Titre : Les Annales politiques et littéraires : revue populaire paraissant le dimanche / dir. Adolphe Brisson
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1899-11-26
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 42932 Nombre total de vues : 42932
Description : 26 novembre 1899 26 novembre 1899
Description : 1899/11/26 (A17,T33,N857). 1899/11/26 (A17,T33,N857).
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5709781b
Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-34518
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 01/12/2010
LES ANNALES POLITIQUES ET LITTÉRAIRES 351
Si, au contraire, le vent règne, il charrie
partout les poussières et l'horizon apparaît
ruineux, bien que la pluie soit sur le point
de tomber. Le pronostic ne s'applique qu'au
temps calme. Le ciel reste d'ailleurs clair
immédiatement après la pluie, précisément
parce que l'air a été dépouillé de ses impu-
retés ; on y porte moins d'attention parce que
l'oeil a déjà été habitué au changement. D'ail-
leurs, après la pluie succède le vent du
Nord-Ouest qui ramasse et fait voltiger les
poussières, et la visibilité diminue rapide-
ment. Pendant la pluie, la visibilité est na-
turellement atténuée par l'excès de vapeur
d'eau.
Il s'agit donc d'un phénomène très simple,
très facile à observer partout et qui peut,
quelque ois, guider dans le pronostic d'un
changement de temps.
PSYCHOLOGIE
SUGGESTION ET AUTOSUGGESTION
L'imagination est la folle du logis.
On peut le dire, mais surtout ne pas le
croire. Que ferait l'homme sans elle ? Que
ferait le savant ? Que ferait l'artiste ? L'ima-
gination est une puissance formidable, un
des plus féconds attributs de l'intelligence
humaine. Seulement, elle revêt bien des
formes : des bonnes et des mauvaises, des
folles et des sensées, des utiles et des nuisi-
bles, des séduisantes et même des bouffon-
nes. Il convient donc de les regarder de
près avant de médire ou d'admirer.
Il existe aussi une variété que l'on dési-
gne couramment de nos jours sous le nom
d'autosuggestion, dont il faut se défier par-
ticulièrement. Elle peut nous conduire fort
loin, et même donner le pas à l'erreur sur
la vérité. On a des exemples anodins, mais
aussi des exemples dangereux. Les esprits
les plus positifs s'y sont laissé prendre. Je
voudrais simplement citer, aujourd'hui, un
cas amusant qui démontre très nettement
jusqu'à quel point l'autosuggestion peut
tromper des hommes même habitués à l'ob-
servation. Le fait a été raconté par M. Slos-
son et s'est passé à l'Université de Wyo-
ming :
« J'avais préparé, dit M. Slosson, une
bouteille remplie d'eau distillée soigneuse-
ment enveloppée dans de la ouate et enfer-
mée dans une boîte. Après quelques expé-
riences faites dans une conférence, je dé-
clarai que je désirais me rendre compte
avec quelle rapidité une odeur se diffuserait
dans l'air de l'amphithéâtre. En consé-
quence, je demandais aux assistants de
lever les mains aussitôt u'ils percevraient
l'odeur.
» J'enlevai le coton de la bouteille avec
précaution et je versai, à la surface, un peu
du contenu du flacon, en faisant mine de
m'éloigner un peu. Je pris une montre à
secondes et j'attendis le résultat.
» J'expliquai à haute voix que j'étais ab-
solument certain que personne, dans l'audi-
toire, n'avait jamais senti l'odeur du com-
posé chimique que je venais de verser et
j'exprimai l'espoir que, si l'odeur devait
sembler forte et caractéristique, du moins
elle n'incommoderait personne. »
Puissance de la suggestion! Au bout de
15 secondes, la plupart des auditeurs placés
près du professeur levèrent la main. En 40
secondes, l'« odeur » se répandit jusqu'au
fond de l'amphithéâtre par ondes parallèles
assez régulières. Les trois quarts environ
de l'assistance déclarèrent percevoir l'odeur:
« Un plus grand nombre d'auditeurs au-
raient, sans doute, succombé à la sugges-
tion si, au bout d'une minute, dit M. Slos-
son, je n'avais été obligé d'arrêter l'expé-
rience. Plusieurs des auditeurs du premier
rang se trouvèrent gênés par l'« odeur »
au point de vouloir quitter la salle ! »
Voilà l'effet d'un peu d'eau claire !
