Titre : Le Matin : derniers télégrammes de la nuit
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1898-01-14
Contributeur : Edwards, Alfred (1856-1914). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb328123058
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 14 janvier 1898 14 janvier 1898
Description : 1898/01/14. 1898/01/14.
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 10/04/2008
DERNIÈRES NOUVELLES DU MONDÉ ENTIER
TOUJOURS L'AFFAIRE DREYFUS
M, ZOLA TRADUIT EN COUR D'ASSISES ET LE
COLONEL PIC QUART ARRÊTÉ
VOTE DE CONFIANCE DANS LE MINISTÈRE
La lettre à MI. Félix Faure Interpellation de M. de
Miin à la Chambre Déclarations du président
du conseil et du ministre de' la 'guerre
Le colonel Picquart aumont Valérien
Nouvelles arrestations probables.
Nous' avons pu signaler, dans notre der-
̃ nièrè heure/la' lettre ouverte adressée par
1 M. Emile Zola au président de la Républi-
que et qu'a publiée hier l'Aurore. Il nous
faut revenir sur ce document, dont l'impor-
tance est d'autant plus considérable que
M, Zola va être traduit en cour d'assises; à
la suite des accusations qu'il porte dans
cette lettre contre un certain nombre de per-
sommées qui ont eu à intervenir dans l'af
faire Dreyfus-Esterhazy.
C'est à M. Félix Faure que M. Zola « dé-.
nonce la tourbe' malfaisante des vrais cou-
pables ». La vérité d'abord sur le procès et
sur la condamnation de Dreyfus
Un homme néfastê.a tout mené, a tout fait
-•̃ '«'est le colonel du Paty de Clam, alors simple
commandant. Il est l'affaire Dreyfus tout en-
tière on ne la ronnattra que lorsqu'une en-,
quêta loyale aura établi nettement ses actes et
ses responsabilités. Il apparaît comme l'esprit
le plus fumeux, le plus compliqué, hanté d'in-
trigues romanesques, se complaisant aux
moyens des romans-feuilletons les papiers
'Volés, les lettres anonymes, les rendez-vous
.dans les endroits déserts, les femmes mysté-
] -.rieuses qui colportent, de nuit, des preuves ac-
«abiantes.
C'est lui « qui les mène tous, qui les hyp-
notise, car il s'occupe aussi de spiritisme,
',d'occultisme', il converse avec les esprits ».
On ne croira jamais les expériences auxquel-
les il a soumis le malheureux Dreyfus, les più-
dans lesquels il a voulu le faire tomber, les
enquêtes folles, les imaginations monstrueu-
ses, toute une démence torturante.
Ahl cette première affaire, elle est un cau-
chemar pour qui la connaît dans ses détails
vrais Le commandant du Paty do Clam arrête
Dreyfus, le met au secret. Il court chez Mme
Dreyfus, la terrorise, lui dit que, si elle parle,
son mari est perdu. Pendant ce temps, le mal-
'̃ heureux s'arrachait la chair, hurlait son inno-
cence. Et l'instruction a été faite ainsi, comme
dans une chronique du quinzième siècle, au
milieu du mystère, avec une complication d'ex-
pédients farouches, tout cela basé sur une seule
charge enfantine ce bordereau imbécile, qui
n'était pas seulement: une trahison vulgaire,
qui était aussi la plus impudente des escroque-
ries, car les fameux secrets livrés se trouvaient
presque tous sans valeur.
Au tour de l'acte d'accusation
Je défie les honnêtes gens de le lire sans que
leur cœur bondisse d'indignation et crie leur
révolte, en pensant à l'expiation démesurée, là-
bas, à l'île du Diable. Dreyfus sait plusieurs
,langues: crime on n'a trouvé chez lui aucun
papier compromettant: crime; il va parfois dans:
son pays d'origine, crime; il est laborieux, il a
le souci de tout savoir: crimo; il ne se trouble
pas: crime; il se trouble: crime. Et les naïvetés
5e rédaction, les formelles assertions dans la-
vide 1 On nous avait parlé de quatorze chefs
d'accusation nous n en trouvons qu'une seule
en fin de compte celle du bordereau, et nous
apprenons même que les experts n'étaient pas
.d'accord, qu'un d'eux, M. Gobert, a été bous-
culé militairement parce qu'il se permettait de
ne pas conclure dans le sens désiré.
Le bordereau n'a aucune importance la
pièce secrète, « il la nie, il la nie de toute sa
puissance, cette pièce ridicule ».
L'affaire Esterhazy.
Nous arrivons à l'aff aire Esterhazy
Le colonel Sandherr était mort, et le lieute-
nant-coloncl Picquart lui avait succédé comme
.chef du bureau. des renseignements. Et c'est à
ce titre, dans l'exercice do ses fonctions, que
ce dernier eut un jour entre les mains une
lettre-télégramme adresséo au commandant
̃Esterhazy par un agent d'une puissance étran-
.,gère. Son devoir slrict était d'ouvrir une en-
-qûtite. La certitude est qu'il n'a jamais agi ,pu
dehors de la volonté de ses supérieurs. Il sou-
mit donc ses soupçons à ses supérieurs hiérar-
chiques le général Gonse, puis Io général de
Boisdeffre, puis le général Billot, qui avait suc-
cédé au général Mercier comme ministre do la
guerre. Le fameux dossier Picquart, dont il a
eté tant parlé, n'a jamais été que le dossier
Billot, j'entends le- dossier fait par un subor-
donné pour son ministre, le dossier qui doit
exister encore au ministère de la guerre. Les
recherches durèrent de mai à septembre 1896,
-et ce qu'il faut affirmer bien haut, c'est que le
général Gonse était convaincu de la culpabilité
d'Esterhazy, c'est que le général de Boisdeffre
et le général Billot ne mettaient pas en doute
que le fameux bordereau fût de l'écriture d'Es-
terhazy. L'enquête, du lieutenant-colonel Pic-
,quart avait abouti à celle constatation certaine.
Mais l'émoi était. grand, car la condamnation
d'Estorhazy entraînait inévitablement la révi-
sion du procès Dreyfus, et c'était ce que l'état-
major ne voulait il. aucun prix.
Le général Billot pouvait taire la lumière.
« Il n'osa pas, dans la terreur sans doute de
'{'opinion publique, certainement aussi dans
.la crainte de livrer tout l'état-major.
Et le lieutenant-colonel Picquart fut envoyé
,en mission on Téloignado plus en plus loin,
jusqu'en Tunisie, où 1 on voulut même un jour
honorer sa bravoure en le chargeant d'une
mission qui l'aurait fait sûrement massacrer,
dans les parages où le marquis de Mores a
':trouvé la mort.
« A Paris, la vérité marchait. M. Zola
-rappelle comment M. Esterhazy fut dénoncé.
D'abord affolé, « prêt au suicide ou à la
fuite », il paie tout à coup d'audace, « éton-
.nant Paris par la violence de son attitude ».
C'est que du secours lui était venu il avait
reçu une lettre anonyme l'avertissant des me-
nées de ses ennemis une dame mystérieuse
fêtait même dérangée de nuit pour lui remet-
tre une pièce volée à l'état-major, qui devait le
sauver. Et je ne puis m'empêcher de retrouver
là le lieutenant-colonel du Paty de Clam, en
-reconnaissant lés expédients de son imagina-
tison fertile. Son oeuvre, la culpabilité de Drey-
fus, était en péril, et il a voulu sûrement dé-
fendre son œuvre.
Les protecteurs.
Quels sont donc les protecteurs du com-
mandant Esterhazy 2 sE demande M. Emile
'Zola.
C'est d'abord, dans l'ombre, la lieutenant-co-
lonel du Paty de Clam, qui a tout machiné, qui
,a tout conduit. Sa main se trahit aux moyens
.saugrenus. Puis, c'est la général de Boisdeffre,
c'est le général Gonse, c'est le général Billot
.lui-même, qui sont bien obligés de faire acquit-
ter le commandant, puisqu'ils ne peuvent lais-
ser reconnaître l'innocence de Dreyfus sans
.que les bureaux de la guerre croulent sous le
mépris public. Et le beau résultat de cette si-
tuation prodigieuse, c'est que l'honnête homme
là-dedans, le lieulenant-colonel Picquart, qui
seul a fait son devoir, va être la victime, celui
qu'on bafouera et qu'on punira. 0 justice,
quelle affreuse désespérance serre le cœur 1 On
-va jusqu'à dire que c est lui le faussaire, qu'il a
fabriqué la carte-télégramme pour perdre Es-
terhazy. Mais, grand Dieu 1 pourquoi 1 dans
.quel but Donnez un motif. Est-ce que celui-là
,aussi est payé par les juifst
• Et nous avons donc vu le général de Pel-
-lieux,- puis le commandant Ravary conduire
une enquête scélérate d'où les coquins sortent
2 ..transfigurés et les honnêtes gens salis. Puis on
a convoqué le conseil de guerre.; v
Que pouvaient faire ces juges ? Le minis-
tre de la guerre établi publiquement, «aux
acclamations de la représentation natio-
nale », l'autorité absolue de la chose jugée;
un conseil de guerre ne pouvait lui donner
un formel démenti. « Qui dit discipline dit
obéissance. Et les officiers ont jugé,
comme ils doivent aller au feu, sans r ai-
sonner..
Ils ont renduun.0 sentence; inique qui, à ja-
mais pèsera sur nos conseils de guerre, qui
entachera désormais de suspicion tous leurs
arrêts. Le premier conseil a pu être inintelli-
gent, le second est forcément criminel. Son eg-
cuse je le répète, est que le chef suprême avait
parlé, déclarant la chose jugée inattaquable,
saintp et supérieure aux hommes, de sorte que
des inférieurs ne pouvaient dire le contraire.
L'affaire Dreyfus était l'affaire des bu-
reaux de la.guerre:
Ah cruel coud rfabalAî le gouvernement ré-
punucam devrait donner dans cotte iAsiiittftm
ainsi que les appelle le général Billotlui-memei
Où est-il, le ministère vraiment fort et d'un pa-
triotisme sage qui osera tout y refondre et tout
y renouveler? Que do gens je connais qui, de-
vant une guerre possible, tremblent d'angoisse
en sachant dans quelles mains est la défense
nationale 1 et quel nid de basses intrigues, de
commérages et de dilapidations est devenu
cet asile sacré où se décide le sort de la pa-
trie 1
Mais tout flnira par se savoir. C'est d'au-
jourd'hui seulement que l'affaire commence.
Quand on enferme la vérité sous terre, elle
s'y amasse, elle.y prend une force telle d'ex-
plosion que, le jour où elle éclate, elle fait tout
sauter avec elle.
J'accuse.
Et, résumant son réquisitoire, M. Emile
Zola conclut
J'accuse le lieutenant -colonel du Paty de
Clam d'avoir été l'ouvrier diabolique de l'erreur
judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et
d'avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, de-
puis trois ans, par les machinations les plus
saugrenues et les plus coupables.
J'accuse le général Mercier de s'être rendu
complice, tout au moins par faiblesse d'esprit,
d'une des plus grandes iniquités du siècle.
J'accuse le général Billot d'avoir eu entre les
mains les preuves certaines do l'innocence de
Dreyfus et de les avoir étouffées, de s'être rendu
coupable de ce crime do lèse-humanité et de
lèse-justice dans un but politique et pour sau-
ver 1 état-major compromis.
J'accuse le général de Boisdeffre et le général
Gonse de s'être rendus complices du même
crime, l'un sans doute par passion cléricale.
l'autre peut-être par cet esprit de corps qui fait
des bureaux de laguerm 1 arche sainte, ¡natta-
quable.
