Titre : Le Monde illustré
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1872-08-03
Contributeur : Yriarte, Charles (1833-1898). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32818319d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 52729 Nombre total de vues : 52729
Description : 03 août 1872 03 août 1872
Description : 1872/08/03 (A16,N799). 1872/08/03 (A16,N799).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6381015w
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, FOL-LC2-2943
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 05/08/2013
66 LE MONDE ILLUSTRÉ
jjfoURRIER DE ARIS
LETTRES A UNE PROVINCIALE
Paris, le 30 juillet 1S7-2.
Amie,
Si je n'ai pas le sens commun, si je suis absurde
et rageur, c'est la faute du soleil. On n'a jamais
rien vu de pareil. Le ciel nous recouvre comme une
immense cloche pneumatique. Nos nerfs s'enrou-
lent autour de nos os desséchés comme le laiton sur
la bobine de Rumkorff. Les orages se succèdent et
nous chargent d'électricité comme des bouteilles de
Leyde. — Veut-on écrire? l'encre sèche au bout de
la plume aussi vite que l'idée dans le cerveau. Veut-
on marcher? on est brisé dès le premier pas; on est
en eau dès le second. Veut-on se coucher? avant
*l i cinquième minute on songe à se lever. Veut-on
so lever? aussitôt on rêve de s'étendre. Les nuits se
passent à ouvrir et fermer des fenêtres, à se rouler
sur ses matelats,. que sais-je?. Et l'on ap-
pelle la France un pays tempéré. Tempéré !. le
mot est bien trouvé. Tempéré!. un pays qui, al-
ternativement, s'en va en huile, fond, étouffe, se
dessècche par 40 degrés de chaleur, puis se ratatine,
se cristallise, se gerce et se crevasse par 23 degrés
de froid. Tempéré!. un pays où le mercure vol-
tige, grimpe et dégringole dans les tubes thermo-
métriques sur 63 échelons différents! Que vous faut-
il donc pour déclarer excentrique un pays où le so-
leil assomme sur place les plus valides, achève les
malades et fait partout germer la folie'furieuse?
Tempéré !.
Dans une même journée, un charretier tombe
mort, avenue des Champs-Elysées; un fondeur se
pend Montagne-Sainte-Geneviève; une jeune fille
devient folle sur un des bateaux-omnibus; un mar-
brier rentre pour dîner après sa journée de travail,
il meurt en se mettant à table; un jeune homme
de dix-huit ans se jette par la fenêtre; rueFerraud,
rue des Abbesses, deux passants roulent, atteints
d'aliénation mentale, etc. Et l'on appelle la
France un pays tempéré!.
Le Gymnase fait 242 fr. 50; le Palais-Royal 152
francs !. Tempéré !.
Il tombe des averses à noyer les passants, à en-
traîner des omnibus!. Tempéré !.
Mais c'est égal, notre pays serait encore le pre-
mier pays du monde, si. Mais, au fait, si ce n'est
la France, quel est donc le premier pays du monde?
Décidément, ils auront beau faire, et les hommes
noirs, et les hommes rouges, et les hommes gris, et
les voisins à casques, et les voisins à chemise rouge,
et ceux-ci et ceux-là; meurtri, morcelé, sanglant,
incendié, profané, avec toute la vermine du monde
cramponnée à tes flancs, mon beau pays, tu seras
toujours le meilleur.
La Vénus de Milo est-elle moins belle, pour quel-
ques toiles d'araignées? Une heure vient, un homme
passe, un coup de plumeau est donné, et Vénus
rayonne comme au premier jour.
Me Rousse ayant achevé sa seconde année de
bitonnat, il a fallu bon gré, malgré, lui donner un
successeur. Des événements ne manqueront pas de
se produire qui décideront s'il a été remplacé. En
mettant provisoirement ce mot de côté, je ne crois
pas faire inj ure au nouveau titulaire. Puisse-t-il, et
pour lui et pour nous, ne pas avoir d'aussi redou-
tables épreuves à traverser qu'en a eues son prédé-
cesseur.
Le combat s'est engagé mollement, les votants
étant bien convaincus que le premier tour de scru-
tin serait nul. Cette manière d'agir est regrettable.
Le premier classement a toujours une très-sérieuse
influence sur la répartition suivante des votes.
Bâtonnier est un de ces mille mots que bien des
personnes emploient, au petit bonheur, sans savoir
exactement ce qu'ils signifient et représentent.