On n'aura pas de peine, après cet exem-
ple décisif, à croire à bien d'autres sugges-
tions d'ordre matériel. Quel est le médecin
qui n'a purgé ses malades avec des boulet-
tes de mie de pain ? Quel est celui qui n'a
guéri tant de petits maux échappant aux
médicaments ordinaires par des élixirs fan-
taisistes ? Tout cela est connu et bien connu
aujourd'hui.
L'autosuggestion est tout aussi puissante
et réelle. Si l'histoire du hareng qui bou-
chait le port de Marseille n'était qu'un joli
conte de la Canebière, elle en offrirait un
exemple saisissant. A force d'annoncer la
nouvelle, le Marseillais s'arrêta pensif. Se
frappant le iront :
— Si c'était vrai, tout de même !
Et, autosuggestionné, il courut jusqu'au
port. Mais le cas suivant, moins drôle, est
du moins authentique. Il s'agit d'un profes-
seur éminent d'astronomie. Un matin, en
finissant son cours, il dit en souriant à ses
élèves, dont il était très aimé :
— Quant aux habitants de la lune, n'en
doutez pas, ils existent, et ils existent si
bien que je les ai vus !
Il recommença la plaisanterie souvent. Si
bien qu'un jour, dans un discours de distri-
bution do prix, à l'hilarité générale, on l'en-
tendit lire :
— Je pourrais avec raison, messieurs,
comparer ces hommes du Midi aux habi-
tants de la lune, que j'ai vus.
Et il le croyait comme il le disait. Il est
impossible d'être plus autosuggestionné!
Prenons donc garde à certaines formes do
l'imagination, et surtout à la suggestion et
à l'autosuggestion.
HISTOIRE NATURELLE
LES PIGEONS VOYAGEURS EN ALLEMAGNE
La question de l'utilisation des pigeons
voyageurs pour la transmission des dé-
pêches militaires est toujours à l'ordre du
jour en Allemagne ; dans le courant de cette
année, de nombreux lâchers ont été effectués
sur divers points du territoire de l'empire,
notamment dans la forteresse de Spandau.
La plupart des villes allemandes possè-
dent maintenant une Société qui s'occupe
du dressage, de l'entraînement et de l'en-
tretien des pigeons voyageurs; c'est surtout
en Westphalic que ce genre de sport est en
honneur.
Les Sociétés de Hamm, Duisburg, Gelsen-
kirchen ont obtenu les résultats les plus sa-
tisfaisants; les perles qu'elles ont subies
n'ont pas dépassé la proportion de 10 p. 100
du nombre des pigeons qui avaient pris part
aux lâchers. Au contraire, les Sociétés de
Dortmund et de Boschum ont perdu la moi-
tié de leurs pigeons, généralement morts de
fatigue ou victimes de l'état atmosphérique.
HENRI DE PARVILLE.
UN LEGS
(NOUVELLE)
A l'époque où j'habitais encore ma petite
ville lorraine, je rencontrais fréquemment,
à la bibliothèque municipale, un visiteur l'
assidu, qui avait obtenu le prêt des livres et
qui en laisait une prodigieuse consomma-
tion. Ce qu'il dévorait de récits de voyages
et de traités de géographie, était incalcu-
lable. Toutefois, à ces lectures techniques
il adjoignait, de temps à autre, des recueils
de vers romantiques. Ce goût singulier pour
la poésie chez un vieillard d'humeur peu
sentimentale, d'esprit positif et que l'idéal
ne tourmentait guère, avait fini par piquer
ma curiosité. Bien que les façons bourrues
et plutôt rébarbatives du personnage invi-
tassent peu à la familiarité, j'essayai de lier
connaissance avec lui et j'y parvins à la
longue. En ma qualité de bibliothécaire
amateur, j'étais chargé de surveiller le prêt
des livres et l'empressement que je mettais
à satisfaire les fantaisies de cet enragé li-
seur, me concilia ses bonnes grâces. Par-
fois, quittant ensemble la salle de lecture,
nous prenions par les remparts et je le.
reconduisais jusqu'à la maison qu'il occu-
pait dans le faubourg, une maison isolée au
milieu d'un jardin en friche et où il ne lais-
sait pénétrer personne.
