Titre : Ciné France : organe indépendant de défense du cinéma : le journal des spectateurs
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1938-02-25
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb327422899
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 171 Nombre total de vues : 171
Description : 25 février 1938 25 février 1938
Description : 1938/02/25 (A3,N31). 1938/02/25 (A3,N31).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k56060180
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, GR FOL-JO-2953
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/02/2011
25-2-38
CINE FRANCE
A propos de
"La Liberté"
La statue.
Le modèle.
Le sculpteur
—— —=E cinéma a son
p u b 1 i c... Cette
phrase qui se
répète quotidienne-
ment exprime-t-elle
exactement la réa-
lité ? n'est-elle pas,
en raison de ce singulier qui s'em-
ploie arbitrairement, le témoignage
d'un oubli injuste ?... Le cinéma,
n'en déplaise à certains, ne
s'adresse pas à une seule catégorie
d'individus. Les spectateurs qui
fréquentent nos salles obscures ne
sont pas encore, Dieu merci, spé-
cialisés et je ne pense pas que l'hu-
manité puisse logiquement se par-
tager entre deux genres : celui qui
aime le cinéma et celui qui ne
l'aime pas. Mais il y a bien des mo-
par Georges-André CUEL
tifs cependant pour que la produc-
tion actuelle ne soit pas en état de
satisfaire toutes les curiosités, j'en-
tends toutes celles qu'il devrait
susciter. Le cinéma s'il a « son
public » aujourd'hui devra en effet
demain contenter < ses publics »,
car tous les publics ne peuvent
manquer de venir à lui. Parvenu à
un degré de perfection qui ralliera
tôt ou tard ses détracteurs actuels,
il sera tenu, avant peu. d'offrir aux
foules des spectacles capables de
répondre aux attentes les plus di-
verses. Et si le film policier, le
drame d'aventures ou le vaudeville
hilarant, sont destinés à conserver
leur clientèle, il faut espérer que
des esprits plus délicats, plus ambi-
tieux de s'instruire que de se dis-
traire par de faciles programmes,
seront enclins prochainement à ré-
clamer des réalisations d'une autre
tonalité. Et j'en viens ainsi à croire
que le film historique aura fatale-
ment son heure glorieuse, non pas
seulement parce qu'il trouvera au-
dience auprès de ceux qui s'inté-
ressent aux choses du passé, mais
surtout parce que la vie est bien
souvent le meilleur scénariste qui
se puisse imaginer.
Films historiques ? Ces deux
mots, j'en suis sûr, évoquent dans
certaines mémoires quelques-unes
de ces carnavalesques péripéties
cinématographiques mji ont bravé
toutes les critiques.' Ce n'est pas
d'elles que je veux parler, mais de
ces oeuvres qui, en illustrant l'exis-
tence de grands hommes de l'his-
toire, ont permis à des millions de
spectateurs de vivre dans le passé,
de « voir » réellement ce qu'ils ne
pouvaient jusque-là que « devi-
ner », de « connaître » ce qu'ils
ne faisaient que < savoir ». Une
vie privée d'Henri VIII, un Beetho-
ven, un Pasteur ont fait plus pour
la renommée de leurs héros que les
plus prodigieuses études parues en
librairie. Qu'on le veuille ou non,
l'image sera éternellement supé-
rieure au livre et, lorsque cette
image s'accompagne du son, elle
prend la forme de la vie elle-
même- Allons-nous assister à ces
résurrections des célébrités dispa-
rues 1 II faVit le souhaiter. Ne se-
rait-ce pas après tout le plus magni-
fique hommage que les générations -
présentes puissent apporter à celles
d'hier ?... Ne serait-ce pas aussi le
plus subtil moyen de conquérir au
cinéma ceux qui lui reprochent de
demeurer un art inférieur, une dis-
traction pour cerveau moyen ?...
