Titre : Bulletin de la Société historique d'Auteuil et de Passy
Auteur : Société historique d'Auteuil et de Passy. Auteur du texte
Éditeur : Société historique d'Auteuil et de Passy (Paris)
Date d'édition : 1908-07-01
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34424416g
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 3717 Nombre total de vues : 3717
Description : 01 juillet 1908 01 juillet 1908
Description : 1908/07/01 (A1908,N7,T6)-1908/09/30. 1908/07/01 (A1908,N7,T6)-1908/09/30.
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6509796h
Source : Société historique d'Auteuil et de Passy, 2012-362885
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 11/11/2013
UN MIRACLE A CHAILLOT 201
Comment Mehemet avait-il témoigné sa reconnaissance
pour les honneurs qu'on lui avait rendus ? On le devine à
peu près, sans qu'il soit besoin d'insister. Il s'était signalé
par toutes sortes d'excès. Il avait augmenté sa suite en y
joignant des gens de sac et de corde, par qui il faisait
battre dans la rue ceux qui lui déplaisaient. Ensuite il
avait le front de demander que ceux dont il prétendait
avoir à se plaindre fussent châtiés plus sévèrement au nom
du Roi. Il-va sans dire qu'on ne l'écouta pas. Mais ce
qu'on ne pouvait s'empêcher de voir et d'entendre, c'étaient
ses colères de « fou furieux » et ses cris sauvages, que l'on
comparait à des « mugissements de taureau ». Cette der-
nière raison fut invoquée par un de ceux chez qui on vou-
lait le loger. « Ma mère est vieille et malade », dit M. Bil-
lon de Cassevilles lorsqu'il fut question d'un court séjour
de Mehemet dans sa résidence de Boulogne. « Si elle habite
la même maison que l'Ambassadeur de Perse, ce voisinage
serait capable de la faire mourir. »
Il faut ajouter que Mehemet avait laissé en fort mauvais
état toutes les résidences qu'il avait occupées. Il était resté
six mois dans l'hôtel de la rue de Tournon. Or, l'ambas-
sadeur de Portugal, que l'on y installa après lui, ne con-
sentit pas à y demeurer, à cause de «l'odeur insupportable
que son Excellence persane ainsi que ses gens avaient
laissée après eux ».
C'est là un inconvénient grave, et qui devait inquiéter
le sieur Lhomme pour sa maison de Chaillot. Avant la
prise de possession de son immeuble, on lui affirma que
« sa maison serait occupée peu de temps par l'Ambassade
persane, qu'il n'y serait fait aucun dégât, et que, dans le
cas contraire, il serait payé des dommages. »
Garantie purement illusoire. En effet, lorsque le sieur
Lhomme se plaignit plus tard au Régent des déprédations
considérables faites dans sa demeure par les Persans, on
se contenta de l'assurer qu'il serait dispensé de telles corvées
à l'avenir, et qu'il n'aurait plus à loger, au nom du Roi,
des gens de passage. C'est toute la satisfaction qu'il obtint.
Mais laissons ces détails, qui n'intéressent que l'histoire
locale, et que l'on aura sans doute trouvés bien longs.
Au début de son livre, M. Maurice Herbette avait,
comme nous l'avons constaté, donné des renseignements
sur les rapports des puissances de l'Europe occidentale
avec la Perse, dans les premières années du dix-huitième
siècle. C'est cette partie-là que nous voudrions voir parti-
culièrement développée, lorsque l'auteur donnera une
nouvelle édition de son ouvrage. M. Maurice Herbette
semble avoir à sa disposition une masse énorme de docu-
ments, et il les consulte avec la sagacité d'un diplomate.
Nous autres, simples lecteurs, qui ne voyons que de loin
les archives du département des Affaires étrangères, nous
serions heureux de profiter des lumières de l'historien, et
de connaître un peu mieux dans le passé cette région de
l'Orient, qui en ce moment occupe l'attention générale, et
qui peut-être l'occupera encore plus dans un prochain
avenir.
Quant au personnage de Mehemet Riza Beg, si l'on veut
que nous en disions encore un mot, nous n'avons qu'à
nous en rapporter aux contemporains, à Madame, mère
du Régent, à Saint-Simon, et surtout à Montesquieu.
