Titre : La France judiciaire : journal hebdomadaire universel / rédacteur en chef Pierre Prud'hon,...
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1931-07-05
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb327778784
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 1780 Nombre total de vues : 1780
Description : 05 juillet 1931 05 juillet 1931
Description : 1931/07/05 (A2,N29). 1931/07/05 (A2,N29).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5715380k
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, 4-F-2673
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/12/2010
- Aller à la page de la table des matièresI
- SOMMAIRE Dimanche 5 Juillet 1931. 2e ANNEE. - N° 29
— VII —
Par le D OCTAVE BÉLIARD
La Veuve était prête au rouge hyménée. On n'attendait
plus que le fiancé. Le fiancé, c'était Grapel, le sinistre médecin
qui empoisonna sa femme avec un raffinement d'atrocité dont
tout le monde se souvient.
La petite place, encore noire de nuit, s'emplissait de mur-
mures et de chants ivres, d'un gargouillis écoeurant d'égout.
Les portes ouvertes des bars laissaient traîner des reflets d'un
rouge canaille sur le tas gris de là foule, une horde de rôdeurs
qu'on sentait vile, fleurant l'ail et l'alcool. On n'était plus au
milieu d'hommes, mais -perdu dans une chose sans nom qui se
rue, qui grouille, la bête ancestrale retrouvant ses instincts dans
la nuit, dans le voisinage du sang et du crime. Quelques plastrons
blancs luisaient çà et là : la bête est plus effroyable quand elle
se pique d'élégance.
Des uniformes, raidis, faisaient barrière : l'autorité présidait
à la chose honteuse qu'on cache dans le petit matin, dans le coin
le plus sordide rie la ville, entre des maisons en loques, des murs
dartrcux, des fumées puantes. Il tombait un grésil lancinant.
Que faisais-jc là, horrifié d'avance, grelottant de froid, et les
mains sales d'une crasse ramassée Dieu sait où, comme s'il avait,
plu de la suie ?
Une voix connue murmura soudain ù mon oreille :
— Quel décor pour un départ dans l'autre monde ! Puisqu'il
faut tuer, ne serait-il pas humain de tuer dans la gloire du soleil,
dans le parfum des fleurs et le rire des façades somptueuses ?
Les Chinois sont plus pitoyables que nous ; ils torturent, mais
dans un jardin. Au moins, le condamné meurt avec du ciel dans
les yeux.
Je m'étais retourné.
— Comment, docteur, vous ici ?
Le professeur Morchain caressa l'éventail de sa belle barbe.
— Vous me croyez curieux de voir comment meurt un con-
frère ? Rassurez-vous, ma profession m'ôte toute chance de
m'émouvoir. Je ne viens que prendre possession d'un legs. Cra-
pel, pris d'un zèle tardif pour la science, a demandé qu'on me
remît sa tête.
— Et vous voulez...
— Pénétrer enfin lé secret do l'échafaud. La mort du déca-
pité est-elle instantanée, irrémédiable ? Mystère impénétrable
jusqu'ici. On livre aux médecins des cadavres qui, après un simu-
lacre d'obsèques, ont déjà eu le temps do subir presque toutes
les modifications de la mort. A quoi sert au savant l'électrisa-
tion des têtes coupées, l'éveil d'une vie factice ? Viol inutile. Je
voudrais faire mieux : retenir la vie qui s'évapore, tandis qu'il
— 499 —
Par le D OCTAVE BÉLIARD
La Veuve était prête au rouge hyménée. On n'attendait
plus que le fiancé. Le fiancé, c'était Grapel, le sinistre médecin
qui empoisonna sa femme avec un raffinement d'atrocité dont
tout le monde se souvient.
La petite place, encore noire de nuit, s'emplissait de mur-
mures et de chants ivres, d'un gargouillis écoeurant d'égout.
Les portes ouvertes des bars laissaient traîner des reflets d'un
rouge canaille sur le tas gris de là foule, une horde de rôdeurs
qu'on sentait vile, fleurant l'ail et l'alcool. On n'était plus au
milieu d'hommes, mais -perdu dans une chose sans nom qui se
rue, qui grouille, la bête ancestrale retrouvant ses instincts dans
la nuit, dans le voisinage du sang et du crime. Quelques plastrons
blancs luisaient çà et là : la bête est plus effroyable quand elle
se pique d'élégance.
Des uniformes, raidis, faisaient barrière : l'autorité présidait
à la chose honteuse qu'on cache dans le petit matin, dans le coin
le plus sordide rie la ville, entre des maisons en loques, des murs
dartrcux, des fumées puantes. Il tombait un grésil lancinant.
Que faisais-jc là, horrifié d'avance, grelottant de froid, et les
mains sales d'une crasse ramassée Dieu sait où, comme s'il avait,
plu de la suie ?
Une voix connue murmura soudain ù mon oreille :
— Quel décor pour un départ dans l'autre monde ! Puisqu'il
faut tuer, ne serait-il pas humain de tuer dans la gloire du soleil,
dans le parfum des fleurs et le rire des façades somptueuses ?
Les Chinois sont plus pitoyables que nous ; ils torturent, mais
dans un jardin. Au moins, le condamné meurt avec du ciel dans
les yeux.
Je m'étais retourné.
— Comment, docteur, vous ici ?
Le professeur Morchain caressa l'éventail de sa belle barbe.
— Vous me croyez curieux de voir comment meurt un con-
frère ? Rassurez-vous, ma profession m'ôte toute chance de
m'émouvoir. Je ne viens que prendre possession d'un legs. Cra-
pel, pris d'un zèle tardif pour la science, a demandé qu'on me
remît sa tête.
— Et vous voulez...
— Pénétrer enfin lé secret do l'échafaud. La mort du déca-
pité est-elle instantanée, irrémédiable ? Mystère impénétrable
jusqu'ici. On livre aux médecins des cadavres qui, après un simu-
lacre d'obsèques, ont déjà eu le temps do subir presque toutes
les modifications de la mort. A quoi sert au savant l'électrisa-
tion des têtes coupées, l'éveil d'une vie factice ? Viol inutile. Je
voudrais faire mieux : retenir la vie qui s'évapore, tandis qu'il
— 499 —
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 91.8%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 91.8%.
-
-
Page
chiffre de pagination vue 11/20
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k5715380k/f11.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k5715380k/f11.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k5715380k/f11.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k5715380k/f11.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k5715380k
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k5715380k
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k5715380k/f11.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest