Titre : Le Matin : derniers télégrammes de la nuit
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1914-03-28
Contributeur : Edwards, Alfred (1856-1914). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 28 mars 1914 28 mars 1914
Description : 1914/03/28 (Numéro 10987). 1914/03/28 (Numéro 10987).
Description : Collection numérique : Grande collecte... Collection numérique : Grande collecte d'archives. Femmes au travail
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 03/06/2008
2!
rt
5 LE MATIN
28 3 W
copie du rapport Fabre. Mais naturellement
je ne veux, pas le publier, si lé Figaro doit
le faire.
» Calmette me répondit
u Je ne peux pas le publier pour le mo.
ment. On m'a désarmé. J'ai donné ma pa-
role. Mais je ne vous cacherai pas que je
fais tous mes efforts pour que l'interdiction
soit levée avant mardi (jour du grand débat
annoncé à la Chambre). Si on me rend ma
liberté, je le publie.
1) Et Calmette ajouta
Il Alors j'aurai vidé lé fond du sac. Si
après cela ils ne sont pas édifiés.
» Le crime survenu deux jours après a
fixé dans ma mémoire le souvenir exact de
cet entretien. »
M. Henry Bernstein
M. Henry Bernstein avait demandé à être
entendu par M. Boucard. à la suite du témoin
gnage de Mme Estradère, pour relater cer-
taines circonstances dc nature à infirmer
ce témoign tge. Introd lit à cinq heures et
quart chez le juge, il y est resté jusqu'à
près de sept heures.
Je ne songe pas à accabler une femme
qui est aux mains de la 'justice, a dit M.
Bernstein dès le début de son audition, je
n'ai pour but que de défendre la mémoire
d'un homme auquel j'étais tendrement atta-
ché.
Puis M. Henry Bernstein donna à M. Bou-
card des indications précises sur différen-
tes conversations qu'il eut avec M. Calmette
touchant Mme Guevdan. Il ressort de ces
conversations que le directeur du Figaro
avait à sa disposition maint moyen d'en-
trer en relations avec la femme divorcée de
M. Caillaux, sans avoir recours à Mme Es-
tradère.
Ce témoin fonde son opinion, que M. Cal-
mette ne se serait en aucun cas adressé à
Mme Estradère, sur la manière d'être ha-
bituelle de M. Calmette vis-à-vis de l'ex-
collaboratrice du Figaro.
M. Calmette se montrait, à son égard,
d'une extrême réserve, ne lui parlait que
fort sèchement et l'évitait autant qu'il le
pouvait
En terminant sa déposition, M. Bernstein
a dit à M. Boucard qu'il avait la certitude
que jamais M. Calmette n'avait demandé à
Mme Gueydan communication de lettres de
Mme Caillaux-Rainouard, que ladite Mme
Gueydan aurait pu connaître ou détenir.
M. Buchet
M. Buchet, dont la soeur est intimement
liéè avec Mme Caillaux, succède à MaBailby.
Sa soeur lui a répété maints propos tenus
par Mme Caillaux dans les journées qui ont
précédé le drame.
A plusieurs reprises, ma sœur a da ras-
surer Mme Caiilaux qui, chaque matin, en,
ouvrant le Figaro, redoutait d'y trouver les
lettres. Mme Caillaux ne dormait plus et sa
fatigue était visible.
L'impôt sur le revenu
et l'impôt sur la rente
Le projet d'impôt général sur le revenu
dont le gouvernement demande l'insertion
dans le budget a été adopté, après modifi-
cations, par les deux commissions compé-
tentes la commission de législation fiscale
et la commission du budget.
Voici le texte de l'avis de la commission
de législation fiscale, qui a été rédigé par
M. Jean Javal
La commission de législation fiscale ayant
collaboré à l'établissement du texte présenté
par la commission du budget., et se confinant
dans son rôle exclusif de commission techni-
que, donne un aais favorable aux principes
essentiels qui ont servi de base à l'établisse-
ment du projet.
Elle remarque avec satisfaction que la plu-
part de ces principes essentiel* sont identi-
ques à ceux qui ont été admis par la commis-
sion de législation fiscale dans te texte qu'elle
présente la Chambre en ce qui concerne
l'impôt sur le capital, savoir
V Des diminutions d'itizp6ts considérables
accordées aux personnes mariées et aux ta.
mil'es nombreuses
2° Dans V établissement de l'assiette de fim-
pôt la réduction au minimum des contacts
entre les redevables et l'administration du
recouvrement
S* L'établissement au décès des redevables
de sanctions contre ceux qui auraiertt été in-
suffisamment imposés de Leur vir'ant étant
d'ailleurs observé que ces sanctions au décès
en matibre d'impôt sur le revenu n'excluent
en aucune façon la possibilité d'y adjoindre
ultérieurement d'autres sanctions, opérant
pendant la vie des redevables avec maintien
ou atténuation de celles prévues au décés par
la commission du budget.
Ajoutons que le texte adopté prévoit 'e
système de la déclaration mais le contrôle
de cette déclaration sera à la charge de l'ad-
ministration. avec les documents officiels
dont elle dispose.
Les deux commissions estiment qu'ainsi
le proje1 nouveau n'aura plus le caractère
inquisitorial des précédents projets.
L'impôt sur la rente
Quant à l'impôt sur la rente la commis-
sion du budget s'en étant dessaisie au béné-
fice de la commission de législation fiscale,
celle-ci n'a pas encore statué, au fond.
Elle a simplement chargé M. Aubriot, dé-
puté socialiste unifié, de lui présenter lundi
un rapport, mais seulement un rapport pro-
[ L'ATTENTAT DE BEZONS
Dépositions tragiques
Pendant que défilent les premiers témoins
dépositions de forme ou pures redites
on feuillette un opuscule à couverture rouge
sang Cours d'hypnotisme et d'éducation de
la volonté, par J. Denis.
« J. Denis Il, c'est Ibanès.
Je veux je peux Il dit l'épigraphe
Partant de ce principe, l'auteur entreprend
de refaire au peuple une volonté n.
Ses recettes sont simples:
u Pour empêcher quelqu'un de mentir
lui causer d'abord dé la laideur de ce dé-
faut lui suggestionner ensuite qu'à chaque
fois qu'il mentira, il rougira, Ensuite que,
même avant de mentir, rien que la pensée
le fera rougir puis qu'il éprouvera le be-
soin de dire la vérité. Et ainsi de suite.
Ibanès a dû suivre son traitement à
l'envers. Il ne rougit plus.
Mais voici les témoins capitaux.
Mme Cartier ne reconnaît personne. Af-
folée. elle a voulu empêcher son mari de
courir à la mort
Il noue a bousculés et il est entré dans
le bureau Quand nous l'avons relevé, il a
balbutié
a A boire L Ah 1 les bandits. C'est
fini L..
II expira huit ou dix minutes après.
Toute la salle attendait le mot de M. le
président Brégeault
Votre mari, madame, est mort comme
un héros
Le fils de oe brave, le jeune Jean Cartier,
âgé de seize ans, qui couvrit la retraite des
trois femmes, plus précis que sa mère et que
sa soeur, affirme
Quatre individus sont entrés. Ix pre-
mier était. Ibanès..le l'ai reconnu'de moi-mê-
me, deux jours plus tard, au milieu des pu-
liciers 1.
Voyons, jeune homme L- s'écrie Iba-
nès.
Et il ergote.
Oui oui c'était bien vous, répète
l'orphelin.
M. Jean Cartier n'accuse qu'Ibanès. Mlle
Devolle, l'employée auxiliaire du bureau, re-
connaît les deux accusés. Noury se tait. Son
complice discute sur la couleur de son, teint,
sur la forme de sa barbe, sur son costume,
sur sa bicyclette^
Je suis certaine de ce que je dis I affir-
me de plus belle le témoin.
NI. Ségur, commissaire de police, expose
les résultats d'une enquête relative aux ten-
tntives dont le bureau de Bezons aurait été
l'objet quelques jours avant l'attentat.
Oh remarque M. l'avocat général Si-
ben, le coup avait été préparé de longue
main 1
Au téléphone
Suit une déposition d'un tragique vrai-
ment tout moderne.
A 9 heures du soir, le 8 novembre, ra-
conte M. Espujols, ingénieur, je téléphonais
à un de mes associés? Tout à coup, dans
mon récepteur, retentirent ces mots Il Au
secours On assassine 1 Il
Il Puis ce furent des bruits sourds de déto-
nations.
Je rappelai le bureau de Bezons, et j'en-
tendis distinctement ceci Il Oh messieurs,
on tue mon père
Je saisis ma carabine mon neveu, offi-
cier, prit son revolver, et nous partîmes, au
pas de course. Sept ou huit minutes après,
nous arrivâmes au bureau. M. Cartier avait
encore un souffle de vie. J'essayai de lui
donner des soins. Il expira entre mes
bras
Et l'on finit sur l'audition de deux fem-
mes, qui eurent leur moment de notoriété.
La première, Barbe Le Clerch, compa-
gne d'Ibanès, après l'avoir été de Metge, at-
teste devant le jury l'innocence de l'un,
comme elle affirma, en février 1912, celle de
l'autre.
On travaillait ensemble, dit-elle. On ga-
gnait 20 francs par jour il n'avait be-
soin de tuer personne 1
Le récit de Lacombe
Mme Erlebach, dite Ducret, apporte à la
barre des déclarations contraires. Elle n'a
jamais vu Noury, dont la valise, cepe4
dant, fut saisie chez elle, 15, passage de
Clichy. Mais elle a entendu Lacombe racon-
ter à son mari, le soir du S novembre, l'ex-
pédition de Bezons en tous sus détails,
telle aux noms près que le bandit de-
vait plus tard la narrer à M. Drioux.
IbaNiïs. Tout ce que dit cette femme est
faux
LE TÉMOIN. J'ai menti avant la mort de
mon mari. Maintenant, je dis la vérité.
Et sur l'invitation du président, la mal-
heureuse femme esquissée le récit de la nuit
inoubliable où, de minuit à six heures du
matin, jouant avec le couple terrorisé com-
me le chat avec la souris, Lacombe, qui se
croyait trahi par les Ducret, réalisa sa ven-
geance.
Il, nous avait dit ci Vous mourrez à
six heures n Et à 6 heures, il a tué mon
mari. Moi-même, j'ai échappé par mira-
cle L..
Aujourd'hui, fin des dépositions, réquisi-
toire de M. l'avocat général Siben, plaidoi-
ries de Me Schnerb pour Ibanès, de Me Le
Breton pour Noury, et verdict.
LA CHAMBRE
Le dégrèvement de la terre
est définitivement voté
La fortune acquise donne une nouvelle contribution
budgétaire de 50 millions
M. René Renoult, ministre des finances,
a présenté, sous forme de projet spécial, les
deux titres adoptés par le Sénat, l'un rela-
tif au dégrèvement foncier, l'autre relatif a
l'impôt sur les valeurs mobilières. C'étàTU
dans sa pensée, pour les rendre immédiate-
ment applicables.
