Titre : Journal pour tous : magazine hebdomadaire illustré
Éditeur : Ch. Lahure (Paris)
Date d'édition : 1856-01-05
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32802287z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 05 janvier 1856 05 janvier 1856
Description : 1856/01/05 (T1,N40). 1856/01/05 (T1,N40).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k64393262
Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, Z-4341-4371
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 31/01/2013
636 JOURNAL POUR TOUS.
« Avis IMPORTANT. Le plus proche parent de
« feu Gabriel Tittlebat Titmouse, autrefois domicilié
« à Whitehaven, où il exercait la profession de tan-
« neur, et décédé à Londres en 1193 , est invité à se
« rendre, sans aucun retard, à l'étude de MM. Quirk,
« Gammon etSnap, solicitors', à Saffron-hill, pour y
« recevoir communication d'une affaire de la plus
« haute importance. (Troisième avertissement.) »
« Voilà une nouvelle véritablement surprenante!
iécria Huckaback presque aussi agité que Titmouse.
N'est-ce pas un rêve, Huckaback? dit son ami
sans quitter des yeux l'annonce du journal.
Un rêve!. allons donc! reprit Huckaback qui
se mit à lire l'important avis à voix haute. Un rêve!.
Jamais de la vie je ne me suis senti plus éveillé.
–En effet, dit Titmouse de plus en plus pâle;
les mots sont écrits tout au long., je les vois., je
les lis.
Savez-vous ce que je pense, mon cher ami? re-
prit Huckaback d'une voix solennelle, tout en appli-
quant sur la table un coup de poing formidable.
Eh bien!. Que pensez-vous?. Dites-le-moi
vite.
- Je pense que Il.a mère avait raison lorsqu'elle
me disait.
Que vous disait-elle? demanda Titmouse avec une
impatience fiévreuse.
Elle me disait., la pauvre bonne femme.,
qu'il y aura toujours des choses surprenantes en ce
monde!
Oui.; mais enfin, que pensez-vous de cette
annonce?
Je pense qu'il s'agit de quelque chose de très-
sérieux.
Mais de quelle chose?. reprit Titmouse exas-
péré par les réflexions stupides de son ami.
J'ai mon opinion!. Ah! ce n'est pas moi qui
aurai jamais une pareille chance ! ajouta-t-il avec un
profond soupir.
Oh!. si c'était!.
Quoi ? demanda Huckaback.
Si c'était., ils sont si méchants!. si c'était
une farce des commis du magasin! dit Titmouse avec
une vive anxiété.
Une farce!. Bah!. est-ce qu'ils sont assez ri-
ches pour se payer des farces à cinq schellings la
ligner. D'ailleurs, est-ce qu'ils seraient capables de
jédiger une semblable annonce ?
- Vous avez raison, et me voilà soulagé d'un poids
énorme, dit Titmouse en serrant la main de son ami.
Décidément, continua-t-il avec un accent de joie,
décidément, je crois que c'est un coup de fortune
qui m'arrive.
J'en suis sûr, répondit Huckaback qui, sautant au
cou de son ami, ajouta d'une voix émue jusqu'aux
larmes : Cher Titmouse, vous savez que je vous aime
de tout mon cœur., vous savez que j'ai toujours été
votre meilleur ami.
-Eh bien! je ne vous oublierai pas, cher, dit Tit-
mouse d'un ton affectueux mais presque protecteur ;
et si, comme je l'espère, ma fortune est faite, je
m'engage à vous faire cadeau de la plus belle épingle
que vous ayez jamais vue!. Avec un diamant, Huc-
kaback, avec un vrai diamant!
- Oh 1 je sais combien vous êtes généreux 1 répli-
qua ce dernier.
C'est étrange, dit Titmouse, je ne puis plus te-
nir en place,. je me sens dans un état d agitation 1.
j'ai besoin de marcher,. de prendre l'air! Venez,
Huckaback, venez !. je meurs d'impatience de savoir
quelle est cette affaire de si grande importance!
