Titre : Le Monde illustré
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1872-10-05
Contributeur : Yriarte, Charles (1833-1898). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32818319d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 05 octobre 1872 05 octobre 1872
Description : 1872/10/05 (A16,N808). 1872/10/05 (A16,N808).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6381024v
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, FOL-LC2-2943
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/08/2013
206 LE MONDE ILLUSTRÉ - 1
d'après les dessins de Scholander, et surmonté d'un
haut catafalque.
L'autopsie du corps a établi la cause de la mort du
roi, naguère si robuste. Il y a deux ans, il eut un abcès
au bas-ventre; il le fit opérer prématurément; avant
qu'il ne fût mûr; le principe morbide resta, se propa-
gea à l'intérieur, et finit par atteindre l'appareil diges-
tif. Lorsqu'il quitta Aix-la-Chapelle, il y a trois se-
maines, le roi fut averti par ses médecins que, s'il
voulait vivre encore quelque temps, il lui fallait le cli-
mat du sud ; mais il préféra succomber plus tôt, ne vou-
lant à aucun prix. risquer de mourir loin de son peuple.
«g.
MES 11ARENTS D'COSSE
1
AM.L.
Vous m'avez dit : Qu'attendez-vous donc avant d'é-
crire cette h i toire? Demain peut-être il sera trop tard
pour que vous ayez encore chance de la voir, je ne dis
pas goûtée, mais simplement comprise de ceux qui
vous connaissent et vous lisent parfois. HAtez-vous.
J'ai répondu : C'est vrai, et pourtant je ne saurais
me mettre à ce récit comme je le ferais a une table
chronologique. ou bien à un conte, où il ne s'agirait
que de ciseler le détail et d'amener à propos le trait
final.
J'ai besoin de'ressaisir dans la bouffée d'air qui passe,
dans la forme d'un nuage, dans la couleur d'un bou-
quet, dans la folie d'un collégien, je ne sais quel par-
fum de jeunesse et de mélancolie, sans quoi cette his-
, toire ne vaudrait rien.
Au moment où j'écris, vous savez que j'ai vingt-
quatre ans et que je suis le lieutenant du célèbre D.*
rédacteur politique de l'Indépendant, qui a ses bureaux
à un premier étage de la rue de Choiseul. Ceci veut
une explication que je ferai d'ailleurs très-brève. Je
n'avais pas été dressé pour mener la vie de cabinet,
sous les ordres d'un chef. Mon père fut l'un des pre-
miers négociants de Calais, où il faisait la commission
des fontes d'Ecosse. Il tenait d'ailleurs aux trois royau-
mes par des relations plus intimes que celle du com-
merce. Dans un de ses premiers voyages à Glasgow, il
avait épousé la sœur d'un de ses correspondants, miss
Iléléna Plumb, depuis ma mère, figure idéale qui dis-
parut de ce monde, alors que je venais de finir ma
rhétorique au lycée de Douai. Je n'oublierai jamais' ce
cruel jour, qu'éclairait un soleil si pur. La veille, le
proviseur m'avait appelé en particulier pour me dire :
— Mon cher enfant, bien que le résultat de la lutte
doive rester secret jusqu'au grand jour, il est toutefois
admis que les élèves vraisemblablement destinés à
quelque succès soient mis à même d'informer leurs fa-
milles qu'elles ne se dérangeront pas inutilement. Je
ne puis vous en dire d'avantage; mais vous voilà pré-
venu.
Mon cœur battit de toutes ses forces à ce peu de
mots, car je devinai à peu près de quoi il était ques-
tion. Il ne s'agissait de rien moins en effet que du prix
de discours français. J'écrivis dans ce sens à mon père
et à ma mère; quant à mon correspondant, Me Étiennc,
avocat distingué du barreau de Douai, il n'avait pas
besoin d'être prévenu. Ami intime de notre proviseur,
il savait à quoi s'en tenir.
Ceux qui me. lisent n'ont pas besoin qu'on leur ra-
conte une distribution de prix, ni les émotions éveil-
lées par le voisinage des vacances, surtout lorsque, dans
un avenir prochain, dans douze mois, on voit luire la
vacance définitive, du moins on le croit,, on l'espère.
