Titre : La Vie à la campagne : travaux, produits, plaisirs
Éditeur : Hachette (Paris)
Date d'édition : 1907-04-15
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34463306g
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 15 avril 1907 15 avril 1907
Description : 1907/04/15 (VOL1,N14). 1907/04/15 (VOL1,N14).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k58577850
Source : Bibliothèque nationale de France, département Sciences et techniques, FOL-S-1058
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 17/01/2011
LES HORTILLONNAGES
EXPLOITATIONS RURALES
LA VIE A LA CAMPAGNE
Les aires n'occupent pas toute la partie
émergée que nous venons ainsi de déterminer :
quelques rares parties sont restées boisées ;
d'autres ont été transformées en jardinets,
dont le centre s'adorne d'une beUe boule
émaillée ; sous leurs arbres, se dissimulent
des chalets aux architectures compliquées et
discutables, aux titres naïfs : « L'Abri », « Sans-
Souci » ; ce sont les folies de bons bourgeois
d'Amiens, l'asile de leur repos hebdomadaire.
Ailleurs voici des guinguettes dont les enseignes
sont en patois : « A ch'koukou ki kante, chés
tchiot Mile » (Au coucou qui chante, chez le
petit Emile) ; ces « renommées de la bonne
friture » sont les escales obligées des pêcheurs
à la ligne, — les rieux sont très poissonneux, —
ou des canotiers, que n'aiment pas les Hortil-
lons : à grands coups maladroits d'avirons, à
grands heurts de poupe ou de proue, ils en-
taillent les berges des aires ou bien, lors de
quelque gravé embarras, ils n'hésitent guère à
débarquer et à piétiner les plants jalousement
repiqués. Les deux bouts carrés du bateau tra-
ditionnel de l'Hortillon, ces cornets si franche-
ment relevés, ne peuvent, eux, endommager
les rives : ils sont faits pour les surplomber,
même si, par exception ou surprise, on aborde
l'aire perpendiculairement.
Quelques-unes de ces aires, en petit nombre,
sont plantées d'arbres fruitiers : poiriers, pom-
miers, cerisiers surtout. Bien plus fréquents
sont les groseilliers, les cassissiers noirs et
blancs. La production annuelle des groseiUes et
cassis atteint 60 000 francs.
Le reste, c'est le domaine des légumes, de tous
les légumes. Il ne reste pas de place, dans les
Hortillonnages, pour la culture des fleurs : le
marché spécial d'Amiens en est alimenté par les
régions sèches de la banlieue ou par les jardins
de l'intérieur même de la ville.
LÉGUMES QUE CULTIVENT Gardons - nous
LES HORTILLONS. d'entreprendre
ici un catalogue
complet des variétés préférées par les HortiUons :
voici seulement quelques rapides indications :
parmi les divers Choux, les plus répandus sont
le frisé de Milan à pied court, le Milan des
Vertus, le Cabus d'York, le Coeur de Boeuf et le
Quintal ; parmi les Oignons, le blanc hâtif de
Paris, le jaune des Vertus et surtout le rouge
foncé : la culture est estivale ou automnale,
parfois bisannuelle, mais alors elle est surtout
appliquée au rouge pâle de Niort. Comme Poi-
reaux, le monstrueux de Carentan, le long
d'hiver de Paris et le gros de Rouen. Les Hor-
tillonnages produisent une grande abondance
de Radis, plus que de toutes les autres primeurs.
