Titre : Le Matin : derniers télégrammes de la nuit
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1906-04-20
Contributeur : Edwards, Alfred (1856-1914). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328123058
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 20 avril 1906 20 avril 1906
Description : 1906/04/20 (Numéro 8090). 1906/04/20 (Numéro 8090).
Description : Collection numérique : Grande collecte... Collection numérique : Grande collecte d'archives. Femmes au travail
Description : Collection numérique : La Grande Collecte Collection numérique : La Grande Collecte
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k567943p
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 29/04/2008
9.
r SI.
CINQ CENTIMES
Vendredi
DERNIERS TÉLÉGRAMMES DE LA NUIT
SEUL JOURNAL FRANÇAIS RECEVANT PAR FILS SPECIAUX LES DERNIERES NOUYELLES DU MONDE ENTIER
UNE VILLE DÉTRUITE
LA CATASTROPHE DE SâN-FRÂNOISCO
La capitale de la Californie en proie à l'épouvante et à
l'anarchie Tableau sinistre d'une journée
lugubre Le pillage dans les décombres
Effroyables pertes.
VUE GÉNÉRALE DE SAN-FRANCISCO
Les dernières nouvelles reçues des
Etats-Unis, et qu'on trouvera plus bas,
laissent peu de doute sur la magnitude
de la catastrophe qui, mercredi, à l'au-
rore, a frappé Sao-Francisco c'est bien
la destruction de toute une ville, c'est
bien un anéantissement brutal et horri-
ble, quelque chose comme la pulvérisa-
tion de Sodome et de Gomorrhe. Ainsi,
à travers les siècles, la même fatalité
amoncelle les mêmes ruines et accumule
les mêmes deuils
3S[iU doi}|g..gu'avec la merveilleuse vi-
talité dont la'nation américaine a donné
V lés preuve la ville disparue ne se relevé
de ses ruines. Trente ans avaient, sufil
pour que San-Francisco, pour qu'une
capitale de 500,000 âmes jaillît pour
ainsi dire du sol dix ans suffiront peut-
être pour qu'elle sorte, comme Chicago,
comme Baltimore, plus glorieuse et plus
belle, des décombres fumants et des rui-
nes amoncelées mais dix heures ont
suffi pour réduire à néant le'magniflque
effort d'un quart de siècle 1 Quel ensei-
gnement et quelle méditation 1
Le désastre.
New-York, i9 avril (via P.-Q.). Dé-
pêche particulière du « Matin,)). -Le
correspondant du Sun à San-Francisco
est arrivé à Oakland, d'où il envoie les
détails suivants sur les scènes qui sui-
virent le tremblement de terre
La plupart des habitants, en s'éveil-
'lant, se trouvèrent sur le plancher de
leurs chambres, ou il avaient été -proie-
tés par le tremblement de terre. L'ins-
tinct humain les entraînant à quitter
leurs maisons qui. vacillaient et mena-
çaient de s'écrouler, toûs se précipitè-
rent au dehors, où ils s'aperçurent que
le sol lui-même tremblait, s'élevant en
'divers endroits, s'abaissant dans d'au-
tres, guêpes trottoirs avaient été détruits
ei que de grandes crevassessillonnaient
les rues.
Lés trois minutes qui suivirent furent
une éternité de terreur; probablement
une douzaine de personnes est peut-dire
plus moururent de frayeur durant ce
court laps de temps. Py.is un grondement
pareit au bruit du tonnerre se fil enten-
dre et un peu partout retentit le craque-
tnent sinistre produit par les maisons qui
s'effondraient. Ce bruit s'éteignit enfin,
laissant la térre encore toute trémblante.
Les hommes couraient droit devant eux,
s'arrêtant à chaque nouvelle secousse,
croyant voir la terre s' entr' ouvrir sous
leurs pas puis, quelquefois pris d'une
'terreur épouvantable, ils se jetaient la
face contre le sol. Deux ou trois minutes
s'écoulèrent après la première secousse
sans que le peuple eût repris le senti-
ment de la situation. Alors les sanglots
des femmes se mêlèrent aux cris des
hommes et, comme mue par une même
impulsion, la foule se précipita vers les
parcs, pour s'y mettre à l'abri des murs
qui menaçaient de s'écrouler. En quel-
aues instants. les parcs étaient remplis
SÂN-FRÀNGISCQ ET LES ENVIRONS
Californie street
FROM SAUTORNE STREET
de gens en costume de nuit qui hurlaient
et sanglotaient chaque nouvelle se-
cousse. Au bout de quelques minutes, les
conduites de gaz et d'électricité étant
rompues, tous les réverbères, dans les
rues, étaient éteints. L'aube naquit, mais,
avant que ses rayons éâlairassent la
terre, une gigantesque lueur s'éleva vers
l'est, causée par l'incendie qui v,enait
d'éclater dans le quartier.des affaires.
Les hommes les plus braves et ceux
qui n'avaient aucune famille sur laquelle
veiller se précipitèrent hors des parcs,
dans leur costume sommaire. Au-des-
sous d'eux, ils aperçurent alors le quar-
tier des affaires tout en ruines et attaqué
en cinq ou six endroits par les flammes.
Des pompiers venus de toutes les direc-
tions. passèrent alors à travers les rues
avec leurs engins qui, hélas 1 ne 'devaient
être d'aucun secours.
Au Portsmouth square, qui est entouré
'par les quartiers chinois, italien et d'au-
Ires où grouille une population métari-
gée,. ta panique était indescriptible, le
tremblement de terre ayant détruit plu-
sieurs maisons. Dans tous ces quartiers,
il se produisit vers le square une pous-
sée formidable que la police, trop occu-
l:ée ailleurs, ne chercha pas à empêcher.
La panique.
Les Chinois se ruèrent hors de leurs
tanières comme des rats et s'entassèrent
dans le square, frappant sur des gongs
et se servant des instruments les plus
bruyants qu'ils avaient pu emporter, et
avec lesquels ils faisaient un tapage in-
fernal. Dans le square, les Chinois se
heurtèrent aux réfugiés du quartier ita-
lien. La panique, alors, se changea en
folie! 10,000 Chinois entrèrent en lutte
avec quelques milliers d'Espagnols et de
Mexicains qui se pressaient également
dans le square, venant d'un autre tâté.
