Titre : Les Annales politiques et littéraires : revue populaire paraissant le dimanche / dir. Adolphe Brisson
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1896-08-09
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 42932 Nombre total de vues : 42932
Description : 09 août 1896 09 août 1896
Description : 1896/08/09 (A14,T27,N685). 1896/08/09 (A14,T27,N685).
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5709584w
Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-34518
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 01/12/2010
LES ANNALES POLITIQUES ET LITTERAIRES
89
roi Louis II ; je parle de ce margrave qui
eut, dix-sept ans, pour premier ministre, la
tragédienne de Voltaire et de Marmoritel,
Clairon la claironnante. La ville est jolie,
en somme, avec ses rues larges, ses places
régulières, ses fontaines et ses architec-
tures décorées de roçailles, son petit théâtre
coquet qu'égaye toujours le sourire des
Amours d'autrefois, peints, de ci, de là,
parmi des guirlandes.
Peu de mouvement, par exemple, et si
peu de bruit que les habitants ont l'air de
marcher sur la pointe des pieds. Sur notre
route se dresse, en pied, la statue assez
laide d'un homme assez lourd : ce téné-
breux Jean-Paul Richter, qu'on nomme
Jean-Paul tout court quand on a des pré-
tentions à la littérature. Je me rappelle
avoir pris langue, en cet endroit, avec un
Parisien qui portait son Jean-Paul aux nues
et trouvait Wagner obscur. Mais, au diable
soit, pour le quart d'heure, l'auteur de
Titan et d'Attila Schmütze! Revenons sur
nos pas. Là-bas est la maison du maître, à
l'autre extrémité du Ren-Weg, au milieu
d'un jardin, en regard du théâtre des Nie-
belungs, isolé comme une tombe sur sa col-
line verte.
X
Elle est simple et riante, la maison de
Richard Wagner, en son cadre de feuillage,
quoique d'un aspect singulier, massive,
carrée, percée de peu d'ouvertures en fa-
çade, flanquée d'un petit avant-corps cen-
tral ouvrant sur le perron. Un buste colos-
sal du roi Louis, en bronze mordoré, émerge,
à dix pas de la porte, d'une corbeille de
fleurs. Qu'est-ce que cette allégorie, tracée
en noir au-dessus de l'entrée, sur la mu-
raille blanche, et que signifie cette inscrip-
tion développée en frise des deux côtés ?
L'allégorie figure la poésie lyrique et la
poésie dramatique sous les traits de Mme
Schneider-Devriendt, la grande cantatrice,
saluant l'art nouveau à qui les corbeaux du
vieil Odin révèlent le sens des légendes.
Pour l'inscription, elle se peut ainsi tra-
duire : « Ici mes rêves ont trouvé leur
paix. C'est pourquoi j'ai nommé cette mai-
son Wahnfried — la Paix du rêve ».
Au dehors, un beau vestibule cammande
les appartements. Au fond, s'ouvre un salon
original et superbe, ample, haut comme une
salie de concert, meublé somptueusement,
terminé par une demi-rotonde dont les larges
baies, drapées de rouge, prennent jour sur le
parc. Les portraits de Listz, de Mme Wagner,
de Wagner lui-même, de Mme d'Agoult et
de Schopenhauer, le philosophe de Franc-
fort, presque tous virilement enlevés par le
peintre Lenbach, éclatent sur les tentures.
Là est le grand piano à queue devant lequel
vient quelquefois — bien rarement— s'as-
seoir le maître. Autour de cette table,
Mme Wagner préside, chaque soir, l'assem-
blée de ses cinq enfants Sur ce bureau, le
puissant compositeur a écrit l'orchestre de
la Walkyrie et de Parsifal, comme en se
jouant. Chaque meuble a son histoire ; l'air
vibre encore des anciens concerts. Ici re-
tentit pour la première fois l'Idylle de Sieg-
fried et le Prélude de Parsifal. Ici sonnè-
rent, sous la direction de Wagner, les der-
niers Quatuors de Beethoven et plusieurs
Symphonies. C'est d'ici que la chevauchée
des Vierges du destin s'est élancée. Ce
lieu est un sanctuaire.
