Titre : Journal pour tous : magazine hebdomadaire illustré
Éditeur : Ch. Lahure (Paris)
Date d'édition : 1868-08-08
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32802287z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 6453 Nombre total de vues : 6453
Description : 08 août 1868 08 août 1868
Description : 1868/08/08 (T22,N1133). 1868/08/08 (T22,N1133).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k6227150n
Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, Z-4341-4371
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 03/12/2012
JOURNAL POUR TOUS. SOI
mura Ivan d'une voix défaillante, sans se dé-
couvrir la face.
Tout le monde s'éloigna. Basile resta no
instant à la porte, ~secoua là tête, Embrassa
avec ardeur Jouditch, baisa les mains de sa
mère, et, deux heures après, il était en route
pour Pétersbourg.
Le soir do même Jour, Joudifch était assis
sur le snuil d'une isba, se plaignant doucement
des donlenrs qu'il ressentait dans les membres.
Les domestiques, groupes an tour de lui, s'api-
toyaient tlOf son sort et accusaient les rigueurs
de leur mattre.
« Assez, leur dit il, assez. Pourquoi blâmer
notre maître? Après tout, c'est notre petit
père. »
Depnis cet événement, Basile ne reparut pas
devant son père. Le vieillard mourut sans
avoir revu ce fils ingrat ; il mourut avec un
chagrin le cœnr que Dieu nous garde d'app o-
fondir. Basile voyagea et dépensa gaiement
son argent. De quelle façou il se procura cet
argent, c'est ce qu'il serait difficile de dire.
Un oo nes'ique français, nommé Brousse, rosé,
hardi, s'attacha à lui et l'aida dans une foale
de mauvaises occurrences. Je n'ai point l'inten-
tion de vous raconter en détail les tristes aven-
tures de mon grand-oncle. Il avait à la fois
tant d'audace et d astuce, tant de sang-froid et
d'habileté, qu'en vérité je ne comprends que
trop ~l'a'ceniant indicible qn'il exercça sur les
gens même les pins honorables.
Pea de temps après la mort de son père, il
fut, malgré son adresse de ferrailleur, appelé
en duel par un gentilhomme qu'il avait offensé.
Il blessa grièvement son adversaire; mais, à
la suite de cette affaire, il lui fat enjoint de
quitter la capitale et de se retirer dans ses
terres. Il avait alors trente ans. Vous pouvez
vous imaginer avec quel sentiment cet homme,
habitué à la vie dn grand monde, revenait dans
son village. On dit que, le long du chemin,
plus d'une fois il deucendit de sa kibuka, se
plongea la tète dans la neige et pleura. Per-
sonne, A Lontchinof, ne reconnut dans le triste
exilé l'élégant et pétillant officier de la garde ;
il ne parlait à personne. Do matin au soir, il
était à la chasse; il ne recevait qu'avec une
visible impatience les témoignages d'affections
de sa mère, et se moqaait impitoyablement de
ses frères et des femmes qu'ils avaient récem-
ment épousées.
Jusqu'à présent, je ne vous ai encore rien
dit d'Olga Ivanowna. La pauvre orpheline n'é-
tait qu'uue débile enfant lorsqu'on l'amena à
Loutchinof. Elle faillit mourir en route. Ici,
elle fut élevée, comme on dit. dans la crainte
de Dieu et de ses parents. Ivan et Anna la
traitaient vraiment comme leur fille. Mais dans
soa cœur était cachée l'étincelle de la nature
ardente qui devait se développer un jour. Tan-
dis que sor, frères et ses sœurs d'adoption
n'osaient réfléchir aux causes de la triste désu-
nioa de leurs parents, Olga, toute jenne en-
core, s'inquiétait de la situation d'Anna. De
môme que Basile, elle avait l'amour de l'in-
dépendance et toute oppression la révoltait.
En même temps qu'elle s'attachait de toutes
les forces de fon âme à sa benfaitrice,
elle haï sait ~l'an; et plus d'une fois, à ta-
ble, elle arrêta sur lui un regard si hostile,
que le domestique qui servait le dîner en était
stupéfais Mais Ivan ne remarquait point cas
regards, ear il ne s'occupait guère de ses en-
fants.