La variété la plus employée est spéciale, c'est
le Radis d'Hortillonnage, écarlate, à bout blanc
et très croquant. Le Céleri, d'origine maréca-
geuse, trouve ici d'admirables conditions (sur-
tout les Céleris rave et plein blanc). L'Ail est
assez mal sélectionné. Peu de Pommes de terre :
Kidney hâtive, Marjolin ou Quarantaine. Les
HortiUons appliquent à la Fève de marais la
pratique de Vécimage ou retranchement des
extrémités après floraison. La Betterave pota-
gère (Crapaudine et rouge plate de Bassano)
donnerait un meilleur rendement si eUe n'était
ici trop attaquée par deux parasites. Nous
rencontrons même dans les aires l'Asperge
de Beau vais à petits titrions et celle de Mar-
chiennes, mais non pas ceUe d'Argenteuil :
ici ce n'est pas le « décotage » comme à Argen-
teuil, mais le « rehaussage » qui est pratiqué.
Les Laitvcs constituent une des plus considé-
rables productions : la pommée de Versailles,
la Palatine ou rousse hâtive, la Laitue du Troca-
déro le cèdent en précocité à une variété exclu-
sivement locale, le Gliani ou « salade d'Oi-
gnons », blonde, à feuilles extérieures larges,
légèrement cloquées (semée vers la mi-Octobre,
elle est repiquée sous cloche ; le plant passe
ainsi l'hiver et est mis en place en Février, et
la récolte peut commencer dès la mi-Avril).
Voici encore les Artichauts (le vert de Laon à
peu près seul), les Carottes (courte de Hollande,
demi-longue Nantaise), les Fraises (Docteur
Morère, Jucunda, etc.), les Chicorées, l'OseiUe,
les Melons et les Concombres, etc.
Ces cultures maraîchères sont essentiellement
des cultures intensives et associées, comme
ceUes des maraîchers de Paris. Deux, trois ou
quatre végétations y sont menées parallèle-
ment : jamais la terre n'est rendue à elle-
même. L'Hortillon fait en sorte que pas un
pouce de terre ne soit pendant une semaine
inoccupé.
L'ASSOLEMENT Pour y parvenir,
DES HORTILLONNAGES. il a, depuis des
siècles et exclusi-
vement, adopté un assolement triennal. Résu-
mons un exemple du développement de cette
succession de cultures combinées : au mois de
Janvier d'une première année, avant les labours,
on cure les rieux, on recharge les aires avec
la vase, on talude les berges. Après un labour
et une bonne fumure, on sème ensemble,
à la mi-Février, des radis, des salades, des
carottes, des oignons et des poireaux : les radis
se récoltent en Mai, les salades en Mai et Juin,
les carottes en Juin et Juillet, les oignons en
Août et les poireaux à la fin du même mois.
Aussitôt la terre découverte, dès le milieu
d'Août, on donne un labour et une f umure, puis
on repique ou on plante des choux, des salades
par rangées : les salades sont cueillies à la fin
de Septembre et les choux de Décembre à
Février.
La seconde année, on redresse les rieux, on
rebat les berges, on laboure et on fume, puis
on sème des pois par « routes » distantes de
2 mètres : entre ces routes, trois lignes de
pommes de terre à 50 centimètres l'une
de l'autre : la récolte des pois est faite à la fin
de Juin ; on les remplace par des choux. Les
pommes de terre se récoltent en Août et Sep-
tembre ; aussitôt on repique des laitues ou des
chicorées, à cueillir en Septembre et Octobre.
Enfin on récolte les choux en Décembre et
Janvier.
La troisième année, après un labour et une
fumure, on consacre la place aux radis et aux
salades : en Mars ou Avril, on plante des oeille-
tons d'artichauts. Les radis s'arrachent en
Avril et Mai. les salades en Mai et Juin, les
artichauts se récoltent en Août et Septembre :
entre eux, on a intercalé des chicorées, que l'on
recueillera en Janvier ou Février. « Il est diffi-
cile, ajoute Héricart de Thury, ou plutôt il est
impossible d'obtenir un plus grand nombre de
récoltes sur le même terrain dans une période
de trois ans. »
Si jamais le sol n'est en repos, l'Hortillon
non plus n'a pas de trêve, ni sa femme, aussi
vaillante que lui-même. Aux travaux sur l'aire,
elle ajoute les soins quotidiens du ménage, de
plusieurs enfants et surtout le tracas de la
vente au marché. Olivier de Serres a dit que
la compagne du cultivateur « faisait ou défaisait
la maison » : iln'est pas étonnant que la modeste
« maison » de l'HortiUon soit solide, depuis des
siècles.