Depuis hier c'est chose faite.
Les deux titres formant projet ont été
adoptés par 491 voix contre 1.
En ce qui concerne le titre Ier, on connaît
l'économie du projet. C'est un dégrèvement
d'ensemble de 50 millions apporté à la
terre 36 millions résultant de l'applica-
tion du taux de 4 0/0 à la nouvelle valeur
de la propriété foncière et 14 millions pro-
venant du dégrèvement des petites cotes
foncières.
Comme contre-partie du dégrèvement fon-
cier, le titre II soumet à l'impôt toutes les
valeurs mobilières, à l'exception de la rente,
des créances hypothécaires, des dépôts d'ar-
gent, des cautionnements et des rentes via-
gères.
Le rendement de cet impôt donnera 97
millions et demi, dont 50 millions serviront
à équilibrer le dégrèvement de la terre et
47 millions et demi viendront en excédent.
Comme on voit, la couverture du dégrè-
vement foncier est obtenue par un nouvel
impôt sur la fortune acquise, qui donne un
excédent budgétaire d'environ 50 millions.
C'est une constatation qu'il est intéressant
de noter et de souligner.
Quelques critiques de droite et d'extrême-
gauche furent présentées.
A droite, M. Georges Berry exprima la
crainte que les dépôts faits à l'étranger
n'échappassent à l'impôt.
Crainte vaine, affirma M. René Renoult,
car le texte en. discussion prévoit dans son
article 37 toutes les possibilités d'évasion.
Peut-être sera-t-il néanmoins possible d'é-
chapper à la réglementation mais il est
certain que si nous sommes en présence
d'une évasion de titres, nous proposerons
des mesures adaptées à la forme que pren-
dra la fraude.
A l'extrême-gauche, M. Bedouce, au nom
de ses amis socialistes unifiés, tout en dé-
clarant qu'il ne se refusait pas à voter une
réforme attendue par tout le monde, exprima
le regret qu'elle fût partagée en deux.
Il serait plus logique, affirma le député
de la Haute-Garonne, de reprendre l'ensem-
ble du projet. C'est ce que nous ferions si
nous n'étions arrivés a cette heure tardive.
Nous laissons d'ailleurs à la majorité toute
la responsabilité de la réforme partielle
qu'on nous apporte. Quoi qu'il en soit, no-
tre parti, qui est toujours décidé à réaliser
toutes les réformes, ne peut en refuser une,
même limitée.
Au nom de la .commission de législation
fiscale, M. Jacques-Louis Dumesnil, rappor-
teifr, affirma que lui aussi eût préféré s'as-
socier à une oeuvre d'ensemble.
Le Sénat ne l'a pas voulu, indiqua le
rapporteur. Tout en regrettant sa décision,
là commission a cru devoir adopter son
texte. Nous n'avons pas, en effet, le droit
de refuser le dégrèvement de la terre.
Les 48 articles de loi furent votés sans
autre discussion qui vaille d'être retenue.
L'après-midi, M. Adolphe Girod développa
une interpellation sur la situation de l'aéro-
nautique militaire. Cette interpellation re-
monte déjà à plusieurs mois. Entre temps,
M. Reymond a mis en pleine lumière les dé-
fectuosités de notre organisation actuelle.
M. Adolphe Girod n'entendit pas reprendre
en détail la remarquable argumentation du
sénateur de la Loire, il se borna à rappeler
quelques-unes de ces conclusions, notam-
ment en ce qui concerne la comptabilité et
le manque de surveillance à la réception des
appareils.
L'interpellateur s'adressa en terminant a
général Bernard, qui, comme directeur de
l'aéronautique militaire, assistait le ministre
de la guerre.
Pour faire cesser cette crise morale et
administrative, affirma M. Adolphe Girod,
votre tâche sera dure. Je n'ai pas besoin
de vous dire combien nous espérons en vous.
Vous donnerez à vos pilotes les avantages
que mérite leur courage cette campagne
de guerre qu'on leur a tant fait attendre
cette indemnité qu'on leur a promise, vous
les leur accorderez d'une façon digne de leur
audace, et quand vous distribuerez'les bon-
neurs auxquels ils ont droit, faites qu'ils ail-
I lent seulement à ceux qui les méritent, à
ceux qui travaillent et non à ceux qui bluf-
fent.
M. Joly, qui a parcouru comme membre
de la commission d'enquête sur l'aéronauti-
que militaire, les différents centres d'avia-
tion, formula les mêmes conclusions et les
mêmes critiques que M. le sénateur Rey-
mond et que M. Adolphe Girod. Lui aussi, il
dit toute sa confiance dans le général Ber-
nard et le supplia de briser toutes les résis-
tances, d'où qu'elles viennent.
La suite de l'interpellation a été renvoyée
à la séance de mardi matin.
D'autre part, la Chambre a voté à l'una-
nimité de 413 voix un projet de loi portant
ouverture au ministère des affaires étran-
gères d'un crédit de 421.300 francs, à l'occa-
sion du voyage du roi d'Angleterre et du roi
de Danemark.
DES MANŒUVRES NAVALES
auront lieu
DANS LE NORD
Nous avons annoncé que des grandes ma-1
nœuvres navales auront lieu dans la secon-
de quinzaine de mai en Méditerranée.
Le ministre de la marine vient de décider
que des manœuvres auront également lieu
dans. le Nord. Y prendront part la 2" esca-
dre légère, la division d'instruction de 1'0-
céan et les crois j firs en réserve à Brest, qui
seront mobilisés à cet effet.
La date de ces manœuvres n'est pas en-
core définitivement fixée. Les réservistes de
l'armée de mer seront convoqués les ou-
vrages du littoral seront armés sur le pied
de guerre. Les flottilles de défense des 1er
et 2" arrondissements maritimes prendront
également part aux opérations.
En pleine audience, un gendarme
est accusé d'empoisonnement
ALENçoN, 27 mars. Dépêche particulière
du « Matin ». Une banale affaire de coups
entre deux beaux-frères se plaidait au tri-
bunal correctionnel d'Alençon l'un des
beaux-frères, Renard avait giflé l'autre, un
gendarme nommé Gitton. Au cours de
l'audience l'avocat de Renard déclara que
son client avait giflé le gendarme Gitton
parce que celui-ci aurait empoisonné ses
enfants à la suite d'un dîner qui a eu lieu
en septembre dernier.
Une plainte avait déjà été adressée au
parquet, qui ne l'a pas accueillie. Saisi à
l'audience, le tribunal a ordonné qu'il soit
sursis aux' débats et qu'une enquête soit
ouverte, relativement à l'inculpation portée
contre le gendarme Gitton, qui proteste vi-
vement de son innocence.
LA CATASTROPE E E E MELUN
Le jugement sur les responsabilités
Le mécanicien Dumaine, du train tampon-
neur, reconnu coupable, a été condamné à
quatre mois de prison. Le chef de train -Ver-
net a été condamné à un mois de la même
peine. v
Mme veuve Maitrepierre, partie civile,
veuve d'un postier tué dans la catastrophe,
a obtenu une pension annuelle de 1.200
francs au lieu de 1.000 francs proposés par
la compagnie du P.-L:-M. et une indemnité
de 4.000 francs qui exonérera complètement
l'administration de ses charges envers elle.
Les vols au centre d'aviation de Reims
Chalons-sur-Marne, 27 mars. Du cor-
respondant particulier du « Malin ». Le
Matin signalait récemment la condamna-
tion de trois soldats du centre d'aviation du
camp de Châlons, pour vol commis à l'aéro-
nautique militaire du camp.
Le conseil de guerre de Chalons vient en-
core d'avoir à s'occuper de vols commis au
détriment de notre aéronautique, mais cette
fois au centre d'aviation de Reims.
Le 13 février 1914, Auguste Grados, soldat
au 2° groupe aéronautique de Reims, était
surpris par un adjudant, au moment où il
sortait de la caserne Drouet d'Erlon, por-
teur d'un volumineux paquet contenant de
nombreuses pièces d'aéroplanes, provenant
du démontage d'appareils.
Grados a déclaré qu'il avait volé ces'piè-
ces pour les employer à la construction d'un
aéroplane de son invention. Comme pour les
vols du centre d'aviation du camp de Châ-
lons, l'instruction tait ressortir que les vols
n'ont pu être commis que grâce à l'insuffi-
sance de surveillance pendant le démontage
et au manque de comptabilité.
Grados a été condamné à deux ans de pri-
son, et en raison de ses bons antécédents
civils et militaires, application de la loi de
sursis lui a été faite.
LE SÉNAT
Toujours l'école laïque
M. Delahaye est un pince-sans-rire il
s'est installé hier à la- tribune et pendant
une heure d'horloge a lu, à voix basse, une
série de documents sur l'action maçonnique
en Portugal, en Espagne, en Italie, bref,
dans tous les pays du monde.
M. Empereur ramena l'assemblée en
France, en Savoie, plus précisément. Il jus-
tifia les instituteurs du congrès de Chambéry
des accusations portées par M. de Lamar-
zelle.
Ils ont chanté l'Internationale, dit-il
mais l'Internationale est aujourd'hui chan-
tée dans les cérémonies officielles. La jeu-
nesse a besoin de se dépenser
M. Hervey fit entendre de sages conseils
Ne jetons pas l'ana.1hème à ceux qui
ne pensent pas comme nous, dit-il. Unis-
sons-nous pour vaincre l'ennemi commun
l'ignorance.
Il semblait que ces paroles dussent son-
ner la clôture de la discussion générale,
mais M. de Lamarzelle avait encore un mot
à répondre à M. Empereur. Le Sénat, con-
sulté, jugea que ce mot n'était pas opportun
ert. qu'il fallait en finir. 190 voix contre 94 se
prononcèrent pour cette solution tardive. De
plus, 243 voix contre 39 décidèrent le pas-
sage à la discussion des articles.
On aborda donc l'article premier qui sup-
prime les commissions municipales scolai-
res, instituées par la loi de 1882. M. Larère
développa un contre-projet qui maintint ces
commissions et y introduit des pères de fa-
mille.
L'orateur continuera lundi.
Au commencement de la séance, le Sénat
avait voté le projet de loi modifiant les cir-
conscriptions électorales de 1889. MM. Louis
Martin et Fabien Cesbron se plaignirent du
sectionnement des circonscriptions toulon-
naises. Mais l'assemblée refusa de se ren-
dre à leurs raisons.
Le projet de loi sur la répression des ac-
tes de corruption électorale a été votée avec
une modification à l'article 10 acceptée par le
gouvernement. Le nouveau texte permet les
citations directes des fonctionnaires avec
cette restriction que les poursuites ne pour.
ront être engagées qu'après la période élec-
torale.
