Titre : Les Annales politiques et littéraires : revue populaire paraissant le dimanche / dir. Adolphe Brisson
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1887-05-15
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb34429261z
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 42932 Nombre total de vues : 42932
Description : 15 mai 1887 15 mai 1887
Description : 1887/05/15 (A5,T8,N203). 1887/05/15 (A5,T8,N203).
Description : Note : ESSEMENT. Note : ESSEMENT.
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5706057b
Source : Bibliothèque nationale de France, département Collections numérisées, 2009-34518
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 01/12/2010
LES ANNALES POLITIQUES ET LITTERAIRES
313
pour l'art. Il avait formé lentement et
avec la plus artistique méthode, l'inter-
prétation de Lohengrin en a fourni l'élo-
quent témoignage, une troupe hors de
pair, sujet, orchestre et choeurs. C'est
que Lamoureux a pour la musique un tel
culte qu'il lui faut, coûte que coûte, des
exécutions idéales. Il est de l'avis de Ber-
lioz, qui disait qu'elle ne se fait belle et
charmante que pour ceux qui l'aiment et
la respectent; elle n'a que dédains et mé-
pris pour ceux qui la vendent. Voilà
pourquoi elle est si acariâtre, de notre
temps, dans la plupart des grands théâ-
tres de l'Europe, livrés à la spéculation,
où nous la voyons si atrocement vilipen-
dée. De tout quoi il résulte que Lohengrin,
acclamé dans les concerts du Châtelet et
de l'Eden, n'est plus tolérable dès qu'il
revêt la forme théâtrale. Lamoureux a
pu se demander, dans son très naturel
ahurissement :
Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé ?
Mme Fidès-Devriès est, comme chan-
teuse et comme femme, l'Eisa rêvée. Van-
Dyck est un Lohengrin de belle allure et
passé maître en l'art de nuancer et de
phraser. Mme Duvivier, Blauwaërt et
Auguez, Auguez en tout premier lieu,
complètent, selon la formule consacrée,
et qui n'est pas, par exception, banalité
pure, un admirable ensemble.
ELY-EDMOND GRIMARD.
PAGES OUBLIÉES
Cette semaine appartient à George Sand, dont on
vient de reprendre la Claudie, et à Balzac, à qui la
ville de Tours vient d'ériger une statue.Nous croyons
intéressant de reproduire un portrait intime de Balzac
tracé par George Sand.et une page célèbre de Balzac.
Nous ajoutons à ces deux morceaux, une courte des-
cription de la Touraine par Alfred de Vigny. C'est
en Touraine que se passe l'action de Claudie.
BALZAC DANS L'INTIMITÉ
U n de mes amis qui connaissait un
U peu Balzac m'avait présenté à
U lui, non comme une muse de dé-
U partement, mais comme une
Donne personne de province très émerveillée
de son talent. C'était la vérité. Bien que Balzac
n'eût pas encore produit ses chefs-d'oeuvre à
cette époque, j'étais vivement frappée de sa
manière neuve et originale, et je le considé-
rais déjà comme un maître à étudier. Balzac
avait été, non pas charmant pour moi à la
manière de Delatouche, mais excellent aussi,
avec plus de rondeur et d'égalité de caractère.