LA VALEUR Si beaucoup de ces maraîchers
DES TERRES, sont propriétaires de père en
fils de leurs terrains, la plu-
part n'en sont que fermiers. La valeur moyenne
du fermage au « journal » — 42 ares 46, un peu
plus de l'arpent de moyenne mesure de Beauce
(42 ares 21) — est de 150 francs. De récents
contrats de vente montrent que la propriété
vaut, par hectared'Hortillonnages, 10 000 francs.
En se rappelant que l'eau couvre plus du quart
de la superficie, on tiendra pour plus exact le
chiffre de 13 000 francs. Les terres neuves,
non tourbées, auraient, s'il en restait encore,
une valeur sensiblement plus élevée.
Si, aux 150 francs de fermage, nous ajoutons
400 francs de fumier et 50 francs de dépenses
diverses, nous obtenons 600 francs de frais au
« journal » pour un revenu moyen de 900 francs.
Nous n'avons pas à faire entrer eu compte la
main-d'oeuvre, qui est exclusivement familiale.
Ce que laisse la culture ressort donc par
journal à300 francs, soit par hectare à750francs.
En 1833, la mairie d'Amiens fournissait à
Héricart de Thury un état du produit annuel
moyen des HortiUonnages, qui s'élevait alors
à 810 000 francs. Il est difficile de donner
aujourd'hui mieux qu'une très large approxi-
mation : il est vraisemblable que la somme
des transactions effectuées au marché triheb-
domadaire des légumes, au « Marché sur l'eau »,
atteint par an près de 1 500 000 francs.
LE MARCHÉ Ce marché se tient les mardis,
SUR L'EAU, jeudis et samedis, sur la place
Parmentier,quibordela Somme
à son entrée dans Amiens. La grande silhouette
dentelée de la Cathédrale domine cette place,
dont elle n'est séparée que par les jardins
de l'ancien évéché et les petites maisons à
toits pointus des quartiers du Hocquet et du
Don,
Dès la veiUe du marché, vers sept heures
du soir, les bateaux, surchargés de mannes et
de hottes, ont descendu la Somme en flottUle
serrée ; et c'est aussi un puissant amusement des
yeux que cette « descente des HortiUons » sous
les rayons dorés du couchant. Portés par le
fleuve, les bateaux n'ont besoin que de direction,
etl'Hortillon,ouplus souvent l'Hortillonne assise
tout au bout du « cornet » d'arrière, la sait
imprimer, avec une surprenante sûreté, à l'aide
d'une courte palette de bois.
Les bateaux sont alignés bord à bord contre
le quai : quelques pelletées d'eau rafraîchissent
les légumes ; on les bâche : ils seront en bon
état le lendemain à quatre heures, lorsque la
maraîchère viendra les disposer en monceaux
alléchants. Les premiers clients se présenteront
à cinq heures, dès la cloche qui signale l'ouver-
ture de la vente. Au-dessus ou en avant des
légumes ordinaires, l'Hortillonne saura placer,
comme enseigne, quelque chou monstrueux (on
en a vu de 15 ou 20 kilos !), quelque radis
noir de Tournai lourd de 10 livres !
Pendant six heures, elle défendra les prix ;
ses propos sont, vous le devinez bien, plus
verveux que modérés. Mais trop souvent, au
cours de la belle saison, force lui sera de con-
sentir des réductions énormes. Car ce marché,
aujourd'hui purement local, est suralimenté :
la mévente est un résultat inévitable. Si rapide
qu'ait été l'extension d'Amiens (qui a triplé en
soixante ans et atteindra cent mille habitants
au recensement prochain), si certain que soit
le développement de la consommation de
légumes variés jusque sur les plus modestes
tables, l'offre dépasse presque toujours la
demande, et l'on voit vendre parfois un panier
de trente laitues pour quatre sous !