— « Le bâtonnier, est-ce que c'est le tambour-major
des avocats?. » demandait hier un bambin, devant
lequel on parlait du scrutin du 30. Sans pousser
l'erreur aussi loin, on ignore généralement l'origine
de ce mot.
Le bâtonnier était chef de la confrérie de Saint-
Nicolas, laquelle confrérie, composée de procureurs
au Parlement, administrée par les procureurs de
communauté, s'était établie en la chapelle du Palais
de Justice. En 1342, les clercs organisèrent une
procession annuelle. Le chef de l'ordre y portait la
bannière. En 1782, les avocats se détachèrent de la
confrérie. Une ordonnance royale du 27 août 1830
rendit au barreau cette prérogative si souvent reven-
diquée de nommer directement son bâtonnier et
son conseil de discipline. Le droit électif avait été
réservé jusque là aux anciens bâtonniers et aux
procureurs de communauté, qui n'en faisaient usage
qu'au seul profit de leurs doyens. Ceux qui accep-
taient le bâtonnat envoyaient mille livres au greffier
de la commuoauté pour qu'on les distribuât à des
collègues et à des veuves d'avocats dans la misère.
Cette charge n'était pas la seule qu'ils eussent à
supporter. Leur ensemble s'élevait dans le courant
de l'année à mille autres livres, pour le moins. En
outre, le 9 mai, jour de l'élection, un service reli-
gieux était célébré aux frais de l'élu. Pendant la
cérémonie, le nouveau bâtonnier tenait le bâton
d'argent surmonté d'une figurine de saint Nicolas.
— De là lui est venu le nom qu'il porte encore
aujourd'hui.
Armand Gouzien a proposé un impôt sur la li-
brairie. Un stamp de deux centimes appliqué sur
chaque volume vendu me paraîtrait fort bien placé.
Je voudrais à mon tour vous parler d'un impôt
volontaire dont profiterait, sans charge aucune pour
nous, les enfants pauvres que l'on envoie à l'école.
Que diriez-vous, amie, d'une société bienfaisante
qui se formerait pour recevoir les milliers de livres
de classe qui deviennent chaque année inutiles à nos
enfants, alors qu'ils franchissent un nouvel échelon
scolaire? Ceux d'entre-eux qui ont terminé leurs
études, ont entassé chez nous des grammaires, des
dictionnaires, des méthodes, des ouvrages histori-
ques, des traités, des atlas qui rendraient de nou-
veaux services, s'ils étaient intelligemment distri-
bués.
Dans une société bien organisée comme dans une
maison bien conduite, rien n'est inutile, tout doit
être utilisé. Ces épaves : livres et matériel scolaire,
pupitres, cahiers aux trois-quarts blancs, plumes
taillées, ouvrages dépareillés qui nous encombrent,
que nous brûlons ou jetons au pilon, feraient bien
des heureux.
Je voudrais voir créer enfin au profit des écoles
gratuites, les petits frères des écoliers pauvres. Je suis
convaincu qu'un pareil entrepôt rendrait d'immen-
ses services.
Que pensez-vous de mon idée?
Si je connaissais M. le préfet de police, je lui de-
manderais de faire afficher dans Paris une ordon-
nance enjoignant à MM. les cochers de ménager,
partout où ils stationnent, un passage de 1 m. 50
au moins, de trois en trois voitures, pour les piétons.
C'est pitié de voir les malheureuses femmes, les en-
fants, les infirmes, les vieillards, après avoir tra-
versé à grand'peine les anciens boulevards, par
exemple, se heurter contre un interminable chapelet
de fiacres, gardé par des cochers grossiers. Il leur
faut, ou se glisser sous la tête des chevaux, ou lon-
ger la file jusqu'à l'une de ses extrémités, piétiner
dans la crotte et le crottin, entendre les plaisante-
ries, souvent ordurières, des gardiens du rempart.
Cette amélioration ne coûterait à la Préfecture que
la peine de rédiger une ordonnance de vingt lignes,
et de la faire afficher.
Je suis convaincu que si M. le préfet de police lit
vos lettres, amie, la chose se fera.
Le ministre de la justice a publié son rapport
annuel sur l'administration de la justice criminelle
en France et eri Algérie, pendant l'année 1870. Je
vous envoie quelques chiffres qui m'ont paru in-
structifs et intéressants.
