Presse et revues
16 pages
Titre : La Science sociale suivant la méthode de F. Le Play / directeur M. Edmond Demolins
Éditeur : Firmin-Didot et Cie (Paris)
Date d'édition : 1912-10-01
Contributeur : Demolins, Edmond (1852-1907). Directeur de publication. Fondateur de la publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32865965j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 01 octobre 1912 01 octobre 1912
Description : 1912/10/01 (A27)-1912/10/31. 1912/10/01 (A27)-1912/10/31.
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5779404f
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 8-R-8061
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/12/2010
122
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE (FASC.
LES FROMAGERIES COOPÉRATIVES
EN THIÉRACHE
Quelqu'un, qui sait combien je m'inté-
resse aux oeuvres de coopération et de
mutualité, attirait récemment mon atten-
tion sur \es fromageries coopératives, dont
M. Baron, de Crupilly, est le promoteur en
Thiérache. « Allez là-bas, m'avait-on dit,
vous verrez quelque chose d'intéressant ».
J'ai donc enfourché ma bicyclette et suis
allé à Crupilly; c'est une promenade très
agréable à cette époque de l'année. Je ne
perdis pas ma journée, je reçus un ac-.
cueil charmant et fis une ample provi-
sion de documents. Ce sont ces rensei-
gnements que je vais livrer aujourd'hui
aux lecteurs de la Science sociale.
M. Baron, l'intelligent et distingué maire
de Crupilly, est doué d'un sens pratique
remarquable; il ne se contente pas de
faire régner la concorde, l'union et la
bonne entente parmi ses administrés; il
recherche passionnément les moyens
d'augmenter leur aisance, de développer
leur bien-être; il poursuit leur élévation.
C'est ainsi qu'en 1905, ayant appris qu'un
gros négociant de Reims avait besoin
d'une façon constante de quantités consi-
dérables de fromages maroilles, l'idée lui
vint d'entamer des pourparlers avec ce
commerçant. M. Baron s'aperçut qu'une
combinaison était possible et avantageuse;
il se mit immédiatement en devoir de la
réaliser. Pour cela il fallait d'abord con-
vaincre les herbagers de Crupilly, leur
montrer qu'ils tireraient plus de profits en
s'associant pour fabriquer du fromage
qu'en vendant leur lait aux laiteries. Ce
ne fut certainement pas chose facile, le
Thiérachien, en général, manque d'initia-
tive ; il n'aime pas entrer dans des affai-
res nouvelles qui n'ont pas encore été
pratiquées; il s'effraie des aléas, exagère
volontiers la part des risques. La crainte
de compromettre un patrimoine modeste,
acquis souvent au prix de grandes diffi-
cultés, le retient, arrête son élan. En cette
circonstance M. Baron montra beaucoup
de patience ; grâce à ses efforts et à l'au-
torité dont il jouit dans le pays, il réussit,
au cours de l'année 1906, à former une
association coopérative pour la fabrica-
tion du fromage. La nouvelle société
comptait 14 adhérents, c'est un résultat
remarquable, étant donné que la commune
n'a que 117 habitants et seulement 36 élec-
teurs.
Les 14 associés se répartirent, propor-
tionnellement à leurs moyens, les 66 ac-
tions de 250 francs qui composent le capi-
tal social, soit 16.500 francs. Cette somme,
on le devine, ne fut pas suffisante pour la
construction et l'aménagement de l'usine,
mais, grâce à cet appoint, on trouva assez
facilement à emprunter 31.000 francs qui
permirent l'achèvement des travaux et la
mise en route.
Solidement construite en briques, sans
luxe extérieur, la fromagerie de Crupilly
ne se distingue pas, de prime abord, d'une
maison bourgeoise ordinaire; ce qui
achève de donner l'illusion, c'est le si-
lence et l'absence de mouvement qui ré-
gnent à l'entour. Pourtant, un quai qui
borde la façade intrigue le profane. A
certaines heures, le matin et le soir, pen-
dant un temps relativement court, la fro-
magerie présente un peu d'animation ;
c'est au moment où l'on apporte le lait. Il
y a des allées et venues d'actionnaires;
il en arrive de tous côtés, les uns pous-
sant de petits charretons en fer contenant
de grandes buires, qu'un soigneux asti-
quage fait briller comme de l'argent ; les
autres avec des voitures traînées par des
chevaux ou des chiens. Tout ce monde
parait de bonne humeur, et en déchar-
geant les timbales on échange quelques
mots; la température, l'état des pâtures,
la densité du lait font en général les frais
de la conversation. Chacun entre à son
tour avec ses récipients et les déverse
dans une bascule dont le plateau est cons-
titué par un réservoir. Le lait est eh. effet
acheté au kilo et suivant sa richesse en
matières grasses. La pesée terminée, on
remet à l'intéressé un bon portant men-
tion de sa fourniture et, avant de vider la
BULLETIN DE LA SOCIÉTÉ INTERNATIONALE (FASC.
