Titre : Les Annales politiques et littéraires : revue populaire paraissant le dimanche / dir. Adolphe Brisson
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1900-02-11
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 42932 Nombre total de vues : 42932
Description : 11 février 1900 11 février 1900
Description : 1900/02/11 (A18,T34,N868). 1900/02/11 (A18,T34,N868).
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k58524573
Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-34518
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 01/12/2010
90
LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES
assez singulière, au reste, au jeune homme.
Martin devra prouver sa force en abattant,
■ n moins d'une heure, vingt des plus beaux
• : hres de la forêt.
Voilà, certes, un roi qui prise la force
.iiisculaire fort au-dessus des qualités mo-
ndes! " '
Malgré toute sa bonne volonté, Martin ne
p.". rviendrait pas à réussir dans une aussi
redoutable entreprise, sans l'aide de la mar-
raine dé Martine, la fée des Houblons, qui
met au service de Martin le puissant secours
doses Sylvains. Cependant Gambrinus n'est
pas satisfait. 11 exige plus encore.
C'en est trop ! La fée se décide à soustraire
ses deux protégés à l'injuste rigueur de
Gambrinus. Elle les enlève dans une barque,
ne mettant à sa protection qu'une condi-
tion : celle d'un amour sans fin que se témoi-
gneront les deux amoureux. Cette condition
est aisément réalisée par ces deux jeunes
gens qui s'adorent. Et ce couple de jeunes
et beaux amants devra servir d'exemple aux
fiancés de l'avenir!
Cette semaine a été, comme on voit, abon-
dante en manifestations musicales variées,
et l'intérêt offert par la remarquable parti-
tion de M. Gustave Charpentier suffirait à
lui assigner un rang spécial dans cette série
assez composite de représentations que nous
devons aux théâtres 'de musique.
ALBERT DAYROLLES.
PAGES OUBLIÉES
Le nouvel ouvrage d'Edouard Blau et V. Jon-
cières, représenté à l'Opéra, ramène l'attention
sur les romans de chevalerie. Nous empruntons
â l'édition de ces délicieux récits qu'a publiée
naguère Alfred Delvau, un épisode relatif à
LANCELOT-.DU LAC
I
COMMENT LA DAME DU LAC BAILLA A LANCELOT
UN MAITRE POUR L'INSTRUIRE ..COMME IL AP-
PARTIENT A UN FILS DE ROI.
CJAKD Lancelot eut passé trois années
en la garde de la Demoiselle du
Lac, il devint si beau, que c'était
merveille véritable de le voir et
contempler. Il était sage, habile et entendu
plus que tout autre, ce qui décida la Demoi-
selle du Lac à lui bailler un maître qui l'en-
seignât et lui montrât comment il devait se
tenir en manières de gentilhomme, quoique
personne ne sût, à vrai dire, qui il était, hor-
mis la bonne Dame et une sienne pucelle.
Son maître, donc, lui donna un arc et lui
indiqua le moyeu de s'en servir contre les
petits oiseaux de la forêt. L'arc était d'hum-
ble taille, comme lui ; mais, à mesure que l'âge
et les forces lui poussèrent, on lui mit en
main un arc plus fort et des sagettes plus
lourdes,! afin qu'il pût tirer les lièvres et au-
tres menues bêtes de la forêt.
Aussitôt qu'il put monter à cheval, on lui
en.confia-Un bien attoumé de frein, de selle
et d'autres choses, avec lequel il chevaucha
"aux environs du lac, toujours escorté d'une
nombreuse et belle compagnie de varlets
grands et "petits;
Il apprit, aussi facilement que le reste, à
jouer aux échecs, aux tables et aux autres
jeux dont il voyait : jouer; si bien que lors-
qu'il fut en âge de bachelerie, on n'avait plus
rien à.lui enseigner : il savait tout ce qu'on
pouvait "savoir pour être un gentilhomme
accompli. ,..
C'était donc le plus" bel enfant du monde,
mieux taille de corps et de membres. Il avait
une admirable chamure, ni brune ni blanche,
mais entremêlée de l'une et de l'autre cou-
leurs,-ce qu'on pourrait appeler claire-brune.