Cet original se nommait Jean Faubert ;
mais, dans la ville, on l'appelait tout sim-
plement le « Commandeur ». Commandeur
de quoi?... Il n'était décoré d'aucun ordre
et cette appellation étrange resta pour moi
une énigme, jusqu'au jour où une âme cha-
ritable, comme on en trouve souvent en
province, m'expliqua qu'on donnait, aux
Antilles, ce nom de « Commandeur » aux
chefs des escouades de nègres attachées à
une plantation, et ajouta qu'on soupçonnait
fortement Faubert d'avoir fait la traite
avant 1848.
Je dois convenir que ce diable d'homme
avait, en effet, la mine de l'emploi. De taille
moyenne, maigre, trapu et robuste, il se
maintenait très vert, bien qu'il comptât
soixante-dix ans. Il gardait dans le geste,
dans le froncement de ses sourcils brous-
sailleux, dans le son de sa voix cassante,
dans la façon de lancer loin de lui un brus-
que jet de salive, quelque chose de brutal
et de cyniquement autoritaire. Rien qu'à
voir le moulinet suggestif qu'il imprimait à
sa canne, on se disait qu'il avait fort bien
Eu manier le fouet du négrier. Ses cheveux
blancs, courts, crépus, descendaient très
bas sur un front carré et impitoyable. Ses
petits yeux clairs avaient la dureté de l'onyx,
avec, parfois, une froide lueur de menace
quand on le contrecarrait. Son visage tanné
était marqué de petite vérole et une balafre
à la lèvre supérieure donnait à sa bouche
une expression de cruelle énergie. Ayant
quitté sa ville natale à vingt ans, il n'y était
revenu que sexagénaire et possesseur d'une
fortune assez ronde, dont l'origine demeu-
rait inexpliquée. Il ne parlait pas volontiers
de la période de sa vie comprise entre, son
départ et son retour. Pourtant, quand notre
intimité fut mieux établie et qu'il devint
plus oxpansif, il lui arrivait parfois de lais-
ser échapper, dans l'entraînement d'une dis-
cussion ou d'un récit, certains mots ou quel-
ques brèves confidences qui ouvraient une.
soudaine échappée sur son passé aventu-
reux et qui, je l'avoue, étaient de nature à
confirmer les défavorables rumeurs relati-
ves à son ancienne profession.
Une lois, entre autres, nous causions
d'histoire naturelle et, à propos de la
voracité des requins, il s'oublia à me
dire :
— Ces gredins-là flairent d'avance les
aubaines qui les attendent... Une année,
monsieur, je naviguais dans le golfe du
Mexique avec un convoi de nègres qui
émigraient à la Nouvelle-Orléans. Nous les
avions logés dans l'entrepont ; ils s'y trou-
vaient mal à l'aise et se laissaient mourir
comme des mouches. De temps en temps, il
en claquait un ou deux, et nous nous hâ-
tions de les jeter à la mer. Les requins le
savaient, monsieur... Ils nous suivaient à
la piste et nous les voyions grouiller autour
de la coque, comme ces pauvres diables
qui s'attroupent aux portes des casernes, à
l'heure de la soupe. Ils espéraient la chair
noire, ils l'attendaient comme leur dû, et
ils nous firent la conduite jusqu'à l'entrée
du port...
Il racontait cela simplement, ainsi qu'une
chose toute naturelle, avec un sourire qui
retroussait cruellement sa lèvre balafrée;
et, en l'écoutant, je sentais un petit frisson
me courir dans le dos.
