Titre : Le Petit journal
Auteur : Parti social français. Auteur du texte
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Clermont-Ferrand)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Pau)
Date d'édition : 1890-09-28
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 28 septembre 1890 28 septembre 1890
Description : 1890/09/28 (Numéro 10138). 1890/09/28 (Numéro 10138).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
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Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 04/09/2008
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DIMANCHE 28 SEPTEMBRE 1890
94 saint exupère 271 '
Numéro 10138
. VINGT-HUITIÈME ANNÉE
DERNIERE EDITION
Notre pays avant tout!
Je suis Français, mon pays avant tout!
Ainsi disait un vieux refrain, malheureu
sement un peu démodé, mais qui redeviendra
. à la mode un de ces jours, j'en ai la convic
tion, et à la mode sur toute la ligne...
Mais en attendant nous~pouvons reprendre à
notre compte ce mot magnifiquement fier du
lord anglais à qui un petit-maîtré de la cour
de Louis XVI croyait faire un compliment en
Lui disant : «Mylord, si je n'étais français, je
voudrais-être Anglais », et ^ui répondit : «Et
moi, monsieur, si je. n étais Anglais, je vou
drais l'être!»
•— Mais la politique? direz-vous... Oui,
oui, j'entends ! il n'y a pas toujours 4e quoi
être fier quand on regarde de ce côté^à'î...
Mais la politique passe et les politiciens aussi,
tandis que la Patrie.reste, avèô son génie in
tangible, sa grandeur immanente, sa géné
reuse et charmante magistrature sur Je genre
humain, qui faisait dire à Jefferson, l'un des
fondateurs de la liberté américaine : « Tout
homme a deux patries, la sienne et la France ! »
Compliment admirable et profondément vrai,
que l'auteur de la Fille de Roland faisait na
guère saluer par des applaudissements émus
en le mettant par anticipation et sous forme
de prophétie, dans la bouche du preux Char-
lemagne, ingénieusement modernisé.
La Patrie française reste encore et s'élève
' et rayonnepar-dessus les autres.par sa beauté.
De pays plus beau que cette chère France,
non, en vérité, il n'en est pas. Nous savions,
le monde entier savait qu'il n'en est pas de
plus doux à habiter. On commence à se
convaincre partout (et môme en Franoe) qu'il
n'en est pas de plus intéressant à visiter, de
plus merveilleux à parcourir.
Nulle part au monde des paysages d'élé
gance, de grâce et de finesse n'existent qui se
puissent comparer à ceux des environs de
Paris. On dirait que la Nature s'y est faite hu
maine et parisienne, tout en demeurant l'au
guste et mystérieuse Nature. Les vers les
plus ravissants de Victor Hugo sont peut-être
ceux des Chansons des Rues et des Bois qui
sonnent la note de beauté particulière aux
environs de Paris. Que si vous demandez à la
Nature de se montrer à vous dans sa majesté
intrinsèque et absolue, adressez-vous au Mont-
Blanc, — qui est chez nous et qui y restera;
—allez interroger nos Alpes dauphinoises,
aussi grandioses que celles de la^ Suisse, et
aussi farouches mais de colorations bien plus
chaudes. Quant au cirque de Gavarnie, dans
nos Pyrénées, il est tellement le plus beau qu'il
est le seul. Les Espagnols d'Aragon pourront
se récrier; mais tant pis 1
Préférez-vous les augustes et mobiles spec
tacles de la mer? L'Océan breton vous les
prodiguera en des tableaux qui ne seront sur
passés que par cette impression de l'énorme,
de l'incommensurable se dégageant de L'éter-
nal assaut de l'Atlantique contre les rocs de
Biarritz,
C'est à peine si la baie de Naples et la
conque de Palerme l'emportent en magnifi
cence de lignes, en éblouissements d'azur, de
verdure et de rochers ensoleillés sur notre
littoral méditerranéen. Du golfe des Lèques
auxbalmes de Menton se développent soixante
lieues d'un décor maritime aussi varié que
superbe, où vient, l'hiver, nicher dans un
Eden fleuri l'Europe frileuse et riche I Déjà
cependant, l'enfance pauvre et souffreteuse y
possédé, à Giens, son asile hivernal, et bien
tôt- sans doute l'indigence maladive y aura
$es refuges, vivifiants.
Ce serait à n'en pas finir si l'on voulait dé
nombrer les beautés et les grâces de notre
nature française. Il n'y a pas deux Fontaine
bleau en Europe pour les artistes et à quel
touriste parisien n'est-il pas arrivé, en pêré-
grinant le long de la vallée de la Seine, de
trouver les auberges d'une localité riveraine
envahies par de ferventes colonies de pein
tres étrangers, des Américains surtout?
Voulez-vous étudier la nature volcanique
et vous rendre compte de l'œuvre du feu sou
terrain? L'Auvergne vous prodiguera ses do
cuments et mettra à votre, disposition avec
une bonhomie charmante ses . ex-Vésuves et
ses oi-devant Etnas,. instructifs à souhait
mais nullement rébarbatifs, bien qu'ayant
conservé sous leur air bon enfant leur galbe
de montagnes plutoniques. Vous plaît-il de
comparer la besogne géologique des eaux à
oelle diï feu et de constater qu'en fait de sculp
ture de l'écorce terrestre l'artiste hydraulique
n'a rien à envier à l'artisan igné, et môme
l'emporte parfois sur lui en prodigieuses per
formances? Eh bien! faites quelques lieues
de plus en çhemin de fer et parcourez, comme
vient de le faire notre club alplû, la région de
là Lozère et de? Crusses,.
" ,■ -V
Pour la pfemiére fois, le Petit Journal avait
délégué un envoyé spécial au Congrès annuel
des Alpinistes français.. Il a voulu coopérer
par la puissance de sa publicité à une entre
prise digne de toute sympathie : celle qui ten
dait à faite mieux connaître à nos compatrio
tes et à nos amis du dehors les rares merveil
les recélées- par ce coin de là France. Elles
sont marquées au coin d'une originalité vrai
ment extraordinaire ; si bien que, de l'aveu
des visiteurs les plus autorisés, il faut traverser
l'Atlantique et s'aventurer aux lointains dé
serts du Colorado pour trouver l'équivalent de
l'entaille prodigieuse que le Tarn s'est creusée
à travers une masse rocheuse de 50 kilomètres
et au fond de laquelle il dévale, limpide et
furieux, entre des escarpements de _ 500 à 600
mètres de hauteur, découpés et déchiquetés de
mille façons fantastiques....
Ailleurs, ce sont des agglomérations bizar
res de rochers, simulant les ruines d'une cité
titanique, comme Montpelliér-le-Vieux, ou des
couloirs taraudés en sinUeux tunnels à travers
la montagne par une rivière souterraine,
comme à Bramabiau. Ce sont encore des grot
tes do plusieurs kilomètres de développement,
où la séculaire- Infiltration, des eaux enargées
de sels calcaires a décoré des salles grandes"
comme des nefs de cathédrales de concrétions
fantasques, qui semblent ciselées et guillo-
chées dans le diamant et la topaze lorsque la
flamme du magnésium les illumine...
Jusqu'à ces derniers temps, le grand public,
ne connaissait de ces étonnantes curiosités
naturelles que leur partie prosaïquement mais
richement utilisée: les ,grottes glaciales d'où
l 'industrie «les fromages de Roquefort exporte
chaque année dans la monde entier pour
une dizain? de millions de ses savoureux
produits. Un ami de la nature et des scien
ces, originaire de ces contrées, M. de Mala-
fosse, se constitua, il y a une quinzaine d'an
nées, le révélateur des beautés du pays des
Causses. Plusieurs de ses compatriotes lui
donnèrent la réplique; mais comme il arrive
toujours, tant que la consécration parisienne
fit" défaut, le grand public demeura indifférente
Il appartenait à M. E.-A'. Martel, membre
de la section du Club alpin parisien, de faire
connaître urài et orbi, par des conférences
publiques et par un travail remarquable, les
dessus et les dessous de cette curieuse région
lozérienne. Après l'avoir explorée en cons
cience. et même avec une singulière intrépi
dité de pionnier souterrain, il l'a, comme on
dit, « lancée ». C'est à M. Martel surtout que
ce département de la Lozère, lemoins opulent
de tous et qui fut si longtemps comme le chef-
lieu de, la France inconnue, sera redevable
d'une légitime notoriété d'abord et ensuite
d'une participation de plus en plus grande à
la manne dorée que les touristes vont semant
à travers les pays de grande attraction.
