Titre : Les Annales politiques et littéraires : revue populaire paraissant le dimanche / dir. Adolphe Brisson
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1910-09-18
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 18 septembre 1910 18 septembre 1910
Description : 1910/09/18 (A28,T55,N1421). 1910/09/18 (A28,T55,N1421).
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5725564f
Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-34518
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 01/12/2010
288 LES ANNALES N° 1421
d'amour... Et, parce que jamais le petit moi-
neau ne deviendra aigle, ni mouette, ni ros-
signol, faudrait-il qu'il renonçât aux bonheurs
faits à sa taille, à son plumage et mis à la
portée de soit petit bec, et serait-il sage de
crier :
— A quoi bon, à quoi bon vivre sur ma
branche?
Il ne se passe guère de semaine que je ne
reçoive de ces confidences pessimistes, que
je sais mal écouter parce qu'elles me mettent
hors de moi. Hier, une jeune fille, avouant-
trente ans, m'écrit pour me conter qu'elle
est désemparée et sans bonheur. Non point
qu'elle ne gagne bien sa vie : sa -situation
est honorable, ses élèves nombreuses; mais
sa vie s'écoule morne, vide, triste, dans un
coin de province. Alors, à quoi bon conti-
nuer?... Elle voudrait venir à Paris, goûter ses
plaisirs, ses peines, — vivre, dit-elle,— et s'y
créer une situation. Pauvre moinillon mal
perché sur sa branche! Comme si l'on vivait
mieux à Paris, sans relations, sans fortune,
sans soutien, avec l'unique bagage d'un mai-
gre talent de musicienne !
Ce matin, une enfant de vingt ans me
raconte, en huit pages, que, perdue dans un
trou des Vosges assez gai l'été à cause des
touristes, mais lugubre l'hiver, elle songe
à quitter son clocher et aussi sa maman, pour
venir « fonder une oeuvre à Paris et, de cette
manière, rendre sa vie utile »,car, ajoute-t-elle
avec conviction, « à quoi bon perdre sa jeu-
nesse, son intelligence sous les neiges d'un
méchant vilage »? Comme si les méchants
villages, dans lesquels on eut le bonheur
de naître, à l'ombre d'une chère maman en-
vers laquelle, je suppose, on a des devoirs,
n'offraient pas un champ assez vaste aux
dévouements! Est-ce que, partout, il n'y a pas
des enfants, des malades, des pauvres, même
dans les villages écartés ? Pourquoi, à vingt
ans, se gonfler jusqu'à prétendre fonder une
oeuvre parisienne, quand il serait si doux, si
simple, d'aimer ce qui vous entoure et d'y
trouver le « bon, cela! » qui est la vraie source
d'énergie et de joie? Toutes les vies valent la
peine d'être vécues, les plus humbles, les plus
modestes, car toutes ont leur poésie, toutes
sont dignes de s'élever vers un idéal meil-
leur; seulement, il faut chercher cet idéal où
il est, là, tout près, à la portée de la main,
et non tout en haut de la montagne. Il faut
saisir d'une main courageuse les fatalités
qui sont dans votre propre Sac, supporter
crânement les mauvaises qu'on ne peut
éviter et les améliorer, développer délicatement
les autres, et, de ces mélanges heureux et
malheureux, créer du bonheur.
Le bonheur n'est pas « à Paris », plutôt
qu'à Quimper-Corentin : il est en nous ; c'est
pourquoi je hais le « A quoi bon? » qui en
est l'offensante négation... Je ne dis pas qu'il
ne faille jamais penser à la mort,
Divine mort, où tout rentre et s'efface ;
mais il est plus beau, plus méritoire aussi, de
songer à la vie, de l'accepter telle que le ciel
nous l'a donnée, et, dans la mesure du pos-
sible, de la rendre harmonieuse, tendre, fidèle,
dévouée à ceux qu'on aime... En un mot,
de la faire rayonner autour du petit cercle
dans lequel on s'agite, sans essayer vaine-
ment de le franchir... Plus j'y songe, plus ce
« A quoi bon ? » me semble décidément un
blasphème. Il se peut que la mort soit le
néant de tout : j'ai peine à le croire et il
m'est plus doux de penser que ce soit le soir
d'un beau jour.
Et puis..., l'optimisme... Bon, cela!