L'infinie liberté, l'or, l'amour, la gloire, suivant le goût
de chacun.
Je n'ai, moi, jamais été de cette humeur intrépide
devant ma volonté satisfaite. Le travail, l'effort me
causent de la joie. mais la réalisation de mes souhaits
m'oppresse étrangement le cœur. Je suis inapte au plai-
sir. il n'est si petit succès que je n'aie payé d'un noir
chagrin.
l e jour de la distribution des prix, nul ne mange ni
ne boit. Il y a de la fièvre dans tous les coins du col-
lège. On empile son linge et quelques livres. On s'ha-
bille ensuite pour la solennité. On a des mouvements
généreux du cœur; on va spontanément offrir la main
à Edouard, avec qui l'on était en froid depuis l'an passé.
Bref, après quelques heures de surexcitation, on se
.rend, dans l'ordre de régiments allant à la levue, vers
le local désigné pour la cérémonie. Démon temps, c'è-
tait ordinairement la grande salle de l'hôtel de ville.
Nous n'avions pas de communications avec nos famil-
les jusqu'à l'issue de la fête, et les premières recon-
naissances s'opéraient silencieusement dans l'enceinte
même du grand salon et tandis que nous gravissions
nos estrades latéràles, sur deux files, longeant l'espace
réservé aux parents.
II
Dans le brouhaha de l'entrée, je ne reconnus pas d'a-
bord les miens, et je supposai.! que, placés au milieu
d'une rangée de chaises, il ne leur avait pas encore été
possible de se fabre apercevoir de moi, qui ai toujours
eu la vue faible. Je ne manquerais pas de les voir,
lorsqu'on proclamerait mon nom.
A ce souvenir, une larme chaude me vient aux yeux.
Tous les ans, à la même époque, pareille scène se pas-
sait. En des jours moins sombres, ils étaient là trois et
non pas deux. Dix ans après moi, il m'était né un
frère. Mon Dieu, je sais bien qu'on nous aimait tous
deux d'une tendresse égale ; mais on a pour ces ché-
rubins d'automne des effusions dont seul un imbécile,
plus encore qu'un méchant, saurait être jaloux. Moi-
même, j'étais le premier à idolâtrer ce petit enfant.
J'étais son parrain, et lorsqu'il eut atteint quatre ans,
ma mère le prenait avec elle à nos distributions de
prix. C'est lui qui me donnait mon livre et ma cou-
ronne de papier vert; il me jetait les bras autour du
cou. et puis se mettait à rire aux éclats de la figure
que je faisais sous le diadème. Je vous demande s'il
eut du succès et de l'écho.
Et trois semaines après (les affreuses vacances!) le
pauvre petit fut pris un soir de la fièvre et toute la
maison livrée à l'épouvante. Chaque soir, tous les gens
étaient occupés, soit en courses au dehors, soit au pre-
mier étage, toujours à propos de l'enfant. C'était moi
'qui allais ouvrir à mon père lorsqifil rentrait du cer-
cle, où il n'allait que pour tromper son angoisse; nous
échangions seulement ces mots :
'- A-t-il pu boire ?
- Pas encore, mais.
C'était assez.
Puis le hideux typhus, désolation de tant de foyers,
poison de tant d'espérances, acheva son œuvre.
Un matin, l'enfant ayant pu prendre sa potion (c'é-
tait le jour de Noël, et ma croyante mère comptait sur
un miracle de joyeux christmas); le médecin était parti
sur un mot consolant. Mon père, qui eût espéré contre
respérance, avait fait monter à dîner une bouteille de
son plus vieux vin et ordonné que ma mère, exténuée
par les alarmes et les veilles, en prît un verre.
Contre son gré, car elle n'aimait pas le vin, elle obéit,
et puis elle nous quitta pour aller reprendre son poste
auprès du petit lit. Dix minutes après, elle reparut.