Le ".ombat entre les deux parties cura
toute la matinée, jusqu'à ce que les trou-
pes fussent venues, baïonnette au canon,
rétablir l'ordre.
Dans te bas de la vitle, où des nuages'
de fumée s'élevaient des bâtiments en
feu, le spectacle était autre, mais égale-
ment curieux des fiacres, des camions,
des véhicules de toutes sortes, dont les
cochers avaient été engagés à des prix
énormes, commençaient à emporter hoirs
des atteintes du f eu les objets de valeur
qui se trouvaient dans certains hôtels
menacés d'être dévastés par l'incendie.
Les banques même commençaient à
entasser leur argent et leurs valeurs dans
des voitures qui, sous la garde des em-
ployés, devaient les transporter hors de
la veille, dans un endroit sur on put voir,
par exemple, un vieux fiacre qui, con-
duit par un cocher blanc de terreur,
transportait pour plus de cinq millions
de francs d'argent et de valeurs.
Des hommes transportant des cada-
vres ou des personnes blessées par la
chute des maisons s'arrêtaient, proférant
des malédictions contre ces voitures qui
passaient, emportant des objets de va-
leur et laissant les victimes de côté.
De temps à autre, une ile de voitures
se heurtait à une barrière de débris
formée par la chute dans la rue de,'quel-
ques bâtiments, et etlè devait attendre
quë la garde l'accompagnant ait déblayé
la rue pour lui faire passage.
La seconde secousse violente, qui lut.
ressentie vers huit heures, détermina à
s'enfuir ceux-mdmes qui paraissaient dé-
cidés à rester dans la ville et qui, instinc-
tivement, se dirigèrent vers les bacs à
vapeur pour se faire transporter de l'au-
tre côté de la baie. Mais, lorsque tout ce
monde à demi vétu et portant des petits
paquets faits rapidement atteignit Mont-
gomery's street, il se trouva arrêté par
une barrière de feu: Refoulés, ces mal-
heureux s'employèrent alors à aider la
police à repousser la foule du côté des
collines.
Le désordre.
Les désordres avaient été si grands, au
cours de la matinée, que, lorsque l'après-
midi, vint, les troupes firent observer
strictement les lois contre les rassem-
blements c'est à cette mesure que les
banques durent de n'être point envahies
par les gens qui, en grand nombre,
voulaient retirer leur argent avant de
quitter la ville. Pendant toute la matinée,
des bandes d'hommes exaspérés avaient,
en ejfet, stationné devant les portes de
ces établissements, sans tenir compte du
danger causé par les f lammèches que le
Ji&kil4aisait voltiger autour d'eux ils
furent, à lajm, dispersés, pM-les, troupes,
et les'aanques purent alors continuer le
•sauvetage de léiir argent et dè~ leur é va-
leurs.
Pendant ce tentps, des s scènes d'une
horreur telle qu'elles semblent presque
incroyables se déroulaient dans la ville.
Un homme, emprisonné sous les ruines
d'une maison que les flammes commen-
çaient à atteindre, pria un policeman de
mettre fin àses souffrances. En réponse,
le policeman sortit son revolver et tira
sur le malheureux, qu'iL manqua ce
que voyant, un autre homme, armé d'un
couteau, se précipita vers l'endroit où
gisait L'infortuné et le tua, accédant
ainsi à son désir et abrégeant sa torture.
Dans la fournée, le vent changea, et,
les maisons qui se trouvaient sur le bord
de la mer ayant été brûlées jusqu'au ras
du sol, l'incendie s'éteignit de ce côté-
là. On put alors arriver au bord de l'eau;
les troupes permirent aux malheureux
habitants de s'embarquer sur les bacs à
vapeur, qui les transportèrent de l'autre
côté de la baie. Tous les bacs en service
étaient remplis de gens, dont la plupart
étaient à demi vélus.
A la tombée de la nuit, les troupes,
craignant sans doute que des désordres
n'éclatassent, recommencèrent à empë-
cher tout embarquement sur le rivage
d'Oakland. Tout le bas de la ville de San-
Francisco paraît être en flammes.
Les condoléances.
Dès la première nouvelle de la catas-
trophe de San-Francisco, M. Fallières,
président de la République, a télégra-
phié au président Roosevolt l'expression
de sa douloureuse sympathie.
Aussitôt qu'il a été informé de la ca-
tastrophe de San-Francisco, M. Léon
Bourgeois, ministre des affaires étrangè-
res, a cRargé M. Jusserand, ambassa-
deur de France aux Etats-Unis, d'expri-
mer au gouvernement américain les con-
doléances et la douloureuse sympathie
du gouvernement français.
M. Léon Bourgeois a chargé M. Mol-
lard, directeur du protocole, d'une mis-
sion analogue auprès de M. Mac Cor-
mick, ambassadeur des Etats-Unis à Pa-
ris.
De tous les côtés du monde, d'ailleurs,
des dépêches ont été adressées au pré-
sident Roosevelt, échos de la doulou-
reuse sympathie qu'a éveillée partout la
lamentable catastrophe.
Se faisant l'interprète de ses lecteurs,
le Matin a cru devoir envoyer au chef dé
la République sœur le cablogramme que
voici
Président Roosevelt, Washington.
Au nom de tous ses lecteurs, le Matin
vous prie, monsieur le président, d'ac-
cepter le tribut de sa douloureuse sym-
pathie. Chaque coup qui frappe la Répu-
blique des Etats-Unis est un coup qui
atteint la civilisation tout entière.
LE MATIN.
DE MIDI A MINUIT
Paris. Le conseil des ministres s'est
occupé de l'agitation gràviste et des mesu-
res prendre pour maintenir Tordre pu-
blic. === M. Curie, -l'illustre chimiste,
est mort écrasé par un camion, rue Da2a-
phine. M. Le Grandais, conseiller mu-
nicipal de Paris, est mort la suite d'une
syncope cardiaque, qui l'avait frappé dans
une réunion publique.
Départements. Dans le 6asstn houiller,
le calme règne, grâce: aux mesures d'ordre
Tigoui'çusés qui otit été prises., M. Clemen-
ceau? ministre de l'intérieur, s'est rendu à
Lens, puis à Denain: = Le mouvement
gréviste s'étend en province différentes
corporations. Un meeting composé de
6,0OÛ ouvriers de t'arsenat et employés de
VEtat s'est teriu à Toulon, protestant con-
tre les' mesures gouvernementates et an-
nonçant des manifestations pour le mai.