Au XVIII 0 siècle, au beau temps des coches,
les HortiUons exportaient des produits secs ;
ils vendaient à Londres des oignons.
A l'ouverture du chemin de fer Paris-Amiens
(1846), ils firent quelques envois aux Halles
Aujourd'hui, ils ne se doutent guère que leur
position, entre Paris et Londres, est singuliè-
rement favorable ; ils ignorent aussi que d'au-
tres, bien plus éloignés, puisqu'Us sont de
Roscoff ou d'Angers, ont organisé un service
régulier — à tarif très bas — d'expéditions à
Paris, et que leurs mandataires parisiens les
garantissent contre les conséquences, si graves
à Amiens, de la surproduction.
Toutefois, depuis quelques années, les Hor-
tiUons trouvent de sérieux débouchés dans les
bourgs ou gros villages de la région d'Amiens,
presque vers 30 kUoniètres de la ville. Une
cinquantaine de voitures de revendeurs partent
du marché sur l'eau vers Corbie, Villers-Bre-
tonneux, et même Albert ou Canaples ; d'autres
envois sont faits par wagons. Des laitues du
Trocadéro, récoltées à Camon, sont portées au
printemps jusqu'à Doullens, voire Hesdin et
Saint-Pol, à près de vingt lieues.
Ce serait un grand service à rendre à ces
braves gens que de leur révéler les conditions
modernes de la production et de la vente
maraîchères. Jusqu'ici, on a chanté les Hor-
tiUons, mais on ne les a pas renseignés. Seuls,
des littérateurs ont flâné le long de leurs rieux :
Gustave Levasseur les a célébrés en de petits
vers aimables ; Léon Duvauchel, en un assez
sombre roman, l'Hortillonne ; Edouard David,
en un beau poème picard, Chés Hortillonnages,
hommage bien local à la vie traditionnelle,
laborieuse et probe, des maraîchers amiénois.
Pierre DUBOIS.
j™ ANNEE
(420 )
VOLUME I
EXPLOITATIONS RURALES
LA VIE A LA CAMPAGNE
Les aires n'occupent pas toute la partie
émergée que nous venons ainsi de déterminer :
quelques rares parties sont restées boisées ;
d'autres ont été transformées en jardinets,
dont le centre s'adorne d'une beUe boule
émaillée ; sous leurs arbres, se dissimulent
des chalets aux architectures compliquées et
discutables, aux titres naïfs : « L'Abri », « Sans-
Souci » ; ce sont les folies de bons bourgeois
d'Amiens, l'asile de leur repos hebdomadaire.
Ailleurs voici des guinguettes dont les enseignes
sont en patois : « A ch'koukou ki kante, chés
tchiot Mile » (Au coucou qui chante, chez le
petit Emile) ; ces « renommées de la bonne
friture » sont les escales obligées des pêcheurs
à la ligne, — les rieux sont très poissonneux, —
ou des canotiers, que n'aiment pas les Hortil-
lons : à grands coups maladroits d'avirons, à
grands heurts de poupe ou de proue, ils en-
taillent les berges des aires ou bien, lors de
quelque gravé embarras, ils n'hésitent guère à
débarquer et à piétiner les plants jalousement
repiqués. Les deux bouts carrés du bateau tra-
ditionnel de l'Hortillon, ces cornets si franche-
ment relevés, ne peuvent, eux, endommager
les rives : ils sont faits pour les surplomber,
même si, par exception ou surprise, on aborde
l'aire perpendiculairement.
Quelques-unes de ces aires, en petit nombre,
sont plantées d'arbres fruitiers : poiriers, pom-
miers, cerisiers surtout. Bien plus fréquents
sont les groseilliers, les cassissiers noirs et
blancs. La production annuelle des groseiUes et
cassis atteint 60 000 francs.