Cette manne cosmopolite et bienfaisante,
c 'est le devoir de tous les Français en situa
tion de la déverser d'en faire hommage
d'abord à leur propre pays, qui toute considé
ration de « chauvihisme » mise de côté,
y" a des droits indiscutables et absolus. La
France d'abord ! Nous sommes Français,
notre pays ayant tout, parce que ou quoique
il le mérite ! :
La Lozère fait dé son mieux pour bien re
cevoir ses visiteurs nationaux et exotiques.
Je n'en veux comme preuve que le cordial ac
cueil qu'elle vient de faire à ses hôtes du
Congrès alpiniste. Ils ont été comblés d'égards
par les municipalités et les populations.Quant
à l'organisation des tournées, due à M. l'in-
fénieur en chef Marcel Gros, et surtout
M. Paradan, de Mende, elle a été un chef-
d'œuvre et parfois un tour de force. Bien n'est
venu assombrir les îharmantes impressions
de leur nombreuse caravane, et, s'il y a eu,
vers la fin, un incident de rivière souterraine,
ayant pu donner l'illusion d'un accident, ça
été tout à fait en dehors du programme. Les
"baigneursinvolontaires de Bramabiau s'y sont,
lavé les.pied's par l'entournure de leur faux-
col, c'est vrai; mais les organisateurs sont
en droit de s'en laver moralement les mains.
Et puis, tout est bien qui finit bien, comme
dit l'autre!
. Thomas Grimm.
Le Petit Journal
COMMENCERA PROCHAINEMENT
la publication d'un rom§S inédit appelé
à faire sensation .. .
EU DÉTRESSE!
■ ' . ' PAR '
"Jùlôs Mary;
IE jc I ios d -e pa.rtou.~t
A Fontainebleau :
Hier, le colonel Chamoin est allé chercher à
la gare, dans un landau de la présidence, le
cardinal ^avigerie et Mgr Livinbac que
M. Carnot a retenus à déjeuner.
Le président a fait au cardinal un accueil
très empressé et s'est entretenu arec lui du
centre africain et de son œuvre civilisatrice.
En quittant le palais, le cardintl a reçu le
curé et les vicaires de Fontainebleau ; puis
avant de prendre le train de cinq heures, il a
visité les appartements du pape Pie' VII au
palais.
Mgr Lavigerie quittera Paris mardi matin
pour se rendre à Rome.
Un journal d'Athènes, l'iphirneris, an
nonce les prochaines fiançailles du prince
Georges de Grèce avec la seconde fillé du duc
de Chartres, la princesse Marguerite,^ont le
mariage avec le duc d'Orléans semblait, à un
moment, chose décidée.
Le prince Georges,'qui vient d'atteindre sa
vingt et unième année, est lieutenant devais-
seau dans la marine danoise, Il a fait ses
études de marin à Copenhague, où la prin
cesse Marguerite allât très souvent depuis le
mariage de sa sœur avec le prince Waldemar.
Nous annoncions avant-hier l'arrivée au
Jardin des Plantes de deux magnifiques
ours blancs. Les incicents du voyage de ces
deux ours jusqu'à Paris ont été des plus mou
vementés. Ces deux carnassiers, provenant du
Spitzberg, et non de Sibérie, ont été ramenés do
Hammerfest, la ville la plus septentrionale de
là terre, par M. Berg,de l'Agence Duchernin,
au retour "d'une, excursion de touristes fran
çais au Cap Nord. Do Bergen (Norwège), à.
Rotterdam, les ours furent transportés par
bateau à vapeur au grand effroi des passagers;
mais arrivés à Rotterdam, le3 compagnies de-
chemins de fer refusèrent absolument le trans
port dans les trains de Yoyageurs; ce n'est
qu'à grand'peine qu'ils furent hissés sur un
wagon spécial d'un train express qui arri
vait jeudi matin à la gare du Nord. Les ca-,
mionrçeurs, peu habitués à ces sortes de mar^
chandises, chargèrent avec mille précautions
les deux animaux et les conduisirent au Jardin
des Plantes où le déballage eut ligu en pré
sence d'une foule énorme qui suivait le ca
mion depuis la gare. ,
' -«♦. ' ■ '
Notre correspondant de Saint-Sérlten nous
annonce qu'on vient de mettrê à découvert,
dans cette ville, les vestiges de l'ancienne ca
thédrale d'Aleth qui fut le siège épiscopal de
saint Malo, premier. évêque de cette vieille
cité, vers le quatrième siècle do l'ère chré
tienne. On est arrivé à reconnaître les subs-
tructions de l'édifice et des murs, contigus à
la èhapelle actuelle de Saint-Pierre et à la
boutique 'd'un boulanger du voisinage.
■4 (P fr»
Le chemin de fer tend à se démocratiser en
Angleterre. La plupart des compagnies an
glaises viennent en effet de décider la suppres
sion des trains express uniquement composés
de voitures de Ire et de 2° classe. Les trains les
plus rapides auront désormais des troisièmes.
Do plus il est question de généraliser dans
tout le royaumele système des trains-ouvriers
en vigueur dans une partie de la' banlieue de
Londres.
Le Voyage de M. de Freycinet
«AXS LES AM'ES
(.Dépêche de notre, correspondant)
Nice, 27 septembre, 7 heures 30 soir.
- Le ministre de la guerre est parti ce matin,
à huit heures ' et demie, accompagné du gé
néral de Vaulgrenant, gouverneur de Nice,
des ■ colonels directeurs de l'artillerie et du
génie et de ses officiers d'ordonnance, se ren
dant au mont Agel, par la route de la Corni
che. À onze heures les-voitures arrivaient à
la Turbie où le ministre et sa suite ont dé-:
i'euné; À midi, on se pmettaiteir route et une
teure après on arrivait au sommet de l'Agel
par la nouvelle route stratégique.
M. de Freycinet a longuement inspecté les
importantes fortifications, que le génie fait
élever sur eé point et qu'il a ordonnées lui-mê
me. lors de son dernier voyage. Il a paru sa
tisfait de la façon dont les travaux ont été
menés. Le ministre de la guerre et les officiers
remontaient en voiture à trois heures et de
mie et étaient de retour à six heures à l'hôtel
Beau-Rivage.
A peine arrivé, M. de Freycinet^ a reçu
le comte de MalauSsena, maire de Nice, avec,
lequel il s'est entretenu jusqu'à sept heur.es
moins dix.
Il a dîné ensuite en compagnie de ses offi
ciers d'ordonnance, puis a regagné sa chambre. ;
: L'évôque est venu dans l'après-midi pour
saluer le président du conseil. Sa visite lui a
été rendue presque aussitôt par le comman
dant Bazin, qui était résté à Nice pour rendre
toutes les visites qu'aurait reçues le ministre-
de la guerre.
Demain matin, à sept heures, M. de Freyci
net accompagné du général gouverneur, des
Colonels directeurs de l'artillerie et du génie
et de ses officiers d'ordonnance,partira en break
pour Peira-Cava où 41 passera la nuit. Lundi
matin il ira visiter les positions stratégiques
de l'Authion et des Mille-Fourches où ont été'
élevés dans le courant de. l'été de nombreux
baraquements destinés aux bataillons alpins.