LE COLLEGE DE LESNEVEN
M. René Viviani, ministre de l'instruction
publique, vient d'informer le maire de Les-
neven que son intention'est de continuer à
cet établissement le concours de l'Etat jus-
qu'au 1er octobre prochain, mais qu'à cette
date le collège cessera d'exister, puisque le
conseil municipal n'a pas cru devoir en
accepter la laïcisation complète,
> d o D a p ÉCHOS
& NOUVELLES
INDISCRÉTIONS COMMUNIQUÉS
M POINCARÉ, président de la République,
1V1. visité hier l'exposition de peinture
du Cercle national des armées de terre et
de mer..
EN PRÉSENCE du roi d'Angleterre, le pré-
sident de la République décorera, a
l'occasion de la revue de printemps, les
drapeaux de Saint-Cyr et de Polytechni-
que, qui s'illustrèrent à la défense de Paris
en 1814.
HIER Sont a eu lieu, à la Sorbonne, sous
la présidence de M. Emile Boutroux,
de l'Académie française, une conférence de
lord Esher, membre permanent du comité
de défense imgériale a La guerre et la
paix, quelques facteurs nouveaux de la po-
litique internationale. » La conférence de
l'éminent orateur a été très applaudie.
Hier soir a eu lieu le banquet offert par
la société « le Droit d'auteur aux ar-
tistes » à la commission d'enseignement et
des beaux-arts de la Chambre des députés
et à MM. Abel Ferry, Fournol et André
Hesse, à l'initiative desquels on doit le
vote de l'article de loi accordant aux artis-
tes ou à leurs héritiers un droit, pendant
cinquante ans, sur la vente de leurs œu-
vres. De nombreuses personnalités, parmi
lesquelles Mme la duchesse d'Uzès et M.
Antonin Mercié, de l'Institut, y assistaient.
POURSUIVANT les essais entrepris l'an der-
nier, M. Raynaud, ministre de l'agri-
culture, a décidé d'organiser ce printemps
et cet été des expérimentations publiques
de culture mécanique.
LE CONGRÈS national de l'industrie chëva.
line française s'est ouvert, hier, au
siège social du Syndicat général de l'indus-
trie chevaline de France, 106. rue Brancion.
Le banquet de clôture aura tieu dimanche
soir, au Palais d'Orsay, sous la présidence
de NI. Raynaud, ministre de l'agriculture,
CE' SOIR, à huit heures et demie, dans le
grand amphithéâtre de la faculté de
médecine, aura lieu un meeting organisé,
par le Conseil national des femmes françai-
ses. Le sujet traité sera « l'Hygiène de la
cité-
DEUIL
vw Les obsèques de M. Bloch-Levalois, offi-
cier de la Légion, d'honneur, ont eu lieu )hier
après-midi, à 2 heures. Les assistants se sont
réunis au domicile mortuaire, avenue Al-
phand. Le service a été présidé par le rabbin
Raphaël Lévi, qui a lu les dernières prières
à la maison et au cimetière. Le deuil était
conduit par MM. Bernard, Pierre et Raymond
Bloch-Levalois, fils du défunt, et Albert Gui!
laume, son prendre.
Les honneurs militaires ont été rendus.
L'inhumation a eu lieu au cimetière du Père-
Lachaise.
On annonce la mort
"M- De M. Emile Audonnet, chef du cabinet
du président du conseil général de la Seine,
chevalier de la Légion d'honneur. 4
vw Du chanoine Hefiri Lesêtre, curé de l'é-7
glise Saint-Etienne-du-Mont, décédé à l'âge de-J
soixante et un ans.
vw On a le regret d'apprendre la mort dû
M. Maurice Hahn. décédé en son domicile, 14.
boulevard Emile-Augier, dans sa 680 année.
Les obsèques auront lieu dimanche 29 cou-
rant. On se réunira à 2 heures, à la maison
mortuaire. L'inhumation se fera au cimetière
Montparnasse. Prière de n'envoyer ni fleuré
ni couronnes. Il ne sera pas adressé de let-
tres. De la part de Mme Maurice Hahn. do
MM. David et Jean Hahn, de M. Th. Rodri-
gues-Ely et des familles Hahn et Hecht.
ACETTE ÉPOQUE DE L'ANNÉE, beaucoup de
personnes désirent acheter de l'orfé-
vrerie, pour leurs cadeaux de Pâques.
On ne saurait trop les engager à aller,
voir les charmants objets exposés au Pari
villon de Hanovre, 33, boulevard des Ita-f
liens, et 12, rue Royale. I
PAR ces temps .de marasme dans les af-»|
faires financières, il est intéressante
de lire l'article publié aujourd'hui par le*
journal le Capital, qui indique un moyen
de ranimer le inarché de Paris. Administra-!
tion, 6, r. Monsigny. Direct' Jules PerqueL,?
LES cycles sont livrés avec un premierf
versement de 10 francs pour roo francai
aux Administrations Dufayel, et les machi-j
nes à coudre avec un premier versement de
3 francs. La brochure explicative est en-;
voyée franco.
Monaco, le 13 avril prochain, célébrerai
la vingt-cinquième année de règne i
de S. A. S. le prince Albert Ier dont, ce^
jour-là sera inaugurée la statue, oeuvre i
magistrale de Constant Roux.
Sur l'initiative des membres les plus au-
torisés de la colonie étrangère, un comité
fut formé en vue de recueillir les souscrip-
tions destinées à l'érection du monument f
au Prince. I
Le « Livre d'Or » de cette souscription
est un véritable Gotha où une élite mon-
diale a mis sa signature, ses 6.000 signa-
tures, devons-nous dire. Ce livre, actuelle-
ment exposé au Salon du palais des beaux- i
arts à Monte-Carlo, a été orné par le
maître médailliste Tany Szirmai, d'une ad-
mirable plaquettp allégorique et de cise*.{
lures qui en font un chef-d'œuvre unique. Il
sera remis solennellement au prince le
13 avril..
Ajoutons que de grandes fêtes seront
données à cette occasion dans la prince-
paùté. i
UN SOUVENIIt DES ETATS GÉNÉRAUX DU
TOURISME. A la suite des Etats gé-i
néraux du tourisme, un comité, où se trou-'
vaient groupées les plus hautes personna--
lités du tourisme, avait pris l'initiativev
d'une souscription publique destinée à of-?
frir au Matin un souvenir durable du con-"
cours qu'il apportait à une cause nationale.-
Le maître sculpteur Ségoffin, à la demande'
du comité, exécuta un haut-relief rappelant,
en une évocation pleine de force et de grâ-
ce, les journées d'octobre, au cours des-
quelles le tourisme français prit définitive-
ment conscience de sa force et de son
unité. Nous sommes informés que le bron-
ze, issu de la maquette originale, doit sor-
tir bientôt des mains des praticiens. Les
souscripteurs ont manifesté le désir qu'il
soit placé accompagné d'un livre' d'or
dans le hall central du Matin, à côté
des autres souvenirs des grandes organi-
sations françaises auxquelles il a participé.,
L'inauguration aurait lieu en mai.
LES SEPT MERVEILLES. Voir en 70 page
la suite de la liste des lauréats.
demain la suite de ce feuilleton.
FEUIIikETON DU MATIN »
BU 28 MARS 1914
ROULETABILLE
A LA GUERRE
GRAND ROA?AN INÉDIT
PAR
GASTON JLEROUX
LIVRE PREMIER
LE COFFRET ,BYZANTIN
AMOUR AMOUR
Regardéz on voit encore la cicatrice 1.
Rouletabille se pencha sur le cou nu qui
s'inclinait avec grâce et, à l'échancrure du
chaste décolletage, près de l'épaule ambrée
de Johannâ, il-aperçut la-ligne blanche, très
nette, qu'avait laissée le coup de poignard.,
Troublé, le jeune homme fit un signe de ia
tête en rougissant. Il avait vu.
Les sauvages murmura-t-il daîis son
émoi.
Chut! fit-elle avec un sourire qui dëèou-
vrit ses dents de jeune louve, nous sommes
tous encore un peu sauvages, en Bulgarie.
On ne le dirait pas, répliqua le repor-
ter en désignant, d'un geste rapide, les
personnages fort corrects qui évoluaient
dans le salon du général Vilitchkov, s'as-
seyaient à une table de bridge ou causaient
dans les coins.
La plupart des hommes portaient le
sobre et élégant uniforme de l'armée du tsar
Férdinand la veste blanche coupée en tra-
vers par la bandoulière qui soutient l'épée,
la culotte sombre d'autres officiers étaient
seariglés dans de longues lévites de drap gris.
Quelques-uns avaient à la main la casquette
plate recouverte d'une sorte de galette blan-
Tous droits de reproduction, de traduction et da-
daptation réservés pour tous pays.
Copyright by Gaston Leroux 1914.
che. Quelques habits noirs, deux ministres
des jeunes femmes aux toilettes élégantes,
parlaient entre elles Croix-Rouge un cer-*
tain rayonnement heureux sur tous les
fronts une douce et intime exaltation que
l'on s'efforçait de cacher, des gestes calmes
aucun éclat dans la parole,; point de cabo-
tinage.
Et vous êtes à la vieille de la guerre
fit Rouletabille en précisant sa pensée.
Nous n'en savons rien encore, cher
ami
Pourquoi me mentez-vous ? lui dit-il en
la regardant droit dans ses yeux admirables
dont la flamme noire se détourna des -siens.
A quoi ban ? Est-ce que ce n'est pas mon
métier à moi, de savoir que c'est ta guerre ?
Elle rit
Petit Orgueilleux 1
Pour une fois, Johanna, pour une fois
prenez-moi au sérieux, je vous en prie. Et
écoutez-moi. Ecoutez-moi bien 1 Je ne de-
vais pas venir à Sofia. Mon journal avait
presque décidé d'envoyer ici une sorte d'état-
major oui, des généraux à la retraite, en-
fin ce que nous appellerions des « bonzes
calés » mais impotents. C'est moi qui ai
tout fait pour qu'on les laissât à leurs rhu-
matismes et j'ai assumé la' responsabilité
de la campagne. Pourquoi ? Parce qu'un
matin, m'étant présenté à l'heure du déjeu-
ner dans la salle de garde de la Pitié et
m'étant étonné de l'absence de Johanna Vi-
litchkov, il m'a été répondu qu'elle venait
de partir pour Sofia. Je voas suivrais au
bout du monde, Jnhanna
Vieux fou
-Si vieux que ça ?