Son visage était enluminé d'une couleur
vermeille naturelle, qui faisait le meilleur
effet au milieu de la blondeur fauve de sa
peaiu II avait la bouche bien fendue et les
dents petites, serrées et blanches. Le menton,
très heureusement découpé, était orné d'une
fossette fort agréable. Le nez était un peu long,
avec une légère éminence au milieu, de façon
à l'accentuer comme le doit être cette partie
du visage. Les yeux étaient verts et riants,
que la joie rendait doux comme velours, et
que la colère rendait étincelants comme des
charbons allumés. Il semblait, en outre, que
sur les pommettes des joues fissent saillie,
pour ainsi dire, quelques gouttelettes de sang,
par surabondance de santé. En outre aussi,
le souffle qui lui sortait d'entre les lèvres et
d'entre les dents, était chaud et parfumé
comme un fruit.
Quand à ses cheveux, ils avaient d'abord
été blonds, déliés et luisants comme des blés.
Mai*, en avançant en âge et en force, ils
finirent par abandonner leur blondeur natu-
relle et par devenir tout saurets.
C'est ainsi que ce fils de la reine Hélène et
du roi Ban de Benoic atteignit sa dix-huitième
année.
II
COMMENT LA DAME DU LAC MENA LANCELOT AU
ROI ARTUS POUR LE FAIRE CHEVALIER, APRÈS
LUI AVOIR DONNÉ DES ARMES BLANCHES, ET
COMMENT, ESCORTÉ DE QUARANTE CHEVALIERS,
IL REJOIGNIT LE ROI ARTUS, DEUX JOURS AVANT
LA SAINT-JEAN.
La Dame du Lac avait pris un tel soin de
Lancelot, qu'arrivé à l'âge de dix-huit ans, il
n'avait son pareil dans aucun pays du monde.
Bile vit. bien qu'il était temps qu'il reçût
l'ordre de chevalerie; un plus long retard eût
été un crime.
Lancelot, arrivé à cet âge, aperçut, quel-
ques jours après la Pentecôte, un cerf dans
la forêt. Le trouvant merveilleusement fort
pour la saison, il le tua, et, en effet, ce cerf
avait l'embonpoint qu'il atteint au mois
d'août seulement.
Il l'envoya à sa Dame, qui le reçut avec
admiration.
Lancelot resta dans la forêt pendant l'ar-
deur du soleil et revint le soir dans son cos-
tume de chasse : habit court, de couleur
verte, la tête ornée de feuilles et le carquois
à la ceinture.
Quand sa Dame l'aperçut, l'émotion lui
monta du coeur aux yeux ; elle se leva, entra
dans une grande salle et resta pensive, ap-
puyée sur le dos d'un siège.
Lancelot la rejoignit. Elle s'enfuit dans une
chambre, au grand étonneraient de tout le
monde. Lancelot continua à la poursuivre, et,
finalement, il la retrouva étendue sur un lit
et poussant de tendres soupirs sans lever les
yeux sur lui.
Cet abord le surprit, car elle avait coutume
de le baiser chaque fois qu'il venait de n'im-
porte où.
— Qu'avez-vous, madame r et quelle offense
vous a-t-on faite?, lui demanda-t-il. Ne me le
cachez pas, car, moi vivant, personne n'osera
vous fâcher !
Ces mots la firent pleurer davantage en-
core ; elle ne put articuler une parole.
Pourtant, à la fin :
— Pour Dieu! fils de roi, dit-elle, quittez
ce lieu, ou le coeur va me faillir.
— Dame, répondit-il, je sors, puisque je
vous ennuie,
Et il reprit son arc et alla seller son roussin
au milieu de la cour.
Mais, s'imaginant bien l'avoir courroucé,
la Dame accourut au moment où Lancelot se
préparait à monter à cheval en homme très
en colère.
Lors, elle prit la bride du cheval et dit :
•— Sire, où voulez-yous aller ?
— Ma Dame, jusqu'à la forêt.
— Descendez, vous n'irez pas.
Lancelot se laissa emmener dans une
chambre, et la Dame, lui prenant la main, le
conjura, par la foi qu'il lui devait, de dire où
il voulait aller.
— Dame, répondit Lancelot, je vous ai vue si
fâchée, sans deviner pourquoi et en quoi vous
l'étiez... Comme il m'était pénible de rester-
dans cette situation, j'allais poursuivre ma c r-
rière. Je serais peut-être allé jusque chez ie
roi Arlus, où quelque gentilhomme,:n.prèV;!
m'avoir épron» é, m'eût fait chevalier ; car on
dit que tops les gentilshommes sont à la cour
du roi Artus.
