Titre : Le Ménestrel : journal de musique
Éditeur : Heugel (Paris)
Date d'édition : 1920-04-02
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb344939836
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 44462 Nombre total de vues : 44462
Description : 02 avril 1920 02 avril 1920
Description : 1920/04/02 (A82,N14)-1920/04/08. 1920/04/02 (A82,N14)-1920/04/08.
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5615263g
Source : Bibliothèque nationale de France, TOL Non conservé au département des périodiques
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 01/12/2010
*;■ ERNEST CHAUSSON ET GABRIEL FAURE
I.Eaférence lue aux Concerts historiques Pasdeloup le 4 mars igzo
I. - Ernest Chausson
■ -*94
ES deux musiciens qui se partagent cette
séance n'ont pas une égale renommée; ils
n'appartiennent ni à la même génération,
ni, comme on dit, à la même école. Il y a
tout de même entre eux une commune
mesure, qui est la vie intérieure : vie très
différente en chacun d'eux, et qui fait leur personnalité;
mais, chez tous deux, vie de la plus active richesse, d'une
délicatesse, d'une ardeur et d'une élévation merveil-
leuses. Ce sont deux musiciens de l'âme. L'un d'eux
seulement, l'aîné, Gabriel Fauré, a trouvé le vêtement
d'une forme, le truchement d'un langage dont l'origina-
lité égale celle de sa pensée; au plus jeune, le temps,
hélas ! a manqué.
C'est une remarque triste à faire : sur cette pléiade si
brillante de compositeurs nés en France vers le milieu
du siècle dernier, le sort s'est acharné comme s'il vou-
lait défendre que la musique contribuât au relèvement
delà France. Il a brisé prématurément, par la mort ou
par la maladie, la carrière de Castillon, de Bizet, de
Shabrier, de Chausson, de Charles Bordes, d'Henri
Duparc, et, tout récemment encore, d'Albéric Magnard,
»eClaude Debussy. Que d'espoirs ensevelis!
' wnest-Amédée Chausson est né à Paris, le 21 jan-
,ien855. Sa famille ne lui permit de suivre sa vocation
"touque qu'une fois terminées des études générales
Pi! poussa jusqu'à la licence en droit. Ce n'est donc
W vingt-trois ans qu'il entra au Conservatoire, dans
'«se de Massenet, ayant d'ailleurs déjà fréquenté
esar Franck. Il se présenta même une fois, sans le
■^°mdre succès, au concours de Rome, mais ne fit que
»" dans l'école officielle. On y avait, sous -le règne
SS e Thomas, une façon de ne voir la musique
4*? travers des succès de théâtre ou de salon, et son
fe, '§nement dans une perpétuelle course aux concours,
,^. ne pouvait aucunement convenir à un esprit de cette
%n" ^ev^nt exclusivement l'élève de Franck, en
%u]teIRPS <5Ue Vincent d'Indy> Duparc, de Bréville,
;!;■. ,.en°ît (encore une noble promesse qui ne put
Ses 'A' ^'est °ans ce milieu> profondément désin-
i|j, ^ l°ut ce qui n'était pas l'art pur, non point l'art
ç§iic ' e ^ la façon parnassienne, mais l'art vivant au
îcult ^éei c'est dans le culte qu'on y pratiquait,
îokp , '"diligent et modeste des maîtres, que se déve-
Àhii T?aUte concePtion de la musique qui était innée
-Jlnck * l'°ti peut dire que, de tous les élèves de
~p ) Chausson se rapprocha le plus du maître angé-
lique, non seulement par la qualité de son art, mais par
sa qualité d'âme, avec un esprit beaucoup plus raffiné,
et par son exquise bonté.