J'accuse le général dePellieux et le comman-
ant Ravary d avoir fait une enquête scélérate,
j'entends par là une enquête de la plus mons-
trueuse partialité, dont nous avons, dans le
rapport du second, un impérissable monument
de naïve audace.
J'accuse les trois experts en écritures, les
sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d'avoir
fait des rapports mensongers et frauduleux,
moins qu'un examen médical ne les déclare
atteints d'une maladie de la vue et du juge-
ment.
J'accuse les bureaux de la guerre d'avoir
mené dans la presse une campagne abamina-
ble pour égarer l'opinion et couvrir leur faute.
J'accuse enfin le premier conseil de guerre
d'avoir violé le droit en condamnant un accusé
sur une pièce restée secrète, et j'accuse le se-
cond conseil de guerre d'avoir couvert cette il-
légalité par ordre, en commettant à son tour le
crime juridique d'acquitter sciemment un cou-
pable.
En portant ces accusations, je n'ignore pas
que je me mets sous le coup des articles 30 et
31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui
punit les délits de diffamation. Et c'est volon-
tairement que je m'expose.
Quant aux gens que j'accuse, je ne les con-
nais pas, je ne les ai jamais vus; je n'ai contre
eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi
que des entités, des esprits de malfaisance so-
ciale. Et l'acte que j'accomplis ici n'est qu'un
moyen révolutionnaire pour hâter l'explosion
do la vérité et de la justice.
Je n'ai qu'une passion celle de la lumière,
au nom de l'humanité, qui a tant souffert et
qui a droit au bonheur. Ma protestation en-
flammée n'est que le cri de mon taie. Qu'on
ose donc me traduire en cour d'assises et que
l'enquête ait lieu au grand jour 1
J'attends.
LE COLONEUMCQUART
Aux arrêts de forteresse En route
pour le mont Valérien En atten-
dant le conseils d'enquête.
L'agence Havas communiquait, hier, la
note suivante aux journaux de l'après-midi
A la suite des faits révélés dans l'instruction
et les débats de J'affaire Esterhazy, le lieute-
nant-colonel Picquart a été mis aux arrêts de
forteresse jusqu'à la décision à intervenir pour
son renvoi devant un conseil d'enquête.
Et l'on ne tardait pas à apprendre, avec
une légitime surprise, que le lieutenant-
colonel Picquart n'avait point été invité, sui-
vant l'usage, à se rendre en toute liberté au
lieu de sa détention temporaire, mais bien
qu'il avait été « requis », c'est-à-dire arrêté
et conduit manu militari au fort du mont
Valérien..
En effet, vers six heures et demie du ma-
tin il faisait nuit encore un de ces pe-
tits omnibus militaires qui sont à la disposi-
tion des états-majors régimentaires dans la
cavalerie et plus particulièrement dans l'ar-
illerie amenait devant le no 3 de la rue
tYvon-Villarceau, où avait eu lieu, le 24 no-
vembre dernier, la fameuse perquisition
aux allumettes, le colonel commandant la
gendarmerie du gouvernement militaire de
Paris. L'équipage était conduit par un soldat
du train un second tringlot accompagnait
le colonel, lequel était en grande tenue de
service, sabre au côté, la. croix d'officier de
la Légion d'honneur épinglée à la tunique.
L'officier supérieur priait aussitôt la con-
cierge de la maison de lui indiquer l'étage
où le lieutenant-colonel Picquart possédait
son appartement.
C'est pour une communication de la
plus extrême urgence, ajouta-t-il.
Cette fois, il ne fut pas question d'allu-
mettes.
Le colonel de gendarmerie monta, suivi
de son tringlot, et flt part au lieutenant-co-
lonel Picquart de la mission dont l'avait
chargé, la veille au soir, le gouverneur mi-
litaire de Paris.
A vos ordres, mon colonel.
M. Picquart demanda s'il pouvait empor-
ter les objets indispensables à sa toilette,
du linge et quelques livres.
Parfaitement.
Il fit ensuite mander par la concierge M.
Jules Reigneau, gérant de l'immeuble, qui
habite au no 7 de la rue Yvon-Yillarceau.
Le colonel de, gendarmerie l'autorisa à
converser avec M. Reigneau mais seule-
ment pour lui donner des instructions en
vue de « sauvegarder ses intérêts maté-
riels », c'est-à-dire d'assurerla garde de son
appartement en son absence et la réexpédi-
tion de sa correspondance.
Le lieutenant-colonel Picquart dit f.lf.s&à
M. Reîgneau, en lui serrant affectueusement
la main
Je suis bien tranquille sur l'iSsue finale
de toutes ces tracasseries. Ce sont les jour-
naux qui sont cause de tout cela. Croyez-
moi, je suis un honnête homme et j'ai ma
conscience pour moi.
A ce moment, M. Picquart voulut entra!-
ner M. Reigneau à l'écart, pour l'entretenir
d'une chose très intime, sans doute.
Pardon, fit le colonel de gendarmerio
j'ai ordre. de ne.point vous quitter.
Eù voiture..
Le lieutenant-colonel Picquart s'inclina et
descendit l'escalier devant son chef, suivi
du soldat du train, portant la valise du pri-
sonnier. L'offlcier.puni était en civil.
Quelques instants après, l'équipage mili-
taire se dirigeait vers le mont Valérien par
l'avenue du Bois-de-Boulogne, l'allée de
Longchamp et le pont deSuresnes..
A l'arrivée- il était environ huit heures
et demie le lieutenant-colonel Picquart
fut reçut la poterne du fort par l'officier
commandant. Après les formalités d'usage,
il fut conduit au pavillon spécial, élevé de
trois étages, dans lequel sont aménagées
une dizaine de chambres destinées à rece-
voir les officiers de la garnison de Paris
astreints à garder les arrêts de forteresse,
Ce pavillon, assez confortablement ins-
tallé, est situé sur la plate-forme même du
fort; du haut de cette sorte de terrasse, on
embrasse un superbe panorama. Les offi-
ciers punis peuvent se faire servir leurs re-
pas dans leur chambre. Une sentinelle en
armes veille au pied de l'escalier.et un plan-
ton spécial vient leur communique- a. fis.,
sue du rapport, les orares qui les concer-
nent.
Le lieutenant-colonel Picquart est né le
6 septembre 1854. Il est entré à dix-huit ans
à l'Ecole de Saint-Cyr; il fut nommé capi-
taine en 1880-il avait vingt-six ans-et chef
de bataillon à trente-quatre ans.
Il était déjà attaché au ministère. de la
guerre depuis plusieurs années quand, le
6 avril 1896, il fut promu lieutenant-colonel.
Il avait succédé comme directeur du service
des renseignements aucolonel Sandherr.
C'est à la fin dç» l'année 1896 qu'à la suite
des incidents que l'on sait il fut envoyé au
,4« tirailleurs,à Sousse. Il a été appelé àParis
au mois de novembre dernier pour être en-
tendu dans l'affaire du commandant Ester-
hazy et est resté, depuis cette époque, à Pa-
ris, à la disposition de l'autorité militaire.
Le lieutenant-colonel Picquart est le plus
jeune, officier de son grade dans l'infan-
tarie..
Le cas du colonel.
La mesure de rigueur prise contre l,e co-
lonel est la conséquence des faits révélés
dans l'instruction et les débats de l'affaire
Esterhazy.
Elle indique que le lieutenant-colonel
Picquart va subir une punition disciplinaire
jusqu'à ce qu'il comparaisse devant un con-
seil d'enquête ou un conseil de guerre.
Le conseil d'enquête devra examiner si
cet officier supérieur est dans le cas d'être
mis Soit en non-activité par suspension ou
par retrait d'emploi, soit en réforme.
Ce sont les plus graves punitions disoipli-
naires qui puissent être infligées.
Le conseil d'enquête sera convoqué sur
l'ordre du ministre de la guerre.
Mais il peut se faire que le lieutenant-co-
lonel Picquart comparaisse devant un con-
seil de guerre.
M. DE MUN INTERPELLE
La lettre de M. Zola Quelles mesu-
res comptez-vous prendre? -Le
gouvernement les fait con-
naître Confiance.
L'événement du jour au palais Bourbon,
c'est la lettre de M. Emile Zola. Dans les
couloirs, qui présentent, dès une heure de
l'après-midi, l'animation qui précède les
grandes séance, on discute avec vivacité,
avec colère même les accusations que porte
l'auteur des Rougon-Macquart contre un
certain nombre d'officiers du grand état-
major. L'impartialité m'oblige à reconnaître
que l'acte de M. Zola trouve peu de défen-
seurs quelques journalistes cependant. Les
députés sont, au contraire, très montés.
Il faut, disent-ils, qu'avant la fin de la
journée on sache que le gouvernement a
décidé de poursuivre M. Emile Zola.
Et, dès ce moment, on a la certitude
qu'une interpellation sera déposée aussitôt
la constitution définitive du bureau.
A trois heures et demie, la sonnerie ré-
glementaire appelle les députés en séance.
Les bancs se garnissent très rapidement.
Les députés sont très nombreux.
M. Brisson se lève. Il prononce le discours
d'usage: il"lit'cinq ou six feuillets.
On l'écoute, mais l'impatience de tous est
visible. On attend autre chose.
M. Brisson a terminé. Les radicaux et les
socialistes l'applaudissent.
Toutes les formalités préliminaires à l'ou-
verture des travaux parlementaires étant
terminées, le président donne lecture de
plusieurs demandes d'interpellation qui,
dit-il, viennent de lui parvenir.
La première se rapporte à la catastrophe
de chemin de fer du Péage-de-Roussillon.
Elle est renvoyée à samedi.
M. Cavaignac demande ensuite à interro-
ger le ministre des finances sur l'applica-
tion de la loi qui a dégrevé les petites cotes
foncières. M. Cochery indique qu'il répon-
dra samedi 22 janvier. Cette date ne plaît
qu'à moitié à M. Cavaignac, mais il finit par
l'accepter.
Une troisième interpellation du socialiste
Renou est inscrite à la suite.
L'interpellation.
On arrive enfin à l'interpellation attendue.
Elle a été déposée par M. le comte de Mun
et elle est ainsi conçue
Je demande à interpeller le ministre de la
guerre sur les mesures qu'il entend prendre à
la suite de l'article publié ce matin par M.
Zola.
Ni M. le général Billot ni M. Méline ne
sont au banc des ministres; c'est. M., Co-
chery qui représente le gouvernement.
Il serait bon, dit-il, d'attendre la présence
du président du conseil et du ministre de la
guerre pour fixer la date de cette interpella-
tion.
Mais la Chambre, qui est très nerveuse,
ne l'entend pas ainsi
Ils ne sont jamais là 1 s'écrie quelqu'un à
l'extrême gauche.
Allez les cheréher, ajoute un député de la
droite.
M. de Mun monte à la tribune.
L'énoncé seul de mon interpellation, dé-
clare-t-il, indique qu'elle ne saurait être ren-
voyée une date ultérieure,
M. Cochery ne peut que répéter ce qu'il
disait tout à l'heure. Il prie la Chambre de
remettre à un autre moment la fixation de
la discussion de l'interpellation.
Non crie-t-on de toutes parts, tout de
suite 1
-Vous marchez comme des chiens qu'on
fouette I crie M. Julien Dumas.
Zola peut pourtant bien attendre la fin de
la séance, dit m. Julien Goujon.
L'armée n'attendra pas, monsieur, dé-
clare M. de, Mun,
Pour en finir, quelques députés du centre
demandent une suspension de séance.