On affirme que ces baraquements présente
ront pour nos alpins un abri plus sûr et plus
commode que ceux élevés par les Italiens sur
les sommets des Alpes .et que certaines per-,
sonnes ont présentés comme parfaits. Lés
Italiens en exécutant ces travaux n'ont fait
que nous imiter sans faire aussi bien. :
M. de Freycinet rentrera à Nice lundi après-
midi. Le soir il offrira à l'hôtel Beau-Rivàge
un dîner de trente couverts.auquel seront in
vitées les autorités civiles et militaires. Il
quittera Nice mardi matin en voiture pour se
rendre à Puget-Théniers où il passera la nuit;
il inspectera en passant les travaux de lanou-.
velle voie ferrée et visitera lo nouveau pont
de Manda. De Puget-Théniers, ie ministre se
rendra à.Barcelonnette par Entrevaux et Annot.
LA CRISE < VuLkIÈRE
à Calais
$èpiçfte de notre envoyé spécial)
Calais, 27 septembre;
Crise estf îjien le mot. On ne saurait encore
dire la giOTe, puisque cette grève, menaçante
depuis plusieurs semaines, n'est pas encore
un fait accompli. Toutefois, au train dont
vont les choses, il paraît impossible que dès
ce soir une rupture complète n'intervienne
entre les deux partis en présence.
Il est original de constater que, pour cette
fois, l'initiative directe de la cessation géné
rale du travail ne viendra pas des ouvriers,
mais des patrons. Cela dit, je me hâte pour
laisser aux uns et aux autres toutes les res
ponsabilités jui leur incombent, d'expliquer
par quelle suite de circonstances les. patrons
ont été amenés à prendre une telle décision.
. Les causes de la crise actuelle' ne sont pas
neuves. En 1881, la Bourgogne... pardon,
l'industrie tullière à Calais, était heureuse. La
mode favorisait sa production/ les couturiè-
•85- FEUILLETON DU 28 SEPTEMBRE 1890 (i)
FLEUR-DE-MAI
quatrième partie
L'AFFAIRE DE LAURIA G ~
III— Suite
L'idée de Loachard r • .
3La chambre de Blanche de Lauriac .se trou
vait placée dans une grosse tour carrée, au
premier étage, et communiquait avec les jar
dins au moyen d'un escalier à vis donnant
dans le cabinet de toilette.
Entre ce cabinet et la chambre à coucher de
la jeune femme, un étroit-réduit, une petite al
côve dans laquelle la petite Loulou dormait
Comme un ànge, à poings fermés, et alors, sé
parée par un étroit couloir,à portée de la voix,
la chambre de la Petite-Mai, à laquelle tous
les hôtes du château de Lauriac s'attachaient
chaque jour davantage.
La Petite-Mai maintenant, se levait plu
sieurs heures dans la journée.
Par un beau jour de soleil, elle était même
descendue "au jardin, la vis communiquant
avec le oabinet de toilette de Blanche ne
comptait que quelques degrés...
Valroy avait présidé lui-même à tous ces
aménagements, donnant ses conseils en ce qui
touchait à l'hygiène de touâ*ceux qui étaient
confiés à ses soins.
Et déjà, il annonçait que sous peu de jours,
il commencerait à essayer de faire parler la
petite muette, au moins chaque jour pendant
une heure.
La tâche serait aisée, Blanche, la première,
en était maintenant certaine.
- Toute cette vie commune avait resserré,
comme on jpeut bien le comprendre, les liens
gui unissaient déjà Henri de Lauriac et Raoul
Valroy. y . . :
ff) Reproduction et traduction interdite»
• Henri, lui aussi, n'était, plus reconnais-
sable.
La marquise n'avait pas été la dernière à
constater la métamorphose qui s'opérait chez
son iils.
Quant à trouver la cause de ses agitations
nerveuses, de ses subites tristesses, des accès
de bruyante gaieté qui leur succédaient, elle
ne pouvait la deviner et s'en inquiétait à pré
sent outre mesure.
1 La pensée ne pouvait lui venir qu'Hénri, son
fils, le marquis de Lauriac, était à cette heure
amoureuxfoud'unemalheureusepetite errante,
muette, à demi-folle, qui venait on ne savait
d'oùj à laquelle il est vrai, on devait tous les
soins, d'abord, comme- étant abandonnée et
malheureuse, en outre, pour reconnaître le ter
rible accident dont elle avait été victime de
par l'imprudence de son fils. ■.
. Non, en vérité, la possibilité d'une telle
passion ne pouvait venir à l'esprit de la mar
quise. •
Et, bien loin, bien loin, elle cherchait le mot
de l'énigme qu'elle aurait pu trouver tout-
auprès d'elle, si elle eût abaissé ses regards sur
la Petite-Mai.
Ce fut Henri lui-même qui se chargea de
dessiller les yeux de sa mère.
Un soir que la marquise était seule au coin
de son feu, tisonnant avant de ' se mettre au
lit, ainsi qu'elle en avait la coutume, Henri
vint lui rendre ses devoirs, et lui dire bon
soir en lui souhaitant la bonne nuit.
Au lieu de ne demeurer que quelques courts
instants auprès de sa mère, comme il le fai
sait chaque soir, Henri prit ..un fauteuil et
s'assit à l'autre coin de la cheminée, en face-
de la marquise.
Celle-ci devina aussitôt que soa fila avait
une confidence à lui faire,.
Et regardant le jeunâûomraa droit dans les
yeuxi
— Tu as quelque chose sur le cœur, mon
enfant... Je le .devine et je le vois... aussi
bien, j'allais avant peu te,questionner moi-
même, car depuis quelque temps, je te trouve
bien changé.
Et elle détailla tous le3 signes qui' avalent
révélé à. ses yeux cette métamorphose.
— C'est vrai, mamère,—répliqua sans hési
ter le marquis de Lauriac, — oui, vous avez
raison, mamère... Peut-êtreaurais-je dû vous
parler plus tôt..
— Et d'où vient ce changement, mon cher
enfant?...
Henri était la franchise et la loyauté mê
mes. Malgré tout, il prit .un temps, il demeura
un instant silencieux, tant il comprenait la
gravité de l'aveu qu'il se disposait à faire à sa
mère.
, — C'est donc bien dur?... bien pénible?...
insista la marquise. — ¥i Pour tê donner du
courage, mon enfant, songe que tù parles .à
ta mère.
— Oh ! maman, — s'écria le marquis, — je
n'ai rien à me reprocher... Seulement, si
vous me voyez hésiter, o'est horrible do vous faire de la peine., , u.ne peine
cruelle.
,—De la peine, à moi!. ..
-r-Oui, et cependant, je suis heureux... très
heureux, pour la première fois de ma vie...
'—Do quelle façon, mon fils?.,.
Et la marquise îeleva lentement la tête,
tandis que son beau visage prenait tout à
coup un air de gravité sévère.
Henri s'était lancé, il ne devait plus s'arrêter..
—Parce que j'aime, ma mère, j'aim,e de
toutes les forces de mon cœur...
— Hélas ! je le sais mon pauvre enfant, tu
as fait de moi ta confidente, — tu aimes d'un
amour sans espoir,..
Henri secoua la tête.
—Mais,ma chère maman, ce n'est plus cela,.. J
Je crois être certain au contraire que je suis
aimé, aimé d'une passion naïve, touchante,
une âme toute-. nouvelle, qui s'est donnée
à moi... .
' — Comment ! — s'écria Mme de Lauriac, —
tu serais aimé de la comtesse Stroganof...
et c'est à moi ! —Henri, à moi, ta mère que tu
; viendrais avouer- une telle inconvenance.
— Mais non.. . ma mère i... ce n'est plus,
la comtesse Stroganof que j'adore... c'est
une autre créature, plus jeune, plus belle en
core, une pauvre enfant qui "n'est ni noble, ni
riche, qui n'a point de nom... mais qui res
semble à la comtesse Stroganof de la façon la
plus surprenante... C'est la Petite-Mai, ma
mère, cette enfant que j'ai failli tuer...
— Voyons ! voyons! Henri I mon enfant !...