Etranger. Guillaume Il a chargé le
prince Albert de Prusse, régent du duché
de Brunswick, de le représenter aux noces
du roi d'Espagne. Les obsèques du général
Slœtzer, commandant du corps d'armée
allemand, ont eu lieu solennellement à
Melz. = Une secousse de tremblement de
terre assez violente- a été ressentie à Sera-
jevo, en Dosnie. = Le pope (japon a su-
bilement disparu de Saint-Pétersbourg,
sans que ni sa famille ni ses amis aient pu
retrouver sa trace. = Le comte Romano-
nès, naivïstre de l'intérieur d'Espagne, est
arrivé Barcelone, où il va faire une en-
qudte sur. la situation politique. = Une
rencontre a eu lieu àKresna, district de
Serres, on Macédoine, entre les troupes
turques et une bande bulgare 38 Bulgares
ont été tués. Les soldats poursuivent d'au-
tres bandes.
chez les mineurs
Le ministre de l'intérieur a visité le bassin
du Pas-de-Calais, où se sont produits de
graves désordres Mort du, lieute-
nant Lautour.
LILLE, 19 avril. Dépêche particulière du
« Matin ». M. Clemenceau est revenu au-
jourd'hui d'Arras a Lens par train spécial,
huit heures cinquante du matin. Il s'est
aussitôt rendu, accompagné du préfet, M.
Duréault, et des généraux Chômer et Jac-
quelot de Boisrouvray, chez M. Reumaux,
dont il a visité .en détail la maison sacca-
gée, en exprimant son indignation que de
tels faits aient pu se produire. Il a affirmé
à M. Reumaux que désormais les mesures
les plus efficaces de protection seraient pri-
ses. La maison a l'aspect d'un fort après
un siège tout y est brisé, et M. Clemen-
ceau a pu se convaincre que, si l'arrivée
des gendarmes et des troupes en nombre
suffisant avait tardé de quelques minutes,
il ne serait rien resté de l'habitation.
Aussitôt après, M. Clemenceau, toujours
accompagné du préfet et des généraux,
s'est rendu à l'hôpital. Il a refusé de mon-
ter en voiture, refusé l'escorte de hussards
qui devait l'accompagner, et c'est il pied
qu'il a parcouru le boulevard des Ecoles et
la Grand'Place.
Un incidept s'est, produit un commer-
çant quf arrivait en voiture a arrêté son
lant
On a pillé ma voiture hier, a-t-il dit.
Qui va 'me payer ?
Faites votre note, a répondu.M. Cle-
menceau .on vous la soldera.
Victime du devoir.
A l'hôpital, M. Clemenceau s'est d'abord
rendu près du lit du lieutenant Lautour,du 5"
dragons, dont une brique a fracturé le front
hier, et qui, précipité de cheval par la vio-
lence du coup, s'est fracassé le crAne sur le
pavé. Il est mort dans la nuit, malgré la tré-
panation tentée pour le sauver.
(Phot. Nadar.)
M. G. CLEMENCEAU
Ministre de l'intérieur
Le corps reposait, les mains unies et tou-
tes blanches, sur le lit la figure apparais-
sait à peine, coupée d'une forte moustache,
sous les bandages enchevêtrés. Le lieute-
nant Lautour avait trente-cinq- ans il avait
fait nombre de campagnes, notamment
celle de Madagascar. Il était très estimé et
très aimé à Compiègne où il était en gar-
nison.
En quelques paroles émues, M. Clemen-
ceau a rendu hommage à cette victime tom-
bée en accomplissant son devoir d'officier
et de soldat.
Puis le général Jacquelot de Boisrouvray,
se découvrant, se pencha sur le corps et,
les larmes aux yeux, embrassa au front
l'officier tombé sous les briques des émeu-
tiers. C'était l'hommage fraternel des cama-
rades de l'armée et des chefs.
Cette scène, dans sa simplicité dramati-
que, a vivement ému tous les assistants.
M. Clemenceau a rendu visite ensuite au
lieutenant de Verzel, du de ligne, as-
sommé, à la tête de ses hommes, en char-
geant, pour reprendre la voie ferrée, et dont
l'état est toujours sérieux, ainsi qu'au lieu-
tenant Allut, du 28° dragons, blessé à la
tête, Li&vin, et qu'on n'a pu encore tirer
d'un évanouissement qui, prolongé, appa-
raît comme un symptôme très grave.
Le ministre a rendu visite aussi aux sol-
dats et gendarmes blessés, et à un mineur
de Courrières qui a perdu la vue dans l'ex-
plosion.
Il a ensuite regagné la gare, et s'est em-
barqué en train spécial pour Denain, ac-
compagné du préfet du Nord.
Un duel à Compiègne.
Compiègne, 19 avril (par téléphone).
Un incident causé par les événements de
Denain s'est produit hier à Compiègne. Un
ancien officier, M. Martel, apprenant la
mort du lieutenant Lautour, s'écria, dans
un établissement public « Quel gouverne-
ment d'assassins !» Il
Le sous-préfet de Compiègne, M. Reboul,
releva cette expression. Une altercation s'en-
suivit, qui se termina par une provocation
en règle. Un duel l'épée eut lieu dans l'a-
près-midi. Le sous-préfet fut blessé au bras
drpit
ÊCBâSÊ PAR UN CAMION
CURIE
Le grand savant qui collabora à la découverte d%
radium a trouvé la mort, hier, sous les
roues d'un camion La science
française en deuil. «
M.'Curie est mort hier: A écrire cette
phrase, on n'éprouve pas seulement de
la douleur. Ecoutez M. Curie est mort
écrasé par uv camion. La mort est tou-
jours cruelle. Mais elle a des visages
particulièrement atroces. Et quelle irri-
tation se mêle à nos regrets, quand un
savant, jeune encore, en pleine posses-
sion de lui-même, succombe au plus
brutal, au plus stupide des accidents
Une glissade sur un pavé boueux, une
seconde de distraction peut-être, et la
France est privée d'une de ses gloires.
La roue d'une voiture broie le crâne gé-
nial d'où pouvait sortir encore la solu-
tïon de tant de hauts problèmes. C'a
été un incident à peine remarqué, dans
le tumulte de la rue. Quelques cochers,
un cantonnier ont vu cet homme tom-
ber. Mais ils ne le connaissaient point.
