LA FOULE DANS LE DRAME
ET LA COMÉDIE LYRIQUES
(Fin) (i)
cependant le public est ravi chaque fois
qu'il assiste à des spectacles réglés selon ces
nouveaux principes, par quoi l'oeuvre ly-
rique elle-même, avons-nous dit, élargit
encore sa portée. Il est ravi parce qu'il y
trouve une correspondance secrète avec ses
propres instincts.
Ses sentiments en face d'une action scénique sont
toujours complexes et vraiment bien contradictoires. Il
apporte une complaisance admirable à accepter des
conventions dont la puérilité saute aux yeux, et il est
cependant prêt à s'émouvoir profondément dès qu'on
lui offre un tableau qui lui donne aussi fidèlement que
possible l'image de la vie réelle.
Le public, dans son ensemble, se fait, au spectacle,
à tous les spectacles, même à celui de la rue, une âme
d'enfant. Il y a longtemps que Gustave le Bon a montré
que la psychologie des foules se ramenait à la mise en
commun des éléments psycho-moteurs qui caractérisent
la mentalité infantile, l'individu dépouillant alors sa
personnalité habituelle pour n'être plus qu'une unité
perdue dans la masse, et quelle que fut, par ailleurs, sa
valeur propre.
Il y a même plus longtemps encore qu'un vieux pro-
verbe, à Rome, traduisait cette idée en une formule qui
pourrait encore s'appliquer à bien des assemblées parle-
mentaires : Senatores boni viri. Senatus antem mala
bestia. (Les sénateurs peuvent être de braves gens; le
Sénat n'en est pas moins une méchante bête.)
C'est cette âme puérile qui laisse le public, au théâtre,
indifférent à des invraisemblances grossières, et cepen-
dant ravi dès qu'il croit retrouver la copie exacte de la
nature.
Dans les ouvrages lyriques, il admet déjà ce postulat
énorme, — mais inévitable, — de voir tous les person-
nages exprimer leurs sentiments en musique, alors qu'il
prendrait pour des fous des gens qui agiraient de même
dans la vie réelle. Mais il y a été préparé, d'abord par
une tradition reçue, et aussi par les auditions de musique
de chant au concert ou dans les manifestations chorales.
H a passé condamnation, pendant longtemps, sur l'ab-
sence de gestes et de mimique chez les chanteurs, du
moment qu'il prend plaisir à les écouter : c'est encore
une habitude prise au concert. Mais quelle n'est pas sa
)oie quand, au plaisir de l'ouïe, se joint, au théâtre, un
intérêt visuel 1. Nous le voyons, chaque jour, faire fête à
de vieux chanteurs qui n'ont plus que des organes
(") Voir le Ménestrel du i5 Mars 1929.
vocaux fatigués, mais qui ont eu l'adresse de se survivre
en sachant composer leur personnage et régler d'une
façon émouvante leurs attitudes et leurs gestes. Ce n'est
pas, direz-vous, la partie la plus saine du public? Peut-
être, du point de vue artistique pur. Ce n'en est pas
moins l'immense majorité, la presque totalité des spec-
tateurs d'une salle moyenne. Et même parmi les audi-
teurs les plus difficiles, il n'en est guère qui ne se laissent
prendre à des jeux de scène parfaitement justes, à des
notations visuelles exactement évocatrices, quitte à rou-
gir un peu, ensuite, de cette émotion venue du fonds
humain commun, logé dans leur subconscient.
Ce n'est pas quand il cède à un instinct aussi naturel
qu'il faut blâmer le public, ni rabaisser l'oeuvre de ceux
qui, dans la présentation d'une pièce de théâtre, font
appel à cet instinct. C'est plutôt lorsqu'il exagère vrai-
ment l'indulgence pour certaines conventions qui
relèvent surtout d'un engouement ou d'une mode, par
exemple lorsqu'il admet aujourd'hui que les person-
nages d'une comédie interrompent une discussion pas-
sionnée pour se mettre subitement à danser un two steep
ou un shimmy. Une invraisemblance dans la conduite
de la scène, un malentendu dans l'interprétation, l'eût
choqué. Ici, il ne bronche pas, ne s'étonne de rien :
c'est un intermède accepté. Et la chose ne date pas
d'hier : il n'y a pas un siècle que les intermèdes de
gigue figuraient obligatoirement dans les tragédies
anglaises, et qu'Othello dansait avec Desdemone avant
de lui nouer au cou le fatal mouchoir. Ah les grands,
les éternels enfants!
*
* *
Oui, des enfants. Car ce qui fait accepter au public si
aisément cette convention, et en si évidente contradic-
tion avec son goût, par ailleurs, pour l'exacte représen-
tation de la vie, c'est tout simplement l'agrément phy-
sique que lui donne la vue d'êtres en mouvement,
agrément d'ordre élémentaire, mais irrésistible, parce
que le mouvement est lui-même le signe le plus élé-
mentaire de la vie. Aussi forte que la joie de vivre est,
au théâtre, celle de voir vivre. Le spectacle de la danse
et les jeux du cirque n'ont jamais laissé personne indif-
férent. Ils ont toujours spécialement ravi l'enfant, et
aussi cet autre enfant que redevient l'homme confondu
dans la foule des spectateurs, où sa personnalité acquise
l'abandonne.
Il est évident que les impressions visuelles ont
une action directe beaucoup plus sûre, plus irrésistible,
parce que d'ordre plus simple et d'interprétation plus
immédiate que les impressions auditives. On se fatigue
plus vite à entendre qu'à regarder. L'art qui prétend
à nous émouvoir par les sons requiert de celui qu'il
vise un effort cérébral plus soutenu que l'exhibition de
figures animées, exhibition où l'on peut aussi introduire
129 —
ET LA COMÉDIE LYRIQUES
(Fin) (i)
cependant le public est ravi chaque fois
qu'il assiste à des spectacles réglés selon ces
nouveaux principes, par quoi l'oeuvre ly-
rique elle-même, avons-nous dit, élargit
encore sa portée. Il est ravi parce qu'il y
trouve une correspondance secrète avec ses
propres instincts.