Elle est votée sans la moindre protesta-
tion. Il est quatre heures vingt minutes.
M. MÉLINE
L'honneur de l'armée et l'autorité de
la justice.
A cinq heures, MM. Méline et Billot ce
dernier était au Sénat, où il prenait part à
l'élection du buréau arrivent au palais
Bourbon.
La séance est alors rouverte.
Tous les ministres sont présents.
Y aurait-il de la poudre dans l'air ?
Quoiqu'il en soit, M. Méline, fldéle à sa
tactique habituelle, prend l'offensive, et, ce
faisant, il espère éviter un nouveau débat
sur cette douloureuse affaire.
Ses déclarations sont très nettes, sans ce-
pendant être exemptes d'une certaine mé-
Iancojie. Les voici, d'après le compte rendu
analytique
Le gouvernement, dit le président du con-
seil, comprend l'émotion et l'indignation qui se
sont emparées de la Chambre à la lecture des
violentes; des abominables attaques qui ont été
dirigées contre les chefs de l'armée et contre
les juges militaires, qui ont statué dans la li-
berté de leur conscience.
Oui, le gouvernement comprend cette émo-
tion, cette indignation, et il la. partage. Gardien
des lois, charge de les appliquer et de les faire
respecter, il a décidé d'exercer des poursuites
contre l'auteur de ces attaques, bien qu'il ne se
dissimule pas que ces poursuites soient cher-
chées, voulues, comme un moyen de continuer
dans le pays une agitation déplorable.
Le gouvernement les regrette plus que per-
sonne, car le pays voulait la paix et le silence
sur cette affaire. Mais le gouvernement n'en
aura pas eu la responsabilité il fera son de-
voir, qui consiste à faire respecter ces deux
choses sacrées l'honneur de l'armée et l'auto-
Après ces déclarations, pénibles à faire, car
le gouvernement avait espéré que la Chambre
pourrait reprendre ses travaux et que le pays
obtiendrait enfin un moment d'accalmie, j'es-
père que la Chambre aidera le gouvernement
dans une tâche difficile et que les hoporables
interpellateurs voudront bien s'en rapporter à
sa sagesse et à sa fermeté.
Les paroles de M. Méline sont applaudies
sur un grand nombre de bancs.
M. de Mun est satisfait, mais il voudrait
que le ministre de la guerre ajoute quelques
mots « pour répondre aux abominables àc-
cusations formulées contre l'honneur de
l'armée a.
On a accusé les chefs de l'armée d'avoir ca-
ché sciemment les preuves dé l'innocence
d'un condamné. On annonce que la campagne
odieuse à laquelle nous avons assisté va re-
commencer.
Pourra-t-on impunément venir encore jeter
le trouble dans le pays et la suspicion sur nos
chefs militaires ?
Au nom de la patrie, je demande au minis-
tre de la guerre de repousser les attaques
dirigées contre lui, contre les chefs de l'armée
et contre les officiers, dont if est le représen-
tant. (Applaudissements à droite et sur divers
bancs.)
On a beaucoup remarqué qu'au cours de
son discours M. de Mun ayant manifesté
l'intention de lire quelques passages de l'ar-
ticle de M. Zola des protestations très nom-
breuses se sont élevées de tous les points
de l'Assemblée. M. de Mun n'a pas insisté.
Le général Billot.
M. le général Billot apporte ensuite l'éner-
gique protestation que sollicite l'interpella-
teur
C'est la quatrième fois .depuis un an, dit-il,
qu'il monte é la tribune pour prendre la défense
de la chose jugée.
M. Chauvin. A huis clos. (Bruit prolongé.)
Le général Billot. L'armée est au-dessus
de toutes les attaques. Son honneur est comme
le soleil. Qu'importent quelques taches ? il n'en
brille pas moins d'un incomparable éclat I
Mais n'est-ce pas un spectacle lamentable
que de voir cet honneur en butte d'aussi au-
dacieuses accusations devant l'Europe,qui nous'
regardeR.
veut-on- compromettre la défense nationale,
à laquelle nous avons tout sacrifié? Veut-on
que ce pays, où tout citoyen est soldat, ne
suive plus ses chefs au jour du danger?
Le gouvernement est prêt. Il est très résolu à
mettre fin à une pareille situation et à défendre
l'honneur de l'armée, le respect des décisions
du conseil de guerre et les intérêts de la pa-
trie. (Applaudissements.)
On croyait le débat épuisé. On avaitcompté
sans M. Jaurès,qui, depuis deux jours, mou-
rait d'envie de monter à la tribune.
Le discours du leader socialiste n'a pas
été très brillant on peut même dire quil a
été plus que médiocre. Il est vrai que M.
Jaurès s'était aventuré sur un terrain parti-
culièrement délicat.
Sans prendre parti dans l'affaire Dreyfus,
le député du Tarn veut tirer la philosophie
des événements qui viennent de Se dé-
rouler.
Il s'est élevé contre le huis-clos, qui n'a
pas permis au pays de juger en toute con-
naissance de cause et de porter enfin le dé-
bat en pleine lumière. Pourquoi a-t-on fait
cela
uesc, m. Jaurès îamrme, pour couvrir
les fautes de l'oligarchie militaire, des bu-
reaux de la guerre.
M. le général Billot remonte à la tribune
pour répondre à M. Jaurès.
M. Jaurès vient, dit-il, de renouveler, en les
aggravant, une partie des attaques do M. Zola.
(Vifs applaudissements au centre; bruit à l'ex-
trême gaucho).
M. Gérault-Richard, ironiquement. C'est
une défaillance cérébrale. (Nouveau bruit.)
M. Brisson. Je vous rappelle à l'ordre.
M. le ministre de la guerre.- J'ai l'honneur
d'être le chef responsable de t'armée, et je tiens
à déclarer,devantla Chambre, devant lepays, de-
vant l'armée, que jamais les grands chefs mili-
taires n'ont été plus respectueux delà loi, plus
soumis il la discipline, plus fidèles à la patrie.
Je tiens à dire, en leur notn à tous, mes chers
et fidèles camarades, que jamais il ne s'est
produit ombre de divergences, que jamais il
n'y a eu ni tentative ni tentation de se sous-
traire à l'autorité, au respect du chef de l'ar-
mée, ni dans leur pensée, ni dans leurs paro-
les, ni dans leurs actes.
Plusieurs membres L'extrême gauche.
Et la République
M. le ministre de la guerre. Quant à la
République, c'est un vieux républicain qui parle.
(Applaudissements au centre. Exclamations
sur les bancs socialistes.)
M. le président. Vous demandez que le
pouvoir civil soit respecté partout. Or il est
ici, il est en ce moment à fa tribune: donnez
l'exemple de ce respect. (Applaudissements.)
M. le ministre de la guerre. Il y a cin-
quante ans que je sers la France sur les
champs de bataille et dans l'armée; il y a vingt-
sept ans que je sers la République dans les As-
semblées. Si vous cherchez un gardien fidèle
de la République, je défle qu'on trouve dans
mes paroles, dans mes actes, dans toute ma
conduite un seul fait à rencontre du respect,
de la fidélité aux institutions républicaines, que
j'ai contribué à fonder (Applaudissements.)
Quand vous parlez de la République à un
vieux republicain comme moi, je puis dire que
je sais mieux que personne la manière de la
servir, de la faire respecter, de la faire vivre.
L'armée tout entière est fidèle au drapeau et
aux institutions républicaines, u'elle sert elle
a le droit d'être défendue et elle ne méritait
pas d'être attaquée ainsi.
Je conjure la Chambre de se souvenir de ce
que je lui ai dit tant de fois Laissez l'armée à
son œuvre sainte, sacrée, pour qu'elle puisse
se préparer aux éventualites qui peuvent se
produire. (Vifs applaudissements.)
M. CAVAIGNAC
Réplique à M. Jaurès– Le rapport
du capitaine Lebrun-Renault.
M..Cavaignac, ancien ministre de la guerre
du cabinet Lëon Bourgeois, monté ensuite:
a la tribune.
Son intervention a pour but de désolida-
riser le parti radical du parti socialiste. Il
élève une véhémente protestation contre les
paroles de M. Jaurès
Il faut, s'écrie M. Cavaignac que M. Jaurès
sache an il y a dans les Vangs des répubtïcains,
même les plus progressistes, des hommes ré-
solus à ne pas laisser parler de l'armée comme
il l'a fait à cette tribune. (Vifs applaudisse-
ments.)
Avez-vous songé, monsieur Jaurès, quand
vous êtes venu apporter ici ces attaques, qu'aux
heures décisives le salut de la patrie dépendra
du respect que ces millions de petits soldats
auront pour les chefs qui les commanderont
(Nouveaux applaudissements.)
M. le général Bil.lot et tous ses collègues
du cabinet applaudissent cette déclaration
de 1.ancien ministre de la guerre, qui
ajoute
Ce qui aggrave les paroles de M. Jaurès, c'est
que, cherchant à exploiter je ne-sais' Quelles er-
reurs :de détail, il s'est efforcé de répandre Cette
idée qu'il nvait à la tête de l'armée des hom-
mes capables non de commettre une erreur,
mais, après s'être convaincus'dé cette 'erreur,
d'y persister. (Applaudissements sur divers
bancs au centre et à gauche. Interruptions à
l'extrême gauche.)
Cela dit, M. Cavaignac se retourne vers le
gouvernement et lui reproche de n'avoir pas
fait «tout ce qu'il devait faire ».
M. Cavaignac croit qu'au début de l'affaire
le ministre de la guerre pouvait, d'un seul
mot, arrêter la campagne entreprise.
N'ayez pas cette illusion, interrompt M. de
Mahy. Ceux qui ont mené cette campagne
étaient résolus a tout.
Les aveux de Dreyfus.
Pourtant M. Cavaignac produit officielle-
ment un fait nouveau intéressant. Il s'agit
des aveux que l'ex-capitaine aurait faits,
avant sa dégradation, au capitaine Lebrun-
deux mois. Citons tout ce passage
Je reconnais qu'il était difficile de détacher
des pièces du dossier, mais il s'est trouvé que,
dans cette affaire, le ministre de la guerre avait
entre les mains une preuve qui était de nature
à fixer l'opinion du pays. Pourquoi ne l'a-t-il
pas apportée ?
Lors de la dégradation»{T Alfred Dreyfus, l'of-
ficier qui était chargé d'assister à la parade a
recueilli de lui ces paroles Si j'ai livré des
documents à une puissance étrangère, c'était
dans l'espoir de m en procurer d'autres. » Cet
officier fut tellement frappé de cet aveu qu'il
en fit l'objet d'un rapport au ministre de la
guerre, et il reste de ces paroles décisives un
témoignage contemporain. Je demande à M. le
ministre de la guerre pourquoi, dès la première
heure, il n'a pas produit cet aveu et ce témoi-
gnage.,
Je lui demande aussi comment il se fait que,
saisi par un officier de son état-major général
de pièces qui paraissaient, incriminer le com-
mandant Esterhazy et les ayant écartées après
examen, il les reprises -sur une simple lettre
publiée dans les journauv, alors qu'un mot de
lni, net et clair, pouvait arrêter aussitôt cette
campagne d'agitation dont il se plaint aujour-
d'hui..
Voilà pourquoi, si je pense que M. Jaurès a
choisi un singulier moment pour attaquer l'ar-
mée. (Bruit a l'extrême gauche.)
M. Millerand. Vous démontrez vous-même
qu'on peut attaquer le ministre de la guerre
sans attaquer l'armée. (Rires ironiques au
centre.)
