladie de la
vue et du jugement.
J'accuse les bureaux de la guerre d'avoir
mené dans Is presse, particulièrement
dans l'Eclair et dans l'Echo de Paris, une
campagne abominable, pour égarer l'opi-
nion et couvrir leur faute.
J'accuse enfin le premier conseil de
guerre d'avoir violé le droit, en condam-
nant un accusé sur une pièce restée se-
crète, et j'accuse le second conseil de guerre
d'avoir couvert cette illégalité, par ordre,
en commettant il son tour le crime juridi-
! que d'acquitter sciemment un coupable.
En portant ces accusations, je n'ignore
pas que je me mets sous le coup des arti-
cles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29
juillet 1881, qui punit les délits de diffama-
Lion. Et c'est volontairement que je m'ex-
pose..
Quant aux gens que j'accuse, je ne les
connais pas, je ne les ai jamais vus, je n'ai
contre eux m rancune ni haine. Ils ne sont
pour moi que des entités, des esprits de
malfaisance sociale. Et l'acte que j'accom-
plis ici n'est qu'un moyen révolutionnaire
pour hâter l'explosion de la vérité et de la
justice. ,
Je n'ai qu'une passion, celle de la lumière,
au nom ae l'humanité qui a tant souffert
et qui a droit au bonheur. Ma protestation
enflammée n'est que le cri de mon âme.
Qu'on ose donc me traduire en cour d'assi-
ses et que l'enquête ait lieu au grand jour !
J'attends.
Veuillez agréer, monsieur le Président,
l'assurance de mon profond respect.
EMILE ZOLA.
Chose Jugée
M. Estherazy est sorti du conseil de guerre
la tète haute, comme il y était entré; et les
journaux qui s'étaient portés garants de sou
honneur nous affirment que le pays, que
l'opinion, sont ravis et que la plus grande
joie que puisse éprouver la France, après
la visite de l'Empereur de Russie, est de
voir porter les armps à cet étourdissant
militaire.
Pour la part du pays et de l'opinion que
nous représentons personnellement, et que
les journaux du commandant ont néglige
de consulter, nous apporterons quelques
réserves à ces déclarations.
Quand un homme nous assure qu'il es!
capable de tout, sans trop le prendre au
mot, il convient d'accorder quelque crédit
il ses discours : à l'ordinaire, il faut plutôt
se défier des gens qui nous affirment être
en état de faire les plus grandes choses ;
mais rarement l'on se vante sans aucun
fondement d'être un scélérat. Nous nous
en tiendrons sur le compte du comman-
dant à une opinion moyenne, désirant il
la fois conceder quelque chose à ses
amis en dolman et en redingote, qui nous
jurent qu'il est un ange; ne pas trop con-
trarier le commandant, nous assurant lui-
même qu'il est un bandit; et ne pas dédai-
gner non plus le témoignage de sa conduite,
que le commandant Ravary n'ose offrir
comme modèle aux jeunes officiers — en
quoi il fait sagement, à notre avis.
Quant à la lumière qui sort des débats,
elle est aveuglante, parait-il, pour les jour-
nalistes amis du commandant. Pour nous
qui avons l'optique moins délicate, nous
sommes obliges de reconnaître que la ma-
çonnerie de l'Hôtel du Cherche-Midi, inter-
posée entre nos yeux et les débats, nous ;t
suffisamment protégé la vue, et que la vé-
rité ne saurait nous éblouir à travers un
écran do cette opacité.
Nous eussions tant aimé écouter le colo-
nel l'icquart, chargé publiquement de tous
les forfaits par Esterhazy — si entendu aux
choses de l'honneur — nous parler un peu
de cette affaire. Il a bien dû trouverquslque
chose à répondre pour sa défense; et j'ima-
gine qu'ayant le premier aperçu les infir-
mités temporaires du brave commandant,
l'exposé pathologique qu'Il en lit devant le
conseil de guerre ne dut pas être dépourvu
de tout intérêt. Mais quelle malencontreuse
fatalité fait que lorsque l'état-major accuse
publiquement les gens, la sûreté de l'Etat
t'obtige en même temps à bâillonner ses
victimesl Hélas 1 il nous a donc fallu sortir.
Aussi nous demeurons là, lamentablement,
au point où nous étions quand le comman-
dant Esterhazy,avec ce maintien ferme, ce
regard asssuré,que seules peuvent donner
une belle âme et la sincérité d'une cons-
cience ïrréprochable, entra dans le tribunal.
Et il n'y a pas que nous qui soyons dans
cette posture. L'affaire Dreyfus — qui
n'existe pas, M. Mélino nous l'a assuré, et
l'on sait qu'aujourd'hui, comme au temps
du bonhomme Paul, un ministre ne ment
jamais, surtout à la tribune — nous semble
exactement au point où elle était aupara-
vant. Les journaux qui n'en veulent pas
convenir nous paraissent manquer de logi-
que, sans compter quelques autres lacunes
plus ou moins volontaires et regrettables
dans leur entendement. Puisqu'ils nous
avaient fait connaître par avance les termes
du jugement,ce n'est pas la lecture qu'un
en a faite devant la garde assemblée qui a
subitement changé la question.
Pour nous, qui ne saurions commenter
avec cette pénétration les choses que l'on
nous cache, nous nous bornons à apprécier
ce que nous voyons.
Le comle EsLerhazy fut dénoncé par Ma-
thieu Dreyfus comme ayant écrit le borde-
reau qui fit condamner son frère. La dénon-
ciation était appuyée par des spécimens
d'écriture qui, ccux-Ià,exposé8 en toute lu-
mière,permirent à chacun de se faire uno
'pinion. Le ministre,ému de l'accusation, fit
faire une enquête dont la marche rappela
plutôt les procédés qui valurent des succès
il Monlrouge, au théâtre de l'Athénée, qua
ceux que l'on enseigne dans les facultés de
Droit. Elle aboutit à celle conclusion que le
comte Esterhazy, accusé d'avoir écrit le
hordereau,n'avait pas trahi son pays. Quand
elle aurait conclu en même temps qu'il
n'avait pas assassiné la demoiselle de la.
rue Picrre-Ie-Grand,on aurait pu fournir
au Tribunal militaire un nouveau sujet da
l'acquitter, sans qu'il en jaillisse un éclair-
cissement décisif sur la confection du bor-
dereau.
Si l'on entend, maintenant, que la recon-
naissance de l'innocence d'Esterhazy sur le
chef de trahison — que nous ne refusons
pas du tout d'admettre — quelque opinion
qu'au demeurant nous puissions conserver
sur lui et sur la complaisance de ses juges,
— démontre une fois de plus la culpabilité
de Dreyfus, c'est encore une de ces vérités
3ue la faiblesse de notre vue nous empêche
apercevoir : et combien nous comprenons
M. Duclaux, successeur de Pasteur, nous
certifiant qu'avec de pareilles méthodes tiO
raisonnement, on en serait encore aux pre-
mières divagations alchimistes.
La culpabilité de Dreyfus ne peut res-
sortir que de la conviction de sa trahison
t'l, à tout prendre, nous préférions encore,
dans l'ignorance, nous en rapporter à l'ar-
rêt des premiers juges, car cette lois l'ac-
cusé était il deux milles lieues et son
défenseur hors la maison de justice.
Dire : un tribunal a condamné un homme,
donc il est coupable; c'est encore un rai-
sonnement; et pour écarter de not re pensée
l'obsession d'un supplice immérité, nous
nous y élions sincèrement ralliés pendant
trois ans. Nous en avons singulièrement
rabattu depuis, car la vérité, dont aUelil18
compression ne peut venir définilivemenl à
bout,a filtré toute entière à travers les cal-
feutrages du prétoire; et la lecture de l'acte
d'accusation permet à chacun de juger en
connaissance de cause, et l'accusé, et les
juges.
M. de Cassagnac, polémiste bouillonnant
de haine et de passion,dont l'opinion mente
néanmoins l'attention pour son indéniable
sincéi-ilé,aftiri)ie que l'illégalité n'eutraine
pn aucune façon l'idée d'une in ,iu-,tiOe. C'rst
une étrange théorie qui sent terriblement
le fagot, ou plutôt la bombe, et qu'on eut
attendue avec moins de surprise d'un anar-
chiste que d'un prétorien de César.
Si l'illégalité peut s'accorder avec la JlIS-,
tice,il n'y a qu'à supprimer le code, et lais-
ser chacun se fairejuslice soi-même. Il nous
a toujours paru que les règles de la justice
n'avaient été établies, et ne méritaient le
respect, que parce que, dans leur observa-
t Ion seule, peut se trouver une garantie
contre l'iniquité.