X
Je ne sais plus quel humoriste soutenait
que les grands artistes ont une vie physique
plus visiblement active que les simples mor-
tels. Il en est ainsi, tout au moins, pour le
musicien de l'Anneau du Niebelung. On se-
l'imagine ordinairement comme un homme
de haute taille et construit en hercule. Point
du tout. Il est petit. Sa tête énorme repose
sur des épaules quasi chétives. Sous les
cheveux blanchis, le front bombe. Des favo-
ris argentés encadrent la face nerveuse, aux
traits accentués, profilés d'un trait net,
éclairés de deux yeux gris d'où jaillissent
des étincelles, Nulle physionomie ne fut
plus noble; mais tout le corps, l'être entier
agit, se dépense en accord avec la physio-
nomie. Ce qui caractérise cette organisation
prodigieusement sensible, c'est l'intensité
d'une vie toujours frémissante et bouillon-
lante.
Lorsqu'il arrive à Wagner de s'abandon-
ner au fil des souvenirs, sa verve ne tarit
point. De quelle plaisante sorte il raconte
ses débuts à Paris, alors qu'il s'installait
misérablement rue de la Tonnellerie, entre
ses illusions et ses espérances ! Comme il
fallait vivre, il réduisait pour piano et chant
des partitions d'Halévy et de Donizetti.
Quelle existence ! Le matin, transcrire la
musique de son Rienzi et le poème de son
Vaisseau-Fantôme ; le soir, improviser des
arrangements d'airs en vogue pour flûte et
cornet à pistons! Un moment, son opéra
des Fées a dû être mis en répétition au
Théâtre-Historique... Hélas ! la faillite est
survenue. Le théâtre des Variétés ne veut
pas de lui comme compositeur de vaude-
villes... Qui croirait que l'auteur de Tristan
a failli être le prédécesseur d'Offenbach !...
En même temps, l'Opéra refuse son Rienzi
et achète son poème du Vaisseau-Fantôme,
dont Diestch fera la musique. Enfin, n'en
pouvant plus, il regagne sa patrie, où le
succès l'appelle, où la gloire l'attend.
Soudainement quelqu'un l'interpelle :
— Maître, pensez-vous avoir eu à vous
plaindre sérieusement des Français ?
— Allons donc! répond-il. Ce que j'ai eu
à souffrir des Français n'est rien auprès de
ce que m'ont infligé d'ennuis et de tracas-
series mes chers compatriotes Je veux bien
que l'on m'ait un peu tympanisé à Paris;
mais croyez-vous qu'on m'ait, dans mon
pays même, épargné grand chose ? Il y a,
en Allemagne, des cuistres qui se prennent
au sérieux parce qu'ils ont le grade de doc-
teur et qui ne veulent pas admettre mes
oeuvres sous prétexte qu'il est ridicule de
vouloir constituer un art national. Les
aneries qu'ils écrivent, pour être rédigées
en style philosophique, n'en sont pas moins
des âneries. En France, trois sortes de per-
sonnes s'occupent de moi, si je ne me
trompe : celles qui connaissent ma mu-
sique, et qui sont rares; celles qui ne la
connaissent pas et qui l'aiment, et celles
qui la détestent sans la connaître...
On ne peut s'empêcher de rire à cette
saillie; mais Wagner continue :
— On me suppose des rancunes. Des ran-
cunes ! Et pourquoi? Parce qu'on a sifflé
Tannhoeuser? Est-on bien sûr; d'abord, de
l'avoir entendu tel qu'il est ? Auber le sa-
vait, lui à qui j'avais conté mes doléances.
Que voulez-vous? Le moment n'était pas
encore venu de la musique sincère. Pour la
presse, je n'ai pas eu à en pâtir au point
qu'on a dit. Je n'ai pas fait des visites aux
critiques, comme Meyerbeer. Mais Baude-
laire, Champfleury, Schuré et d'autres n'en
ont pas moins écrit les plus belles pages
qu'ait inspirées mon oeuvre. Aujourd'hui
encore, c'est de Paris que me viennent les
appréciations les plus flatteuses. Vous le
voyez, enfin, je n'ai pas lieu d'être aussi"
mécontent qu'on l'affirme, et je. ne le suis
pas. Et j'ai, qui plus est, l'assurance que,
lorsque les Français joueront mes drames,
aucun peuple ne les jouera comme eux....