Anna s'efforça d'abord de réprimer ces hai-
neuses pensées, et quelques questions hardies
qui lui furent adressées par Olga la condam-
nèrent au silence. Ses enfants avaient une
ar lente affection pour la jeune fille, et la pauvre
femme l'aimait aussi autant qu'elle pouvait
aimer. Un long chagrin avait comprimé dans
son cœur toute joie, toute chaleur d* senhment;
et rien ne démontre mieux Je pouvoir de fasci-
nation de Basile, que la vivacité d'émotion
qu'il avait réveillée dans l'âme de sa malheu-
reuse mère.
A cette époque, où n'admettait guère les
tendres effusions des enfants, et Olga n'osait
manifester à Anna son profond attachement;
elle loi baisait seulement les maibs avec ar-
deur, le soir on la quittant.
Il y a quelque vingtaine d'années, les jeunes
filles russes ne lisaient que des romans dans
le genre de Fanfan et Lolotte et d'Aleiis ou
la Maisonnette dans les bois. Elies appre-
naient à jouer quelque peu du clavecin, et à
chanter dès chansons comme celle qui com-
mence par ces mots :
A Dans le monde, les hommes nous suivent
comme des mouches. à
A dix-sept ans, Olga ne possédait pas même
ces deux facultés. Elle savait à peine lire et
écrire. 11 nous serait difficile de décrire l'édu..
cation des femmes russes du dix-huitième
siècle. Nous pouvons en avoir une idée par
nos grand'mères. Mais comment distinguer ce
qu'elles avaient appris dans le cours de leur
existence, et ce qui leur avait été enseigné dans
leur primitive jeunesse?
Olga parlait on peu français, mais avec un ac-
cent russe très-prononcé. L'époque où elle vivait
ne connaissait pas encore d'émjgrés français.
En un mot, avec tontes ses qualités naturelles,
la jeune orpheline était un être un peu sauvage,
et plus d'une fois elle corrigea de ses propres
mains un serviteur inhabile.
Quelque temps avant l'arrivée de Basile,
Olga fut fiancée à un jeune homme du voibi-
nage, Paul Athanasewitch Rogatchef, un bon
et digne jeune homme. La nature n'avait pas
mis en lui une goutte de fiel. Les domestiqaes
mêmes ne craignaient pas de lui désobéir; ils
bortaient quelquefois l'un après l'autre, lais-
sant.le pauvre Rogatchef à jeun. Mais rien ne
pouvait lui enlever sa placidité. Dès son en-
fance, il s'était montré lourd, maladroit et
n'avait point vonla entrer au service. Un de
ses plaisirs était de se rendre à l'église et de
chanter dans les chœurs. Regardez cette ronde,
honnête figure, cette bouche animée par un
candide sourire, n'éprouve-t- on pas un senti-
ment de bien -être à la voirl Son père allait de
temps à autre faire une visite à Ivan, et, les
jours de fête, conduisait avec lui le peut Paul,
que les enfants de Loutchinof se plaisaient
à tourmenier. Quand Paul fut devenu plus
grand, il alla lui-même rendre visite à Ivan,
devint amoureux d'Olga, et, enfin, lui offrit
son cœur et sa main. Bien entendu que cette
offre ne fut pas faite directement à elle-même,
mais à ses protecteurs, qui acceptèrent cette
gracieuse proposition, sans même demander à
la jeune orpheline s'il lui plaisait d'épouser
Rogatchef. En ce temps-là, on n'employait
point un tel luxe de précautions.
Au reste, Olga s'habitua bientôt à l'idée de
se marier avec Paul, et il était impossible de
connaître ce naïf, indulgent jeune homme sans
s'attacher à lui. Je dois ajouter, pourtant, qu'il
n'avait reça aucune éducation. Il ne savait
dire, en français, que bonjour; et, à part lui,
il considérait ce mot comme une parole peu
convenable. Une espèce de bouffon lui avait
enseigné, en outre, le commencement d'une
chanson française, qu'il prononçait de telle
sorte, qu'on ne pouvait plus distinguer à quelle
langue appartenaient ces strophes, dont il
modulait à voix basse les vers travestis, tha-
que fois qu'il se sentait eu une lumineuse
disposition d'esprit. Son père était aussi un
excellent homme, toujours vêtu d'un habit et
répondant par un sourire affable à tout ce
qu'on lui disait.