Oh vous paraissez, toujours dix-huit
ans 1. Vous devriez laisser pousser votre
moustache 1
Elle ne veut pas pousser 1 avoua le
reporter au désespoir j'ai beau faire, j'au-
rai toujours l'air du gamin du Mystère de
la Chambre Jaune. et vous m'appelez vieux
fou 1 t
Mon petit Zo, savez-vous comment se
dit fou, en turc ? Mahboul Oui, vous êtes
ça, mon petit père, à cause que vous êtes
venu ici dans l'espoir que Johanna Vilitch-
kov, nièce du général Vilitehkov, vous don-
nerait des tuyaux » que vos confrères
n'auraient point Eh allez donc, reporter
Vous ne me connaissez pas si. vous me
croyez capable d'indiscrétions qui ne man-
queraient point d'être préjudiciables au
pays qui me donne l'hospitalité, surtout
quand ce pays est le vôtre, c'est-à-dire ce-
lui d'une personne qui a presque toujours
été pour moi très désagréable, mais que
j'aime plus que tout au monde
Sans espoir. ajouta tranquillement
Johanna.
Avec beaucoup d'espoir, au contraire,
répliqua le reporter, non sans une certaine
arrogance.
Vous avez un joli toupet, mon jeune
monsieur. Et pourrait-on savoir sur quoi
est fondé cet espoir-là ?
Rouletabille la regarda si drôlement qu'elle
partit à rire.
Dieu, qu'elle était belle, Johanna Vilitch-
kov ELIe avait cet air noble et un peu in-
domptable des filles de Koprivchtitsa qui
sont les plus belles femmes des Balkans.
Des sourcils noirs et fins comme de la soie,
un visage mat avec une sorte de rayonne-
ment, un front élevé, accusant la haute in-
telligence, de longs, de splendides cheveux
noirs entourant la figure de leurs tresses
gracieuses, des lèvres de corail, de grands
yeux sombres pleins de lumière, une taille
élégante, des mouvements vifs, mais tou-
jours harmonieux, une poitrine de jeune
guerrière. Elles ont quelquefois un caractère
difficile, ces filles de Koprivchtitsa, d'Ichti-
man, de Radiovena mais si vous regardez
de plus près leurs yeux et leur visage, vous
y découvrez une âme droite. et si vous les
écoutez bien et longtemps, vous saurez que
leurs paroles ne trahissent jamais leur oœur
ni leur pensée.
Enhardi par le rire clair de la jeune fille,
Rouletabille la provoqua
Osez dire que vous ne m'aimez pas 1.
Ils étaient penchés l'un vers l'autre, se
défiant en riant, et si près qu'on aurait pu
croire qu'ils allaient s'embrasser. Johanna
s'écarta brusquement, car elle avait senti le
souffle chaud du jeune homme. Rouletabille
se passa la main sur le front, tâcha à re-
prendre un peu de sang-froid et rejoignit la
jeune fille qui s'en était allée à une fenêtre
contempler la ville nocturne, sous le rideau
soulevé. Alors, il lui parla tout bas, avec
angoisse et une certaine audace'passion-
née. Elle l'écoutait sans tourner la tête, at-
tentive, immobile et muette.
-.Il y a des preuves que vous m'aimez.
Vous rappelez-vous ce jour, à la Pitié, où
nous étions restés seuls tous les deux,
après déjeuner, dans la salle de garde, et
où vous vous êtes laissée aller à me racon-
ter de si belles histoires sur les choses et
les gens de votre pays, sur les légendes des
Balkans ? « Un homme avait un berger qui
l'avait fidèlement servi pendant de longues
années. Oh je me les rappelle par
cœur. et « Bltnche-Neige ». souvenez-
vous et l'histoire du cheveu merveilleux 1
et la prodigieuse aventure de votre Zacha-
rie Stoianov que vous m'avez dite en pleu-
rant.
C'était toute votre petite âme enthou-
siaste et sauvage que vous me découvriez.
Cette âme-là, vous ne l'aviez montrée ja-
mais à personne, à personne. elle était in-
connue même de vos plus intimes parmi
ceux qui partageaient vos travaux. Eh bien,
vous me l'avez montrée, à moi, ce jour-là,
Johanna, vous me l'avez donnée L.. 1)
Elle secoua la tête avec trop d'énergie
Je ne pensais pas à vous. je pensais à
mon pays. et je racontais des choses pour
moi, pour moi toute seule. C'est comme si
vous n'aviez pas existé.
Allons donc Allons donc Oh j'au-
rais mille choses à vous rappeler. Mais te-
nez, ici l la joie que nous avons eue à nous
retrouver, ça n'est pas une preuve, cela ? Et
hier, cette promenade à cheval, hors les
murs. la minute où près du pont de pierre
je vous ai retenue sur votre cheval qui avait
fait un écart. Je vous avais eue dans mes
bras. oh un instant. liappelez-vous no-
tre embarras et njtre silence, après. Ce n'est
pas de l'amour, tout cela Eh bien, et tout
l'heure quand nous avons mêlé nos halei-
nes 2.
Taisez-vous je ne serai pas votre
femme.
Pourquoi ? Dites pourquoi ? Vous avez
dit cela bien mollement, Johanna. Vous
êtes-vous promise Y a-t-il quelque part
quelqu'un qui puisse se dire votre fiancé ?
Elle secoua sa belle tête.
Non, il n'y a personne qui puisse se
dire cela, mon ami, exprima-t-elle avec un
certain effort. je ne veux pas me marier.
et je vais vous dire pourquoi. ajouta-t-elle
avec un énigmatique et grave sourire un
jour que je me promenais avec mon père
dans le Balkan. naturellement j'étais
bien jeune, puisque mon père a été assas-
siné quand j'avais six ans. c'était quelques
mois avant sa mort. une vieille sorcière est
venue à nous qui a lu dans les lignes de ma
main et qui m'a dït « petide, méfie-toi de tes
noces » Voilà! Alors, vous comprenez,
je ne tiens pas à me marier, moi
Oh s'il n'y a que ça 1
Il regarda son visage immobile et fut stu-
péfait. Johanna était devenue de marbre. Il
ignorait ces yeux durs, ce sombre regard. I'
ne connaissait pas cette jeune fille qui! avail
devant lui 1
Johanna, qu'avez-vous
J'ai qu'on ne doit pas songer à se
marier avec moi. u Je vous montrais tout à
l'heure la cicatrice d'un coup de kandjar que
j'ai reçu à l'âge de six ans. Sachez, mor
ami. que c'est pour m'en éviter un second
ue mon oncle m'a tant fait voyager. et
que je suis allée étudier la médecine à Pa-
ris. Vous connaissez maintenant la raison
de mon exil Ça n'est peut-être pas très
brave, mais c'est assez romantique, avouez-
le L..
-r Est-il Dieu possible que ces vieilles
histoires du complot Panitza et des assas-
sins de Veltchef ne soient pas oubliées,
s'écria le reporter. Saprelotte Sur Stam-
boulov et sur les vôtres, leurs ombres san-
glantes ont été assez vengées.
Il paraît que non. fit-elle en se tour-
nant vers lui et en regardant bien en face
le sincère et profond émoi du jeune homme.
Alors, pourquoi êtes-vous revenue ici 1
Parce qu'on va se battre 1. laissa-t-elle
glisser entre ses lèvres pâles d'où tout le
sang semblait s'être retiré. Alors, vous
comprenez. Cela n'a plus aucune impor-
tance. C'est ce qpe j'ai fait comprendre à
mon oncle.. Tous, plus ou moins, nous
sommes condamnés à mort, maintenant
qu'il va y avoir la guerre
Quel paÿs gronda Rouletabille™
Mais Johanna, dans sa main glacée, sai-
sit la main brùlante du reporter, et, lui
montrant les invités de son oncle
Savez-vous bien, petit Zo, qu'il n'y a
peut-être pas un de ces graves messieurs
je parle des vieux surtout qui ne pour-
rait vous montrer sous sa redingote ou sous
sa tunique, plusieurs cicatrices comme celle
qui semblait vous émouvoir tout à l'heure.
Tenez ce monsieur à cravate blanche et
à lunettes, là-bas, qui trempe sa lèvre rasée
dans sa tasse de thé et qui a l'air d'un hono-
rable « rond-de-cuir à la retraite.
Très intelligent, fit Rouletabille, je
l'entendais tout à l'heure s'exprimer sur les
homme de ce temps. Il les démonte comme
une montre de poche.
Oui, il voit au fond des choses comme
dans une eau de source c'est Staneho, un
ancien paysan, vice-président de notre So-
branié. Il était des cinq qui accompagnè-
rent Zacharie Stoianov dans sa dernière
aventure à Traian, avant la guerre de la
Délivrance. Pendant quinze jours, errant
1 dans une forêt, il ne se nourrit que d'oseille
sauvage et d'escargots le seizième, il loin.
ba dans un parti de bachi-bouzouks. Les
Turcs découvrirent que c'était un «comité»
Son compte était bon. On lui posa sur la
tête une couronne de fleurs des champs
i « Tu plairas comme cela aux belles filles
t de Troian » lui disaient les'Zeptiés avant
de le pendre. Et ils l'ont pendu
Pas possible
Oui Quand il fut pendu, ils tirèrent
1 dessus. C'est ce qui l'a sauvé. Une balle
coupa la corde mais comme il avait cinq
autres belles dans le corps, ils le laissèrent
pour mort.
Il revient de loin constata Rouleta-
bille, ahuri.
Nnas revenons tous de loin, dans mon
pays, exprima Johanna avec un certain or-
gueil. Si je vous disais encore, petit Zo, que
ces quatre joueurs de bridge, à cette table,
se sont plus ou moins assassinés dans nos
querelles intimes, et que celui qui étale « le
mort » en ce moment, de ses quatre doigts
de la main droite, a perdu le cinquième lors
de l'assassinat de Stamboulov Les deux en f
face de lui, sont des cousins de Karavélov,
que Stamboulov fit emprisonner, mettre à
nu et fouetter jusqu'à l'évanouissement. Ils
étaient certainement du complot où périt
Stamboulov et où suooombèrent, assassi-
nés, mon père et ma mère.
Et vous les recevez chez vous ?.
Oh ils n'ont pas trempé directement
dans l'attentat.
Mais enfin
Mais enfin, monsieur, nons allons nous
battre fit-elle d'une voix sourde.
Et vous oubliez toutes vos querelles et
toutes vos haines domestiques C'est bien
dit Rouletabille, mais je ne vous comprends
plns lorsqne vous me dites que vous, Jo-
nanna, risquez à chaque instant d'être en-
core la victime de tontes ces haines-là
C'est que.moi, dans mon affaire, j'ai
un Pomak, exprima-t-elle doucement, avec
un triste sourire.
Qu'est-ce que c'est que ça un Pomak ?
C'est un Bulgare qui s'est fait musul- J
man, et je vous prie de croire que nous n'a.
vons pas de plus terrible ennemi.