Bientôt apparaîtra sur les écrans
La Liberté. Cette production, qui
racontera l'existence romanesque
du sculpteur colmarien Auguste
Bartholdi, sera, sans doute, l'un des
meilleurs exemples de cette 'nou-
velle formule historique. Bartholdi,
dont les oeuvres se dressent dans
maintes villes de France, était, re-
connaissons-le, l'une des figures les
plus attachantes de ces temps si
proches de nous, qui se sont écoulés
entre 1835 et 1904. Personnage ro-
manesque s'il en fut, alliant à un
art consciencieux et probe la fan-
taisie d'une existence pleine d'aven-
tures, animé d'un patriotisme sans
faiblesses, optimiste irréductible
devant toutes les difficultés qui
s'amoncelaient sous ses pas, Bar-
tholdi inscrira sur l'écran une per-
sonnalité bien française que beau-
coup ignorent. Certes, l'on connaît
sa fameuse statue de la Liberté,
mais sait-on qu'au même ciseau fré-
missant nousdevons le Vercingétô-
rix de Clermont-Ferr'and, le Lion
de Belfort, le Rapp de Colmar, et
tant d'autres statues que nous regar-
dons sans avoir appris le nom de
leur auteur ?... Sait-on au prix de
, quels efforts il a réalisé ses ambi-
tions ?... Sait-on ,1e rôle émouvant
joué par une femme tout au long de
sa productive carrière ?... Les scé-
naristes ont de l'invention, mais la
vie, je le répète, en a parfois de plus
saisissantes. Ce film en retraçant
l'histoire de cette statue de 70 mè-
tres qui, au seuil de l'Amérique,
brandit son étincelant flambeau,
sera un film « vrai », parce qu'au-
cun de ses détails n'est en dehors
de la vérité la plus stricte, un film
aussi qui exprimera une époque où
l'art de certains savait servir les
belles causes. Mélange de sentimen-
talité à la manière de 1880 et de
luttes sans cesse renouvelées pour
parvenir aux buts nombreux qu'il
s'était proposés, Bartholdi nous
montrera un visage de pur Alsacien,
qui, au lendemain de la guerre de
1870, a consacré le meilleur de son
immense labeur au retour à la
France de son Alsace bien-aimée.
La mort, hélas ! l'a terrassé avant
l'heure tant souhaitée qu'il espérait
vivre. Mais s'il n'a pas contemplé
nos trois couleurs revenues au som-
met du vieil hôtel de ville de sa
cité natale... n'appartenait-il pas à
des producteurs de rendre à son
nom un hommage posthume, en
portant à l'écran sa personnalité
d'artiste, en écrivant le merveilleux
récit de la mission qu'il s'était don-
née à lui-même ?
« &ta TïlaÀâcillalâc »
Étrange gloire :
Le massacre du 10 août
par
Jehanne
d'ORLIAC
Germaine
Rouer
et Maurice
Escande.
Devant cette horde, composée de la
lie des faubourgs de Paris et du port
de Marseille, qui était au château des
Tuileries pour la défense du pouvoir,
de l'ordre, de l'honneur ? Une poignée
de Suisses.
La veille de ce jour néfaste entre
tous, le lieutenant suisse Forestier
écrivait à Mme d'Epinay.
« Hier, unanimement, nous avons
dit tous, que s'il arrivait malheur au
roi, et qu'il n'y eût pas pour le moins
six cents habits rouges couchés au
pied de l'escalier du roi, nous, étions
déshonorés. »
Le 8 août, à 10 heures du matin, le
capitaine d'Erlach, de garde aux Tui-
leries, remet à l'aide-major du Glutz,
un ordre écrit :
« Le commandant du régiment or-
donne, .que. les. bataillons de'Ruejt et
de Courbevoie, soient rendus demain
à 3 heures du matin, au château. >
C'est le lieutenant-colonel de Mail-
lardoz qui est chargé d'organiser la
défense le lendemain, 9 août. Un dé-
tachement est posté du côté de la cour
avec le capitaine de Durler. Un du côté
des jardins avec le capitaine Henri de
Salis. Un autre du côté de la cour
de Marsan avec le capitaine Pfyffer
d'Altishofen. Les autres furent massés
dans le vestibule, assis sur les bancs
et les marches de l'escalier, passant
dans le plus grand silence les premiè-
res heures de la nuit.