— Vous voulez donc être chevalier, fils do
roi ? demanda la Dame.
— Certes, la chose du monde.que je désire
le plus est l'ordre de chevalerie. ' ..
— Vous êtes bien.résolu, reprit-elle: mais :
vous ne seriez pas tant pressé, si vous con-
naissiez les devoirs pesants de la chevalerie.
— Celui qui tarde à devenir chevalier a
peur et n'est qu'un misérable, répondit Lan-
celot, car chacun doit toujours élever son
rang et ses vertus. . Dites-moi néanmoins, en ,,
passant, quelest ce fardeau qui vous apparaît!
dans la chevalerie.
— Je vais,* fit la Dame, vous dire ce que
j'en pense, et retenez bien mes paroles en -
votre coeur.
— Je les retiendrai, ma Dame.
— Si vous voulez être chevalier, dit alors.la
Dame, il faut d'abord soumettre votre volonté
tout entière à la raison et à la droiture. Les .
chevaliers n'ont pas été créés pour rien. Les
premiers étaient tous de même lignage,
puisque nous descendons tous d'un père et
d'une mère. Mais, lorsque la convoitise des
forts et la faiblesse des petits donna lieu à
établir des garants et défenseurs d'outrages,'
on choisit les beaux, les grands, les forts, les
preux et les hardis, ceux qui débordaient de
bonté, de coeur et de force. La'.chevalerie
leur fut donnée pour en User, et ce fut pour
eux un lourd fardeau, comme vous allez en-
tendre.
Ici, Lancelot fit un mouvement d'attention
plus soutenue. La Dame du Lac reprit :
— Au commencement de la chevalerie, IH
fut ordonné à celui qui voulait être chevalier
et le pouvait par droit d'élection d'être cour-
tois sans dureté, débonnaire sans faiblesse,
secourable envers les souffrants, généreux et
toujours prêt à faire l'aumône; de châtier
voleurs et meurtriers, de juger droit sans
amour et sans haine. Un chevalier doit pré-
férer la mort à la honte. Il est surtout des-
tiné à défendre la sainte Eglise, car elle'ne
doit pas rendre le mal pour le mal.'L'histoire'
dit qu'au commencement, personne, sauf les
chevaliers, n'avait le droit de monter à che-
val. Ils furent ainsi nommés chevaliers, et
leurs armes leur furent aussi données dans
un but raisonnable. Sachez que l'écu :pendu
au col du chevalier et le protège par devant
représente le rôle que doit prendre le cheva-
lier vis-à-vis de l'Eglise contre les mécréants,
et, si la sainte Eglise est assaillie, le cheva-
lier doit la soutenir comme un fils soutient
sa mère injuriée.
» Le chevalier est seigneur du peuple et ser-
gent de Dieu. Le chevalier doit avoir en soi
deux coeurs : l'un dur et serré, et l'autre mou
comme la cire ; le premier pour les félons et
l'autre pour les bonnes gens.
» Dieu enseigne dans l'Evangile que ce que
l'on fait aux souffreteux on le fait à lui-même.
» Celui qui reçoit l'ordre de chevalerie dGit
posséder toutes ces qualités; s'il ne lésa, il
est indigne d'élection; car,il jure à Dieu d'être
tel que lui a ordonné de demeurer toujours
celui qui l'a fait chevalier; et, s'il est parjure,
il perd tout ce qui l'attendait d'honneur en ce
monde et dans l'autre. »
—• Dame, répondit Lancelot, puisque tant
de chevaliers furent pleins de' toutes les
prouesses que vous avez dites, celui qui recu-
lerait à les imiter ferait preuve de couardise,
quoique je ne blâme aucunement ceux qui
n'osent se présenter : cela dépend de ce que
l'on a au coeur. J'ai bonne envie de le deve-
nir, et Dieu me permettra sans doute de ren-
contrer un preux pour, me conférer ce'haut-
ordre. De Dieu je tiendrai les bonnes vertus,
et de moi le coeur, la peine et le travail.