Peut-on soutenir qu'un tribunal fonde par
la Ici, armé par elle d'un droit de vie et -tt*
mort sans contrôle, puisse violer dans uu
jugement cette loi qui lui confère son auto-
rité, au nom de laquelle il prononce son
arrêt, sans tendre vers l'injushce?
Une jurisprudence constante, dans tous
les pays civilisés, casse toutes les procé-
dures où la moindre incorrection a pu être
révélée, affirmant par cette sévérité impi-
toyable qu'en dehors des tonnes rigouiyu-
,,"s de la loi il ne pt'lH y avoir des garanties
de jusllce. Et cette précaution tllt'ùlI prend
de faire respecter les moindres presenp-
lions de la loi. serait inutile pour la plus
erave des règles de la justn-L-, et, dans ta
rireoiistaiief,, I',)Ii imaginerait (pie la ili-lied
puisse se concilier avec la plus violente
■ tMégalilé. Infuser détendre l'.l..tllll'adlclùl.
LA TRIBUNE
A TRAVERS L'ÉDUCATION
I
La Coéducation
Celle rubrique forme un f,-iîilleloi volait!
iont te sujet charige lotes tes trou jou,*S.
Il y a quelque temps, je dînais en pro- I
vince chez un haut fonctionnaire — I
disons tout de suite que c'était un préfet.
La réunion n'étant que semi-officielle,
on avait admis les enfants a table. môme
le « petit derniur n,un mioche de lrois Olt
quatre ans, adorable parfois, insuppor-
table plus souvent,et, pour s'assurer eon-
tre les scènes, on avait placé tuut près lit-
lui, en face de son assiette, un éléphant
en caoutchouc dont la trompe mouvante
terrifiait le petit bonhomme.
« Toute mon autorité réside dans ce
monstre de dix-neuf sous, me dit le papa
en dépliant sa serviette. —Ce qui prouve,
répondis-je en riant, qu'il n'est pas in-
dispensable d'être pédagogue pour re-
présenter dignement le pouvoir central:
mais moi qui voyage pour l'Education,
je montrerais une impardonnable mala-
dresse si, avant le dessert, la bête et
l'enfant n'avaient pas fraternisé ensem-
ble. »
En effet, le domestique n'avait pas en-
core fait circuler le rôti que l'épouvantail
avait perdu sa vertu terrifiante. Le bébé
imprimait lui-même le mouvement à la
trompe de caoutchouc, et riait aux éclats.
Les cinq syllabes qui, réunies, forment
mon titre d'aujourd'hui, évoquent un
épouvantait plus effrayant que le « spec-
tre rouge » et en comparaison duquei le
« Féminisme » lui-même a les allures du
jeune agneau qui tette encore sa mère.
Le « Féminisme? » On hausse les épau-
le ; QD «ourtt i en lance une boutade et
•'est presque tout. Car « enfin les gens
»nt bien le droit de se rendre ridicules ! 1)
'1 n'est-ce pas « le comble du ridicule »
jue de con! redire ceux ou celles qui,
Uns un sulon « ires l.:e i ", déclarent que
i femme n'est, ne po'ut être et ne doit
'■ îre qu'un objet de luxe ?
Mais la « coéducation Il !! ! A ce mot,
hacun prend r;ur gourmé ; car « enfin,
nonsieur ou madame, on se respecte
'L.., la morale avant tout ».
Il y a bien longtrmps,hélas! (lue l'igno-
rance crée les loups-g.,t}'ùu:;!
ki, je change de t"n, et je souhaite
d'avoir, aujourd'hui, auprès de mes lec-
teurs, autant de succès que j'en ai eu,
naguère, auprès du petit tyran (hmcs-
tique dont les parents n'avaient raison
que par la peur; Cil d'autres termes, je
-nubaite que t'C)"'uvan'ai) coéducation
aille t\'join dans te musée des préjugés d'un autre
âge. Je le souhaite d'autant plus ardem-
ment que la séparation des sexes, pen-
dant les années presque exclusivement
réservées à t'''-du('a!i.tn proprement dite.
".,l re qui entrave le plus gravement la
difTusioti des idées egahtaires.
Je di ..;:;i.;, il v a un mois [l cette même.
plaep,qut' l'Etat républicain s'était d'em-
blée, el, sans y prendre garde peut-e're,
placé à la tôle du Féminisme, en créant
.m svstèm" d éducation populaireabsolu-
ment identique pour les garçons et pour
les filles : en donnant au personnel ensci-
gnant des deux sexes la même prépara-
tion professionn. Ue, et en exigeant de
ions les mêmes diplÙmes. Or, il n'a fait
en agissant ainsi — que suivre les don-
nées mêmes de la nature. En effet :
Une petite fille apprend il. parler par les
mêmes procédés maternels qu'un pe-
Ut garçon ; tous deux, ils apprennent
a reconnaître les êtres et les objets sur
les mêmes images ; plus tard, ils ap-
prennent à lire dans les mêmes livres,
à compter, à dessiner, à écrire d après les
mêmes méthodes ; et, en même temps,
parents ou maîtres s'efforcent d obtenir
d'eux l'obéissance et la confiance sans
lesquelles il n'est pas d éducation possi-
ble ; de leur inculquer l'amour du travail,
qui est la première mise en action du
~ principe de solidarité ; l'horreur du men-
songe, qui est une déchéance pour 1 in-
dividu ; sans s'en douter, enfin, dans
toutes les familles normales — et pour
tous les enfants normaux — on donne,
par la force uàAsàê "a obOfat. raison à
Descartes qui affirme que ions les hommes
(et le mot homme doit être pris ici dans
son acception la plus large) participent à
la mhn'i !'a¡sun, et que la mémoire et
l'imagination seules diff ère nt.
L'Etat républicain s'étant de son côté,
implicitement déclacé cartésien dans sa
conception de notre éducation populaire,
tout devrait aller pour le mieux.fa diu'u-
son de notre principe de justice devrait,
se faire, jour après jour,sans secousses,
sans recul, sans arrêt. Malheureusement,
la famille, imbue de préjugés, détruit
elle-même inconsciemment son œuvre et
celle de la nature, et l'école continue sans
parti pris cette éducation à rebours.
Nous avons établi tout à l'heure ce fait
que les parents donnent identiquement
la même éducation intellectuelle et, en
principe, la même éducation morale il
leurs enfants des deux sexes ; mais com-
bien de fausses manœuvres atténuent
d'abord, puis finissent par détruire les
effets de ces habitudes égalitaires ! Au
petit garçon qui ne veut pas s'endormir
sans lumière, la mère dit : « Fi le petit
peureux ! tu mériterais d'être une fille 1 »
A la petite fille qui se montre brutale :
« Je t'habillerai désormais en garçon ».
Comme si la pusillanimité devait être
la caractéristique de la future mère de
famille,comme s'il était nécessaire pour
un homme brave t!'êll'c,cn même temps,
un homme brutal!
Un peu plus tard, si le jeune écolier,
en rentrant chez lui, dénonce un cama-
rade, il sera traité par ses parents,comme
il le mérite, en « mouchard », tandis que
la petite « rapporteuse JI, sera écoutée,
consolée.
Plus lard encore, alors que le senti-
ment de l'honneur consistera exclusive-
ment, pour la petite fille devenue jeune
fille, à garder son corps de tout contact
masculin, quels que soient ses sentiments
ou ses pensées intimes, il consistera
exclusivement pour le petit garçon de-
venu jeune homme dans la solidité de sa 1
parole,ct dans la stricte régularité de ses
paiements.
La jeune fille, restée matériellement
pure, pourra commettre, sans être dis-
qualifiée, cet assassinat moral qui s 'ap-
pelle la calomnie; l'homme qui tient sa
parole et paie ce qu'il doit pourra pren-
dre la vie d'une femme, faire mettre au
monde des enfants sans père, et cepen-
dant être tenu pour uu homme d'lion-
ne"".
Ajoutez il ces lamentables principes,
donnés dans la famille même, 1 autorité
que confère la loi à l'homme, quelque
borné, quelque déraisonnable qu'il soit,
et vous évaluerez les ravages faits, par
l'éducation, sur des enfants nés égaux,
dans une société qui parle le poids de
l'ignorance et des préjugés des siècles
écoulés.
La coéducation dans l'école mettrait
les choses au point; elle atténuerait en
tout cas les fautes commises par l'édu-
cation ambiante, tandis que, sans parti-
pris, et par la force même des choses,
les écoles spéciales de garçons et les
écoles spéciales de filles creusent davan-
ag e le fossé creusé par la famille et la
société entre les intelligences et les cons-
ciences.