Sa mise modeste, son visage émacié ne
rappelaient rien à leur mémoire. Et il a
fallu un long moment pour identifier le
cadavre, le cadavre de cet inconnu.
Car ce savant fuyait le bruit et les hon-
=neurs. Il ne sortait de sa maisonnette
du boulevard Kellermann que pour aller
à son laboratoire. On ne mettra pas sur
son cercueil la croix de la Légion d'hon-
neur. Il l'avait refusée, estimant que la
science porte en elle-même sa récom-
pense.
La France entière, la science de tous
les pays s'associeront à la douleur de sa
veuve, de celle qui fut sa compagne au
foyer comme au laboratoire, et le sou-
tint de sa claire science, comme de sa
chaude affection.
C'est à l'entrée même de la rue Dauphine,
presque à l'angle du carrefour formé par le'
Pont-Neuf et les quais, que s'est produit le
tragique accident qui devait coûter la vie à
l'illustre savant.
Cet endroit est un des points de'Taris les
plus redoutables pour les piétons. L'encom-
brement des véhicules de toute nature y est
tel que les deux agents qui y sont postés
suffisent à peine à régler la circulation.
En outre, la'chaussée sud du Pont-Neuf,
qui se trouve dans le prolongement même de
la rue Dauphine, descend jusqu'au quai en
une pente rapide et glissante, et les voitures
malgré leurs freins ne peuvent que diffic' le-
ment ralentir leur allure. Ce carrefour fut
maintes fois le théâtre de nombreux acci-
dents mortels, et déjà les habitants du quar-
tier de la Monnaie avaient adressé à l'admi.
nistration des pétitions pour faire modifier ia
pente dangereuse du pont.
Voici comment, en ce lieu fatal, M. Curie
trouva la mort.
Il était exactement deux heures et demie
Le savant, qui venait de quitter un de ses
collègues de la faculté des sciences, le pro
fesseur Pei-rin,descendait à pied la rue eau-
phine et se dirigeait vers le quai Conti, oü
il devait se rencontrer chez un éditeur avec
d'autres amis. Il marchait sur le trottoir de
gauche, c'est-à-dire du côté du quai des
Grands-Augustins. Comme il arrivait à l'ex-
trémité de la rue Dauphine, il voulut traver-
ser la chaussée afin de s'engager, par le trot-
toir de droite sur le quai Conti qui fait suit-
au quai des Grands-Augustins. Les voitures
à cet instant étaient nombreuses; aussi le
savant, pour passer d'un trottoir à l'autre,
se mit-il à courir. Soudain, les chevaux d'un
énorme ,camion 'qui arrivait de la direction
du Pont-Neuf lui barrèrent le chemin. Et
M. Curie, dans son élan, vint se heurter con-
tre le cheval placé à gauche du timon, perdit
pied sur le pavé glissant et tomba à la ren-
verse.
Tout cela fut si rapide que le conducteur
du lourd véhicule, malgré tous ses efforts, na
put retenir ses chevaux. La voiture roula
quelques mètres encore. Lorsqu'elle s'arrêta,
M. Curie était mort, la tête écrasée par la
roue droite arrière du camion. La cervelle
avait jailli de la botte crânienne.
Tandis que. des agents s'efforçaient de
protéger le conducteur contre la foule amas-
see, un autre gardien de la paix, avec r"ai<ï»'
d'un cantonnier, dégageait le corps ôt 'i.
transportait dans une pharmacie du quai
Conti. Mais les soins du pharmacien étaient
inutiles, car la mort, dès longtemps, ava.t
fait son œuvre.
On alla chercher un brancard, et le cada-
vre fut conduit au poste du commissariat de
police de la rue des Grands-Augustins.
C'est alors seulement qu'on sut quelle ir-
réparable perte allait être pour la science
la mort de cet homme. Dans les poches d6
ses vêtements, on venait de trouver des car-
tes de visite et différentes pièces d'iderititô
au nom de M. Pierre Curie, membre de l'Ins-
titut, professeur à la faculté des- sciences,
demeurant à Paris, 108, boulevard Keller-
mann.
En hâte, on s'en fut chercher M. Pierre
Clerc, appariteur à la faculté des sciences,
à la Sorbonne. On juge quelle surprise dou-
loureuse fut la sienne lorsque, dans ce ca-
davre ensanglanté, étendu, sur les dalles,,du
poste, il reconnut celui de l'illustre savant.
Bientôt arrivaient à leur tour MM. Appel,
doyen de la Faculté des sciences Gentil,
maître de conférences du laboratoire de géo?
PLAN DU THEATRE DE L'ACCIDENT'
La ligne pointillée supérieure indique le trajet
qu'aurait suivi M. Curie, d'après la déclara-
tion du camionneur Manin, lorsque, voulant
passer du troltoir de gauche sur le trottoir]
de droite, il vint se heurter contre le cheval'
de gauche du camion. La ligne pointillé»
inférieure indique le trajet suivi pâr le sa-
vant, d'après la déposition du cantonnier,
Fauvet. Dans le premier cas, M. Curie au-
rait été dissimulé à M. Manin par te fiacre
venant en sens inverse, ce qui atténuerait
singulièrement la responsabilité du camion-
logie de la Sorbonne, et G uillct, secrétaire
de la faculté des sciences.
Les docteurs Veillard et Droliet, à cet ins-
tant, procédaient aux premières constata-
tions médicales. Toute la partie droite lu
crâne ne formait qu'une plaie béante, par
où s'échappait la matière cérébrale. Le cuir
chevelu avait été presque totalement arra-
ché.
L'enquête.
Après mille difficultés pour arracher à ls
foule qui, voulait le lyncher le conducteur
homicide, les agents avaient nmcne ce der-
nier au commissariat de police ou, tout de
suite, le commissaire, NI. Rcbondin, l'inter-
rogea.
C'est un nommé Louis-Nicolas Manin, né,
à Gentillÿ, lé 20 août 1881. Marié et père de
deux enfants, il habite 6, rue Auguste-Le-Î
comte, à Vanves, où il est employé comme
charretier au service d'un entrepreneur de
transports de cette localité, M. Sertilanger,
103, rue Sadi-Carnot. Il arrivait de la gare
du Nord où, avec un camion appartenant à
son patron, il était allé chercher un charge-
ment de 4,000 kilos d'effets militaires qu'il
conduisait au magasin d'équipement de Van-
ves. Vide, son camion pesait à lui seul déj|
deux mille kilos.