Malgré tout, et à cause même du mys-
tère qui enveloppait son passé énigmatiqu'e,
je cultivais volontiers la société du « Com-
mandeur ». De son côté, il me prenait peu
à pou en amitié et me la marquait en m'in-
Si, au contraire, le vent règne, il charrie
partout les poussières et l'horizon apparaît
ruineux, bien que la pluie soit sur le point
de tomber. Le pronostic ne s'applique qu'au
temps calme. Le ciel reste d'ailleurs clair
immédiatement après la pluie, précisément
parce que l'air a été dépouillé de ses impu-
retés ; on y porte moins d'attention parce que
l'oeil a déjà été habitué au changement. D'ail-
leurs, après la pluie succède le vent du
Nord-Ouest qui ramasse et fait voltiger les
poussières, et la visibilité diminue rapide-
ment. Pendant la pluie, la visibilité est na-
turellement atténuée par l'excès de vapeur
d'eau.
Il s'agit donc d'un phénomène très simple,
très facile à observer partout et qui peut,
quelque ois, guider dans le pronostic d'un
changement de temps.
PSYCHOLOGIE
SUGGESTION ET AUTOSUGGESTION
L'imagination est la folle du logis.
On peut le dire, mais surtout ne pas le
croire. Que ferait l'homme sans elle ? Que
ferait le savant ? Que ferait l'artiste ? L'ima-
gination est une puissance formidable, un
des plus féconds attributs de l'intelligence
humaine. Seulement, elle revêt bien des
formes : des bonnes et des mauvaises, des
folles et des sensées, des utiles et des nuisi-
bles, des séduisantes et même des bouffon-
nes. Il convient donc de les regarder de
près avant de médire ou d'admirer.
Il existe aussi une variété que l'on dési-
gne couramment de nos jours sous le nom
d'autosuggestion, dont il faut se défier par-
ticulièrement. Elle peut nous conduire fort
loin, et même donner le pas à l'erreur sur
la vérité. On a des exemples anodins, mais
aussi des exemples dangereux. Les esprits
les plus positifs s'y sont laissé prendre. Je
voudrais simplement citer, aujourd'hui, un
cas amusant qui démontre très nettement
jusqu'à quel point l'autosuggestion peut
tromper des hommes même habitués à l'ob-
servation. Le fait a été raconté par M. Slos-
son et s'est passé à l'Université de Wyo-
ming :
« J'avais préparé, dit M. Slosson, une
bouteille remplie d'eau distillée soigneuse-
ment enveloppée dans de la ouate et enfer-
mée dans une boîte. Après quelques expé-
riences faites dans une conférence, je dé-
clarai que je désirais me rendre compte
avec quelle rapidité une odeur se diffuserait
dans l'air de l'amphithéâtre. En consé-
quence, je demandais aux assistants de
lever les mains aussitôt u'ils percevraient
l'odeur.
» J'enlevai le coton de la bouteille avec
précaution et je versai, à la surface, un peu
du contenu du flacon, en faisant mine de
m'éloigner un peu. Je pris une montre à
secondes et j'attendis le résultat.
» J'expliquai à haute voix que j'étais ab-
solument certain que personne, dans l'audi-
toire, n'avait jamais senti l'odeur du com-
posé chimique que je venais de verser et
j'exprimai l'espoir que, si l'odeur devait
sembler forte et caractéristique, du moins
elle n'incommoderait personne. »
Puissance de la suggestion! Au bout de
15 secondes, la plupart des auditeurs placés
près du professeur levèrent la main. En 40
secondes, l'« odeur » se répandit jusqu'au
fond de l'amphithéâtre par ondes parallèles
assez régulières. Les trois quarts environ
de l'assistance déclarèrent percevoir l'odeur:
« Un plus grand nombre d'auditeurs au-
raient, sans doute, succombé à la sugges-
tion si, au bout d'une minute, dit M. Slos-
son, je n'avais été obligé d'arrêter l'expé-
rience. Plusieurs des auditeurs du premier
rang se trouvèrent gênés par l'« odeur »
au point de vouloir quitter la salle ! »
Voilà l'effet d'un peu d'eau claire !