- Qui sait?. peut-être un immense héritage J
Oh 1 si vous disiez vrai!. reprit Titmouse; et,
dans ce cas-là, comme il serait heureux pour moi de
n'avoir plus ni père ni mère! » ajouta-t-il en faisant
un tel saut en arrière, que son pantalon blanc se dé-
chira du haut en bas.
Cet accident modéra les transports de Titmouse,
qui se mit aussitôt à raccommoder son vêtement, avec
une aiguille et du fil que lui prêta son ami, toujours
pourvu de ces précieux ustensiles.
a Dites-moi , cher, demanda Titmouse , tout en
cousant, avez-vous jamais entendu parler de ces
jurisconsultes de Saffron-hill, MM. quel est leur
nom?
- MM. Quirk, Gammon et Snap, répondit Hucka-
back en lisant les noms dans le journal.
Eh bien! Les connaissez-vous?
Pas personnellement, mais je sais qu'ils ont une
grande réputation.
- Alors, comment se fait-il qu'ils demeurent dans
un quartier si mal famé, et fréquenté par les vo-
leurs? -
C'est que des voleurs ne peuvent se passer de
ces messieurs, répondit Huckaback. Après tout, que
vous importe?. « On voit d'abominables reptues
dont les entrailles contiennent des pierres précieu
ses," a dit Shakspeare. Mais, hatez-vous, mon
cher ami, et si vous m'en croyez, nous irons, ce
soir même, faire une visite à ces messieurs
Bien dit, Huckaback, répliqua Titmouse en
faisant un dernier point à son pantalon. oui, vous
4. Agents d'affaires assermentés, dont les fonctions
sont à peu près celles des avouée.
avez raison; nous irons ce soir même, car il me
serait impossible de dormir avant de savoir quelque
chose.
D'ailleurs, votre patron ne vous permettrait pas
de sortir demain dans la journée.
Au diable mon patron et sa boutique 1 s'écria
Titmouse du ton le plus méprisant. Je vous en prie,
Huckaback, ne me parlez plus de cet affreux Tag-
Rag, si vous tenez à mon estime et à mon amitié.
Si j'y tiens? mon cher Titmouse!. Pouvez-
vous en douter!. Allons. allumons un cigare et
partons.
Partons l » dit Titmouse qui vida d'un seul trait
son verre qu'il venait de remplir.
Une demi-heure plus tard. les deux amis arrivè-
rent dans le quartier de Saffron-hill, et se firent
indiquer la demeure de MM. Quirk, Gammon et
Snap, ou plutôt leur office, car chacun des trois as-
sociés avait son domicile particulier dans le voisinage
de l'étude. Sur la porte de la maison, on voyait une
grande plaque en cuivre avec les noms de ces mes-
sieurs, et Titmouse ne put s'empêcher de frissonner
de tout son corps en lisant le mot solicitors, à la
suite des trois noms. Ce mot lui fit l'effet d'une in-
scription magique.
je vous prie; il me semble que je n'en aurais pas la
force tant je me sens ému, troublé. »
Huckaback sonna vigoureusement; mais ce fut seu-
lement après une pénible attente de deux ou trois
minutes que la porte fut ouverte par une vieille femme
tenant une chandelle à la main.
« Qui ètes-vous? que demandez-vous? dit-elle d'une
voix rauque et peu engageante.
C'est bien ici l'office de MM. Quirk, Gammon et
Snap? demanda poliment Huckaback.
Ce n'est pas difficile à savoir en lisant cette
plaque. elle est assez large, Dieu merci 1 répondit
à vieille. Eh bien! ajouta-t-elle en les regardant d'un
air méfiant : que demandez-vous?
- Je désire parler. dit timidement Titmouse, à.
- Il n'y a personne ici, interrompit brusquement
la vieille femme; il n'y a personne le dimanche.
Revenez demain, si vous avez à voir un de ces mes-
sieurs. Comment vous appelez-vous?
M. Tittlebat Titmouse, répondit celui-ci en pro-
noncant distinctement chaque syllabe.
Monsieur qui?
- M. Tittlebat Titmouse.