« Ils allaient mourir pour leur pa-
role, dit Lamartine, non pour une idée
ou pour leur patrie... Mais la fidélité
est une vertu par elle-même. »
Ils sont environ huit cents, les révo-
lutionnaires dix mille, avec des canons,
à qui Danton a donné l'ordre « As-
siégez le château, y exterminer tout
le monde, même les Suisses. »
Le 10 août, entre 9 h. 15 et 10 heu-
res, le roi descendit en habit gris, sans
aucune décoration. Il était triste et
pâle. La reine l'accompagnait pleu-
rant. Ils étaient suivis de Mme.Elisa--.
beth, du dauphin, de Mme Royale, de:
la princesse de. Lamballe et dwMmej
"de Tourzël. Ils "se rendaient »risôh-#
niers de l'Assemblée, accompagné*
d'un bataillon suisse. A 11 Aeure/
trois coups de canon furent Jîrés au
dehors par les assiégeants s Jr le châ-
teau. Le poste suisse rip.osja et par-
vint à faire reculerJp#*reBlpes ; mjjg*»
dans cette premj^attaqjne, presaûe
tous les hommeVau poste'furent tfés.
Le capitaine du Durler prit alors le
commandement des gardes, il fit re-
plier la compagnie de Salis et de Pro-
roman jusqu'à l'escalier de la reine,
le comte Romain de Diesbach, avec
vingt-cinq hommes, se massèrent dans
la cour Royale. Un coup de feu reten-
tit, tuant une sentinelle bernoise ou-
bliée dans le jardin. Tandis que le
roi n'est plus là, ses gardiens fidèles
restent pour défendre non sa personne,
mais l'oeuvre de mille ans de la mo-
narchie française, dont ce château est
le symbole toujours glorieux. Quatre
compagnies d'habits rouges sont là en
rang de bataille, officiers devant le
front, sergents en serre-file.
« Comme" un tapis écarlate, cou-
vrant les degrés, écrit M. de Vallière. »
■ - Les fusils 'des 'rebelles 1 partent; les
premières victimes tombent. Une voix
cfïè'i'i Rendez-vous. » Les Suisses
répondent : « Nous sommes Suisses,
et les Suisses ne se rendent qu'avec la
vie. »
Cependant, si inférieurs en nombre
à leurs agresseurs, ils vont avoir le
dessus, quand leur arrive le fatal billet
ftefcajyyi capitaine de Durler :
« Le rôt'ordonne aux Suisses de dé-
Ci-dessous : Ardisaon meurt dan*
Us bras de Nadia Sibirslcaia
poser les armes à l'instant et de ren-
trer dans leurs casernes. »
Leurs casernes... quelle ironie ou
quelle inconscience !... Leurs caser-
nes !... Les Suisses obéissent, se sa-
chant livrés à la mort. Ils déposent, en
effet, leurs armes et ce fut alors le
massacre, la curée. Les dalles ruisse-
laient de sang. Les femmes plus en-
core qu* tes. hommes s'acharnaient,
sur ces corps pantelants, déchiquetés.
Le jeune Montmollin, porte-drapeau,
qui a à peine vingt ans, est frappé par
derrière. Il tombe dans les bras du
caporal.
« Laissez-moi mourir et sauvez le
drapeau, crie-t-il ! » Il s'enveloppe
dans les plis de l'étendard sacré et ex-
pire.
Le voeu exprimé par le lieutenant
Forestier à Mme d'Epinay est accom-
pli. Il y eut ce jour-là, six cents cin-
quante soldats suisses et quinze offi-
ciers qui gisaient sur l'escalier de la
reine. En comptant le massacre du
jardin, plus de mille hommes des can-
tons furent offerts en holocauste à la
religion de l'honneur, et au culte de la
fidélité. Ce régiment des gardes suis-
ses avait assisté aux côtés des Fran-
çais leurs compères, leurs alliés, à
soixante-neuf campagnes, cent cin-
quante-deux batailles rangées, vingt-
neuf sièges, et notre alliance durait
depuis 1444.