Aux yeux de Wagner, l'illogisme des
poèmes d'opéra offerts à nos compositeurs
est le pire obstacle à l'émancipation de la
musique dramatique. Une question qu'on
lui pose l'amène à s'expliquer :
— Que chaque nation, dit-il, s'inspire de
sa vieille histoire légendaire. C'est là qu'elle
trouvsra l'expression de son humanité à
l'état le plus pur. Montrez vos héros tels
qu'ils sont, et d'emblée. Evitez les compli-
cations, les subtilités, les inutiles péripéties.
Si vous voulez que la musique soit à l'action
ce que la nappe d'un fleuve est au lit qui
la contient ou, mieux que cela, ce que
l'âme est au corps, ayez souci de l'intimité,
de l'unité du poème : tout dérive de là. Ayez
des drames simples, substantiels, semblables
à de grands tableaux intéressant les hom-
mes de notre race et leur parlant d'eux-
mêmes ; animez-les d'une musique que vous
tirerez, non de votre mémoire, mais de
votre intelligence des situations, de l'âme
de vos héros, des événements de votre
fable, et vous ferez peur votre pays ce qui
doit être fait.
X
Après quinze années révolues, je rappelle
toutes ces choses. Quels changements sur-
venus ! Le maître dort son dernier sommeil
à l'ombre des arbres de Wahnfried, où chante'
l'oiseau de la forêt de Siegfried. Dépuis
plus de trois ans, Lohengrin est acclamé à
l'Opéra. En sommes-nous plus allemands
que par le passé? — Non, cent fois non!
Nous comprenons la leçon des chefs-d'oeuvre
— et le vrai, l'ardent et saint patriotisme
n'est en nous que plus fort.
L. DE FOURCAUD.
PAGES OUBLIEES
Voici les vacances... Les plages se peuplent. La
mer attire tous ceux qui ont quelques semaines de
liberté. Nous consacrons à décrire les délices de la
mer les gravures de notre Supplément illustré. Et
nous y joignons quelques pages intéressantes : d'abord
une superbe méditation de Pierre Loti, parue dans la
Revue de Paris ; une fantaisie humoristique d'Albert
Millaud et quelques vers gracieux de Jacques Nor-
mand :
LA NIER
LA mer ! — Il semble que ce mot en lui-
même ait quelque chose d'immense,
avec je ne sais quelle tranquillité de
néant.
C'est un écrasant titre pour un livre : aussi
avais-je des préventions inquiètes en com-
mençant de lire cette Mer de Michelet, bien
que l'oeuvre fût célèbre.
Mais je me suis senti, dès les premières
pages, rassuré par une sorte de prélude gran-
diose où passe un effroi religieux, et, de plus
en plus ensuite, j'ai été conquis et j'ai admiré.
Je ne dis pas que ce soit toute la mer; non,
peut-être n'est-ce que la mer vue du rivage,
— mais vue par des yeux profonds et clairs
qui l'ont presque devinée jusqu'en ses loin-
tains inconnus.
Comme en général ceux qui la regardent
pour la première fois, Michelet s'épouvante
d'abord devant la mer; il lui trouve quelque
chose d'hostile et d'éternellement destruc-
teur; il est oppressé par le sentiment de' son
irrésistible pouvoir d'anéantir. Il se complaît
à lui rendre son appellation orientale de nuit
de l'abîme, ou ses noms antiques de « désert »
et de « nuit ».
Les. paysages marins, les landes et les plages
commencent déjà pour lui cette impression
de crainte, — sans laquelle, du reste, il n'y
aurait, par la suite, ni compréhension ni
amour. Il s'inquiète dès qu'il entend et qu'il
devine « la redoutable personne ». Sur ces
sables où s'épanouissent, aux grands souffles
vivifiants, des tapis d'oeillets roses et toute
une flore spéciale si exquise, il perçoit sur-
tout, lui, la déroute des arbres, qui se cou-
chent et qui meurent sous le terrible vent du
large. Et cette voix de la mer, ce bruit puis-
sant et berceur, qui me semble la plus apai-
sante de toutes les musiques, résonne au con-
traire à ses oreilles comme une longue et
implacable menace.