Le reste, c'est le domaine des légumes, de tous
les légumes. Il ne reste pas de place, dans les
Hortillonnages, pour la culture des fleurs : le
marché spécial d'Amiens en est alimenté par les
régions sèches de la banlieue ou par les jardins
de l'intérieur même de la ville.
LÉGUMES QUE CULTIVENT Gardons - nous
LES HORTILLONS. d'entreprendre
ici un catalogue
complet des variétés préférées par les HortiUons :
voici seulement quelques rapides indications :
parmi les divers Choux, les plus répandus sont
le frisé de Milan à pied court, le Milan des
Vertus, le Cabus d'York, le Coeur de Boeuf et le
Quintal ; parmi les Oignons, le blanc hâtif de
Paris, le jaune des Vertus et surtout le rouge
foncé : la culture est estivale ou automnale,
parfois bisannuelle, mais alors elle est surtout
appliquée au rouge pâle de Niort. Comme Poi-
reaux, le monstrueux de Carentan, le long
d'hiver de Paris et le gros de Rouen. Les Hor-
tillonnages produisent une grande abondance
de Radis, plus que de toutes les autres primeurs.
La variété la plus employée est spéciale, c'est
le Radis d'Hortillonnage, écarlate, à bout blanc
et très croquant. Le Céleri, d'origine maréca-
geuse, trouve ici d'admirables conditions (sur-
tout les Céleris rave et plein blanc). L'Ail est
assez mal sélectionné. Peu de Pommes de terre :
Kidney hâtive, Marjolin ou Quarantaine. Les
HortiUons appliquent à la Fève de marais la
pratique de Vécimage ou retranchement des
extrémités après floraison. La Betterave pota-
gère (Crapaudine et rouge plate de Bassano)
donnerait un meilleur rendement si eUe n'était
ici trop attaquée par deux parasites. Nous
rencontrons même dans les aires l'Asperge
de Beau vais à petits titrions et celle de Mar-
chiennes, mais non pas ceUe d'Argenteuil :
ici ce n'est pas le « décotage » comme à Argen-
teuil, mais le « rehaussage » qui est pratiqué.
Les Laitvcs constituent une des plus considé-
rables productions : la pommée de Versailles,
la Palatine ou rousse hâtive, la Laitue du Troca-
déro le cèdent en précocité à une variété exclu-
sivement locale, le Gliani ou « salade d'Oi-
gnons », blonde, à feuilles extérieures larges,
légèrement cloquées (semée vers la mi-Octobre,
elle est repiquée sous cloche ; le plant passe
ainsi l'hiver et est mis en place en Février, et
la récolte peut commencer dès la mi-Avril).
Voici encore les Artichauts (le vert de Laon à
peu près seul), les Carottes (courte de Hollande,
demi-longue Nantaise), les Fraises (Docteur
Morère, Jucunda, etc.), les Chicorées, l'OseiUe,
les Melons et les Concombres, etc.
Ces cultures maraîchères sont essentiellement
des cultures intensives et associées, comme
ceUes des maraîchers de Paris. Deux, trois ou
quatre végétations y sont menées parallèle-
ment : jamais la terre n'est rendue à elle-
même. L'Hortillon fait en sorte que pas un
pouce de terre ne soit pendant une semaine
inoccupé.
L'ASSOLEMENT Pour y parvenir,
DES HORTILLONNAGES. il a, depuis des
siècles et exclusi-
vement, adopté un assolement triennal. Résu-
mons un exemple du développement de cette
succession de cultures combinées : au mois de
Janvier d'une première année, avant les labours,
on cure les rieux, on recharge les aires avec
la vase, on talude les berges. Après un labour
et une bonne fumure, on sème ensemble,
à la mi-Février, des radis, des salades, des
carottes, des oignons et des poireaux : les radis
se récoltent en Mai, les salades en Mai et Juin,
les carottes en Juin et Juillet, les oignons en
Août et les poireaux à la fin du même mois.