Imité du russe de TOURGUENEFF,
par X. MARMIER.
(Reproduction intiTditê, - La suite dm prochain
numéro.)
REVUE DES THÉATRES. ■
- "■ I>
Le Pont des Soupirs et le Château à Toto
ont fini en môme temps leur carrière aux
Variétés et Palais-Royal. Cette carrière a été,
comme nous l'avions prévu, beaucoup plus
courte que celle dés précédentes bouffonne-
ries. L'amphigouri musical est en baisse ;
mais, en se retirant, il laisse des tracés. Aux
palais surexcités par les épices, il ne faut pas
servir des mets simples. C'est ce qui explique
l'extravagance des deux vaudevilles qui, au
Palais-Royal, ont remplacé le Château à Toto.
Prenons d'abord celui des deux qui a fait
le plus de plaisir, le Chatouilleur du Puy-de-
Ddme. Il est fondé sur un de ces quiproquos
qui forment le point de départ ordinaire des
imbroglios de ce genre; mais on y trouve,
dans le détail, de la vivacité, du naturel et
même de la grâce. Voyez pourtant à quel
excès d'insanité doit arriver aujourd'hui la
charge pour exciter le rire d'un public blasé.
Maître Framboisier , avocat d'une petite
ville quelconque, marie sa fille Delphine à
M. Ernest Montbichon, ingénieur des ponts-
et-chaussées à Clermont-Ferrand (Puy-de-
Dôme). Le bal de noce touche à sa fin et le
jeune marié attend cette fin avec une impa-
tience qu'on peut qualifier de légitime. Il est
onze heures trois quarts et le train qui doit
emmener les invités part à minuit. Maitre
Framboisier arme son gendre d'une lanterne
et lui commet le soin de les conduire à l'em-
barcadère. - --
En attendant son retour, maître Framboi-
sier ouvre son journal et y lit lé compte rendu
d'un procès criminel aussi bizarre qu'émou-
vant, dont le héros est de Clermont-Ferrand.
Il s'agit d'une sorte de Barbe-Bleue, déjà
veuf de trois femmes, pour lesquelles il avait
inventé un mode d'assas&inat non moins per-
fide qu'original. On assure que, en badinant
avec elles, il leur persuadait de se laisser
emmaillotter, et qu'ensuite il leur chatouillait
la plante des pieds jusqu'à ce qu'il les fit
mourir de rire.
Le journal ne donne pas le nom du scélé-
rat par égard pour sa famille. Delphine fait
remarquer que son mari doit le connaître
étant, comme lui, de Clermont-Ferrand. Mont-
bichon revient. Dans son impatience, il a
laissé les - invités à quelques pas de l'embar-
cadère. Il va donc avoir ce charmant tête-à-
tête après lequel il soupire depuis si long-
temps. Il a compté sans l'éloquence de maî-
tre Framboisier qui, pareil au père ganache
du Chapeau de paille d Italie, éprouve, en ce
moment solennel, le besoin d'adresser à sa
fille quelques paroles bien senties. L'avocat
parle et parle longuement. Ce n'est pas tout.
Son éloquence a é veillé celle de Mme Fram-
boisier, qui prend la parole à son tour. En-
fin, les beaux-parents sont partis et Mont-
bichon est seul avec sa Delphine, quand on
frappe à la porte de la rue. , :'
Ce sont les gens de la noce qui ont man-
qué le train, et qui reviennent demander
l'hospitalité. Ils envahissent le salon qu'on a
transformé provisoirement en chambre nup-
tiale. Pour être plus tôt débarrassés des im-
portuns, les époux vont eux-mêmes leur pré-
parer des lits. Cependant, un des invités
remet à maître Framboisier un paquet que le
chef de gare l'a prié d'apporter à l'avocat.
C'est le dossier d'une affaire urgente que lui
envoie son avoué de Clermont, et le héros
de cette affaire n'est autre que son gendre,
Ernest Montbichon.
Maitre Framboisier ouvre le dossier en
riant; soudain, le rire s'éteint sur ses lèvres.