Ce n'était plus une femme, une vivante mais le fan-
tôme d'une agonie, le spectre du cœur maternel. Gé-
mir et se tordre les bras, lui eût été un soulagement
nécessaire. Mais elle vit mon père, et, par un effort
sublime, elle alla se jeter au cou de son mari, et lui
dit :
- Ne pleure pas ! !.
L'enfant venait de mourir dans une convulsion.
Lentement, ma mère se rétablit. Comme elle avait tou-
jours été d'une complexion délicate, l'altération fut
moins sensible chez elle que chez mon père. Elle se
contint jusqu'au bout pour nous.
Et cela avait toujours été ainsi, jusqu'à la présente
distribution des prix.
III
Quand nous fûmes tous assis sur nos bancs, et quand
un peu de calme eut pris possession de l'assemblée.
ce qui eût peut-être jeté de Hnquxétude dans le cœur
d'un autre ne m'émut pas encore excessivement. La
vérité" est que je n'entrevoyais même pas ceux que je
cherchais. J'en rejetai la faute sur mes yeux. Le préfet,
qui présidait la séance, après avoir, la main sur son
cœur, dit le plus grand bien de la dynastie régnante,
donna la parole au professeur de philosophie, un jeune
homme de vingt-huit ans, qui fit un discours JI
plaudi. Je l'écoutai, pour ma part, assez distraite111^|(
me réservant de le lire le lendemain dans le ioli-roal-
Et puis la chaleur, ce jour-là, Sm'empèclJait de b iell
entendre. Je luttais sourdement contre une vagïl"
phyxie. Je n'avais ni dormi, ni mangé depuis ( !\'
Puis, à toutes ces causes de malaise, se joignait le tre
vail du pressentiment. Je ne pouvais encore Ille l'ln rC
compte de rien. Je savais seulement qu'il y a une 1
j'étais heureux, que tout à mes yeux se préparait P
une fête, et qu'à présent une sorte de voile nOir 'nt
une fête, et qu'à présent une sorte de voile no'
nouait autour de moi. Je m'associais automatlql. r.
aux rumeurs qui saluaient le discours de notre pro de
seur puis je retombais dans mon insensibilité. et
, J"cnteJ1
nouveau, je redevenais attentif. C'est ainsi que. J des
dis notre proviseur, qui avait naturellement le gOLt. des
phrases cadencées, et qui disait bien et d'une voix
nore, débuter ainsi :
« En désignant pour parler, dans cette clrco 'CC
le professeur distingué que vous venez d'écouter a'ti-
une attention si flatteuse et d'applaudir à si juste ¡le
tre, je savais bien qu'il me serait doublement du1
de parler après lui, etc. »
Pourquoi me suis-je rappelé exactement cette ph
Certes ce n'est pas à cause de son sens précieux, 11 l'
sa grande beauté littéraire. mais d'une circoiisM
qui empêchera à jamais que je l'oublie. Ic „
A ce moment-là, il y eut dans un coin de la ?a"Cn
remuement de chaises. Un tardif arrivant fa 1
entrée, et ce devait être un personnage de martIe Il
bien vu, car tout le monde se dérangeait pour hl a¡¡r
se plaindre, et, de tous côtés, on semblait lui dire P
r-ignes :
— Venez donc vous asseoir près de nous. d s
Mon voisin me poussa du coude et me gli-sl a
l'oreille :
— Dis donc, Romantique (on m'avait surnomme ait
par hasard, un beau jour, sans raison, comme on a
surnommé celui-là même qui me parlait PommC
terre.), dis donc, Romantique. voilà ton corresp
dant, Mfi Étienne. 15,
Mon cœur battit plus fort. J'allais donc voir mes pareo la
Me Etienne devait être avec eux. Etre prévenu de .la
sorte, cela valait une lorgnette; la myopie était v Oigt
eue; pour mieux dire, mon œil avait un guide, un^'
de repère, d'autant, plus sûr que les deux verres un
pince-nez bien connu brillèrent aussitôt dans la dr e"
tion du banc où j'étais assis. C'était Me Etienne ql'e.
naît de me reconnaÎtr e dans la foule de mes caniara 115
Il était littéralement pressé, entouré de voisins---
hommes. Pas un ruban, pas un chapeau de femnlt? 1 s
environs. Comment donc Me Etienne, qui ProfcsS,
pour ma mère une galanterie des temps chevalereSQlltlr
n'était-il pas allé s'asseoir auprès d'elle? Une lc'r
vague m'envahit.