Tout le monde sait comme le contentement
de lui-même, contentement si bien fondé
qu'on le lui pardonnait, débordait en lui ;
comme il aimait à parler de ses ouvrages, à
les raconter d'avance, à les faire en causant,
à les lire en brouillons ou en épreuves. Naïf
et bon enfant au possible, il demandait con-
seil aux enfants, n'écoutait pas la réponse,ou
s'en servait pour la combattre avec l'obstina-
tion de sa supériorité. Il n'enseignait jamais,
il parlait de lui, de lui seul. Une seule fois il
s'oublia pour nous parler de Rabelais, que je
ne connaissais pas encore. Il fut si merveil-
leux, si éblouissant, si lucide, que nous nous
disions en le quittant : « Oui, oui, décidé-
ment, il aura tout l'avenir qu'il rêve; il com-
prend, trop bien ce qui n'est pas lui, pour ne
pas faire de lui-même une grande indivi-
dualité. »
Un beau matin, Balzac, ayant bien vendu
la Peau de Chagrin, méprisa son entre-sol et
voulut le quitter; mais, réflexion faite, il se
contenta de transformer ses petites chambres
de poète en un assemblage de boudoirs de
marquise, et, un beau jour, il nous invita à
venir prendre des glace dans ses murs tendus
de soie et bordés de dentelle. Cela me fit
beaucoup rire; je ne pensais pas qu'il prît au
sérieux ce besoin d'un vrai luxe, et que ce
fût pour lui autre chose qu'une fantaisie pas-
sagère. Je me trompais ; ces besoins d'ima-
gination coquette devinrent les tyrans de sa
vie, et, pour les satisfaire', il sacrifia souvent
le bien-être le plus élémentaire. Dès lors il
vivait un peu ainsi, manquant de tout au mi-
lieu de son superflu, et se privant de soupe
et de café plutôt que d'argenterie et de por-
celaine de chine.
Réduit bientôt à des expédients fabuleux
pour ne pas se séparer de colifichets qui ré-
jouissaient sa vue, artiste fantaisiste, c'est-à-
dire enfant aux rêves d'or, il vivait par le
cerveau dans le palais des fées ; homme opi-
niâtre cependant, il acceptait par la volonté
toutes les inquiétudes et toutes les souf-
frances, plutôt que de ne pas forcer la réalité
à garder quelque chose de son rêve.
Puéril et puissant, toujours envieux d'un
bibelot et jamais jaloux d'une gloire, sincère
jusqu'à la modestie, vantard jusqu'à la hâ-
blerie, confiant à lui-même et aux autres,
très expansif, très bon et très fou, avec un
sanctuaire de raison intérieure, où il rentrait
pour tout dominer dans son oeuvre, cynique
dans la chasteté, ivre en buvant de l'eau, in-
tempérant de travail et sobre d'autres pas-
sions, positif et romanesque avec un égal
excès, crédule et sceptique, plein de con-
trastes et de mystères, tel était Balzac en-
core jeune, déjà inexplicable pour quiconque
se fatiguait de la trop constante étude de
lui-même à laquelle il condamnait ses amis,
et qui ne paraissait pas encore à tous aussi
intéressante qu'elle l'était réellement.
En effet, à cette époque, beaucoup de
juges, compétents d'ailleurs, niaient le génie
de Balzac, ou tout au moins ne le croyaient
pas destiné à une si puissante carrière de
développement. Delatouche était un des
plus récalcitrants. Il parlait de lui avec une
aversion effrayante. Balzac avait été son dis-
ciple, et leur rupture, dont ce dernier n'a
jamais su le motif, était toute fraîche et toute
saignante. Delatouche ne donnait aucune
bonne raison à son ressentiment, et Balzac
me disait souvent : « Gare à vous, vous ver-
rez qu'un beau matin, sans vous en douter,
sans savoir pourquoi, vous trouverez en lui
un ennemi mortel. »
Son commerce était fort agréable, un peu
fatigant de paroles pour moi qui ne sais pas
assez répondre pour varier les sujets de con-
versation ; mais son âme était d'une grande
sérénité, et en aucun moment je ne l'ai vu
maussade. Il grimpait avec son gros ventre
tous les étages de la maison du quai Saint-
Michel et arrivait soufflant, riant et racon-
tant sans reprendre haleine. Il prenait des
paperasses sur ma table, y jetait les yeux et
avait l'intention de s'informer un peu de ce
que ce pouvait être; mais aussitôt, pensant à
l'ouvrage qu'il était en train de faire, il se
mettait à le raconter, et, en somme, je trou-
vais cela plus instructif que tous les empê-
chements que Delatouche, questionneur dé-
sespérant, appportait à ma fantaisie.
