Titre : Les Annales politiques et littéraires : revue populaire paraissant le dimanche / dir. Adolphe Brisson
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1907-10-20
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 42932 Nombre total de vues : 42932
Description : 20 octobre 1907 20 octobre 1907
Description : 1907/10/20 (A25,N1269,T49). 1907/10/20 (A25,N1269,T49).
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5721944t
Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-34518
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 01/12/2010
N° 1269 LES ANNALES
Le Grain de Blé gros comme un Oeuf
Des enfants du village trouvèrent, un jour,
dans un ravin, quelque chose qui était gros
comme un oeuf de poule et qui ressemblait à
un grain Ce blé, avec une rainure au milieu.
Un voyageur, qui passait par le village,
aperçut l'objet, l'acheta pour quelques copecks
et l'emporta avec lui à la ville. Il le vendit
chèrement au tsar, comme une curiosité rare.
Le tsar convoqua tous les sages de son
royaume et leur enjoignit de chercher ce que
pouvait être cet objet : un grain de blé ou
un oeuf.
Les sages réléchirent longuement, mais ne
purent donner aucune réponse.
Ce curieux objet était posé sur le rebord
d'une fenêtre du palais du tsar. Un jour,
une poule vint le picoter, y fit un trou, et
tout le monde put reconnaître que c'était un
grain.
Les sages vinrent aussi déclarer au tsar
que c'était un grain de seigle.
Grand fut l'émerveillement du tsar. Il donna
de nouveau l'ordre aux savants de rechercher
où et quand ce grain avait été produit.
Les savants réfléchirent mûrement, consul-
tèrent les livres, mais ne trouvèrent pas de
réponse.
— Dans nos livres, dirent-ils au tsar, il
n'y a rien sur ce grain... Faites venir des
moujiks. Peut-être l'un d'eux a-t-il entendu
dire aux vieux où et quand on semait des
grains semblables.
Le tsar ordonna qu'on lui amenât un vieux
paysan. Après des recherches, les serviteurs
du souverain revinrent accompagnés d'un vieux
moujik tout décrépit, sans dents, marchant
péniblement à l'aide de deux béquilles.
Le tsar montra le grain au vieux, mais celui-
ci avait déjà la vue trouble; il put à peine
distinguer le grain et le palpa en tâtonnant
pour mieux se rendre compte.
— Ne sais-tu pas, mon brave, lui demanda
le tsar, où l'on récoltait des grains sembla-
bles? Toi-même, n'en as-tu pas semé de pa-
reils? Ne t'est-il jamais arrivé d'en acheter?
Le vieux était sourd. Il entendit à peine
et ne comprit qu'à moitié les questions qu'on
lui posait.
— Non, répondit il, de ma vie je n'ai semé
du blé semblable. Je n'en ai non plus jamais
récolté ni acheté. Quand nous avons acheté
du blé, les grains en étaient toujours aussi
menus que ceux que nous possédons main-
tenant... Mais vous feriez bien de questionner
mon père; peut-être a-t-il entendu parler de
grains miraculeux de cette sorte.
Le tsar expédia des messagers en quête
du père du moujik. On le trouva bien vite et
on l'amena au palais. Le vieux entra plus
vaillamment que son fis, ne s'aidant que
d'une béquille pour marcher.
Le tsar lui montra le grain.
Le vieux avait encore bonne vue et le dis-
tingua nettement.
— Ne sais-tu pas, mon brave, où ont poussé,
de semblables grains? N'en as-tu pas semé
dans tes propres champs? Ou, peut-être, en
as-tu acheté chez des voisins?
Le vieux, à vrai dire, avait l'oreille dure
mais il entendait pourtant mieux que son fils.
— Non, répondit-il, je n'ai jamais ni semé,
ni coupé dans mes champs du blé semblable.
Je n'en ai jamais acheté, car, de mon temps,
on ne connaissait pas l'argent. Tous man-
geaient leur propre pain, et, en cas de dé-
tresse, on s'entr'aidait. Notre blé était, il est
vra, plus gros et rendait plus au battage
que celui que nous avons aujourd'hui; mais,
pourtant, il était bien loin d'égaler ce grain.
J'ai entendu dire à mon père que, de son
temps, le blé poussait mieux que le nôtre
et qu'il était plus gros et rendait davantage.
Tu ferais bien de l'interroger.
Le tsar fit mander le grand-père.