Ah cà! est-ce que vous voulez vous moquer de
moi? s'écria la vieille en colère. Retirez-vous, vaga-
bonds, sinon j'appelle un constable.
Je vous dis, répliqua M. Huckaback indigné,
que ce gentleman se nomme M. Tittlebat Titmouse,
et je vous engage, dans votre propre intérêt, à me-
surer vos paroles.
Puis-je du moins écrire un mot pour ces mes-
sieurs? demanda Titmouse.
Il y a une taverne à deux pas d'ici, répondit la
vieille; allez-y écrire votre lettre, puis apportez-la-
moi. Demain, je la remettrai à son adresse, ajouta-
t-elle en fermant la porte au nez des deux jeunes
gens.
Vieille taupe ! s'écria Huckaback en faisant un
geste menaçant.
Ce qu'il y a de mieux à faire, dit Titmouse,
c'est d'aller prendre un verre de bière à la taverne
et d'y écrire un petit mot. Cela vaudra mieux que de
nous disputer avec cette affreuse créature. »
Ils prirent effectivement ce parti, et allèrent rédi-
ger en commun, et à grands efforts d'imagination,
la lettre suivante.
« A messieurs Quirk, Gammon et Snap.
c J'ai lu dans le dernier numéro du Sunday-Flash
que vous avez une affaire de la plus grande impor-
tance à communiquer au plus proche parent de feu
Gabriel Tittlebat Titmouse. Eh bien 1 c'est jnoi le plus
proche parent. Mon ami Huckaback, ici présent, me
servira de témoin. Comme je suis employé toute la
semaine, je vous serai obligé de me donner de vos
nouvelles, le plus tôt possible, au magasin de Tag-
Rag et Cie, Oxford-street, n" 3"! 6, port payé.
o Votre dévoué,
« TlTTLEBAT TITMOUSE.
a Vous n'aurez pas affaire à un ingrat si la chose
en vaut la peine. »
Lorsqu'ils eurent terminé cette élégante épître,
dont .nous avons supprimé les fautes d'orthographe,
dans le seul but de la rendre intelligible, Titmouse
et son ami la portèrent à la vieille femme, qui ne
consentit à s'en charger qu'après de longs pourpar-
lers , fort désobligeants de part et d'autre. Huckaback
accompagna son ami jusqu'à son domicile, et ils se
séparèrent dans une situation d'esprit bien différente
de l'état d'excitation où ils se trouvaient en se ren-
dant à Saffron-hill, après avoir lu l'annonce du
journal.
Après une nuit sans sommeil, Titmouse se leva
pour aller à son magasin. En voyant sa figure tirée,
ses yeux hagards et inquiets, les autres commis se
mirent à le plaisanter et à lui adresser une foule de
questions insidieuses ; et Titmouse ne put s'empêcher
aç leur dire qu'ils apprendraient probablement une
P.
grande nouvelle avant la fin de la journée. Alors les
quolibets et les plaisanteries recommencèrent de plus
belle.
Cependant les heures s'écoulaient sans qu'aucun
message arrivât. Les yeux constamment tournés vers
la porte du magasin, Titmouse attendait dans la plus
cruelle anxiété que quelqu'un vînt le demander. il ne
pouvait tenir en place, et, sous le prétexte le plus
futile, il allait de son rayon au comptoir, et du comp-
toir à son rayon. Témoin de l'étrange conduite de
son commis, M. Tag-Rag lui lanca à plusieurs re-
prises des regards menaçants, et l'apostropha même
d'une façon assez verte.
Enfin vers midi. la voix sonore du garçon de ma-
gasin, placé en sentinelle auprès de la porte d'entrée,
se fit entendre.
a On demande M. Titmouse! » cria-t-il.
En entendant son nom, celui-ci devint aussi blanc
que le calicot qu'il était en train de montrer à une
dame. Néanmoins, il parvint à maîtriser son émotion
et se dirigea vers le comptoir, après s'être fait rem-
placer par un de ses collègues. A la porte du maga-
sin, il vit un étranger qui le salua en disant du ton
le plus poli:
« Est-ce à monsieur Titmouse que j'ai l'honneur
de parler.