— s'écria la marquise en devenant d'une mor-
tèlle pâleur, — mon enfant I... Est-ce que je
deviens folle?.. . Ou si c'est toi qui es subite
ment frappé de démence?... Tu étais amou
reux fou de la comtesse... et c'est cette pau
vre petite créature, muette, aux trois quarts
folle !. .. que tu aimerais maintenant?.., Tu
voulais quitter ta mère, aller mourir au loin...
Et à présent!.;. Voyons! Henri!.,. Je t'en
prie...
— Calmez-vous, ma mère!.,. Je vous en
supplie...
— Que je me calme 1 — s'écria la marquise
s'animant davantage, — que je me calme
lorsque mon fils !. . . mon enfant bien-aimé !...
l'héritier de notre nom, vient m'avouër, à moi
sa mère, qu'il est amoureux d'une enfant
abandonnée, d'une fille errante qui a inaason pain sur les chemins ! %
— Ma mère 1... Je vous en conjure !...
s'écria le marquis en joignant les mains.
— Mais qu'espères-tu donc ?... Abuser de
cette enfant sous notre toit?... de cette inno
cente qui n'a rien pour-la'défendre contre toi,
pas même sa raison qui est endormie, et cola,
res, les modistes s'arrachaient le moindre moiv
céau do ces belles dentelles, de ces magnifi
ques guipures que déroulent les Jacquart- ca-
laisiens, délicats tissus où la soie a en partie
remplacé aujourd'hui le coton de jadis et qui,
faits au métier, d'un bon marché relatif par
conséquent, réalisent cependant une telle per
fection qu'ils donnent l'illusion presque abso
lue des dentelles précieuses qu'ils imitent :
malines, valenciennes, chantilly, point d'An
gleterre, etc.
; La grande vogue des dentellês dura trois ou
quatre ans qui" marquèrent pour la principale
' industrie de cette ville une ère de bonheur
inouï.'On ne pouvait suffire aux commandes.
Il n'était pas rare devoir le salaire des ou
vriers s'éleVer jusqu'à 175,' 200 francs par se
maine. On manquait èncore dç bras et la po
pulation s'accrut dan^de notables proportions.
Les patrons, qui ne présageaient pas la fii),
de cette période de cocagne faisaient bâtir de
nouveaux ateliers, achetaient dumatériel. Une
véritable fièvre de prospérité. Après lesvaohes
grasses, les-vaches maigres, hélas! La mode
n'en est plus à compter ses caprioes. D'autres
colifichets remplacèrent la dentelle dans la
garniture des robes et des chapeaux; des
stocks s'accumulèrent dans les magasins dé
Calais; l'avilissement des prix s'ensuivit. ra*
pidement. Gêne sur toute la ligne.
VVWVWWVk
Notre redoutable ennemie commerciale,
l'Allemagne,ne pouvait laisser passer pareille,
aubaine. Elle lança sur ce pays une horde de
courtiers, de commissionnaires qui, monts-de-
piété ambulants, s'adressaient de préférence
aux petits fabricants, plus à court que les
autres, leur prêtaient un peu d'argent en se
faisant remettre en gage beaucoup de mar
chandises ; les jours de grosse échéance, il
fallait solder tout cela pour des sommes ridi
cules.
Ces gens achetèrent dans les niêmes condi»
tions un assez grand nombre de métiers et
aujourd'hui quelques fabriques rivales se
sont montées dans la Pologne allemande, El*
les ne font d'ailleurs rien qui vaille, paraît-il,
car leurs dessinateurs sontincapables de créej
de nouveaux, modèles. Ajoutez à toutes ces
causes de ruine un krack financier qui se
produisit à Calais en 1886 ; trois banquiers
qui firent banqueroute en laissant un passif
d'une vingtaine de millions. La flupajt des
industriels d'ioi- y perdirent quelques plumes.
Cependant la chambre, syndicale, des pa
trons tullistes ne s'abandônjia pas. Ellë ,cher
chait depuis longtemps un Sioyen de cQnjîirer
la crisp. Elle crut l'avoir trouvé eh élaborant
un tarif qui aurait, pensait-elle, pour effet de
combattre ^avilissement des prix, "le prinoipal
danger pour elle. ....
Dans leur dernière- assemblée, en août do
cette année, sès.membres votèrent à la grande
majorité l'adoption de ce tarif-qui portait ex- :
clusivement sur le salaire des ouvriers et que
tous les adhérents s'engagèrent à accepter
comme tarif minimum dans leurs ateliers..
- Ils affirment avoir eu,; en ce faisant, une
excellente intention. Mais les ouvriers ne la
prirent pas comme telle. Les salaires fixés
par le tarif minimum étaient inférieurs à
ceux qu'ils, touchaient en quelques endroits,
cela suffit. Ils ripostèrent par un nouveau
tarif plus éléVê que l'autre de 2d.à 25 0/0. On
ne s'etitendit, pas Naturellement et il y a un
mois environ, les ouvriers résolurent la grèvê,
mais une grève d'une forme particulière. Ils
devaient procéder progressivement, mettre en
interdit un certain nombre de maison'â jùs-
qu'à ce qu'elles eussent cédé, puis passer
d'autres et ainsi jusqu'à la derhière.
VVWVVWVSA
Ils ont commencé par trois maisons qui ont
cédé, puis se sont attaqués à la maison Ilouetta
et Butler qui est une des principales. Mais les
patrons se sont défendus; plutôt que de se lais
ser ainsi décimer par petits paquets, ils se sont
décidés au nombre de quatre-vingts, les plus
gros, à mettre la clef sous la porte. Samedi
dernier, à la paye, ils ont averti leurs ou«
vriers que si dans la semaine le travail n'a
vait pas repris chez MM. Houette et Butler,
tous leurs ateliers seràient fermés, :
Le travail n'a pas repris ; les multiples teù-
taiives de. conciliation qui ont été faites_ par
le maire et par d'autres n'ont pas abouti. Je
dois ajouter quo les ouvriers, outre les ques
tions do tarif, revendiquent .autre. chose. Ill
sous mon toit !... en face de moi... ta mère !...
—Oh ! ma mère , comment pouvez-voufi
croire qu'une pareillepensée ait pu naître dans
mon esprit. ~
— Sois donc logique. Si tu n'as pas eu cette -
idée infâme... et je le souhaite, mon fils, tu -
n'as pas eu non plus la pensée, je l'espère, de
faire de cette enfant, sans parents, sans fa
mille... une fille qui courait hier encore; les
chemins et les bois, non, tu n'as pas pu croira
une seule seconde que tu pourrais faire de
cette créature... la marquise de JLauxlac !...
Ta femme !... Ma fille !.. .
—Mais, ma mère...
D'un geste de tête hautain, Mme de Lau
riac congédia son fils.
— Assez Henri!... Assez !... Plus un mdt
sur ce sujet... Réfléchis à l'inconvenance et
à l'incohérence des paroles que tu viens de
prononcer... et tu me demanderas pardon
d'avoir osé, devant moi, les laisser échapper
de tes lèvres.... La nuit porte conseil, réflé
chis, mon enfant... Tu ne m'as jamais causé,
un chagrin sérieux, Henri... Recueille-toi, et;
tu te diras... que fu ne peux vouloir faire de
moi la plus malheureuse des mères.
La marquise élevait la voix, s'exaltant :
— Moi vivante, rien de pareil ne se ferait
dans ma maison.,. Je 1e jure... Ou j en sor
tirais la tête haute,... chasf^ par mon en-
Henri de Lauria® quitta 1 appartement de
la marquise cœur en proie à une affreuse
jmgoibSO. ^
' — Que faire?... Que devenir?... Ah!
n'ai plus d'espoir qu'en Valroy... Il faut qu il
fasse de cette enfant une créature digne de moi,
digne des miens... Ou bien ne su].s-je tombé
d'une passion malheureuse dans un autre
amour,plus désespérant encoreI../
Tandis que cette scène se passait dans m
ambre de la marquise, une autre, ayaal
61, rue Lafayette, 61
A PARIS
: On reçoit ansà les Annonces rae Grauge-BateBre, 15 .
abonnements paris
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U-N NUMÉRO : 5 CENTIMES . abonnements jkpartements
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LE SUPPLÉMENT LITTÉRAIRE: S CENTIMES
trois mois 6 fr.
six mois......; 12 fr.
un AN... 24 fr.
