Titre : Le Ménestrel : journal de musique
Éditeur : Heugel (Paris)
Date d'édition : 1924-10-10
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344939836
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 44462 Nombre total de vues : 44462
Description : 10 octobre 1924 10 octobre 1924
Description : 1924/10/10 (A86,N41)-1924/10/16. 1924/10/10 (A86,N41)-1924/10/16.
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5616436k
Source : Bibliothèque nationale de France, TOL Non conservé au département des périodiques
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 01/12/2010
LE • MÉNESTREL
ces vieilleries et les vêtir selon notre moderne concep-
tion. Bravo ! Mais encore faut-il que le remède ne soit
pas pire que le mal et ne tue pas le patient. Brisez les
moules, saccagez les ornements parasitaires, mais res-
pectez la pensée de l'auteur, surtout quand cet auteur
s'appelle Molière, petit bonhomme plein de talent,
qui avait la tête fort bien faite et savait dire très exacte-
ment ce qu'il voulait.
L'Ecole des Femmes est une de ses oeuvres qui porte
le moins à équivoque. Elle fait un tout avec PEcole des
Maris qui l'a précédée et la Critique de l'Ecole des
Femmes qui l'explique : n'oublions pas que Sganarelle
de l'École des Maris est cousin d'Arnolphe.
Arnolphe n'est pas un vieillard, il a quarante-deux
ans, l'âge de Molière en 1662, à un an près, donc ce
n'est pas le fait de se marier qui le rend ridicule.
Molière venait d'épouser Armande Béjart, il n'avait à ce
moment encore aucune raison de suspecter sa fidélité ;
et Ariste, l'homme mûr de l'Ecole des Maris, n'est-il
pas un sage ainsi que son nom l'indique ? Ce qui jend
Arnolphe grotesque, c'est la déformation qu'il a voulu
faire subir à l'esprit d'Agnès. Molière n'aime ni les sots
ni les sottes, il ne veut pas qu'on en fabrique, il est pour
Agnès contre Arnolphe. M. Guitry a donc eu raison de
vouloir faire un Arnolphe jeune ; il n'y a point complè-
tement réussi, son physique l'a desservi : le ventre
important qu'il soutient devant lui, son masque lourd
ne laissent pas grande illusion ; qu'il songe à ce qu'était
Molière à 42 ans et il comprendra pourquoi il ne pou-
vait réaliser l'aspect du personnage qu'il avait sans
doute rêvé.
Mais, prenant texte du fameux monologue du troi-
sième acte :
Et cependant je l'aime, après ce lâche tour,
Jusqu'à ne me pouvoir passer de cet amour, etc.
M. Lucien Guitry a mis en relief le côté dramatique
du rôle d'Arnolphe et ce qui n'était qu'indiqué dans
Molière a envahi tout le personnage. La pièce y a-t-elle
gagné? Si oui, M. Guitry est tout pardonné, si non, il
a eu tort. Les représentations qu'il donne en ce mo-
ment montrent combien sa conception alourdit la
comédie, combien les temps qu'il prend ralentissent
l'action : nombre d'effets sont ainsi perdus. L'idée de
M. Lucien Guitry n'est pas nouvelle, Lekain, le grand
artiste tragique, avait songé à prendre possession du
rôle d'Arnolphe, il y renonça, il avait sans doute vu
le péril. M. Guitry pleure de vraies larmes, il paraît
souffrir, c'est admirablement composé, merveilleuse-
ment réalisé, et cependant comment prendre au sérieux
la douleur de l'homme qui vient de faire la conférence
morale si célèbre (dite cette fois d'inimitable manière
par M. Guitry) où les paradoxales exagérations du men-
tor sont soulignées par la mimique ironique et jus-
tement sceptique du comédien ? Ces tentatives de
M. Guitry ne tireraient point à conséquence s'il ne
s'agissait de Molière et si de pareils exemples n'étaient
faits pour encourager des interprètes, qui n'ont pas la
valeur de M. Guitry, à traiter cavalièrement la volonté
de ceux qui ont conçu l'oeuvre. Il n'est pas difficile de
trouver du nouveau à tout prix : il suffit de prendre le
contre-pied de ce qui s'est fait auparavant, ce sont là
méthodes politiques plutôt qu'artistiques : le véritable
progrès consiste non à rompre brutalement avec toutes
les traditions, il en est qui viennent de source, mais à
élaguer celles qui sont nées de fantaisies introduites...
par des artistes comme M. Guitry. Le retour à la source,
à la conception primitive, voilà le vrai ; le reste, entre
des mains malhabiles, et ce n'est pas ici le cas, risque
de se transformer en cabotinage et réclame.
L'attention à juste titre se porte presque entière sur
M. Guitry; il ne faudrait cependant pas être injuste
pour Mlle Yvette Pierryl dont le jeu plein d'excellentes
indications, débarrassé de l'allure stupide qu'une tradi-
tion, mauvaise cette fois, se plaît à infliger à Agnès,
sera parfait lorsqu'il sera plus assuré.
Et puis au-dessus de tout cela reste cette admirable
force de Molière, si saine, si drue, si pleine d'équilibre.