Tout en pleurs, il fit le récit suivant
«– Je venais de traverser le Pont-Neuf,/
r SI.
CINQ CENTIMES
Vendredi
DERNIERS TÉLÉGRAMMES DE LA NUIT
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UNE VILLE DÉTRUITE
LA CATASTROPHE DE SâN-FRÂNOISCO
La capitale de la Californie en proie à l'épouvante et à
l'anarchie Tableau sinistre d'une journée
lugubre Le pillage dans les décombres
Effroyables pertes.
VUE GÉNÉRALE DE SAN-FRANCISCO
Les dernières nouvelles reçues des
Etats-Unis, et qu'on trouvera plus bas,
laissent peu de doute sur la magnitude
de la catastrophe qui, mercredi, à l'au-
rore, a frappé Sao-Francisco c'est bien
la destruction de toute une ville, c'est
bien un anéantissement brutal et horri-
ble, quelque chose comme la pulvérisa-
tion de Sodome et de Gomorrhe. Ainsi,
à travers les siècles, la même fatalité
amoncelle les mêmes ruines et accumule
les mêmes deuils
3S[iU doi}|g..gu'avec la merveilleuse vi-
talité dont la'nation américaine a donné
V lés preuve la ville disparue ne se relevé
de ses ruines. Trente ans avaient, sufil
pour que San-Francisco, pour qu'une
capitale de 500,000 âmes jaillît pour
ainsi dire du sol dix ans suffiront peut-
être pour qu'elle sorte, comme Chicago,
comme Baltimore, plus glorieuse et plus
belle, des décombres fumants et des rui-
nes amoncelées mais dix heures ont
suffi pour réduire à néant le'magniflque
effort d'un quart de siècle 1 Quel ensei-
gnement et quelle méditation 1
Le désastre.
New-York, i9 avril (via P.-Q.). Dé-
pêche particulière du « Matin,)). -Le
correspondant du Sun à San-Francisco
est arrivé à Oakland, d'où il envoie les
détails suivants sur les scènes qui sui-
virent le tremblement de terre
La plupart des habitants, en s'éveil-
'lant, se trouvèrent sur le plancher de
leurs chambres, ou il avaient été -proie-
tés par le tremblement de terre. L'ins-
tinct humain les entraînant à quitter
leurs maisons qui. vacillaient et mena-
çaient de s'écrouler, toûs se précipitè-
rent au dehors, où ils s'aperçurent que
le sol lui-même tremblait, s'élevant en
'divers endroits, s'abaissant dans d'au-
tres, guêpes trottoirs avaient été détruits
ei que de grandes crevassessillonnaient
les rues.
Lés trois minutes qui suivirent furent
une éternité de terreur; probablement
une douzaine de personnes est peut-dire
plus moururent de frayeur durant ce
court laps de temps. Py.is un grondement
pareit au bruit du tonnerre se fil enten-
dre et un peu partout retentit le craque-
tnent sinistre produit par les maisons qui
s'effondraient. Ce bruit s'éteignit enfin,
laissant la térre encore toute trémblante.
Les hommes couraient droit devant eux,
s'arrêtant à chaque nouvelle secousse,
croyant voir la terre s' entr' ouvrir sous
leurs pas puis, quelquefois pris d'une
'terreur épouvantable, ils se jetaient la
face contre le sol. Deux ou trois minutes
s'écoulèrent après la première secousse
sans que le peuple eût repris le senti-
ment de la situation. Alors les sanglots
des femmes se mêlèrent aux cris des
hommes et, comme mue par une même
impulsion, la foule se précipita vers les
parcs, pour s'y mettre à l'abri des murs
qui menaçaient de s'écrouler. En quel-
aues instants. les parcs étaient remplis
SÂN-FRÀNGISCQ ET LES ENVIRONS
Californie street
FROM SAUTORNE STREET
de gens en costume de nuit qui hurlaient
et sanglotaient chaque nouvelle se-
cousse. Au bout de quelques minutes, les
conduites de gaz et d'électricité étant
rompues, tous les réverbères, dans les
rues, étaient éteints. L'aube naquit, mais,
avant que ses rayons éâlairassent la
terre, une gigantesque lueur s'éleva vers
l'est, causée par l'incendie qui v,enait
d'éclater dans le quartier.des affaires.
Les hommes les plus braves et ceux
qui n'avaient aucune famille sur laquelle
veiller se précipitèrent hors des parcs,
dans leur costume sommaire. Au-des-
sous d'eux, ils aperçurent alors le quar-
tier des affaires tout en ruines et attaqué
en cinq ou six endroits par les flammes.
Des pompiers venus de toutes les direc-
tions. passèrent alors à travers les rues
avec leurs engins qui, hélas 1 ne 'devaient
être d'aucun secours.
Au Portsmouth square, qui est entouré
'par les quartiers chinois, italien et d'au-
Ires où grouille une population métari-
gée,. ta panique était indescriptible, le
tremblement de terre ayant détruit plu-
sieurs maisons. Dans tous ces quartiers,
il se produisit vers le square une pous-
sée formidable que la police, trop occu-
l:ée ailleurs, ne chercha pas à empêcher.
La panique.
Les Chinois se ruèrent hors de leurs
tanières comme des rats et s'entassèrent
dans le square, frappant sur des gongs
et se servant des instruments les plus
bruyants qu'ils avaient pu emporter, et
avec lesquels ils faisaient un tapage in-
fernal. Dans le square, les Chinois se
heurtèrent aux réfugiés du quartier ita-
lien. La panique, alors, se changea en
folie! 10,000 Chinois entrèrent en lutte
avec quelques milliers d'Espagnols et de
Mexicains qui se pressaient également
dans le square, venant d'un autre tâté.
Le ".ombat entre les deux parties cura
toute la matinée, jusqu'à ce que les trou-
pes fussent venues, baïonnette au canon,
rétablir l'ordre.
