Titre : Notre rive : revue nord-africaine illustrée
Éditeur : [s.n.] (Alger)
Date d'édition : 1928-07-01
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32825385p
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 01 juillet 1928 01 juillet 1928
Description : 1928/07/01 (A2)-1928/08/31. 1928/07/01 (A2)-1928/08/31.
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6238714f
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JO-62734
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 24/12/2012
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loque avec rage, cracha, râcla, et, reprenant sa di-
gnité, laissa tomber le mot : « Sauvage ! »
Je ne sais si cette épithète qualifiait à ce moment
le vent ou la population de Bled-Ed-Diss qui, appa-
remment, ne jouit pas d'un service de voirie très
moderne.
J'allais, étouffée par la poussière et la chaleur,
lasse à pleurer !
A cinquante mètres, dans un terrain vague, au
bout du village, apparurent des murs de citadelle
et le Directeur dit :
— C'est là.
— C'est là. quoi ?
— L'Ecole, Mademoiselle. Et voici votre classe.
La main sèche, au bout du bras d'alpaga luisant,
montrait une porte et deux volets clos, à peine plus
gris que le rempart.
— Votre appartement est à la suite, ajouta la voix
quasi-sépulcrale de mon collègue.
Je voudrais vous le dépeindre, mon collègue, mais
je ne puis trouver d'autres termes que ceux de ces
merveilles de précision qui émanent de nos gendar-
meries. A part sa taille d'échalas d'hiver, il est tel-
lement quelconque que je saurais dire s'il est jeune
ou vieux, blond ou brun ; je pense qu'il doit être
gris : gris de cheveux, gris d'yeux, gris de teint et de
caractère. Il doit être fait, vous dis-je, en tous
points comme un signalement de permis de chasse:
nez moyen, front ordinaire.
Le portillon creva dans un nuage de sable.
Alors, enjambant la barre de bois derrière le dos
voûté de mon collègue, j'arpentai la cour du bordj,
aveuglante sous le soleil.
Elle se souleva méchamment à mon passage pour
me flageller de tout son gravier pointu. Les deux
mains sur les yeux, je titubai, à travers les vagues
de sable cuisant, jusqu'à ma porte.
— Voilà ! prononça la voix caverneuse de l'hom-
me,. qui semblait plutôt me conduire dans quelque
geôle. Ma gouvernante a bien voulu préparer votre
appartement qu'elle a trouvé en fort mauvais état.
Si vous avez besoin de mes services, je demeure à
votre disposition. et pas loin de vous.
- Il me montrait l'autre angle de l'enceinte.
A travers la poussière, je distinguai des fenêtres.
une fumée.
Il salua et s'éloigna à grandes enjambées*
Seule, devant une entrée peu encourageante, je
me sentis un moment désemparée. « O mon par-
rain ! pensai-je, pourquoi ne m'avoir pas accom-
pagnée jusqu'à ces lieux rébarbatifs ! Votre pré-
sence en eût du moins amorti le premier contact,
rude, bien rude, à votre pauvre Pierrette ».
— « Ous qu'y mettra tout çà, Mademoselle ? »
J'avais oublié les deux gamins chargés de mon
bagage : ma chapelière ! Toute la France 1
- Pourquoi cette faiblesse ? pensai-je. Me voici
pourvue d'une situation enviable, d'un parrain pré-
cieux, d'amis chers. quoique lointains 1 J'ai une
maison 1 Une maison à moi toute seule, que je puis
organiser à ma fantaisie. C'est une joie cela, que
diable ! Et il me reste tout juste le temps de m'ins-
taller 1
Ce pensant, j'avais poussé la porte et fait poser
mes colis dans le couloir qui partage mon apparte-
ment.
La minute après, assise sur ma malle, je pleurais.
Recoiffée, brossée, poudrée, « je bravai le si-
moun » une fois de plus pour demander secours à
mon collègue.
Une femme m'ouvrit. Mes amis, si vous voulez
contempler l'une des Grâces dans son été, venez à
Bled-Ed-Diss ! C'est elle qui soigne le ménage de
mon maigre collègue. J'ai reconnu les ondes de la
coiffure, les fossettes, le sourire. Ses gestes vifs res-
tent enjôleurs, comme sa voix sucrée, comme son
regard de miel. Une blouse rose met en relief la
plénitude de ses lignes ; elle a quelque chose de
discret, de coquet, de minet qui amuse et retient le
regard. Alors seulement on trouve tout au fond du
sien certaine lueur qui fait penser à quelque abime
dissimulé sous le velours des prunelles et les roses
du sourire.
Mais écoutez plutôt les paroles qui se bousculent
en zézéyant sur ses dents de chatte.
— « Oh ! la madémosselle dé nos pétites ! Bué-
nos dia madémosselle ! yo estoï moui beaucoup con-
tinta dé vous voir ! »
Les syllabes bondissent et résonnent dans le plus
radieux retroussis de lèvres. La jolie créature 1.
— « Qué yo pourrais por lé service dé ousté ? »
Ses gestes d'adoration m'obligent à penser qu'elle
n'a jamais rien vu d'aussi rare que « Madémossel-
le » sous la calotte des cieux.