L'affaire de Montbichon est aussi celle du
chatouilleur du Puy-ae-Dôme. Maître Fram-
boisier le savait veuf, mais non de plusieurs
femmes. Que faire ? Le livrer à la police,
parbleu! C'est l'avis des invités; ce n'est pas
mura Ivan d'une voix défaillante, sans se dé-
couvrir la face.
Tout le monde s'éloigna. Basile resta no
instant à la porte, ~secoua là tête, Embrassa
avec ardeur Jouditch, baisa les mains de sa
mère, et, deux heures après, il était en route
pour Pétersbourg.
Le soir do même Jour, Joudifch était assis
sur le snuil d'une isba, se plaignant doucement
des donlenrs qu'il ressentait dans les membres.
Les domestiques, groupes an tour de lui, s'api-
toyaient tlOf son sort et accusaient les rigueurs
de leur mattre.
« Assez, leur dit il, assez. Pourquoi blâmer
notre maître? Après tout, c'est notre petit
père. »
Depnis cet événement, Basile ne reparut pas
devant son père. Le vieillard mourut sans
avoir revu ce fils ingrat ; il mourut avec un
chagrin le cœnr que Dieu nous garde d'app o-
fondir. Basile voyagea et dépensa gaiement
son argent. De quelle façou il se procura cet
argent, c'est ce qu'il serait difficile de dire.
Un oo nes'ique français, nommé Brousse, rosé,
hardi, s'attacha à lui et l'aida dans une foale
de mauvaises occurrences. Je n'ai point l'inten-
tion de vous raconter en détail les tristes aven-
tures de mon grand-oncle. Il avait à la fois
tant d'audace et d astuce, tant de sang-froid et
d'habileté, qu'en vérité je ne comprends que
trop ~l'a'ceniant indicible qn'il exercça sur les
gens même les pins honorables.
Pea de temps après la mort de son père, il
fut, malgré son adresse de ferrailleur, appelé
en duel par un gentilhomme qu'il avait offensé.
Il blessa grièvement son adversaire; mais, à
la suite de cette affaire, il lui fat enjoint de
quitter la capitale et de se retirer dans ses
terres. Il avait alors trente ans. Vous pouvez
vous imaginer avec quel sentiment cet homme,
habitué à la vie dn grand monde, revenait dans
son village. On dit que, le long du chemin,
plus d'une fois il deucendit de sa kibuka, se
plongea la tète dans la neige et pleura. Per-
sonne, A Lontchinof, ne reconnut dans le triste
exilé l'élégant et pétillant officier de la garde ;
il ne parlait à personne. Do matin au soir, il
était à la chasse; il ne recevait qu'avec une
visible impatience les témoignages d'affections
de sa mère, et se moqaait impitoyablement de
ses frères et des femmes qu'ils avaient récem-
ment épousées.
Jusqu'à présent, je ne vous ai encore rien
dit d'Olga Ivanowna. La pauvre orpheline n'é-
tait qu'uue débile enfant lorsqu'on l'amena à
Loutchinof. Elle faillit mourir en route. Ici,
elle fut élevée, comme on dit. dans la crainte
de Dieu et de ses parents. Ivan et Anna la
traitaient vraiment comme leur fille. Mais dans
soa cœur était cachée l'étincelle de la nature
ardente qui devait se développer un jour. Tan-
dis que sor, frères et ses sœurs d'adoption
n'osaient réfléchir aux causes de la triste désu-
nioa de leurs parents, Olga, toute jenne en-
core, s'inquiétait de la situation d'Anna. De
môme que Basile, elle avait l'amour de l'in-
dépendance et toute oppression la révoltait.
En même temps qu'elle s'attachait de toutes
les forces de fon âme à sa benfaitrice,
elle haï sait ~l'an; et plus d'une fois, à ta-
ble, elle arrêta sur lui un regard si hostile,
que le domestique qui servait le dîner en était
stupéfais Mais Ivan ne remarquait point cas
regards, ear il ne s'occupait guère de ses en-
fants.