Il existe, à Lucerne, un monûmêpt"
sacré que les touristes ne manquent
pas d'aller saluer pieusement. C'est le
fameux lion, sculpté en plein roc, con-
sacré par le colonel de Pfyffer, aux
victimes de ce jour. Un lion percé
d'une flèche expire défendant de sa
griffe puissante, un bouclier aux armes
de la France. Au-dessus de la grotte
où il repose, on lit :
« A la fidélité et au courage des
Helvétiens, 10 août, 2 et 3 septembre
1792. Voici le nom de ceux qui, pour
ne pas faillir à leur serment, tombè-
rent vaillamment, etc. »
Que leurs âmes, et leurs descen-
dants nous pardonnent, sachant com-
me nous savons, que ce ne fut pas le
peuple de France qui agit alors, pas
plus que ce n'est lui qui a inspiré ce
• film, qui serait odieux s'il n'était ab-
surde.
Ci-contre: un
mouvement
de foule
Ci-dessus : Maurice Escande, qui incame Bartholdi.
N peut se demander
ce que le public va
comprendre à ce
film de la Marseil-
laise, d'une si ma-
nifeste incohérence.
Même considéré au
point de vue de l'histoire officielle,
ce'st-à-dire fabriquée, il y a dans ces
images de telles naïvetés, que j'ai vu
sourire mes voisins qui, certainement
devaient être de bons républicains,
prêts à s'enflammer pour un héroïsme
en contreplaqué, tel qu'on avait voulu
nous le montrer.
Quel spectacle, en effet, que celui
de ces aristocrates de guignol tous
mauvais (naturellement), près de ce
peuple symbolique (naturellement bon,
innocent et doux), ces défilés inter-
minables de volontaires qui passent
leur temps à se laver les pieds dans les
ruisseaux ou à manger des pommes
de terre. Et ces discours de Marius,
plus creux encore qu'ils n'étaient en
ce temps où l'éloquence des clubs tint
le record de la stupidité. Les specta-
teurs sont ahuris. Mais les plus sé-
rieux gardent un malaise. Cette Mar-
seillaise, devenue notre hymne natio-
nal, eût gagné à nous laisser — ou
du moins la majorité — dans l'igno-
rance de ses origines sanglantes et
crapuleuses. Elle a acquis, avec le
temps, ses lettres de noblesse, à force
de ponctuer les heures héroïques de
notre histoire, depuis Rivoli jusqu'à la
Marne. Et voilà qu'on nous rappelle,
et qu'on apprend à tous qu'elle était
un chant de brigands allemands, de-
venu le chant des assassins, des mas-
sacreurs, des pilleurs, et fut lancé au
monde non comme un appel, mais com-
me un défi. Mauvaise besogne en vé-
rité. Le point culminant du spectacle
n'était pas moins" dangereux à évo-
quer ; c'est le « massacre » du
10 août 1792.
On ne peut que rester abasourdi de
l'inconscience qu'il a fallu à un hom-
me, même de culture moyenne, pour
oser glorifier un souvenir que tout
Français, digne de ce nom, doit se
faire un devoir de renier, de faire ou-
blier, car il fait notre honte. Ou plutôt
non, pas la nôtre : la honte de ceu>«
au nom de qui s'accomplissait cette
besogne sanglante, en ce temps où la
justice était remplacée par la force,
les arguments par les coups et les
jugements par les exécutions, et ceux-
là dont je parle, ce n'est pas « le peu-
ple » le vrai peuple de France, le plus
civilisé du monde en ce xvin* siècle,
quand la Révolution le surprit en pleine
prospérité, en pleine liberté du travail,
pour !e jeter dans la plus sinistre
aventure que jamais pays avait vécue
et qui dure encore...
Michelet peu suspect de modération
fait dans ces lignes un aveu qui a un
grand prix :
* La Révolution se faisait au nom
du peuple souverain, mais ce peuple
où était-il ? Il ne voulait pas se mon-
trer. C'était l'insurrection du néant
contre le gré des foules. »
Du néant ? pas précisément, mais
par de belles et grosses gueules
payées, les 5 et 6 octobre 1789, deux
francs par tête pour marcher sur Ver-
sailles, et cinq francs par trogne, le
10 août 1792. Le peuple français, le
vrai, était absent des tueries faites en
son nom. Il restait caché et terrorisé,
car il faut savoir qu'à Paris, le nom-
bre des guillotinés fut d'environ qua-
tre mille aristocrates, pour plus de
seize mille roturiers, gens obscurs et
du peuple.