DIMANCHE 28 SEPTEMBRE 1890
94 saint exupère 271 '
Numéro 10138
. VINGT-HUITIÈME ANNÉE
DERNIERE EDITION
Notre pays avant tout!
Je suis Français, mon pays avant tout!
Ainsi disait un vieux refrain, malheureu
sement un peu démodé, mais qui redeviendra
. à la mode un de ces jours, j'en ai la convic
tion, et à la mode sur toute la ligne...
Mais en attendant nous~pouvons reprendre à
notre compte ce mot magnifiquement fier du
lord anglais à qui un petit-maîtré de la cour
de Louis XVI croyait faire un compliment en
Lui disant : «Mylord, si je n'étais français, je
voudrais-être Anglais », et ^ui répondit : «Et
moi, monsieur, si je. n étais Anglais, je vou
drais l'être!»
•— Mais la politique? direz-vous... Oui,
oui, j'entends ! il n'y a pas toujours 4e quoi
être fier quand on regarde de ce côté^à'î...
Mais la politique passe et les politiciens aussi,
tandis que la Patrie.reste, avèô son génie in
tangible, sa grandeur immanente, sa géné
reuse et charmante magistrature sur Je genre
humain, qui faisait dire à Jefferson, l'un des
fondateurs de la liberté américaine : « Tout
homme a deux patries, la sienne et la France ! »
Compliment admirable et profondément vrai,
que l'auteur de la Fille de Roland faisait na
guère saluer par des applaudissements émus
en le mettant par anticipation et sous forme
de prophétie, dans la bouche du preux Char-
lemagne, ingénieusement modernisé.
La Patrie française reste encore et s'élève
' et rayonnepar-dessus les autres.par sa beauté.
De pays plus beau que cette chère France,
non, en vérité, il n'en est pas. Nous savions,
le monde entier savait qu'il n'en est pas de
plus doux à habiter. On commence à se
convaincre partout (et môme en Franoe) qu'il
n'en est pas de plus intéressant à visiter, de
plus merveilleux à parcourir.
Nulle part au monde des paysages d'élé
gance, de grâce et de finesse n'existent qui se
puissent comparer à ceux des environs de
Paris. On dirait que la Nature s'y est faite hu
maine et parisienne, tout en demeurant l'au
guste et mystérieuse Nature. Les vers les
plus ravissants de Victor Hugo sont peut-être
ceux des Chansons des Rues et des Bois qui
sonnent la note de beauté particulière aux
environs de Paris. Que si vous demandez à la
Nature de se montrer à vous dans sa majesté
intrinsèque et absolue, adressez-vous au Mont-
Blanc, — qui est chez nous et qui y restera;
—allez interroger nos Alpes dauphinoises,
aussi grandioses que celles de la^ Suisse, et
aussi farouches mais de colorations bien plus
chaudes. Quant au cirque de Gavarnie, dans
nos Pyrénées, il est tellement le plus beau qu'il
est le seul. Les Espagnols d'Aragon pourront
se récrier; mais tant pis 1
Préférez-vous les augustes et mobiles spec
tacles de la mer? L'Océan breton vous les
prodiguera en des tableaux qui ne seront sur
passés que par cette impression de l'énorme,
de l'incommensurable se dégageant de L'éter-
nal assaut de l'Atlantique contre les rocs de
Biarritz,
C'est à peine si la baie de Naples et la
conque de Palerme l'emportent en magnifi
cence de lignes, en éblouissements d'azur, de
verdure et de rochers ensoleillés sur notre
littoral méditerranéen. Du golfe des Lèques
auxbalmes de Menton se développent soixante
lieues d'un décor maritime aussi varié que
superbe, où vient, l'hiver, nicher dans un
Eden fleuri l'Europe frileuse et riche I Déjà
cependant, l'enfance pauvre et souffreteuse y
possédé, à Giens, son asile hivernal, et bien
tôt- sans doute l'indigence maladive y aura
$es refuges, vivifiants.
Ce serait à n'en pas finir si l'on voulait dé
nombrer les beautés et les grâces de notre
nature française. Il n'y a pas deux Fontaine
bleau en Europe pour les artistes et à quel
touriste parisien n'est-il pas arrivé, en pêré-
grinant le long de la vallée de la Seine, de
trouver les auberges d'une localité riveraine
envahies par de ferventes colonies de pein
tres étrangers, des Américains surtout?
Voulez-vous étudier la nature volcanique
et vous rendre compte de l'œuvre du feu sou
terrain? L'Auvergne vous prodiguera ses do
cuments et mettra à votre, disposition avec
une bonhomie charmante ses . ex-Vésuves et
ses oi-devant Etnas,. instructifs à souhait
mais nullement rébarbatifs, bien qu'ayant
conservé sous leur air bon enfant leur galbe
de montagnes plutoniques. Vous plaît-il de
comparer la besogne géologique des eaux à
oelle diï feu et de constater qu'en fait de sculp
ture de l'écorce terrestre l'artiste hydraulique
n'a rien à envier à l'artisan igné, et môme
l'emporte parfois sur lui en prodigieuses per
formances? Eh bien! faites quelques lieues
de plus en çhemin de fer et parcourez, comme
vient de le faire notre club alplû, la région de
là Lozère et de? Crusses,.
" ,■ -V
Pour la pfemiére fois, le Petit Journal avait
délégué un envoyé spécial au Congrès annuel
des Alpinistes français.. Il a voulu coopérer
par la puissance de sa publicité à une entre
prise digne de toute sympathie : celle qui ten
dait à faite mieux connaître à nos compatrio
tes et à nos amis du dehors les rares merveil
les recélées- par ce coin de là France. Elles
sont marquées au coin d'une originalité vrai
ment extraordinaire ; si bien que, de l'aveu
des visiteurs les plus autorisés, il faut traverser
l'Atlantique et s'aventurer aux lointains dé
serts du Colorado pour trouver l'équivalent de
l'entaille prodigieuse que le Tarn s'est creusée
à travers une masse rocheuse de 50 kilomètres
et au fond de laquelle il dévale, limpide et
furieux, entre des escarpements de _ 500 à 600
mètres de hauteur, découpés et déchiquetés de
mille façons fantastiques....
Ailleurs, ce sont des agglomérations bizar
res de rochers, simulant les ruines d'une cité
titanique, comme Montpelliér-le-Vieux, ou des
couloirs taraudés en sinUeux tunnels à travers
la montagne par une rivière souterraine,
comme à Bramabiau. Ce sont encore des grot
tes do plusieurs kilomètres de développement,
où la séculaire- Infiltration, des eaux enargées
de sels calcaires a décoré des salles grandes"
comme des nefs de cathédrales de concrétions
fantasques, qui semblent ciselées et guillo-
chées dans le diamant et la topaze lorsque la
flamme du magnésium les illumine...
Jusqu'à ces derniers temps, le grand public,
ne connaissait de ces étonnantes curiosités
naturelles que leur partie prosaïquement mais
richement utilisée: les ,grottes glaciales d'où
l 'industrie «les fromages de Roquefort exporte
chaque année dans la monde entier pour
une dizain? de millions de ses savoureux
produits. Un ami de la nature et des scien
ces, originaire de ces contrées, M. de Mala-
fosse, se constitua, il y a une quinzaine d'an
nées, le révélateur des beautés du pays des
Causses. Plusieurs de ses compatriotes lui
donnèrent la réplique; mais comme il arrive
toujours, tant que la consécration parisienne
fit" défaut, le grand public demeura indifférente
Il appartenait à M. E.-A'. Martel, membre
de la section du Club alpin parisien, de faire
connaître urài et orbi, par des conférences
publiques et par un travail remarquable, les
dessus et les dessous de cette curieuse région
lozérienne. Après l'avoir explorée en cons
cience. et même avec une singulière intrépi
dité de pionnier souterrain, il l'a, comme on
dit, « lancée ». C'est à M. Martel surtout que
ce département de la Lozère, lemoins opulent
de tous et qui fut si longtemps comme le chef-
lieu de, la France inconnue, sera redevable
d'une légitime notoriété d'abord et ensuite
d'une participation de plus en plus grande à
la manne dorée que les touristes vont semant
à travers les pays de grande attraction.