Oui, monsieur," répondit Titmouse avec Uil
trouble évident.
L'étranger salua de nouveau et fixa en même temp:,
sur le commis un regard pénétrant. C'était un homme
de trente-six à trente-sept ans, d'un extérieur dis-
tingué et d'une taille au-dessus de la moyenne. il
était vêtu très-simplement, mais avec un certain
goût. Sa physionomie intelligente avait une expres-
sion de bienveillance et de dignité.
« Vous avez laissé, hier soir, un mot à l'office de
MM. Quirk, Gammon et Snap. dit-il à voix basse.
Oui, monsieur, c'est bien moi, répondit Tit-
mouse de plus en plus troublé.
Je serais heureux, monsieur Titmouse, de causer
avec vous en particulier pendant quelques instants.
C'est que je crains. je ne sais si je puis m'ab-
senter, balbutia le commis ; ah ! voici mon patron, »
ajouta-t-il en voyant M. Tag-Rag qui venait du côte
du comptoir; je vais lui demander la permission.
M. Tag-Rag était un homme de petite taille et
quelque peu corpulent. Il paraissait avoir cinquante
et quelques annees. Son visage, ravagé par la petite
vérole , était encadré dans une paire de favoris qui
s'avançaient à chaque coin de sa bouche large et sen-
suelle. Des yeux gris et ternes, bordés de cils blancs
et dépourvus de sourcils, un front bas et fuyant, un
nez affreusement épaté, complétaient cette physio-
nomie peu prévenante, et qui, d'ailleurs, était en
parfaite harmonie avec le moral de M. Tag-Rag,
homme ignorant, égoïste, vaniteux, et tyrannique au
delà de toute expression, dans sa petite sphère. En
entendant appeler Titmouse, M. Tag-Rag, une plume
derrière l'oreille et les mains dans les poches de son
pantalon, avait suivi le commis, pour savoir qui
pouvait ainsi le déranger dé ses occupations.
- a Monsieur, lui dit Titmouse, voudriez-vous me
permettre de m'absenter pendant quelques instants?
Votre demande est absurde, et contraire aux
habitudes de ma maison, vous le savez bien, répondit
Tag-Rag d'un ton rude.
J'aurais désiré, monsieur, dit poliment l'é-
tranger, avoir un entretien particulier avec M. Tit-
mouse, au sujet d'une affaire très-importante. Je me
nomme Gammon, et je suis solicitor.
-S'il y a nécessité absolue., répondit Tag-Rag en
subissant à contre-cœur l'influence du ton poli mais
péremptoire de M. Gammon; s'il y a nécessité
absolue., je consens à me départir de notre règle-
ment; mais, vous comprenez, monsieur, que dans
un établissement aussi considérable que le nôtre,
une discipline invariable est de rigueur. »
Puis, tirant sa montre et regardant Titmouse d'un
air sévère, il ajouta : a Je lui accorde dix minutes, et
il fera bien de ne pas rester plus longtemps. »
M. Gammon salua légèrement Tag-Rag et sortit du
magasin avec le commis.
« Demeurez-vous loin d'ici, monsieur Titmouse?
lui demanda-t-il.
A quelques pas seulement, monsieur, répondit
Titmouse, très-contrarié de conduire dans sa misé-
rable mansarde un personnage aussi considérable;
mais, ajouta-t-il, peut-être ferions-nous mieux d'en-
trer dans la taverne voisine.
Je préfère allez chez vous, monsieur Titmouse.
Dites-moi: avez-vous en votre possession quelques
souvenirs de famille, des lettres, des papiers?
Oui, monsieur ; j'ai quelques papiers, mais ils
n'ont aucune valeur.
Qu'en savez-vous ?. Il est bon que j'en juge par
moi-même, et nous n'avons pas de temps à perdre.»