Et comment s'appelle votre Pomak ?.“
Pourrait-on lé savoir
Oui, il s'appelle Gaulow
Le reporter avait conservé 'la main de ̃
Johanna dans la sienne. Il la sentit tressail-
lir pendant que ta jeune fille prononçait ce
nom à voix très basse.
rt
5 LE MATIN
28 3 W
copie du rapport Fabre. Mais naturellement
je ne veux, pas le publier, si lé Figaro doit
le faire.
» Calmette me répondit
u Je ne peux pas le publier pour le mo.
ment. On m'a désarmé. J'ai donné ma pa-
role. Mais je ne vous cacherai pas que je
fais tous mes efforts pour que l'interdiction
soit levée avant mardi (jour du grand débat
annoncé à la Chambre). Si on me rend ma
liberté, je le publie.
1) Et Calmette ajouta
Il Alors j'aurai vidé lé fond du sac. Si
après cela ils ne sont pas édifiés.
» Le crime survenu deux jours après a
fixé dans ma mémoire le souvenir exact de
cet entretien. »
M. Henry Bernstein
M. Henry Bernstein avait demandé à être
entendu par M. Boucard. à la suite du témoin
gnage de Mme Estradère, pour relater cer-
taines circonstances dc nature à infirmer
ce témoign tge. Introd lit à cinq heures et
quart chez le juge, il y est resté jusqu'à
près de sept heures.
Je ne songe pas à accabler une femme
qui est aux mains de la 'justice, a dit M.
Bernstein dès le début de son audition, je
n'ai pour but que de défendre la mémoire
d'un homme auquel j'étais tendrement atta-
ché.
Puis M. Henry Bernstein donna à M. Bou-
card des indications précises sur différen-
tes conversations qu'il eut avec M. Calmette
touchant Mme Guevdan. Il ressort de ces
conversations que le directeur du Figaro
avait à sa disposition maint moyen d'en-
trer en relations avec la femme divorcée de
M. Caillaux, sans avoir recours à Mme Es-
tradère.
Ce témoin fonde son opinion, que M. Cal-
mette ne se serait en aucun cas adressé à
Mme Estradère, sur la manière d'être ha-
bituelle de M. Calmette vis-à-vis de l'ex-
collaboratrice du Figaro.
M. Calmette se montrait, à son égard,
d'une extrême réserve, ne lui parlait que
fort sèchement et l'évitait autant qu'il le
pouvait
En terminant sa déposition, M. Bernstein
a dit à M. Boucard qu'il avait la certitude
que jamais M. Calmette n'avait demandé à
Mme Gueydan communication de lettres de
Mme Caillaux-Rainouard, que ladite Mme
Gueydan aurait pu connaître ou détenir.
M. Buchet
M. Buchet, dont la soeur est intimement
liéè avec Mme Caillaux, succède à MaBailby.
Sa soeur lui a répété maints propos tenus
par Mme Caillaux dans les journées qui ont
précédé le drame.
A plusieurs reprises, ma sœur a da ras-
surer Mme Caiilaux qui, chaque matin, en,
ouvrant le Figaro, redoutait d'y trouver les
lettres. Mme Caillaux ne dormait plus et sa
fatigue était visible.
L'impôt sur le revenu
et l'impôt sur la rente
Le projet d'impôt général sur le revenu
dont le gouvernement demande l'insertion
dans le budget a été adopté, après modifi-
cations, par les deux commissions compé-
tentes la commission de législation fiscale
et la commission du budget.
Voici le texte de l'avis de la commission
de législation fiscale, qui a été rédigé par
M. Jean Javal
La commission de législation fiscale ayant
collaboré à l'établissement du texte présenté
par la commission du budget., et se confinant
dans son rôle exclusif de commission techni-
que, donne un aais favorable aux principes
essentiels qui ont servi de base à l'établisse-
ment du projet.
Elle remarque avec satisfaction que la plu-
part de ces principes essentiel* sont identi-
ques à ceux qui ont été admis par la commis-
sion de législation fiscale dans te texte qu'elle
présente la Chambre en ce qui concerne
l'impôt sur le capital, savoir
V Des diminutions d'itizp6ts considérables
accordées aux personnes mariées et aux ta.
mil'es nombreuses
2° Dans V établissement de l'assiette de fim-
pôt la réduction au minimum des contacts
entre les redevables et l'administration du
recouvrement
S* L'établissement au décès des redevables
de sanctions contre ceux qui auraiertt été in-
suffisamment imposés de Leur vir'ant étant
d'ailleurs observé que ces sanctions au décès
en matibre d'impôt sur le revenu n'excluent
en aucune façon la possibilité d'y adjoindre
ultérieurement d'autres sanctions, opérant
pendant la vie des redevables avec maintien
ou atténuation de celles prévues au décés par
la commission du budget.
Ajoutons que le texte adopté prévoit 'e
système de la déclaration mais le contrôle
de cette déclaration sera à la charge de l'ad-
ministration. avec les documents officiels
dont elle dispose.
Les deux commissions estiment qu'ainsi
le proje1 nouveau n'aura plus le caractère
inquisitorial des précédents projets.
L'impôt sur la rente
Quant à l'impôt sur la rente la commis-
sion du budget s'en étant dessaisie au béné-
fice de la commission de législation fiscale,
celle-ci n'a pas encore statué, au fond.
Elle a simplement chargé M. Aubriot, dé-
puté socialiste unifié, de lui présenter lundi
un rapport, mais seulement un rapport pro-
[ L'ATTENTAT DE BEZONS
Dépositions tragiques
Pendant que défilent les premiers témoins
dépositions de forme ou pures redites
on feuillette un opuscule à couverture rouge
sang Cours d'hypnotisme et d'éducation de
la volonté, par J. Denis.
« J. Denis Il, c'est Ibanès.
Je veux je peux Il dit l'épigraphe
Partant de ce principe, l'auteur entreprend
de refaire au peuple une volonté n.
Ses recettes sont simples:
u Pour empêcher quelqu'un de mentir
lui causer d'abord dé la laideur de ce dé-
faut lui suggestionner ensuite qu'à chaque
fois qu'il mentira, il rougira, Ensuite que,
même avant de mentir, rien que la pensée
le fera rougir puis qu'il éprouvera le be-
soin de dire la vérité. Et ainsi de suite.
Ibanès a dû suivre son traitement à
l'envers. Il ne rougit plus.
Mais voici les témoins capitaux.
Mme Cartier ne reconnaît personne. Af-
folée. elle a voulu empêcher son mari de
courir à la mort
Il noue a bousculés et il est entré dans
le bureau Quand nous l'avons relevé, il a
balbutié
a A boire L Ah 1 les bandits. C'est
fini L..
II expira huit ou dix minutes après.
Toute la salle attendait le mot de M. le
président Brégeault
Votre mari, madame, est mort comme
un héros
Le fils de oe brave, le jeune Jean Cartier,
âgé de seize ans, qui couvrit la retraite des
trois femmes, plus précis que sa mère et que
sa soeur, affirme
Quatre individus sont entrés. Ix pre-
mier était. Ibanès..le l'ai reconnu'de moi-mê-
me, deux jours plus tard, au milieu des pu-
liciers 1.
Voyons, jeune homme L- s'écrie Iba-
nès.
Et il ergote.
Oui oui c'était bien vous, répète
l'orphelin.
M. Jean Cartier n'accuse qu'Ibanès. Mlle
Devolle, l'employée auxiliaire du bureau, re-
connaît les deux accusés. Noury se tait. Son
complice discute sur la couleur de son, teint,
sur la forme de sa barbe, sur son costume,
sur sa bicyclette^
Je suis certaine de ce que je dis I affir-
me de plus belle le témoin.
NI. Ségur, commissaire de police, expose
les résultats d'une enquête relative aux ten-
tntives dont le bureau de Bezons aurait été
l'objet quelques jours avant l'attentat.
Oh remarque M. l'avocat général Si-
ben, le coup avait été préparé de longue
main 1
Au téléphone
Suit une déposition d'un tragique vrai-
ment tout moderne.
A 9 heures du soir, le 8 novembre, ra-
conte M. Espujols, ingénieur, je téléphonais
à un de mes associés? Tout à coup, dans
mon récepteur, retentirent ces mots Il Au
secours On assassine 1 Il
Il Puis ce furent des bruits sourds de déto-
nations.
Je rappelai le bureau de Bezons, et j'en-
tendis distinctement ceci Il Oh messieurs,
on tue mon père
Je saisis ma carabine mon neveu, offi-
cier, prit son revolver, et nous partîmes, au
pas de course. Sept ou huit minutes après,
nous arrivâmes au bureau. M. Cartier avait
encore un souffle de vie. J'essayai de lui
donner des soins. Il expira entre mes
bras
Et l'on finit sur l'audition de deux fem-
mes, qui eurent leur moment de notoriété.
La première, Barbe Le Clerch, compa-
gne d'Ibanès, après l'avoir été de Metge, at-
teste devant le jury l'innocence de l'un,
comme elle affirma, en février 1912, celle de
l'autre.
On travaillait ensemble, dit-elle. On ga-
gnait 20 francs par jour il n'avait be-
soin de tuer personne 1
Le récit de Lacombe
Mme Erlebach, dite Ducret, apporte à la
barre des déclarations contraires. Elle n'a
jamais vu Noury, dont la valise, cepe4
dant, fut saisie chez elle, 15, passage de
Clichy. Mais elle a entendu Lacombe racon-
ter à son mari, le soir du S novembre, l'ex-
pédition de Bezons en tous sus détails,
telle aux noms près que le bandit de-
vait plus tard la narrer à M. Drioux.
IbaNiïs. Tout ce que dit cette femme est
faux
LE TÉMOIN. J'ai menti avant la mort de
mon mari. Maintenant, je dis la vérité.
Et sur l'invitation du président, la mal-
heureuse femme esquissée le récit de la nuit
inoubliable où, de minuit à six heures du
matin, jouant avec le couple terrorisé com-
me le chat avec la souris, Lacombe, qui se
croyait trahi par les Ducret, réalisa sa ven-
geance.
Il, nous avait dit ci Vous mourrez à
six heures n Et à 6 heures, il a tué mon
mari. Moi-même, j'ai échappé par mira-
cle L..
Aujourd'hui, fin des dépositions, réquisi-
toire de M. l'avocat général Siben, plaidoi-
ries de Me Schnerb pour Ibanès, de Me Le
Breton pour Noury, et verdict.
LA CHAMBRE
Le dégrèvement de la terre
est définitivement voté
La fortune acquise donne une nouvelle contribution
budgétaire de 50 millions
M. René Renoult, ministre des finances,
a présenté, sous forme de projet spécial, les
deux titres adoptés par le Sénat, l'un rela-
tif au dégrèvement foncier, l'autre relatif a
l'impôt sur les valeurs mobilières. C'étàTU
dans sa pensée, pour les rendre immédiate-
ment applicables.