On n'aura pas de peine, après cet exem-
ple décisif, à croire à bien d'autres sugges-
tions d'ordre matériel. Quel est le médecin
qui n'a purgé ses malades avec des boulet-
tes de mie de pain ? Quel est celui qui n'a
guéri tant de petits maux échappant aux
médicaments ordinaires par des élixirs fan-
taisistes ? Tout cela est connu et bien connu
aujourd'hui.
L'autosuggestion est tout aussi puissante
et réelle. Si l'histoire du hareng qui bou-
chait le port de Marseille n'était qu'un joli
conte de la Canebière, elle en offrirait un
exemple saisissant. A force d'annoncer la
nouvelle, le Marseillais s'arrêta pensif. Se
frappant le iront :
— Si c'était vrai, tout de même !
Et, autosuggestionné, il courut jusqu'au
port. Mais le cas suivant, moins drôle, est
du moins authentique. Il s'agit d'un profes-
seur éminent d'astronomie. Un matin, en
finissant son cours, il dit en souriant à ses
élèves, dont il était très aimé :
— Quant aux habitants de la lune, n'en
doutez pas, ils existent, et ils existent si
bien que je les ai vus !
Il recommença la plaisanterie souvent. Si
bien qu'un jour, dans un discours de distri-
bution do prix, à l'hilarité générale, on l'en-
tendit lire :
— Je pourrais avec raison, messieurs,
comparer ces hommes du Midi aux habi-
tants de la lune, que j'ai vus.
Et il le croyait comme il le disait. Il est
impossible d'être plus autosuggestionné!
Prenons donc garde à certaines formes do
l'imagination, et surtout à la suggestion et
à l'autosuggestion.
HISTOIRE NATURELLE
LES PIGEONS VOYAGEURS EN ALLEMAGNE
La question de l'utilisation des pigeons
voyageurs pour la transmission des dé-
pêches militaires est toujours à l'ordre du
jour en Allemagne ; dans le courant de cette
année, de nombreux lâchers ont été effectués
sur divers points du territoire de l'empire,
notamment dans la forteresse de Spandau.
La plupart des villes allemandes possè-
dent maintenant une Société qui s'occupe
du dressage, de l'entraînement et de l'en-
tretien des pigeons voyageurs; c'est surtout
en Westphalic que ce genre de sport est en
honneur.
Les Sociétés de Hamm, Duisburg, Gelsen-
kirchen ont obtenu les résultats les plus sa-
tisfaisants; les perles qu'elles ont subies
n'ont pas dépassé la proportion de 10 p. 100
du nombre des pigeons qui avaient pris part
aux lâchers. Au contraire, les Sociétés de
Dortmund et de Boschum ont perdu la moi-
tié de leurs pigeons, généralement morts de
fatigue ou victimes de l'état atmosphérique.
HENRI DE PARVILLE.
UN LEGS
(NOUVELLE)
A l'époque où j'habitais encore ma petite
ville lorraine, je rencontrais fréquemment,
à la bibliothèque municipale, un visiteur l'
assidu, qui avait obtenu le prêt des livres et
qui en laisait une prodigieuse consomma-
tion. Ce qu'il dévorait de récits de voyages
et de traités de géographie, était incalcu-
lable. Toutefois, à ces lectures techniques
il adjoignait, de temps à autre, des recueils
de vers romantiques. Ce goût singulier pour
la poésie chez un vieillard d'humeur peu
sentimentale, d'esprit positif et que l'idéal
ne tourmentait guère, avait fini par piquer
ma curiosité. Bien que les façons bourrues
et plutôt rébarbatives du personnage invi-
tassent peu à la familiarité, j'essayai de lier
connaissance avec lui et j'y parvins à la
longue. En ma qualité de bibliothécaire
amateur, j'étais chargé de surveiller le prêt
des livres et l'empressement que je mettais
à satisfaire les fantaisies de cet enragé li-
seur, me concilia ses bonnes grâces. Par-
fois, quittant ensemble la salle de lecture,
nous prenions par les remparts et je le.
reconduisais jusqu'à la maison qu'il occu-
pait dans le faubourg, une maison isolée au
milieu d'un jardin en friche et où il ne lais-
sait pénétrer personne.