Un soir que nous avions dîné chez Balzac
d'une manière étrange, je crois que cela se
composait de boeuf bouilli, d'un melon et de
Champagne frappé, il alla endosser une robe
de chambre neuve,, pour nous la montrer
avec une joie de petite fille, et voulut sortir
ainsi costumé, un bougeoir à la main, pour
nous reconduire jusqu'à la grille du Luxem-
bourg. Il était tard, l'endroit désert, et je lui
observais qu'il se ferait assassiner en ren-
trant chez lui. « Du tout, me dit-il ; si je ren-
contre des voleurs, ils me prendront pour un
fou, et ils auront peur de moi, ou pour un
prince, et ils me respecteront. » Il faisait une
belle nuit calme.Il nous accompagna; ainsi,
portant sa bougie allumée dans un joli flam-
beau de vermeil ciselé, parlant des quatre
chevaux arabes qu'il n'avait pas encore, qu'il
aurait bientôt, qu'il n'a jamais eus, et qu'il a
cru fermement avoir pendant quelque,temps.
Il nous eût reconduits jusqu'à l'autre bout de
Paris si nous l'avions laissé faire.
GEORGE SAND.
L'USURIER
II s'occupe de tout, de
tout il fait ressource.
CHARLES BONJOUR.
S bien sa figure pâle et
S blafarde à laquelle je voudrais
S que l'Académie me permît de
S donner le nom de face lunaire, et
ressemblait à du vermeil dédoré ? Les che-
veux de mon usurier étaient plats, soigneu-
sement peignés, et d'un gris cendré. Les
traits de son visage, impassible autant que
celui de M. Talleyrand, paraissaient avoir
été coulés en bronze. Jaunes comme ceux
d'une fouine, ses petits yeux n'avaient près-
que point de cils, et craignaient la lumière,
dont ils étaient garantis par l'abat-jour d'une
vieille casquette verte. Son nez pointu était
si grêlé dans le bout que vous l'eussiez com-
paré à une vrille. Il avait les lèvres minces
de ces alchimistes et de ces petits vieillards
peints par Rembrandt ou par Metzu.
Cet homme parlait bas, d'unfjfton doux et
ne s'emportait jamais. Son âge était un pro-
blème : on ne pouvait pas savoir s'il était
•vieux avant le temps, ou s'il avait ménagé
sa jeunesse afin qu'elle lui servît toujours.
Tout était propre et râpé dans sa chambre,
pareille, depuis le drap vert du bureau jus-
qu'au tapis du lit, au froid sanctuaire de ces
vieilles filles qui passent la journée à frotter
leurs meubles. En hiver, les tisons de son
foyer toujours enterrés dans un talus de cen-
dres, y fumaient sans flamber. Ses actions,
depuis l'heure de son le ver jusqu'à ses accès
de toux le soir, étaient soumises à la régula-
rité d'une pendule.
C'était, en quelque sorte, un homme mo-
dèle que le sommeil remontait. Si vous tou-
chez un cloporte cheminant sur un papier, il
s'arrête et fait le mort ; de même, cet homme
s'interrompait au milieu de son discours et
se taisait au passage d'une voiture, afin de
ne pas forcer sa voix. A l'imitation de Fon-
tenelle, il économisait le mouvement vital
et concentrait tous les sentiments humains
dans le moi.
Aussi sa vie s'écoulait-elle sans faire plus
de bruit que le sable d'une horloge antique.
Vêts le soir, l'homme-billet se changeait en
homme ordinaire, et ses métaux se métamor-
phosaient en coeur humain. S'il était content
de sa journée, il se frottait les mains en lais-
sant échapper par les rides crevassées de son
visage une fumée de gaieté, car il est impos-
sible d'exprimer autrement le jeu muet de
ses muscles. Enfin, dans ses plus grands
accès de joie, sa conversation restait mono-
syllabique, et sa contenance était toute né.
gative.