Depuis hier c'est chose faite.
Les deux titres formant projet ont été
adoptés par 491 voix contre 1.
En ce qui concerne le titre Ier, on connaît
l'économie du projet. C'est un dégrèvement
d'ensemble de 50 millions apporté à la
terre 36 millions résultant de l'applica-
tion du taux de 4 0/0 à la nouvelle valeur
de la propriété foncière et 14 millions pro-
venant du dégrèvement des petites cotes
foncières.
Comme contre-partie du dégrèvement fon-
cier, le titre II soumet à l'impôt toutes les
valeurs mobilières, à l'exception de la rente,
des créances hypothécaires, des dépôts d'ar-
gent, des cautionnements et des rentes via-
gères.
Le rendement de cet impôt donnera 97
millions et demi, dont 50 millions serviront
à équilibrer le dégrèvement de la terre et
47 millions et demi viendront en excédent.
Comme on voit, la couverture du dégrè-
vement foncier est obtenue par un nouvel
impôt sur la fortune acquise, qui donne un
excédent budgétaire d'environ 50 millions.
C'est une constatation qu'il est intéressant
de noter et de souligner.
Quelques critiques de droite et d'extrême-
gauche furent présentées.
A droite, M. Georges Berry exprima la
crainte que les dépôts faits à l'étranger
n'échappassent à l'impôt.
Crainte vaine, affirma M. René Renoult,
car le texte en. discussion prévoit dans son
article 37 toutes les possibilités d'évasion.
Peut-être sera-t-il néanmoins possible d'é-
chapper à la réglementation mais il est
certain que si nous sommes en présence
d'une évasion de titres, nous proposerons
des mesures adaptées à la forme que pren-
dra la fraude.
A l'extrême-gauche, M. Bedouce, au nom
de ses amis socialistes unifiés, tout en dé-
clarant qu'il ne se refusait pas à voter une
réforme attendue par tout le monde, exprima
le regret qu'elle fût partagée en deux.
Il serait plus logique, affirma le député
de la Haute-Garonne, de reprendre l'ensem-
ble du projet. C'est ce que nous ferions si
nous n'étions arrivés a cette heure tardive.
Nous laissons d'ailleurs à la majorité toute
la responsabilité de la réforme partielle
qu'on nous apporte. Quoi qu'il en soit, no-
tre parti, qui est toujours décidé à réaliser
toutes les réformes, ne peut en refuser une,
même limitée.
Au nom de la .commission de législation
fiscale, M. Jacques-Louis Dumesnil, rappor-
teifr, affirma que lui aussi eût préféré s'as-
socier à une oeuvre d'ensemble.
Le Sénat ne l'a pas voulu, indiqua le
rapporteur. Tout en regrettant sa décision,
là commission a cru devoir adopter son
texte. Nous n'avons pas, en effet, le droit
de refuser le dégrèvement de la terre.
Les 48 articles de loi furent votés sans
autre discussion qui vaille d'être retenue.
L'après-midi, M. Adolphe Girod développa
une interpellation sur la situation de l'aéro-
nautique militaire. Cette interpellation re-
monte déjà à plusieurs mois. Entre temps,
M. Reymond a mis en pleine lumière les dé-
fectuosités de notre organisation actuelle.
M. Adolphe Girod n'entendit pas reprendre
en détail la remarquable argumentation du
sénateur de la Loire, il se borna à rappeler
quelques-unes de ces conclusions, notam-
ment en ce qui concerne la comptabilité et
le manque de surveillance à la réception des
appareils.
L'interpellateur s'adressa en terminant a
général Bernard, qui, comme directeur de
l'aéronautique militaire, assistait le ministre
de la guerre.
Pour faire cesser cette crise morale et
administrative, affirma M. Adolphe Girod,
votre tâche sera dure. Je n'ai pas besoin
de vous dire combien nous espérons en vous.
Vous donnerez à vos pilotes les avantages
que mérite leur courage cette campagne
de guerre qu'on leur a tant fait attendre
cette indemnité qu'on leur a promise, vous
les leur accorderez d'une façon digne de leur
audace, et quand vous distribuerez'les bon-
neurs auxquels ils ont droit, faites qu'ils ail-
I lent seulement à ceux qui les méritent, à
ceux qui travaillent et non à ceux qui bluf-
fent.
M. Joly, qui a parcouru comme membre
de la commission d'enquête sur l'aéronauti-
que militaire, les différents centres d'avia-
tion, formula les mêmes conclusions et les
mêmes critiques que M. le sénateur Rey-
mond et que M. Adolphe Girod. Lui aussi, il
dit toute sa confiance dans le général Ber-
nard et le supplia de briser toutes les résis-
tances, d'où qu'elles viennent.
La suite de l'interpellation a été renvoyée
à la séance de mardi matin.
D'autre part, la Chambre a voté à l'una-
nimité de 413 voix un projet de loi portant
ouverture au ministère des affaires étran-
gères d'un crédit de 421.300 francs, à l'occa-
sion du voyage du roi d'Angleterre et du roi
de Danemark.
DES MANŒUVRES NAVALES
auront lieu
DANS LE NORD
Nous avons annoncé que des grandes ma-1
nœuvres navales auront lieu dans la secon-
de quinzaine de mai en Méditerranée.
Le ministre de la marine vient de décider
que des manœuvres auront également lieu
dans. le Nord. Y prendront part la 2" esca-
dre légère, la division d'instruction de 1'0-
céan et les crois j firs en réserve à Brest, qui
seront mobilisés à cet effet.
La date de ces manœuvres n'est pas en-
core définitivement fixée. Les réservistes de
l'armée de mer seront convoqués les ou-
vrages du littoral seront armés sur le pied
de guerre. Les flottilles de défense des 1er
et 2" arrondissements maritimes prendront
également part aux opérations.
En pleine audience, un gendarme
est accusé d'empoisonnement
ALENçoN, 27 mars. Dépêche particulière
du « Matin ». Une banale affaire de coups
entre deux beaux-frères se plaidait au tri-
bunal correctionnel d'Alençon l'un des
beaux-frères, Renard avait giflé l'autre, un
gendarme nommé Gitton. Au cours de
l'audience l'avocat de Renard déclara que
son client avait giflé le gendarme Gitton
parce que celui-ci aurait empoisonné ses
enfants à la suite d'un dîner qui a eu lieu
en septembre dernier.
Une plainte avait déjà été adressée au
parquet, qui ne l'a pas accueillie. Saisi à
l'audience, le tribunal a ordonné qu'il soit
sursis aux' débats et qu'une enquête soit
ouverte, relativement à l'inculpation portée
contre le gendarme Gitton, qui proteste vi-
vement de son innocence.
LA CATASTROPE E E E MELUN
Le jugement sur les responsabilités
Le mécanicien Dumaine, du train tampon-
neur, reconnu coupable, a été condamné à
quatre mois de prison. Le chef de train -Ver-
net a été condamné à un mois de la même
peine. v
Mme veuve Maitrepierre, partie civile,
veuve d'un postier tué dans la catastrophe,
a obtenu une pension annuelle de 1.200
francs au lieu de 1.000 francs proposés par
la compagnie du P.-L:-M. et une indemnité
de 4.000 francs qui exonérera complètement
l'administration de ses charges envers elle.
Les vols au centre d'aviation de Reims
Chalons-sur-Marne, 27 mars. Du cor-
respondant particulier du « Malin ». Le
Matin signalait récemment la condamna-
tion de trois soldats du centre d'aviation du
camp de Châlons, pour vol commis à l'aéro-
nautique militaire du camp.
Le conseil de guerre de Chalons vient en-
core d'avoir à s'occuper de vols commis au
détriment de notre aéronautique, mais cette
fois au centre d'aviation de Reims.
Le 13 février 1914, Auguste Grados, soldat
au 2° groupe aéronautique de Reims, était
surpris par un adjudant, au moment où il
sortait de la caserne Drouet d'Erlon, por-
teur d'un volumineux paquet contenant de
nombreuses pièces d'aéroplanes, provenant
du démontage d'appareils.
Grados a déclaré qu'il avait volé ces'piè-
ces pour les employer à la construction d'un
aéroplane de son invention. Comme pour les
vols du centre d'aviation du camp de Châ-
lons, l'instruction tait ressortir que les vols
n'ont pu être commis que grâce à l'insuffi-
sance de surveillance pendant le démontage
et au manque de comptabilité.
Grados a été condamné à deux ans de pri-
son, et en raison de ses bons antécédents
civils et militaires, application de la loi de
sursis lui a été faite.
LE SÉNAT
Toujours l'école laïque
M. Delahaye est un pince-sans-rire il
s'est installé hier à la- tribune et pendant
une heure d'horloge a lu, à voix basse, une
série de documents sur l'action maçonnique
en Portugal, en Espagne, en Italie, bref,
dans tous les pays du monde.
M. Empereur ramena l'assemblée en
France, en Savoie, plus précisément. Il jus-
tifia les instituteurs du congrès de Chambéry
des accusations portées par M. de Lamar-
zelle.
Ils ont chanté l'Internationale, dit-il
mais l'Internationale est aujourd'hui chan-
tée dans les cérémonies officielles. La jeu-
nesse a besoin de se dépenser
M. Hervey fit entendre de sages conseils
Ne jetons pas l'ana.1hème à ceux qui
ne pensent pas comme nous, dit-il. Unis-
sons-nous pour vaincre l'ennemi commun
l'ignorance.
Il semblait que ces paroles dussent son-
ner la clôture de la discussion générale,
mais M. de Lamarzelle avait encore un mot
à répondre à M. Empereur. Le Sénat, con-
sulté, jugea que ce mot n'était pas opportun
ert. qu'il fallait en finir. 190 voix contre 94 se
prononcèrent pour cette solution tardive. De
plus, 243 voix contre 39 décidèrent le pas-
sage à la discussion des articles.
On aborda donc l'article premier qui sup-
prime les commissions municipales scolai-
res, instituées par la loi de 1882. M. Larère
développa un contre-projet qui maintint ces
commissions et y introduit des pères de fa-
mille.
L'orateur continuera lundi.
Au commencement de la séance, le Sénat
avait voté le projet de loi modifiant les cir-
conscriptions électorales de 1889. MM. Louis
Martin et Fabien Cesbron se plaignirent du
sectionnement des circonscriptions toulon-
naises. Mais l'assemblée refusa de se ren-
dre à leurs raisons.
Le projet de loi sur la répression des ac-
tes de corruption électorale a été votée avec
une modification à l'article 10 acceptée par le
gouvernement. Le nouveau texte permet les
citations directes des fonctionnaires avec
cette restriction que les poursuites ne pour.
ront être engagées qu'après la période élec-
torale.