Malheureusement, la coéducation qui,
eh 'Z quelques-uns de nos voisins et en
Amérique donne d'excellents résultats
est.pour la majorité des Français, 1 épou-
vantail,le loup garou. C'est « l 'aboiiiiiitt-
tion de la désolation prédite par les pro-
phètes, c'est la bête de l'Apocalypse.
Demandez quelques détails aux effa-
rés... il est évident qu'ils ignorcuten quoi
elle consbtc,jc crains même qu'ils s obs-
tinent à boucher leurs oreilles, si vous
essayez de leur faire entendre la vérité.
Ne nous laissons pas décourager pnr
cette perspective, et disons ce qui en est.
La coéducation, telle qu'on la prati-
que dans quelques pays de l'Europe et
d'Amérique et telle que nous la rêvons,
consiste à recevoir dans une même classe,
à côté les uns des autres, sur les mêmes
bancs, des garçons et des filles ; à leur
donner en commun toutes les leçons ins-
crites au programme; à leur faire pren-
dre leurs repas ensemble dans un même
réfectoire, leurs récréations dans une
même cour, tout cela sous une surveil-
lance à la fois active et discrète, puis,
l'heure de l'école ayant sonné, à les ren-
dre à leurs familles.
Voilà la « bête! » vue de près, elle
n'est pas plus effrayante que ne l'était
l'éléphant en caoutchouc de mon petit
voisin de table.
Mais pour juger équitablement les
effarés de bonne foi — car il en existe
par milliers — il faut se reporter à ce
passé si proche de nous, où l'éducation
du peuple était toute entière confiéo à
un personnel qui ne connaissait la vie
Q.ijC bot ouï â!l'i.. et aui en avait entendu
raconter des choses telles que naïve-
ment, la société tout entière incarnai'
pour lui le a loup-garou ».
Rappelons-nous qu'il y a moins dC'
vingt ans, les enfants lisaient à 1 école
« Lorsque vous vous trouverez en pré-
sence d une personne d un autre sexe, ne
la regardez point en face, mais voilez
votre regard,comme ne manquait jamais
de le faire sainte une telle ». Apprenons.
si nous ne le savons pas encore, que na-
guère, dans un grand nombre de vtiïes.
et dans un plus grand nombre de com-
munes rurales, l'heure de sortie de
l'école des garçons ne coïncidait jamais
avec celle de l'école des tilles... pour
éviter les rencontres dans les rues ou sui
la route. Apprenons enfin — mais. au
fait, nul ne l'ignore puisque chacun peut
le voir de ses yeux, — que les élèves (J¡>
certaines institutions bien pensantes d'
garçons vont en promenade le mercredi...
parce que les élèves des écoles de fille.'
sortent le jeudi!
Certes, il est imprudent, pour qui veut
le progrès, de comparer aujourd liui :1
hier, au lieu de penser exclusivement à
demain ; cependant, comme 1 avemr sera
pétri do ce qui a précédé dans une plu-
large mesure encore que du moment ac-
tuel, il est nécessaire de connaître notre
point de départ, ne fLit-ce que pour nous
préserver du découragement Or voici
une chose « d'Iuer » qui me parait d'-
na:urc à réconforter ceux qui pensent
que nous marchons à pas de tortue.
Il y a une douzaine d'années, au cours
d'une tournée d'inspection, je fis part à
un inspecteur d'académie de mon désir
de faire une conférence pédagogique au
personnel des écoles de son département.
Il entra dans mes vues et les dépassa
même, car il convoqua les instituteurs
comme les institutrices, pour un certain
jeudi, à la préfecture, où une grande
salle m'avait été réservée.
En arrivant à l'heure dite, je vis, de
chaque côté de la porte d'entrée deux
groupes nombreux d'institutrices appar-
tenant à deux congrégations différentes.
De chacun, une religieuse se détacha.
s'approcha de moi, et l'une des deux me
dit :
« Madame, vous nous avez fait convo-
quer et nous nous sommes rendues à
~ votre appel ; mais en arrivant ici, de tous
les points du département, nous avons
appris
et dans ces conditions, ii nous est m'tpos'
sible d'y assister.
— Une conférence mixte... qu'est-e<ï
que C'cst '?
-- l\Iadame, il y a des instituteurs. It
Revenue de mon ahul'h::>l'll1L'lIl, je ré-
j pondis .
« La messe aussi est mixte : e'... t'hô-
pital est mixte 1 »
Les deux femmes parurent frappées
de ma boutade, elles se consultèrent .
— a Si nous avions été averties plus
lM, nous aurions demande l'aulorisatioii
à !\fllnsrig-Iwur,..
— L'archevêché pst !) loin d'u't?
— A quelques minutes M ulement.
— Kii bien ! je VOUS allcnoiai )1
Une des religieuses partit , elle de-
manda, pour son groupe scu!. L.llltuf'I.q.
lion, qui lui fut accordée , son groupo
>eul assista à la <-on)Y'!'<'ncc... nu.\tc,
tandis que l'autre groupe reprit iit'rc-
ment le h'ain.
Evidemment, nous avons fait i.'fau-
coup de progrès en peu de t<'n)p&.
PAULINE KERGOMARD.
! (A suiorp..)
MILLE FRANCS
lïotts tenons à rappeler que les
membres de la Société Française 410
l'Arbitrage entre les nations ont décida
de donner un prix de MtLLH l'It.Wt S
ai l'auteur du meilleur ouvrage d'his-
toire de France, trùs élémentaire
conçu dans le double esprit de patrie
tiSD1C et de justice.
Le concours sera ci centre. !8U0t
Paty de Clam, comment le général Mercier,
les généraux de Boisdeffre et Gonse ont pu
t'y laisser prendre, engager peu à peu leur
responsabilité dans cette erreur, qu'ils ont
cru devoir, plus tard, imposer comme la
vérité sainte, une vérité qui ne se discute
même pas. Au début, il n y a donc de leur
part tout que de l'incurie et de l'inintelligence.
out au plus, les sent-on céder aux passions
religieuses du milieu,et aux préjuges de
t'csprit de corps. Ils ont laissé faire la sot-
^Mais voici Dreyfus devant le conseil de
guerre. Le-huis clos le plus absolu est
exigé. Un traître aurait ouvert la frontière
à l'ennemi, pour conduire l'empereur alle-
oiand jusqu'à Notre-Dame, qu'on ne pren-
drait pas de mesures de silence et de mys-
tère plus étroites. La nation est frappée de
stupeur, on chuchote des faits terribles, de
ces trahisons monstrueuses qui indignent
l'Uistoire, et naturellement la nation s'in-
cline. Il n'y a pas de châtiment assez sé-
vère, elle applaudira à la dégradation pu-
blique, ello voudra que le coupable reste
sur son rocher d'infamie, dévore par le re-
mords. Est-ce donc vrai, les choses indici-
bles, les choses dangereuses, capables de
mettre l'Europe en flammes, qu'on a dû en-
terrer soigneusement derrière ce huis-clos?
Non 1 il n v a eu, derrière, que les imagi-
nations romanesques et démentes du com-
mandant du Pal y de Clam. Tout cela n'a été
fait que pour cacher le plus saugrenu des
romans-feuilletons. Et il suffit, pour s 'eii
assurer, d'étudier attentivement l 'acte d 'ac-
cusation lu devant le conseil de guerre.
Ah 1 le néant de cet acte d'accusation !
Qu'un homme ait pu être condamné sur cet
acte, c'est un prodige d'iniquité. Je défie les
honnêtes gens de le lire sans que leur cœur
bondisse d'indignation et crie leur révolte,
en pensant il l'expiation démesurée, là-bas,
it l'ile du Diable. Dreyfus sait plusieurs lan-
gues, crime; on n'a trouvé chez lui aucun
papier compromettent, crime ; il va parfois
dans son pavs d'origine, crime ; il est labo-
rieux, il a le souci de tout savoir, crime ; il
lie se trouble pas, crime ; il se trouble,
crime. Et les naïvetés de rédaction,
les formelles assertions dans le vide!
On nous avait parlé de quatorze chefs d'ac-
ousation : nous n'en trouvons qu'une seule
en tin de compte : celle du bordereau; et
nous apprenons môme que les experts
n'étaient pas d'accord, qu'un d'eux, M. Go-
bert, a été bousculé militairement, parce
qu'il se permettait de ne pas conclure dans
le sens désiré. On parlait aussi de vingt-
trois officiers qui étaient venus acoabler
Dreyfus de leurs témoignages. Nous igno-
rons encore leurs interrogatoires, mais il
est certain que tous ne l'avaient pas charge;
et il est à remarquer, en outre, que tous
appartenaient aux bureaux de la guerre.