M. Godefroy Cavaignac. le moment où
elle se dresse en face de puissances occultes,
on n'en est pas moins en droit de reprocher au
gouvernement d'avoir donné à croire que les
ohofs do l'armée avaient manqué à ur; devoir
de conscience et d'avoir, par ses hésitions et
ses faiblesses, laissé se poursuivre cette cam-
La question ministérielle.
M. Cavaignac ayant déposé un ordre du
jour motive, la question ministérielle s'est
trouvée posée. M. Méline a saisi la balle au
bond et, en quelques mots très simples, a
réclamé un vote de confiance.
M. Méline. M. Cavaignac nous reproche
d'avoir entretenu dans le pays l'agitation que
nous déplorons plus que lui, en gardant le si-
lence sur des faits que nous aurions pu expli-
quer à la tribune et qui auraient suffi à éclairer
lopinion.
Si nous avions procédé ainsi, je demande ce
qu'aurait dit M. Cavaignac. Il nous eût repro-
ché d'ouvrir à la tribune le procès en revision
demandé par M. Scheurer-Kestner, et il n'est
pas un membre de la Chambre qui ne nous
l'eût reproché avec lui.
M. Cavaignac. Il ne s'agit pas d'une pièce
dû procès.
m. Manne. Le gouvernement avait a ap-
pliquer la loi et à remettre à la justice une
affaire d'un caractère judiciaire, ce qu'on oublie
trop.
Le gouvernement s'est refusé et il se refusera
toujours à agir autrement. Si M. Cavaignac
était au gouvernement, il ferait comme nous
(Applaudissoments sur un grand nombre de
M. Cavaignac. -L'aveu dont je parle était
une pièce étrangère au procès c'est ce qui
permettrait d'en saisir la Chambre et le pays
La discussion est alors close. On se trouve
en présence de l'ordre du jour de M. Cavai-
gnac, qui est ainsi conçu
La Chambre, regrettant les hésitations du
gouvernement en présence des tentatives faites
pour porter atteinte à l'autorité de la chose
jugée, passe à l'ordre du jour.
M. Méline demande à la Chambre de vo-
ter sur cet ordre du jour « parce que, dans
les circonstances actuelles, le gouverne-
ment. a besoin de la confiance explicite de
la Chambre ».
On vote. Par 317 voix contre 192, l'ordre
du jour de M. Cavaignac est repoussé.
Deux ordres du jour restent en présence.
Le premier, déposé par M. le comte de Mun,
est ainsi conçu
La Chambre, comptant que le gouvernement
prendra les mesures nécessaires pour mettre
fin à la campagne entreprise contre l'honneur
de l'armée, passe é, l'ordre du jour.
Le second, de MM. Marty et le lieutenant-
colonel Guérin, est ainsi formulé
La Chambre, approuvant les déclarations du
gouvernement, passe à l'ordre du jour.
M. Méline déclare accepter la formule de
MM. Marty et Guérin.
M. de Mun demande alors que son ordre
du jour soit réuni à celui qu'accepte le gou-
vernement.
On vote par division. La première partie,
approuvant les déclarations du gouverne-
ment, est acceptée par 313 voix contre 141.
Il ne reste plus qu'à scrutiner sur l'addi-
tion proposée par M. le comte de Mun. Elle
est adoptée par 284 voix contre 120.Mais,pour
ne point paraître se rallier à une proposition
venue de la droite, beaucoup de députés ra-
dicaux et républicains se sont abstenus.
Ça, c'est de la politique 1
Enfin, l'ensemble de l'ordre du jour passe
à une grosse majorité 312 voix contre 122.
Et ainsi se termine ce quatrième débat
sur l'affaire Dreyfus. Nous craignons bien
que ce ne soit pas le dernier.
L'incident Habert-Deville.
En raison de paroles prononcées au milieu
du bruit, pendant la séance de la Chambre,
un échange de témoins a eu lieu entre deux
députés, MM. Marcel Habert et Gabriel De-
ville,à la suite duquel a été rédigé le procès-
verbal suivant
M. Marcel Habert, député se croyant injurié
par M. Gabriel Deville.a prié MM. Gauthier (de
Glagny) et Mirman, députés, de lui demander
des explications.
M. Gabriel Deville a chargé MM. Millerand et
Viviani de le représenter.
De l'examen des faits et des paroles échan-
gées, il est résulté pour les quatre témoins cette
conviçtion que M. Marcel Habert a attribué à
tort à M: Gabriel Deville une injure qu'il n'a-
vait pas prononcée et que cette erreur a pro-
voqué de sa part une riposte qui doit nécessai-
rement tomber avec la parole qui l'avait provo-
quée.
En conséquence, les quatre témoins ont dé,
cidé qu'il n y avait pas lieu à rencontre.
LES POURSUITES
L'information contre M. Zola Une
arrestation sensationnelle.
Dès hier soir, des ordres ont été transmis
par le ministre de la justice au procureur
général à l'effet d'ouvrir une information
contre M. Emile Zola.
Le juge tout désigné:pour cette nouvelle
enquête semble être M. Bertulus, déj à chargé
d'instruire les multiples plaintes auxquelles
ont donne lieu les événements de ces temps
derniers.
Une personne généralement bien informée
nous disait hier
Le parquet ne va pas se borner à l'exa-
men du fait Zola il va procéder à une ins-
truction aussi profonde que minutieuse sur
es manœuvres tentées envue de provoquer
la revision du procès Dreyfus, de façon à
englober dans l'enquête judiciaire tous les
personnages, grands et:petits, qui, de près
ou de loin, se sont trouvés mêlés à la cam-
pagne en faveur du déporté de l'île du Diable.
Rien ne sera négligé pour que toutes les res-
ponsabilité, si minimes qu'elles soient, ap-
paraissent au grand jour de la cour d'assises,
et chacun sera traité selon son œuvre.
Et notre interlocuteur ajouta
Vous pouvez même vous attendre, d'ici
vingt-quatre heures, à une arrestation sen-
sationnelle.
M. Joseph Reinach s'est rendu, hier, vers
cinq heures, au Palais de justice il a eu une
assez longue entrevue avec le procureur de
là République.
Délits, procédure, pénalités La loi
sur la presse et la diffamation.
On a vu d'autre part que la lettre de M.
Emile Zola, publiée par l'Aurore, allait être
déférée à la juridiction compétente.
Quelle est cette juridiction ? '1 Quels sont
les délits poursuivis Quelle est la procé.
dure ? Quelles sont les pénalités encourues
Tels sont les divers points que nous exami-
nerons ici.
Ainsi que M. Zola le déclare dans sa let-
tre au président de ia République, il a
agi de propos délibéré et de manière que
des poursuites ne puissent être évitées. II
cite lui-même les articles 30 et 31 de là loi
du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
comme étant applicables aux délits de diffa-
mation qu'il a volontairement commis.
Voici le texte de ces articles
Art. 80. t»; La diffamation commise. envers
les cours. les tribunaux, les armées de terre
ou de mer, les corps constitués ou les admi.
nistrations publiques sera punie d'une'mprison.
nement de huit jours à un an et d'une amende
de 100 francs francs ou de l'une de ces
deux peines seulement.
Art. 31. Sera punie de la même peine la
diffamation commise par les mêmes moyens, à
raison de leurs fonctions ou de leur qualité,
envers un ou plusieurs membres du ministère,
un ou plusieurs membres de l'une ou de l'autre
Chambre, un fonctionnaire public, un déposi-
taire ou agent de l'autorité publique, un minis-
tre de l'un des cultes salariés par l'Etat, un ci-
toyen chargé d'un service ou d'un mandat pu-
blic, temporaire ou permanent, un juré ou un
témoin à raison de sa déposition.
Faisons remarquer que M. Zola a commis
le délit de diffamation, en ce qui concerne
les deux conseils de guerre qu'il vise, con-
vers les cours et tribunaux; en ce qui en-
cerne les divers officiers qu'il met nommé-
ment en cause; en ce qui concerne l'admi.
nistration (les bureaux, dit-il) de la guerre;
deux ministres MM. Billot et Mercier; les
experts, gui, en vertu de la jurisprudence,
sont considérés comme magistrats.
D'autre part, au point de vue de la péna-
lité encourue, la cour de cassation admet,
pour la diffamation contre les magistrats,
l'application de l'article 222 du code pénal,
qui porte la peine, au lieu de huit jours à un
an, de quinze jours à deux ans.
Les poursuivis.
En vertu de l'article 45 de la loi sur la
presse, les délits prévus ci-dessus sont dé-
férés à la cour d'assises. D'après la déclara-
tion du gouvernement, la poursuite aura
lieu non par voie de citation directe, mais
d'office, sur la plainte adressée au par-
quet par les ministres de la guerre et de
la justice ou l'un des deux seulement
(articles 47 et 48.)
En vertu de l'article 49 de la même loi, un
juge d'instruction sera désigné mais il ne
pourra, sauf en cas de crime, procéder à
l'arrestation préventive des inculpés.
Seront poursuivis le gérant du journal
l'Aurore, comme auteur principal, et M.
Zola, comme complice (articles 42 et 43).
Une chose très importante dans la cause
actuelle d'après l'article 35 de la loi, le
prévenu sera admis à faire la preuve dea
imputations diffamatoires relevées dans
l'assignation.
Voici le texte de l'article 52, qui précisa
les conditions dans lesquelles la preuve
peut être administrée.
Art. 52. En matière de diffamation, ce dé..
lai (entre la citation et la comparution) sera dd
douze jours, outre un jour par cinq myriamè-
tres.
Quand le prévenu voudra être admis à prou-
ver la vérité des faits diffamatoires, conformé-
ment aux dispositions de l'article 35 de la pré-
sente loi, il devra, dans les cinq jours qui
suivront la notification de la citation, faire si-
gnifier au ministère public près la cour d'assi-
ses ou au plaignant, au domicile par lui élu,
suivant qu'il est assigné à la requête de l'un ou
de l'autre
1° Les faits articulés et qualifiés dans la cita-
tion dont il entend prouver la vérito
2o La copiedes pièces
3° Les noms, professions et demeures des
témoins par lesquels il entend faire sa preuve.
Cette signification contiendra élection de domi-
cile près la cour d'assises. Le tout à peine d'être
déchu du droit de faire la preuve.
Les preuves.
A cet article il y a un corollaire qui pour-
rait peut-être devenir capital. Il s'agit de la
preuve contraire, prévue par l'article 53,
dont voici le texte
Art. 53. Dans les cinq jours suivants, le
plaignant ou le ministère public, suivant les
cas, sera tenu de faire signifier au prévenu, au
domicile par lui élu, la copie des pièces et les
noms, professions et demeures des témoins
par lesquels il entend faire la preuve con-
traire, sous peine d'être déchu de son droit.
On voit donc qu'en vertu de cet article
certaines pièces, jusqu'ici tenues secrètes,
du dossier des procès Dreyfus et Esterhazy
pourraient être, si on le juge à propos, li-
vrées à la publicité de la cour d'assises par
l'avocat général. Mais tout, semble-t-il, dé-
pend de l'usage que M. Zola et son coaccusé
feront de la faculté qui leur est impartie par
l'article 52. D'ailleurs, le ministère public
pourrait requérir le huis-clos devant la cour
d'assises, comme l'a fait le commissaire du
gouvernement devant le conseil de guerre.
Ces dispositions de la loi sont très rigou-
reuses. La déchéance prévue par le délai
est d'ordre public,et nulle pièce non signifiée
dans les forme et condition voulues ne pour-
rait être lue à l'audience.
Pour être complets, mentionnons que
chacune des personnes nommément dési-
gnées dans l'article incriminé a le le droit,
d'après l'article 46, de joindre à l'action pé-
nale une action civile en dommages et in-
térêts. M. Esterhazy pourra, à ce titre, être
partie au procès.