Aussitôt la terre découverte, dès le milieu
d'Août, on donne un labour et une f umure, puis
on repique ou on plante des choux, des salades
par rangées : les salades sont cueillies à la fin
de Septembre et les choux de Décembre à
Février.
La seconde année, on redresse les rieux, on
rebat les berges, on laboure et on fume, puis
on sème des pois par « routes » distantes de
2 mètres : entre ces routes, trois lignes de
pommes de terre à 50 centimètres l'une
de l'autre : la récolte des pois est faite à la fin
de Juin ; on les remplace par des choux. Les
pommes de terre se récoltent en Août et Sep-
tembre ; aussitôt on repique des laitues ou des
chicorées, à cueillir en Septembre et Octobre.
Enfin on récolte les choux en Décembre et
Janvier.
La troisième année, après un labour et une
fumure, on consacre la place aux radis et aux
salades : en Mars ou Avril, on plante des oeille-
tons d'artichauts. Les radis s'arrachent en
Avril et Mai. les salades en Mai et Juin, les
artichauts se récoltent en Août et Septembre :
entre eux, on a intercalé des chicorées, que l'on
recueillera en Janvier ou Février. « Il est diffi-
cile, ajoute Héricart de Thury, ou plutôt il est
impossible d'obtenir un plus grand nombre de
récoltes sur le même terrain dans une période
de trois ans. »
Si jamais le sol n'est en repos, l'Hortillon
non plus n'a pas de trêve, ni sa femme, aussi
vaillante que lui-même. Aux travaux sur l'aire,
elle ajoute les soins quotidiens du ménage, de
plusieurs enfants et surtout le tracas de la
vente au marché. Olivier de Serres a dit que
la compagne du cultivateur « faisait ou défaisait
la maison » : iln'est pas étonnant que la modeste
« maison » de l'HortiUon soit solide, depuis des
siècles.
LA VALEUR Si beaucoup de ces maraîchers
DES TERRES, sont propriétaires de père en
fils de leurs terrains, la plu-
part n'en sont que fermiers. La valeur moyenne
du fermage au « journal » — 42 ares 46, un peu
plus de l'arpent de moyenne mesure de Beauce
(42 ares 21) — est de 150 francs. De récents
contrats de vente montrent que la propriété
vaut, par hectared'Hortillonnages, 10 000 francs.
En se rappelant que l'eau couvre plus du quart
de la superficie, on tiendra pour plus exact le
chiffre de 13 000 francs. Les terres neuves,
non tourbées, auraient, s'il en restait encore,
une valeur sensiblement plus élevée.
Si, aux 150 francs de fermage, nous ajoutons
400 francs de fumier et 50 francs de dépenses
diverses, nous obtenons 600 francs de frais au
« journal » pour un revenu moyen de 900 francs.
Nous n'avons pas à faire entrer eu compte la
main-d'oeuvre, qui est exclusivement familiale.
Ce que laisse la culture ressort donc par
journal à300 francs, soit par hectare à750francs.
En 1833, la mairie d'Amiens fournissait à
Héricart de Thury un état du produit annuel
moyen des HortiUonnages, qui s'élevait alors
à 810 000 francs. Il est difficile de donner
aujourd'hui mieux qu'une très large approxi-
mation : il est vraisemblable que la somme
des transactions effectuées au marché triheb-
domadaire des légumes, au « Marché sur l'eau »,
atteint par an près de 1 500 000 francs.