Il a, d'ailleurs, au plus haut degré, le don
de faire passer dans l'âme de ceux qui le li-
sent son frisson personnel. Tellement que, ce
soir même, du haut d'une falaise, — au bord
de ce golfe de Biscaye où j'habite en ce mo-
ment et dont Michelet signale les parages
comme si redoutables, — je regardais la côte
et l'océan vert, dans un sentiment nouveau
qui se rapprochait du sien. Je venais de lire ;
ses premiers chapitres, qui ne sont que magi-
ques paraphrases de ces quatre mots du soli-
taire de Grandville ; « Cela me fait peur! »
Alors, les falaises dé France et d'Espagne,
fuyant de droite et de gauche au fond des
89
roi Louis II ; je parle de ce margrave qui
eut, dix-sept ans, pour premier ministre, la
tragédienne de Voltaire et de Marmoritel,
Clairon la claironnante. La ville est jolie,
en somme, avec ses rues larges, ses places
régulières, ses fontaines et ses architec-
tures décorées de roçailles, son petit théâtre
coquet qu'égaye toujours le sourire des
Amours d'autrefois, peints, de ci, de là,
parmi des guirlandes.
Peu de mouvement, par exemple, et si
peu de bruit que les habitants ont l'air de
marcher sur la pointe des pieds. Sur notre
route se dresse, en pied, la statue assez
laide d'un homme assez lourd : ce téné-
breux Jean-Paul Richter, qu'on nomme
Jean-Paul tout court quand on a des pré-
tentions à la littérature. Je me rappelle
avoir pris langue, en cet endroit, avec un
Parisien qui portait son Jean-Paul aux nues
et trouvait Wagner obscur. Mais, au diable
soit, pour le quart d'heure, l'auteur de
Titan et d'Attila Schmütze! Revenons sur
nos pas. Là-bas est la maison du maître, à
l'autre extrémité du Ren-Weg, au milieu
d'un jardin, en regard du théâtre des Nie-
belungs, isolé comme une tombe sur sa col-
line verte.
X
Elle est simple et riante, la maison de
Richard Wagner, en son cadre de feuillage,
quoique d'un aspect singulier, massive,
carrée, percée de peu d'ouvertures en fa-
çade, flanquée d'un petit avant-corps cen-
tral ouvrant sur le perron. Un buste colos-
sal du roi Louis, en bronze mordoré, émerge,
à dix pas de la porte, d'une corbeille de
fleurs. Qu'est-ce que cette allégorie, tracée
en noir au-dessus de l'entrée, sur la mu-
raille blanche, et que signifie cette inscrip-
tion développée en frise des deux côtés ?
L'allégorie figure la poésie lyrique et la
poésie dramatique sous les traits de Mme
Schneider-Devriendt, la grande cantatrice,
saluant l'art nouveau à qui les corbeaux du
vieil Odin révèlent le sens des légendes.
Pour l'inscription, elle se peut ainsi tra-
duire : « Ici mes rêves ont trouvé leur
paix. C'est pourquoi j'ai nommé cette mai-
son Wahnfried — la Paix du rêve ».
Au dehors, un beau vestibule cammande
les appartements. Au fond, s'ouvre un salon
original et superbe, ample, haut comme une
salie de concert, meublé somptueusement,
terminé par une demi-rotonde dont les larges
baies, drapées de rouge, prennent jour sur le
parc. Les portraits de Listz, de Mme Wagner,
de Wagner lui-même, de Mme d'Agoult et
de Schopenhauer, le philosophe de Franc-
fort, presque tous virilement enlevés par le
peintre Lenbach, éclatent sur les tentures.
Là est le grand piano à queue devant lequel
vient quelquefois — bien rarement— s'as-
seoir le maître. Autour de cette table,
Mme Wagner préside, chaque soir, l'assem-
blée de ses cinq enfants Sur ce bureau, le
puissant compositeur a écrit l'orchestre de
la Walkyrie et de Parsifal, comme en se
jouant. Chaque meuble a son histoire ; l'air
vibre encore des anciens concerts. Ici re-
tentit pour la première fois l'Idylle de Sieg-
fried et le Prélude de Parsifal. Ici sonnè-
rent, sous la direction de Wagner, les der-
niers Quatuors de Beethoven et plusieurs
Symphonies. C'est d'ici que la chevauchée
des Vierges du destin s'est élancée. Ce
lieu est un sanctuaire.
X
Je ne sais plus quel humoriste soutenait
que les grands artistes ont une vie physique
plus visiblement active que les simples mor-
tels. Il en est ainsi, tout au moins, pour le
musicien de l'Anneau du Niebelung. On se-
l'imagine ordinairement comme un homme
de haute taille et construit en hercule. Point
du tout. Il est petit. Sa tête énorme repose
sur des épaules quasi chétives. Sous les
cheveux blanchis, le front bombe. Des favo-
ris argentés encadrent la face nerveuse, aux
traits accentués, profilés d'un trait net,
éclairés de deux yeux gris d'où jaillissent
des étincelles, Nulle physionomie ne fut
plus noble; mais tout le corps, l'être entier
agit, se dépense en accord avec la physio-
nomie. Ce qui caractérise cette organisation
prodigieusement sensible, c'est l'intensité
d'une vie toujours frémissante et bouillon-
lante.
