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QUOTIDIEN
UN NUMÉRO 5 CENTIMES
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SIX MOIS 12 FR.
uN AS. 24 FR»
Septième Année n° 2,407
Mercredi 4 Août 1869
Tirage du Petit Journal 261.131
MARDI 3 AOUT 1869
tA PREMIÈRE NUIT D'UN CONDAMNÉ
Beaucoup d'entre vous, chers lecteurs,
ne sont peut-être jamais' entré à la cour
d'assises.
Vous n'avez pas vu cette longue salle,
bondée de curieux dont les yeux sont di-
rigés vers ce banc fatal où l'accusé, entre
deux gendarmes, dispute à la loi sa tête
ou son honneur; vous n'avez pas assisté à
un de ces lugubres drames, a cette lutte
gigantesque entre la faute et le châti-
ment, entre l'avocat qui fait vibrer les
cordes de l'humanité et le ministère pu-
blic, qui brandit le glaive de la justice;
vous n'avez probablement jamais en-
tendu les princes du barreau et les émi-
nents magistrats, mais.leurs paroles sont
venues jusqu'à vous, grâce aux journaux.
Vous avez'pu suivre mot à mot les ter-
ribles débats, et quand la cour, obéissant
à la loi impitoyable, a prononcé contre un
accusé la sentence infamante qui le
chasse de la société des honnêtes gens,
quelle que ftît le crime du condamné,
vous avez, j'en suis convaincu, éprouvé
pour l'homme flétri ce sentiment de pitié
que nous inspire toute créature humaine,
quand, par sa faute, elle descend du pié-
destal où Dieu l'a placée et roule dans la
boue pour ne plus se relever.
Oui, vous avez tous dû éprouver cette
Sensation étrange où l'horreur que vous
inspire la faute combat contre la pitié,
e.t vous avez dû vous dire que de tous
les sinistres, celui qui engloutit l'hon-
neur d'un homme est le plus effroyable.
Mais, dites-moi, avez-vous jamais pensé
à toute l'étendue d'un tel désastre, alors
que la loi atteint non un de ces gredins
qui ont grandi dans le crime, qui, de pri-
son en prison, marchent dans un ruisseau
de sang jusqu'à l'échafaud, mais un
homme né pour le bien, qui a été élevé
dans l'afféction des siens, qui a vécu dans
l'estime de ses concitoyens et que le
crime, issu de la faute, conduit sur le
banc d'infamie, et de là au bagne.
Si cruelle que soit la loi, si poignant
que soit le drame, le châtiment public
n'est rien à côté de ce châtiment in-
time si terrible que soit la loi, elle le
sera toujours moins que la conscience; si
feuilleton du 4 Août i869
LA VIE
INFERNALE
*XV
Grande avait été la surprise de Mlle Mar-
guerite le jour où, chez M. Isidore Fortunat,
elle avait vu tout à coup Victor Chupin s'a-
vancer vers elle, et d'une voix émue s'écrier
Que je perde mon nom, mademoiselle,
si avant quinze jours je ne vous ai pas re-
'trouvé M. Férailleur.
Reproduction et traduction interdites.
'Voir le Petit Journal depuis le 6 mars.
effroyable que soit la punition, il en est
une autre mille fois plus effrayante,
c'est le souvenir de l'honneur perdu, la
torture secrète de l'âme, les larmes ver-
sées dans le silence de la nuit sur le bon-
heur envolé, sur la considération qui a
été renversée par la sentence du tribunal.
Je ne sais au monde rien de plus attris-
tant, rien qui mérite à ce point la pitié
des hommes tous les châtiments de la
justice dans les plus inexorables manifes-
tations ne sont rien à côté du châtiment
suprême de tous les jours, de toute heure,
qu'inflige à l'homme tombé le souvenir
des jours passés.
Il est des êtres dégradés qui, dès leur
plus tendre enfance, ont coudoyé la faute
ou le crime, et qu'un dernier méfâit,plus
considérable que les autres, jette enfin
définitivement dans les bras de la loi ven-
geresse. Ayant eu à rendre compte sou-
vent à la justice, ils se sont familiarises
de bonne heure avec la pensée de n'être
pour leurs concitoyens qu'un sujet d'hor-
reur. D'aucuns ont vécu dans les prisons
avant d'aller au bagne; ils ont descendu
une à une les marches de l'échelle sociale;
insensiblement, ils ont roulé d'abjection
en abjection jusque dans les plus bas
fonds de la sociéte.