Apprenez, en ce qui concerne les cours d'assises,
que 2,974 hommes et 527 femmes (3,501 accusés)
ont commis 1,297 attentats contre les personnes et
1,499 crimes contre les propriétées. (2,796 accusations)
852 prévenus ont été acquittés (24 0/0). On a con-
damné 11 accusés à la peine de mort; 89, aux tra-
vaux forcés à perpétuité; 576, aux travaux forcés à
temps; 540, à la réclusion; 1,189, à plus d'un an
d'emprisonnement; 227, à moins d'un an de 1;1
même peine.
Les tribunaux correctionnels, sauf ceux de Paris
et de Remiremont dont tous les documents ont été
détruits, ontjugé 121,759 prévenus (105,576 hommes
et 16,183 femmes); 102,352 pour délits communs;
19,407, pour contraventions. — 4,170 prévenus
avaient moins de 16 ans; 15,060, de 16 à 21 ans;
102,529 avaient dépassé la majorité. — 44,685 pré-
venus ont été condamnés à l'amende seulement.
Ce dénombrement effrayant de l'armée du crime
justifie, plus que jamais, la réclamation que j'al
produite dans ma lettre du 20 juillet dernier. Vous
vous rappelez, amie, que je demandais que l'on
frappât les vices d'un impôt ; que toutes les pénali
tés acquittées en espèces au profit de l'État fussent
sensiblement augmentées, sinon doublées; que tous
les dommages-intérêts accordés aux plaignants fus-
sent frappés d'une augmentation de tant pour cent
au profit de l'État.
J'ai reçu à ce sujet beaucoup de lettres approba-
tives;et vous voyez que 44,685 prévenus ont été
condamnés en 1870 à l'amende seulement. En
1869, les sommes reçues, — je ne parle pas du chiffre
des condamnations qui était naturellement plus
élevé, — les sommes recouvrées à titre d'amende,
par suite de condamnations prononcées par les
cours et tribunaux, ont atteint le chiffre de
2,375,425 francs. — Ajoutez à cela le produit des
dommages-intérêts, et voyez si l'impôt sur le vice,
moral entre tous, mérite d'être dédaigné.
La statistique du suicide n'est pas moins intérêt
sante que celle qui précède.
Il paraît que 3,371 hommes, 785 femmes (i, 1
se sont donné la mort. 18 avaient moins de 16 ans;
130, de 16 à 21; 1,037, de 21 à 40; 1,669, de 40 à 60;
1,243 étaient plus que sexagénaires. — 1,4+7 étaient
célibataires. — 2,630 habitaient les campagnes;
1,461, les villes; 66 n'avaient aucun domicile con-
staté. — La statistique répartit ainsi les suicidés :
1,848 agriculteurs; 933 industriels; li9 commer-
çants; 146 domestiques; 3'95 vagabonds; 716 per
sonnes exerçant des professions libérales. — J ,3Jt
suicides ont été accomplis au printemps; 1,129, en
été; 668, en automne; 976, en hiver. — 383 ont eu
pour cause la misère ou des revers de fortune;
512, des chagrins de famille; 701, l'inconduite et la
jalousie; 515, des peines physiques; 415, des peines
morales; 1,377 ont été déterminés par l'aliénation
mentale. — 22 condamnés pour crimes capitaux se
sont donné la mort.
Il résulte des chiffres qui précèdent que la cam-
pagne et le printemps poussent au suie de. Auriez-
vous cru cela? Se balancer au bout d'une corde,
les mains derrière le dos, à quelques centimètres
au-dessus de la mousse et des violettes, cela se com-
prend-il'? Ceux-là doivent avoir été les plus mal-
heureux.
Vous n'avez pas oublié, amie, ce temps béni de
notre première enfance, où nous vivions côte à
côte, faisant de nos joies comme de nos tristesses
deux parts égales, nous maintenant mutuellement
dans la bonne voie pour entendre enfin nos mères
nous dire : - « Puisque vous avez été bien sages
« pendant ces six derniers mois, Baptiste vous mè-
« nera ce soir voir Robert-Houdin. »
Lorsque avait retenti cette promesse tant désirée,
nous ne songions plus à rien demander à la Pro-
vidence. Le but de la vie nous semblait atteint.
Jamais nous n'aurions cru payer »ie trop de sagesse
et de privations une aussi suprême récompense.
Un tour, surtout, excitait notre enthousiasme.