Voilà le voisin dont le hasard m'avait gra-
tifié dans la maison, que j'habitais, rue des
Grès. Cette maison, qui n'a pas de cour, est
313
pour l'art. Il avait formé lentement et
avec la plus artistique méthode, l'inter-
prétation de Lohengrin en a fourni l'élo-
quent témoignage, une troupe hors de
pair, sujet, orchestre et choeurs. C'est
que Lamoureux a pour la musique un tel
culte qu'il lui faut, coûte que coûte, des
exécutions idéales. Il est de l'avis de Ber-
lioz, qui disait qu'elle ne se fait belle et
charmante que pour ceux qui l'aiment et
la respectent; elle n'a que dédains et mé-
pris pour ceux qui la vendent. Voilà
pourquoi elle est si acariâtre, de notre
temps, dans la plupart des grands théâ-
tres de l'Europe, livrés à la spéculation,
où nous la voyons si atrocement vilipen-
dée. De tout quoi il résulte que Lohengrin,
acclamé dans les concerts du Châtelet et
de l'Eden, n'est plus tolérable dès qu'il
revêt la forme théâtrale. Lamoureux a
pu se demander, dans son très naturel
ahurissement :
Comment en un plomb vil l'or pur s'est-il changé ?
Mme Fidès-Devriès est, comme chan-
teuse et comme femme, l'Eisa rêvée. Van-
Dyck est un Lohengrin de belle allure et
passé maître en l'art de nuancer et de
phraser. Mme Duvivier, Blauwaërt et
Auguez, Auguez en tout premier lieu,
complètent, selon la formule consacrée,
et qui n'est pas, par exception, banalité
pure, un admirable ensemble.
ELY-EDMOND GRIMARD.
PAGES OUBLIÉES
Cette semaine appartient à George Sand, dont on
vient de reprendre la Claudie, et à Balzac, à qui la
ville de Tours vient d'ériger une statue.Nous croyons
intéressant de reproduire un portrait intime de Balzac
tracé par George Sand.et une page célèbre de Balzac.
Nous ajoutons à ces deux morceaux, une courte des-
cription de la Touraine par Alfred de Vigny. C'est
en Touraine que se passe l'action de Claudie.
BALZAC DANS L'INTIMITÉ
U n de mes amis qui connaissait un
U peu Balzac m'avait présenté à
U lui, non comme une muse de dé-
U partement, mais comme une
Donne personne de province très émerveillée
de son talent. C'était la vérité. Bien que Balzac
n'eût pas encore produit ses chefs-d'oeuvre à
cette époque, j'étais vivement frappée de sa
manière neuve et originale, et je le considé-
rais déjà comme un maître à étudier. Balzac
avait été, non pas charmant pour moi à la
manière de Delatouche, mais excellent aussi,
avec plus de rondeur et d'égalité de caractère.
Tout le monde sait comme le contentement
de lui-même, contentement si bien fondé
qu'on le lui pardonnait, débordait en lui ;
comme il aimait à parler de ses ouvrages, à
les raconter d'avance, à les faire en causant,
à les lire en brouillons ou en épreuves. Naïf
et bon enfant au possible, il demandait con-
seil aux enfants, n'écoutait pas la réponse,ou
s'en servait pour la combattre avec l'obstina-
tion de sa supériorité. Il n'enseignait jamais,
il parlait de lui, de lui seul. Une seule fois il
s'oublia pour nous parler de Rabelais, que je
ne connaissais pas encore. Il fut si merveil-
leux, si éblouissant, si lucide, que nous nous
disions en le quittant : « Oui, oui, décidé-
ment, il aura tout l'avenir qu'il rêve; il com-
prend, trop bien ce qui n'est pas lui, pour ne
pas faire de lui-même une grande indivi-
dualité. »
Un beau matin, Balzac, ayant bien vendu
la Peau de Chagrin, méprisa son entre-sol et
voulut le quitter; mais, réflexion faite, il se
contenta de transformer ses petites chambres
de poète en un assemblage de boudoirs de
marquise, et, un beau jour, il nous invita à
venir prendre des glace dans ses murs tendus
de soie et bordés de dentelle. Cela me fit
beaucoup rire; je ne pensais pas qu'il prît au
sérieux ce besoin d'un vrai luxe, et que ce
fût pour lui autre chose qu'une fantaisie pas-
sagère. Je me trompais ; ces besoins d'ima-
gination coquette devinrent les tyrans de sa
vie, et, pour les satisfaire', il sacrifia souvent
le bien-être le plus élémentaire. Dès lors il
vivait un peu ainsi, manquant de tout au mi-
lieu de son superflu, et se privant de soupe
et de café plutôt que d'argenterie et de por-
celaine de chine.