Le vieux entra sans béquille, d'une allure
souple, le regard vif; il entendait bien et par-
lait distinctement.
Le tsar lui montra le grain miraculeux.
Le vieillard le prit, le retourna, l'examina et
dit:
— Il y a bien longtemps que je n'ai pas
vu de notre vieux blé.
Il porta le grain à sa bouche, en mordit un
morceau et mâcha le gruau:
— C'est bien cela, c'est notre blé...
— Mais, dis-moi, grand-père, où récoltait-on
ce blé? En as-tu semé dans tes champs? Ou
l'as-tu acheté à d'autres?
— De mon temps, répondit le vieillard, ce
blé se récoltait partout. Moi-même, toute ma
vie, je m'en suis nourri et j'en ai nourri les
autres.
— As-tu acheté quelque part de ce blé?
insista encore le tsar.
Le vieux eut un sourire de pitié :
— De mon temps, nul n'aurait voulu com-
mettre le péché de vendre du blé. L'argent!
nous ne savions même pas à quoi cela res-
semble. Chacun avait autant de blé qu'il lui
en fallait, personne n'avait besoin de ven-
dre, ni d'acheter... J'ai moi-même semé, coupé,
battu et moulu de ce blé-là...
— Mais où semais-tu ce blé et où était
ton champ ?
— Mon champ, répondit solennellement le
vieux, c'était la terre de Dieu... Où je la-
bourais, là était mon champ. La terre était
libre, personne ne la réclamait pour sienne;
on n'appelait sien que le fruit de son travail.
— J'ai encore deux questions à te poser,
mon vieux, dit le tsar. Pourquoi, autrefois,
récoltait-on de si gros grains, tandis qu'on
n'en trouve plus, maintenant? Et pourquoi ton
petit-fils marche-t-il sur deux béquilles, ton
fils sur une béquille et toi, tu as l'allure vive,
tes yeux sont clairs, tes dents solides et ta
parole distincte et affable? Dis, grand-père,
pourquoi tous ces changements?
Le vieux répondit aussitôt :
— Tous ces changements proviennent de
ce que les hommes ne vivent phis de leur
travail et convoitent le fruit du travail des
autres. De mon temps, on ne vivait pas ainsi;
de mon temps, on vivait selon la loi de Dieu,
ion se contentait du sien, et l'on ne s'appro-
priait pas le bien d'autrui.
LEON TOLSTOI
( Traduit du russe par M. CHEL DELINES.)
Le Grain de Blé gros comme un Oeuf
Des enfants du village trouvèrent, un jour,
dans un ravin, quelque chose qui était gros
comme un oeuf de poule et qui ressemblait à
un grain Ce blé, avec une rainure au milieu.
Un voyageur, qui passait par le village,
aperçut l'objet, l'acheta pour quelques copecks
et l'emporta avec lui à la ville. Il le vendit
chèrement au tsar, comme une curiosité rare.
Le tsar convoqua tous les sages de son
royaume et leur enjoignit de chercher ce que
pouvait être cet objet : un grain de blé ou
un oeuf.
Les sages réléchirent longuement, mais ne
purent donner aucune réponse.
Ce curieux objet était posé sur le rebord
d'une fenêtre du palais du tsar. Un jour,
une poule vint le picoter, y fit un trou, et
tout le monde put reconnaître que c'était un
grain.
Les sages vinrent aussi déclarer au tsar
que c'était un grain de seigle.
Grand fut l'émerveillement du tsar. Il donna
de nouveau l'ordre aux savants de rechercher
où et quand ce grain avait été produit.
Les savants réfléchirent mûrement, consul-
tèrent les livres, mais ne trouvèrent pas de
réponse.
— Dans nos livres, dirent-ils au tsar, il
n'y a rien sur ce grain... Faites venir des
moujiks. Peut-être l'un d'eux a-t-il entendu
dire aux vieux où et quand on semait des
grains semblables.
Le tsar ordonna qu'on lui amenât un vieux
paysan. Après des recherches, les serviteurs
du souverain revinrent accompagnés d'un vieux
moujik tout décrépit, sans dents, marchant
péniblement à l'aide de deux béquilles.
Le tsar montra le grain au vieux, mais celui-
ci avait déjà la vue trouble; il put à peine
distinguer le grain et le palpa en tâtonnant
pour mieux se rendre compte.