En arrivant dans la mansarde, M. Gammon s'assit
devant une petite table, tira de sa poche un porte-
feuille et un crayon, et se mit à adresser une foule
de questions à Titmouse au sujet de sa famille et de
ses souvenirs d'enfance. De temps à autre, il prenait
des notes. Titmouse était tout surpris de voir à quel
point M. Gammon connaissait son histoire et sa gé-
néalogie. Sur la demande de M. Gammon, il alla
chercher au fond de sa malle plusieurs lettres de
« Avis IMPORTANT. Le plus proche parent de
« feu Gabriel Tittlebat Titmouse, autrefois domicilié
« à Whitehaven, où il exercait la profession de tan-
« neur, et décédé à Londres en 1193 , est invité à se
« rendre, sans aucun retard, à l'étude de MM. Quirk,
« Gammon etSnap, solicitors', à Saffron-hill, pour y
« recevoir communication d'une affaire de la plus
« haute importance. (Troisième avertissement.) »
« Voilà une nouvelle véritablement surprenante!
iécria Huckaback presque aussi agité que Titmouse.
N'est-ce pas un rêve, Huckaback? dit son ami
sans quitter des yeux l'annonce du journal.
Un rêve!. allons donc! reprit Huckaback qui
se mit à lire l'important avis à voix haute. Un rêve!.
Jamais de la vie je ne me suis senti plus éveillé.
–En effet, dit Titmouse de plus en plus pâle;
les mots sont écrits tout au long., je les vois., je
les lis.
Savez-vous ce que je pense, mon cher ami? re-
prit Huckaback d'une voix solennelle, tout en appli-
quant sur la table un coup de poing formidable.
Eh bien!. Que pensez-vous?. Dites-le-moi
vite.
- Je pense que Il.a mère avait raison lorsqu'elle
me disait.
Que vous disait-elle? demanda Titmouse avec une
impatience fiévreuse.
Elle me disait., la pauvre bonne femme.,
qu'il y aura toujours des choses surprenantes en ce
monde!
Oui.; mais enfin, que pensez-vous de cette
annonce?
Je pense qu'il s'agit de quelque chose de très-
sérieux.
Mais de quelle chose?. reprit Titmouse exas-
péré par les réflexions stupides de son ami.
J'ai mon opinion!. Ah! ce n'est pas moi qui
aurai jamais une pareille chance ! ajouta-t-il avec un
profond soupir.
Oh!. si c'était!.
Quoi ? demanda Huckaback.
Si c'était., ils sont si méchants!. si c'était
une farce des commis du magasin! dit Titmouse avec
une vive anxiété.
Une farce!. Bah!. est-ce qu'ils sont assez ri-
ches pour se payer des farces à cinq schellings la
ligner. D'ailleurs, est-ce qu'ils seraient capables de
jédiger une semblable annonce ?
- Vous avez raison, et me voilà soulagé d'un poids
énorme, dit Titmouse en serrant la main de son ami.
Décidément, continua-t-il avec un accent de joie,
décidément, je crois que c'est un coup de fortune
qui m'arrive.
J'en suis sûr, répondit Huckaback qui, sautant au
cou de son ami, ajouta d'une voix émue jusqu'aux
larmes : Cher Titmouse, vous savez que je vous aime
de tout mon cœur., vous savez que j'ai toujours été
votre meilleur ami.
-Eh bien! je ne vous oublierai pas, cher, dit Tit-
mouse d'un ton affectueux mais presque protecteur ;
et si, comme je l'espère, ma fortune est faite, je
m'engage à vous faire cadeau de la plus belle épingle
que vous ayez jamais vue!. Avec un diamant, Huc-
kaback, avec un vrai diamant!
- Oh 1 je sais combien vous êtes généreux 1 répli-
qua ce dernier.
C'est étrange, dit Titmouse, je ne puis plus te-
nir en place,. je me sens dans un état d agitation 1.
j'ai besoin de marcher,. de prendre l'air! Venez,
Huckaback, venez !. je meurs d'impatience de savoir
quelle est cette affaire de si grande importance!
- Qui sait?. peut-être un immense héritage J
Oh 1 si vous disiez vrai!. reprit Titmouse; et,
dans ce cas-là, comme il serait heureux pour moi de
n'avoir plus ni père ni mère! » ajouta-t-il en faisant
un tel saut en arrière, que son pantalon blanc se dé-
chira du haut en bas.