LES FROMAGERIES COOPÉRATIVES
EN THIÉRACHE
Quelqu'un, qui sait combien je m'inté-
resse aux oeuvres de coopération et de
mutualité, attirait récemment mon atten-
tion sur \es fromageries coopératives, dont
M. Baron, de Crupilly, est le promoteur en
Thiérache. « Allez là-bas, m'avait-on dit,
vous verrez quelque chose d'intéressant ».
J'ai donc enfourché ma bicyclette et suis
allé à Crupilly; c'est une promenade très
agréable à cette époque de l'année. Je ne
perdis pas ma journée, je reçus un ac-.
cueil charmant et fis une ample provi-
sion de documents. Ce sont ces rensei-
gnements que je vais livrer aujourd'hui
aux lecteurs de la Science sociale.
M. Baron, l'intelligent et distingué maire
de Crupilly, est doué d'un sens pratique
remarquable; il ne se contente pas de
faire régner la concorde, l'union et la
bonne entente parmi ses administrés; il
recherche passionnément les moyens
d'augmenter leur aisance, de développer
leur bien-être; il poursuit leur élévation.
C'est ainsi qu'en 1905, ayant appris qu'un
gros négociant de Reims avait besoin
d'une façon constante de quantités consi-
dérables de fromages maroilles, l'idée lui
vint d'entamer des pourparlers avec ce
commerçant. M. Baron s'aperçut qu'une
combinaison était possible et avantageuse;
il se mit immédiatement en devoir de la
réaliser. Pour cela il fallait d'abord con-
vaincre les herbagers de Crupilly, leur
montrer qu'ils tireraient plus de profits en
s'associant pour fabriquer du fromage
qu'en vendant leur lait aux laiteries. Ce
ne fut certainement pas chose facile, le
Thiérachien, en général, manque d'initia-
tive ; il n'aime pas entrer dans des affai-
res nouvelles qui n'ont pas encore été
pratiquées; il s'effraie des aléas, exagère
volontiers la part des risques. La crainte
de compromettre un patrimoine modeste,
acquis souvent au prix de grandes diffi-
cultés, le retient, arrête son élan. En cette
circonstance M. Baron montra beaucoup
de patience ; grâce à ses efforts et à l'au-
torité dont il jouit dans le pays, il réussit,
au cours de l'année 1906, à former une
association coopérative pour la fabrica-
tion du fromage. La nouvelle société
comptait 14 adhérents, c'est un résultat
remarquable, étant donné que la commune
n'a que 117 habitants et seulement 36 élec-
teurs.
Les 14 associés se répartirent, propor-
tionnellement à leurs moyens, les 66 ac-
tions de 250 francs qui composent le capi-
tal social, soit 16.500 francs. Cette somme,
on le devine, ne fut pas suffisante pour la
construction et l'aménagement de l'usine,
mais, grâce à cet appoint, on trouva assez
facilement à emprunter 31.000 francs qui
permirent l'achèvement des travaux et la
mise en route.
Solidement construite en briques, sans
luxe extérieur, la fromagerie de Crupilly
ne se distingue pas, de prime abord, d'une
maison bourgeoise ordinaire; ce qui
achève de donner l'illusion, c'est le si-
lence et l'absence de mouvement qui ré-
gnent à l'entour. Pourtant, un quai qui
borde la façade intrigue le profane. A
certaines heures, le matin et le soir, pen-
dant un temps relativement court, la fro-
magerie présente un peu d'animation ;
c'est au moment où l'on apporte le lait. Il
y a des allées et venues d'actionnaires;
il en arrive de tous côtés, les uns pous-
sant de petits charretons en fer contenant
de grandes buires, qu'un soigneux asti-
quage fait briller comme de l'argent ; les
autres avec des voitures traînées par des
chevaux ou des chiens. Tout ce monde
parait de bonne humeur, et en déchar-
geant les timbales on échange quelques
mots; la température, l'état des pâtures,
la densité du lait font en général les frais
de la conversation. Chacun entre à son
tour avec ses récipients et les déverse
dans une bascule dont le plateau est cons-
titué par un réservoir. Le lait est eh. effet
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