351 KABEL — KABRIS 352
Hollandais, etc., t. II, p. 173. - Pinkelton (à Cnbel) Dic-
tionary of Painters.
KABRIS ( Joseph), aventurier français, né à
Bordeaux, en 1780, mort le 23 septembre 1822.
Il servit d'abord dans la marine impériale, en
qualité de simple matelot. Ayant été fait prison-
nier et jeté dans une prison d'Angleterre, il ob-
tint, comme faveur extrême, de servir à bord d'un
baleinier anglais qui tentait de compléter son
équipage pour la mer du Sud. Ce bâtiment na-
vigua avec assez de bonheur jusque dans les
mers de l'Océanie; mais, arrivé devant les îles
Marquises, il fit naufrage sur les récifs de
Noukahiva. Les insulaires se portèrent en foule
vers les débris du navire, et s'emparèrent de tous
les hommes dont se composait l'équipage. Ces
malheureux furent tous mis à mort pour être
dévorés ; Kabris allait subir le même sort, lors-
que la fille d'un chef, nommée Vatmaïca, usa
de l'ascendant que lui donnait sa naissance pour
l'arracher aux anthropophages qui allaient le
sacrifier. Kabris épousa sa libératrice légale-
ment et selon les rites, beaucoup plus compli-
qués qu'on ne le croit généralement, de ces
peuples. Dès ce moment le jeune matelot fut
compté parmi les chefs de Noukahiva ; son
beau-père lui fit solennellement cadeau d'un
magnifique manteau de plumes d'ivi, et il dut se
résoudre à subir l'opération douloureuse du
tatouage. Revêtu de cet ornement indélébile,
dont le caractère hiéroglyphique constatait sa va-
leur, Kabris marcha l'égal des plus grands guer-
riers, et prit part à une foule d'expéditions dans
l'intérieur de l'île. 11 paraît certain que son
adhésion très-franche aux lois que lui imposaient
les sauvages lui constitua bientôt une sorte de
magistrature ; il jugeait ceux qui naguère devaient
le dévorer. Il était père de six enfants lorsque
l'amiral Krusenstern arriva en 1804 aux Mar-
quises. Le célèbre navigateur commandait alors
une expédition scientifique de circumnavigation
entreprise aux frais de la Russie. Malheureu-
sement pour Kabris, il n'était pas le seul Euro-
péen admis parmi les chefs qui eut du crédit
dans Noukahiva. Un matelot anglais, nommé Ro-
berts, partageaitaveclui la faveur de l'aristocratie;
ce dernier parvint à entrer dans les bonnes grâces
du commandant russe et à lui faire partager l'an-
tipathie bien marquée qu'il avait conçue contre le
Français. Krusentern ne déguisa pas les soupçons
qu'il avait conçus contre le matelot bordelais,
dont, à son avis, les menées sourdes mettaient
fréquemment obstacle à la réussite de ses projets.
Ainsi une misérable question de nationalité, vi-
dée aux antipodes, devint pour un pauvre diable,
dont on ne peut s'empêcher d'admirer le cou-
rage, la source des plus grands maux. On était
au mois de mai, et le commandant russe songeait
à quitter ces parages lorsque, pour son malheur,
l'ariki européen alla le visiter à bord (1) ; le vent
(I) SI l'on admettait les confidences de Kabris lui-
même, confidences reproduites par M. Aimé I.croy, les
était favorable, et Kabris n'était pas apparem-
ment un assez grand personnage pour qu'on s'oc-
cupât de ses doléances et pour qu'on mit une
embarcation à la mer afin de le ramener à son
île; le savant et célèbre amiral a soin de faire
observer néanmoins que « cet enlèvement in-
volontaire débarrassa à tout jamais l'Anglais Ro-
berts de l'influence de son compatriote n. L'in-
fluence que l'on constate ici d'une façon presque
ironique, Kabris l'avait obtenue par tous les
genres d'habileté qui distinguent le guerrier
noukahivien, et, cela soit dit à son honneur,
sans faire la moindre concession aux usages fé-
roces qui dominaient dans l'île. Krusenstern a la
bonne foi d'en convenir lui-même lorsqu'il ra-
conte quels genres de ruse les naturels em-
ployaient dans les combats sans fin dont l'île était
alors ensanglantée. Après avoir énuméré les
vertus quasi lacédémoniennes qu'on exigeait d'un
chef, il ajoute : rc Joseph Kabris se distinguait
par toutes ces qualités. Il nous a depuis entretenu
assez souvent de ses hauts faits en ce genre. Il
nofls racontait combien d'hommes il avait tués
dans cette sorte de guerre, en nous en détail-
lant toutes les circonstances. Il nous assura, du
reste, et son ennemi Roberts lui a rendu justice
en ce point, qu'il n'avait jamais mangé de cliair
humaine, ayant toujours troqué son homme
contre un cochon JI. Le malheureux matelot
bordelais eût pu rester dans l'Océanie; on lui
proposa de le débarquer à Owihée ; mais, n'en-
tendant pas le dialecte des îles Sandwich, il ne
consentit pas à demeurer dans leur capitale nais-
sante; il préféra, dit-on, suivre l'expédition russe
jusqu'au Kamtschatka. Ce fut là qu'au mois
d'août 1804, on débarqua « le Français sauvage,
qu'on avait été obligé de ramener de Nouka-
hiva (1) JI.