C est un procès de famille, on est là entre
soi, et il l'ailt s'en souvenir : l'état-major a
voulu le procès, l'a jugé, et il vient de le
juger une seconde fois.
Dono, il ne restait que le bordereau, sur
lequel les experts ne s étaient pas entendus.
On raconta que, dans la chambre du con-
seil, les juges allaient naturellement ac-
quitter. Et, dès lors, comme l'on comprend
l'obstination désespérée avec laquelle, pour
justifier la condamnation, on affirma aujour-
d'hui l'existence d'une pièce secrète, acca-
blante,la pièce qu'on ne peut montrer,qui lé-
gitime tOllt,tlevanl laquelle nous devons nous
incliner, le bon dieu invisible et inconnais-
sable. Je la nie, cette pièce, je la nie de toute
ma nuisance! t'ne pièce ridicule, oui, peut-
*trc la pièce oii il est question de petites
femmes, et 011 il est parlé d'un certain D...
qui devient trop exigeant, quelque mari
sans doute trouvant qu'on ne lui payait pas
sa femme assez cher. Mais une pièce inté-
ressant la défense nationale, qu'on ne sau-
rait produire sans que la guerre fût décla-
rée demain, non, non! C'est un mensonge;
et cela est d'autant plus odieux et cynique
qu'ils mentent impunément sans quon
puisse les en convaincre. Ils ameutent la
France, ils se cachent derrière sa légitime
émotion, ils ferment les bouches en trou-
blant les cœurs, eu pervertissant les esprits.
Je ne connais pas de plus grand crimo ci-
%'^oilà donc, monsieur lePrésidenl, les faits
qui expliquant comment une erreur judi-
ciaire a pu être commise; et les preuves
morales, la situation de fortune de Dreyfus,
l'absence de motifs, son continuel cri d in-
nocence, achèvent de le montrer comme
une victime des extraordinaires imaginations
du commandant du Paty cie Cl;.m, du milieu
clérical où il se trouvait, de la chasse aux
«sales juifs u, qui déshonore notre épo-
que.
• •
Et nous arrivons à l'affaire Esterhazy.
Trois ans se sont tuasses, beaucoup de cons-
rieitc.es restent t roublées profondément, s in-
quiètent, cherchent, finissent pa1* se con-
vaincre de l'illlloceucc de Dreyfus.
Je ne ferai pas l'historique les doutes,
puis do la conviction de M. Sclicurer-Ke^L-
iîer. Mais. pendant qu d touillait de son
«ai/, il i.i«:iii dp* faits i:raves à 1 etal-
major môme. Le colonel Sandherr était
mort, et le lieutenant-colonel Picquart lui
avait succédé comme chat du bureau des
renseignements. Et c'est à oe titre, dans
l'exercice de ses fonctions, que ce dernier
eut un jour entre les mains une lettre-télé-
gramme, adressée au commandant Ester-
hazy, par un agent d'une puissance étran-
gère. Son devoir striot était d'ouvrir une
enquête. La oertitude est qu'il n'a Jamais
agi en dehors de la volonté de Mt supé-
rieurs. Il soumit dono ses soupçons a ses
supérieurs hiérarchiques, le général Gonse,
puis le général de Boisdeffre, puis le
général Billot, qui avait succédé au gé-
néral Meroier oomme ministre de il.
guerre. Le fameux dossier Pioquart, dont il
a été tant parlé, n'a jamais été que le dos-
sier Billot, j'entends le dossier fait par un
subordonné pour son ministre, le dossier
qui doit exister encore au ministère de la
guerre. Les recherches durèrent de mai à
septembre 1896; et ce qu'il faut affirmer bien
haut, c'est que le général Gonse était con-
vaincu de la culpabilité d'Est.erhazy, c'est
que le général de Boisdetfre et le général
Billot ne mettaient pas en doute que le fa-
meux bordereau fût de l'écriture d'Ester-
hazy. L'enquête du lieutenant-colonel Pic-
quart avait abouti à celte constatation
certaine. Mais l'émoi était grand, car la con-
damnation d'Esterhazy entraînait inévita-
blement la revision du procès Dreyfus; et
c'était ce que l'état-major ne voulait à aucun
prix.
Il dut y avoir là une minute psychologi-
que pleine d'angoisse. Remarquez que le
général Billot n'était compromis dans rien,
il arrivait Lout frais, il pouvait fairo la vé-
rité. Il n'osa pas, dans la terreur sans doute
de l'opinion publique; certainement, aussi
tans la crainte de livrer tout t'état-major,
le général de Boisdell'l'e, le général Gonse, ■
sans compter les sous-ordres. Puis ce ne
fut là qu'une minute de combat entre sa
conscience et ce qu'il croyait être l'intérêt
militaire. Quand cette minute fut passée, il
était déjà trop tard. Il s'était engagé,il ("Iliii
compromis. Et, depuis lors, sa responsabi-
lité n'a fait que grandir, il a pris à sa charge
le crime des autres, il est aussi coupable
que les autres, il est plus coupable qu *etl-\-,
car il a été le maître de faire justice, et il
n'a rien fait. Comprenez-vous cela 1 voici
un an que le général Billot, que les géné-
raux de Boisdeffre et Gonse savent que
Dreyfus est innocent, et ils ont gardé pour
eux cette effroyable chose. Et ces gens là
dorment,et ils ont des femmes et des entants
qu'ils aiment !
Le colonel Picquart avait rempli son de-
voir d'honnête homme. Il insistait auprès
de ses supérieurs, au nom de la justice. il
' les suppliait même, il leur disait combien
leurs délais étaient impo!itiqucs devant le
terrible orage qui s'am'.ucetait, qui devait
fêtait', lorsque la vérité serait cont'uc. Ce
l'ut, plus tard, le langage que M. Scheurer-
Kestner tint également au général t{)Hot.
l'adjurant par patriotisme de prendre en
main l'affaire, de ne [KIS la laisser s ag-
ir ra ver, au point de devenir un desastre
public. Non! le crime était commis, t't':ta!
major ne pouvait plus avouer son crime.
Et le lieutenaut-cclonel Picquart fut envoyé
en mission, on l'cloiprna de plus loin t'il plus
loin, jusqu'en Tunisie, olt l'on voulut môme
un jour honorer sa bravoure, en le char-
geant d'une mission qui l'aurait fait sûre-
ment massacrer, dans les parages où le
marquis de Murés a trouve la mort. Il
j n'eL-ot pas en disgrâce, le générât Gons-
entretenait avec lu: une correspondance
amicale. Seulement, il est des secrets qu'il
ne fait pas bon d'avoir surpris.
A Paris, la vérité marchait, irrésistible,
et l'on sait de qu-lle façon l'orage attendu
ectata. M. Mathieu Dreyfus dénonça le coin-
mandant Esterhazy comme t' véritable au-
teur du bordereau, au moment oiI M. Scheu-
rer-Kestner allait déposer, entre les mains
,lu garde des sceaux, une demande en ré-
vision du procès. Et c'est ici que le com-
mandant Esterhazy parait. Des témoigna-
ges le montrent d'abord aft'ote, prêt au sui-
cide ou à la fuite. Puis, tout d'un coup, il
paye d'audace, il étonne Paris par la vio-
lence de son attitude. C'est que du secours
lui était venu, il avait reçu une lettre ann-
nyme t'avertissant des menées de ses enne-
lIIis, une dame mystérieuse s'était même
dérangée de nuit pour lui remettre une
pièce volée à l'état-major, qui devait, le
sauver. Et je ne puis m'empêcher de re-
trouver là le !ieutenaut-co!one! du Paty de
«îl.mi, eu reconnaissant les expédients de
son imagination fertile, Son œuvre, la cul-
pabiiit'- «le Dreyfus, et AIL EN JXTII, et il
,i voulu sûrement détendre son œu-
vre, la revision du procès: mais c'e! ail
t'ecrou!emeut du rOIl1ll1l-I',milldtl!l si e\tra-
vagant. si trngiqlle, dont le dénouement
abominable a lieu à l'île du Diable! I. est ce
-iu'it ne pjuvut per-tnefti'e. Des lors, le duel
v.! avoir lien entre le lieutenant-colonel
Picquart ef le lieutenant-colonel du Pal y de
Cl;,m, l'un le visage decouvr). )'au!re mas-
qué. Ou les retrouvera prochainement tous
deux devant la justice civile. Au fond, c'est
toujours l'état-major qui se défend, qui ne
veut pas avouer son crime, dont l'abomina-
tion grandit d'heure en heure.