Enfin, rappelons que l'article 35 spécifie a
TOUJOURS L'AFFAIRE DREYFUS
M, ZOLA TRADUIT EN COUR D'ASSISES ET LE
COLONEL PIC QUART ARRÊTÉ
VOTE DE CONFIANCE DANS LE MINISTÈRE
La lettre à MI. Félix Faure Interpellation de M. de
Miin à la Chambre Déclarations du président
du conseil et du ministre de' la 'guerre
Le colonel Picquart aumont Valérien
Nouvelles arrestations probables.
Nous' avons pu signaler, dans notre der-
̃ nièrè heure/la' lettre ouverte adressée par
1 M. Emile Zola au président de la Républi-
que et qu'a publiée hier l'Aurore. Il nous
faut revenir sur ce document, dont l'impor-
tance est d'autant plus considérable que
M, Zola va être traduit en cour d'assises; à
la suite des accusations qu'il porte dans
cette lettre contre un certain nombre de per-
sommées qui ont eu à intervenir dans l'af
faire Dreyfus-Esterhazy.
C'est à M. Félix Faure que M. Zola « dé-.
nonce la tourbe' malfaisante des vrais cou-
pables ». La vérité d'abord sur le procès et
sur la condamnation de Dreyfus
Un homme néfastê.a tout mené, a tout fait
-•̃ '«'est le colonel du Paty de Clam, alors simple
commandant. Il est l'affaire Dreyfus tout en-
tière on ne la ronnattra que lorsqu'une en-,
quêta loyale aura établi nettement ses actes et
ses responsabilités. Il apparaît comme l'esprit
le plus fumeux, le plus compliqué, hanté d'in-
trigues romanesques, se complaisant aux
moyens des romans-feuilletons les papiers
'Volés, les lettres anonymes, les rendez-vous
.dans les endroits déserts, les femmes mysté-
] -.rieuses qui colportent, de nuit, des preuves ac-
«abiantes.
C'est lui « qui les mène tous, qui les hyp-
notise, car il s'occupe aussi de spiritisme,
',d'occultisme', il converse avec les esprits ».
On ne croira jamais les expériences auxquel-
les il a soumis le malheureux Dreyfus, les più-
dans lesquels il a voulu le faire tomber, les
enquêtes folles, les imaginations monstrueu-
ses, toute une démence torturante.
Ahl cette première affaire, elle est un cau-
chemar pour qui la connaît dans ses détails
vrais Le commandant du Paty do Clam arrête
Dreyfus, le met au secret. Il court chez Mme
Dreyfus, la terrorise, lui dit que, si elle parle,
son mari est perdu. Pendant ce temps, le mal-
'̃ heureux s'arrachait la chair, hurlait son inno-
cence. Et l'instruction a été faite ainsi, comme
dans une chronique du quinzième siècle, au
milieu du mystère, avec une complication d'ex-
pédients farouches, tout cela basé sur une seule
charge enfantine ce bordereau imbécile, qui
n'était pas seulement: une trahison vulgaire,
qui était aussi la plus impudente des escroque-
ries, car les fameux secrets livrés se trouvaient
presque tous sans valeur.
Au tour de l'acte d'accusation
Je défie les honnêtes gens de le lire sans que
leur cœur bondisse d'indignation et crie leur
révolte, en pensant à l'expiation démesurée, là-
bas, à l'île du Diable. Dreyfus sait plusieurs
,langues: crime on n'a trouvé chez lui aucun
papier compromettant: crime; il va parfois dans:
son pays d'origine, crime; il est laborieux, il a
le souci de tout savoir: crimo; il ne se trouble
pas: crime; il se trouble: crime. Et les naïvetés
5e rédaction, les formelles assertions dans la-
vide 1 On nous avait parlé de quatorze chefs
d'accusation nous n en trouvons qu'une seule
en fin de compte celle du bordereau, et nous
apprenons même que les experts n'étaient pas
.d'accord, qu'un d'eux, M. Gobert, a été bous-
culé militairement parce qu'il se permettait de
ne pas conclure dans le sens désiré.
Le bordereau n'a aucune importance la
pièce secrète, « il la nie, il la nie de toute sa
puissance, cette pièce ridicule ».
L'affaire Esterhazy.
Nous arrivons à l'aff aire Esterhazy
Le colonel Sandherr était mort, et le lieute-
nant-coloncl Picquart lui avait succédé comme
.chef du bureau. des renseignements. Et c'est à
ce titre, dans l'exercice do ses fonctions, que
ce dernier eut un jour entre les mains une
lettre-télégramme adresséo au commandant
̃Esterhazy par un agent d'une puissance étran-
.,gère. Son devoir slrict était d'ouvrir une en-
-qûtite. La certitude est qu'il n'a jamais agi ,pu
dehors de la volonté de ses supérieurs. Il sou-
mit donc ses soupçons à ses supérieurs hiérar-
chiques le général Gonse, puis Io général de
Boisdeffre, puis le général Billot, qui avait suc-
cédé au général Mercier comme ministre do la
guerre. Le fameux dossier Picquart, dont il a
eté tant parlé, n'a jamais été que le dossier
Billot, j'entends le- dossier fait par un subor-
donné pour son ministre, le dossier qui doit
exister encore au ministère de la guerre. Les
recherches durèrent de mai à septembre 1896,
-et ce qu'il faut affirmer bien haut, c'est que le
général Gonse était convaincu de la culpabilité
d'Esterhazy, c'est que le général de Boisdeffre
et le général Billot ne mettaient pas en doute
que le fameux bordereau fût de l'écriture d'Es-
terhazy. L'enquête, du lieutenant-colonel Pic-
,quart avait abouti à celle constatation certaine.
Mais l'émoi était. grand, car la condamnation
d'Estorhazy entraînait inévitablement la révi-
sion du procès Dreyfus, et c'était ce que l'état-
major ne voulait il. aucun prix.
Le général Billot pouvait taire la lumière.
« Il n'osa pas, dans la terreur sans doute de
'{'opinion publique, certainement aussi dans
.la crainte de livrer tout l'état-major.
Et le lieutenant-colonel Picquart fut envoyé
,en mission on Téloignado plus en plus loin,
jusqu'en Tunisie, où 1 on voulut même un jour
honorer sa bravoure en le chargeant d'une
mission qui l'aurait fait sûrement massacrer,
dans les parages où le marquis de Mores a
':trouvé la mort.
« A Paris, la vérité marchait. M. Zola
-rappelle comment M. Esterhazy fut dénoncé.
D'abord affolé, « prêt au suicide ou à la
fuite », il paie tout à coup d'audace, « éton-
.nant Paris par la violence de son attitude ».
C'est que du secours lui était venu il avait
reçu une lettre anonyme l'avertissant des me-
nées de ses ennemis une dame mystérieuse
fêtait même dérangée de nuit pour lui remet-
tre une pièce volée à l'état-major, qui devait le
sauver. Et je ne puis m'empêcher de retrouver
là le lieutenant-colonel du Paty de Clam, en
-reconnaissant lés expédients de son imagina-
tison fertile. Son oeuvre, la culpabilité de Drey-
fus, était en péril, et il a voulu sûrement dé-
fendre son œuvre.
Les protecteurs.
Quels sont donc les protecteurs du com-
mandant Esterhazy 2 sE demande M. Emile
'Zola.
C'est d'abord, dans l'ombre, la lieutenant-co-
lonel du Paty de Clam, qui a tout machiné, qui
,a tout conduit. Sa main se trahit aux moyens
.saugrenus. Puis, c'est la général de Boisdeffre,
c'est le général Gonse, c'est le général Billot
.lui-même, qui sont bien obligés de faire acquit-
ter le commandant, puisqu'ils ne peuvent lais-
ser reconnaître l'innocence de Dreyfus sans
.que les bureaux de la guerre croulent sous le
mépris public. Et le beau résultat de cette si-
tuation prodigieuse, c'est que l'honnête homme
là-dedans, le lieulenant-colonel Picquart, qui
seul a fait son devoir, va être la victime, celui
qu'on bafouera et qu'on punira. 0 justice,
quelle affreuse désespérance serre le cœur 1 On
-va jusqu'à dire que c est lui le faussaire, qu'il a
fabriqué la carte-télégramme pour perdre Es-
terhazy. Mais, grand Dieu 1 pourquoi 1 dans
.quel but Donnez un motif. Est-ce que celui-là
,aussi est payé par les juifst
• Et nous avons donc vu le général de Pel-
-lieux,- puis le commandant Ravary conduire
une enquête scélérate d'où les coquins sortent
2 ..transfigurés et les honnêtes gens salis. Puis on
a convoqué le conseil de guerre.; v
Que pouvaient faire ces juges ? Le minis-
tre de la guerre établi publiquement, «aux
acclamations de la représentation natio-
nale », l'autorité absolue de la chose jugée;
un conseil de guerre ne pouvait lui donner
un formel démenti. « Qui dit discipline dit
obéissance. Et les officiers ont jugé,
comme ils doivent aller au feu, sans r ai-
sonner..
Ils ont renduun.0 sentence; inique qui, à ja-
mais pèsera sur nos conseils de guerre, qui
entachera désormais de suspicion tous leurs
arrêts. Le premier conseil a pu être inintelli-
gent, le second est forcément criminel. Son eg-
cuse je le répète, est que le chef suprême avait
parlé, déclarant la chose jugée inattaquable,
saintp et supérieure aux hommes, de sorte que
des inférieurs ne pouvaient dire le contraire.
L'affaire Dreyfus était l'affaire des bu-
reaux de la.guerre:
Ah cruel coud rfabalAî le gouvernement ré-
punucam devrait donner dans cotte iAsiiittftm
ainsi que les appelle le général Billotlui-memei
Où est-il, le ministère vraiment fort et d'un pa-
triotisme sage qui osera tout y refondre et tout
y renouveler? Que do gens je connais qui, de-
vant une guerre possible, tremblent d'angoisse
en sachant dans quelles mains est la défense
nationale 1 et quel nid de basses intrigues, de
commérages et de dilapidations est devenu
cet asile sacré où se décide le sort de la pa-
trie 1
Mais tout flnira par se savoir. C'est d'au-
jourd'hui seulement que l'affaire commence.
Quand on enferme la vérité sous terre, elle
s'y amasse, elle.y prend une force telle d'ex-
plosion que, le jour où elle éclate, elle fait tout
sauter avec elle.
J'accuse.
Et, résumant son réquisitoire, M. Emile
Zola conclut
J'accuse le lieutenant -colonel du Paty de
Clam d'avoir été l'ouvrier diabolique de l'erreur
judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et
d'avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, de-
puis trois ans, par les machinations les plus
saugrenues et les plus coupables.
J'accuse le général Mercier de s'être rendu
complice, tout au moins par faiblesse d'esprit,
d'une des plus grandes iniquités du siècle.
J'accuse le général Billot d'avoir eu entre les
mains les preuves certaines do l'innocence de
Dreyfus et de les avoir étouffées, de s'être rendu
coupable de ce crime do lèse-humanité et de
lèse-justice dans un but politique et pour sau-
ver 1 état-major compromis.
J'accuse le général de Boisdeffre et le général
Gonse de s'être rendus complices du même
crime, l'un sans doute par passion cléricale.
l'autre peut-être par cet esprit de corps qui fait
des bureaux de laguerm 1 arche sainte, ¡natta-
quable.
J'accuse le général dePellieux et le comman-
ant Ravary d avoir fait une enquête scélérate,
j'entends par là une enquête de la plus mons-
trueuse partialité, dont nous avons, dans le
rapport du second, un impérissable monument
de naïve audace.