Cet accident modéra les transports de Titmouse,
qui se mit aussitôt à raccommoder son vêtement, avec
une aiguille et du fil que lui prêta son ami, toujours
pourvu de ces précieux ustensiles.
a Dites-moi , cher, demanda Titmouse , tout en
cousant, avez-vous jamais entendu parler de ces
jurisconsultes de Saffron-hill, MM. quel est leur
nom?
- MM. Quirk, Gammon et Snap, répondit Hucka-
back en lisant les noms dans le journal.
Eh bien! Les connaissez-vous?
Pas personnellement, mais je sais qu'ils ont une
grande réputation.
- Alors, comment se fait-il qu'ils demeurent dans
un quartier si mal famé, et fréquenté par les vo-
leurs? -
C'est que des voleurs ne peuvent se passer de
ces messieurs, répondit Huckaback. Après tout, que
vous importe?. « On voit d'abominables reptues
dont les entrailles contiennent des pierres précieu
ses," a dit Shakspeare. Mais, hatez-vous, mon
cher ami, et si vous m'en croyez, nous irons, ce
soir même, faire une visite à ces messieurs
Bien dit, Huckaback, répliqua Titmouse en
faisant un dernier point à son pantalon. oui, vous
4. Agents d'affaires assermentés, dont les fonctions
sont à peu près celles des avouée.
avez raison; nous irons ce soir même, car il me
serait impossible de dormir avant de savoir quelque
chose.
D'ailleurs, votre patron ne vous permettrait pas
de sortir demain dans la journée.
Au diable mon patron et sa boutique 1 s'écria
Titmouse du ton le plus méprisant. Je vous en prie,
Huckaback, ne me parlez plus de cet affreux Tag-
Rag, si vous tenez à mon estime et à mon amitié.
Si j'y tiens? mon cher Titmouse!. Pouvez-
vous en douter!. Allons. allumons un cigare et
partons.
Partons l » dit Titmouse qui vida d'un seul trait
son verre qu'il venait de remplir.
Une demi-heure plus tard. les deux amis arrivè-
rent dans le quartier de Saffron-hill, et se firent
indiquer la demeure de MM. Quirk, Gammon et
Snap, ou plutôt leur office, car chacun des trois as-
sociés avait son domicile particulier dans le voisinage
de l'étude. Sur la porte de la maison, on voyait une
grande plaque en cuivre avec les noms de ces mes-
sieurs, et Titmouse ne put s'empêcher de frissonner
de tout son corps en lisant le mot solicitors, à la
suite des trois noms. Ce mot lui fit l'effet d'une in-
scription magique.
je vous prie; il me semble que je n'en aurais pas la
force tant je me sens ému, troublé. »
Huckaback sonna vigoureusement; mais ce fut seu-
lement après une pénible attente de deux ou trois
minutes que la porte fut ouverte par une vieille femme
tenant une chandelle à la main.
« Qui ètes-vous? que demandez-vous? dit-elle d'une
voix rauque et peu engageante.
C'est bien ici l'office de MM. Quirk, Gammon et
Snap? demanda poliment Huckaback.
Ce n'est pas difficile à savoir en lisant cette
plaque. elle est assez large, Dieu merci 1 répondit
à vieille. Eh bien! ajouta-t-elle en les regardant d'un
air méfiant : que demandez-vous?
- Je désire parler. dit timidement Titmouse, à.
- Il n'y a personne ici, interrompit brusquement
la vieille femme; il n'y a personne le dimanche.
Revenez demain, si vous avez à voir un de ces mes-
sieurs. Comment vous appelez-vous?
M. Tittlebat Titmouse, répondit celui-ci en pro-
noncant distinctement chaque syllabe.
Monsieur qui?
- M. Tittlebat Titmouse.
Ah cà! est-ce que vous voulez vous moquer de
moi? s'écria la vieille en colère. Retirez-vous, vaga-
bonds, sinon j'appelle un constable.
Je vous dis, répliqua M. Huckaback indigné,
que ce gentleman se nomme M. Tittlebat Titmouse,
et je vous engage, dans votre propre intérêt, à me-
surer vos paroles.