On s'est demandé aveo stupeur quels
étaient les protecteurs du commandant
Esterhazy. C est d'abord, dans l'ombre, le
lieutenant-colonel du Paty de Clam, qui a
i tout machiné, qui a tout conduit. Sa main
I se trahit aux moyens saugrenu. Puis c'ait
le général de Boisdeffre, o'est le général
Gonse, c'est le général Billot lui-méme, qui
sont bien obliges de faire acquitter le com-
mandant, puisqu'ils ne peuvent laisser re-
connaître l'innocence de Dreyfus, sans que
les bureaux de la guerre croulent sous le mé-
pris public. Et le beau résultat de cette situa-
tion prodigieuse, c'est que l'honnête homme
là-dedans, le lieutenant-colonel Picquart,
qui seul a fait son devoir, va être la victime,
celui qu'on bafouera et qu'on punira. 0 jus-
tice, quelle affreuse désespérance Serre le
cœurf On va jusqu'à dire que c'est lui le
faussaire, qu'il a fabriqué la carte-télé-
gramme pour perdre Esterhazy. Mais, grand
Dieu! pourquoi? dans quel but? Donnez un
motif. Est-ce que celui-là aussi est pavé
par les juifs? Le joli de l'histoire est qu'il
etait justement antisémite. Oui! nous assis-
tons à ce spectacle infâme, des hommes
perdus de dettes et de crimes dont on pro-
clame l'innocence, tandis qu'on frappe
l'honneur même, un homme à la vie sans
tache! Quand une société en est là, elle
tombe en décomposition.
Voilà donc, monsieur le Président, l'af-
fairo Esterhazy: un coupable qu'il s'agissait
d'innocenter. Depuis bientôt deux mois,
nous pouvons suivre heure par heure la
belle besogne. J'abrège, car ce n'est ici, en
gros, que le résumé de l'histoire dont les
brûlantes pages seront un jour écrites tout
ati long, Et nous avons donc vu le général
(le Pellieux, puis le commandant lia va r y,
conduire une enquête scélérate, d'où les
coquins sortent transfigurés et les honnêtes
gens salis. Puis, on a convoqué le conseil
de guerre.
• *
Comment a-t-on pu espérer qu'un conseil
de guerre déferait ce qu'un conseil de
guerre avait fait?
Je no parle même pas du choix toujours
possible des juges. L'idée supérieure de dis-
cipline, qui est dans le sang de ces soldats,
ne suffit-elle il infirmer leur pouvoir même
d'équité? Qui dit, discipline dit, obéissance.
Lorsque le ministère de la guerre, le grand
chef, a établi publiquemant, aux acclama-
tions de la représentation nationale, l'auto-
rité absolue de la chose jugée, vous voulez
qu'un conseil de guerre lui donne un formel
démenti? Hiérarchiquement, cela est impçs*-
sible. Le général Billot a suggestionné les
juges par sa déclaration, et ils ont juge
comme ils doivent aller au feu, sans raison-
ner. L'opinion précouçuequ'ils ont apportée
sur leur siège est évidemment, celle-ci :
" Dreyfus a été condamné pour crime de
trahison par un conseil de guerre; il est
donc coupable, et nous, conseil de guerre,
sious ne pouvons le déclarer innocent; or
nous savons que reconnaître la culpabilité
d'E,;torhazy, ce serait proclamer l'innocence
de Dreyfus. )J Hien ne pouvait les faire sor-
Lir do là!
Ils ont rendu une sentence inique qui a
jamais pèsera sur nos conseils de guerre,
qui entachera désormais de suspicion tous
leurs arrêts. Le premier conseil de guerre
a pu être inintelligent, le second est forcé-
ment criminel. Son excuse, je le répète, est
que le chef suprême avait parlé, déclarant
la chose jugée inattaquable, sainte et su-
périeure aux hommes, de sorte que des
inférieurs ne pouvaient dire le contraire.
On nous parle de l'honneur de l'armée, on
veut que nous l'aimions, que nous la res-
pections. Ah! certes, oui, l'armée qui se
lèverait à la première menace, qui défen-
drait la terre française, elle est touL le peu-
ple et nous n'avons pour elle que tendresse
et respect. Mais il ne s'agit pas (l'elle, dont
nous voulons justement la dignité, dans
notre besoin de justice. Il s'agit du sabre,
le maître qu'on nous donnera demain peut-
être. Et baiser dévotement la poignee du
sabre, le dieu, non ! .
Je l'ai démontré d'autre part; 1 affaire
Dreyfus était l'affaire des bureaux de la
guerre, un officier de t'état-major, dénoncé
par ses camarades de l'état-major, COIl-
damné sous la pression des chefs de 1 état-
major. Encore une fois, il ne peut revenir
innocent, sans que tout l'état-major soit
coupable. Aussi les bureaux, par tous les
moyens imaginables, par des campagnes de
presse, par des influences, n'ont-ils couvert
K-'crtmzy que pour perdre une seconde fois
Oreytus. Ah! quel coup de balai le gouver-
nement républicain devrait donner dans
cette jésuitière, ainsi que les appelle le gé- '
néraf Billot lui-même! 011 est-il le ministere
vraiment fort et d'un patriotisme sage, qui
osera tout y refondre et tout y renouve-
1er '! Que dé gens je connais qui, devant
une guerre possible, t remblent d'angossc,
en Sl chant dans quelles mains est la dé-
fense nationale, et quel nid de basses in-
trigues, de commérages et de dilapidations,
est devenu cet asile sacré, où se décide le
sort de la patrie 1 On s'épouvante devant le
iour terrible que vient d'y jeter l'affaire
Dreyfus, cataerifloe humain d'un malheu-
reux, d'un « «aie juif .1 Ahl tout ce qui I
s'est agité là de démenoe et de sottise, des
imaginations folles, des pratiques de basse
police,des moeurs d'inquisition et de tyran-
nie. te bon plaisir de quelques galonnés
mettant leurs bottes sur la nation, lui ren-
trant dans la gorge son cri de vérité et de
jualiee, sous le prétexte menteur et sacri-
lège de la raison d'Etat 1
Et c'est un crime encore que de s'être ap-
puyé sur la presse immonde, que de s'être
laissé défendre par toute la fripouille de Pa-
ris,de sorte que voilà la fripouille qui triom-
phe insolemment, dans la défaite du droit
et de la simple probité. C'est un crime d'a-
voir accusé de troubler la France ceux qui
la veulent généreuse, à la tête des nations
libres et justes, lorsqu'on ourdit soi-même
l'impudent complot d'imposer l'erreur, de-
vant le monde entier. C'est un crime d'éga-
rer l'opinion, d'utiliser pour une besogne de
mort cette opinion qu'on a pervertie Jusqu'à
la faire délirer.Cest un crime d'empoisonner
les petits et les humbles, d'exaspérer les
passions de réaction et d'intolérance, en
s'abritant derrière l'odieux antisémitisme,
dont la grande France libérale des droits
de l'homme mourra, si elle n'en est pas
guérie. C'est un crime que d'exploiter le
patriotisme pour des œuvres de haine, el.
c'est un crime enfin que de faire du sabre
le dieu moderne, lorsque toute la science
humaine est au travail pour l'œuvre pro-
chaine de vérité et de justice.
Cette vérité, cette justice, que nous avons
si passionnément voulues, quelle détresse
à les voir ainsi souffletées, plus méconnues
et plus obscurcies! Je me doute de l'écroule-
ment qui doit avoir heu dans l'âme de M.
Scheurer-Kestner, ot je crois bien qu'il
finira par éprouver un remords, celui de
n'avoir pas agi révolutionnairement, le jour
de l'interpellation au Sénat, en lâchant tout
le paquet, pour tout jeter à bas. Il a été le
grand honnête homme, l'homme de sa vie
loyale, il a cru que la vérité se suffisait à
elfe-même, surtout lorsqu'elle lui apparais-
sait éclatante comme le plein jour. A quoi
bon tout bouleverser, puisque bientôt le
soleil allait luire? Et c'est de cette sérénité
confiante qu'il est si cruellement puni. De
même pour le lieutenant-colonel Picquart,
qui, par un sentiment de haute dignité, n'a
pas voulu publier les lettres du général
Gonse. Ces scrupules l'honorent d'autant
plus que, pendant qu'il restait respectueux
de la discipline, ses supérieurs le faisaient
couvrir do boue, instruisaient eux-mêmes
son procès, de la façon la plus inattendue et
la plus outrageante. Il y a deux victimes,
deux braves gens, deux cœurs simples, qui
ont laissé faire Dieu. tandis que le diable I
agissait. Et l'on a même vu, pour le lieute-
nant-colonel Picquart, cette chose ignoble :
un tribunal français, après avoir laissé ln
rapporteur charger publiquement un té-
moin, l'accuser de toutes les fautes, a fait
le huis clos, lorsque ce témoin a été intro-
duit pour s'expliquer et se défendre. Je dis
que cela est un crimede plus etquececrime
soulèvera la conscience universelle. Décidé-
ment, les tribunaux militaires se font une
singulière idée de la justice.