— En vérité, "répliqua la Dame, votre vo-
lonté sera accomplie: vous serez chevalier, et
sans aucun retard ; c'est à cause de cela que
je pleurais tout à l'heure, car j'ai mis en vous
l'amour d'une mère pour son enfant, et je ne
LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES
assez singulière, au reste, au jeune homme.
Martin devra prouver sa force en abattant,
■ n moins d'une heure, vingt des plus beaux
• : hres de la forêt.
Voilà, certes, un roi qui prise la force
.iiisculaire fort au-dessus des qualités mo-
ndes! " '
Malgré toute sa bonne volonté, Martin ne
p.". rviendrait pas à réussir dans une aussi
redoutable entreprise, sans l'aide de la mar-
raine dé Martine, la fée des Houblons, qui
met au service de Martin le puissant secours
doses Sylvains. Cependant Gambrinus n'est
pas satisfait. 11 exige plus encore.
C'en est trop ! La fée se décide à soustraire
ses deux protégés à l'injuste rigueur de
Gambrinus. Elle les enlève dans une barque,
ne mettant à sa protection qu'une condi-
tion : celle d'un amour sans fin que se témoi-
gneront les deux amoureux. Cette condition
est aisément réalisée par ces deux jeunes
gens qui s'adorent. Et ce couple de jeunes
et beaux amants devra servir d'exemple aux
fiancés de l'avenir!
Cette semaine a été, comme on voit, abon-
dante en manifestations musicales variées,
et l'intérêt offert par la remarquable parti-
tion de M. Gustave Charpentier suffirait à
lui assigner un rang spécial dans cette série
assez composite de représentations que nous
devons aux théâtres 'de musique.
ALBERT DAYROLLES.
PAGES OUBLIÉES
Le nouvel ouvrage d'Edouard Blau et V. Jon-
cières, représenté à l'Opéra, ramène l'attention
sur les romans de chevalerie. Nous empruntons
â l'édition de ces délicieux récits qu'a publiée
naguère Alfred Delvau, un épisode relatif à
LANCELOT-.DU LAC
I
COMMENT LA DAME DU LAC BAILLA A LANCELOT
UN MAITRE POUR L'INSTRUIRE ..COMME IL AP-
PARTIENT A UN FILS DE ROI.
CJAKD Lancelot eut passé trois années
en la garde de la Demoiselle du
Lac, il devint si beau, que c'était
merveille véritable de le voir et
contempler. Il était sage, habile et entendu
plus que tout autre, ce qui décida la Demoi-
selle du Lac à lui bailler un maître qui l'en-
seignât et lui montrât comment il devait se
tenir en manières de gentilhomme, quoique
personne ne sût, à vrai dire, qui il était, hor-
mis la bonne Dame et une sienne pucelle.
Son maître, donc, lui donna un arc et lui
indiqua le moyeu de s'en servir contre les
petits oiseaux de la forêt. L'arc était d'hum-
ble taille, comme lui ; mais, à mesure que l'âge
et les forces lui poussèrent, on lui mit en
main un arc plus fort et des sagettes plus
lourdes,! afin qu'il pût tirer les lièvres et au-
tres menues bêtes de la forêt.
Aussitôt qu'il put monter à cheval, on lui
en.confia-Un bien attoumé de frein, de selle
et d'autres choses, avec lequel il chevaucha
"aux environs du lac, toujours escorté d'une
nombreuse et belle compagnie de varlets
grands et "petits;
Il apprit, aussi facilement que le reste, à
jouer aux échecs, aux tables et aux autres
jeux dont il voyait : jouer; si bien que lors-
qu'il fut en âge de bachelerie, on n'avait plus
rien à.lui enseigner : il savait tout ce qu'on
pouvait "savoir pour être un gentilhomme
accompli. ,..
C'était donc le plus" bel enfant du monde,
mieux taille de corps et de membres. Il avait
une admirable chamure, ni brune ni blanche,
mais entremêlée de l'une et de l'autre cou-
leurs,-ce qu'on pourrait appeler claire-brune.