L'auteur des Lettres Persanes avait alors vingt-six ans. Il
avait parfaitement jugé les scènes qui venaient de se dé-
rouler à Paris et à Versailles. Voici ce qu'il fait écrire par
Usbek, un de ses prétendus Persans à la date de 1715 :
« Il parait ici un personnage travesti en ambassadeur
de Perse, qui se joue insolemment des deux plus grands
rois du monde. Il apporte au monarque des Français des
présents que le nôtre ne saurait donner à un roi d'/r/-
mette ou de Géorgie ; et par sa lâche avarice, il a flétri la
majesté de deux empires.
« Il s'est rendu ridicule devant un peuple qui prétend être
le plus poli de l'Europe, et il a fait dire en Occident que
le Roi des rois ne domine que sur des barbares.
« Il a reçu des honneurs qu'il semblait avoir voulu se faire
refuser lui-même; et, comme si la cour de France avait eu
plus à cœur la grandeur persane que lui, elle l'a fait
paraître avec dignité devant un peuple dont il est le
mépris (1). »
L. LEYS.
——————————— '*' ———————————
Un Miracle à Chaillot
De tout temps, l'humanité a cru au surnaturel, en a
proclamé la réalité et exalté le triomphe. Il n'entre pas
dans notre pensée de nous élever contre des convictions
dignes de respect; mais il faut convenir que c'est un ter-
rain bien glissant, fertile en aventures, que celui où l'on a
pu rencontrer certains artifices du paganisme et les
étranges vapeurs du trépied des pythonisses et des pythies
pour finir, en des temps plus rapprochés de nous, par les
convulsions du baquet de Mesmer ou de la tombe du
diacre Pâris.
Ce court préambule nous a paru nécessaire, avant de
rapporter le récit du miracle dont aurait été l'objet un
habitant de Chaillot, en 1734. C'était dans la seconde
année qui suivit la mort du diacre Pâris, sur la tombe
duquel se passèrent tant de scènes déconcertantes et
lamentables. Les jansénistes avaient commencé à exploi-
ter la réputation que s'était acquise ce diacre par ses aus-
térités et son ardente charité ; ils répandaient le bruit,
comme on sait, que des miracles s'opéraient sur sa sépul-
ture, au cimetière Saint-Médard, et la foule s'y ruait, bai-
sant la poussière, emportant de la terre comme un
produit curatif ou même préservatif. On vit alors des indi-
vidus entrer en convulsions, ou pris de transports prophé-
tiques. Depuis 1732, c'est-à-dire depuis deux ans déjà, le
(1) L'appréciation de M. Maurice Herbette ne s'accorde pas
tout à fait avec celle de Montesquieu. Le lecteur jugera lequel
des deux est plus près de la vérité.
Comment Mehemet avait-il témoigné sa reconnaissance
pour les honneurs qu'on lui avait rendus ? On le devine à
peu près, sans qu'il soit besoin d'insister. Il s'était signalé
par toutes sortes d'excès. Il avait augmenté sa suite en y
joignant des gens de sac et de corde, par qui il faisait
battre dans la rue ceux qui lui déplaisaient. Ensuite il
avait le front de demander que ceux dont il prétendait
avoir à se plaindre fussent châtiés plus sévèrement au nom
du Roi. Il-va sans dire qu'on ne l'écouta pas. Mais ce
qu'on ne pouvait s'empêcher de voir et d'entendre, c'étaient
ses colères de « fou furieux » et ses cris sauvages, que l'on
comparait à des « mugissements de taureau ». Cette der-
nière raison fut invoquée par un de ceux chez qui on vou-
lait le loger. « Ma mère est vieille et malade », dit M. Bil-
lon de Cassevilles lorsqu'il fut question d'un court séjour
de Mehemet dans sa résidence de Boulogne. « Si elle habite
la même maison que l'Ambassadeur de Perse, ce voisinage
serait capable de la faire mourir. »
Il faut ajouter que Mehemet avait laissé en fort mauvais
état toutes les résidences qu'il avait occupées. Il était resté
six mois dans l'hôtel de la rue de Tournon. Or, l'ambas-
sadeur de Portugal, que l'on y installa après lui, ne con-
sentit pas à y demeurer, à cause de «l'odeur insupportable
que son Excellence persane ainsi que ses gens avaient
laissée après eux ».