LE COLLEGE DE LESNEVEN
M. René Viviani, ministre de l'instruction
publique, vient d'informer le maire de Les-
neven que son intention'est de continuer à
cet établissement le concours de l'Etat jus-
qu'au 1er octobre prochain, mais qu'à cette
date le collège cessera d'exister, puisque le
conseil municipal n'a pas cru devoir en
accepter la laïcisation complète,
> d o D a p ÉCHOS
& NOUVELLES
INDISCRÉTIONS COMMUNIQUÉS
M POINCARÉ, président de la République,
1V1. visité hier l'exposition de peinture
du Cercle national des armées de terre et
de mer..
EN PRÉSENCE du roi d'Angleterre, le pré-
sident de la République décorera, a
l'occasion de la revue de printemps, les
drapeaux de Saint-Cyr et de Polytechni-
que, qui s'illustrèrent à la défense de Paris
en 1814.
HIER Sont a eu lieu, à la Sorbonne, sous
la présidence de M. Emile Boutroux,
de l'Académie française, une conférence de
lord Esher, membre permanent du comité
de défense imgériale a La guerre et la
paix, quelques facteurs nouveaux de la po-
litique internationale. » La conférence de
l'éminent orateur a été très applaudie.
Hier soir a eu lieu le banquet offert par
la société « le Droit d'auteur aux ar-
tistes » à la commission d'enseignement et
des beaux-arts de la Chambre des députés
et à MM. Abel Ferry, Fournol et André
Hesse, à l'initiative desquels on doit le
vote de l'article de loi accordant aux artis-
tes ou à leurs héritiers un droit, pendant
cinquante ans, sur la vente de leurs œu-
vres. De nombreuses personnalités, parmi
lesquelles Mme la duchesse d'Uzès et M.
Antonin Mercié, de l'Institut, y assistaient.
POURSUIVANT les essais entrepris l'an der-
nier, M. Raynaud, ministre de l'agri-
culture, a décidé d'organiser ce printemps
et cet été des expérimentations publiques
de culture mécanique.
LE CONGRÈS national de l'industrie chëva.
line française s'est ouvert, hier, au
siège social du Syndicat général de l'indus-
trie chevaline de France, 106. rue Brancion.
Le banquet de clôture aura tieu dimanche
soir, au Palais d'Orsay, sous la présidence
de NI. Raynaud, ministre de l'agriculture,
CE' SOIR, à huit heures et demie, dans le
grand amphithéâtre de la faculté de
médecine, aura lieu un meeting organisé,
par le Conseil national des femmes françai-
ses. Le sujet traité sera « l'Hygiène de la
cité-
DEUIL
vw Les obsèques de M. Bloch-Levalois, offi-
cier de la Légion, d'honneur, ont eu lieu )hier
après-midi, à 2 heures. Les assistants se sont
réunis au domicile mortuaire, avenue Al-
phand. Le service a été présidé par le rabbin
Raphaël Lévi, qui a lu les dernières prières
à la maison et au cimetière. Le deuil était
conduit par MM. Bernard, Pierre et Raymond
Bloch-Levalois, fils du défunt, et Albert Gui!
laume, son prendre.
Les honneurs militaires ont été rendus.
L'inhumation a eu lieu au cimetière du Père-
Lachaise.
On annonce la mort
"M- De M. Emile Audonnet, chef du cabinet
du président du conseil général de la Seine,
chevalier de la Légion d'honneur. 4
vw Du chanoine Hefiri Lesêtre, curé de l'é-7
glise Saint-Etienne-du-Mont, décédé à l'âge de-J
soixante et un ans.
vw On a le regret d'apprendre la mort dû
M. Maurice Hahn. décédé en son domicile, 14.
boulevard Emile-Augier, dans sa 680 année.
Les obsèques auront lieu dimanche 29 cou-
rant. On se réunira à 2 heures, à la maison
mortuaire. L'inhumation se fera au cimetière
Montparnasse. Prière de n'envoyer ni fleuré
ni couronnes. Il ne sera pas adressé de let-
tres. De la part de Mme Maurice Hahn. do
MM. David et Jean Hahn, de M. Th. Rodri-
gues-Ely et des familles Hahn et Hecht.
ACETTE ÉPOQUE DE L'ANNÉE, beaucoup de
personnes désirent acheter de l'orfé-
vrerie, pour leurs cadeaux de Pâques.
On ne saurait trop les engager à aller,
voir les charmants objets exposés au Pari
villon de Hanovre, 33, boulevard des Ita-f
liens, et 12, rue Royale. I
PAR ces temps .de marasme dans les af-»|
faires financières, il est intéressante
de lire l'article publié aujourd'hui par le*
journal le Capital, qui indique un moyen
de ranimer le inarché de Paris. Administra-!
tion, 6, r. Monsigny. Direct' Jules PerqueL,?
LES cycles sont livrés avec un premierf
versement de 10 francs pour roo francai
aux Administrations Dufayel, et les machi-j
nes à coudre avec un premier versement de
3 francs. La brochure explicative est en-;
voyée franco.
Monaco, le 13 avril prochain, célébrerai
la vingt-cinquième année de règne i
de S. A. S. le prince Albert Ier dont, ce^
jour-là sera inaugurée la statue, oeuvre i
magistrale de Constant Roux.
Sur l'initiative des membres les plus au-
torisés de la colonie étrangère, un comité
fut formé en vue de recueillir les souscrip-
tions destinées à l'érection du monument f
au Prince. I
Le « Livre d'Or » de cette souscription
est un véritable Gotha où une élite mon-
diale a mis sa signature, ses 6.000 signa-
tures, devons-nous dire. Ce livre, actuelle-
ment exposé au Salon du palais des beaux- i
arts à Monte-Carlo, a été orné par le
maître médailliste Tany Szirmai, d'une ad-
mirable plaquettp allégorique et de cise*.{
lures qui en font un chef-d'œuvre unique. Il
sera remis solennellement au prince le
13 avril..
Ajoutons que de grandes fêtes seront
données à cette occasion dans la prince-
paùté. i
UN SOUVENIIt DES ETATS GÉNÉRAUX DU
TOURISME. A la suite des Etats gé-i
néraux du tourisme, un comité, où se trou-'
vaient groupées les plus hautes personna--
lités du tourisme, avait pris l'initiativev
d'une souscription publique destinée à of-?
frir au Matin un souvenir durable du con-"
cours qu'il apportait à une cause nationale.-
Le maître sculpteur Ségoffin, à la demande'
du comité, exécuta un haut-relief rappelant,
en une évocation pleine de force et de grâ-
ce, les journées d'octobre, au cours des-
quelles le tourisme français prit définitive-
ment conscience de sa force et de son
unité. Nous sommes informés que le bron-
ze, issu de la maquette originale, doit sor-
tir bientôt des mains des praticiens. Les
souscripteurs ont manifesté le désir qu'il
soit placé accompagné d'un livre' d'or
dans le hall central du Matin, à côté
des autres souvenirs des grandes organi-
sations françaises auxquelles il a participé.,
L'inauguration aurait lieu en mai.
LES SEPT MERVEILLES. Voir en 70 page
la suite de la liste des lauréats.
demain la suite de ce feuilleton.
FEUIIikETON DU MATIN »
BU 28 MARS 1914
ROULETABILLE
A LA GUERRE
GRAND ROA?AN INÉDIT
PAR
GASTON JLEROUX
LIVRE PREMIER
LE COFFRET ,BYZANTIN
AMOUR AMOUR
Regardéz on voit encore la cicatrice 1.
Rouletabille se pencha sur le cou nu qui
s'inclinait avec grâce et, à l'échancrure du
chaste décolletage, près de l'épaule ambrée
de Johannâ, il-aperçut la-ligne blanche, très
nette, qu'avait laissée le coup de poignard.,
Troublé, le jeune homme fit un signe de ia
tête en rougissant. Il avait vu.
Les sauvages murmura-t-il daîis son
émoi.
Chut! fit-elle avec un sourire qui dëèou-
vrit ses dents de jeune louve, nous sommes
tous encore un peu sauvages, en Bulgarie.
On ne le dirait pas, répliqua le repor-
ter en désignant, d'un geste rapide, les
personnages fort corrects qui évoluaient
dans le salon du général Vilitchkov, s'as-
seyaient à une table de bridge ou causaient
dans les coins.
La plupart des hommes portaient le
sobre et élégant uniforme de l'armée du tsar
Férdinand la veste blanche coupée en tra-
vers par la bandoulière qui soutient l'épée,
la culotte sombre d'autres officiers étaient
seariglés dans de longues lévites de drap gris.
Quelques-uns avaient à la main la casquette
plate recouverte d'une sorte de galette blan-
Tous droits de reproduction, de traduction et da-
daptation réservés pour tous pays.
Copyright by Gaston Leroux 1914.
che. Quelques habits noirs, deux ministres
des jeunes femmes aux toilettes élégantes,
parlaient entre elles Croix-Rouge un cer-*
tain rayonnement heureux sur tous les
fronts une douce et intime exaltation que
l'on s'efforçait de cacher, des gestes calmes
aucun éclat dans la parole,; point de cabo-
tinage.
Et vous êtes à la vieille de la guerre
fit Rouletabille en précisant sa pensée.
Nous n'en savons rien encore, cher
ami
Pourquoi me mentez-vous ? lui dit-il en
la regardant droit dans ses yeux admirables
dont la flamme noire se détourna des -siens.
A quoi ban ? Est-ce que ce n'est pas mon
métier à moi, de savoir que c'est ta guerre ?
Elle rit
Petit Orgueilleux 1
Pour une fois, Johanna, pour une fois
prenez-moi au sérieux, je vous en prie. Et
écoutez-moi. Ecoutez-moi bien 1 Je ne de-
vais pas venir à Sofia. Mon journal avait
presque décidé d'envoyer ici une sorte d'état-
major oui, des généraux à la retraite, en-
fin ce que nous appellerions des « bonzes
calés » mais impotents. C'est moi qui ai
tout fait pour qu'on les laissât à leurs rhu-
matismes et j'ai assumé la' responsabilité
de la campagne. Pourquoi ? Parce qu'un
matin, m'étant présenté à l'heure du déjeu-
ner dans la salle de garde de la Pitié et
m'étant étonné de l'absence de Johanna Vi-
litchkov, il m'a été répondu qu'elle venait
de partir pour Sofia. Je voas suivrais au
bout du monde, Jnhanna
Vieux fou
-Si vieux que ça ?