Son visage était enluminé d'une couleur
vermeille naturelle, qui faisait le meilleur
effet au milieu de la blondeur fauve de sa
peaiu II avait la bouche bien fendue et les
dents petites, serrées et blanches. Le menton,
très heureusement découpé, était orné d'une
fossette fort agréable. Le nez était un peu long,
avec une légère éminence au milieu, de façon
à l'accentuer comme le doit être cette partie
du visage. Les yeux étaient verts et riants,
que la joie rendait doux comme velours, et
que la colère rendait étincelants comme des
charbons allumés. Il semblait, en outre, que
sur les pommettes des joues fissent saillie,
pour ainsi dire, quelques gouttelettes de sang,
par surabondance de santé. En outre aussi,
le souffle qui lui sortait d'entre les lèvres et
d'entre les dents, était chaud et parfumé
comme un fruit.
Quand à ses cheveux, ils avaient d'abord
été blonds, déliés et luisants comme des blés.
Mai*, en avançant en âge et en force, ils
finirent par abandonner leur blondeur natu-
relle et par devenir tout saurets.
C'est ainsi que ce fils de la reine Hélène et
du roi Ban de Benoic atteignit sa dix-huitième
année.
II
COMMENT LA DAME DU LAC MENA LANCELOT AU
ROI ARTUS POUR LE FAIRE CHEVALIER, APRÈS
LUI AVOIR DONNÉ DES ARMES BLANCHES, ET
COMMENT, ESCORTÉ DE QUARANTE CHEVALIERS,
IL REJOIGNIT LE ROI ARTUS, DEUX JOURS AVANT
LA SAINT-JEAN.
La Dame du Lac avait pris un tel soin de
Lancelot, qu'arrivé à l'âge de dix-huit ans, il
n'avait son pareil dans aucun pays du monde.
Bile vit. bien qu'il était temps qu'il reçût
l'ordre de chevalerie; un plus long retard eût
été un crime.
Lancelot, arrivé à cet âge, aperçut, quel-
ques jours après la Pentecôte, un cerf dans
la forêt. Le trouvant merveilleusement fort
pour la saison, il le tua, et, en effet, ce cerf
avait l'embonpoint qu'il atteint au mois
d'août seulement.
Il l'envoya à sa Dame, qui le reçut avec
admiration.
Lancelot resta dans la forêt pendant l'ar-
deur du soleil et revint le soir dans son cos-
tume de chasse : habit court, de couleur
verte, la tête ornée de feuilles et le carquois
à la ceinture.
Quand sa Dame l'aperçut, l'émotion lui
monta du coeur aux yeux ; elle se leva, entra
dans une grande salle et resta pensive, ap-
puyée sur le dos d'un siège.
Lancelot la rejoignit. Elle s'enfuit dans une
chambre, au grand étonneraient de tout le
monde. Lancelot continua à la poursuivre, et,
finalement, il la retrouva étendue sur un lit
et poussant de tendres soupirs sans lever les
yeux sur lui.
Cet abord le surprit, car elle avait coutume
de le baiser chaque fois qu'il venait de n'im-
porte où.
— Qu'avez-vous, madame r et quelle offense
vous a-t-on faite?, lui demanda-t-il. Ne me le
cachez pas, car, moi vivant, personne n'osera
vous fâcher !
Ces mots la firent pleurer davantage en-
core ; elle ne put articuler une parole.
Pourtant, à la fin :
— Pour Dieu! fils de roi, dit-elle, quittez
ce lieu, ou le coeur va me faillir.
— Dame, répondit-il, je sors, puisque je
vous ennuie,
Et il reprit son arc et alla seller son roussin
au milieu de la cour.
Mais, s'imaginant bien l'avoir courroucé,
la Dame accourut au moment où Lancelot se
préparait à monter à cheval en homme très
en colère.
Lors, elle prit la bride du cheval et dit :
•— Sire, où voulez-yous aller ?
— Ma Dame, jusqu'à la forêt.
— Descendez, vous n'irez pas.
Lancelot se laissa emmener dans une
chambre, et la Dame, lui prenant la main, le
conjura, par la foi qu'il lui devait, de dire où
il voulait aller.
— Dame, répondit Lancelot, je vous ai vue si
fâchée, sans deviner pourquoi et en quoi vous
l'étiez... Comme il m'était pénible de rester-
dans cette situation, j'allais poursuivre ma c r-
rière. Je serais peut-être allé jusque chez ie
roi Arlus, où quelque gentilhomme,:n.prèV;!
m'avoir épron» é, m'eût fait chevalier ; car on
dit que tops les gentilshommes sont à la cour
du roi Artus.