Réduit bientôt à des expédients fabuleux
pour ne pas se séparer de colifichets qui ré-
jouissaient sa vue, artiste fantaisiste, c'est-à-
dire enfant aux rêves d'or, il vivait par le
cerveau dans le palais des fées ; homme opi-
niâtre cependant, il acceptait par la volonté
toutes les inquiétudes et toutes les souf-
frances, plutôt que de ne pas forcer la réalité
à garder quelque chose de son rêve.
Puéril et puissant, toujours envieux d'un
bibelot et jamais jaloux d'une gloire, sincère
jusqu'à la modestie, vantard jusqu'à la hâ-
blerie, confiant à lui-même et aux autres,
très expansif, très bon et très fou, avec un
sanctuaire de raison intérieure, où il rentrait
pour tout dominer dans son oeuvre, cynique
dans la chasteté, ivre en buvant de l'eau, in-
tempérant de travail et sobre d'autres pas-
sions, positif et romanesque avec un égal
excès, crédule et sceptique, plein de con-
trastes et de mystères, tel était Balzac en-
core jeune, déjà inexplicable pour quiconque
se fatiguait de la trop constante étude de
lui-même à laquelle il condamnait ses amis,
et qui ne paraissait pas encore à tous aussi
intéressante qu'elle l'était réellement.
En effet, à cette époque, beaucoup de
juges, compétents d'ailleurs, niaient le génie
de Balzac, ou tout au moins ne le croyaient
pas destiné à une si puissante carrière de
développement. Delatouche était un des
plus récalcitrants. Il parlait de lui avec une
aversion effrayante. Balzac avait été son dis-
ciple, et leur rupture, dont ce dernier n'a
jamais su le motif, était toute fraîche et toute
saignante. Delatouche ne donnait aucune
bonne raison à son ressentiment, et Balzac
me disait souvent : « Gare à vous, vous ver-
rez qu'un beau matin, sans vous en douter,
sans savoir pourquoi, vous trouverez en lui
un ennemi mortel. »
Son commerce était fort agréable, un peu
fatigant de paroles pour moi qui ne sais pas
assez répondre pour varier les sujets de con-
versation ; mais son âme était d'une grande
sérénité, et en aucun moment je ne l'ai vu
maussade. Il grimpait avec son gros ventre
tous les étages de la maison du quai Saint-
Michel et arrivait soufflant, riant et racon-
tant sans reprendre haleine. Il prenait des
paperasses sur ma table, y jetait les yeux et
avait l'intention de s'informer un peu de ce
que ce pouvait être; mais aussitôt, pensant à
l'ouvrage qu'il était en train de faire, il se
mettait à le raconter, et, en somme, je trou-
vais cela plus instructif que tous les empê-
chements que Delatouche, questionneur dé-
sespérant, appportait à ma fantaisie.