Celui-là, nous en parlions toujours avec la même
admiration. — Robert-Houdin plaçait bien en évi-
dence, sous une cloche de cristal, des fleurs choisies
par le public. Puis, il armait un pistolet!. Vous
vous serriez contre moi, vous bouchant les oreilles;
jjfoURRIER DE ARIS
LETTRES A UNE PROVINCIALE
Paris, le 30 juillet 1S7-2.
Amie,
Si je n'ai pas le sens commun, si je suis absurde
et rageur, c'est la faute du soleil. On n'a jamais
rien vu de pareil. Le ciel nous recouvre comme une
immense cloche pneumatique. Nos nerfs s'enrou-
lent autour de nos os desséchés comme le laiton sur
la bobine de Rumkorff. Les orages se succèdent et
nous chargent d'électricité comme des bouteilles de
Leyde. — Veut-on écrire? l'encre sèche au bout de
la plume aussi vite que l'idée dans le cerveau. Veut-
on marcher? on est brisé dès le premier pas; on est
en eau dès le second. Veut-on se coucher? avant
*l i cinquième minute on songe à se lever. Veut-on
so lever? aussitôt on rêve de s'étendre. Les nuits se
passent à ouvrir et fermer des fenêtres, à se rouler
sur ses matelats,. que sais-je?. Et l'on ap-
pelle la France un pays tempéré. Tempéré !. le
mot est bien trouvé. Tempéré!. un pays qui, al-
ternativement, s'en va en huile, fond, étouffe, se
dessècche par 40 degrés de chaleur, puis se ratatine,
se cristallise, se gerce et se crevasse par 23 degrés
de froid. Tempéré!. un pays où le mercure vol-
tige, grimpe et dégringole dans les tubes thermo-
métriques sur 63 échelons différents! Que vous faut-
il donc pour déclarer excentrique un pays où le so-
leil assomme sur place les plus valides, achève les
malades et fait partout germer la folie'furieuse?
Tempéré !.
Dans une même journée, un charretier tombe
mort, avenue des Champs-Elysées; un fondeur se
pend Montagne-Sainte-Geneviève; une jeune fille
devient folle sur un des bateaux-omnibus; un mar-
brier rentre pour dîner après sa journée de travail,
il meurt en se mettant à table; un jeune homme
de dix-huit ans se jette par la fenêtre; rueFerraud,
rue des Abbesses, deux passants roulent, atteints
d'aliénation mentale, etc. Et l'on appelle la
France un pays tempéré!.
Le Gymnase fait 242 fr. 50; le Palais-Royal 152
francs !. Tempéré !.
Il tombe des averses à noyer les passants, à en-
traîner des omnibus!. Tempéré !.
Mais c'est égal, notre pays serait encore le pre-
mier pays du monde, si. Mais, au fait, si ce n'est
la France, quel est donc le premier pays du monde?
Décidément, ils auront beau faire, et les hommes
noirs, et les hommes rouges, et les hommes gris, et
les voisins à casques, et les voisins à chemise rouge,
et ceux-ci et ceux-là; meurtri, morcelé, sanglant,
incendié, profané, avec toute la vermine du monde
cramponnée à tes flancs, mon beau pays, tu seras
toujours le meilleur.
La Vénus de Milo est-elle moins belle, pour quel-
ques toiles d'araignées? Une heure vient, un homme
passe, un coup de plumeau est donné, et Vénus
rayonne comme au premier jour.
Me Rousse ayant achevé sa seconde année de
bitonnat, il a fallu bon gré, malgré, lui donner un
successeur. Des événements ne manqueront pas de
se produire qui décideront s'il a été remplacé. En
mettant provisoirement ce mot de côté, je ne crois
pas faire inj ure au nouveau titulaire. Puisse-t-il, et
pour lui et pour nous, ne pas avoir d'aussi redou-
tables épreuves à traverser qu'en a eues son prédé-
cesseur.
Le combat s'est engagé mollement, les votants
étant bien convaincus que le premier tour de scru-
tin serait nul. Cette manière d'agir est regrettable.
Le premier classement a toujours une très-sérieuse
influence sur la répartition suivante des votes.
Bâtonnier est un de ces mille mots que bien des
personnes emploient, au petit bonheur, sans savoir
exactement ce qu'ils signifient et représentent.
— « Le bâtonnier, est-ce que c'est le tambour-major
des avocats?. » demandait hier un bambin, devant
lequel on parlait du scrutin du 30. Sans pousser
l'erreur aussi loin, on ignore généralement l'origine
de ce mot.