Dans te bas de la vitle, où des nuages'
de fumée s'élevaient des bâtiments en
feu, le spectacle était autre, mais égale-
ment curieux des fiacres, des camions,
des véhicules de toutes sortes, dont les
cochers avaient été engagés à des prix
énormes, commençaient à emporter hoirs
des atteintes du f eu les objets de valeur
qui se trouvaient dans certains hôtels
menacés d'être dévastés par l'incendie.
Les banques même commençaient à
entasser leur argent et leurs valeurs dans
des voitures qui, sous la garde des em-
ployés, devaient les transporter hors de
la veille, dans un endroit sur on put voir,
par exemple, un vieux fiacre qui, con-
duit par un cocher blanc de terreur,
transportait pour plus de cinq millions
de francs d'argent et de valeurs.
Des hommes transportant des cada-
vres ou des personnes blessées par la
chute des maisons s'arrêtaient, proférant
des malédictions contre ces voitures qui
passaient, emportant des objets de va-
leur et laissant les victimes de côté.
De temps à autre, une ile de voitures
se heurtait à une barrière de débris
formée par la chute dans la rue de,'quel-
ques bâtiments, et etlè devait attendre
quë la garde l'accompagnant ait déblayé
la rue pour lui faire passage.
La seconde secousse violente, qui lut.
ressentie vers huit heures, détermina à
s'enfuir ceux-mdmes qui paraissaient dé-
cidés à rester dans la ville et qui, instinc-
tivement, se dirigèrent vers les bacs à
vapeur pour se faire transporter de l'au-
tre côté de la baie. Mais, lorsque tout ce
monde à demi vétu et portant des petits
paquets faits rapidement atteignit Mont-
gomery's street, il se trouva arrêté par
une barrière de feu: Refoulés, ces mal-
heureux s'employèrent alors à aider la
police à repousser la foule du côté des
collines.
Le désordre.
Les désordres avaient été si grands, au
cours de la matinée, que, lorsque l'après-
midi, vint, les troupes firent observer
strictement les lois contre les rassem-
blements c'est à cette mesure que les
banques durent de n'être point envahies
par les gens qui, en grand nombre,
voulaient retirer leur argent avant de
quitter la ville. Pendant toute la matinée,
des bandes d'hommes exaspérés avaient,
en ejfet, stationné devant les portes de
ces établissements, sans tenir compte du
danger causé par les f lammèches que le
Ji&kil4aisait voltiger autour d'eux ils
furent, à lajm, dispersés, pM-les, troupes,
et les'aanques purent alors continuer le
•sauvetage de léiir argent et dè~ leur é va-
leurs.
Pendant ce tentps, des s scènes d'une
horreur telle qu'elles semblent presque
incroyables se déroulaient dans la ville.
Un homme, emprisonné sous les ruines
d'une maison que les flammes commen-
çaient à atteindre, pria un policeman de
mettre fin àses souffrances. En réponse,
le policeman sortit son revolver et tira
sur le malheureux, qu'iL manqua ce
que voyant, un autre homme, armé d'un
couteau, se précipita vers l'endroit où
gisait L'infortuné et le tua, accédant
ainsi à son désir et abrégeant sa torture.
Dans la fournée, le vent changea, et,
les maisons qui se trouvaient sur le bord
de la mer ayant été brûlées jusqu'au ras
du sol, l'incendie s'éteignit de ce côté-
là. On put alors arriver au bord de l'eau;
les troupes permirent aux malheureux
habitants de s'embarquer sur les bacs à
vapeur, qui les transportèrent de l'autre
côté de la baie. Tous les bacs en service
étaient remplis de gens, dont la plupart
étaient à demi vélus.
A la tombée de la nuit, les troupes,
craignant sans doute que des désordres
n'éclatassent, recommencèrent à empë-
cher tout embarquement sur le rivage
d'Oakland. Tout le bas de la ville de San-
Francisco paraît être en flammes.
Les condoléances.
Dès la première nouvelle de la catas-
trophe de San-Francisco, M. Fallières,
président de la République, a télégra-
phié au président Roosevolt l'expression
de sa douloureuse sympathie.
Aussitôt qu'il a été informé de la ca-
tastrophe de San-Francisco, M. Léon
Bourgeois, ministre des affaires étrangè-
res, a cRargé M. Jusserand, ambassa-
deur de France aux Etats-Unis, d'expri-
mer au gouvernement américain les con-
doléances et la douloureuse sympathie
du gouvernement français.
M. Léon Bourgeois a chargé M. Mol-
lard, directeur du protocole, d'une mis-
sion analogue auprès de M. Mac Cor-
mick, ambassadeur des Etats-Unis à Pa-
ris.
De tous les côtés du monde, d'ailleurs,
des dépêches ont été adressées au pré-
sident Roosevelt, échos de la doulou-
reuse sympathie qu'a éveillée partout la
lamentable catastrophe.
Se faisant l'interprète de ses lecteurs,
le Matin a cru devoir envoyer au chef dé
la République sœur le cablogramme que
voici
Président Roosevelt, Washington.
Au nom de tous ses lecteurs, le Matin
vous prie, monsieur le président, d'ac-
cepter le tribut de sa douloureuse sym-
pathie. Chaque coup qui frappe la Répu-
blique des Etats-Unis est un coup qui
atteint la civilisation tout entière.
LE MATIN.
DE MIDI A MINUIT
Paris. Le conseil des ministres s'est
occupé de l'agitation gràviste et des mesu-
res prendre pour maintenir Tordre pu-
blic. === M. Curie, -l'illustre chimiste,
est mort écrasé par un camion, rue Da2a-
phine. M. Le Grandais, conseiller mu-
nicipal de Paris, est mort la suite d'une
syncope cardiaque, qui l'avait frappé dans
une réunion publique.
Départements. Dans le 6asstn houiller,
le calme règne, grâce: aux mesures d'ordre
Tigoui'çusés qui otit été prises., M. Clemen-
ceau? ministre de l'intérieur, s'est rendu à
Lens, puis à Denain: = Le mouvement
gréviste s'étend en province différentes
corporations. Un meeting composé de
6,0OÛ ouvriers de t'arsenat et employés de
VEtat s'est teriu à Toulon, protestant con-
tre les' mesures gouvernementates et an-
nonçant des manifestations pour le mai.