Cette manne cosmopolite et bienfaisante,
c 'est le devoir de tous les Français en situa
tion de la déverser d'en faire hommage
d'abord à leur propre pays, qui toute considé
ration de « chauvihisme » mise de côté,
y" a des droits indiscutables et absolus. La
France d'abord ! Nous sommes Français,
notre pays ayant tout, parce que ou quoique
il le mérite ! :
La Lozère fait dé son mieux pour bien re
cevoir ses visiteurs nationaux et exotiques.
Je n'en veux comme preuve que le cordial ac
cueil qu'elle vient de faire à ses hôtes du
Congrès alpiniste. Ils ont été comblés d'égards
par les municipalités et les populations.Quant
à l'organisation des tournées, due à M. l'in-
fénieur en chef Marcel Gros, et surtout
M. Paradan, de Mende, elle a été un chef-
d'œuvre et parfois un tour de force. Bien n'est
venu assombrir les îharmantes impressions
de leur nombreuse caravane, et, s'il y a eu,
vers la fin, un incident de rivière souterraine,
ayant pu donner l'illusion d'un accident, ça
été tout à fait en dehors du programme. Les
"baigneursinvolontaires de Bramabiau s'y sont,
lavé les.pied's par l'entournure de leur faux-
col, c'est vrai; mais les organisateurs sont
en droit de s'en laver moralement les mains.
Et puis, tout est bien qui finit bien, comme
dit l'autre!
. Thomas Grimm.
Le Petit Journal
COMMENCERA PROCHAINEMENT
la publication d'un rom§S inédit appelé
à faire sensation .. .
EU DÉTRESSE!
■ ' . ' PAR '
"Jùlôs Mary;
IE jc I ios d -e pa.rtou.~t
A Fontainebleau :
Hier, le colonel Chamoin est allé chercher à
la gare, dans un landau de la présidence, le
cardinal ^avigerie et Mgr Livinbac que
M. Carnot a retenus à déjeuner.
Le président a fait au cardinal un accueil
très empressé et s'est entretenu arec lui du
centre africain et de son œuvre civilisatrice.
En quittant le palais, le cardintl a reçu le
curé et les vicaires de Fontainebleau ; puis
avant de prendre le train de cinq heures, il a
visité les appartements du pape Pie' VII au
palais.
Mgr Lavigerie quittera Paris mardi matin
pour se rendre à Rome.
Un journal d'Athènes, l'iphirneris, an
nonce les prochaines fiançailles du prince
Georges de Grèce avec la seconde fillé du duc
de Chartres, la princesse Marguerite,^ont le
mariage avec le duc d'Orléans semblait, à un
moment, chose décidée.
Le prince Georges,'qui vient d'atteindre sa
vingt et unième année, est lieutenant devais-
seau dans la marine danoise, Il a fait ses
études de marin à Copenhague, où la prin
cesse Marguerite allât très souvent depuis le
mariage de sa sœur avec le prince Waldemar.
Nous annoncions avant-hier l'arrivée au
Jardin des Plantes de deux magnifiques
ours blancs. Les incicents du voyage de ces
deux ours jusqu'à Paris ont été des plus mou
vementés. Ces deux carnassiers, provenant du
Spitzberg, et non de Sibérie, ont été ramenés do
Hammerfest, la ville la plus septentrionale de
là terre, par M. Berg,de l'Agence Duchernin,
au retour "d'une, excursion de touristes fran
çais au Cap Nord. Do Bergen (Norwège), à.
Rotterdam, les ours furent transportés par
bateau à vapeur au grand effroi des passagers;
mais arrivés à Rotterdam, le3 compagnies de-
chemins de fer refusèrent absolument le trans
port dans les trains de Yoyageurs; ce n'est
qu'à grand'peine qu'ils furent hissés sur un
wagon spécial d'un train express qui arri
vait jeudi matin à la gare du Nord. Les ca-,
mionrçeurs, peu habitués à ces sortes de mar^
chandises, chargèrent avec mille précautions
les deux animaux et les conduisirent au Jardin
des Plantes où le déballage eut ligu en pré
sence d'une foule énorme qui suivait le ca
mion depuis la gare. ,
' -«♦. ' ■ '
Notre correspondant de Saint-Sérlten nous
annonce qu'on vient de mettrê à découvert,
dans cette ville, les vestiges de l'ancienne ca
thédrale d'Aleth qui fut le siège épiscopal de
saint Malo, premier. évêque de cette vieille
cité, vers le quatrième siècle do l'ère chré
tienne. On est arrivé à reconnaître les subs-
tructions de l'édifice et des murs, contigus à
la èhapelle actuelle de Saint-Pierre et à la
boutique 'd'un boulanger du voisinage.
■4 (P fr»
Le chemin de fer tend à se démocratiser en
Angleterre. La plupart des compagnies an
glaises viennent en effet de décider la suppres
sion des trains express uniquement composés
de voitures de Ire et de 2° classe. Les trains les
plus rapides auront désormais des troisièmes.
Do plus il est question de généraliser dans
tout le royaumele système des trains-ouvriers
en vigueur dans une partie de la' banlieue de
Londres.
Le Voyage de M. de Freycinet
«AXS LES AM'ES
(.Dépêche de notre, correspondant)
Nice, 27 septembre, 7 heures 30 soir.
- Le ministre de la guerre est parti ce matin,
à huit heures ' et demie, accompagné du gé
néral de Vaulgrenant, gouverneur de Nice,
des ■ colonels directeurs de l'artillerie et du
génie et de ses officiers d'ordonnance, se ren
dant au mont Agel, par la route de la Corni
che. À onze heures les-voitures arrivaient à
la Turbie où le ministre et sa suite ont dé-:
i'euné; À midi, on se pmettaiteir route et une
teure après on arrivait au sommet de l'Agel
par la nouvelle route stratégique.
M. de Freycinet a longuement inspecté les
importantes fortifications, que le génie fait
élever sur eé point et qu'il a ordonnées lui-mê
me. lors de son dernier voyage. Il a paru sa
tisfait de la façon dont les travaux ont été
menés. Le ministre de la guerre et les officiers
remontaient en voiture à trois heures et de
mie et étaient de retour à six heures à l'hôtel
Beau-Rivage.
A peine arrivé, M. de Freycinet^ a reçu
le comte de MalauSsena, maire de Nice, avec,
lequel il s'est entretenu jusqu'à sept heur.es
moins dix.
Il a dîné ensuite en compagnie de ses offi
ciers d'ordonnance, puis a regagné sa chambre. ;
: L'évôque est venu dans l'après-midi pour
saluer le président du conseil. Sa visite lui a
été rendue presque aussitôt par le comman
dant Bazin, qui était résté à Nice pour rendre
toutes les visites qu'aurait reçues le ministre-
de la guerre.
Demain matin, à sept heures, M. de Freyci
net accompagné du général gouverneur, des
Colonels directeurs de l'artillerie et du génie
et de ses officiers d'ordonnance,partira en break
pour Peira-Cava où 41 passera la nuit. Lundi
matin il ira visiter les positions stratégiques
de l'Authion et des Mille-Fourches où ont été'
élevés dans le courant de. l'été de nombreux
baraquements destinés aux bataillons alpins.