Le bâtonnier était chef de la confrérie de Saint-
Nicolas, laquelle confrérie, composée de procureurs
au Parlement, administrée par les procureurs de
communauté, s'était établie en la chapelle du Palais
de Justice. En 1342, les clercs organisèrent une
procession annuelle. Le chef de l'ordre y portait la
bannière. En 1782, les avocats se détachèrent de la
confrérie. Une ordonnance royale du 27 août 1830
rendit au barreau cette prérogative si souvent reven-
diquée de nommer directement son bâtonnier et
son conseil de discipline. Le droit électif avait été
réservé jusque là aux anciens bâtonniers et aux
procureurs de communauté, qui n'en faisaient usage
qu'au seul profit de leurs doyens. Ceux qui accep-
taient le bâtonnat envoyaient mille livres au greffier
de la commuoauté pour qu'on les distribuât à des
collègues et à des veuves d'avocats dans la misère.
Cette charge n'était pas la seule qu'ils eussent à
supporter. Leur ensemble s'élevait dans le courant
de l'année à mille autres livres, pour le moins. En
outre, le 9 mai, jour de l'élection, un service reli-
gieux était célébré aux frais de l'élu. Pendant la
cérémonie, le nouveau bâtonnier tenait le bâton
d'argent surmonté d'une figurine de saint Nicolas.
— De là lui est venu le nom qu'il porte encore
aujourd'hui.
Armand Gouzien a proposé un impôt sur la li-
brairie. Un stamp de deux centimes appliqué sur
chaque volume vendu me paraîtrait fort bien placé.
Je voudrais à mon tour vous parler d'un impôt
volontaire dont profiterait, sans charge aucune pour
nous, les enfants pauvres que l'on envoie à l'école.
Que diriez-vous, amie, d'une société bienfaisante
qui se formerait pour recevoir les milliers de livres
de classe qui deviennent chaque année inutiles à nos
enfants, alors qu'ils franchissent un nouvel échelon
scolaire? Ceux d'entre-eux qui ont terminé leurs
études, ont entassé chez nous des grammaires, des
dictionnaires, des méthodes, des ouvrages histori-
ques, des traités, des atlas qui rendraient de nou-
veaux services, s'ils étaient intelligemment distri-
bués.
Dans une société bien organisée comme dans une
maison bien conduite, rien n'est inutile, tout doit
être utilisé. Ces épaves : livres et matériel scolaire,
pupitres, cahiers aux trois-quarts blancs, plumes
taillées, ouvrages dépareillés qui nous encombrent,
que nous brûlons ou jetons au pilon, feraient bien
des heureux.
Je voudrais voir créer enfin au profit des écoles
gratuites, les petits frères des écoliers pauvres. Je suis
convaincu qu'un pareil entrepôt rendrait d'immen-
ses services.
Que pensez-vous de mon idée?
Si je connaissais M. le préfet de police, je lui de-
manderais de faire afficher dans Paris une ordon-
nance enjoignant à MM. les cochers de ménager,
partout où ils stationnent, un passage de 1 m. 50
au moins, de trois en trois voitures, pour les piétons.
C'est pitié de voir les malheureuses femmes, les en-
fants, les infirmes, les vieillards, après avoir tra-
versé à grand'peine les anciens boulevards, par
exemple, se heurter contre un interminable chapelet
de fiacres, gardé par des cochers grossiers. Il leur
faut, ou se glisser sous la tête des chevaux, ou lon-
ger la file jusqu'à l'une de ses extrémités, piétiner
dans la crotte et le crottin, entendre les plaisante-
ries, souvent ordurières, des gardiens du rempart.
Cette amélioration ne coûterait à la Préfecture que
la peine de rédiger une ordonnance de vingt lignes,
et de la faire afficher.
Je suis convaincu que si M. le préfet de police lit
vos lettres, amie, la chose se fera.
Le ministre de la justice a publié son rapport
annuel sur l'administration de la justice criminelle
en France et eri Algérie, pendant l'année 1870. Je
vous envoie quelques chiffres qui m'ont paru in-
structifs et intéressants.