Enfin le proviseur termina son discours, et [lp ',t-
dès élèves commença aussitôt. Je vous jure qe je IlI11!1
vais pas alors le cœur à la vanité. Lorsqu'on me nOrIJ,
pour le prix d'honneur, mon voisin dut me pousse
— lié bien. va donc! -
C'est l'archevêque de Cambrai qui me remit i Je■ s- 'iO'
C'est l'archevêque de Camlmii qui me remit ], (!le
lûmes; dans mon trouble, je serrai la main qU 11 aJJ
fendait* à baiser, et cela eût peut-être fait scandale od
ce qui suivit. L'autre prix devait m'être donné par Os-
père ou ma mère. Voici comment les choses se Peq,
saient. Le censeur lançait d'abord deux noms de 'ci-
premier et second prix. Au bruit, de la fanfare 1I1110¡e;
pale, les deux vainqueurs se dirigeaient vers dis
arrivés là, iis saluaient la foule, en étant applaU t¡-
avec plus ou moins de chaleur, suivant le degré de po à
larité. (par exemple, le moindre accessit décer
un Polonais faisait ovation) et, précédés d'un "l
d'études chargé de frayer la route, ils se livraient àtra-
voyage d'exploration à la recherche des leurs, à tra,
vers cette foule bariolée. Généralement l'hésitation tait
de courte durée. On voyait surgir de ce fouillis de fl)
bes et d'habits noirs une figure radieuse d ,aïetile,de
mère, de jeune sœur à rubans roses, et quelquefulS
petit frère. , dit,
A l'approche du maître d'études qui me Pre^ ce
un peu à tâtons, ne recevant de nulle part les in0 ,jCr (
un peu à tâtons, ne recevant. de nulle part les e
tions usitées, j.e vis enfin se lever Me Etienne. CI Ci
la surprise me paralysait, il me dit d'un fon rapide (
la joue en feu : Vc
— Tes. parents m'ont chargé de les remplacer' pee
d'après les dessins de Scholander, et surmonté d'un
haut catafalque.
L'autopsie du corps a établi la cause de la mort du
roi, naguère si robuste. Il y a deux ans, il eut un abcès
au bas-ventre; il le fit opérer prématurément; avant
qu'il ne fût mûr; le principe morbide resta, se propa-
gea à l'intérieur, et finit par atteindre l'appareil diges-
tif. Lorsqu'il quitta Aix-la-Chapelle, il y a trois se-
maines, le roi fut averti par ses médecins que, s'il
voulait vivre encore quelque temps, il lui fallait le cli-
mat du sud ; mais il préféra succomber plus tôt, ne vou-
lant à aucun prix. risquer de mourir loin de son peuple.
«g.
MES 11ARENTS D'COSSE
1
AM.L.
Vous m'avez dit : Qu'attendez-vous donc avant d'é-
crire cette h i toire? Demain peut-être il sera trop tard
pour que vous ayez encore chance de la voir, je ne dis
pas goûtée, mais simplement comprise de ceux qui
vous connaissent et vous lisent parfois. HAtez-vous.
J'ai répondu : C'est vrai, et pourtant je ne saurais
me mettre à ce récit comme je le ferais a une table
chronologique. ou bien à un conte, où il ne s'agirait
que de ciseler le détail et d'amener à propos le trait
final.
J'ai besoin de'ressaisir dans la bouffée d'air qui passe,
dans la forme d'un nuage, dans la couleur d'un bou-
quet, dans la folie d'un collégien, je ne sais quel par-
fum de jeunesse et de mélancolie, sans quoi cette his-
, toire ne vaudrait rien.