D'autres, au contraire, semblaient nés
pour le bien Leurs premières années se
sont écoulées au sein d'une famille res-
pectée et, à mesure que leur intelligence
se développait, on leur a enseigné l'hon-
neur et la probité. L'enfant devient un
jeune homme, et le s°ul nom de son père
lui sert de passeport dans la vie.
Tel père, tel fils, dit le dicton populai-
re. Et ceux qui n'ont pas la consolation
de laisser à leur enfant une grande for-
tune, emportent du moins dans la tombe
cette indiscutable certitude qu'un nom
sans tache est un héritage souvewt plus
précieux qu'un autre. Le jeune homme
atteint l'âge mûr, il se crée une famille;
h son foyer est venue s'asseoir une femme
aimante et de son berceau lui sourit un
enfant adoré.
Puis un jour, en une minute fatale,;
par suite d'un aveuglement, d'un.e ambi-
tion démesurée, d'un fol entraînement,
cet homme commet une première faute.
Saisi de vertige, il s'embourbe dims le
sentier du crime et le terrible châtiment
de la conscience devance celui de la
justice.
Rien n'a transpiré encore au dehors de
sa faute; elle est ensevelie au fond de'
Il est vrai que, ce jour-là, l'employé de
M. Fortunat n'était pas mis à son avantage.
Pour épier plus commodément M. de Co-
ralth, il avait revêtu sa vieille défroque et,
dame! avec sa blouse et ses chaussures
fatiguées, avec ses cheveux ramenés sur les
tempes et sa casquette de toile cirée, il avait
tout l'air d'un parfait garnement.
Cependant, tel est l'empire de la passion
vraie, que Mlle Marguerite ne douta pas une
seconde du dévouement de cet étrange auxi-
Faut-il le dire? Il lui inspira plus de con-
fiance que n'en avait obtenu M. -Fortunat
avec ses façons obséquieuses et sa voix plus;
douce que miel.
Le regard de l'employé du moins était
franc et direct. Aussi presque sans hési-
tation
J'accepte vos services, monsieur, répon-
dit-elle.
C'était bien à lui que cette belle jeune fille-
parlait de sa voix pure et sonore comme le
cristal, c'était bieü à lui! Victor Chupin.
se sentit grandi d'ttne coudée.
Ah! vous avez raison de compter sur!
moi, reprit-il, en se frappant du poing sur La
poitrine à la défoncer, car il y a quelque
chose qui bat là-dedans. seulement.
Quoi, monsieur?.
Je me demande si vous conspiriez à
son âme c'est un secret terrible entre
lui et son complice. S'ils sont deux, ils
n'osent plus se regarder en face; s'il est
seul, à chaque marque de déférence qu'il
récolte dans la vie, une voix intérieure
lui crie qu'il vole cette considération à
laquelle il n'a plus droit.
C'est une existence affreuse mais on la
supporte; on étouflé la voix de la cons-
cience on s'accroche aux derniers lam-
beaux de l'honneur déchiré; on marche
de la faute au crime jusqu'au jour où la
justice vous saisit au collet et vous dit
Vous êtes un voleur!
11 est trop tard! Le châtiment s'avan-
ce, terrible et menaçant
La prison préventive, ce n'est rien en-
core On peut dérouter la justice, on peut
recouvrer sa liberté, on n'est pas encore
forcé de courber le front. Le tribunal ne
vous a pas encore marqué au visage; il y
a dans Paris des avocats de talent et le
jury est facile à émouvoir; les employés
de la prison nous doivent encore du res-
pect, car rien ne prouve le crime, tant
qu'une déclaration solennelle de culpabi-
lité n'a pas appris au monde entier que le
prévenu est un misérable il n'est déjà
plus honoré comme autrefois, mais le
déshonneur n'a pas encore reçu sa consé-
cration publique..