Ses sentiments en face d'une action scénique sont
toujours complexes et vraiment bien contradictoires. Il
apporte une complaisance admirable à accepter des
conventions dont la puérilité saute aux yeux, et il est
cependant prêt à s'émouvoir profondément dès qu'on
lui offre un tableau qui lui donne aussi fidèlement que
possible l'image de la vie réelle.
Le public, dans son ensemble, se fait, au spectacle,
à tous les spectacles, même à celui de la rue, une âme
d'enfant. Il y a longtemps que Gustave le Bon a montré
que la psychologie des foules se ramenait à la mise en
commun des éléments psycho-moteurs qui caractérisent
la mentalité infantile, l'individu dépouillant alors sa
personnalité habituelle pour n'être plus qu'une unité
perdue dans la masse, et quelle que fut, par ailleurs, sa
valeur propre.
Il y a même plus longtemps encore qu'un vieux pro-
verbe, à Rome, traduisait cette idée en une formule qui
pourrait encore s'appliquer à bien des assemblées parle-
mentaires : Senatores boni viri. Senatus antem mala
bestia. (Les sénateurs peuvent être de braves gens; le
Sénat n'en est pas moins une méchante bête.)
C'est cette âme puérile qui laisse le public, au théâtre,
indifférent à des invraisemblances grossières, et cepen-
dant ravi dès qu'il croit retrouver la copie exacte de la
nature.
Dans les ouvrages lyriques, il admet déjà ce postulat
énorme, — mais inévitable, — de voir tous les person-
nages exprimer leurs sentiments en musique, alors qu'il
prendrait pour des fous des gens qui agiraient de même
dans la vie réelle. Mais il y a été préparé, d'abord par
une tradition reçue, et aussi par les auditions de musique
de chant au concert ou dans les manifestations chorales.
H a passé condamnation, pendant longtemps, sur l'ab-
sence de gestes et de mimique chez les chanteurs, du
moment qu'il prend plaisir à les écouter : c'est encore
une habitude prise au concert. Mais quelle n'est pas sa
)oie quand, au plaisir de l'ouïe, se joint, au théâtre, un
intérêt visuel 1. Nous le voyons, chaque jour, faire fête à
de vieux chanteurs qui n'ont plus que des organes
(") Voir le Ménestrel du i5 Mars 1929.
vocaux fatigués, mais qui ont eu l'adresse de se survivre
en sachant composer leur personnage et régler d'une
façon émouvante leurs attitudes et leurs gestes. Ce n'est
pas, direz-vous, la partie la plus saine du public? Peut-
être, du point de vue artistique pur. Ce n'en est pas
moins l'immense majorité, la presque totalité des spec-
tateurs d'une salle moyenne. Et même parmi les audi-
teurs les plus difficiles, il n'en est guère qui ne se laissent
prendre à des jeux de scène parfaitement justes, à des
notations visuelles exactement évocatrices, quitte à rou-
gir un peu, ensuite, de cette émotion venue du fonds
humain commun, logé dans leur subconscient.
Ce n'est pas quand il cède à un instinct aussi naturel
qu'il faut blâmer le public, ni rabaisser l'oeuvre de ceux
qui, dans la présentation d'une pièce de théâtre, font
appel à cet instinct. C'est plutôt lorsqu'il exagère vrai-
ment l'indulgence pour certaines conventions qui
relèvent surtout d'un engouement ou d'une mode, par
exemple lorsqu'il admet aujourd'hui que les person-
nages d'une comédie interrompent une discussion pas-
sionnée pour se mettre subitement à danser un two steep
ou un shimmy. Une invraisemblance dans la conduite
de la scène, un malentendu dans l'interprétation, l'eût
choqué. Ici, il ne bronche pas, ne s'étonne de rien :
c'est un intermède accepté. Et la chose ne date pas
d'hier : il n'y a pas un siècle que les intermèdes de
gigue figuraient obligatoirement dans les tragédies
anglaises, et qu'Othello dansait avec Desdemone avant
de lui nouer au cou le fatal mouchoir. Ah les grands,
les éternels enfants!
*
* *
Oui, des enfants. Car ce qui fait accepter au public si
aisément cette convention, et en si évidente contradic-
tion avec son goût, par ailleurs, pour l'exacte représen-
tation de la vie, c'est tout simplement l'agrément phy-
sique que lui donne la vue d'êtres en mouvement,
agrément d'ordre élémentaire, mais irrésistible, parce
que le mouvement est lui-même le signe le plus élé-
mentaire de la vie. Aussi forte que la joie de vivre est,
au théâtre, celle de voir vivre. Le spectacle de la danse
et les jeux du cirque n'ont jamais laissé personne indif-
férent. Ils ont toujours spécialement ravi l'enfant, et
aussi cet autre enfant que redevient l'homme confondu
dans la foule des spectateurs, où sa personnalité acquise
l'abandonne.
Il est évident que les impressions visuelles ont
une action directe beaucoup plus sûre, plus irrésistible,
parce que d'ordre plus simple et d'interprétation plus
immédiate que les impressions auditives. On se fatigue
plus vite à entendre qu'à regarder. L'art qui prétend
à nous émouvoir par les sons requiert de celui qu'il
vise un effort cérébral plus soutenu que l'exhibition de
figures animées, exhibition où l'on peut aussi introduire
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