Au moment où j'écris, vous savez que j'ai vingt-
quatre ans et que je suis le lieutenant du célèbre D.*
rédacteur politique de l'Indépendant, qui a ses bureaux
à un premier étage de la rue de Choiseul. Ceci veut
une explication que je ferai d'ailleurs très-brève. Je
n'avais pas été dressé pour mener la vie de cabinet,
sous les ordres d'un chef. Mon père fut l'un des pre-
miers négociants de Calais, où il faisait la commission
des fontes d'Ecosse. Il tenait d'ailleurs aux trois royau-
mes par des relations plus intimes que celle du com-
merce. Dans un de ses premiers voyages à Glasgow, il
avait épousé la sœur d'un de ses correspondants, miss
Iléléna Plumb, depuis ma mère, figure idéale qui dis-
parut de ce monde, alors que je venais de finir ma
rhétorique au lycée de Douai. Je n'oublierai jamais' ce
cruel jour, qu'éclairait un soleil si pur. La veille, le
proviseur m'avait appelé en particulier pour me dire :
— Mon cher enfant, bien que le résultat de la lutte
doive rester secret jusqu'au grand jour, il est toutefois
admis que les élèves vraisemblablement destinés à
quelque succès soient mis à même d'informer leurs fa-
milles qu'elles ne se dérangeront pas inutilement. Je
ne puis vous en dire d'avantage; mais vous voilà pré-
venu.
Mon cœur battit de toutes ses forces à ce peu de
mots, car je devinai à peu près de quoi il était ques-
tion. Il ne s'agissait de rien moins en effet que du prix
de discours français. J'écrivis dans ce sens à mon père
et à ma mère; quant à mon correspondant, Me Étiennc,
avocat distingué du barreau de Douai, il n'avait pas
besoin d'être prévenu. Ami intime de notre proviseur,
il savait à quoi s'en tenir.
Ceux qui me. lisent n'ont pas besoin qu'on leur ra-
conte une distribution de prix, ni les émotions éveil-
lées par le voisinage des vacances, surtout lorsque, dans
un avenir prochain, dans douze mois, on voit luire la
vacance définitive, du moins on le croit,, on l'espère.
L'infinie liberté, l'or, l'amour, la gloire, suivant le goût
de chacun.
Je n'ai, moi, jamais été de cette humeur intrépide
devant ma volonté satisfaite. Le travail, l'effort me
causent de la joie. mais la réalisation de mes souhaits
m'oppresse étrangement le cœur. Je suis inapte au plai-
sir. il n'est si petit succès que je n'aie payé d'un noir
chagrin.
l e jour de la distribution des prix, nul ne mange ni
ne boit. Il y a de la fièvre dans tous les coins du col-
lège. On empile son linge et quelques livres. On s'ha-
bille ensuite pour la solennité. On a des mouvements
généreux du cœur; on va spontanément offrir la main
à Edouard, avec qui l'on était en froid depuis l'an passé.
Bref, après quelques heures de surexcitation, on se
.rend, dans l'ordre de régiments allant à la levue, vers
le local désigné pour la cérémonie. Démon temps, c'è-
tait ordinairement la grande salle de l'hôtel de ville.
Nous n'avions pas de communications avec nos famil-
les jusqu'à l'issue de la fête, et les premières recon-
naissances s'opéraient silencieusement dans l'enceinte
même du grand salon et tandis que nous gravissions
nos estrades latéràles, sur deux files, longeant l'espace
réservé aux parents.
II
Dans le brouhaha de l'entrée, je ne reconnus pas d'a-
bord les miens, et je supposai.! que, placés au milieu
d'une rangée de chaises, il ne leur avait pas encore été
possible de se fabre apercevoir de moi, qui ai toujours
eu la vue faible. Je ne manquerais pas de les voir,
lorsqu'on proclamerait mon nom.
A ce souvenir, une larme chaude me vient aux yeux.