Le jour de l'audience arrive; le pré-
venu n'entre plus dans un salon où
toutes les mains se tendent vers lui;
il entre si la cour d'assises, et si dans
cette foule il rencontre quelques figures
sympathiques, il en aperçoit d'autres qui
semblent se réjouir de son malheur. En
vain il se débat contre la justice; le châ-
timent implacable le saisit à la gorge et
l'étrangle; il se débat, il se défend jus-
qu'au moment où le verdict des jurés !ui
imprime sur le front la marque d'infamie.
Cette fois, tout est fini!
Le criminel endurci, qui a grandi dans
les prisons, croit rentrer chez lui quand,
apres une nouvelle condamnation, il se
retrouve dans la fatale cellule; parmi ces
hommes rayés de la société, il revoit des
amis, des compagnons d'autrefois et par-
fois, il se dit que mieux vaut encore s'é-
tendre sur le dur matelas de la Roquette
que de coucher dans les froides carrières
de Montmartre.
L'autre, l'homme du monde, se sent
définitivement et sans appel condamné à
l'inf; unie habitué à commander, il n'au-
ra pi us désormais qu'à obéir; le plus mo-
deste employé de la prison le domine de
toute la hauteur de son honnêteté; le rè-
fairè'ce que je désirerais; Ce serait bien
ulile, miùs si ça doit vous gêner, n'en par-
wns plus.
Et que
Vous parler tous les jours. Comme
cela, je vous dirais mes démarches, et vous
me donneriez les renseignements dont j'au-
rais besoin. Je sais bien que je ne peux
pas aller sonne chez M. de Fondège et de-
mander à vous dire deux mots. Mais il y
a d'autres moy ens. Par exemple, tous les
soirs, à cinq heures précises, je passerais rue
Pigaile, et, pour vous avertir que je suis là,
i je donnerais 1 Lui signal, tenez, comme cela
j « pi. ouit. » Alors, sans faire semblant
pourriez, et j e vous débiterais mon petit bo-
niment. sa .ns compter que je vous serais
crânement u- tiltî pour vos commissions.
Mlle Mai? juerite réfléchit un moment, puis
inclinant la tête
Ce qu> vous me demandez est pratica-
ble, pronor lça-t-elle. A partir de demain,
tous les soi rs vers cinq heures je serai aux
aguets. Si une demi-heure après le signal
je n'étais pas descendue, c'est que je serais
.retenue.
Cliupi' n eût dû être satisfait. Eh bien,
non Il avait une autre requête encore à pré-
senter, et l'instinct, à défaut de l'éducation,
,!¡lui en disant l'inconvenance, il n'osait.
glement des prisons lui impose les vête-
ments grossiers à lui, qui a été un mo-
dèle d'élégance; ce n'est plus son valet
de chambre qui l'assisté à l'heure de sa
toilette; ses cheveux tombent sous les
ciseaux de la prison. C'est un détenu
comme un autre; quel que soit son nom,
sa fortune, son éducation, il n'est plus
que l'égal du plus dégradé, et les plus in-
fâmes sont ses pairs.
Que se passe-t-il à cette heure suprê-
me dans l'âme de cet homme? Qui peut
dire ses souffrances et ses tortures? Que
doit-il éprouver, lui, le vaniteux d'hier,
quand des hommes abjects, le rebut de la
société lui donnent la sinistre accolade des
prisons?
Seul, dans une cellule! Seul! Lui qui
n'avait qu'à faire un signe pour appeler
les domestiques empressés. Seufl cet
homme, habitué à s'entourer, même pen-
dant son sommeil, d'un luxe envié.
Que de fois, à cette heure de la soirée a-
t-il jeté le regard du maître sur .ses salons
illuminés, où devait se presser u.ne heure
après la foule des amis et des connais-
sance
Au lieu du bruit et du mouvement, le
silence, le silence glacial de la prison ce*-
n'est plus le joyettx tintement de la n.ja-
gnifique pendule dos son salon, mais 1 écho
de la lugubre -horloge e de la prison qui lui
annonce l'heure de la- nuit; il ne s assied
plus à la table somptueuse à côté de ses
amis; à travers la lucarne, un gardien
invisible lui passe la grossière nourriture.