Apprenez, en ce qui concerne les cours d'assises,
que 2,974 hommes et 527 femmes (3,501 accusés)
ont commis 1,297 attentats contre les personnes et
1,499 crimes contre les propriétées. (2,796 accusations)
852 prévenus ont été acquittés (24 0/0). On a con-
damné 11 accusés à la peine de mort; 89, aux tra-
vaux forcés à perpétuité; 576, aux travaux forcés à
temps; 540, à la réclusion; 1,189, à plus d'un an
d'emprisonnement; 227, à moins d'un an de 1;1
même peine.
Les tribunaux correctionnels, sauf ceux de Paris
et de Remiremont dont tous les documents ont été
détruits, ontjugé 121,759 prévenus (105,576 hommes
et 16,183 femmes); 102,352 pour délits communs;
19,407, pour contraventions. — 4,170 prévenus
avaient moins de 16 ans; 15,060, de 16 à 21 ans;
102,529 avaient dépassé la majorité. — 44,685 pré-
venus ont été condamnés à l'amende seulement.
Ce dénombrement effrayant de l'armée du crime
justifie, plus que jamais, la réclamation que j'al
produite dans ma lettre du 20 juillet dernier. Vous
vous rappelez, amie, que je demandais que l'on
frappât les vices d'un impôt ; que toutes les pénali
tés acquittées en espèces au profit de l'État fussent
sensiblement augmentées, sinon doublées; que tous
les dommages-intérêts accordés aux plaignants fus-
sent frappés d'une augmentation de tant pour cent
au profit de l'État.
J'ai reçu à ce sujet beaucoup de lettres approba-
tives;et vous voyez que 44,685 prévenus ont été
condamnés en 1870 à l'amende seulement. En
1869, les sommes reçues, — je ne parle pas du chiffre
des condamnations qui était naturellement plus
élevé, — les sommes recouvrées à titre d'amende,
par suite de condamnations prononcées par les
cours et tribunaux, ont atteint le chiffre de
2,375,425 francs. — Ajoutez à cela le produit des
dommages-intérêts, et voyez si l'impôt sur le vice,
moral entre tous, mérite d'être dédaigné.
La statistique du suicide n'est pas moins intérêt
sante que celle qui précède.
Il paraît que 3,371 hommes, 785 femmes (i, 1
se sont donné la mort. 18 avaient moins de 16 ans;
130, de 16 à 21; 1,037, de 21 à 40; 1,669, de 40 à 60;
1,243 étaient plus que sexagénaires. — 1,4+7 étaient
célibataires. — 2,630 habitaient les campagnes;
1,461, les villes; 66 n'avaient aucun domicile con-
staté. — La statistique répartit ainsi les suicidés :
1,848 agriculteurs; 933 industriels; li9 commer-
çants; 146 domestiques; 3'95 vagabonds; 716 per
sonnes exerçant des professions libérales. — J ,3Jt
suicides ont été accomplis au printemps; 1,129, en
été; 668, en automne; 976, en hiver. — 383 ont eu
pour cause la misère ou des revers de fortune;
512, des chagrins de famille; 701, l'inconduite et la
jalousie; 515, des peines physiques; 415, des peines
morales; 1,377 ont été déterminés par l'aliénation
mentale. — 22 condamnés pour crimes capitaux se
sont donné la mort.
Il résulte des chiffres qui précèdent que la cam-
pagne et le printemps poussent au suie de. Auriez-
vous cru cela? Se balancer au bout d'une corde,
les mains derrière le dos, à quelques centimètres
au-dessus de la mousse et des violettes, cela se com-
prend-il'? Ceux-là doivent avoir été les plus mal-
heureux.
Vous n'avez pas oublié, amie, ce temps béni de
notre première enfance, où nous vivions côte à
côte, faisant de nos joies comme de nos tristesses
deux parts égales, nous maintenant mutuellement
dans la bonne voie pour entendre enfin nos mères
nous dire : - « Puisque vous avez été bien sages
« pendant ces six derniers mois, Baptiste vous mè-
« nera ce soir voir Robert-Houdin. »
Lorsque avait retenti cette promesse tant désirée,
nous ne songions plus à rien demander à la Pro-
vidence. Le but de la vie nous semblait atteint.
Jamais nous n'aurions cru payer »ie trop de sagesse
et de privations une aussi suprême récompense.
Un tour, surtout, excitait notre enthousiasme.
Celui-là, nous en parlions toujours avec la même
admiration. — Robert-Houdin plaçait bien en évi-
dence, sous une cloche de cristal, des fleurs choisies
par le public. Puis, il armait un pistolet!. Vous
vous serriez contre moi, vous bouchant les oreilles;
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