— Vous voulez donc être chevalier, fils do
roi ? demanda la Dame.
— Certes, la chose du monde.que je désire
le plus est l'ordre de chevalerie. ' ..
— Vous êtes bien.résolu, reprit-elle: mais :
vous ne seriez pas tant pressé, si vous con-
naissiez les devoirs pesants de la chevalerie.
— Celui qui tarde à devenir chevalier a
peur et n'est qu'un misérable, répondit Lan-
celot, car chacun doit toujours élever son
rang et ses vertus. . Dites-moi néanmoins, en ,,
passant, quelest ce fardeau qui vous apparaît!
dans la chevalerie.
— Je vais,* fit la Dame, vous dire ce que
j'en pense, et retenez bien mes paroles en -
votre coeur.
— Je les retiendrai, ma Dame.
— Si vous voulez être chevalier, dit alors.la
Dame, il faut d'abord soumettre votre volonté
tout entière à la raison et à la droiture. Les .
chevaliers n'ont pas été créés pour rien. Les
premiers étaient tous de même lignage,
puisque nous descendons tous d'un père et
d'une mère. Mais, lorsque la convoitise des
forts et la faiblesse des petits donna lieu à
établir des garants et défenseurs d'outrages,'
on choisit les beaux, les grands, les forts, les
preux et les hardis, ceux qui débordaient de
bonté, de coeur et de force. La'.chevalerie
leur fut donnée pour en User, et ce fut pour
eux un lourd fardeau, comme vous allez en-
tendre.
Ici, Lancelot fit un mouvement d'attention
plus soutenue. La Dame du Lac reprit :
— Au commencement de la chevalerie, IH
fut ordonné à celui qui voulait être chevalier
et le pouvait par droit d'élection d'être cour-
tois sans dureté, débonnaire sans faiblesse,
secourable envers les souffrants, généreux et
toujours prêt à faire l'aumône; de châtier
voleurs et meurtriers, de juger droit sans
amour et sans haine. Un chevalier doit pré-
férer la mort à la honte. Il est surtout des-
tiné à défendre la sainte Eglise, car elle'ne
doit pas rendre le mal pour le mal.'L'histoire'
dit qu'au commencement, personne, sauf les
chevaliers, n'avait le droit de monter à che-
val. Ils furent ainsi nommés chevaliers, et
leurs armes leur furent aussi données dans
un but raisonnable. Sachez que l'écu :pendu
au col du chevalier et le protège par devant
représente le rôle que doit prendre le cheva-
lier vis-à-vis de l'Eglise contre les mécréants,
et, si la sainte Eglise est assaillie, le cheva-
lier doit la soutenir comme un fils soutient
sa mère injuriée.
» Le chevalier est seigneur du peuple et ser-
gent de Dieu. Le chevalier doit avoir en soi
deux coeurs : l'un dur et serré, et l'autre mou
comme la cire ; le premier pour les félons et
l'autre pour les bonnes gens.
» Dieu enseigne dans l'Evangile que ce que
l'on fait aux souffreteux on le fait à lui-même.
» Celui qui reçoit l'ordre de chevalerie dGit
posséder toutes ces qualités; s'il ne lésa, il
est indigne d'élection; car,il jure à Dieu d'être
tel que lui a ordonné de demeurer toujours
celui qui l'a fait chevalier; et, s'il est parjure,
il perd tout ce qui l'attendait d'honneur en ce
monde et dans l'autre. »
—• Dame, répondit Lancelot, puisque tant
de chevaliers furent pleins de' toutes les
prouesses que vous avez dites, celui qui recu-
lerait à les imiter ferait preuve de couardise,
quoique je ne blâme aucunement ceux qui
n'osent se présenter : cela dépend de ce que
l'on a au coeur. J'ai bonne envie de le deve-
nir, et Dieu me permettra sans doute de ren-
contrer un preux pour, me conférer ce'haut-
ordre. De Dieu je tiendrai les bonnes vertus,
et de moi le coeur, la peine et le travail.
— En vérité, "répliqua la Dame, votre vo-
lonté sera accomplie: vous serez chevalier, et
sans aucun retard ; c'est à cause de cela que
je pleurais tout à l'heure, car j'ai mis en vous
l'amour d'une mère pour son enfant, et je ne
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