Un soir que nous avions dîné chez Balzac
d'une manière étrange, je crois que cela se
composait de boeuf bouilli, d'un melon et de
Champagne frappé, il alla endosser une robe
de chambre neuve,, pour nous la montrer
avec une joie de petite fille, et voulut sortir
ainsi costumé, un bougeoir à la main, pour
nous reconduire jusqu'à la grille du Luxem-
bourg. Il était tard, l'endroit désert, et je lui
observais qu'il se ferait assassiner en ren-
trant chez lui. « Du tout, me dit-il ; si je ren-
contre des voleurs, ils me prendront pour un
fou, et ils auront peur de moi, ou pour un
prince, et ils me respecteront. » Il faisait une
belle nuit calme.Il nous accompagna; ainsi,
portant sa bougie allumée dans un joli flam-
beau de vermeil ciselé, parlant des quatre
chevaux arabes qu'il n'avait pas encore, qu'il
aurait bientôt, qu'il n'a jamais eus, et qu'il a
cru fermement avoir pendant quelque,temps.
Il nous eût reconduits jusqu'à l'autre bout de
Paris si nous l'avions laissé faire.
GEORGE SAND.
L'USURIER
II s'occupe de tout, de
tout il fait ressource.
CHARLES BONJOUR.
S bien sa figure pâle et
S blafarde à laquelle je voudrais
S que l'Académie me permît de
S donner le nom de face lunaire, et
ressemblait à du vermeil dédoré ? Les che-
veux de mon usurier étaient plats, soigneu-
sement peignés, et d'un gris cendré. Les
traits de son visage, impassible autant que
celui de M. Talleyrand, paraissaient avoir
été coulés en bronze. Jaunes comme ceux
d'une fouine, ses petits yeux n'avaient près-
que point de cils, et craignaient la lumière,
dont ils étaient garantis par l'abat-jour d'une
vieille casquette verte. Son nez pointu était
si grêlé dans le bout que vous l'eussiez com-
paré à une vrille. Il avait les lèvres minces
de ces alchimistes et de ces petits vieillards
peints par Rembrandt ou par Metzu.
Cet homme parlait bas, d'unfjfton doux et
ne s'emportait jamais. Son âge était un pro-
blème : on ne pouvait pas savoir s'il était
•vieux avant le temps, ou s'il avait ménagé
sa jeunesse afin qu'elle lui servît toujours.
Tout était propre et râpé dans sa chambre,
pareille, depuis le drap vert du bureau jus-
qu'au tapis du lit, au froid sanctuaire de ces
vieilles filles qui passent la journée à frotter
leurs meubles. En hiver, les tisons de son
foyer toujours enterrés dans un talus de cen-
dres, y fumaient sans flamber. Ses actions,
depuis l'heure de son le ver jusqu'à ses accès
de toux le soir, étaient soumises à la régula-
rité d'une pendule.
C'était, en quelque sorte, un homme mo-
dèle que le sommeil remontait. Si vous tou-
chez un cloporte cheminant sur un papier, il
s'arrête et fait le mort ; de même, cet homme
s'interrompait au milieu de son discours et
se taisait au passage d'une voiture, afin de
ne pas forcer sa voix. A l'imitation de Fon-
tenelle, il économisait le mouvement vital
et concentrait tous les sentiments humains
dans le moi.
Aussi sa vie s'écoulait-elle sans faire plus
de bruit que le sable d'une horloge antique.
Vêts le soir, l'homme-billet se changeait en
homme ordinaire, et ses métaux se métamor-
phosaient en coeur humain. S'il était content
de sa journée, il se frottait les mains en lais-
sant échapper par les rides crevassées de son
visage une fumée de gaieté, car il est impos-
sible d'exprimer autrement le jeu muet de
ses muscles. Enfin, dans ses plus grands
accès de joie, sa conversation restait mono-
syllabique, et sa contenance était toute né.
gative.
Voilà le voisin dont le hasard m'avait gra-
tifié dans la maison, que j'habitais, rue des
Grès. Cette maison, qui n'a pas de cour, est
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