Tous les ans, à la même époque, pareille scène se pas-
sait. En des jours moins sombres, ils étaient là trois et
non pas deux. Dix ans après moi, il m'était né un
frère. Mon Dieu, je sais bien qu'on nous aimait tous
deux d'une tendresse égale ; mais on a pour ces ché-
rubins d'automne des effusions dont seul un imbécile,
plus encore qu'un méchant, saurait être jaloux. Moi-
même, j'étais le premier à idolâtrer ce petit enfant.
J'étais son parrain, et lorsqu'il eut atteint quatre ans,
ma mère le prenait avec elle à nos distributions de
prix. C'est lui qui me donnait mon livre et ma cou-
ronne de papier vert; il me jetait les bras autour du
cou. et puis se mettait à rire aux éclats de la figure
que je faisais sous le diadème. Je vous demande s'il
eut du succès et de l'écho.
Et trois semaines après (les affreuses vacances!) le
pauvre petit fut pris un soir de la fièvre et toute la
maison livrée à l'épouvante. Chaque soir, tous les gens
étaient occupés, soit en courses au dehors, soit au pre-
mier étage, toujours à propos de l'enfant. C'était moi
'qui allais ouvrir à mon père lorsqifil rentrait du cer-
cle, où il n'allait que pour tromper son angoisse; nous
échangions seulement ces mots :
'- A-t-il pu boire ?
- Pas encore, mais.
C'était assez.
Puis le hideux typhus, désolation de tant de foyers,
poison de tant d'espérances, acheva son œuvre.
Un matin, l'enfant ayant pu prendre sa potion (c'é-
tait le jour de Noël, et ma croyante mère comptait sur
un miracle de joyeux christmas); le médecin était parti
sur un mot consolant. Mon père, qui eût espéré contre
respérance, avait fait monter à dîner une bouteille de
son plus vieux vin et ordonné que ma mère, exténuée
par les alarmes et les veilles, en prît un verre.
Contre son gré, car elle n'aimait pas le vin, elle obéit,
et puis elle nous quitta pour aller reprendre son poste
auprès du petit lit. Dix minutes après, elle reparut.
Ce n'était plus une femme, une vivante mais le fan-
tôme d'une agonie, le spectre du cœur maternel. Gé-
mir et se tordre les bras, lui eût été un soulagement
nécessaire. Mais elle vit mon père, et, par un effort
sublime, elle alla se jeter au cou de son mari, et lui
dit :
- Ne pleure pas ! !.
L'enfant venait de mourir dans une convulsion.
Lentement, ma mère se rétablit. Comme elle avait tou-
jours été d'une complexion délicate, l'altération fut
moins sensible chez elle que chez mon père. Elle se
contint jusqu'au bout pour nous.
Et cela avait toujours été ainsi, jusqu'à la présente
distribution des prix.
III
Quand nous fûmes tous assis sur nos bancs, et quand
un peu de calme eut pris possession de l'assemblée.
ce qui eût peut-être jeté de Hnquxétude dans le cœur
d'un autre ne m'émut pas encore excessivement. La
vérité" est que je n'entrevoyais même pas ceux que je
cherchais. J'en rejetai la faute sur mes yeux. Le préfet,
qui présidait la séance, après avoir, la main sur son
cœur, dit le plus grand bien de la dynastie régnante,
donna la parole au professeur de philosophie, un jeune
homme de vingt-huit ans, qui fit un discours JI
plaudi. Je l'écoutai, pour ma part, assez distraite111^|(
me réservant de le lire le lendemain dans le ioli-roal-
Et puis la chaleur, ce jour-là, Sm'empèclJait de b iell
entendre. Je luttais sourdement contre une vagïl"
phyxie. Je n'avais ni dormi, ni mangé depuis ( !\'
Puis, à toutes ces causes de malaise, se joignait le tre
vail du pressentiment. Je ne pouvais encore Ille l'ln rC
compte de rien. Je savais seulement qu'il y a une 1
j'étais heureux, que tout à mes yeux se préparait P
une fête, et qu'à présent une sorte de voile nOir 'nt
une fête, et qu'à présent une sorte de voile no'
nouait autour de moi. Je m'associais automatlql. r.