J'accuse les trois experts en écritures, les
sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d'avoir
fait des rapports mensongers et frauduleux,
moins qu'un examen médical ne les déclare
atteints d'une maladie de la vue et du juge-
ment.
J'accuse les bureaux de la guerre d'avoir
mené dans la presse une campagne abamina-
ble pour égarer l'opinion et couvrir leur faute.
J'accuse enfin le premier conseil de guerre
d'avoir violé le droit en condamnant un accusé
sur une pièce restée secrète, et j'accuse le se-
cond conseil de guerre d'avoir couvert cette il-
légalité par ordre, en commettant à son tour le
crime juridique d'acquitter sciemment un cou-
pable.
En portant ces accusations, je n'ignore pas
que je me mets sous le coup des articles 30 et
31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881, qui
punit les délits de diffamation. Et c'est volon-
tairement que je m'expose.
Quant aux gens que j'accuse, je ne les con-
nais pas, je ne les ai jamais vus; je n'ai contre
eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi
que des entités, des esprits de malfaisance so-
ciale. Et l'acte que j'accomplis ici n'est qu'un
moyen révolutionnaire pour hâter l'explosion
do la vérité et de la justice.
Je n'ai qu'une passion celle de la lumière,
au nom de l'humanité, qui a tant souffert et
qui a droit au bonheur. Ma protestation en-
flammée n'est que le cri de mon taie. Qu'on
ose donc me traduire en cour d'assises et que
l'enquête ait lieu au grand jour 1
J'attends.
LE COLONEUMCQUART
Aux arrêts de forteresse En route
pour le mont Valérien En atten-
dant le conseils d'enquête.
L'agence Havas communiquait, hier, la
note suivante aux journaux de l'après-midi
A la suite des faits révélés dans l'instruction
et les débats de J'affaire Esterhazy, le lieute-
nant-colonel Picquart a été mis aux arrêts de
forteresse jusqu'à la décision à intervenir pour
son renvoi devant un conseil d'enquête.
Et l'on ne tardait pas à apprendre, avec
une légitime surprise, que le lieutenant-
colonel Picquart n'avait point été invité, sui-
vant l'usage, à se rendre en toute liberté au
lieu de sa détention temporaire, mais bien
qu'il avait été « requis », c'est-à-dire arrêté
et conduit manu militari au fort du mont
Valérien..
En effet, vers six heures et demie du ma-
tin il faisait nuit encore un de ces pe-
tits omnibus militaires qui sont à la disposi-
tion des états-majors régimentaires dans la
cavalerie et plus particulièrement dans l'ar-
illerie amenait devant le no 3 de la rue
tYvon-Villarceau, où avait eu lieu, le 24 no-
vembre dernier, la fameuse perquisition
aux allumettes, le colonel commandant la
gendarmerie du gouvernement militaire de
Paris. L'équipage était conduit par un soldat
du train un second tringlot accompagnait
le colonel, lequel était en grande tenue de
service, sabre au côté, la. croix d'officier de
la Légion d'honneur épinglée à la tunique.
L'officier supérieur priait aussitôt la con-
cierge de la maison de lui indiquer l'étage
où le lieutenant-colonel Picquart possédait
son appartement.
C'est pour une communication de la
plus extrême urgence, ajouta-t-il.
Cette fois, il ne fut pas question d'allu-
mettes.
Le colonel de gendarmerie monta, suivi
de son tringlot, et flt part au lieutenant-co-
lonel Picquart de la mission dont l'avait
chargé, la veille au soir, le gouverneur mi-
litaire de Paris.
A vos ordres, mon colonel.
M. Picquart demanda s'il pouvait empor-
ter les objets indispensables à sa toilette,
du linge et quelques livres.
Parfaitement.
Il fit ensuite mander par la concierge M.
Jules Reigneau, gérant de l'immeuble, qui
habite au no 7 de la rue Yvon-Yillarceau.
Le colonel de, gendarmerie l'autorisa à
converser avec M. Reigneau mais seule-
ment pour lui donner des instructions en
vue de « sauvegarder ses intérêts maté-
riels », c'est-à-dire d'assurerla garde de son
appartement en son absence et la réexpédi-
tion de sa correspondance.
Le lieutenant-colonel Picquart dit f.lf.s&à
M. Reîgneau, en lui serrant affectueusement
la main
Je suis bien tranquille sur l'iSsue finale
de toutes ces tracasseries. Ce sont les jour-
naux qui sont cause de tout cela. Croyez-
moi, je suis un honnête homme et j'ai ma
conscience pour moi.
A ce moment, M. Picquart voulut entra!-
ner M. Reigneau à l'écart, pour l'entretenir
d'une chose très intime, sans doute.
Pardon, fit le colonel de gendarmerio
j'ai ordre. de ne.point vous quitter.
Eù voiture..
Le lieutenant-colonel Picquart s'inclina et
descendit l'escalier devant son chef, suivi
du soldat du train, portant la valise du pri-
sonnier. L'offlcier.puni était en civil.
Quelques instants après, l'équipage mili-
taire se dirigeait vers le mont Valérien par
l'avenue du Bois-de-Boulogne, l'allée de
Longchamp et le pont deSuresnes..
A l'arrivée- il était environ huit heures
et demie le lieutenant-colonel Picquart
fut reçut la poterne du fort par l'officier
commandant. Après les formalités d'usage,
il fut conduit au pavillon spécial, élevé de
trois étages, dans lequel sont aménagées
une dizaine de chambres destinées à rece-
voir les officiers de la garnison de Paris
astreints à garder les arrêts de forteresse,
Ce pavillon, assez confortablement ins-
tallé, est situé sur la plate-forme même du
fort; du haut de cette sorte de terrasse, on
embrasse un superbe panorama. Les offi-
ciers punis peuvent se faire servir leurs re-
pas dans leur chambre. Une sentinelle en
armes veille au pied de l'escalier.et un plan-
ton spécial vient leur communique- a. fis.,
sue du rapport, les orares qui les concer-
nent.
Le lieutenant-colonel Picquart est né le
6 septembre 1854. Il est entré à dix-huit ans
à l'Ecole de Saint-Cyr; il fut nommé capi-
taine en 1880-il avait vingt-six ans-et chef
de bataillon à trente-quatre ans.
Il était déjà attaché au ministère. de la
guerre depuis plusieurs années quand, le
6 avril 1896, il fut promu lieutenant-colonel.
Il avait succédé comme directeur du service
des renseignements aucolonel Sandherr.
C'est à la fin dç» l'année 1896 qu'à la suite
des incidents que l'on sait il fut envoyé au
,4« tirailleurs,à Sousse. Il a été appelé àParis
au mois de novembre dernier pour être en-
tendu dans l'affaire du commandant Ester-
hazy et est resté, depuis cette époque, à Pa-
ris, à la disposition de l'autorité militaire.
Le lieutenant-colonel Picquart est le plus
jeune, officier de son grade dans l'infan-
tarie..
Le cas du colonel.
La mesure de rigueur prise contre l,e co-
lonel est la conséquence des faits révélés
dans l'instruction et les débats de l'affaire
Esterhazy.
Elle indique que le lieutenant-colonel
Picquart va subir une punition disciplinaire
jusqu'à ce qu'il comparaisse devant un con-
seil d'enquête ou un conseil de guerre.
Le conseil d'enquête devra examiner si
cet officier supérieur est dans le cas d'être
mis Soit en non-activité par suspension ou
par retrait d'emploi, soit en réforme.
Ce sont les plus graves punitions disoipli-
naires qui puissent être infligées.
Le conseil d'enquête sera convoqué sur
l'ordre du ministre de la guerre.
Mais il peut se faire que le lieutenant-co-
lonel Picquart comparaisse devant un con-
seil de guerre.
M. DE MUN INTERPELLE
La lettre de M. Zola Quelles mesu-
res comptez-vous prendre? -Le
gouvernement les fait con-
naître Confiance.
L'événement du jour au palais Bourbon,
c'est la lettre de M. Emile Zola. Dans les
couloirs, qui présentent, dès une heure de
l'après-midi, l'animation qui précède les
grandes séance, on discute avec vivacité,
avec colère même les accusations que porte
l'auteur des Rougon-Macquart contre un
certain nombre d'officiers du grand état-
major. L'impartialité m'oblige à reconnaître
que l'acte de M. Zola trouve peu de défen-
seurs quelques journalistes cependant. Les
députés sont, au contraire, très montés.
Il faut, disent-ils, qu'avant la fin de la
journée on sache que le gouvernement a
décidé de poursuivre M. Emile Zola.
Et, dès ce moment, on a la certitude
qu'une interpellation sera déposée aussitôt
la constitution définitive du bureau.
A trois heures et demie, la sonnerie ré-
glementaire appelle les députés en séance.
Les bancs se garnissent très rapidement.
Les députés sont très nombreux.
M. Brisson se lève. Il prononce le discours
d'usage: il"lit'cinq ou six feuillets.
On l'écoute, mais l'impatience de tous est
visible. On attend autre chose.
M. Brisson a terminé. Les radicaux et les
socialistes l'applaudissent.
Toutes les formalités préliminaires à l'ou-
verture des travaux parlementaires étant
terminées, le président donne lecture de
plusieurs demandes d'interpellation qui,
dit-il, viennent de lui parvenir.
La première se rapporte à la catastrophe
de chemin de fer du Péage-de-Roussillon.
Elle est renvoyée à samedi.
M. Cavaignac demande ensuite à interro-
ger le ministre des finances sur l'applica-
tion de la loi qui a dégrevé les petites cotes
foncières. M. Cochery indique qu'il répon-
dra samedi 22 janvier. Cette date ne plaît
qu'à moitié à M. Cavaignac, mais il finit par
l'accepter.
Une troisième interpellation du socialiste
Renou est inscrite à la suite.
L'interpellation.
On arrive enfin à l'interpellation attendue.
Elle a été déposée par M. le comte de Mun
et elle est ainsi conçue
Je demande à interpeller le ministre de la
guerre sur les mesures qu'il entend prendre à
la suite de l'article publié ce matin par M.
Zola.
Ni M. le général Billot ni M. Méline ne
sont au banc des ministres; c'est. M., Co-
chery qui représente le gouvernement.
Il serait bon, dit-il, d'attendre la présence
du président du conseil et du ministre de la
guerre pour fixer la date de cette interpella-
tion.
Mais la Chambre, qui est très nerveuse,
ne l'entend pas ainsi
Ils ne sont jamais là 1 s'écrie quelqu'un à
l'extrême gauche.
Allez les cheréher, ajoute un député de la
droite.
M. de Mun monte à la tribune.
L'énoncé seul de mon interpellation, dé-
clare-t-il, indique qu'elle ne saurait être ren-
voyée une date ultérieure,
M. Cochery ne peut que répéter ce qu'il
disait tout à l'heure. Il prie la Chambre de
remettre à un autre moment la fixation de
la discussion de l'interpellation.
Non crie-t-on de toutes parts, tout de
suite 1
-Vous marchez comme des chiens qu'on
fouette I crie M. Julien Dumas.
Zola peut pourtant bien attendre la fin de
la séance, dit m. Julien Goujon.
L'armée n'attendra pas, monsieur, dé-
clare M. de, Mun,
Pour en finir, quelques députés du centre
demandent une suspension de séance.
Elle est votée sans la moindre protesta-
tion. Il est quatre heures vingt minutes.
M. MÉLINE
L'honneur de l'armée et l'autorité de
la justice.