Arrangée, tripatouillée, elle perce quand même.
Pierre D'OUVRAY.
Théâtre Femina. — La Chauve-Souris,
de Nikita BALIEFF.
Nous avons revu, avec le même étonnement émer-
veillé, l'extraordinaire Chauve-Souris. Quelle parfaite
réalisation artistique ! Il y a là une unité, un concours
de tous les arts — musique, danse, comédie, chant et
surtout peinture — aux ordres du metteur en scène,
que nous ne concevons pas en France. C'est le principe
que nous retrouvons, d'ailleurs, et dans les Ballets
Russes, et dans les mises en scène de Pitoeff. Balieff
tour à tour nous amuse par des tableaux d'un humour
savoureux, nous intéresse par des évocations remar-
quables, nous émeut par des scènes puissantes, toujours
nous enchante par une réalisation plastique parfaite.
Son troisième spectacle ne contient peut-être pas de
clou sensationnel équivalent à Katynka ou aux Bate-
liers de la Volga, mais tous les numéros sont très
réussis ; sauf peut-être un, trop long. Quatre ou cinq
sont remarquables. Passons en revue les principaux :
Stenka Racine est une vieille légende de la Volga,
magistralement évoquée. La mise en scène et le mouve-
ment des acteurs sont d'une puissance rare. Le Rendez-
Vous d'Amour, qui vient ensuite, est une danse char-
mante. Plus saisissant est Un Soir d'Hiver, un desnumé-
ros que j'ai préférés. Deux jeunes femmes chantent der-
rière une fenêtre par un soir d'hiver de l'ancienne Rus-
sie. Le décor, qui nous donne l'impression d'être indis-
crets, augmente encore l'effet produit par la musique.
Amour et Hiérarchie est un chef-d'oeuvre d'humour.
L'égalité devant l'amour n'existe pas pour les militaires
qui se succèdent à un rendez-vous, un supérieur venant
toujours chasser le précédent, jusqu'au gros général qui
emmène la belle. La réalisation de cette idée amusante,
et aussi l'extraordinaire talent de la femme qui l'inter-
prète, obtiennent un succès considérable et mérité.
Le Roi a fait battre tambour m'a moins plu, sauf le
décor qui est plaisant.
La Granda Opéra Italiana termine joyeusement la
première partie : un décor inattendu et une charge infi-
niment spirituelle. Dans le même ordre d'idées, nous
applaudissons les Quatre Cadavres, parodie amusante,
quoique un peu grosse. Signalons le succès mérité de
Un Camée, réalisation aux effets saisissants d'éclairage,
de la Querelle de Deux Hollandaises devant un char-
mant moulin. J'ai moins aimé la Partie champêtre dans
une province russe, habilement mise en scène, mais un
peu longue et aimablement languissante.
J'ai gardé pour la fin les trois meilleurs tableaux, ceux
qui sont le plus parfaitement réalisés. L'Intermède à la
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ces vieilleries et les vêtir selon notre moderne concep-
tion. Bravo ! Mais encore faut-il que le remède ne soit
pas pire que le mal et ne tue pas le patient. Brisez les
moules, saccagez les ornements parasitaires, mais res-
pectez la pensée de l'auteur, surtout quand cet auteur
s'appelle Molière, petit bonhomme plein de talent,
qui avait la tête fort bien faite et savait dire très exacte-
ment ce qu'il voulait.
L'Ecole des Femmes est une de ses oeuvres qui porte
le moins à équivoque. Elle fait un tout avec PEcole des
Maris qui l'a précédée et la Critique de l'Ecole des
Femmes qui l'explique : n'oublions pas que Sganarelle
de l'École des Maris est cousin d'Arnolphe.
Arnolphe n'est pas un vieillard, il a quarante-deux
ans, l'âge de Molière en 1662, à un an près, donc ce
n'est pas le fait de se marier qui le rend ridicule.
Molière venait d'épouser Armande Béjart, il n'avait à ce
moment encore aucune raison de suspecter sa fidélité ;
et Ariste, l'homme mûr de l'Ecole des Maris, n'est-il
pas un sage ainsi que son nom l'indique ? Ce qui jend
Arnolphe grotesque, c'est la déformation qu'il a voulu
faire subir à l'esprit d'Agnès. Molière n'aime ni les sots
ni les sottes, il ne veut pas qu'on en fabrique, il est pour
Agnès contre Arnolphe. M. Guitry a donc eu raison de
vouloir faire un Arnolphe jeune ; il n'y a point complè-
tement réussi, son physique l'a desservi : le ventre
important qu'il soutient devant lui, son masque lourd
ne laissent pas grande illusion ; qu'il songe à ce qu'était
Molière à 42 ans et il comprendra pourquoi il ne pou-
vait réaliser l'aspect du personnage qu'il avait sans
doute rêvé.
Mais, prenant texte du fameux monologue du troi-
sième acte :
Et cependant je l'aime, après ce lâche tour,
Jusqu'à ne me pouvoir passer de cet amour, etc.