Cette outrance me surprit. Cependant, le rire que
je sentais monter en moi n'arriva pas jusqu'à mes
lèvres. Je venais d'apercevoir la diablesse de lueur
aux yeux de la belle. Ce fut l'éclair dé soufre dans
la limpidité d'un soir d'août. Mais déjà elle se pré-
—3 —
loque avec rage, cracha, râcla, et, reprenant sa di-
gnité, laissa tomber le mot : « Sauvage ! »
Je ne sais si cette épithète qualifiait à ce moment
le vent ou la population de Bled-Ed-Diss qui, appa-
remment, ne jouit pas d'un service de voirie très
moderne.
J'allais, étouffée par la poussière et la chaleur,
lasse à pleurer !
A cinquante mètres, dans un terrain vague, au
bout du village, apparurent des murs de citadelle
et le Directeur dit :
— C'est là.
— C'est là. quoi ?
— L'Ecole, Mademoiselle. Et voici votre classe.
La main sèche, au bout du bras d'alpaga luisant,
montrait une porte et deux volets clos, à peine plus
gris que le rempart.
— Votre appartement est à la suite, ajouta la voix
quasi-sépulcrale de mon collègue.
Je voudrais vous le dépeindre, mon collègue, mais
je ne puis trouver d'autres termes que ceux de ces
merveilles de précision qui émanent de nos gendar-
meries. A part sa taille d'échalas d'hiver, il est tel-
lement quelconque que je saurais dire s'il est jeune
ou vieux, blond ou brun ; je pense qu'il doit être
gris : gris de cheveux, gris d'yeux, gris de teint et de
caractère. Il doit être fait, vous dis-je, en tous
points comme un signalement de permis de chasse:
nez moyen, front ordinaire.
Le portillon creva dans un nuage de sable.
Alors, enjambant la barre de bois derrière le dos
voûté de mon collègue, j'arpentai la cour du bordj,
aveuglante sous le soleil.
Elle se souleva méchamment à mon passage pour
me flageller de tout son gravier pointu. Les deux
mains sur les yeux, je titubai, à travers les vagues
de sable cuisant, jusqu'à ma porte.
— Voilà ! prononça la voix caverneuse de l'hom-
me,. qui semblait plutôt me conduire dans quelque
geôle. Ma gouvernante a bien voulu préparer votre
appartement qu'elle a trouvé en fort mauvais état.
Si vous avez besoin de mes services, je demeure à
votre disposition. et pas loin de vous.
- Il me montrait l'autre angle de l'enceinte.
A travers la poussière, je distinguai des fenêtres.
une fumée.
Il salua et s'éloigna à grandes enjambées*
Seule, devant une entrée peu encourageante, je
me sentis un moment désemparée. « O mon par-
rain ! pensai-je, pourquoi ne m'avoir pas accom-
pagnée jusqu'à ces lieux rébarbatifs ! Votre pré-
sence en eût du moins amorti le premier contact,
rude, bien rude, à votre pauvre Pierrette ».
— « Ous qu'y mettra tout çà, Mademoselle ? »
J'avais oublié les deux gamins chargés de mon
bagage : ma chapelière ! Toute la France 1
- Pourquoi cette faiblesse ? pensai-je. Me voici
pourvue d'une situation enviable, d'un parrain pré-
cieux, d'amis chers. quoique lointains 1 J'ai une
maison 1 Une maison à moi toute seule, que je puis
organiser à ma fantaisie. C'est une joie cela, que
diable ! Et il me reste tout juste le temps de m'ins-
taller 1
Ce pensant, j'avais poussé la porte et fait poser
mes colis dans le couloir qui partage mon apparte-
ment.
La minute après, assise sur ma malle, je pleurais.
Recoiffée, brossée, poudrée, « je bravai le si-
moun » une fois de plus pour demander secours à
mon collègue.
Une femme m'ouvrit. Mes amis, si vous voulez
contempler l'une des Grâces dans son été, venez à
Bled-Ed-Diss ! C'est elle qui soigne le ménage de
mon maigre collègue. J'ai reconnu les ondes de la
coiffure, les fossettes, le sourire. Ses gestes vifs res-
tent enjôleurs, comme sa voix sucrée, comme son
regard de miel. Une blouse rose met en relief la
plénitude de ses lignes ; elle a quelque chose de
discret, de coquet, de minet qui amuse et retient le
regard. Alors seulement on trouve tout au fond du
sien certaine lueur qui fait penser à quelque abime
dissimulé sous le velours des prunelles et les roses
du sourire.
Mais écoutez plutôt les paroles qui se bousculent
en zézéyant sur ses dents de chatte.
— « Oh ! la madémosselle dé nos pétites ! Bué-
nos dia madémosselle ! yo estoï moui beaucoup con-
tinta dé vous voir ! »
Les syllabes bondissent et résonnent dans le plus
radieux retroussis de lèvres. La jolie créature 1.
— « Qué yo pourrais por lé service dé ousté ? »
Ses gestes d'adoration m'obligent à penser qu'elle
n'a jamais rien vu d'aussi rare que « Madémossel-
le » sous la calotte des cieux.
Cette outrance me surprit. Cependant, le rire que
je sentais monter en moi n'arriva pas jusqu'à mes
lèvres. Je venais d'apercevoir la diablesse de lueur
aux yeux de la belle. Ce fut l'éclair dé soufre dans
la limpidité d'un soir d'août. Mais déjà elle se pré-
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