Telle est doue la simple vérité, monsieur
le Président, elle est elfroyable, elle restera
pour votre présidence une souillure. Je me
doute bien que vous n'avez aucun pouvoir
en cette affaire, que vous êtes le prisonnier
de la Constitution et de votre entourage.
Vous n'en avez pas moins un devoir
d'homme, auquel vous songerez, et que
vous remplirez. Ce n'est pas, d'aillem',.;,
que je désespère le moins du monde du
triomphe. Je répète avec une certitude
plus véhémente : la vérité est en marche
et rien de l'arrêtera. C est d aujourd liui
seulement que l'atlairc commence, puis-
queaujourd'hui seulement les posilionssonl
nettes: d'une part. les coupables qui ne
veulent pas que la lumière se fasse; de
I l'autre, les justiciers qui donneront leur vie
pour qu'elle soit l'aile. Quand on enferme la
vérité sons terre, elle s'y amasse, elle
y prend une force telle d'explosion que,
le jour oll elle éclate, elle fait tout sauter
avec elle. On verra bien si l'on ne vient pas
de préparer, pour plus tard, le plus reten-
tissant des désastres.
* »
Ma is cette lettre est lon'.rue, monsieur le
Président, et il est temps de conclure.
J'accuse le lieutenant-colonel du Paty de
Clam d'avoir été l'ouvrier diabolique de l'er-
reur judiciaire, en inconscient, je veux le
croire, et d'avoir ensuite défendu son œu-
vre néfaste, depuis trois ans, par les machi-
nations les plus saugrenues et les plus cou-
pables..
J'accuse le général Mercier de s être
rendu complice, tout au moins par faiblesse
d'esprit, d'une des plus grandes illiquiétès
du siècle.
J'accuse le général Billot d avoir eu
entre les mains les preuves certaines de
l'innocence de Dreyfus et de les avoir
étouffées, de s'ètre rendu coupable de ce
crime de lèse-humanité et de lèse-justice
dans un but politique et pour sauver l'état-
major compromis.
J accuse le général de Boisdeffre et le
du général Gonse de s'être rendus complices
u même crime, l'un sans doute par pas-
sion cléricale, l'autre peut-être par cet es-
prit de corps qui fait des bureaux de la
guerre l'arène sainte inattaquable.
J'accuse le générale de Pellieux et le com-
mandant Ravary d'avoir fait une enquête
soélérale, j'entends par là une enquête de
la plus monstrueuse partialité, dont nous
avons, dans le rapport du seoond, un impé-
rissable monument de naïve audace.
J'accuse les trois experts en écritures,
les sieurs Belhomme, Varinard et Couard,
d'avoir fait des rapports mensongers et
frauduleux, à moins qu'un examen médical
ne les déclare atteints d'une maladie de la
vue et du jugement.
J'accuse les bureaux de la guerre d'avoir
mené dans Is presse, particulièrement
dans l'Eclair et dans l'Echo de Paris, une
campagne abominable, pour égarer l'opi-
nion et couvrir leur faute.
J'accuse enfin le premier conseil de
guerre d'avoir violé le droit, en condam-
nant un accusé sur une pièce restée se-
crète, et j'accuse le second conseil de guerre
d'avoir couvert cette illégalité, par ordre,
en commettant il son tour le crime juridi-
! que d'acquitter sciemment un coupable.
En portant ces accusations, je n'ignore
pas que je me mets sous le coup des arti-
cles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29
juillet 1881, qui punit les délits de diffama-
Lion. Et c'est volontairement que je m'ex-
pose..
Quant aux gens que j'accuse, je ne les
connais pas, je ne les ai jamais vus, je n'ai
contre eux m rancune ni haine. Ils ne sont
pour moi que des entités, des esprits de
malfaisance sociale. Et l'acte que j'accom-
plis ici n'est qu'un moyen révolutionnaire
pour hâter l'explosion de la vérité et de la
justice. ,
Je n'ai qu'une passion, celle de la lumière,
au nom ae l'humanité qui a tant souffert
et qui a droit au bonheur. Ma protestation
enflammée n'est que le cri de mon âme.
Qu'on ose donc me traduire en cour d'assi-
ses et que l'enquête ait lieu au grand jour !
J'attends.
Veuillez agréer, monsieur le Président,
l'assurance de mon profond respect.
EMILE ZOLA.
Chose Jugée
M. Estherazy est sorti du conseil de guerre
la tète haute, comme il y était entré; et les
journaux qui s'étaient portés garants de sou
honneur nous affirment que le pays, que
l'opinion, sont ravis et que la plus grande
joie que puisse éprouver la France, après
la visite de l'Empereur de Russie, est de
voir porter les armps à cet étourdissant
militaire.
Pour la part du pays et de l'opinion que
nous représentons personnellement, et que
les journaux du commandant ont néglige
de consulter, nous apporterons quelques
réserves à ces déclarations.
Quand un homme nous assure qu'il es!
capable de tout, sans trop le prendre au
mot, il convient d'accorder quelque crédit
il ses discours : à l'ordinaire, il faut plutôt
se défier des gens qui nous affirment être
en état de faire les plus grandes choses ;
mais rarement l'on se vante sans aucun
fondement d'être un scélérat. Nous nous
en tiendrons sur le compte du comman-
dant à une opinion moyenne, désirant il
la fois conceder quelque chose à ses
amis en dolman et en redingote, qui nous
jurent qu'il est un ange; ne pas trop con-
trarier le commandant, nous assurant lui-
même qu'il est un bandit; et ne pas dédai-
gner non plus le témoignage de sa conduite,
que le commandant Ravary n'ose offrir
comme modèle aux jeunes officiers — en
quoi il fait sagement, à notre avis.
Quant à la lumière qui sort des débats,
elle est aveuglante, parait-il, pour les jour-
nalistes amis du commandant. Pour nous
qui avons l'optique moins délicate, nous
sommes obliges de reconnaître que la ma-
çonnerie de l'Hôtel du Cherche-Midi, inter-
posée entre nos yeux et les débats, nous ;t
suffisamment protégé la vue, et que la vé-
rité ne saurait nous éblouir à travers un
écran do cette opacité.
Nous eussions tant aimé écouter le colo-
nel l'icquart, chargé publiquement de tous
les forfaits par Esterhazy — si entendu aux
choses de l'honneur — nous parler un peu
de cette affaire. Il a bien dû trouverquslque
chose à répondre pour sa défense; et j'ima-
gine qu'ayant le premier aperçu les infir-
mités temporaires du brave commandant,
l'exposé pathologique qu'Il en lit devant le
conseil de guerre ne dut pas être dépourvu
de tout intérêt. Mais quelle malencontreuse
fatalité fait que lorsque l'état-major accuse
publiquement les gens, la sûreté de l'Etat
t'obtige en même temps à bâillonner ses
victimesl Hélas 1 il nous a donc fallu sortir.
Aussi nous demeurons là, lamentablement,
au point où nous étions quand le comman-
dant Esterhazy,avec ce maintien ferme, ce
regard asssuré,que seules peuvent donner
une belle âme et la sincérité d'une cons-
cience ïrréprochable, entra dans le tribunal.
Et il n'y a pas que nous qui soyons dans
cette posture. L'affaire Dreyfus — qui
n'existe pas, M. Mélino nous l'a assuré, et
l'on sait qu'aujourd'hui, comme au temps
du bonhomme Paul, un ministre ne ment
jamais, surtout à la tribune — nous semble
exactement au point où elle était aupara-
vant. Les journaux qui n'en veulent pas
convenir nous paraissent manquer de logi-
que, sans compter quelques autres lacunes
plus ou moins volontaires et regrettables
dans leur entendement. Puisqu'ils nous
avaient fait connaître par avance les termes
du jugement,ce n'est pas la lecture qu'un
en a faite devant la garde assemblée qui a
subitement changé la question.
Pour nous, qui ne saurions commenter
avec cette pénétration les choses que l'on
nous cache, nous nous bornons à apprécier
ce que nous voyons.