Etranger. Guillaume Il a chargé le
prince Albert de Prusse, régent du duché
de Brunswick, de le représenter aux noces
du roi d'Espagne. Les obsèques du général
Slœtzer, commandant du corps d'armée
allemand, ont eu lieu solennellement à
Melz. = Une secousse de tremblement de
terre assez violente- a été ressentie à Sera-
jevo, en Dosnie. = Le pope (japon a su-
bilement disparu de Saint-Pétersbourg,
sans que ni sa famille ni ses amis aient pu
retrouver sa trace. = Le comte Romano-
nès, naivïstre de l'intérieur d'Espagne, est
arrivé Barcelone, où il va faire une en-
qudte sur. la situation politique. = Une
rencontre a eu lieu àKresna, district de
Serres, on Macédoine, entre les troupes
turques et une bande bulgare 38 Bulgares
ont été tués. Les soldats poursuivent d'au-
tres bandes.
chez les mineurs
Le ministre de l'intérieur a visité le bassin
du Pas-de-Calais, où se sont produits de
graves désordres Mort du, lieute-
nant Lautour.
LILLE, 19 avril. Dépêche particulière du
« Matin ». M. Clemenceau est revenu au-
jourd'hui d'Arras a Lens par train spécial,
huit heures cinquante du matin. Il s'est
aussitôt rendu, accompagné du préfet, M.
Duréault, et des généraux Chômer et Jac-
quelot de Boisrouvray, chez M. Reumaux,
dont il a visité .en détail la maison sacca-
gée, en exprimant son indignation que de
tels faits aient pu se produire. Il a affirmé
à M. Reumaux que désormais les mesures
les plus efficaces de protection seraient pri-
ses. La maison a l'aspect d'un fort après
un siège tout y est brisé, et M. Clemen-
ceau a pu se convaincre que, si l'arrivée
des gendarmes et des troupes en nombre
suffisant avait tardé de quelques minutes,
il ne serait rien resté de l'habitation.
Aussitôt après, M. Clemenceau, toujours
accompagné du préfet et des généraux,
s'est rendu à l'hôpital. Il a refusé de mon-
ter en voiture, refusé l'escorte de hussards
qui devait l'accompagner, et c'est il pied
qu'il a parcouru le boulevard des Ecoles et
la Grand'Place.
Un incidept s'est, produit un commer-
çant quf arrivait en voiture a arrêté son
lant
On a pillé ma voiture hier, a-t-il dit.
Qui va 'me payer ?
Faites votre note, a répondu.M. Cle-
menceau .on vous la soldera.
Victime du devoir.
A l'hôpital, M. Clemenceau s'est d'abord
rendu près du lit du lieutenant Lautour,du 5"
dragons, dont une brique a fracturé le front
hier, et qui, précipité de cheval par la vio-
lence du coup, s'est fracassé le crAne sur le
pavé. Il est mort dans la nuit, malgré la tré-
panation tentée pour le sauver.
(Phot. Nadar.)
M. G. CLEMENCEAU
Ministre de l'intérieur
Le corps reposait, les mains unies et tou-
tes blanches, sur le lit la figure apparais-
sait à peine, coupée d'une forte moustache,
sous les bandages enchevêtrés. Le lieute-
nant Lautour avait trente-cinq- ans il avait
fait nombre de campagnes, notamment
celle de Madagascar. Il était très estimé et
très aimé à Compiègne où il était en gar-
nison.
En quelques paroles émues, M. Clemen-
ceau a rendu hommage à cette victime tom-
bée en accomplissant son devoir d'officier
et de soldat.
Puis le général Jacquelot de Boisrouvray,
se découvrant, se pencha sur le corps et,
les larmes aux yeux, embrassa au front
l'officier tombé sous les briques des émeu-
tiers. C'était l'hommage fraternel des cama-
rades de l'armée et des chefs.
Cette scène, dans sa simplicité dramati-
que, a vivement ému tous les assistants.
M. Clemenceau a rendu visite ensuite au
lieutenant de Verzel, du de ligne, as-
sommé, à la tête de ses hommes, en char-
geant, pour reprendre la voie ferrée, et dont
l'état est toujours sérieux, ainsi qu'au lieu-
tenant Allut, du 28° dragons, blessé à la
tête, Li&vin, et qu'on n'a pu encore tirer
d'un évanouissement qui, prolongé, appa-
raît comme un symptôme très grave.
Le ministre a rendu visite aussi aux sol-
dats et gendarmes blessés, et à un mineur
de Courrières qui a perdu la vue dans l'ex-
plosion.
Il a ensuite regagné la gare, et s'est em-
barqué en train spécial pour Denain, ac-
compagné du préfet du Nord.
Un duel à Compiègne.
Compiègne, 19 avril (par téléphone).
Un incident causé par les événements de
Denain s'est produit hier à Compiègne. Un
ancien officier, M. Martel, apprenant la
mort du lieutenant Lautour, s'écria, dans
un établissement public « Quel gouverne-
ment d'assassins !» Il
Le sous-préfet de Compiègne, M. Reboul,
releva cette expression. Une altercation s'en-
suivit, qui se termina par une provocation
en règle. Un duel l'épée eut lieu dans l'a-
près-midi. Le sous-préfet fut blessé au bras
drpit
ÊCBâSÊ PAR UN CAMION
CURIE
Le grand savant qui collabora à la découverte d%
radium a trouvé la mort, hier, sous les
roues d'un camion La science
française en deuil. «
M.'Curie est mort hier: A écrire cette
phrase, on n'éprouve pas seulement de
la douleur. Ecoutez M. Curie est mort
écrasé par uv camion. La mort est tou-
jours cruelle. Mais elle a des visages
particulièrement atroces. Et quelle irri-
tation se mêle à nos regrets, quand un
savant, jeune encore, en pleine posses-
sion de lui-même, succombe au plus
brutal, au plus stupide des accidents
Une glissade sur un pavé boueux, une
seconde de distraction peut-être, et la
France est privée d'une de ses gloires.
La roue d'une voiture broie le crâne gé-
nial d'où pouvait sortir encore la solu-
tïon de tant de hauts problèmes. C'a
été un incident à peine remarqué, dans
le tumulte de la rue. Quelques cochers,
un cantonnier ont vu cet homme tom-
ber. Mais ils ne le connaissaient point.
Sa mise modeste, son visage émacié ne
rappelaient rien à leur mémoire. Et il a
fallu un long moment pour identifier le
cadavre, le cadavre de cet inconnu.