Lorsqu'il arrive à Wagner de s'abandon-
ner au fil des souvenirs, sa verve ne tarit
point. De quelle plaisante sorte il raconte
ses débuts à Paris, alors qu'il s'installait
misérablement rue de la Tonnellerie, entre
ses illusions et ses espérances ! Comme il
fallait vivre, il réduisait pour piano et chant
des partitions d'Halévy et de Donizetti.
Quelle existence ! Le matin, transcrire la
musique de son Rienzi et le poème de son
Vaisseau-Fantôme ; le soir, improviser des
arrangements d'airs en vogue pour flûte et
cornet à pistons! Un moment, son opéra
des Fées a dû être mis en répétition au
Théâtre-Historique... Hélas ! la faillite est
survenue. Le théâtre des Variétés ne veut
pas de lui comme compositeur de vaude-
villes... Qui croirait que l'auteur de Tristan
a failli être le prédécesseur d'Offenbach !...
En même temps, l'Opéra refuse son Rienzi
et achète son poème du Vaisseau-Fantôme,
dont Diestch fera la musique. Enfin, n'en
pouvant plus, il regagne sa patrie, où le
succès l'appelle, où la gloire l'attend.
Soudainement quelqu'un l'interpelle :
— Maître, pensez-vous avoir eu à vous
plaindre sérieusement des Français ?
— Allons donc! répond-il. Ce que j'ai eu
à souffrir des Français n'est rien auprès de
ce que m'ont infligé d'ennuis et de tracas-
series mes chers compatriotes Je veux bien
que l'on m'ait un peu tympanisé à Paris;
mais croyez-vous qu'on m'ait, dans mon
pays même, épargné grand chose ? Il y a,
en Allemagne, des cuistres qui se prennent
au sérieux parce qu'ils ont le grade de doc-
teur et qui ne veulent pas admettre mes
oeuvres sous prétexte qu'il est ridicule de
vouloir constituer un art national. Les
aneries qu'ils écrivent, pour être rédigées
en style philosophique, n'en sont pas moins
des âneries. En France, trois sortes de per-
sonnes s'occupent de moi, si je ne me
trompe : celles qui connaissent ma mu-
sique, et qui sont rares; celles qui ne la
connaissent pas et qui l'aiment, et celles
qui la détestent sans la connaître...
On ne peut s'empêcher de rire à cette
saillie; mais Wagner continue :
— On me suppose des rancunes. Des ran-
cunes ! Et pourquoi? Parce qu'on a sifflé
Tannhoeuser? Est-on bien sûr; d'abord, de
l'avoir entendu tel qu'il est ? Auber le sa-
vait, lui à qui j'avais conté mes doléances.
Que voulez-vous? Le moment n'était pas
encore venu de la musique sincère. Pour la
presse, je n'ai pas eu à en pâtir au point
qu'on a dit. Je n'ai pas fait des visites aux
critiques, comme Meyerbeer. Mais Baude-
laire, Champfleury, Schuré et d'autres n'en
ont pas moins écrit les plus belles pages
qu'ait inspirées mon oeuvre. Aujourd'hui
encore, c'est de Paris que me viennent les
appréciations les plus flatteuses. Vous le
voyez, enfin, je n'ai pas lieu d'être aussi"
mécontent qu'on l'affirme, et je. ne le suis
pas. Et j'ai, qui plus est, l'assurance que,
lorsque les Français joueront mes drames,
aucun peuple ne les jouera comme eux....
Aux yeux de Wagner, l'illogisme des
poèmes d'opéra offerts à nos compositeurs
est le pire obstacle à l'émancipation de la
musique dramatique. Une question qu'on
lui pose l'amène à s'expliquer :
— Que chaque nation, dit-il, s'inspire de
sa vieille histoire légendaire. C'est là qu'elle
trouvsra l'expression de son humanité à
l'état le plus pur. Montrez vos héros tels
qu'ils sont, et d'emblée. Evitez les compli-
cations, les subtilités, les inutiles péripéties.