A cinq heures, MM. Méline et Billot ce
dernier était au Sénat, où il prenait part à
l'élection du buréau arrivent au palais
Bourbon.
La séance est alors rouverte.
Tous les ministres sont présents.
Y aurait-il de la poudre dans l'air ?
Quoiqu'il en soit, M. Méline, fldéle à sa
tactique habituelle, prend l'offensive, et, ce
faisant, il espère éviter un nouveau débat
sur cette douloureuse affaire.
Ses déclarations sont très nettes, sans ce-
pendant être exemptes d'une certaine mé-
Iancojie. Les voici, d'après le compte rendu
analytique
Le gouvernement, dit le président du con-
seil, comprend l'émotion et l'indignation qui se
sont emparées de la Chambre à la lecture des
violentes; des abominables attaques qui ont été
dirigées contre les chefs de l'armée et contre
les juges militaires, qui ont statué dans la li-
berté de leur conscience.
Oui, le gouvernement comprend cette émo-
tion, cette indignation, et il la. partage. Gardien
des lois, charge de les appliquer et de les faire
respecter, il a décidé d'exercer des poursuites
contre l'auteur de ces attaques, bien qu'il ne se
dissimule pas que ces poursuites soient cher-
chées, voulues, comme un moyen de continuer
dans le pays une agitation déplorable.
Le gouvernement les regrette plus que per-
sonne, car le pays voulait la paix et le silence
sur cette affaire. Mais le gouvernement n'en
aura pas eu la responsabilité il fera son de-
voir, qui consiste à faire respecter ces deux
choses sacrées l'honneur de l'armée et l'auto-
Après ces déclarations, pénibles à faire, car
le gouvernement avait espéré que la Chambre
pourrait reprendre ses travaux et que le pays
obtiendrait enfin un moment d'accalmie, j'es-
père que la Chambre aidera le gouvernement
dans une tâche difficile et que les hoporables
interpellateurs voudront bien s'en rapporter à
sa sagesse et à sa fermeté.
Les paroles de M. Méline sont applaudies
sur un grand nombre de bancs.
M. de Mun est satisfait, mais il voudrait
que le ministre de la guerre ajoute quelques
mots « pour répondre aux abominables àc-
cusations formulées contre l'honneur de
l'armée a.
On a accusé les chefs de l'armée d'avoir ca-
ché sciemment les preuves dé l'innocence
d'un condamné. On annonce que la campagne
odieuse à laquelle nous avons assisté va re-
commencer.
Pourra-t-on impunément venir encore jeter
le trouble dans le pays et la suspicion sur nos
chefs militaires ?
Au nom de la patrie, je demande au minis-
tre de la guerre de repousser les attaques
dirigées contre lui, contre les chefs de l'armée
et contre les officiers, dont if est le représen-
tant. (Applaudissements à droite et sur divers
bancs.)
On a beaucoup remarqué qu'au cours de
son discours M. de Mun ayant manifesté
l'intention de lire quelques passages de l'ar-
ticle de M. Zola des protestations très nom-
breuses se sont élevées de tous les points
de l'Assemblée. M. de Mun n'a pas insisté.
Le général Billot.
M. le général Billot apporte ensuite l'éner-
gique protestation que sollicite l'interpella-
teur
C'est la quatrième fois .depuis un an, dit-il,
qu'il monte é la tribune pour prendre la défense
de la chose jugée.
M. Chauvin. A huis clos. (Bruit prolongé.)
Le général Billot. L'armée est au-dessus
de toutes les attaques. Son honneur est comme
le soleil. Qu'importent quelques taches ? il n'en
brille pas moins d'un incomparable éclat I
Mais n'est-ce pas un spectacle lamentable
que de voir cet honneur en butte d'aussi au-
dacieuses accusations devant l'Europe,qui nous'
regardeR.
veut-on- compromettre la défense nationale,
à laquelle nous avons tout sacrifié? Veut-on
que ce pays, où tout citoyen est soldat, ne
suive plus ses chefs au jour du danger?
Le gouvernement est prêt. Il est très résolu à
mettre fin à une pareille situation et à défendre
l'honneur de l'armée, le respect des décisions
du conseil de guerre et les intérêts de la pa-
trie. (Applaudissements.)
On croyait le débat épuisé. On avaitcompté
sans M. Jaurès,qui, depuis deux jours, mou-
rait d'envie de monter à la tribune.
Le discours du leader socialiste n'a pas
été très brillant on peut même dire quil a
été plus que médiocre. Il est vrai que M.
Jaurès s'était aventuré sur un terrain parti-
culièrement délicat.
Sans prendre parti dans l'affaire Dreyfus,
le député du Tarn veut tirer la philosophie
des événements qui viennent de Se dé-
rouler.
Il s'est élevé contre le huis-clos, qui n'a
pas permis au pays de juger en toute con-
naissance de cause et de porter enfin le dé-
bat en pleine lumière. Pourquoi a-t-on fait
cela
uesc, m. Jaurès îamrme, pour couvrir
les fautes de l'oligarchie militaire, des bu-
reaux de la guerre.
M. le général Billot remonte à la tribune
pour répondre à M. Jaurès.
M. Jaurès vient, dit-il, de renouveler, en les
aggravant, une partie des attaques do M. Zola.
(Vifs applaudissements au centre; bruit à l'ex-
trême gaucho).
M. Gérault-Richard, ironiquement. C'est
une défaillance cérébrale. (Nouveau bruit.)
M. Brisson. Je vous rappelle à l'ordre.
M. le ministre de la guerre.- J'ai l'honneur
d'être le chef responsable de t'armée, et je tiens
à déclarer,devantla Chambre, devant lepays, de-
vant l'armée, que jamais les grands chefs mili-
taires n'ont été plus respectueux delà loi, plus
soumis il la discipline, plus fidèles à la patrie.
Je tiens à dire, en leur notn à tous, mes chers
et fidèles camarades, que jamais il ne s'est
produit ombre de divergences, que jamais il
n'y a eu ni tentative ni tentation de se sous-
traire à l'autorité, au respect du chef de l'ar-
mée, ni dans leur pensée, ni dans leurs paro-
les, ni dans leurs actes.
Plusieurs membres L'extrême gauche.
Et la République
M. le ministre de la guerre. Quant à la
République, c'est un vieux républicain qui parle.
(Applaudissements au centre. Exclamations
sur les bancs socialistes.)
M. le président. Vous demandez que le
pouvoir civil soit respecté partout. Or il est
ici, il est en ce moment à fa tribune: donnez
l'exemple de ce respect. (Applaudissements.)
M. le ministre de la guerre. Il y a cin-
quante ans que je sers la France sur les
champs de bataille et dans l'armée; il y a vingt-
sept ans que je sers la République dans les As-
semblées. Si vous cherchez un gardien fidèle
de la République, je défle qu'on trouve dans
mes paroles, dans mes actes, dans toute ma
conduite un seul fait à rencontre du respect,
de la fidélité aux institutions républicaines, que
j'ai contribué à fonder (Applaudissements.)
Quand vous parlez de la République à un
vieux republicain comme moi, je puis dire que
je sais mieux que personne la manière de la
servir, de la faire respecter, de la faire vivre.
L'armée tout entière est fidèle au drapeau et
aux institutions républicaines, u'elle sert elle
a le droit d'être défendue et elle ne méritait
pas d'être attaquée ainsi.
Je conjure la Chambre de se souvenir de ce
que je lui ai dit tant de fois Laissez l'armée à
son œuvre sainte, sacrée, pour qu'elle puisse
se préparer aux éventualites qui peuvent se
produire. (Vifs applaudissements.)
M. CAVAIGNAC
Réplique à M. Jaurès– Le rapport
du capitaine Lebrun-Renault.
M..Cavaignac, ancien ministre de la guerre
du cabinet Lëon Bourgeois, monté ensuite:
a la tribune.
Son intervention a pour but de désolida-
riser le parti radical du parti socialiste. Il
élève une véhémente protestation contre les
paroles de M. Jaurès
Il faut, s'écrie M. Cavaignac que M. Jaurès
sache an il y a dans les Vangs des répubtïcains,
même les plus progressistes, des hommes ré-
solus à ne pas laisser parler de l'armée comme
il l'a fait à cette tribune. (Vifs applaudisse-
ments.)
Avez-vous songé, monsieur Jaurès, quand
vous êtes venu apporter ici ces attaques, qu'aux
heures décisives le salut de la patrie dépendra
du respect que ces millions de petits soldats
auront pour les chefs qui les commanderont
(Nouveaux applaudissements.)
M. le général Bil.lot et tous ses collègues
du cabinet applaudissent cette déclaration
de 1.ancien ministre de la guerre, qui
ajoute
Ce qui aggrave les paroles de M. Jaurès, c'est
que, cherchant à exploiter je ne-sais' Quelles er-
reurs :de détail, il s'est efforcé de répandre Cette
idée qu'il nvait à la tête de l'armée des hom-
mes capables non de commettre une erreur,
mais, après s'être convaincus'dé cette 'erreur,
d'y persister. (Applaudissements sur divers
bancs au centre et à gauche. Interruptions à
l'extrême gauche.)
Cela dit, M. Cavaignac se retourne vers le
gouvernement et lui reproche de n'avoir pas
fait «tout ce qu'il devait faire ».
M. Cavaignac croit qu'au début de l'affaire
le ministre de la guerre pouvait, d'un seul
mot, arrêter la campagne entreprise.
N'ayez pas cette illusion, interrompt M. de
Mahy. Ceux qui ont mené cette campagne
étaient résolus a tout.
Les aveux de Dreyfus.
Pourtant M. Cavaignac produit officielle-
ment un fait nouveau intéressant. Il s'agit
des aveux que l'ex-capitaine aurait faits,
avant sa dégradation, au capitaine Lebrun-
deux mois. Citons tout ce passage
Je reconnais qu'il était difficile de détacher
des pièces du dossier, mais il s'est trouvé que,
dans cette affaire, le ministre de la guerre avait
entre les mains une preuve qui était de nature
à fixer l'opinion du pays. Pourquoi ne l'a-t-il
pas apportée ?
Lors de la dégradation»{T Alfred Dreyfus, l'of-
ficier qui était chargé d'assister à la parade a
recueilli de lui ces paroles Si j'ai livré des
documents à une puissance étrangère, c'était
dans l'espoir de m en procurer d'autres. » Cet
officier fut tellement frappé de cet aveu qu'il
en fit l'objet d'un rapport au ministre de la
guerre, et il reste de ces paroles décisives un
témoignage contemporain. Je demande à M. le
ministre de la guerre pourquoi, dès la première
heure, il n'a pas produit cet aveu et ce témoi-
gnage.,
Je lui demande aussi comment il se fait que,
saisi par un officier de son état-major général
de pièces qui paraissaient, incriminer le com-
mandant Esterhazy et les ayant écartées après
examen, il les reprises -sur une simple lettre
publiée dans les journauv, alors qu'un mot de
lni, net et clair, pouvait arrêter aussitôt cette
campagne d'agitation dont il se plaint aujour-
d'hui..
Voilà pourquoi, si je pense que M. Jaurès a
choisi un singulier moment pour attaquer l'ar-
mée. (Bruit a l'extrême gauche.)
M. Millerand. Vous démontrez vous-même
qu'on peut attaquer le ministre de la guerre
sans attaquer l'armée. (Rires ironiques au
centre.)
M. Godefroy Cavaignac. le moment où
elle se dresse en face de puissances occultes,
on n'en est pas moins en droit de reprocher au
gouvernement d'avoir donné à croire que les
ohofs do l'armée avaient manqué à ur; devoir
de conscience et d'avoir, par ses hésitions et
ses faiblesses, laissé se poursuivre cette cam-
La question ministérielle.