YVONNE SARCEY
PAGES OUBLIÉES
Voici quelques pages qui se rapportent aux fêtes
du millénaire de Cluny... L'un des hôtes fameux de
l'antique abbaye fut Abélard: Jean Bertheroy a
tracé un tableau pittoresque de l'existence qu'il y me-
nait et des circonstances de sa mort. Nous y joignons
la description, par Lamartine, du tilleul d'Abélard,
pieusement conservé, et l'évocation émue et délicate,
par Mme Marie-Thérèse Ollivier, des souvenirs de
Saint-Point, la résidence de l'auteur de Jocelyn, qui
a été, cette semaine, l'objet d'un pieux pèlerinage.
Mme Marie-Thérèse Ollivier fut une des amies les
plus intimes de Valentine de Lamartine, nièce du
poète :
ABÉLARD A CLUNY
QUAND Abélard fut arrivé à la porte dé
l'abbaye de Cluny, il s'arrêta pour
réclamer l'hospitalité que l'on ac-
cordait à tous les pèlerins, riches
ou pauvres, manants ou princes, sans leur
demander d'autre signe de leur foi que
de s'agenouiller à l'entrée de l'immense
chapelle, ornée de clochetons gothiques,
où se célébrait l'office bénédictin.
L'office terminé, Abélard était retourné
à l'hôtellerie du monastère. Il -n'avait
point donné son nom, et on ne le lui
avait point demandé. Cependant, il avait
été reconnu. Sa haute taille, son visage
où la pensée avait sculpté ses reliefs,
puissants, ne pouvaient manquer d'attirer
l'attention des moines, habitués à discer-
ner d'un coup d'oeil la qualité de leurs
hôtes. Et l'abbé, Pierre le Vénérable, s'a-
vançait vers lui et le saluait fraternelle-
ment.
Reposante figure que celle de cet abbé
de Cluny! C'était un grand seigneur, et
un homme tolérant et doux. Il aimait les
Lettres, et elles avaient déposé en lui un
peu de ce miel qui corrige et atténue l'ai-
greur des controverses trop vives.
En apercevant Abélard qui mangeait,
courbé sur l'écuelle brune, dans l'attitude
prostrée d'un homme que la faim a tour-
menté, son coeur s'émut. Etait-il possible'
de laisser ce vieillard continuer un tel
voyage, et personne ne tendrait-il la main
à ce grand vaincu de la vie? Certes, l'abbé
de Cluny n'ignorait point, il ne pouvait
ignorer, tout ce que l'on reprochait au
novateur dont les théories hardies avaient
bouleversé le monde. Mais il savait aussi
que la loi supérieure à toutes, les lois
écrites, c'est la bonté, et que tout le Tes-
tament Nouveau peut tenir* en une seule
maxime :
— Mes petits enfants, aimez-vous les.
uns les autres.
Alors, il se passa quelque chose de très'
simple et de très grand : les deux hommes,
ayant échangé quelques paroles, se prirent
par la main et s'éloignèrent ensemble vers
le cloître...
Pierre le Vénérable, avait obtenu du
pape la grâce d'Abélard, et aussi la per-
mission de le garder près de lui dans son
abbaye. Cette atmosphère de science et
de large piété était exactement le remède
qui convenait à l'âme blessée du philo-
sophe. Il retrouvait là ce qui l'avait tou-
jours attiré invinciblement : la contempla-
tion des choses éternelles; et il oubliait
les vanités de la Terre qui, selon le.mot
du poète, « n'avaient pas payé le prix!
d'un coeur ».
On montrait encore à cluny le siècle;
dernier, un tilleul énorme et séculaire
contemporain des flèches monastiques,
sous lequel le grand Bénédictin aimait
à venir s'asseoir, et une tablé de pierre
grise, sonore comme une lyre, Où il écri-
vit ses dernières pensées. Sa foi; qu'il
avait toujours gardée entière, mais qui
s'était troublée dans l'agitation des dis
putes, retrouvait sa limpidité essentielle
Ce fut à Cluny qu'il traça d'une main;
ferme encore les deux oeuvres où il ré-
sume ses croyances : son Apologie et son
Credo.
— Je renonce, disait-il, au titre de phi
losophe, si je dois être en désaccord avec;
saint Paul; je ne veux pas être un Arisitote
pour être séparé du Christ... J'adore
Christ régnant à la droite du Père; je
l'embrasse des étreintes de la foi.
Ainsi, peu à peu, l'apaisement s'était fait
en lui, et son orgueil, si longtemps irré-
ductible, s'était fondu au contact de l'a-
mitié. Cependant, les voeux de Pierre le;
Vénérable n'étaient pas satisfaits encore.