Cet original se nommait Jean Faubert ;
mais, dans la ville, on l'appelait tout sim-
plement le « Commandeur ». Commandeur
de quoi?... Il n'était décoré d'aucun ordre
et cette appellation étrange resta pour moi
une énigme, jusqu'au jour où une âme cha-
ritable, comme on en trouve souvent en
province, m'expliqua qu'on donnait, aux
Antilles, ce nom de « Commandeur » aux
chefs des escouades de nègres attachées à
une plantation, et ajouta qu'on soupçonnait
fortement Faubert d'avoir fait la traite
avant 1848.
Je dois convenir que ce diable d'homme
avait, en effet, la mine de l'emploi. De taille
moyenne, maigre, trapu et robuste, il se
maintenait très vert, bien qu'il comptât
soixante-dix ans. Il gardait dans le geste,
dans le froncement de ses sourcils brous-
sailleux, dans le son de sa voix cassante,
dans la façon de lancer loin de lui un brus-
que jet de salive, quelque chose de brutal
et de cyniquement autoritaire. Rien qu'à
voir le moulinet suggestif qu'il imprimait à
sa canne, on se disait qu'il avait fort bien
Eu manier le fouet du négrier. Ses cheveux
blancs, courts, crépus, descendaient très
bas sur un front carré et impitoyable. Ses
petits yeux clairs avaient la dureté de l'onyx,
avec, parfois, une froide lueur de menace
quand on le contrecarrait. Son visage tanné
était marqué de petite vérole et une balafre
à la lèvre supérieure donnait à sa bouche
une expression de cruelle énergie. Ayant
quitté sa ville natale à vingt ans, il n'y était
revenu que sexagénaire et possesseur d'une
fortune assez ronde, dont l'origine demeu-
rait inexpliquée. Il ne parlait pas volontiers
de la période de sa vie comprise entre, son
départ et son retour. Pourtant, quand notre
intimité fut mieux établie et qu'il devint
plus oxpansif, il lui arrivait parfois de lais-
ser échapper, dans l'entraînement d'une dis-
cussion ou d'un récit, certains mots ou quel-
ques brèves confidences qui ouvraient une.
soudaine échappée sur son passé aventu-
reux et qui, je l'avoue, étaient de nature à
confirmer les défavorables rumeurs relati-
ves à son ancienne profession.
Une lois, entre autres, nous causions
d'histoire naturelle et, à propos de la
voracité des requins, il s'oublia à me
dire :
— Ces gredins-là flairent d'avance les
aubaines qui les attendent... Une année,
monsieur, je naviguais dans le golfe du
Mexique avec un convoi de nègres qui
émigraient à la Nouvelle-Orléans. Nous les
avions logés dans l'entrepont ; ils s'y trou-
vaient mal à l'aise et se laissaient mourir
comme des mouches. De temps en temps, il
en claquait un ou deux, et nous nous hâ-
tions de les jeter à la mer. Les requins le
savaient, monsieur... Ils nous suivaient à
la piste et nous les voyions grouiller autour
de la coque, comme ces pauvres diables
qui s'attroupent aux portes des casernes, à
l'heure de la soupe. Ils espéraient la chair
noire, ils l'attendaient comme leur dû, et
ils nous firent la conduite jusqu'à l'entrée
du port...
Il racontait cela simplement, ainsi qu'une
chose toute naturelle, avec un sourire qui
retroussait cruellement sa lèvre balafrée;
et, en l'écoutant, je sentais un petit frisson
me courir dans le dos.
Malgré tout, et à cause même du mys-
tère qui enveloppait son passé énigmatiqu'e,
je cultivais volontiers la société du « Com-
mandeur ». De son côté, il me prenait peu
à pou en amitié et me la marquait en m'in-
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