Puis-je du moins écrire un mot pour ces mes-
sieurs? demanda Titmouse.
Il y a une taverne à deux pas d'ici, répondit la
vieille; allez-y écrire votre lettre, puis apportez-la-
moi. Demain, je la remettrai à son adresse, ajouta-
t-elle en fermant la porte au nez des deux jeunes
gens.
Vieille taupe ! s'écria Huckaback en faisant un
geste menaçant.
Ce qu'il y a de mieux à faire, dit Titmouse,
c'est d'aller prendre un verre de bière à la taverne
et d'y écrire un petit mot. Cela vaudra mieux que de
nous disputer avec cette affreuse créature. »
Ils prirent effectivement ce parti, et allèrent rédi-
ger en commun, et à grands efforts d'imagination,
la lettre suivante.
« A messieurs Quirk, Gammon et Snap.
c J'ai lu dans le dernier numéro du Sunday-Flash
que vous avez une affaire de la plus grande impor-
tance à communiquer au plus proche parent de feu
Gabriel Tittlebat Titmouse. Eh bien 1 c'est jnoi le plus
proche parent. Mon ami Huckaback, ici présent, me
servira de témoin. Comme je suis employé toute la
semaine, je vous serai obligé de me donner de vos
nouvelles, le plus tôt possible, au magasin de Tag-
Rag et Cie, Oxford-street, n" 3"! 6, port payé.
o Votre dévoué,
« TlTTLEBAT TITMOUSE.
a Vous n'aurez pas affaire à un ingrat si la chose
en vaut la peine. »
Lorsqu'ils eurent terminé cette élégante épître,
dont .nous avons supprimé les fautes d'orthographe,
dans le seul but de la rendre intelligible, Titmouse
et son ami la portèrent à la vieille femme, qui ne
consentit à s'en charger qu'après de longs pourpar-
lers , fort désobligeants de part et d'autre. Huckaback
accompagna son ami jusqu'à son domicile, et ils se
séparèrent dans une situation d'esprit bien différente
de l'état d'excitation où ils se trouvaient en se ren-
dant à Saffron-hill, après avoir lu l'annonce du
journal.
Après une nuit sans sommeil, Titmouse se leva
pour aller à son magasin. En voyant sa figure tirée,
ses yeux hagards et inquiets, les autres commis se
mirent à le plaisanter et à lui adresser une foule de
questions insidieuses ; et Titmouse ne put s'empêcher
aç leur dire qu'ils apprendraient probablement une
P.
grande nouvelle avant la fin de la journée. Alors les
quolibets et les plaisanteries recommencèrent de plus
belle.
Cependant les heures s'écoulaient sans qu'aucun
message arrivât. Les yeux constamment tournés vers
la porte du magasin, Titmouse attendait dans la plus
cruelle anxiété que quelqu'un vînt le demander. il ne
pouvait tenir en place, et, sous le prétexte le plus
futile, il allait de son rayon au comptoir, et du comp-
toir à son rayon. Témoin de l'étrange conduite de
son commis, M. Tag-Rag lui lanca à plusieurs re-
prises des regards menaçants, et l'apostropha même
d'une façon assez verte.
Enfin vers midi. la voix sonore du garçon de ma-
gasin, placé en sentinelle auprès de la porte d'entrée,
se fit entendre.
a On demande M. Titmouse! » cria-t-il.
En entendant son nom, celui-ci devint aussi blanc
que le calicot qu'il était en train de montrer à une
dame. Néanmoins, il parvint à maîtriser son émotion
et se dirigea vers le comptoir, après s'être fait rem-
placer par un de ses collègues. A la porte du maga-
sin, il vit un étranger qui le salua en disant du ton
le plus poli:
« Est-ce à monsieur Titmouse que j'ai l'honneur
de parler.
Oui, monsieur," répondit Titmouse avec Uil
trouble évident.