Il méditait de réconcilier entre eux Abélard
et Bernard, et de les amener à ce baiser
de paix que doivent se donner, d'un coeur
dégagé de haine, tous les sénateurs du
Dieu, qui a prêché l'oubli des injures et
le pardon. Cette noble mission tentait son
âme délicate et forte; mais îl attendait
l'instant prévu, par la Providence. De-
puis le Concile de Sens, les deux grands'
adversaires ne s'étaient jamais revus et
n'avaient échangé aucune polémique. Ber-
nard avait appris la décision du pape et
s'était abstenu de protester; peut-être son;
coeur. oommencait-i1 à s'amollir...
Cependant, vers le mois de janvier 1142,
une_ maladie cruelle commença à miner
Abélard. Pierre le Vénérable, toujours
plein d'une tendre sollicitude envers lui,
le conduisit dans le prieuré de Saint-Mar-
cel, près de Chalon-sur-Saône, avec l'es-
poir, que le changement d'air pourrait ap-
porter quelque relâche à son mal. Mais
cette vie, usée dans tant de travaux et de
luttes, touchait à son terme, et l'heure,
avait sonné de la délivrance terrestre
Tranquille, désormais, du côté de sa
conscience et ayant reçu le viatique des
croyants, Abélard ouvrit son coeur aux
souvenirs de l'amour qui avait enivré sa
jeunesse. L'image, la pensée d'Héloïse, en-
trèrent en lui avec une puissance suprême,
et sa dernière, parole fut pour demander à
Pierre le Vénérable de faire porter son
corps au Paraclet, afin que, plus tard,-
son épouse pût le rejoindre « au lit conju-
gal de la tombe ».
Alors, comme; il est d'usage dans tous
les siècles, aussitôt que l'on sut que cette
grande voix s'était éteinte, de toutes patte.
des éloges retentirent, et, dans les écoles
de Paris, ce fut un deuil public. Mais, le
plus éclatant hommage qui fut rendu à
sa vertu est contenu dans la lettre que-
Pierre le Vénérable envoya à Héloïse en
même temps que" la dépouille mortelle
d'Abélard et la formule d'absolution
« Il n'est pas facile de dire en quel-
ques lignes ô ma soeur, la sainteté, l'hu
milité, l'abnégation qu'il nous a montrées
et dont le monastère entier a porté te-
moignage. Je né me souviens pas d'avoir,
jamais vu de vie et d'extérieur plus hum-
bles. Je lui avais donné un rang éminent
d'amour... Et, parce que jamais le petit moi-
neau ne deviendra aigle, ni mouette, ni ros-
signol, faudrait-il qu'il renonçât aux bonheurs
faits à sa taille, à son plumage et mis à la
portée de soit petit bec, et serait-il sage de
crier :
— A quoi bon, à quoi bon vivre sur ma
branche?
Il ne se passe guère de semaine que je ne
reçoive de ces confidences pessimistes, que
je sais mal écouter parce qu'elles me mettent
hors de moi. Hier, une jeune fille, avouant-
trente ans, m'écrit pour me conter qu'elle
est désemparée et sans bonheur. Non point
qu'elle ne gagne bien sa vie : sa -situation
est honorable, ses élèves nombreuses; mais
sa vie s'écoule morne, vide, triste, dans un
coin de province. Alors, à quoi bon conti-
nuer?... Elle voudrait venir à Paris, goûter ses
plaisirs, ses peines, — vivre, dit-elle,— et s'y
créer une situation. Pauvre moinillon mal
perché sur sa branche! Comme si l'on vivait
mieux à Paris, sans relations, sans fortune,
sans soutien, avec l'unique bagage d'un mai-
gre talent de musicienne !