On affirme que ces baraquements présente
ront pour nos alpins un abri plus sûr et plus
commode que ceux élevés par les Italiens sur
les sommets des Alpes .et que certaines per-,
sonnes ont présentés comme parfaits. Lés
Italiens en exécutant ces travaux n'ont fait
que nous imiter sans faire aussi bien. :
M. de Freycinet rentrera à Nice lundi après-
midi. Le soir il offrira à l'hôtel Beau-Rivàge
un dîner de trente couverts.auquel seront in
vitées les autorités civiles et militaires. Il
quittera Nice mardi matin en voiture pour se
rendre à Puget-Théniers où il passera la nuit;
il inspectera en passant les travaux de lanou-.
velle voie ferrée et visitera lo nouveau pont
de Manda. De Puget-Théniers, ie ministre se
rendra à.Barcelonnette par Entrevaux et Annot.
LA CRISE < VuLkIÈRE
à Calais
$èpiçfte de notre envoyé spécial)
Calais, 27 septembre;
Crise estf îjien le mot. On ne saurait encore
dire la giOTe, puisque cette grève, menaçante
depuis plusieurs semaines, n'est pas encore
un fait accompli. Toutefois, au train dont
vont les choses, il paraît impossible que dès
ce soir une rupture complète n'intervienne
entre les deux partis en présence.
Il est original de constater que, pour cette
fois, l'initiative directe de la cessation géné
rale du travail ne viendra pas des ouvriers,
mais des patrons. Cela dit, je me hâte pour
laisser aux uns et aux autres toutes les res
ponsabilités jui leur incombent, d'expliquer
par quelle suite de circonstances les. patrons
ont été amenés à prendre une telle décision.
. Les causes de la crise actuelle' ne sont pas
neuves. En 1881, la Bourgogne... pardon,
l'industrie tullière à Calais, était heureuse. La
mode favorisait sa production/ les couturiè-
•85- FEUILLETON DU 28 SEPTEMBRE 1890 (i)
FLEUR-DE-MAI
quatrième partie
L'AFFAIRE DE LAURIA G ~
III— Suite
L'idée de Loachard r • .
3La chambre de Blanche de Lauriac .se trou
vait placée dans une grosse tour carrée, au
premier étage, et communiquait avec les jar
dins au moyen d'un escalier à vis donnant
dans le cabinet de toilette.
Entre ce cabinet et la chambre à coucher de
la jeune femme, un étroit-réduit, une petite al
côve dans laquelle la petite Loulou dormait
Comme un ànge, à poings fermés, et alors, sé
parée par un étroit couloir,à portée de la voix,
la chambre de la Petite-Mai, à laquelle tous
les hôtes du château de Lauriac s'attachaient
chaque jour davantage.
La Petite-Mai maintenant, se levait plu
sieurs heures dans la journée.
Par un beau jour de soleil, elle était même
descendue "au jardin, la vis communiquant
avec le oabinet de toilette de Blanche ne
comptait que quelques degrés...
Valroy avait présidé lui-même à tous ces
aménagements, donnant ses conseils en ce qui
touchait à l'hygiène de touâ*ceux qui étaient
confiés à ses soins.
Et déjà, il annonçait que sous peu de jours,
il commencerait à essayer de faire parler la
petite muette, au moins chaque jour pendant
une heure.
La tâche serait aisée, Blanche, la première,
en était maintenant certaine.
- Toute cette vie commune avait resserré,
comme on jpeut bien le comprendre, les liens
gui unissaient déjà Henri de Lauriac et Raoul
Valroy. y . . :
ff) Reproduction et traduction interdite»
• Henri, lui aussi, n'était, plus reconnais-
sable.
La marquise n'avait pas été la dernière à
constater la métamorphose qui s'opérait chez
son iils.
Quant à trouver la cause de ses agitations
nerveuses, de ses subites tristesses, des accès
de bruyante gaieté qui leur succédaient, elle
ne pouvait la deviner et s'en inquiétait à pré
sent outre mesure.
1 La pensée ne pouvait lui venir qu'Hénri, son
fils, le marquis de Lauriac, était à cette heure
amoureuxfoud'unemalheureusepetite errante,
muette, à demi-folle, qui venait on ne savait
d'oùj à laquelle il est vrai, on devait tous les
soins, d'abord, comme- étant abandonnée et
malheureuse, en outre, pour reconnaître le ter
rible accident dont elle avait été victime de
par l'imprudence de son fils. ■.
. Non, en vérité, la possibilité d'une telle
passion ne pouvait venir à l'esprit de la mar
quise. •
Et, bien loin, bien loin, elle cherchait le mot
de l'énigme qu'elle aurait pu trouver tout-
auprès d'elle, si elle eût abaissé ses regards sur
la Petite-Mai.
Ce fut Henri lui-même qui se chargea de
dessiller les yeux de sa mère.
Un soir que la marquise était seule au coin
de son feu, tisonnant avant de ' se mettre au
lit, ainsi qu'elle en avait la coutume, Henri
vint lui rendre ses devoirs, et lui dire bon
soir en lui souhaitant la bonne nuit.
Au lieu de ne demeurer que quelques courts
instants auprès de sa mère, comme il le fai
sait chaque soir, Henri prit ..un fauteuil et
s'assit à l'autre coin de la cheminée, en face-
de la marquise.
Celle-ci devina aussitôt que soa fila avait
une confidence à lui faire,.
Et regardant le jeunâûomraa droit dans les
yeuxi
— Tu as quelque chose sur le cœur, mon
enfant... Je le .devine et je le vois... aussi
bien, j'allais avant peu te,questionner moi-
même, car depuis quelque temps, je te trouve
bien changé.
Et elle détailla tous le3 signes qui' avalent
révélé à. ses yeux cette métamorphose.
— C'est vrai, mamère,—répliqua sans hési
ter le marquis de Lauriac, — oui, vous avez
raison, mamère... Peut-êtreaurais-je dû vous
parler plus tôt..
— Et d'où vient ce changement, mon cher
enfant?...
Henri était la franchise et la loyauté mê
mes. Malgré tout, il prit .un temps, il demeura
un instant silencieux, tant il comprenait la
gravité de l'aveu qu'il se disposait à faire à sa
mère.
, — C'est donc bien dur?... bien pénible?...
insista la marquise. — ¥i Pour tê donner du
courage, mon enfant, songe que tù parles .à
ta mère.
— Oh ! maman, — s'écria le marquis, — je
n'ai rien à me reprocher... Seulement, si
vous me voyez hésiter, o'est
cruelle.
,—De la peine, à moi!. ..
-r-Oui, et cependant, je suis heureux... très
heureux, pour la première fois de ma vie...
'—Do quelle façon, mon fils?.,.
Et la marquise îeleva lentement la tête,
tandis que son beau visage prenait tout à
coup un air de gravité sévère.
Henri s'était lancé, il ne devait plus s'arrêter..
—Parce que j'aime, ma mère, j'aim,e de
toutes les forces de mon cœur...
— Hélas ! je le sais mon pauvre enfant, tu
as fait de moi ta confidente, — tu aimes d'un
amour sans espoir,..
Henri secoua la tête.
—Mais,ma chère maman, ce n'est plus cela,.. J
Je crois être certain au contraire que je suis
aimé, aimé d'une passion naïve, touchante,
une âme toute-. nouvelle, qui s'est donnée
à moi... .
' — Comment ! — s'écria Mme de Lauriac, —
tu serais aimé de la comtesse Stroganof...
et c'est à moi ! —Henri, à moi, ta mère que tu
; viendrais avouer- une telle inconvenance.
— Mais non.. . ma mère i... ce n'est plus,
la comtesse Stroganof que j'adore... c'est
une autre créature, plus jeune, plus belle en
core, une pauvre enfant qui "n'est ni noble, ni
riche, qui n'a point de nom... mais qui res
semble à la comtesse Stroganof de la façon la
plus surprenante... C'est la Petite-Mai, ma
mère, cette enfant que j'ai failli tuer...
— Voyons ! voyons! Henri I mon enfant !...