Si vous voulez que la musique soit à l'action
ce que la nappe d'un fleuve est au lit qui
la contient ou, mieux que cela, ce que
l'âme est au corps, ayez souci de l'intimité,
de l'unité du poème : tout dérive de là. Ayez
des drames simples, substantiels, semblables
à de grands tableaux intéressant les hom-
mes de notre race et leur parlant d'eux-
mêmes ; animez-les d'une musique que vous
tirerez, non de votre mémoire, mais de
votre intelligence des situations, de l'âme
de vos héros, des événements de votre
fable, et vous ferez peur votre pays ce qui
doit être fait.
X
Après quinze années révolues, je rappelle
toutes ces choses. Quels changements sur-
venus ! Le maître dort son dernier sommeil
à l'ombre des arbres de Wahnfried, où chante'
l'oiseau de la forêt de Siegfried. Dépuis
plus de trois ans, Lohengrin est acclamé à
l'Opéra. En sommes-nous plus allemands
que par le passé? — Non, cent fois non!
Nous comprenons la leçon des chefs-d'oeuvre
— et le vrai, l'ardent et saint patriotisme
n'est en nous que plus fort.
L. DE FOURCAUD.
PAGES OUBLIEES
Voici les vacances... Les plages se peuplent. La
mer attire tous ceux qui ont quelques semaines de
liberté. Nous consacrons à décrire les délices de la
mer les gravures de notre Supplément illustré. Et
nous y joignons quelques pages intéressantes : d'abord
une superbe méditation de Pierre Loti, parue dans la
Revue de Paris ; une fantaisie humoristique d'Albert
Millaud et quelques vers gracieux de Jacques Nor-
mand :
LA NIER
LA mer ! — Il semble que ce mot en lui-
même ait quelque chose d'immense,
avec je ne sais quelle tranquillité de
néant.
C'est un écrasant titre pour un livre : aussi
avais-je des préventions inquiètes en com-
mençant de lire cette Mer de Michelet, bien
que l'oeuvre fût célèbre.
Mais je me suis senti, dès les premières
pages, rassuré par une sorte de prélude gran-
diose où passe un effroi religieux, et, de plus
en plus ensuite, j'ai été conquis et j'ai admiré.
Je ne dis pas que ce soit toute la mer; non,
peut-être n'est-ce que la mer vue du rivage,
— mais vue par des yeux profonds et clairs
qui l'ont presque devinée jusqu'en ses loin-
tains inconnus.
Comme en général ceux qui la regardent
pour la première fois, Michelet s'épouvante
d'abord devant la mer; il lui trouve quelque
chose d'hostile et d'éternellement destruc-
teur; il est oppressé par le sentiment de' son
irrésistible pouvoir d'anéantir. Il se complaît
à lui rendre son appellation orientale de nuit
de l'abîme, ou ses noms antiques de « désert »
et de « nuit ».
Les. paysages marins, les landes et les plages
commencent déjà pour lui cette impression
de crainte, — sans laquelle, du reste, il n'y
aurait, par la suite, ni compréhension ni
amour. Il s'inquiète dès qu'il entend et qu'il
devine « la redoutable personne ». Sur ces
sables où s'épanouissent, aux grands souffles
vivifiants, des tapis d'oeillets roses et toute
une flore spéciale si exquise, il perçoit sur-
tout, lui, la déroute des arbres, qui se cou-
chent et qui meurent sous le terrible vent du
large. Et cette voix de la mer, ce bruit puis-
sant et berceur, qui me semble la plus apai-
sante de toutes les musiques, résonne au con-
traire à ses oreilles comme une longue et
implacable menace.
Il a, d'ailleurs, au plus haut degré, le don
de faire passer dans l'âme de ceux qui le li-
sent son frisson personnel. Tellement que, ce
soir même, du haut d'une falaise, — au bord
de ce golfe de Biscaye où j'habite en ce mo-
ment et dont Michelet signale les parages
comme si redoutables, — je regardais la côte
et l'océan vert, dans un sentiment nouveau
qui se rapprochait du sien. Je venais de lire ;
ses premiers chapitres, qui ne sont que magi-
ques paraphrases de ces quatre mots du soli-
taire de Grandville ; « Cela me fait peur! »
Alors, les falaises dé France et d'Espagne,
fuyant de droite et de gauche au fond des
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