CINE FRANCE
A propos de
"La Liberté"
La statue.
Le modèle.
Le sculpteur
—— —=E cinéma a son
p u b 1 i c... Cette
phrase qui se
répète quotidienne-
ment exprime-t-elle
exactement la réa-
lité ? n'est-elle pas,
en raison de ce singulier qui s'em-
ploie arbitrairement, le témoignage
d'un oubli injuste ?... Le cinéma,
n'en déplaise à certains, ne
s'adresse pas à une seule catégorie
d'individus. Les spectateurs qui
fréquentent nos salles obscures ne
sont pas encore, Dieu merci, spé-
cialisés et je ne pense pas que l'hu-
manité puisse logiquement se par-
tager entre deux genres : celui qui
aime le cinéma et celui qui ne
l'aime pas. Mais il y a bien des mo-
par Georges-André CUEL
tifs cependant pour que la produc-
tion actuelle ne soit pas en état de
satisfaire toutes les curiosités, j'en-
tends toutes celles qu'il devrait
susciter. Le cinéma s'il a « son
public » aujourd'hui devra en effet
demain contenter < ses publics »,
car tous les publics ne peuvent
manquer de venir à lui. Parvenu à
un degré de perfection qui ralliera
tôt ou tard ses détracteurs actuels,
il sera tenu, avant peu. d'offrir aux
foules des spectacles capables de
répondre aux attentes les plus di-
verses. Et si le film policier, le
drame d'aventures ou le vaudeville
hilarant, sont destinés à conserver
leur clientèle, il faut espérer que
des esprits plus délicats, plus ambi-
tieux de s'instruire que de se dis-
traire par de faciles programmes,
seront enclins prochainement à ré-
clamer des réalisations d'une autre
tonalité. Et j'en viens ainsi à croire
que le film historique aura fatale-
ment son heure glorieuse, non pas
seulement parce qu'il trouvera au-
dience auprès de ceux qui s'inté-
ressent aux choses du passé, mais
surtout parce que la vie est bien
souvent le meilleur scénariste qui
se puisse imaginer.
Films historiques ? Ces deux
mots, j'en suis sûr, évoquent dans
certaines mémoires quelques-unes
de ces carnavalesques péripéties
cinématographiques mji ont bravé
toutes les critiques.' Ce n'est pas
d'elles que je veux parler, mais de
ces oeuvres qui, en illustrant l'exis-
tence de grands hommes de l'his-
toire, ont permis à des millions de
spectateurs de vivre dans le passé,
de « voir » réellement ce qu'ils ne
pouvaient jusque-là que « devi-
ner », de « connaître » ce qu'ils
ne faisaient que < savoir ». Une
vie privée d'Henri VIII, un Beetho-
ven, un Pasteur ont fait plus pour
la renommée de leurs héros que les
plus prodigieuses études parues en
librairie. Qu'on le veuille ou non,
l'image sera éternellement supé-
rieure au livre et, lorsque cette
image s'accompagne du son, elle
prend la forme de la vie elle-
même- Allons-nous assister à ces
résurrections des célébrités dispa-
rues 1 II faVit le souhaiter. Ne se-
rait-ce pas après tout le plus magni-
fique hommage que les générations -
présentes puissent apporter à celles
d'hier ?... Ne serait-ce pas aussi le
plus subtil moyen de conquérir au
cinéma ceux qui lui reprochent de
demeurer un art inférieur, une dis-
traction pour cerveau moyen ?...
