liE VRAI zoom
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- Un pâle voyageur, qui revenait des Antilles, me fit, avant-hier,
la déclaration suivante : « Monsieur ! moi qui vous parle, je suis
Rodin !
— Comment ?. le Vrai ?
— Vous le saurez tout à l'heure. Mon histoire est simple.
Tout jeune, je sculptais, j'ai toujours sculpté ; à soixante-douze
ans, je sculptais encore, car que faire si on ne sculpte. quand on
s'appelle Rodin ! Bref, aussitôt mon travail achevé, chacun se disait:
Il vient de faire un Rodin ! — Des trains de plaisir s'organisaient,
le public affluait, les connaisseurs abondaient, les experts débordaient.
Tous les jours, je me sentais devenir de plus en plus Rodin. — Mais,
monsieur, je me surmenais, j'étais brisé, exténué. mes forces m'aban-
donnaient. Alors, je fis des haltères, je pris du fer ! je me donnai des
forces pour sculpter davantage, et je faisais des Rodins et encore des
Rodins ! J'en faisais comme on fait des brioches, j'en aurais fait à
bras tendu, la tête en bas, n'importe où, malgré mes amis, malgré
ma famille, malgré les médecins, c'était plus fort que tout !
— Enfin, ça marchait ?
— Si ça marchait ! Mon bon monsieur ! J'abattais mes douze
douzaines de Rodins avant le déjeuner !. Mais un beau matin
- Un beau matin ?
- Un vieillard, d'un certain âge, entrait chez moi et me jetait
ces trois mots : Je suis RODIN !)
— Lui aussi !. Bon Jésus !
— Oui, monsieur, lui aussi! Ah! c'est affreux!. Et, sans me donner
le temps de m'étonner, car vous n'ignorez pas qu'il faut d'abord
s'étonner avant que de revenir de sa surprise, il continua d'une forte
et bien timbrée voix : « Je suis Rodin !.
- Il venait de le dire !
— Attendez ! Je suis Rodin, épicier ! Le vrai Rodin ! Le seul et
l'unique Rodin ! je suis exactement Rodin !
- Il était épicier ?
- Oui ! Monsieur ! Mais voilà qui est pire ! Après avoir prononcé
ces mots magiques, il épingla avec soin sa carte d'identité sur son
propre nombril, alla se placer sur un petit tapis Louis-Philippe, et
s'effondra doucement, tel un baba, frappé d'apoplexie foudroyante!
— Mais, c'est épouvantable !
— Et le lendemain, les journaux apprenaient au public la
MORT DE RODIN, ÉPICIER, LE SEUL, L'UNIQUE, le VRAI RODIN !
- Puis, on ouvrit son testament. où il faisait ce triste aveu :
MOI, RODIN, ÉPICIER, SAIN DE CORPS ET D'ESPRIT,
N'AI JAMAIS SCULPTÉ ! Tous LES RODINS SONT FAUX !
C. Q. F. D.
MARCEL CAPY.
(Texte et dessins de M. Lapy,/
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