La nuit s'avance! Cet bornée ne dort
pas 1 Dix heures sonnent à l'horJoge de la
prison. C'est l'heure oa.i, ivre 4e bon-
heur et d'orgueil, il entrait dans £t loge
à l'Opéra, après avoir dîné au cale' An-
glais. MinuitT. C'est l'heure du cercle!
Tandis que ses amis d'autref'ois sont li-
bres, il est prisonnier, lui. Tandis quufl
balcon de son club, ses amis d-hier fix-
ment leur cigare et hument l'air irais de
la nuit d'été, lui, l'homme du monde
flétri par la loi, loin du bruit et du mou-
vement au milieu desquels il a vécu, seul,
abandonné de tous, il se roule sur son
grabat dans les contorsions du désespoir
et étouffe ses sanglots sous la vulgaire
couverture de laine.
Une heure sonne.
Il ne dort pas. sa pensée franchit les
murs de la prison et erre dans la somp-
tueuse demeure, où les larmes d un en.
Même son embarras était si visible, et il
tortillait sa casquette si désespérément que.
la jeune.fille, doucement, lui demanda
Qu'y a-t-il encore, monsieur?
Il hésita. puis, prenant son courage à
deux mains
Voilà, fit-il. Je ne connais pas M.
Férailleur. Est-il grand ou petit, blond,
brun, gras, maigre?. n'en sais rien. Je
me trouverais nez il nez avec lui que je ne
pourrais pas dire « C'est lui! Ce serait
une autre paire de manches si je voyais seu-
lement une photographie de lui.
Mlle Marguerite rougit extrêmement. mais
c'est de l'accent le plus simple qu elle dit
Demain; Monsieur, je vous remettrai la
photographie de M. Férailieur.
Alors, .s'écria M. Chupin, nous sommes
des bons N'ayez pas peur, Mademoisel-
le, à nous deux nous ferons voir le tour aux
malins. Je suis là, pour uncoup, et je ré-
ponds de la casse.
Témoin muet de cette scène, M. Fortunat
crut devoir intervenir.
Il n'était que médiocrement satisfait de
l''importar.ce soudaine dont se grandissait
non employé; mais que lui importait, après
fiant, pourvu qu'il fût vengé de Valorsay.
Victor est un garçon capavle' et sûr,
mademoiselle, déclara-t-il, tf'est morquv.
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Mercredi 4 Août 1869
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tA PREMIÈRE NUIT D'UN CONDAMNÉ
Beaucoup d'entre vous, chers lecteurs,
ne sont peut-être jamais' entré à la cour
d'assises.
Vous n'avez pas vu cette longue salle,
bondée de curieux dont les yeux sont di-
rigés vers ce banc fatal où l'accusé, entre
deux gendarmes, dispute à la loi sa tête
ou son honneur; vous n'avez pas assisté à
un de ces lugubres drames, a cette lutte
gigantesque entre la faute et le châti-
ment, entre l'avocat qui fait vibrer les
cordes de l'humanité et le ministère pu-
blic, qui brandit le glaive de la justice;
vous n'avez probablement jamais en-
tendu les princes du barreau et les émi-
nents magistrats, mais.leurs paroles sont
venues jusqu'à vous, grâce aux journaux.
Vous avez'pu suivre mot à mot les ter-
ribles débats, et quand la cour, obéissant
à la loi impitoyable, a prononcé contre un
accusé la sentence infamante qui le
chasse de la société des honnêtes gens,
quelle que ftît le crime du condamné,
vous avez, j'en suis convaincu, éprouvé
pour l'homme flétri ce sentiment de pitié
que nous inspire toute créature humaine,
quand, par sa faute, elle descend du pié-
destal où Dieu l'a placée et roule dans la
boue pour ne plus se relever.
Oui, vous avez tous dû éprouver cette
Sensation étrange où l'horreur que vous
inspire la faute combat contre la pitié,
e.t vous avez dû vous dire que de tous
les sinistres, celui qui engloutit l'hon-
neur d'un homme est le plus effroyable.
Mais, dites-moi, avez-vous jamais pensé
à toute l'étendue d'un tel désastre, alors
que la loi atteint non un de ces gredins
qui ont grandi dans le crime, qui, de pri-
son en prison, marchent dans un ruisseau
de sang jusqu'à l'échafaud, mais un
homme né pour le bien, qui a été élevé
dans l'afféction des siens, qui a vécu dans
l'estime de ses concitoyens et que le
crime, issu de la faute, conduit sur le
banc d'infamie, et de là au bagne.