Car ce savant fuyait le bruit et les hon-
=neurs. Il ne sortait de sa maisonnette
du boulevard Kellermann que pour aller
à son laboratoire. On ne mettra pas sur
son cercueil la croix de la Légion d'hon-
neur. Il l'avait refusée, estimant que la
science porte en elle-même sa récom-
pense.
La France entière, la science de tous
les pays s'associeront à la douleur de sa
veuve, de celle qui fut sa compagne au
foyer comme au laboratoire, et le sou-
tint de sa claire science, comme de sa
chaude affection.
C'est à l'entrée même de la rue Dauphine,
presque à l'angle du carrefour formé par le'
Pont-Neuf et les quais, que s'est produit le
tragique accident qui devait coûter la vie à
l'illustre savant.
Cet endroit est un des points de'Taris les
plus redoutables pour les piétons. L'encom-
brement des véhicules de toute nature y est
tel que les deux agents qui y sont postés
suffisent à peine à régler la circulation.
En outre, la'chaussée sud du Pont-Neuf,
qui se trouve dans le prolongement même de
la rue Dauphine, descend jusqu'au quai en
une pente rapide et glissante, et les voitures
malgré leurs freins ne peuvent que diffic' le-
ment ralentir leur allure. Ce carrefour fut
maintes fois le théâtre de nombreux acci-
dents mortels, et déjà les habitants du quar-
tier de la Monnaie avaient adressé à l'admi.
nistration des pétitions pour faire modifier ia
pente dangereuse du pont.
Voici comment, en ce lieu fatal, M. Curie
trouva la mort.
Il était exactement deux heures et demie
Le savant, qui venait de quitter un de ses
collègues de la faculté des sciences, le pro
fesseur Pei-rin,descendait à pied la rue eau-
phine et se dirigeait vers le quai Conti, oü
il devait se rencontrer chez un éditeur avec
d'autres amis. Il marchait sur le trottoir de
gauche, c'est-à-dire du côté du quai des
Grands-Augustins. Comme il arrivait à l'ex-
trémité de la rue Dauphine, il voulut traver-
ser la chaussée afin de s'engager, par le trot-
toir de droite sur le quai Conti qui fait suit-
au quai des Grands-Augustins. Les voitures
à cet instant étaient nombreuses; aussi le
savant, pour passer d'un trottoir à l'autre,
se mit-il à courir. Soudain, les chevaux d'un
énorme ,camion 'qui arrivait de la direction
du Pont-Neuf lui barrèrent le chemin. Et
M. Curie, dans son élan, vint se heurter con-
tre le cheval placé à gauche du timon, perdit
pied sur le pavé glissant et tomba à la ren-
verse.
Tout cela fut si rapide que le conducteur
du lourd véhicule, malgré tous ses efforts, na
put retenir ses chevaux. La voiture roula
quelques mètres encore. Lorsqu'elle s'arrêta,
M. Curie était mort, la tête écrasée par la
roue droite arrière du camion. La cervelle
avait jailli de la botte crânienne.
Tandis que. des agents s'efforçaient de
protéger le conducteur contre la foule amas-
see, un autre gardien de la paix, avec r"ai<ï»'
d'un cantonnier, dégageait le corps ôt 'i.
transportait dans une pharmacie du quai
Conti. Mais les soins du pharmacien étaient
inutiles, car la mort, dès longtemps, ava.t
fait son œuvre.
On alla chercher un brancard, et le cada-
vre fut conduit au poste du commissariat de
police de la rue des Grands-Augustins.
C'est alors seulement qu'on sut quelle ir-
réparable perte allait être pour la science
la mort de cet homme. Dans les poches d6
ses vêtements, on venait de trouver des car-
tes de visite et différentes pièces d'iderititô
au nom de M. Pierre Curie, membre de l'Ins-
titut, professeur à la faculté des- sciences,
demeurant à Paris, 108, boulevard Keller-
mann.
En hâte, on s'en fut chercher M. Pierre
Clerc, appariteur à la faculté des sciences,
à la Sorbonne. On juge quelle surprise dou-
loureuse fut la sienne lorsque, dans ce ca-
davre ensanglanté, étendu, sur les dalles,,du
poste, il reconnut celui de l'illustre savant.
Bientôt arrivaient à leur tour MM. Appel,
doyen de la Faculté des sciences Gentil,
maître de conférences du laboratoire de géo?
PLAN DU THEATRE DE L'ACCIDENT'
La ligne pointillée supérieure indique le trajet
qu'aurait suivi M. Curie, d'après la déclara-
tion du camionneur Manin, lorsque, voulant
passer du troltoir de gauche sur le trottoir]
de droite, il vint se heurter contre le cheval'
de gauche du camion. La ligne pointillé»
inférieure indique le trajet suivi pâr le sa-
vant, d'après la déposition du cantonnier,
Fauvet. Dans le premier cas, M. Curie au-
rait été dissimulé à M. Manin par te fiacre
venant en sens inverse, ce qui atténuerait
singulièrement la responsabilité du camion-
logie de la Sorbonne, et G uillct, secrétaire
de la faculté des sciences.
Les docteurs Veillard et Droliet, à cet ins-
tant, procédaient aux premières constata-
tions médicales. Toute la partie droite lu
crâne ne formait qu'une plaie béante, par
où s'échappait la matière cérébrale. Le cuir
chevelu avait été presque totalement arra-
ché.
L'enquête.
Après mille difficultés pour arracher à ls
foule qui, voulait le lyncher le conducteur
homicide, les agents avaient nmcne ce der-
nier au commissariat de police ou, tout de
suite, le commissaire, NI. Rcbondin, l'inter-
rogea.
C'est un nommé Louis-Nicolas Manin, né,
à Gentillÿ, lé 20 août 1881. Marié et père de
deux enfants, il habite 6, rue Auguste-Le-Î
comte, à Vanves, où il est employé comme
charretier au service d'un entrepreneur de
transports de cette localité, M. Sertilanger,
103, rue Sadi-Carnot. Il arrivait de la gare
du Nord où, avec un camion appartenant à
son patron, il était allé chercher un charge-
ment de 4,000 kilos d'effets militaires qu'il
conduisait au magasin d'équipement de Van-
ves. Vide, son camion pesait à lui seul déj|
deux mille kilos.
Tout en pleurs, il fit le récit suivant
«– Je venais de traverser le Pont-Neuf,/
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