Anna s'efforça d'abord de réprimer ces hai-
neuses pensées, et quelques questions hardies
qui lui furent adressées par Olga la condam-
nèrent au silence. Ses enfants avaient une
ar lente affection pour la jeune fille, et la pauvre
femme l'aimait aussi autant qu'elle pouvait
aimer. Un long chagrin avait comprimé dans
son cœur toute joie, toute chaleur d* senhment;
et rien ne démontre mieux Je pouvoir de fasci-
nation de Basile, que la vivacité d'émotion
qu'il avait réveillée dans l'âme de sa malheu-
reuse mère.
A cette époque, où n'admettait guère les
tendres effusions des enfants, et Olga n'osait
manifester à Anna son profond attachement;
elle loi baisait seulement les maibs avec ar-
deur, le soir on la quittant.
Il y a quelque vingtaine d'années, les jeunes
filles russes ne lisaient que des romans dans
le genre de Fanfan et Lolotte et d'Aleiis ou
la Maisonnette dans les bois. Elies appre-
naient à jouer quelque peu du clavecin, et à
chanter dès chansons comme celle qui com-
mence par ces mots :
A Dans le monde, les hommes nous suivent
comme des mouches. à
A dix-sept ans, Olga ne possédait pas même
ces deux facultés. Elle savait à peine lire et
écrire. 11 nous serait difficile de décrire l'édu..
cation des femmes russes du dix-huitième
siècle. Nous pouvons en avoir une idée par
nos grand'mères. Mais comment distinguer ce
qu'elles avaient appris dans le cours de leur
existence, et ce qui leur avait été enseigné dans
leur primitive jeunesse?
Olga parlait on peu français, mais avec un ac-
cent russe très-prononcé. L'époque où elle vivait
ne connaissait pas encore d'émjgrés français.
En un mot, avec tontes ses qualités naturelles,
la jeune orpheline était un être un peu sauvage,
et plus d'une fois elle corrigea de ses propres
mains un serviteur inhabile.
Quelque temps avant l'arrivée de Basile,
Olga fut fiancée à un jeune homme du voibi-
nage, Paul Athanasewitch Rogatchef, un bon
et digne jeune homme. La nature n'avait pas
mis en lui une goutte de fiel. Les domestiqaes
mêmes ne craignaient pas de lui désobéir; ils
bortaient quelquefois l'un après l'autre, lais-
sant.le pauvre Rogatchef à jeun. Mais rien ne
pouvait lui enlever sa placidité. Dès son en-
fance, il s'était montré lourd, maladroit et
n'avait point vonla entrer au service. Un de
ses plaisirs était de se rendre à l'église et de
chanter dans les chœurs. Regardez cette ronde,
honnête figure, cette bouche animée par un
candide sourire, n'éprouve-t- on pas un senti-
ment de bien -être à la voirl Son père allait de
temps à autre faire une visite à Ivan, et, les
jours de fête, conduisait avec lui le peut Paul,
que les enfants de Loutchinof se plaisaient
à tourmenier. Quand Paul fut devenu plus
grand, il alla lui-même rendre visite à Ivan,
devint amoureux d'Olga, et, enfin, lui offrit
son cœur et sa main. Bien entendu que cette
offre ne fut pas faite directement à elle-même,
mais à ses protecteurs, qui acceptèrent cette
gracieuse proposition, sans même demander à
la jeune orpheline s'il lui plaisait d'épouser
Rogatchef. En ce temps-là, on n'employait
point un tel luxe de précautions.
Au reste, Olga s'habitua bientôt à l'idée de
se marier avec Paul, et il était impossible de
connaître ce naïf, indulgent jeune homme sans
s'attacher à lui. Je dois ajouter, pourtant, qu'il
n'avait reça aucune éducation. Il ne savait
dire, en français, que bonjour; et, à part lui,
il considérait ce mot comme une parole peu
convenable. Une espèce de bouffon lui avait
enseigné, en outre, le commencement d'une
chanson française, qu'il prononçait de telle
sorte, qu'on ne pouvait plus distinguer à quelle
langue appartenaient ces strophes, dont il
modulait à voix basse les vers travestis, tha-
que fois qu'il se sentait eu une lumineuse
disposition d'esprit. Son père était aussi un
excellent homme, toujours vêtu d'un habit et
répondant par un sourire affable à tout ce
qu'on lui disait.
Imité du russe de TOURGUENEFF,
par X. MARMIER.