Le comle EsLerhazy fut dénoncé par Ma-
thieu Dreyfus comme ayant écrit le borde-
reau qui fit condamner son frère. La dénon-
ciation était appuyée par des spécimens
d'écriture qui, ccux-Ià,exposé8 en toute lu-
mière,permirent à chacun de se faire uno
'pinion. Le ministre,ému de l'accusation, fit
faire une enquête dont la marche rappela
plutôt les procédés qui valurent des succès
il Monlrouge, au théâtre de l'Athénée, qua
ceux que l'on enseigne dans les facultés de
Droit. Elle aboutit à celle conclusion que le
comte Esterhazy, accusé d'avoir écrit le
hordereau,n'avait pas trahi son pays. Quand
elle aurait conclu en même temps qu'il
n'avait pas assassiné la demoiselle de la.
rue Picrre-Ie-Grand,on aurait pu fournir
au Tribunal militaire un nouveau sujet da
l'acquitter, sans qu'il en jaillisse un éclair-
cissement décisif sur la confection du bor-
dereau.
Si l'on entend, maintenant, que la recon-
naissance de l'innocence d'Esterhazy sur le
chef de trahison — que nous ne refusons
pas du tout d'admettre — quelque opinion
qu'au demeurant nous puissions conserver
sur lui et sur la complaisance de ses juges,
— démontre une fois de plus la culpabilité
de Dreyfus, c'est encore une de ces vérités
3ue la faiblesse de notre vue nous empêche
apercevoir : et combien nous comprenons
M. Duclaux, successeur de Pasteur, nous
certifiant qu'avec de pareilles méthodes tiO
raisonnement, on en serait encore aux pre-
mières divagations alchimistes.
La culpabilité de Dreyfus ne peut res-
sortir que de la conviction de sa trahison
t'l, à tout prendre, nous préférions encore,
dans l'ignorance, nous en rapporter à l'ar-
rêt des premiers juges, car cette lois l'ac-
cusé était il deux milles lieues et son
défenseur hors la maison de justice.
Dire : un tribunal a condamné un homme,
donc il est coupable; c'est encore un rai-
sonnement; et pour écarter de not re pensée
l'obsession d'un supplice immérité, nous
nous y élions sincèrement ralliés pendant
trois ans. Nous en avons singulièrement
rabattu depuis, car la vérité, dont aUelil18
compression ne peut venir définilivemenl à
bout,a filtré toute entière à travers les cal-
feutrages du prétoire; et la lecture de l'acte
d'accusation permet à chacun de juger en
connaissance de cause, et l'accusé, et les
juges.
M. de Cassagnac, polémiste bouillonnant
de haine et de passion,dont l'opinion mente
néanmoins l'attention pour son indéniable
sincéi-ilé,aftiri)ie que l'illégalité n'eutraine
pn aucune façon l'idée d'une in ,iu-,tiOe. C'rst
une étrange théorie qui sent terriblement
le fagot, ou plutôt la bombe, et qu'on eut
attendue avec moins de surprise d'un anar-
chiste que d'un prétorien de César.
Si l'illégalité peut s'accorder avec la JlIS-,
tice,il n'y a qu'à supprimer le code, et lais-
ser chacun se fairejuslice soi-même. Il nous
a toujours paru que les règles de la justice
n'avaient été établies, et ne méritaient le
respect, que parce que, dans leur observa-
t Ion seule, peut se trouver une garantie
contre l'iniquité.
Peut-on soutenir qu'un tribunal fonde par
la Ici, armé par elle d'un droit de vie et -tt*
mort sans contrôle, puisse violer dans uu
jugement cette loi qui lui confère son auto-
rité, au nom de laquelle il prononce son
arrêt, sans tendre vers l'injushce?
Une jurisprudence constante, dans tous
les pays civilisés, casse toutes les procé-
dures où la moindre incorrection a pu être
révélée, affirmant par cette sévérité impi-
toyable qu'en dehors des tonnes rigouiyu-
,,"s de la loi il ne pt'lH y avoir des garanties
de jusllce. Et cette précaution tllt'ùlI prend
de faire respecter les moindres presenp-
lions de la loi. serait inutile pour la plus
erave des règles de la justn-L-, et, dans ta
rireoiistaiief,, I',)Ii imaginerait (pie la ili-lied
puisse se concilier avec la plus violente
■ tMégalilé. Infuser détendre l'.l..tllll'adlclùl.
LA TRIBUNE
A TRAVERS L'ÉDUCATION
I
La Coéducation
Celle rubrique forme un f,-iîilleloi volait!
iont te sujet charige lotes tes trou jou,*S.
Il y a quelque temps, je dînais en pro- I
vince chez un haut fonctionnaire — I
disons tout de suite que c'était un préfet.
La réunion n'étant que semi-officielle,
on avait admis les enfants a table. môme
le « petit derniur n,un mioche de lrois Olt
quatre ans, adorable parfois, insuppor-
table plus souvent,et, pour s'assurer eon-
tre les scènes, on avait placé tuut près lit-
lui, en face de son assiette, un éléphant
en caoutchouc dont la trompe mouvante
terrifiait le petit bonhomme.
« Toute mon autorité réside dans ce
monstre de dix-neuf sous, me dit le papa
en dépliant sa serviette. —Ce qui prouve,
répondis-je en riant, qu'il n'est pas in-
dispensable d'être pédagogue pour re-
présenter dignement le pouvoir central:
mais moi qui voyage pour l'Education,
je montrerais une impardonnable mala-
dresse si, avant le dessert, la bête et
l'enfant n'avaient pas fraternisé ensem-
ble. »
En effet, le domestique n'avait pas en-
core fait circuler le rôti que l'épouvantail
avait perdu sa vertu terrifiante. Le bébé
imprimait lui-même le mouvement à la
trompe de caoutchouc, et riait aux éclats.
Les cinq syllabes qui, réunies, forment
mon titre d'aujourd'hui, évoquent un
épouvantait plus effrayant que le « spec-
tre rouge » et en comparaison duquei le
« Féminisme » lui-même a les allures du
jeune agneau qui tette encore sa mère.
Le « Féminisme? » On hausse les épau-
le ; QD «ourtt i en lance une boutade et
•'est presque tout. Car « enfin les gens
»nt bien le droit de se rendre ridicules ! 1)
'1 n'est-ce pas « le comble du ridicule »
jue de con! redire ceux ou celles qui,
Uns un sulon « ires l.:e i ", déclarent que
i femme n'est, ne po'ut être et ne doit
'■ îre qu'un objet de luxe ?
Mais la « coéducation Il !! ! A ce mot,
hacun prend r;ur gourmé ; car « enfin,
nonsieur ou madame, on se respecte
'L.., la morale avant tout ».
Il y a bien longtrmps,hélas! (lue l'igno-
rance crée les loups-g.,t}'ùu:;!
ki, je change de t"n, et je souhaite
d'avoir, aujourd'hui, auprès de mes lec-
teurs, autant de succès que j'en ai eu,
naguère, auprès du petit tyran (hmcs-
tique dont les parents n'avaient raison
que par la peur; Cil d'autres termes, je
-nubaite que t'C)"'uvan'ai) coéducation
aille t\'join
âge. Je le souhaite d'autant plus ardem-
ment que la séparation des sexes, pen-
dant les années presque exclusivement
réservées à t'''-du('a!i.tn proprement dite.
".,l re qui entrave le plus gravement la
difTusioti des idées egahtaires.
Je di ..;:;i.;, il v a un mois [l cette même.
plaep,qut' l'Etat républicain s'était d'em-
blée, el, sans y prendre garde peut-e're,
placé à la tôle du Féminisme, en créant
.m svstèm" d éducation populaireabsolu-
ment identique pour les garçons et pour
les filles : en donnant au personnel ensci-
gnant des deux sexes la même prépara-
tion professionn. Ue, et en exigeant de
ions les mêmes diplÙmes. Or, il n'a fait
en agissant ainsi — que suivre les don-
nées mêmes de la nature. En effet :
Une petite fille apprend il. parler par les
mêmes procédés maternels qu'un pe-
Ut garçon ; tous deux, ils apprennent
a reconnaître les êtres et les objets sur
les mêmes images ; plus tard, ils ap-
prennent à lire dans les mêmes livres,
à compter, à dessiner, à écrire d après les
mêmes méthodes ; et, en même temps,
parents ou maîtres s'efforcent d obtenir
d'eux l'obéissance et la confiance sans
lesquelles il n'est pas d éducation possi-
ble ; de leur inculquer l'amour du travail,
qui est la première mise en action du
~ principe de solidarité ; l'horreur du men-
songe, qui est une déchéance pour 1 in-
dividu ; sans s'en douter, enfin, dans
toutes les familles normales — et pour
tous les enfants normaux — on donne,
par la force uàAsàê "a obOfat. raison à
Descartes qui affirme que ions les hommes
(et le mot homme doit être pris ici dans
son acception la plus large) participent à
la mhn'i !'a¡sun, et que la mémoire et
l'imagination seules diff ère nt.