— s'écria la marquise en devenant d'une mor-
tèlle pâleur, — mon enfant I... Est-ce que je
deviens folle?.. . Ou si c'est toi qui es subite
ment frappé de démence?... Tu étais amou
reux fou de la comtesse... et c'est cette pau
vre petite créature, muette, aux trois quarts
folle !. .. que tu aimerais maintenant?.., Tu
voulais quitter ta mère, aller mourir au loin...
Et à présent!.;. Voyons! Henri!.,. Je t'en
prie...
— Calmez-vous, ma mère!.,. Je vous en
supplie...
— Que je me calme 1 — s'écria la marquise
s'animant davantage, — que je me calme
lorsque mon fils !. . . mon enfant bien-aimé !...
l'héritier de notre nom, vient m'avouër, à moi
sa mère, qu'il est amoureux d'une enfant
abandonnée, d'une fille errante qui a inaa
— Ma mère 1... Je vous en conjure !...
s'écria le marquis en joignant les mains.
— Mais qu'espères-tu donc ?... Abuser de
cette enfant sous notre toit?... de cette inno
cente qui n'a rien pour-la'défendre contre toi,
pas même sa raison qui est endormie, et cola,
res, les modistes s'arrachaient le moindre moiv
céau do ces belles dentelles, de ces magnifi
ques guipures que déroulent les Jacquart- ca-
laisiens, délicats tissus où la soie a en partie
remplacé aujourd'hui le coton de jadis et qui,
faits au métier, d'un bon marché relatif par
conséquent, réalisent cependant une telle per
fection qu'ils donnent l'illusion presque abso
lue des dentelles précieuses qu'ils imitent :
malines, valenciennes, chantilly, point d'An
gleterre, etc.
; La grande vogue des dentellês dura trois ou
quatre ans qui" marquèrent pour la principale
' industrie de cette ville une ère de bonheur
inouï.'On ne pouvait suffire aux commandes.
Il n'était pas rare devoir le salaire des ou
vriers s'éleVer jusqu'à 175,' 200 francs par se
maine. On manquait èncore dç bras et la po
pulation s'accrut dan^de notables proportions.
Les patrons, qui ne présageaient pas la fii),
de cette période de cocagne faisaient bâtir de
nouveaux ateliers, achetaient dumatériel. Une
véritable fièvre de prospérité. Après lesvaohes
grasses, les-vaches maigres, hélas! La mode
n'en est plus à compter ses caprioes. D'autres
colifichets remplacèrent la dentelle dans la
garniture des robes et des chapeaux; des
stocks s'accumulèrent dans les magasins dé
Calais; l'avilissement des prix s'ensuivit. ra*
pidement. Gêne sur toute la ligne.
VVWVWWVk
Notre redoutable ennemie commerciale,
l'Allemagne,ne pouvait laisser passer pareille,
aubaine. Elle lança sur ce pays une horde de
courtiers, de commissionnaires qui, monts-de-
piété ambulants, s'adressaient de préférence
aux petits fabricants, plus à court que les
autres, leur prêtaient un peu d'argent en se
faisant remettre en gage beaucoup de mar
chandises ; les jours de grosse échéance, il
fallait solder tout cela pour des sommes ridi
cules.
Ces gens achetèrent dans les niêmes condi»
tions un assez grand nombre de métiers et
aujourd'hui quelques fabriques rivales se
sont montées dans la Pologne allemande, El*
les ne font d'ailleurs rien qui vaille, paraît-il,
car leurs dessinateurs sontincapables de créej
de nouveaux, modèles. Ajoutez à toutes ces
causes de ruine un krack financier qui se
produisit à Calais en 1886 ; trois banquiers
qui firent banqueroute en laissant un passif
d'une vingtaine de millions. La flupajt des
industriels d'ioi- y perdirent quelques plumes.
Cependant la chambre, syndicale, des pa
trons tullistes ne s'abandônjia pas. Ellë ,cher
chait depuis longtemps un Sioyen de cQnjîirer
la crisp. Elle crut l'avoir trouvé eh élaborant
un tarif qui aurait, pensait-elle, pour effet de
combattre ^avilissement des prix, "le prinoipal
danger pour elle. ....
Dans leur dernière- assemblée, en août do
cette année, sès.membres votèrent à la grande
majorité l'adoption de ce tarif-qui portait ex- :
clusivement sur le salaire des ouvriers et que
tous les adhérents s'engagèrent à accepter
comme tarif minimum dans leurs ateliers..
- Ils affirment avoir eu,; en ce faisant, une
excellente intention. Mais les ouvriers ne la
prirent pas comme telle. Les salaires fixés
par le tarif minimum étaient inférieurs à
ceux qu'ils, touchaient en quelques endroits,
cela suffit. Ils ripostèrent par un nouveau
tarif plus éléVê que l'autre de 2d.à 25 0/0. On
ne s'etitendit, pas Naturellement et il y a un
mois environ, les ouvriers résolurent la grèvê,
mais une grève d'une forme particulière. Ils
devaient procéder progressivement, mettre en
interdit un certain nombre de maison'â jùs-
qu'à ce qu'elles eussent cédé, puis passer
d'autres et ainsi jusqu'à la derhière.
VVWVVWVSA
Ils ont commencé par trois maisons qui ont
cédé, puis se sont attaqués à la maison Ilouetta
et Butler qui est une des principales. Mais les
patrons se sont défendus; plutôt que de se lais
ser ainsi décimer par petits paquets, ils se sont
décidés au nombre de quatre-vingts, les plus
gros, à mettre la clef sous la porte. Samedi
dernier, à la paye, ils ont averti leurs ou«
vriers que si dans la semaine le travail n'a
vait pas repris chez MM. Houette et Butler,
tous leurs ateliers seràient fermés, :
Le travail n'a pas repris ; les multiples teù-
taiives de. conciliation qui ont été faites_ par
le maire et par d'autres n'ont pas abouti. Je
dois ajouter quo les ouvriers, outre les ques
tions do tarif, revendiquent .autre. chose. Ill
sous mon toit !... en face de moi... ta mère !...
—Oh ! ma mère , comment pouvez-voufi
croire qu'une pareillepensée ait pu naître dans
mon esprit. ~
— Sois donc logique. Si tu n'as pas eu cette -
idée infâme... et je le souhaite, mon fils, tu -
n'as pas eu non plus la pensée, je l'espère, de
faire de cette enfant, sans parents, sans fa
mille... une fille qui courait hier encore; les
chemins et les bois, non, tu n'as pas pu croira
une seule seconde que tu pourrais faire de
cette créature... la marquise de JLauxlac !...
Ta femme !... Ma fille !.. .
—Mais, ma mère...
D'un geste de tête hautain, Mme de Lau
riac congédia son fils.
— Assez Henri!... Assez !... Plus un mdt
sur ce sujet... Réfléchis à l'inconvenance et
à l'incohérence des paroles que tu viens de
prononcer... et tu me demanderas pardon
d'avoir osé, devant moi, les laisser échapper
de tes lèvres.... La nuit porte conseil, réflé
chis, mon enfant... Tu ne m'as jamais causé,
un chagrin sérieux, Henri... Recueille-toi, et;
tu te diras... que fu ne peux vouloir faire de
moi la plus malheureuse des mères.
La marquise élevait la voix, s'exaltant :
— Moi vivante, rien de pareil ne se ferait
dans ma maison.,. Je 1e jure... Ou j en sor
tirais la tête haute,... chasf^ par mon en-
Henri de Lauria® quitta 1 appartement de
la marquise cœur en proie à une affreuse
jmgoibSO. ^
' — Que faire?... Que devenir?... Ah!
n'ai plus d'espoir qu'en Valroy... Il faut qu il
fasse de cette enfant une créature digne de moi,
digne des miens... Ou bien ne su].s-je tombé
d'une passion malheureuse dans un autre
amour,plus désespérant encoreI../
Tandis que cette scène se passait dans m
ambre de la marquise, une autre, ayaal
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