Si cruelle que soit la loi, si poignant
que soit le drame, le châtiment public
n'est rien à côté de ce châtiment in-
time si terrible que soit la loi, elle le
sera toujours moins que la conscience; si
feuilleton du 4 Août i869
LA VIE
INFERNALE
*XV
Grande avait été la surprise de Mlle Mar-
guerite le jour où, chez M. Isidore Fortunat,
elle avait vu tout à coup Victor Chupin s'a-
vancer vers elle, et d'une voix émue s'écrier
Que je perde mon nom, mademoiselle,
si avant quinze jours je ne vous ai pas re-
'trouvé M. Férailleur.
Reproduction et traduction interdites.
'Voir le Petit Journal depuis le 6 mars.
effroyable que soit la punition, il en est
une autre mille fois plus effrayante,
c'est le souvenir de l'honneur perdu, la
torture secrète de l'âme, les larmes ver-
sées dans le silence de la nuit sur le bon-
heur envolé, sur la considération qui a
été renversée par la sentence du tribunal.
Je ne sais au monde rien de plus attris-
tant, rien qui mérite à ce point la pitié
des hommes tous les châtiments de la
justice dans les plus inexorables manifes-
tations ne sont rien à côté du châtiment
suprême de tous les jours, de toute heure,
qu'inflige à l'homme tombé le souvenir
des jours passés.
Il est des êtres dégradés qui, dès leur
plus tendre enfance, ont coudoyé la faute
ou le crime, et qu'un dernier méfâit,plus
considérable que les autres, jette enfin
définitivement dans les bras de la loi ven-
geresse. Ayant eu à rendre compte sou-
vent à la justice, ils se sont familiarises
de bonne heure avec la pensée de n'être
pour leurs concitoyens qu'un sujet d'hor-
reur. D'aucuns ont vécu dans les prisons
avant d'aller au bagne; ils ont descendu
une à une les marches de l'échelle sociale;
insensiblement, ils ont roulé d'abjection
en abjection jusque dans les plus bas
fonds de la sociéte.
D'autres, au contraire, semblaient nés
pour le bien Leurs premières années se
sont écoulées au sein d'une famille res-
pectée et, à mesure que leur intelligence
se développait, on leur a enseigné l'hon-
neur et la probité. L'enfant devient un
jeune homme, et le s°ul nom de son père
lui sert de passeport dans la vie.
Tel père, tel fils, dit le dicton populai-
re. Et ceux qui n'ont pas la consolation
de laisser à leur enfant une grande for-
tune, emportent du moins dans la tombe
cette indiscutable certitude qu'un nom
sans tache est un héritage souvewt plus
précieux qu'un autre. Le jeune homme
atteint l'âge mûr, il se crée une famille;
h son foyer est venue s'asseoir une femme
aimante et de son berceau lui sourit un
enfant adoré.
Puis un jour, en une minute fatale,;
par suite d'un aveuglement, d'un.e ambi-
tion démesurée, d'un fol entraînement,
cet homme commet une première faute.
Saisi de vertige, il s'embourbe dims le
sentier du crime et le terrible châtiment
de la conscience devance celui de la
justice.
Rien n'a transpiré encore au dehors de
sa faute; elle est ensevelie au fond de'
Il est vrai que, ce jour-là, l'employé de
M. Fortunat n'était pas mis à son avantage.
Pour épier plus commodément M. de Co-
ralth, il avait revêtu sa vieille défroque et,
dame! avec sa blouse et ses chaussures
fatiguées, avec ses cheveux ramenés sur les
tempes et sa casquette de toile cirée, il avait
tout l'air d'un parfait garnement.
Cependant, tel est l'empire de la passion
vraie, que Mlle Marguerite ne douta pas une
seconde du dévouement de cet étrange auxi-
Faut-il le dire? Il lui inspira plus de con-
fiance que n'en avait obtenu M. -Fortunat
avec ses façons obséquieuses et sa voix plus;
douce que miel.