Bientôt apparaîtra sur les écrans
La Liberté. Cette production, qui
racontera l'existence romanesque
du sculpteur colmarien Auguste
Bartholdi, sera, sans doute, l'un des
meilleurs exemples de cette 'nou-
velle formule historique. Bartholdi,
dont les oeuvres se dressent dans
maintes villes de France, était, re-
connaissons-le, l'une des figures les
plus attachantes de ces temps si
proches de nous, qui se sont écoulés
entre 1835 et 1904. Personnage ro-
manesque s'il en fut, alliant à un
art consciencieux et probe la fan-
taisie d'une existence pleine d'aven-
tures, animé d'un patriotisme sans
faiblesses, optimiste irréductible
devant toutes les difficultés qui
s'amoncelaient sous ses pas, Bar-
tholdi inscrira sur l'écran une per-
sonnalité bien française que beau-
coup ignorent. Certes, l'on connaît
sa fameuse statue de la Liberté,
mais sait-on qu'au même ciseau fré-
missant nousdevons le Vercingétô-
rix de Clermont-Ferr'and, le Lion
de Belfort, le Rapp de Colmar, et
tant d'autres statues que nous regar-
dons sans avoir appris le nom de
leur auteur ?... Sait-on au prix de
, quels efforts il a réalisé ses ambi-
tions ?... Sait-on ,1e rôle émouvant
joué par une femme tout au long de
sa productive carrière ?... Les scé-
naristes ont de l'invention, mais la
vie, je le répète, en a parfois de plus
saisissantes. Ce film en retraçant
l'histoire de cette statue de 70 mè-
tres qui, au seuil de l'Amérique,
brandit son étincelant flambeau,
sera un film « vrai », parce qu'au-
cun de ses détails n'est en dehors
de la vérité la plus stricte, un film
aussi qui exprimera une époque où
l'art de certains savait servir les
belles causes. Mélange de sentimen-
talité à la manière de 1880 et de
luttes sans cesse renouvelées pour
parvenir aux buts nombreux qu'il
s'était proposés, Bartholdi nous
montrera un visage de pur Alsacien,
qui, au lendemain de la guerre de
1870, a consacré le meilleur de son
immense labeur au retour à la
France de son Alsace bien-aimée.
La mort, hélas ! l'a terrassé avant
l'heure tant souhaitée qu'il espérait
vivre. Mais s'il n'a pas contemplé
nos trois couleurs revenues au som-
met du vieil hôtel de ville de sa
cité natale... n'appartenait-il pas à
des producteurs de rendre à son
nom un hommage posthume, en
portant à l'écran sa personnalité
d'artiste, en écrivant le merveilleux
récit de la mission qu'il s'était don-
née à lui-même ?
« &ta TïlaÀâcillalâc »
Étrange gloire :
Le massacre du 10 août
par
Jehanne
d'ORLIAC
Germaine
Rouer
et Maurice
Escande.
Devant cette horde, composée de la
lie des faubourgs de Paris et du port
de Marseille, qui était au château des
Tuileries pour la défense du pouvoir,
de l'ordre, de l'honneur ? Une poignée
de Suisses.
La veille de ce jour néfaste entre
tous, le lieutenant suisse Forestier
écrivait à Mme d'Epinay.
« Hier, unanimement, nous avons
dit tous, que s'il arrivait malheur au
roi, et qu'il n'y eût pas pour le moins
six cents habits rouges couchés au
pied de l'escalier du roi, nous, étions
déshonorés. »
Le 8 août, à 10 heures du matin, le
capitaine d'Erlach, de garde aux Tui-
leries, remet à l'aide-major du Glutz,
un ordre écrit :
« Le commandant du régiment or-
donne, .que. les. bataillons de'Ruejt et
de Courbevoie, soient rendus demain
à 3 heures du matin, au château. >
C'est le lieutenant-colonel de Mail-
lardoz qui est chargé d'organiser la
défense le lendemain, 9 août. Un dé-
tachement est posté du côté de la cour
avec le capitaine de Durler. Un du côté
des jardins avec le capitaine Henri de
Salis. Un autre du côté de la cour
de Marsan avec le capitaine Pfyffer
d'Altishofen. Les autres furent massés
dans le vestibule, assis sur les bancs
et les marches de l'escalier, passant
dans le plus grand silence les premiè-
res heures de la nuit.