— Ne sais-tu pas, mon brave, lui demanda
le tsar, où l'on récoltait des grains sembla-
bles? Toi-même, n'en as-tu pas semé de pa-
reils? Ne t'est-il jamais arrivé d'en acheter?
Le vieux était sourd. Il entendit à peine
et ne comprit qu'à moitié les questions qu'on
lui posait.
— Non, répondit il, de ma vie je n'ai semé
du blé semblable. Je n'en ai non plus jamais
récolté ni acheté. Quand nous avons acheté
du blé, les grains en étaient toujours aussi
menus que ceux que nous possédons main-
tenant... Mais vous feriez bien de questionner
mon père; peut-être a-t-il entendu parler de
grains miraculeux de cette sorte.
Le tsar expédia des messagers en quête
du père du moujik. On le trouva bien vite et
on l'amena au palais. Le vieux entra plus
vaillamment que son fis, ne s'aidant que
d'une béquille pour marcher.
Le tsar lui montra le grain.
Le vieux avait encore bonne vue et le dis-
tingua nettement.
— Ne sais-tu pas, mon brave, où ont poussé,
de semblables grains? N'en as-tu pas semé
dans tes propres champs? Ou, peut-être, en
as-tu acheté chez des voisins?
Le vieux, à vrai dire, avait l'oreille dure
mais il entendait pourtant mieux que son fils.
— Non, répondit-il, je n'ai jamais ni semé,
ni coupé dans mes champs du blé semblable.
Je n'en ai jamais acheté, car, de mon temps,
on ne connaissait pas l'argent. Tous man-
geaient leur propre pain, et, en cas de dé-
tresse, on s'entr'aidait. Notre blé était, il est
vra, plus gros et rendait plus au battage
que celui que nous avons aujourd'hui; mais,
pourtant, il était bien loin d'égaler ce grain.
J'ai entendu dire à mon père que, de son
temps, le blé poussait mieux que le nôtre
et qu'il était plus gros et rendait davantage.
Tu ferais bien de l'interroger.
Le tsar fit mander le grand-père.
Le vieux entra sans béquille, d'une allure
souple, le regard vif; il entendait bien et par-
lait distinctement.
Le tsar lui montra le grain miraculeux.
Le vieillard le prit, le retourna, l'examina et
dit:
— Il y a bien longtemps que je n'ai pas
vu de notre vieux blé.
Il porta le grain à sa bouche, en mordit un
morceau et mâcha le gruau:
— C'est bien cela, c'est notre blé...
— Mais, dis-moi, grand-père, où récoltait-on
ce blé? En as-tu semé dans tes champs? Ou
l'as-tu acheté à d'autres?
— De mon temps, répondit le vieillard, ce
blé se récoltait partout. Moi-même, toute ma
vie, je m'en suis nourri et j'en ai nourri les
autres.
— As-tu acheté quelque part de ce blé?
insista encore le tsar.
Le vieux eut un sourire de pitié :
— De mon temps, nul n'aurait voulu com-
mettre le péché de vendre du blé. L'argent!
nous ne savions même pas à quoi cela res-
semble. Chacun avait autant de blé qu'il lui
en fallait, personne n'avait besoin de ven-
dre, ni d'acheter... J'ai moi-même semé, coupé,
battu et moulu de ce blé-là...
— Mais où semais-tu ce blé et où était
ton champ ?
— Mon champ, répondit solennellement le
vieux, c'était la terre de Dieu... Où je la-
bourais, là était mon champ. La terre était
libre, personne ne la réclamait pour sienne;
on n'appelait sien que le fruit de son travail.
— J'ai encore deux questions à te poser,
mon vieux, dit le tsar. Pourquoi, autrefois,
récoltait-on de si gros grains, tandis qu'on
n'en trouve plus, maintenant? Et pourquoi ton
petit-fils marche-t-il sur deux béquilles, ton
fils sur une béquille et toi, tu as l'allure vive,
tes yeux sont clairs, tes dents solides et ta
parole distincte et affable? Dis, grand-père,
pourquoi tous ces changements?
Le vieux répondit aussitôt :
— Tous ces changements proviennent de
ce que les hommes ne vivent phis de leur
travail et convoitent le fruit du travail des
autres. De mon temps, on ne vivait pas ainsi;
de mon temps, on vivait selon la loi de Dieu,
ion se contentait du sien, et l'on ne s'appro-
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