Ce matin, une enfant de vingt ans me
raconte, en huit pages, que, perdue dans un
trou des Vosges assez gai l'été à cause des
touristes, mais lugubre l'hiver, elle songe
à quitter son clocher et aussi sa maman, pour
venir « fonder une oeuvre à Paris et, de cette
manière, rendre sa vie utile »,car, ajoute-t-elle
avec conviction, « à quoi bon perdre sa jeu-
nesse, son intelligence sous les neiges d'un
méchant vilage »? Comme si les méchants
villages, dans lesquels on eut le bonheur
de naître, à l'ombre d'une chère maman en-
vers laquelle, je suppose, on a des devoirs,
n'offraient pas un champ assez vaste aux
dévouements! Est-ce que, partout, il n'y a pas
des enfants, des malades, des pauvres, même
dans les villages écartés ? Pourquoi, à vingt
ans, se gonfler jusqu'à prétendre fonder une
oeuvre parisienne, quand il serait si doux, si
simple, d'aimer ce qui vous entoure et d'y
trouver le « bon, cela! » qui est la vraie source
d'énergie et de joie? Toutes les vies valent la
peine d'être vécues, les plus humbles, les plus
modestes, car toutes ont leur poésie, toutes
sont dignes de s'élever vers un idéal meil-
leur; seulement, il faut chercher cet idéal où
il est, là, tout près, à la portée de la main,
et non tout en haut de la montagne. Il faut
saisir d'une main courageuse les fatalités
qui sont dans votre propre Sac, supporter
crânement les mauvaises qu'on ne peut
éviter et les améliorer, développer délicatement
les autres, et, de ces mélanges heureux et
malheureux, créer du bonheur.
Le bonheur n'est pas « à Paris », plutôt
qu'à Quimper-Corentin : il est en nous ; c'est
pourquoi je hais le « A quoi bon? » qui en
est l'offensante négation... Je ne dis pas qu'il
ne faille jamais penser à la mort,
Divine mort, où tout rentre et s'efface ;
mais il est plus beau, plus méritoire aussi, de
songer à la vie, de l'accepter telle que le ciel
nous l'a donnée, et, dans la mesure du pos-
sible, de la rendre harmonieuse, tendre, fidèle,
dévouée à ceux qu'on aime... En un mot,
de la faire rayonner autour du petit cercle
dans lequel on s'agite, sans essayer vaine-
ment de le franchir... Plus j'y songe, plus ce
« A quoi bon ? » me semble décidément un
blasphème. Il se peut que la mort soit le
néant de tout : j'ai peine à le croire et il
m'est plus doux de penser que ce soit le soir
d'un beau jour.
Et puis..., l'optimisme... Bon, cela!
YVONNE SARCEY
PAGES OUBLIÉES
Voici quelques pages qui se rapportent aux fêtes
du millénaire de Cluny... L'un des hôtes fameux de
l'antique abbaye fut Abélard: Jean Bertheroy a
tracé un tableau pittoresque de l'existence qu'il y me-
nait et des circonstances de sa mort. Nous y joignons
la description, par Lamartine, du tilleul d'Abélard,
pieusement conservé, et l'évocation émue et délicate,
par Mme Marie-Thérèse Ollivier, des souvenirs de
Saint-Point, la résidence de l'auteur de Jocelyn, qui
a été, cette semaine, l'objet d'un pieux pèlerinage.
Mme Marie-Thérèse Ollivier fut une des amies les
plus intimes de Valentine de Lamartine, nièce du
poète :
ABÉLARD A CLUNY
QUAND Abélard fut arrivé à la porte dé
l'abbaye de Cluny, il s'arrêta pour
réclamer l'hospitalité que l'on ac-
cordait à tous les pèlerins, riches
ou pauvres, manants ou princes, sans leur
demander d'autre signe de leur foi que
de s'agenouiller à l'entrée de l'immense
chapelle, ornée de clochetons gothiques,
où se célébrait l'office bénédictin.
L'office terminé, Abélard était retourné
à l'hôtellerie du monastère. Il -n'avait
point donné son nom, et on ne le lui
avait point demandé. Cependant, il avait
été reconnu. Sa haute taille, son visage
où la pensée avait sculpté ses reliefs,
puissants, ne pouvaient manquer d'attirer
l'attention des moines, habitués à discer-
ner d'un coup d'oeil la qualité de leurs
hôtes. Et l'abbé, Pierre le Vénérable, s'a-
vançait vers lui et le saluait fraternelle-
ment.
Reposante figure que celle de cet abbé
de Cluny! C'était un grand seigneur, et
un homme tolérant et doux. Il aimait les
Lettres, et elles avaient déposé en lui un
peu de ce miel qui corrige et atténue l'ai-
greur des controverses trop vives.
En apercevant Abélard qui mangeait,
courbé sur l'écuelle brune, dans l'attitude
prostrée d'un homme que la faim a tour-
menté, son coeur s'émut. Etait-il possible'
de laisser ce vieillard continuer un tel
voyage, et personne ne tendrait-il la main
à ce grand vaincu de la vie? Certes, l'abbé
de Cluny n'ignorait point, il ne pouvait
ignorer, tout ce que l'on reprochait au
novateur dont les théories hardies avaient
bouleversé le monde. Mais il savait aussi
que la loi supérieure à toutes, les lois
écrites, c'est la bonté, et que tout le Tes-
tament Nouveau peut tenir* en une seule
maxime :
— Mes petits enfants, aimez-vous les.
uns les autres.