« Ils allaient mourir pour leur pa-
role, dit Lamartine, non pour une idée
ou pour leur patrie... Mais la fidélité
est une vertu par elle-même. »
Ils sont environ huit cents, les révo-
lutionnaires dix mille, avec des canons,
à qui Danton a donné l'ordre « As-
siégez le château, y exterminer tout
le monde, même les Suisses. »
Le 10 août, entre 9 h. 15 et 10 heu-
res, le roi descendit en habit gris, sans
aucune décoration. Il était triste et
pâle. La reine l'accompagnait pleu-
rant. Ils étaient suivis de Mme.Elisa--.
beth, du dauphin, de Mme Royale, de:
la princesse de. Lamballe et dwMmej
"de Tourzël. Ils "se rendaient »risôh-#
niers de l'Assemblée, accompagné*
d'un bataillon suisse. A 11 Aeure/
trois coups de canon furent Jîrés au
dehors par les assiégeants s Jr le châ-
teau. Le poste suisse rip.osja et par-
vint à faire reculerJp#*reBlpes ; mjjg*»
dans cette premj^attaqjne, presaûe
tous les hommeVau poste'furent tfés.
Le capitaine du Durler prit alors le
commandement des gardes, il fit re-
plier la compagnie de Salis et de Pro-
roman jusqu'à l'escalier de la reine,
le comte Romain de Diesbach, avec
vingt-cinq hommes, se massèrent dans
la cour Royale. Un coup de feu reten-
tit, tuant une sentinelle bernoise ou-
bliée dans le jardin. Tandis que le
roi n'est plus là, ses gardiens fidèles
restent pour défendre non sa personne,
mais l'oeuvre de mille ans de la mo-
narchie française, dont ce château est
le symbole toujours glorieux. Quatre
compagnies d'habits rouges sont là en
rang de bataille, officiers devant le
front, sergents en serre-file.
« Comme" un tapis écarlate, cou-
vrant les degrés, écrit M. de Vallière. »
■ - Les fusils 'des 'rebelles 1 partent; les
premières victimes tombent. Une voix
cfïè'i'i Rendez-vous. » Les Suisses
répondent : « Nous sommes Suisses,
et les Suisses ne se rendent qu'avec la
vie. »
Cependant, si inférieurs en nombre
à leurs agresseurs, ils vont avoir le
dessus, quand leur arrive le fatal billet
ftefcajyyi capitaine de Durler :
« Le rôt'ordonne aux Suisses de dé-
Ci-dessous : Ardisaon meurt dan*
Us bras de Nadia Sibirslcaia
poser les armes à l'instant et de ren-
trer dans leurs casernes. »
Leurs casernes... quelle ironie ou
quelle inconscience !... Leurs caser-
nes !... Les Suisses obéissent, se sa-
chant livrés à la mort. Ils déposent, en
effet, leurs armes et ce fut alors le
massacre, la curée. Les dalles ruisse-
laient de sang. Les femmes plus en-
core qu* tes. hommes s'acharnaient,
sur ces corps pantelants, déchiquetés.
Le jeune Montmollin, porte-drapeau,
qui a à peine vingt ans, est frappé par
derrière. Il tombe dans les bras du
caporal.
« Laissez-moi mourir et sauvez le
drapeau, crie-t-il ! » Il s'enveloppe
dans les plis de l'étendard sacré et ex-
pire.
Le voeu exprimé par le lieutenant
Forestier à Mme d'Epinay est accom-
pli. Il y eut ce jour-là, six cents cin-
quante soldats suisses et quinze offi-
ciers qui gisaient sur l'escalier de la
reine. En comptant le massacre du
jardin, plus de mille hommes des can-
tons furent offerts en holocauste à la
religion de l'honneur, et au culte de la
fidélité. Ce régiment des gardes suis-
ses avait assisté aux côtés des Fran-
çais leurs compères, leurs alliés, à
soixante-neuf campagnes, cent cin-
quante-deux batailles rangées, vingt-
neuf sièges, et notre alliance durait
depuis 1444.