(Reproduction intiTditê, - La suite dm prochain
numéro.)
REVUE DES THÉATRES. ■
- "■ I>
Le Pont des Soupirs et le Château à Toto
ont fini en môme temps leur carrière aux
Variétés et Palais-Royal. Cette carrière a été,
comme nous l'avions prévu, beaucoup plus
courte que celle dés précédentes bouffonne-
ries. L'amphigouri musical est en baisse ;
mais, en se retirant, il laisse des tracés. Aux
palais surexcités par les épices, il ne faut pas
servir des mets simples. C'est ce qui explique
l'extravagance des deux vaudevilles qui, au
Palais-Royal, ont remplacé le Château à Toto.
Prenons d'abord celui des deux qui a fait
le plus de plaisir, le Chatouilleur du Puy-de-
Ddme. Il est fondé sur un de ces quiproquos
qui forment le point de départ ordinaire des
imbroglios de ce genre; mais on y trouve,
dans le détail, de la vivacité, du naturel et
même de la grâce. Voyez pourtant à quel
excès d'insanité doit arriver aujourd'hui la
charge pour exciter le rire d'un public blasé.
Maître Framboisier , avocat d'une petite
ville quelconque, marie sa fille Delphine à
M. Ernest Montbichon, ingénieur des ponts-
et-chaussées à Clermont-Ferrand (Puy-de-
Dôme). Le bal de noce touche à sa fin et le
jeune marié attend cette fin avec une impa-
tience qu'on peut qualifier de légitime. Il est
onze heures trois quarts et le train qui doit
emmener les invités part à minuit. Maitre
Framboisier arme son gendre d'une lanterne
et lui commet le soin de les conduire à l'em-
barcadère. - --
En attendant son retour, maître Framboi-
sier ouvre son journal et y lit lé compte rendu
d'un procès criminel aussi bizarre qu'émou-
vant, dont le héros est de Clermont-Ferrand.
Il s'agit d'une sorte de Barbe-Bleue, déjà
veuf de trois femmes, pour lesquelles il avait
inventé un mode d'assas&inat non moins per-
fide qu'original. On assure que, en badinant
avec elles, il leur persuadait de se laisser
emmaillotter, et qu'ensuite il leur chatouillait
la plante des pieds jusqu'à ce qu'il les fit
mourir de rire.
Le journal ne donne pas le nom du scélé-
rat par égard pour sa famille. Delphine fait
remarquer que son mari doit le connaître
étant, comme lui, de Clermont-Ferrand. Mont-
bichon revient. Dans son impatience, il a
laissé les - invités à quelques pas de l'embar-
cadère. Il va donc avoir ce charmant tête-à-
tête après lequel il soupire depuis si long-
temps. Il a compté sans l'éloquence de maî-
tre Framboisier qui, pareil au père ganache
du Chapeau de paille d Italie, éprouve, en ce
moment solennel, le besoin d'adresser à sa
fille quelques paroles bien senties. L'avocat
parle et parle longuement. Ce n'est pas tout.
Son éloquence a é veillé celle de Mme Fram-
boisier, qui prend la parole à son tour. En-
fin, les beaux-parents sont partis et Mont-
bichon est seul avec sa Delphine, quand on
frappe à la porte de la rue. , :'
Ce sont les gens de la noce qui ont man-
qué le train, et qui reviennent demander
l'hospitalité. Ils envahissent le salon qu'on a
transformé provisoirement en chambre nup-
tiale. Pour être plus tôt débarrassés des im-
portuns, les époux vont eux-mêmes leur pré-
parer des lits. Cependant, un des invités
remet à maître Framboisier un paquet que le
chef de gare l'a prié d'apporter à l'avocat.
C'est le dossier d'une affaire urgente que lui
envoie son avoué de Clermont, et le héros
de cette affaire n'est autre que son gendre,
Ernest Montbichon.
Maitre Framboisier ouvre le dossier en
riant; soudain, le rire s'éteint sur ses lèvres.
L'affaire de Montbichon est aussi celle du
chatouilleur du Puy-ae-Dôme. Maître Fram-
boisier le savait veuf, mais non de plusieurs
femmes. Que faire ? Le livrer à la police,
parbleu! C'est l'avis des invités; ce n'est pas
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