Alors, il se passa quelque chose de très'
simple et de très grand : les deux hommes,
ayant échangé quelques paroles, se prirent
par la main et s'éloignèrent ensemble vers
le cloître...
Pierre le Vénérable, avait obtenu du
pape la grâce d'Abélard, et aussi la per-
mission de le garder près de lui dans son
abbaye. Cette atmosphère de science et
de large piété était exactement le remède
qui convenait à l'âme blessée du philo-
sophe. Il retrouvait là ce qui l'avait tou-
jours attiré invinciblement : la contempla-
tion des choses éternelles; et il oubliait
les vanités de la Terre qui, selon le.mot
du poète, « n'avaient pas payé le prix!
d'un coeur ».
On montrait encore à cluny le siècle;
dernier, un tilleul énorme et séculaire
contemporain des flèches monastiques,
sous lequel le grand Bénédictin aimait
à venir s'asseoir, et une tablé de pierre
grise, sonore comme une lyre, Où il écri-
vit ses dernières pensées. Sa foi; qu'il
avait toujours gardée entière, mais qui
s'était troublée dans l'agitation des dis
putes, retrouvait sa limpidité essentielle
Ce fut à Cluny qu'il traça d'une main;
ferme encore les deux oeuvres où il ré-
sume ses croyances : son Apologie et son
Credo.
— Je renonce, disait-il, au titre de phi
losophe, si je dois être en désaccord avec;
saint Paul; je ne veux pas être un Arisitote
pour être séparé du Christ... J'adore
Christ régnant à la droite du Père; je
l'embrasse des étreintes de la foi.
Ainsi, peu à peu, l'apaisement s'était fait
en lui, et son orgueil, si longtemps irré-
ductible, s'était fondu au contact de l'a-
mitié. Cependant, les voeux de Pierre le;
Vénérable n'étaient pas satisfaits encore.
Il méditait de réconcilier entre eux Abélard
et Bernard, et de les amener à ce baiser
de paix que doivent se donner, d'un coeur
dégagé de haine, tous les sénateurs du
Dieu, qui a prêché l'oubli des injures et
le pardon. Cette noble mission tentait son
âme délicate et forte; mais îl attendait
l'instant prévu, par la Providence. De-
puis le Concile de Sens, les deux grands'
adversaires ne s'étaient jamais revus et
n'avaient échangé aucune polémique. Ber-
nard avait appris la décision du pape et
s'était abstenu de protester; peut-être son;
coeur. oommencait-i1 à s'amollir...
Cependant, vers le mois de janvier 1142,
une_ maladie cruelle commença à miner
Abélard. Pierre le Vénérable, toujours
plein d'une tendre sollicitude envers lui,
le conduisit dans le prieuré de Saint-Mar-
cel, près de Chalon-sur-Saône, avec l'es-
poir, que le changement d'air pourrait ap-
porter quelque relâche à son mal. Mais
cette vie, usée dans tant de travaux et de
luttes, touchait à son terme, et l'heure,
avait sonné de la délivrance terrestre
Tranquille, désormais, du côté de sa
conscience et ayant reçu le viatique des
croyants, Abélard ouvrit son coeur aux
souvenirs de l'amour qui avait enivré sa
jeunesse. L'image, la pensée d'Héloïse, en-
trèrent en lui avec une puissance suprême,
et sa dernière, parole fut pour demander à
Pierre le Vénérable de faire porter son
corps au Paraclet, afin que, plus tard,-
son épouse pût le rejoindre « au lit conju-
gal de la tombe ».
Alors, comme; il est d'usage dans tous
les siècles, aussitôt que l'on sut que cette
grande voix s'était éteinte, de toutes patte.
des éloges retentirent, et, dans les écoles
de Paris, ce fut un deuil public. Mais, le
plus éclatant hommage qui fut rendu à
sa vertu est contenu dans la lettre que-
Pierre le Vénérable envoya à Héloïse en
même temps que" la dépouille mortelle
d'Abélard et la formule d'absolution
« Il n'est pas facile de dire en quel-
ques lignes ô ma soeur, la sainteté, l'hu
milité, l'abnégation qu'il nous a montrées
et dont le monastère entier a porté te-
moignage. Je né me souviens pas d'avoir,
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