M. Lucien Guitry a mis en relief le côté dramatique
du rôle d'Arnolphe et ce qui n'était qu'indiqué dans
Molière a envahi tout le personnage. La pièce y a-t-elle
gagné? Si oui, M. Guitry est tout pardonné, si non, il
a eu tort. Les représentations qu'il donne en ce mo-
ment montrent combien sa conception alourdit la
comédie, combien les temps qu'il prend ralentissent
l'action : nombre d'effets sont ainsi perdus. L'idée de
M. Lucien Guitry n'est pas nouvelle, Lekain, le grand
artiste tragique, avait songé à prendre possession du
rôle d'Arnolphe, il y renonça, il avait sans doute vu
le péril. M. Guitry pleure de vraies larmes, il paraît
souffrir, c'est admirablement composé, merveilleuse-
ment réalisé, et cependant comment prendre au sérieux
la douleur de l'homme qui vient de faire la conférence
morale si célèbre (dite cette fois d'inimitable manière
par M. Guitry) où les paradoxales exagérations du men-
tor sont soulignées par la mimique ironique et jus-
tement sceptique du comédien ? Ces tentatives de
M. Guitry ne tireraient point à conséquence s'il ne
s'agissait de Molière et si de pareils exemples n'étaient
faits pour encourager des interprètes, qui n'ont pas la
valeur de M. Guitry, à traiter cavalièrement la volonté
de ceux qui ont conçu l'oeuvre. Il n'est pas difficile de
trouver du nouveau à tout prix : il suffit de prendre le
contre-pied de ce qui s'est fait auparavant, ce sont là
méthodes politiques plutôt qu'artistiques : le véritable
progrès consiste non à rompre brutalement avec toutes
les traditions, il en est qui viennent de source, mais à
élaguer celles qui sont nées de fantaisies introduites...
par des artistes comme M. Guitry. Le retour à la source,
à la conception primitive, voilà le vrai ; le reste, entre
des mains malhabiles, et ce n'est pas ici le cas, risque
de se transformer en cabotinage et réclame.
L'attention à juste titre se porte presque entière sur
M. Guitry; il ne faudrait cependant pas être injuste
pour Mlle Yvette Pierryl dont le jeu plein d'excellentes
indications, débarrassé de l'allure stupide qu'une tradi-
tion, mauvaise cette fois, se plaît à infliger à Agnès,
sera parfait lorsqu'il sera plus assuré.
Et puis au-dessus de tout cela reste cette admirable
force de Molière, si saine, si drue, si pleine d'équilibre.
Arrangée, tripatouillée, elle perce quand même.
Pierre D'OUVRAY.
Théâtre Femina. — La Chauve-Souris,
de Nikita BALIEFF.
Nous avons revu, avec le même étonnement émer-
veillé, l'extraordinaire Chauve-Souris. Quelle parfaite
réalisation artistique ! Il y a là une unité, un concours
de tous les arts — musique, danse, comédie, chant et
surtout peinture — aux ordres du metteur en scène,
que nous ne concevons pas en France. C'est le principe
que nous retrouvons, d'ailleurs, et dans les Ballets
Russes, et dans les mises en scène de Pitoeff. Balieff
tour à tour nous amuse par des tableaux d'un humour
savoureux, nous intéresse par des évocations remar-
quables, nous émeut par des scènes puissantes, toujours
nous enchante par une réalisation plastique parfaite.
Son troisième spectacle ne contient peut-être pas de
clou sensationnel équivalent à Katynka ou aux Bate-
liers de la Volga, mais tous les numéros sont très
réussis ; sauf peut-être un, trop long. Quatre ou cinq
sont remarquables. Passons en revue les principaux :
Stenka Racine est une vieille légende de la Volga,
magistralement évoquée. La mise en scène et le mouve-
ment des acteurs sont d'une puissance rare. Le Rendez-
Vous d'Amour, qui vient ensuite, est une danse char-
mante. Plus saisissant est Un Soir d'Hiver, un desnumé-
ros que j'ai préférés. Deux jeunes femmes chantent der-
rière une fenêtre par un soir d'hiver de l'ancienne Rus-
sie. Le décor, qui nous donne l'impression d'être indis-
crets, augmente encore l'effet produit par la musique.
Amour et Hiérarchie est un chef-d'oeuvre d'humour.
L'égalité devant l'amour n'existe pas pour les militaires
qui se succèdent à un rendez-vous, un supérieur venant
toujours chasser le précédent, jusqu'au gros général qui
emmène la belle. La réalisation de cette idée amusante,
et aussi l'extraordinaire talent de la femme qui l'inter-
prète, obtiennent un succès considérable et mérité.
Le Roi a fait battre tambour m'a moins plu, sauf le
décor qui est plaisant.
La Granda Opéra Italiana termine joyeusement la
première partie : un décor inattendu et une charge infi-
niment spirituelle. Dans le même ordre d'idées, nous
applaudissons les Quatre Cadavres, parodie amusante,
quoique un peu grosse. Signalons le succès mérité de
Un Camée, réalisation aux effets saisissants d'éclairage,
de la Querelle de Deux Hollandaises devant un char-
mant moulin. J'ai moins aimé la Partie champêtre dans
une province russe, habilement mise en scène, mais un
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