Le regard de l'employé du moins était
franc et direct. Aussi presque sans hési-
tation
J'accepte vos services, monsieur, répon-
dit-elle.
C'était bien à lui que cette belle jeune fille-
parlait de sa voix pure et sonore comme le
cristal, c'était bieü à lui! Victor Chupin.
se sentit grandi d'ttne coudée.
Ah! vous avez raison de compter sur!
moi, reprit-il, en se frappant du poing sur La
poitrine à la défoncer, car il y a quelque
chose qui bat là-dedans. seulement.
Quoi, monsieur?.
Je me demande si vous conspiriez à
son âme c'est un secret terrible entre
lui et son complice. S'ils sont deux, ils
n'osent plus se regarder en face; s'il est
seul, à chaque marque de déférence qu'il
récolte dans la vie, une voix intérieure
lui crie qu'il vole cette considération à
laquelle il n'a plus droit.
C'est une existence affreuse mais on la
supporte; on étouflé la voix de la cons-
cience on s'accroche aux derniers lam-
beaux de l'honneur déchiré; on marche
de la faute au crime jusqu'au jour où la
justice vous saisit au collet et vous dit
Vous êtes un voleur!
11 est trop tard! Le châtiment s'avan-
ce, terrible et menaçant
La prison préventive, ce n'est rien en-
core On peut dérouter la justice, on peut
recouvrer sa liberté, on n'est pas encore
forcé de courber le front. Le tribunal ne
vous a pas encore marqué au visage; il y
a dans Paris des avocats de talent et le
jury est facile à émouvoir; les employés
de la prison nous doivent encore du res-
pect, car rien ne prouve le crime, tant
qu'une déclaration solennelle de culpabi-
lité n'a pas appris au monde entier que le
prévenu est un misérable il n'est déjà
plus honoré comme autrefois, mais le
déshonneur n'a pas encore reçu sa consé-
cration publique..
Le jour de l'audience arrive; le pré-
venu n'entre plus dans un salon où
toutes les mains se tendent vers lui;
il entre si la cour d'assises, et si dans
cette foule il rencontre quelques figures
sympathiques, il en aperçoit d'autres qui
semblent se réjouir de son malheur. En
vain il se débat contre la justice; le châ-
timent implacable le saisit à la gorge et
l'étrangle; il se débat, il se défend jus-
qu'au moment où le verdict des jurés !ui
imprime sur le front la marque d'infamie.
Cette fois, tout est fini!
Le criminel endurci, qui a grandi dans
les prisons, croit rentrer chez lui quand,
apres une nouvelle condamnation, il se
retrouve dans la fatale cellule; parmi ces
hommes rayés de la société, il revoit des
amis, des compagnons d'autrefois et par-
fois, il se dit que mieux vaut encore s'é-
tendre sur le dur matelas de la Roquette
que de coucher dans les froides carrières
de Montmartre.
L'autre, l'homme du monde, se sent
définitivement et sans appel condamné à
l'inf; unie habitué à commander, il n'au-
ra pi us désormais qu'à obéir; le plus mo-
deste employé de la prison le domine de
toute la hauteur de son honnêteté; le rè-
fairè'ce que je désirerais; Ce serait bien
ulile, miùs si ça doit vous gêner, n'en par-
wns plus.
Et que
Vous parler tous les jours. Comme
cela, je vous dirais mes démarches, et vous
me donneriez les renseignements dont j'au-
rais besoin. Je sais bien que je ne peux
pas aller sonne chez M. de Fondège et de-
mander à vous dire deux mots. Mais il y
a d'autres moy ens. Par exemple, tous les
soirs, à cinq heures précises, je passerais rue
Pigaile, et, pour vous avertir que je suis là,
i je donnerais 1 Lui signal, tenez, comme cela
j « pi. ouit. » Alors, sans faire semblant
pourriez, et j e vous débiterais mon petit bo-
niment. sa .ns compter que je vous serais
crânement u- tiltî pour vos commissions.
Mlle Mai? juerite réfléchit un moment, puis
inclinant la tête
Ce qu> vous me demandez est pratica-
ble, pronor lça-t-elle. A partir de demain,
tous les soi rs vers cinq heures je serai aux
aguets. Si une demi-heure après le signal
je n'étais pas descendue, c'est que je serais
.retenue.