aux rumeurs qui saluaient le discours de notre pro de
seur puis je retombais dans mon insensibilité. et
, J"cnteJ1
nouveau, je redevenais attentif. C'est ainsi que. J des
dis notre proviseur, qui avait naturellement le gOLt. des
phrases cadencées, et qui disait bien et d'une voix
nore, débuter ainsi :
« En désignant pour parler, dans cette clrco 'CC
le professeur distingué que vous venez d'écouter a'ti-
une attention si flatteuse et d'applaudir à si juste ¡le
tre, je savais bien qu'il me serait doublement du1
de parler après lui, etc. »
Pourquoi me suis-je rappelé exactement cette ph
Certes ce n'est pas à cause de son sens précieux, 11 l'
sa grande beauté littéraire. mais d'une circoiisM
qui empêchera à jamais que je l'oublie. Ic „
A ce moment-là, il y eut dans un coin de la ?a"Cn
remuement de chaises. Un tardif arrivant fa 1
entrée, et ce devait être un personnage de martIe Il
bien vu, car tout le monde se dérangeait pour hl a¡¡r
se plaindre, et, de tous côtés, on semblait lui dire P
r-ignes :
— Venez donc vous asseoir près de nous. d s
Mon voisin me poussa du coude et me gli-sl a
l'oreille :
— Dis donc, Romantique (on m'avait surnomme ait
par hasard, un beau jour, sans raison, comme on a
surnommé celui-là même qui me parlait PommC
terre.), dis donc, Romantique. voilà ton corresp
dant, Mfi Étienne. 15,
Mon cœur battit plus fort. J'allais donc voir mes pareo la
Me Etienne devait être avec eux. Etre prévenu de .la
sorte, cela valait une lorgnette; la myopie était v Oigt
eue; pour mieux dire, mon œil avait un guide, un^'
de repère, d'autant, plus sûr que les deux verres un
pince-nez bien connu brillèrent aussitôt dans la dr e"
tion du banc où j'étais assis. C'était Me Etienne ql'e.
naît de me reconnaÎtr e dans la foule de mes caniara 115
Il était littéralement pressé, entouré de voisins---
hommes. Pas un ruban, pas un chapeau de femnlt? 1 s
environs. Comment donc Me Etienne, qui ProfcsS,
pour ma mère une galanterie des temps chevalereSQlltlr
n'était-il pas allé s'asseoir auprès d'elle? Une lc'r
vague m'envahit.
Enfin le proviseur termina son discours, et [lp ',t-
dès élèves commença aussitôt. Je vous jure qe je IlI11!1
vais pas alors le cœur à la vanité. Lorsqu'on me nOrIJ,
pour le prix d'honneur, mon voisin dut me pousse
— lié bien. va donc! -
C'est l'archevêque de Cambrai qui me remit i Je■ s- 'iO'
C'est l'archevêque de Camlmii qui me remit ], (!le
lûmes; dans mon trouble, je serrai la main qU 11 aJJ
fendait* à baiser, et cela eût peut-être fait scandale od
ce qui suivit. L'autre prix devait m'être donné par Os-
père ou ma mère. Voici comment les choses se Peq,
saient. Le censeur lançait d'abord deux noms de 'ci-
premier et second prix. Au bruit, de la fanfare 1I1110¡e;
pale, les deux vainqueurs se dirigeaient vers dis
arrivés là, iis saluaient la foule, en étant applaU t¡-
avec plus ou moins de chaleur, suivant le degré de po à
larité. (par exemple, le moindre accessit décer
un Polonais faisait ovation) et, précédés d'un "l
d'études chargé de frayer la route, ils se livraient àtra-
voyage d'exploration à la recherche des leurs, à tra,
vers cette foule bariolée. Généralement l'hésitation tait
de courte durée. On voyait surgir de ce fouillis de fl)
bes et d'habits noirs une figure radieuse d ,aïetile,de
mère, de jeune sœur à rubans roses, et quelquefulS
petit frère. , dit,
A l'approche du maître d'études qui me Pre^ ce
un peu à tâtons, ne recevant de nulle part les in0 ,jCr (
un peu à tâtons, ne recevant. de nulle part les e
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