L'étranger salua de nouveau et fixa en même temp:,
sur le commis un regard pénétrant. C'était un homme
de trente-six à trente-sept ans, d'un extérieur dis-
tingué et d'une taille au-dessus de la moyenne. il
était vêtu très-simplement, mais avec un certain
goût. Sa physionomie intelligente avait une expres-
sion de bienveillance et de dignité.
« Vous avez laissé, hier soir, un mot à l'office de
MM. Quirk, Gammon et Snap. dit-il à voix basse.
Oui, monsieur, c'est bien moi, répondit Tit-
mouse de plus en plus troublé.
Je serais heureux, monsieur Titmouse, de causer
avec vous en particulier pendant quelques instants.
C'est que je crains. je ne sais si je puis m'ab-
senter, balbutia le commis ; ah ! voici mon patron, »
ajouta-t-il en voyant M. Tag-Rag qui venait du côte
du comptoir; je vais lui demander la permission.
M. Tag-Rag était un homme de petite taille et
quelque peu corpulent. Il paraissait avoir cinquante
et quelques annees. Son visage, ravagé par la petite
vérole , était encadré dans une paire de favoris qui
s'avançaient à chaque coin de sa bouche large et sen-
suelle. Des yeux gris et ternes, bordés de cils blancs
et dépourvus de sourcils, un front bas et fuyant, un
nez affreusement épaté, complétaient cette physio-
nomie peu prévenante, et qui, d'ailleurs, était en
parfaite harmonie avec le moral de M. Tag-Rag,
homme ignorant, égoïste, vaniteux, et tyrannique au
delà de toute expression, dans sa petite sphère. En
entendant appeler Titmouse, M. Tag-Rag, une plume
derrière l'oreille et les mains dans les poches de son
pantalon, avait suivi le commis, pour savoir qui
pouvait ainsi le déranger dé ses occupations.
- a Monsieur, lui dit Titmouse, voudriez-vous me
permettre de m'absenter pendant quelques instants?
Votre demande est absurde, et contraire aux
habitudes de ma maison, vous le savez bien, répondit
Tag-Rag d'un ton rude.
J'aurais désiré, monsieur, dit poliment l'é-
tranger, avoir un entretien particulier avec M. Tit-
mouse, au sujet d'une affaire très-importante. Je me
nomme Gammon, et je suis solicitor.
-S'il y a nécessité absolue., répondit Tag-Rag en
subissant à contre-cœur l'influence du ton poli mais
péremptoire de M. Gammon; s'il y a nécessité
absolue., je consens à me départir de notre règle-
ment; mais, vous comprenez, monsieur, que dans
un établissement aussi considérable que le nôtre,
une discipline invariable est de rigueur. »
Puis, tirant sa montre et regardant Titmouse d'un
air sévère, il ajouta : a Je lui accorde dix minutes, et
il fera bien de ne pas rester plus longtemps. »
M. Gammon salua légèrement Tag-Rag et sortit du
magasin avec le commis.
« Demeurez-vous loin d'ici, monsieur Titmouse?
lui demanda-t-il.
A quelques pas seulement, monsieur, répondit
Titmouse, très-contrarié de conduire dans sa misé-
rable mansarde un personnage aussi considérable;
mais, ajouta-t-il, peut-être ferions-nous mieux d'en-
trer dans la taverne voisine.
Je préfère allez chez vous, monsieur Titmouse.
Dites-moi: avez-vous en votre possession quelques
souvenirs de famille, des lettres, des papiers?
Oui, monsieur ; j'ai quelques papiers, mais ils
n'ont aucune valeur.
Qu'en savez-vous ?. Il est bon que j'en juge par
moi-même, et nous n'avons pas de temps à perdre.»
En arrivant dans la mansarde, M. Gammon s'assit
devant une petite table, tira de sa poche un porte-
feuille et un crayon, et se mit à adresser une foule
de questions à Titmouse au sujet de sa famille et de
ses souvenirs d'enfance. De temps à autre, il prenait
des notes. Titmouse était tout surpris de voir à quel
point M. Gammon connaissait son histoire et sa gé-
néalogie. Sur la demande de M. Gammon, il alla
chercher au fond de sa malle plusieurs lettres de
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