LE MARCHÉ Ce marché se tient les mardis,
SUR L'EAU, jeudis et samedis, sur la place
Parmentier,quibordela Somme
à son entrée dans Amiens. La grande silhouette
dentelée de la Cathédrale domine cette place,
dont elle n'est séparée que par les jardins
de l'ancien évéché et les petites maisons à
toits pointus des quartiers du Hocquet et du
Don,
Dès la veiUe du marché, vers sept heures
du soir, les bateaux, surchargés de mannes et
de hottes, ont descendu la Somme en flottUle
serrée ; et c'est aussi un puissant amusement des
yeux que cette « descente des HortiUons » sous
les rayons dorés du couchant. Portés par le
fleuve, les bateaux n'ont besoin que de direction,
etl'Hortillon,ouplus souvent l'Hortillonne assise
tout au bout du « cornet » d'arrière, la sait
imprimer, avec une surprenante sûreté, à l'aide
d'une courte palette de bois.
Les bateaux sont alignés bord à bord contre
le quai : quelques pelletées d'eau rafraîchissent
les légumes ; on les bâche : ils seront en bon
état le lendemain à quatre heures, lorsque la
maraîchère viendra les disposer en monceaux
alléchants. Les premiers clients se présenteront
à cinq heures, dès la cloche qui signale l'ouver-
ture de la vente. Au-dessus ou en avant des
légumes ordinaires, l'Hortillonne saura placer,
comme enseigne, quelque chou monstrueux (on
en a vu de 15 ou 20 kilos !), quelque radis
noir de Tournai lourd de 10 livres !
Pendant six heures, elle défendra les prix ;
ses propos sont, vous le devinez bien, plus
verveux que modérés. Mais trop souvent, au
cours de la belle saison, force lui sera de con-
sentir des réductions énormes. Car ce marché,
aujourd'hui purement local, est suralimenté :
la mévente est un résultat inévitable. Si rapide
qu'ait été l'extension d'Amiens (qui a triplé en
soixante ans et atteindra cent mille habitants
au recensement prochain), si certain que soit
le développement de la consommation de
légumes variés jusque sur les plus modestes
tables, l'offre dépasse presque toujours la
demande, et l'on voit vendre parfois un panier
de trente laitues pour quatre sous !
Au XVIII 0 siècle, au beau temps des coches,
les HortiUons exportaient des produits secs ;
ils vendaient à Londres des oignons.
A l'ouverture du chemin de fer Paris-Amiens
(1846), ils firent quelques envois aux Halles
Aujourd'hui, ils ne se doutent guère que leur
position, entre Paris et Londres, est singuliè-
rement favorable ; ils ignorent aussi que d'au-
tres, bien plus éloignés, puisqu'Us sont de
Roscoff ou d'Angers, ont organisé un service
régulier — à tarif très bas — d'expéditions à
Paris, et que leurs mandataires parisiens les
garantissent contre les conséquences, si graves
à Amiens, de la surproduction.
Toutefois, depuis quelques années, les Hor-
tiUons trouvent de sérieux débouchés dans les
bourgs ou gros villages de la région d'Amiens,
presque vers 30 kUoniètres de la ville. Une
cinquantaine de voitures de revendeurs partent
du marché sur l'eau vers Corbie, Villers-Bre-
tonneux, et même Albert ou Canaples ; d'autres
envois sont faits par wagons. Des laitues du
Trocadéro, récoltées à Camon, sont portées au
printemps jusqu'à Doullens, voire Hesdin et
Saint-Pol, à près de vingt lieues.
Ce serait un grand service à rendre à ces
braves gens que de leur révéler les conditions
modernes de la production et de la vente
maraîchères. Jusqu'ici, on a chanté les Hor-
tiUons, mais on ne les a pas renseignés. Seuls,
des littérateurs ont flâné le long de leurs rieux :
Gustave Levasseur les a célébrés en de petits
vers aimables ; Léon Duvauchel, en un assez
sombre roman, l'Hortillonne ; Edouard David,
en un beau poème picard, Chés Hortillonnages,
hommage bien local à la vie traditionnelle,
laborieuse et probe, des maraîchers amiénois.
Pierre DUBOIS.
j™ ANNEE
(420 )
VOLUME I
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