L'Etat républicain s'étant de son côté,
implicitement déclacé cartésien dans sa
conception de notre éducation populaire,
tout devrait aller pour le mieux.fa diu'u-
son de notre principe de justice devrait,
se faire, jour après jour,sans secousses,
sans recul, sans arrêt. Malheureusement,
la famille, imbue de préjugés, détruit
elle-même inconsciemment son œuvre et
celle de la nature, et l'école continue sans
parti pris cette éducation à rebours.
Nous avons établi tout à l'heure ce fait
que les parents donnent identiquement
la même éducation intellectuelle et, en
principe, la même éducation morale il
leurs enfants des deux sexes ; mais com-
bien de fausses manœuvres atténuent
d'abord, puis finissent par détruire les
effets de ces habitudes égalitaires ! Au
petit garçon qui ne veut pas s'endormir
sans lumière, la mère dit : « Fi le petit
peureux ! tu mériterais d'être une fille 1 »
A la petite fille qui se montre brutale :
« Je t'habillerai désormais en garçon ».
Comme si la pusillanimité devait être
la caractéristique de la future mère de
famille,comme s'il était nécessaire pour
un homme brave t!'êll'c,cn même temps,
un homme brutal!
Un peu plus tard, si le jeune écolier,
en rentrant chez lui, dénonce un cama-
rade, il sera traité par ses parents,comme
il le mérite, en « mouchard », tandis que
la petite « rapporteuse JI, sera écoutée,
consolée.
Plus lard encore, alors que le senti-
ment de l'honneur consistera exclusive-
ment, pour la petite fille devenue jeune
fille, à garder son corps de tout contact
masculin, quels que soient ses sentiments
ou ses pensées intimes, il consistera
exclusivement pour le petit garçon de-
venu jeune homme dans la solidité de sa 1
parole,ct dans la stricte régularité de ses
paiements.
La jeune fille, restée matériellement
pure, pourra commettre, sans être dis-
qualifiée, cet assassinat moral qui s 'ap-
pelle la calomnie; l'homme qui tient sa
parole et paie ce qu'il doit pourra pren-
dre la vie d'une femme, faire mettre au
monde des enfants sans père, et cepen-
dant être tenu pour uu homme d'lion-
ne"".
Ajoutez il ces lamentables principes,
donnés dans la famille même, 1 autorité
que confère la loi à l'homme, quelque
borné, quelque déraisonnable qu'il soit,
et vous évaluerez les ravages faits, par
l'éducation, sur des enfants nés égaux,
dans une société qui parle le poids de
l'ignorance et des préjugés des siècles
écoulés.
La coéducation dans l'école mettrait
les choses au point; elle atténuerait en
tout cas les fautes commises par l'édu-
cation ambiante, tandis que, sans parti-
pris, et par la force même des choses,
les écoles spéciales de garçons et les
écoles spéciales de filles creusent davan-
ag e le fossé creusé par la famille et la
société entre les intelligences et les cons-
ciences.
Malheureusement, la coéducation qui,
eh 'Z quelques-uns de nos voisins et en
Amérique donne d'excellents résultats
est.pour la majorité des Français, 1 épou-
vantail,le loup garou. C'est « l 'aboiiiiiitt-
tion de la désolation prédite par les pro-
phètes, c'est la bête de l'Apocalypse.
Demandez quelques détails aux effa-
rés... il est évident qu'ils ignorcuten quoi
elle consbtc,jc crains même qu'ils s obs-
tinent à boucher leurs oreilles, si vous
essayez de leur faire entendre la vérité.
Ne nous laissons pas décourager pnr
cette perspective, et disons ce qui en est.
La coéducation, telle qu'on la prati-
que dans quelques pays de l'Europe et
d'Amérique et telle que nous la rêvons,
consiste à recevoir dans une même classe,
à côté les uns des autres, sur les mêmes
bancs, des garçons et des filles ; à leur
donner en commun toutes les leçons ins-
crites au programme; à leur faire pren-
dre leurs repas ensemble dans un même
réfectoire, leurs récréations dans une
même cour, tout cela sous une surveil-
lance à la fois active et discrète, puis,
l'heure de l'école ayant sonné, à les ren-
dre à leurs familles.
Voilà la « bête! » vue de près, elle
n'est pas plus effrayante que ne l'était
l'éléphant en caoutchouc de mon petit
voisin de table.
Mais pour juger équitablement les
effarés de bonne foi — car il en existe
par milliers — il faut se reporter à ce
passé si proche de nous, où l'éducation
du peuple était toute entière confiéo à
un personnel qui ne connaissait la vie
Q.ijC bot ouï â!l'i.. et aui en avait entendu
raconter des choses telles que naïve-
ment, la société tout entière incarnai'
pour lui le a loup-garou ».
Rappelons-nous qu'il y a moins dC'
vingt ans, les enfants lisaient à 1 école
« Lorsque vous vous trouverez en pré-
sence d une personne d un autre sexe, ne
la regardez point en face, mais voilez
votre regard,comme ne manquait jamais
de le faire sainte une telle ». Apprenons.
si nous ne le savons pas encore, que na-
guère, dans un grand nombre de vtiïes.
et dans un plus grand nombre de com-
munes rurales, l'heure de sortie de
l'école des garçons ne coïncidait jamais
avec celle de l'école des tilles... pour
éviter les rencontres dans les rues ou sui
la route. Apprenons enfin — mais. au
fait, nul ne l'ignore puisque chacun peut
le voir de ses yeux, — que les élèves (J¡>
certaines institutions bien pensantes d'
garçons vont en promenade le mercredi...
parce que les élèves des écoles de fille.'
sortent le jeudi!
Certes, il est imprudent, pour qui veut
le progrès, de comparer aujourd liui :1
hier, au lieu de penser exclusivement à
demain ; cependant, comme 1 avemr sera
pétri do ce qui a précédé dans une plu-
large mesure encore que du moment ac-
tuel, il est nécessaire de connaître notre
point de départ, ne fLit-ce que pour nous
préserver du découragement Or voici
une chose « d'Iuer » qui me parait d'-
na:urc à réconforter ceux qui pensent
que nous marchons à pas de tortue.
Il y a une douzaine d'années, au cours
d'une tournée d'inspection, je fis part à
un inspecteur d'académie de mon désir
de faire une conférence pédagogique au
personnel des écoles de son département.
Il entra dans mes vues et les dépassa
même, car il convoqua les instituteurs
comme les institutrices, pour un certain
jeudi, à la préfecture, où une grande
salle m'avait été réservée.
En arrivant à l'heure dite, je vis, de
chaque côté de la porte d'entrée deux
groupes nombreux d'institutrices appar-
tenant à deux congrégations différentes.
De chacun, une religieuse se détacha.
s'approcha de moi, et l'une des deux me
dit :
« Madame, vous nous avez fait convo-
quer et nous nous sommes rendues à
~ votre appel ; mais en arrivant ici, de tous
les points du département, nous avons
appris
et dans ces conditions, ii nous est m'tpos'
sible d'y assister.
— Une conférence mixte... qu'est-e<ï
que C'cst '?
-- l\Iadame, il y a des instituteurs. It
Revenue de mon ahul'h::>l'll1L'lIl, je ré-
j pondis .
« La messe aussi est mixte : e'... t'hô-
pital est mixte 1 »
Les deux femmes parurent frappées
de ma boutade, elles se consultèrent .
— a Si nous avions été averties plus
lM, nous aurions demande l'aulorisatioii
à !\fllnsrig-Iwur,..
— L'archevêché pst !) loin d'u't?
— A quelques minutes M ulement.
— Kii bien ! je VOUS allcnoiai )1
Une des religieuses partit , elle de-
manda, pour son groupe scu!. L.llltuf'I.q.
lion, qui lui fut accordée , son groupo
>eul assista à la <-on)Y'!'<'ncc... nu.\tc,
tandis que l'autre groupe reprit iit'rc-
ment le h'ain.
Evidemment, nous avons fait i.'fau-
coup de progrès en peu de t<'n)p&.
PAULINE KERGOMARD.
! (A suiorp..)
MILLE FRANCS
lïotts tenons à rappeler que les
membres de la Société Française 410
l'Arbitrage entre les nations ont décida
de donner un prix de MtLLH l'It.Wt S
ai l'auteur du meilleur ouvrage d'his-
toire de France, trùs élémentaire
conçu dans le double esprit de patrie
tiSD1C et de justice.
Le concours sera ci
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