On chercherait vainement à raconter sa vie, toute
heureuse, toute unie, entre le travail, assidu, méticuleux,
scrupuleux, la sérénité d'un grand bonheur intime, et
les joies que la vaste culture de son cerveau et l'ouver-
ture de son goût trouvaient dans tous les arts, dans la
littérature, dans un commerce amical avec des talents et
des caractères choisis. Les propres oeuvres du musicien,
ses généreuses admirations pour les oeuvres d'autrui, les
oeuvres aussi d'une charité constante et d'un dévoue-
ment toujours prêt, voilà les seuls événements de cette
existence si pleine. Les seuls, jusqu'à l'instant brutal qui
l'anéantit, dans sa quarante-cinquième année. La foudre
dans le ciel le plus pur. Un accident si simple, qu'il
paraît presque incompréhensible. Chausson passait l'été
à Liniay, près de Mantes. Le 10 juin 1899, au matin,
tant de parfums montent du jardin sous le soleil, que
le musicien, las d'écrire, se laisse tenter par quelques
minutes de promenade. Il prend sa bicyclette; et les
feuillets sur sa table, les derniers feuillets du scherzo
d'un quatuor auquel il travaillait, n'ont pas eu le temps
de sécher, qu'il gît, la tête fracassée, au pied d'un mur
où l'a jeté, on ne sait comment, la pente d'une allée.
Mon confrère M. Pierre Lalo, qui devait faire cette
conférence et s'en est trouvé malheureusement empêché,
vous eût parlé de Chausson et de son art beaucoup
mieux que moi, pour mille raisons; et pour celle-ci
encore, qu'il l'avait personnellement connu. Ecoutons,
à son défaut, un poète et un critique infiniment sensible,
M. Camille Mauclair, qui fut aussi des familiers du
musicien :
« Ernest Chausson, dit-il, était riche, et gêné de porter
un manuscrit ou de faire la plus légitime démarche pour
être joué, par le scrupule de sa fortune. Il craignait de
prendre la place d'un confrère ayant plus besoin que
lui de notoriété ou de recettes. Il souffrait surtout de
l'idée que des étrangers à sa vie pourraient reporter sur
ses relations mondaines eu son existence luxueuse des
succès que sa musique seule devait lui valoir et qu'il
dédaignait au fond de lui-même
» Sa maison était une merveille de goût et d'art, ornée
par Henry Lerolle de décorations délicates : un musée,
où les Odilon Redon' et les Degas voisinaient avec les
Besnard, les Puvis et les Carrière. Il vivait là entre les
hautes tentures closes, les pianos, les ameublements
sobres, les partitions et les livres Les amis qui
souvent venaient passer la soirée étaient les premiers
artistes de notre temps. Dans le vaste cabinet de tra-
vail, ombreux, retiré des bruits de la vie, quelques
visages s'éclairaient faiblement aux demi-clartés des
lampes voilées. Au-dessus des êtres vivants, le grand
portrait familial d'Eugène Carrière dressait de hautes
silhouettes, l'homme fier et doux, une grande forme
- i37-
I.Eaférence lue aux Concerts historiques Pasdeloup le 4 mars igzo
I. - Ernest Chausson
■ -*94
ES deux musiciens qui se partagent cette
séance n'ont pas une égale renommée; ils
n'appartiennent ni à la même génération,
ni, comme on dit, à la même école. Il y a
tout de même entre eux une commune
mesure, qui est la vie intérieure : vie très
différente en chacun d'eux, et qui fait leur personnalité;
mais, chez tous deux, vie de la plus active richesse, d'une
délicatesse, d'une ardeur et d'une élévation merveil-
leuses. Ce sont deux musiciens de l'âme. L'un d'eux
seulement, l'aîné, Gabriel Fauré, a trouvé le vêtement
d'une forme, le truchement d'un langage dont l'origina-
lité égale celle de sa pensée; au plus jeune, le temps,
hélas ! a manqué.
C'est une remarque triste à faire : sur cette pléiade si
brillante de compositeurs nés en France vers le milieu
du siècle dernier, le sort s'est acharné comme s'il vou-
lait défendre que la musique contribuât au relèvement
delà France. Il a brisé prématurément, par la mort ou
par la maladie, la carrière de Castillon, de Bizet, de
Shabrier, de Chausson, de Charles Bordes, d'Henri
Duparc, et, tout récemment encore, d'Albéric Magnard,
»eClaude Debussy. Que d'espoirs ensevelis!
