— 251 —
qui concernait les décorations et particulier
rement celle de saint Louis :
« Mais ce qui commence à devenir intolé-
rable, écrit-il en 1790, c'est qu'il n'est plus
permis de cheminer dans Paris sans être in-
sulté directement par des figures de l'autre
monde, quelques un [sic) décorés d'une croix
de saint Louis ou de tel autre Saint. » (1)
Voilà qui était loin de la coupe en porce-
laine de la duchesse de La Vallière !
J'ajoute, simplement comme contribution à
l'histoire de cette décoration, que la Chro-
nique de Paris, journal de Villette, dans son
numéro du 2 septembre 1792, contient le filet
suivant : « Les factionnaires ne présenteront
plus les armes aux chevaliers de saint Louis. »
Je dois dire encore qu'en 1789, le même
Villette préconisait déjà la suppression des
décorations et des croix, n'en voulant conser-
ver qu'une, à décerner « aux académiciens de
mérite » et qui eût été le médaillon de Vol-
taire. (2)
Le duchesse de La Vallière dont il vient
d'être question était Anne-Julie-Françoise de
Crussol d'Uzès, née à Paris le 11 décembre
1713, mariée le 19 février 1732 au célèbre bi-
bliophile Louis-César Le Blanc de La Baume,
duc de La Vallière, petit-neveu de soeur Louise
de la Miséricorde, celui-là même dont la bi-
bliothèque fut acquise en 1788 par le comte
d'Artois et qui est aujourd'hui à l'Arsenal.
Cette duchesse, qui fut la dernière de ce nom,
mourut en 1796 au château de Wideville. (3)
Voltaire, pour lequel elle eut une admira-
tion profonde, a fait d'elle un délicieux por-
trait en huit vers que l'on trouvera dans le
tome X des OEuvres complètes, édition Garnier
frères, p. 130.
Mais revenons aux visites de bienvenue
faites à Voltaire.
Le 22 février, il reçoit la comtesse Dubrrry.
C'est encore Bachaumont qui va nov.s ren-
seigner à ce sujet :
« Madame la comtesse Dubarry s'est pré-
sentée l'après-dînée pour le visiter. On a eu
bien de la peine à déterminer le vieux malade
à la voir. Son amour-propre souffrait de pa-
raître sans toilette et sans préparation devant
cette beauté. Il a cédé enfin à ses instances,
et réparé par les grâces de l'esprit ce qui
lui manquait du côté de l'élégance exté-
rieure. » (1).
Puis, le 12 mars, c'est MUe la chevalière
d'Eon qui veut absolument être reçue par lui.
Bachaumont raconte que toute la maison de
Villette fit la haie le long des escaliers et des
chambres pour voir passer cette célébrité.
Elle avait, à ce qu'il assure, « l'air hon-
teux, son manchon sous le nez et l'air en
dessous. » (2).
Le secrétaire Wagnière, qui détestait le
maître du logis, a raconté que les visiteurs
eussent été encore bien plus nombreux si
beaucoup, surtout parmi les gens de qualité,
n'avaient éprouvé une certaine répugnance à
venir voir l'illustre vieillard chez le marquis
de Villette, de si pitoyable réputation.
« Il me fit dire par M. d'Argental, écrit
Mme du Deffand, qu'il me viendrait, voir in-
cessamment. Je l'attendrai, je n'irai point chez
lui; sa nièce et M. de Villette sont des person-
nages que je ne me soucie pas de voir. » (3).
Ce fut aussi le cas de Mme Necker qui,
d'après Wagnière, ne se décida à cette visite
qu'après une longue hésitation et en raison de
son amitié pour MIle de Varicour, devenue
Mme de Villette (4).
Mais peut-être ne faudrait-il pas trop s'en
rapporter à Wagnière, que les historiens de
Voltaire ont pris souvent en flagrant délit de
mauvaise foi et qui avait l'âme tourmentée et
inquiète. Et puis, pourquoi cette note discor-
dante dans un concert où l'accord semble être
si parfait? Retenez plutôt, de cet autre
contemporain, M. le comte de Ségur, ce qu'il
dit de ces triomphales réceptions :
« Dans sa maison, qu'on eût dit alors trans-
formée en palais par sa présence, assis au mi-
(1) Lettres choisies de Ch. Villette. 1792.
Lettre du 28 mars 1790, p. 61.
(2) Mes cahiers. Senlis, 1789, in-8.
(3) Notice sur le château de Wideville, par
M™ la vicomtesse de Galord, dans la Revue mensuelle,
Versailles illustré, n" de février et mai 1903.
(1) Mémoires secrets de la République des
lettres (Bachaumont), 1778, t. XI, p. 133.
(2) Mémoires secrets de la République des
lettres (Bachaumont), 1778, t. XI. p. 173.
(3) Correspondance complète de Mm° du Def-
fand, édition Lescure, t. XI, p. 649.
(4) Mémoires sur Voltaire, par Longchamp et
Wagnière, 1826, t. I, p. 431.
Facebook
Twitter
Pinterest