Cliupi' n eût dû être satisfait. Eh bien,
non Il avait une autre requête encore à pré-
senter, et l'instinct, à défaut de l'éducation,
,!¡lui en disant l'inconvenance, il n'osait.
glement des prisons lui impose les vête-
ments grossiers à lui, qui a été un mo-
dèle d'élégance; ce n'est plus son valet
de chambre qui l'assisté à l'heure de sa
toilette; ses cheveux tombent sous les
ciseaux de la prison. C'est un détenu
comme un autre; quel que soit son nom,
sa fortune, son éducation, il n'est plus
que l'égal du plus dégradé, et les plus in-
fâmes sont ses pairs.
Que se passe-t-il à cette heure suprê-
me dans l'âme de cet homme? Qui peut
dire ses souffrances et ses tortures? Que
doit-il éprouver, lui, le vaniteux d'hier,
quand des hommes abjects, le rebut de la
société lui donnent la sinistre accolade des
prisons?
Seul, dans une cellule! Seul! Lui qui
n'avait qu'à faire un signe pour appeler
les domestiques empressés. Seufl cet
homme, habitué à s'entourer, même pen-
dant son sommeil, d'un luxe envié.
Que de fois, à cette heure de la soirée a-
t-il jeté le regard du maître sur .ses salons
illuminés, où devait se presser u.ne heure
après la foule des amis et des connais-
sance
Au lieu du bruit et du mouvement, le
silence, le silence glacial de la prison ce*-
n'est plus le joyettx tintement de la n.ja-
gnifique pendule dos son salon, mais 1 écho
de la lugubre -horloge e de la prison qui lui
annonce l'heure de la- nuit; il ne s assied
plus à la table somptueuse à côté de ses
amis; à travers la lucarne, un gardien
invisible lui passe la grossière nourriture.
La nuit s'avance! Cet bornée ne dort
pas 1 Dix heures sonnent à l'horJoge de la
prison. C'est l'heure oa.i, ivre 4e bon-
heur et d'orgueil, il entrait dans £t loge
à l'Opéra, après avoir dîné au cale' An-
glais. MinuitT. C'est l'heure du cercle!
Tandis que ses amis d'autref'ois sont li-
bres, il est prisonnier, lui. Tandis quufl
balcon de son club, ses amis d-hier fix-
ment leur cigare et hument l'air irais de
la nuit d'été, lui, l'homme du monde
flétri par la loi, loin du bruit et du mou-
vement au milieu desquels il a vécu, seul,
abandonné de tous, il se roule sur son
grabat dans les contorsions du désespoir
et étouffe ses sanglots sous la vulgaire
couverture de laine.
Une heure sonne.
Il ne dort pas. sa pensée franchit les
murs de la prison et erre dans la somp-
tueuse demeure, où les larmes d un en.
Même son embarras était si visible, et il
tortillait sa casquette si désespérément que.
la jeune.fille, doucement, lui demanda
Qu'y a-t-il encore, monsieur?
Il hésita. puis, prenant son courage à
deux mains
Voilà, fit-il. Je ne connais pas M.
Férailleur. Est-il grand ou petit, blond,
brun, gras, maigre?. n'en sais rien. Je
me trouverais nez il nez avec lui que je ne
pourrais pas dire « C'est lui! Ce serait
une autre paire de manches si je voyais seu-
lement une photographie de lui.
Mlle Marguerite rougit extrêmement. mais
c'est de l'accent le plus simple qu elle dit
Demain; Monsieur, je vous remettrai la
photographie de M. Férailieur.
Alors, .s'écria M. Chupin, nous sommes
des bons N'ayez pas peur, Mademoisel-
le, à nous deux nous ferons voir le tour aux
malins. Je suis là, pour uncoup, et je ré-
ponds de la casse.
Témoin muet de cette scène, M. Fortunat
crut devoir intervenir.
Il n'était que médiocrement satisfait de
l''importar.ce soudaine dont se grandissait
non employé; mais que lui importait, après
fiant, pourvu qu'il fût vengé de Valorsay.
Victor est un garçon capavle' et sûr,
mademoiselle, déclara-t-il, tf'est morquv.
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