Kahris traversa la Sibérie, et parvint jusqu'à
Saint-Pétersbourg ; là il se fit professeur de na-
tation. 11 ne revint en France qu'en l'année 1817.
Louis X V11I lui accorda une légère gratification ;
mais la munificence du roi de France n'alla pas
jusqu'à armer un bâtiment pour reconduire le
prince de Noukahiva dans ses lointaines posses-
sions. Le roi de Prusse, auquel notre aventurier
fut présenté ensuite, n'avait pas de raisons pour
être plus généreux. Kabris se rendit dans sa ville
natale avec l'espoir de trouver à s'embarquer
pour les îles Marquises. Il y était soutenu par
la pensée qu'en mettant de côté ses petites
épargnes il pourrait réunir une somme suffi-
sante pour aller rejoindre aux antipodes sa
femme et ses enfants. Comme il était admira-
choses se seraient passées fort différemment; il aurait été
saisi dans un bois, garrotté et conduit à bord. L'huma-
nité connue du chef de l'expédition russe ne permet
guère d'admettre cette version; les qualités qui distin-
guaient l'amiral Krusenstern ne doivent pas Laissersuppo-
scr qu'il ait agi ainsi, meme à l'égard d'un homme dont!!
croyait avoir à se plaindre. --
(1) Krusenstern, Voyage autour au Monde, traa. ea
frjnçais par Eyrles, 2 vol. In-8".
Hollandais, etc., t. II, p. 173. - Pinkelton (à Cnbel) Dic-
tionary of Painters.
KABRIS ( Joseph), aventurier français, né à
Bordeaux, en 1780, mort le 23 septembre 1822.
Il servit d'abord dans la marine impériale, en
qualité de simple matelot. Ayant été fait prison-
nier et jeté dans une prison d'Angleterre, il ob-
tint, comme faveur extrême, de servir à bord d'un
baleinier anglais qui tentait de compléter son
équipage pour la mer du Sud. Ce bâtiment na-
vigua avec assez de bonheur jusque dans les
mers de l'Océanie; mais, arrivé devant les îles
Marquises, il fit naufrage sur les récifs de
Noukahiva. Les insulaires se portèrent en foule
vers les débris du navire, et s'emparèrent de tous
les hommes dont se composait l'équipage. Ces
malheureux furent tous mis à mort pour être
dévorés ; Kabris allait subir le même sort, lors-
que la fille d'un chef, nommée Vatmaïca, usa
de l'ascendant que lui donnait sa naissance pour
l'arracher aux anthropophages qui allaient le
sacrifier. Kabris épousa sa libératrice légale-
ment et selon les rites, beaucoup plus compli-
qués qu'on ne le croit généralement, de ces
peuples. Dès ce moment le jeune matelot fut
compté parmi les chefs de Noukahiva ; son
beau-père lui fit solennellement cadeau d'un
magnifique manteau de plumes d'ivi, et il dut se
résoudre à subir l'opération douloureuse du
tatouage. Revêtu de cet ornement indélébile,
dont le caractère hiéroglyphique constatait sa va-
leur, Kabris marcha l'égal des plus grands guer-
riers, et prit part à une foule d'expéditions dans
l'intérieur de l'île. 11 paraît certain que son
adhésion très-franche aux lois que lui imposaient
les sauvages lui constitua bientôt une sorte de
magistrature ; il jugeait ceux qui naguère devaient
le dévorer. Il était père de six enfants lorsque
l'amiral Krusenstern arriva en 1804 aux Mar-
quises. Le célèbre navigateur commandait alors
une expédition scientifique de circumnavigation
entreprise aux frais de la Russie. Malheureu-
sement pour Kabris, il n'était pas le seul Euro-
péen admis parmi les chefs qui eut du crédit
dans Noukahiva. Un matelot anglais, nommé Ro-
berts, partageaitaveclui la faveur de l'aristocratie;
ce dernier parvint à entrer dans les bonnes grâces
du commandant russe et à lui faire partager l'an-
tipathie bien marquée qu'il avait conçue contre le
Français. Krusentern ne déguisa pas les soupçons
qu'il avait conçus contre le matelot bordelais,
dont, à son avis, les menées sourdes mettaient
fréquemment obstacle à la réussite de ses projets.