M. Cavaignac ayant déposé un ordre du
jour motive, la question ministérielle s'est
trouvée posée. M. Méline a saisi la balle au
bond et, en quelques mots très simples, a
réclamé un vote de confiance.
M. Méline. M. Cavaignac nous reproche
d'avoir entretenu dans le pays l'agitation que
nous déplorons plus que lui, en gardant le si-
lence sur des faits que nous aurions pu expli-
quer à la tribune et qui auraient suffi à éclairer
lopinion.
Si nous avions procédé ainsi, je demande ce
qu'aurait dit M. Cavaignac. Il nous eût repro-
ché d'ouvrir à la tribune le procès en revision
demandé par M. Scheurer-Kestner, et il n'est
pas un membre de la Chambre qui ne nous
l'eût reproché avec lui.
M. Cavaignac. Il ne s'agit pas d'une pièce
dû procès.
m. Manne. Le gouvernement avait a ap-
pliquer la loi et à remettre à la justice une
affaire d'un caractère judiciaire, ce qu'on oublie
trop.
Le gouvernement s'est refusé et il se refusera
toujours à agir autrement. Si M. Cavaignac
était au gouvernement, il ferait comme nous
(Applaudissoments sur un grand nombre de
M. Cavaignac. -L'aveu dont je parle était
une pièce étrangère au procès c'est ce qui
permettrait d'en saisir la Chambre et le pays
La discussion est alors close. On se trouve
en présence de l'ordre du jour de M. Cavai-
gnac, qui est ainsi conçu
La Chambre, regrettant les hésitations du
gouvernement en présence des tentatives faites
pour porter atteinte à l'autorité de la chose
jugée, passe à l'ordre du jour.
M. Méline demande à la Chambre de vo-
ter sur cet ordre du jour « parce que, dans
les circonstances actuelles, le gouverne-
ment. a besoin de la confiance explicite de
la Chambre ».
On vote. Par 317 voix contre 192, l'ordre
du jour de M. Cavaignac est repoussé.
Deux ordres du jour restent en présence.
Le premier, déposé par M. le comte de Mun,
est ainsi conçu
La Chambre, comptant que le gouvernement
prendra les mesures nécessaires pour mettre
fin à la campagne entreprise contre l'honneur
de l'armée, passe é, l'ordre du jour.
Le second, de MM. Marty et le lieutenant-
colonel Guérin, est ainsi formulé
La Chambre, approuvant les déclarations du
gouvernement, passe à l'ordre du jour.
M. Méline déclare accepter la formule de
MM. Marty et Guérin.
M. de Mun demande alors que son ordre
du jour soit réuni à celui qu'accepte le gou-
vernement.
On vote par division. La première partie,
approuvant les déclarations du gouverne-
ment, est acceptée par 313 voix contre 141.
Il ne reste plus qu'à scrutiner sur l'addi-
tion proposée par M. le comte de Mun. Elle
est adoptée par 284 voix contre 120.Mais,pour
ne point paraître se rallier à une proposition
venue de la droite, beaucoup de députés ra-
dicaux et républicains se sont abstenus.
Ça, c'est de la politique 1
Enfin, l'ensemble de l'ordre du jour passe
à une grosse majorité 312 voix contre 122.
Et ainsi se termine ce quatrième débat
sur l'affaire Dreyfus. Nous craignons bien
que ce ne soit pas le dernier.
L'incident Habert-Deville.
En raison de paroles prononcées au milieu
du bruit, pendant la séance de la Chambre,
un échange de témoins a eu lieu entre deux
députés, MM. Marcel Habert et Gabriel De-
ville,à la suite duquel a été rédigé le procès-
verbal suivant
M. Marcel Habert, député se croyant injurié
par M. Gabriel Deville.a prié MM. Gauthier (de
Glagny) et Mirman, députés, de lui demander
des explications.
M. Gabriel Deville a chargé MM. Millerand et
Viviani de le représenter.
De l'examen des faits et des paroles échan-
gées, il est résulté pour les quatre témoins cette
conviçtion que M. Marcel Habert a attribué à
tort à M: Gabriel Deville une injure qu'il n'a-
vait pas prononcée et que cette erreur a pro-
voqué de sa part une riposte qui doit nécessai-
rement tomber avec la parole qui l'avait provo-
quée.
En conséquence, les quatre témoins ont dé,
cidé qu'il n y avait pas lieu à rencontre.
LES POURSUITES
L'information contre M. Zola Une
arrestation sensationnelle.
Dès hier soir, des ordres ont été transmis
par le ministre de la justice au procureur
général à l'effet d'ouvrir une information
contre M. Emile Zola.
Le juge tout désigné:pour cette nouvelle
enquête semble être M. Bertulus, déj à chargé
d'instruire les multiples plaintes auxquelles
ont donne lieu les événements de ces temps
derniers.
Une personne généralement bien informée
nous disait hier
Le parquet ne va pas se borner à l'exa-
men du fait Zola il va procéder à une ins-
truction aussi profonde que minutieuse sur
es manœuvres tentées envue de provoquer
la revision du procès Dreyfus, de façon à
englober dans l'enquête judiciaire tous les
personnages, grands et:petits, qui, de près
ou de loin, se sont trouvés mêlés à la cam-
pagne en faveur du déporté de l'île du Diable.
Rien ne sera négligé pour que toutes les res-
ponsabilité, si minimes qu'elles soient, ap-
paraissent au grand jour de la cour d'assises,
et chacun sera traité selon son œuvre.
Et notre interlocuteur ajouta
Vous pouvez même vous attendre, d'ici
vingt-quatre heures, à une arrestation sen-
sationnelle.
M. Joseph Reinach s'est rendu, hier, vers
cinq heures, au Palais de justice il a eu une
assez longue entrevue avec le procureur de
là République.
Délits, procédure, pénalités La loi
sur la presse et la diffamation.
On a vu d'autre part que la lettre de M.
Emile Zola, publiée par l'Aurore, allait être
déférée à la juridiction compétente.
Quelle est cette juridiction ? '1 Quels sont
les délits poursuivis Quelle est la procé.
dure ? Quelles sont les pénalités encourues
Tels sont les divers points que nous exami-
nerons ici.
Ainsi que M. Zola le déclare dans sa let-
tre au président de ia République, il a
agi de propos délibéré et de manière que
des poursuites ne puissent être évitées. II
cite lui-même les articles 30 et 31 de là loi
du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse
comme étant applicables aux délits de diffa-
mation qu'il a volontairement commis.
Voici le texte de ces articles
Art. 80. t»; La diffamation commise. envers
les cours. les tribunaux, les armées de terre
ou de mer, les corps constitués ou les admi.
nistrations publiques sera punie d'une'mprison.
nement de huit jours à un an et d'une amende
de 100 francs francs ou de l'une de ces
deux peines seulement.
Art. 31. Sera punie de la même peine la
diffamation commise par les mêmes moyens, à
raison de leurs fonctions ou de leur qualité,
envers un ou plusieurs membres du ministère,
un ou plusieurs membres de l'une ou de l'autre
Chambre, un fonctionnaire public, un déposi-
taire ou agent de l'autorité publique, un minis-
tre de l'un des cultes salariés par l'Etat, un ci-
toyen chargé d'un service ou d'un mandat pu-
blic, temporaire ou permanent, un juré ou un
témoin à raison de sa déposition.
Faisons remarquer que M. Zola a commis
le délit de diffamation, en ce qui concerne
les deux conseils de guerre qu'il vise, con-
vers les cours et tribunaux; en ce qui en-
cerne les divers officiers qu'il met nommé-
ment en cause; en ce qui concerne l'admi.
nistration (les bureaux, dit-il) de la guerre;
deux ministres MM. Billot et Mercier; les
experts, gui, en vertu de la jurisprudence,
sont considérés comme magistrats.
D'autre part, au point de vue de la péna-
lité encourue, la cour de cassation admet,
pour la diffamation contre les magistrats,
l'application de l'article 222 du code pénal,
qui porte la peine, au lieu de huit jours à un
an, de quinze jours à deux ans.
Les poursuivis.
En vertu de l'article 45 de la loi sur la
presse, les délits prévus ci-dessus sont dé-
férés à la cour d'assises. D'après la déclara-
tion du gouvernement, la poursuite aura
lieu non par voie de citation directe, mais
d'office, sur la plainte adressée au par-
quet par les ministres de la guerre et de
la justice ou l'un des deux seulement
(articles 47 et 48.)
En vertu de l'article 49 de la même loi, un
juge d'instruction sera désigné mais il ne
pourra, sauf en cas de crime, procéder à
l'arrestation préventive des inculpés.
Seront poursuivis le gérant du journal
l'Aurore, comme auteur principal, et M.
Zola, comme complice (articles 42 et 43).
Une chose très importante dans la cause
actuelle d'après l'article 35 de la loi, le
prévenu sera admis à faire la preuve dea
imputations diffamatoires relevées dans
l'assignation.
Voici le texte de l'article 52, qui précisa
les conditions dans lesquelles la preuve
peut être administrée.
Art. 52. En matière de diffamation, ce dé..
lai (entre la citation et la comparution) sera dd
douze jours, outre un jour par cinq myriamè-
tres.
Quand le prévenu voudra être admis à prou-
ver la vérité des faits diffamatoires, conformé-
ment aux dispositions de l'article 35 de la pré-
sente loi, il devra, dans les cinq jours qui
suivront la notification de la citation, faire si-
gnifier au ministère public près la cour d'assi-
ses ou au plaignant, au domicile par lui élu,
suivant qu'il est assigné à la requête de l'un ou
de l'autre
1° Les faits articulés et qualifiés dans la cita-
tion dont il entend prouver la vérito
2o La copiedes pièces
3° Les noms, professions et demeures des
témoins par lesquels il entend faire sa preuve.
Cette signification contiendra élection de domi-
cile près la cour d'assises. Le tout à peine d'être
déchu du droit de faire la preuve.
Les preuves.
A cet article il y a un corollaire qui pour-
rait peut-être devenir capital. Il s'agit de la
preuve contraire, prévue par l'article 53,
dont voici le texte
Art. 53. Dans les cinq jours suivants, le
plaignant ou le ministère public, suivant les
cas, sera tenu de faire signifier au prévenu, au
domicile par lui élu, la copie des pièces et les
noms, professions et demeures des témoins
par lesquels il entend faire la preuve con-
traire, sous peine d'être déchu de son droit.
On voit donc qu'en vertu de cet article
certaines pièces, jusqu'ici tenues secrètes,
du dossier des procès Dreyfus et Esterhazy
pourraient être, si on le juge à propos, li-
vrées à la publicité de la cour d'assises par
l'avocat général. Mais tout, semble-t-il, dé-
pend de l'usage que M. Zola et son coaccusé
feront de la faculté qui leur est impartie par
l'article 52. D'ailleurs, le ministère public
pourrait requérir le huis-clos devant la cour
d'assises, comme l'a fait le commissaire du
gouvernement devant le conseil de guerre.
Ces dispositions de la loi sont très rigou-
reuses. La déchéance prévue par le délai
est d'ordre public,et nulle pièce non signifiée
dans les forme et condition voulues ne pour-
rait être lue à l'audience.
Pour être complets, mentionnons que
chacune des personnes nommément dési-
gnées dans l'article incriminé a le le droit,
d'après l'article 46, de joindre à l'action pé-
nale une action civile en dommages et in-
térêts. M. Esterhazy pourra, à ce titre, être
partie au procès.
Enfin, rappelons que l'article 35 spécifie a
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