Il existe, à Lucerne, un monûmêpt"
sacré que les touristes ne manquent
pas d'aller saluer pieusement. C'est le
fameux lion, sculpté en plein roc, con-
sacré par le colonel de Pfyffer, aux
victimes de ce jour. Un lion percé
d'une flèche expire défendant de sa
griffe puissante, un bouclier aux armes
de la France. Au-dessus de la grotte
où il repose, on lit :
« A la fidélité et au courage des
Helvétiens, 10 août, 2 et 3 septembre
1792. Voici le nom de ceux qui, pour
ne pas faillir à leur serment, tombè-
rent vaillamment, etc. »
Que leurs âmes, et leurs descen-
dants nous pardonnent, sachant com-
me nous savons, que ce ne fut pas le
peuple de France qui agit alors, pas
plus que ce n'est lui qui a inspiré ce
• film, qui serait odieux s'il n'était ab-
surde.
Ci-contre: un
mouvement
de foule
Ci-dessus : Maurice Escande, qui incame Bartholdi.
N peut se demander
ce que le public va
comprendre à ce
film de la Marseil-
laise, d'une si ma-
nifeste incohérence.
Même considéré au
point de vue de l'histoire officielle,
ce'st-à-dire fabriquée, il y a dans ces
images de telles naïvetés, que j'ai vu
sourire mes voisins qui, certainement
devaient être de bons républicains,
prêts à s'enflammer pour un héroïsme
en contreplaqué, tel qu'on avait voulu
nous le montrer.
Quel spectacle, en effet, que celui
de ces aristocrates de guignol tous
mauvais (naturellement), près de ce
peuple symbolique (naturellement bon,
innocent et doux), ces défilés inter-
minables de volontaires qui passent
leur temps à se laver les pieds dans les
ruisseaux ou à manger des pommes
de terre. Et ces discours de Marius,
plus creux encore qu'ils n'étaient en
ce temps où l'éloquence des clubs tint
le record de la stupidité. Les specta-
teurs sont ahuris. Mais les plus sé-
rieux gardent un malaise. Cette Mar-
seillaise, devenue notre hymne natio-
nal, eût gagné à nous laisser — ou
du moins la majorité — dans l'igno-
rance de ses origines sanglantes et
crapuleuses. Elle a acquis, avec le
temps, ses lettres de noblesse, à force
de ponctuer les heures héroïques de
notre histoire, depuis Rivoli jusqu'à la
Marne. Et voilà qu'on nous rappelle,
et qu'on apprend à tous qu'elle était
un chant de brigands allemands, de-
venu le chant des assassins, des mas-
sacreurs, des pilleurs, et fut lancé au
monde non comme un appel, mais com-
me un défi. Mauvaise besogne en vé-
rité. Le point culminant du spectacle
n'était pas moins" dangereux à évo-
quer ; c'est le « massacre » du
10 août 1792.
On ne peut que rester abasourdi de
l'inconscience qu'il a fallu à un hom-
me, même de culture moyenne, pour
oser glorifier un souvenir que tout
Français, digne de ce nom, doit se
faire un devoir de renier, de faire ou-
blier, car il fait notre honte. Ou plutôt
non, pas la nôtre : la honte de ceu>«
au nom de qui s'accomplissait cette
besogne sanglante, en ce temps où la
justice était remplacée par la force,
les arguments par les coups et les
jugements par les exécutions, et ceux-
là dont je parle, ce n'est pas « le peu-
ple » le vrai peuple de France, le plus
civilisé du monde en ce xvin* siècle,
quand la Révolution le surprit en pleine
prospérité, en pleine liberté du travail,
pour !e jeter dans la plus sinistre
aventure que jamais pays avait vécue
et qui dure encore...
Michelet peu suspect de modération
fait dans ces lignes un aveu qui a un
grand prix :
* La Révolution se faisait au nom
du peuple souverain, mais ce peuple
où était-il ? Il ne voulait pas se mon-
trer. C'était l'insurrection du néant
contre le gré des foules. »
Du néant ? pas précisément, mais
par de belles et grosses gueules
payées, les 5 et 6 octobre 1789, deux
francs par tête pour marcher sur Ver-
sailles, et cinq francs par trogne, le
10 août 1792. Le peuple français, le
vrai, était absent des tueries faites en
son nom. Il restait caché et terrorisé,
car il faut savoir qu'à Paris, le nom-
bre des guillotinés fut d'environ qua-
tre mille aristocrates, pour plus de
seize mille roturiers, gens obscurs et
du peuple.
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