' wnest-Amédée Chausson est né à Paris, le 21 jan-
,ien855. Sa famille ne lui permit de suivre sa vocation
"touque qu'une fois terminées des études générales
Pi! poussa jusqu'à la licence en droit. Ce n'est donc
W vingt-trois ans qu'il entra au Conservatoire, dans
'«se de Massenet, ayant d'ailleurs déjà fréquenté
esar Franck. Il se présenta même une fois, sans le
■^°mdre succès, au concours de Rome, mais ne fit que
»" dans l'école officielle. On y avait, sous -le règne
SS e Thomas, une façon de ne voir la musique
4*? travers des succès de théâtre ou de salon, et son
fe, '§nement dans une perpétuelle course aux concours,
,^. ne pouvait aucunement convenir à un esprit de cette
%n" ^ev^nt exclusivement l'élève de Franck, en
%u]teIRPS <5Ue Vincent d'Indy> Duparc, de Bréville,
;!;■. ,.en°ît (encore une noble promesse qui ne put
Ses 'A' ^'est °ans ce milieu> profondément désin-
i|j, ^ l°ut ce qui n'était pas l'art pur, non point l'art
ç§iic ' e ^ la façon parnassienne, mais l'art vivant au
îcult ^éei c'est dans le culte qu'on y pratiquait,
îokp , '"diligent et modeste des maîtres, que se déve-
Àhii T?aUte concePtion de la musique qui était innée
-Jlnck * l'°ti peut dire que, de tous les élèves de
~p ) Chausson se rapprocha le plus du maître angé-
lique, non seulement par la qualité de son art, mais par
sa qualité d'âme, avec un esprit beaucoup plus raffiné,
et par son exquise bonté.
On chercherait vainement à raconter sa vie, toute
heureuse, toute unie, entre le travail, assidu, méticuleux,
scrupuleux, la sérénité d'un grand bonheur intime, et
les joies que la vaste culture de son cerveau et l'ouver-
ture de son goût trouvaient dans tous les arts, dans la
littérature, dans un commerce amical avec des talents et
des caractères choisis. Les propres oeuvres du musicien,
ses généreuses admirations pour les oeuvres d'autrui, les
oeuvres aussi d'une charité constante et d'un dévoue-
ment toujours prêt, voilà les seuls événements de cette
existence si pleine. Les seuls, jusqu'à l'instant brutal qui
l'anéantit, dans sa quarante-cinquième année. La foudre
dans le ciel le plus pur. Un accident si simple, qu'il
paraît presque incompréhensible. Chausson passait l'été
à Liniay, près de Mantes. Le 10 juin 1899, au matin,
tant de parfums montent du jardin sous le soleil, que
le musicien, las d'écrire, se laisse tenter par quelques
minutes de promenade. Il prend sa bicyclette; et les
feuillets sur sa table, les derniers feuillets du scherzo
d'un quatuor auquel il travaillait, n'ont pas eu le temps
de sécher, qu'il gît, la tête fracassée, au pied d'un mur
où l'a jeté, on ne sait comment, la pente d'une allée.
Mon confrère M. Pierre Lalo, qui devait faire cette
conférence et s'en est trouvé malheureusement empêché,
vous eût parlé de Chausson et de son art beaucoup
mieux que moi, pour mille raisons; et pour celle-ci
encore, qu'il l'avait personnellement connu. Ecoutons,
à son défaut, un poète et un critique infiniment sensible,
M. Camille Mauclair, qui fut aussi des familiers du
musicien :
« Ernest Chausson, dit-il, était riche, et gêné de porter
un manuscrit ou de faire la plus légitime démarche pour
être joué, par le scrupule de sa fortune. Il craignait de
prendre la place d'un confrère ayant plus besoin que
lui de notoriété ou de recettes. Il souffrait surtout de
l'idée que des étrangers à sa vie pourraient reporter sur
ses relations mondaines eu son existence luxueuse des
succès que sa musique seule devait lui valoir et qu'il
dédaignait au fond de lui-même
» Sa maison était une merveille de goût et d'art, ornée
par Henry Lerolle de décorations délicates : un musée,
où les Odilon Redon' et les Degas voisinaient avec les
Besnard, les Puvis et les Carrière. Il vivait là entre les
hautes tentures closes, les pianos, les ameublements
sobres, les partitions et les livres Les amis qui
souvent venaient passer la soirée étaient les premiers
artistes de notre temps. Dans le vaste cabinet de tra-
vail, ombreux, retiré des bruits de la vie, quelques
visages s'éclairaient faiblement aux demi-clartés des
lampes voilées. Au-dessus des êtres vivants, le grand
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