Ainsi une misérable question de nationalité, vi-
dée aux antipodes, devint pour un pauvre diable,
dont on ne peut s'empêcher d'admirer le cou-
rage, la source des plus grands maux. On était
au mois de mai, et le commandant russe songeait
à quitter ces parages lorsque, pour son malheur,
l'ariki européen alla le visiter à bord (1) ; le vent
(I) SI l'on admettait les confidences de Kabris lui-
même, confidences reproduites par M. Aimé I.croy, les
était favorable, et Kabris n'était pas apparem-
ment un assez grand personnage pour qu'on s'oc-
cupât de ses doléances et pour qu'on mit une
embarcation à la mer afin de le ramener à son
île; le savant et célèbre amiral a soin de faire
observer néanmoins que « cet enlèvement in-
volontaire débarrassa à tout jamais l'Anglais Ro-
berts de l'influence de son compatriote n. L'in-
fluence que l'on constate ici d'une façon presque
ironique, Kabris l'avait obtenue par tous les
genres d'habileté qui distinguent le guerrier
noukahivien, et, cela soit dit à son honneur,
sans faire la moindre concession aux usages fé-
roces qui dominaient dans l'île. Krusenstern a la
bonne foi d'en convenir lui-même lorsqu'il ra-
conte quels genres de ruse les naturels em-
ployaient dans les combats sans fin dont l'île était
alors ensanglantée. Après avoir énuméré les
vertus quasi lacédémoniennes qu'on exigeait d'un
chef, il ajoute : rc Joseph Kabris se distinguait
par toutes ces qualités. Il nous a depuis entretenu
assez souvent de ses hauts faits en ce genre. Il
nofls racontait combien d'hommes il avait tués
dans cette sorte de guerre, en nous en détail-
lant toutes les circonstances. Il nous assura, du
reste, et son ennemi Roberts lui a rendu justice
en ce point, qu'il n'avait jamais mangé de cliair
humaine, ayant toujours troqué son homme
contre un cochon JI. Le malheureux matelot
bordelais eût pu rester dans l'Océanie; on lui
proposa de le débarquer à Owihée ; mais, n'en-
tendant pas le dialecte des îles Sandwich, il ne
consentit pas à demeurer dans leur capitale nais-
sante; il préféra, dit-on, suivre l'expédition russe
jusqu'au Kamtschatka. Ce fut là qu'au mois
d'août 1804, on débarqua « le Français sauvage,
qu'on avait été obligé de ramener de Nouka-
hiva (1) JI.
Kahris traversa la Sibérie, et parvint jusqu'à
Saint-Pétersbourg ; là il se fit professeur de na-
tation. 11 ne revint en France qu'en l'année 1817.
Louis X V11I lui accorda une légère gratification ;
mais la munificence du roi de France n'alla pas
jusqu'à armer un bâtiment pour reconduire le
prince de Noukahiva dans ses lointaines posses-
sions. Le roi de Prusse, auquel notre aventurier
fut présenté ensuite, n'avait pas de raisons pour
être plus généreux. Kabris se rendit dans sa ville
natale avec l'espoir de trouver à s'embarquer
pour les îles Marquises. Il y était soutenu par
la pensée qu'en mettant de côté ses petites
épargnes il pourrait réunir une somme suffi-
sante pour aller rejoindre aux antipodes sa
femme et ses enfants. Comme il était admira-
choses se seraient passées fort différemment; il aurait été
saisi dans un bois, garrotté et conduit à bord. L'huma-
nité connue du chef de l'expédition russe ne permet
guère d'admettre cette version; les qualités qui distin-
guaient l'amiral Krusenstern ne doivent pas Laissersuppo-
scr qu'il ait agi ainsi, meme à l'égard d'un homme dont!!
croyait avoir à se plaindre. --
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