C'est là un inconvénient grave, et qui devait inquiéter
le sieur Lhomme pour sa maison de Chaillot. Avant la
prise de possession de son immeuble, on lui affirma que
« sa maison serait occupée peu de temps par l'Ambassade
persane, qu'il n'y serait fait aucun dégât, et que, dans le
cas contraire, il serait payé des dommages. »
Garantie purement illusoire. En effet, lorsque le sieur
Lhomme se plaignit plus tard au Régent des déprédations
considérables faites dans sa demeure par les Persans, on
se contenta de l'assurer qu'il serait dispensé de telles corvées
à l'avenir, et qu'il n'aurait plus à loger, au nom du Roi,
des gens de passage. C'est toute la satisfaction qu'il obtint.
Mais laissons ces détails, qui n'intéressent que l'histoire
locale, et que l'on aura sans doute trouvés bien longs.
Au début de son livre, M. Maurice Herbette avait,
comme nous l'avons constaté, donné des renseignements
sur les rapports des puissances de l'Europe occidentale
avec la Perse, dans les premières années du dix-huitième
siècle. C'est cette partie-là que nous voudrions voir parti-
culièrement développée, lorsque l'auteur donnera une
nouvelle édition de son ouvrage. M. Maurice Herbette
semble avoir à sa disposition une masse énorme de docu-
ments, et il les consulte avec la sagacité d'un diplomate.
Nous autres, simples lecteurs, qui ne voyons que de loin
les archives du département des Affaires étrangères, nous
serions heureux de profiter des lumières de l'historien, et
de connaître un peu mieux dans le passé cette région de
l'Orient, qui en ce moment occupe l'attention générale, et
qui peut-être l'occupera encore plus dans un prochain
avenir.
Quant au personnage de Mehemet Riza Beg, si l'on veut
que nous en disions encore un mot, nous n'avons qu'à
nous en rapporter aux contemporains, à Madame, mère
du Régent, à Saint-Simon, et surtout à Montesquieu.
L'auteur des Lettres Persanes avait alors vingt-six ans. Il
avait parfaitement jugé les scènes qui venaient de se dé-
rouler à Paris et à Versailles. Voici ce qu'il fait écrire par
Usbek, un de ses prétendus Persans à la date de 1715 :
« Il parait ici un personnage travesti en ambassadeur
de Perse, qui se joue insolemment des deux plus grands
rois du monde. Il apporte au monarque des Français des
présents que le nôtre ne saurait donner à un roi d'/r/-
mette ou de Géorgie ; et par sa lâche avarice, il a flétri la
majesté de deux empires.
« Il s'est rendu ridicule devant un peuple qui prétend être
le plus poli de l'Europe, et il a fait dire en Occident que
le Roi des rois ne domine que sur des barbares.
« Il a reçu des honneurs qu'il semblait avoir voulu se faire
refuser lui-même; et, comme si la cour de France avait eu
plus à cœur la grandeur persane que lui, elle l'a fait
paraître avec dignité devant un peuple dont il est le
mépris (1). »
L. LEYS.
——————————— '*' ———————————
Un Miracle à Chaillot
De tout temps, l'humanité a cru au surnaturel, en a
proclamé la réalité et exalté le triomphe. Il n'entre pas
dans notre pensée de nous élever contre des convictions
dignes de respect; mais il faut convenir que c'est un ter-
rain bien glissant, fertile en aventures, que celui où l'on a
pu rencontrer certains artifices du paganisme et les
étranges vapeurs du trépied des pythonisses et des pythies
pour finir, en des temps plus rapprochés de nous, par les
convulsions du baquet de Mesmer ou de la tombe du
diacre Pâris.
Ce court préambule nous a paru nécessaire, avant de
rapporter le récit du miracle dont aurait été l'objet un
habitant de Chaillot, en 1734. C'était dans la seconde
année qui suivit la mort du diacre Pâris, sur la tombe
duquel se passèrent tant de scènes déconcertantes et
lamentables. Les jansénistes avaient commencé à exploi-
ter la réputation que s'était acquise ce diacre par ses aus-
térités et son ardente charité ; ils répandaient le bruit,
comme on sait, que des miracles s'opéraient sur sa sépul-
ture, au cimetière Saint-Médard, et la foule s'y ruait, bai-
sant la poussière, emportant de la terre comme un
produit curatif ou même préservatif. On vit alors des indi-
vidus entrer en convulsions, ou pris de transports prophé-
tiques. Depuis 1732, c'est-à-dire depuis deux ans déjà, le
(1) L'appréciation de M. Maurice Herbette ne s'accorde pas
tout à fait avec celle de Montesquieu. Le lecteur jugera lequel
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