Oh vous paraissez, toujours dix-huit
ans 1. Vous devriez laisser pousser votre
moustache 1
Elle ne veut pas pousser 1 avoua le
reporter au désespoir j'ai beau faire, j'au-
rai toujours l'air du gamin du Mystère de
la Chambre Jaune. et vous m'appelez vieux
fou 1 t
Mon petit Zo, savez-vous comment se
dit fou, en turc ? Mahboul Oui, vous êtes
ça, mon petit père, à cause que vous êtes
venu ici dans l'espoir que Johanna Vilitch-
kov, nièce du général Vilitehkov, vous don-
nerait des tuyaux » que vos confrères
n'auraient point Eh allez donc, reporter
Vous ne me connaissez pas si. vous me
croyez capable d'indiscrétions qui ne man-
queraient point d'être préjudiciables au
pays qui me donne l'hospitalité, surtout
quand ce pays est le vôtre, c'est-à-dire ce-
lui d'une personne qui a presque toujours
été pour moi très désagréable, mais que
j'aime plus que tout au monde
Sans espoir. ajouta tranquillement
Johanna.
Avec beaucoup d'espoir, au contraire,
répliqua le reporter, non sans une certaine
arrogance.
Vous avez un joli toupet, mon jeune
monsieur. Et pourrait-on savoir sur quoi
est fondé cet espoir-là ?
Rouletabille la regarda si drôlement qu'elle
partit à rire.
Dieu, qu'elle était belle, Johanna Vilitch-
kov ELIe avait cet air noble et un peu in-
domptable des filles de Koprivchtitsa qui
sont les plus belles femmes des Balkans.
Des sourcils noirs et fins comme de la soie,
un visage mat avec une sorte de rayonne-
ment, un front élevé, accusant la haute in-
telligence, de longs, de splendides cheveux
noirs entourant la figure de leurs tresses
gracieuses, des lèvres de corail, de grands
yeux sombres pleins de lumière, une taille
élégante, des mouvements vifs, mais tou-
jours harmonieux, une poitrine de jeune
guerrière. Elles ont quelquefois un caractère
difficile, ces filles de Koprivchtitsa, d'Ichti-
man, de Radiovena mais si vous regardez
de plus près leurs yeux et leur visage, vous
y découvrez une âme droite. et si vous les
écoutez bien et longtemps, vous saurez que
leurs paroles ne trahissent jamais leur oœur
ni leur pensée.
Enhardi par le rire clair de la jeune fille,
Rouletabille la provoqua
Osez dire que vous ne m'aimez pas 1.
Ils étaient penchés l'un vers l'autre, se
défiant en riant, et si près qu'on aurait pu
croire qu'ils allaient s'embrasser. Johanna
s'écarta brusquement, car elle avait senti le
souffle chaud du jeune homme. Rouletabille
se passa la main sur le front, tâcha à re-
prendre un peu de sang-froid et rejoignit la
jeune fille qui s'en était allée à une fenêtre
contempler la ville nocturne, sous le rideau
soulevé. Alors, il lui parla tout bas, avec
angoisse et une certaine audace'passion-
née. Elle l'écoutait sans tourner la tête, at-
tentive, immobile et muette.
-.Il y a des preuves que vous m'aimez.
Vous rappelez-vous ce jour, à la Pitié, où
nous étions restés seuls tous les deux,
après déjeuner, dans la salle de garde, et
où vous vous êtes laissée aller à me racon-
ter de si belles histoires sur les choses et
les gens de votre pays, sur les légendes des
Balkans ? « Un homme avait un berger qui
l'avait fidèlement servi pendant de longues
années. Oh je me les rappelle par
cœur. et « Bltnche-Neige ». souvenez-
vous et l'histoire du cheveu merveilleux 1
et la prodigieuse aventure de votre Zacha-
rie Stoianov que vous m'avez dite en pleu-
rant.
C'était toute votre petite âme enthou-
siaste et sauvage que vous me découvriez.
Cette âme-là, vous ne l'aviez montrée ja-
mais à personne, à personne. elle était in-
connue même de vos plus intimes parmi
ceux qui partageaient vos travaux. Eh bien,
vous me l'avez montrée, à moi, ce jour-là,
Johanna, vous me l'avez donnée L.. 1)
Elle secoua la tête avec trop d'énergie
Je ne pensais pas à vous. je pensais à
mon pays. et je racontais des choses pour
moi, pour moi toute seule. C'est comme si
vous n'aviez pas existé.
Allons donc Allons donc Oh j'au-
rais mille choses à vous rappeler. Mais te-
nez, ici l la joie que nous avons eue à nous
retrouver, ça n'est pas une preuve, cela ? Et
hier, cette promenade à cheval, hors les
murs. la minute où près du pont de pierre
je vous ai retenue sur votre cheval qui avait
fait un écart. Je vous avais eue dans mes
bras. oh un instant. liappelez-vous no-
tre embarras et njtre silence, après. Ce n'est
pas de l'amour, tout cela Eh bien, et tout
l'heure quand nous avons mêlé nos halei-
nes 2.
Taisez-vous je ne serai pas votre
femme.
Pourquoi ? Dites pourquoi ? Vous avez
dit cela bien mollement, Johanna. Vous
êtes-vous promise Y a-t-il quelque part
quelqu'un qui puisse se dire votre fiancé ?
Elle secoua sa belle tête.
Non, il n'y a personne qui puisse se
dire cela, mon ami, exprima-t-elle avec un
certain effort. je ne veux pas me marier.
et je vais vous dire pourquoi. ajouta-t-elle
avec un énigmatique et grave sourire un
jour que je me promenais avec mon père
dans le Balkan. naturellement j'étais
bien jeune, puisque mon père a été assas-
siné quand j'avais six ans. c'était quelques
mois avant sa mort. une vieille sorcière est
venue à nous qui a lu dans les lignes de ma
main et qui m'a dït « petide, méfie-toi de tes
noces » Voilà! Alors, vous comprenez,
je ne tiens pas à me marier, moi
Oh s'il n'y a que ça 1
Il regarda son visage immobile et fut stu-
péfait. Johanna était devenue de marbre. Il
ignorait ces yeux durs, ce sombre regard. I'
ne connaissait pas cette jeune fille qui! avail
devant lui 1
Johanna, qu'avez-vous
J'ai qu'on ne doit pas songer à se
marier avec moi. u Je vous montrais tout à
l'heure la cicatrice d'un coup de kandjar que
j'ai reçu à l'âge de six ans. Sachez, mor
ami. que c'est pour m'en éviter un second
ue mon oncle m'a tant fait voyager. et
que je suis allée étudier la médecine à Pa-
ris. Vous connaissez maintenant la raison
de mon exil Ça n'est peut-être pas très
brave, mais c'est assez romantique, avouez-
le L..
-r Est-il Dieu possible que ces vieilles
histoires du complot Panitza et des assas-
sins de Veltchef ne soient pas oubliées,
s'écria le reporter. Saprelotte Sur Stam-
boulov et sur les vôtres, leurs ombres san-
glantes ont été assez vengées.
Il paraît que non. fit-elle en se tour-
nant vers lui et en regardant bien en face
le sincère et profond émoi du jeune homme.
Alors, pourquoi êtes-vous revenue ici 1
Parce qu'on va se battre 1. laissa-t-elle
glisser entre ses lèvres pâles d'où tout le
sang semblait s'être retiré. Alors, vous
comprenez. Cela n'a plus aucune impor-
tance. C'est ce qpe j'ai fait comprendre à
mon oncle.. Tous, plus ou moins, nous
sommes condamnés à mort, maintenant
qu'il va y avoir la guerre
Quel paÿs gronda Rouletabille™
Mais Johanna, dans sa main glacée, sai-
sit la main brùlante du reporter, et, lui
montrant les invités de son oncle
Savez-vous bien, petit Zo, qu'il n'y a
peut-être pas un de ces graves messieurs
je parle des vieux surtout qui ne pour-
rait vous montrer sous sa redingote ou sous
sa tunique, plusieurs cicatrices comme celle
qui semblait vous émouvoir tout à l'heure.
Tenez ce monsieur à cravate blanche et
à lunettes, là-bas, qui trempe sa lèvre rasée
dans sa tasse de thé et qui a l'air d'un hono-
rable « rond-de-cuir à la retraite.
Très intelligent, fit Rouletabille, je
l'entendais tout à l'heure s'exprimer sur les
homme de ce temps. Il les démonte comme
une montre de poche.
Oui, il voit au fond des choses comme
dans une eau de source c'est Staneho, un
ancien paysan, vice-président de notre So-
branié. Il était des cinq qui accompagnè-
rent Zacharie Stoianov dans sa dernière
aventure à Traian, avant la guerre de la
Délivrance. Pendant quinze jours, errant
1 dans une forêt, il ne se nourrit que d'oseille
sauvage et d'escargots le seizième, il loin.
ba dans un parti de bachi-bouzouks. Les
Turcs découvrirent que c'était un «comité»
Son compte était bon. On lui posa sur la
tête une couronne de fleurs des champs
i « Tu plairas comme cela aux belles filles
t de Troian » lui disaient les'Zeptiés avant
de le pendre. Et ils l'ont pendu
Pas possible
Oui Quand il fut pendu, ils tirèrent
1 dessus. C'est ce qui l'a sauvé. Une balle
coupa la corde mais comme il avait cinq
autres belles dans le corps, ils le laissèrent
pour mort.
Il revient de loin constata Rouleta-
bille, ahuri.
Nnas revenons tous de loin, dans mon
pays, exprima Johanna avec un certain or-
gueil. Si je vous disais encore, petit Zo, que
ces quatre joueurs de bridge, à cette table,
se sont plus ou moins assassinés dans nos
querelles intimes, et que celui qui étale « le
mort » en ce moment, de ses quatre doigts
de la main droite, a perdu le cinquième lors
de l'assassinat de Stamboulov Les deux en f
face de lui, sont des cousins de Karavélov,
que Stamboulov fit emprisonner, mettre à
nu et fouetter jusqu'à l'évanouissement. Ils
étaient certainement du complot où périt
Stamboulov et où suooombèrent, assassi-
nés, mon père et ma mère.
Et vous les recevez chez vous ?.
Oh ils n'ont pas trempé directement
dans l'attentat.
Mais enfin
Mais enfin, monsieur, nons allons nous
battre fit-elle d'une voix sourde.
Et vous oubliez toutes vos querelles et
toutes vos haines domestiques C'est bien
dit Rouletabille, mais je ne vous comprends
plns lorsqne vous me dites que vous, Jo-
nanna, risquez à chaque instant d'être en-
core la victime de tontes ces haines-là
C'est que.moi, dans mon affaire, j'ai
un Pomak, exprima-t-elle doucement, avec
un triste sourire.
Qu'est-ce que c'est que ça un Pomak ?
C'est un Bulgare qui s'est fait musul- J
man, et je vous prie de croire que nous n'a.
vons pas de plus terrible ennemi.
Et comment s'appelle votre Pomak ?.“
Pourrait-on lé savoir
Oui, il s'appelle Gaulow
Le reporter avait conservé 'la main de ̃
Johanna dans la sienne. Il la sentit tressail-
lir pendant que ta jeune fille prononçait ce
nom à voix très basse.
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