Titre : Les Dimanches de la femme : supplément de la "Mode du jour"
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1930-01-05
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32757532k
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 13670 Nombre total de vues : 13670
Description : 05 janvier 1930 05 janvier 1930
Description : 1930/01/05 (N409). 1930/01/05 (N409).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5562757p
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JO-66555
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/01/2011
FIN d'acte. Je l'attends dans un coin de la grande
loge fleurie pendant que l'habilleuse, entr'ouvrant
la porte qui donne dans les coulisses, laisse en-
trer une fusée d'applaudissements. La porte se
referme. Une minute de silence. Et soudain, voici
Falconetti.
Avec la meilleure grâce du inonde, ce soir, tandis
que s'affaire autour d'elle l'habilleuse, la belle artiste
répond au classique interrogatoire.
— Lies débuts de ma .carrière ? Voyons....Je sortais
du Conservatoire, classe de Duininy..." C'était en 1919.
Je débutai à l'Odéon dans la V(e d'une femme de.
Saint-Georges de lîontélicr. Puis la Comédie-Française
me fit le très appréciable honneur de m'appeler. J'y
jouai Amoureuse, de Porto Riche, cl. Rosine du liarbièr
île Sénitle. Bon... Quelle triste maison que le Théàtrc-
Frauçajs. J'étais aussi trop indépendante pour me
soumettre - à la hiérarchie désuète qui fait loi là-bas,
j'ai, repris nia. libellé... Je .créai le Miroir qui fait. rire.
cotte pièce moderne et charmante de Marcel Espiau.
"Je créai fa .Féerie amoureuse, de Saint-Georges de.
Bonbélier. Quoi encore... Une pièce de Bataille, au
Vaudeville, Çharley, au théâtre Michel, Miche,
d'Etienne Rey, Lorcnzaccio, de Musset, à la Madeleine.
J'ai aussi tenté une expérience assez risquée eu ressuscitant la légendaire et délicieuse figure de
Pierrot dans la pantomime l'Enfant prodigue. .l'ai joué l'immortelle Dame aux camélias, qui tint
longtemps l'alliche au théâtre Sarah-Bernahdt. Eh bien, vous voyez que je suis déjà presque <■ une
ancienne » 1
— Oui... j'ai toujours entendu dire cela par les « moins de trente, ans». Mais jamais par les «plus
de cinquante »... Quel est le rôle que vous avez particulièrement aimé?
— Celui de linquiclant Lorenzaccw.
J'aurais dû m'en- douter. Quel rôle en effet
pouvait mieux convenir,, mieux s'adapter à ce
vibrant talent, à cette fantaisie si délicate et
subtile, à cette comédienne poète aux yeux
verts?
Quel rôle, sinon celui de l'unique film qu'elle
a tourné H y a un an, le chef-d'oeuvre de Cari
Dreyer, présenté au public cette année seule-
ment, la Passion de Jeanne d'Arc.
- Maintes fois sollicitée par des metteurs en
scène, Falconetti avait toujours refusé d'être
infidèle au théâtre qu'elle aimait plus que tout
au monde — et qu'elle continue, du reste, à
aimer de la même absolue passion. Mais vint Cari
Dreyer. Le génial danois, auteur d'une oeuvre
magnifique, te Mattredu logis, en méditait une
autre, le Procès de. la mor! de Jeanne d'Arc.
Il sut convaincre l'artiste qu'il avait choisie
entre toutes. Et Falconetti accepta de vivre
la page là plus' poignante de notre histoire, de
devenir l'httmblè fille réaliste ettnystiquc dont
rêvait Dreyer, si différente de la Jehàhne des
traditions fades ou grandiloquentes.
La belle comédienne, ne peut évoquer sans
émotion/ces mois de travail.
— Il fut si passionnant pour moi; me dit-elle,
dé travailleravec "un. homme tel que Dreyer.
Tout ce qu'il.pense; tout ce qu'il voit est entiè-
rement original. Cette pauvre Jeanne vaincue,
pantelante, soutenue par sa foi seule, c'était
le plus admirable rôle qu'une artiste peut
souhaiter. Je suis très fière de l'avoir inter-
prété, et j'y ai mis toute mon âme. Avouez
que, pour me conformer à là vérité •historique
comme à la vision du réalisateur, je pouvais
bien faire le sacrifice de mes cheveux. On a
dit et:écrit, à ce sujet, bien/dès choses stu-
pidès et fausses. En réalité, avant même d'être
engagée, j'avais consenti à ce sacrifice, je sa-
vais que j'aurais la tête complct-cmtuil rasée.
• « Lé seul souvenir pénible que j'aie long-
f temps gardé de la réalisation de ce lilin,
* ^r\ c'est un épanchement de syn.oyje, dont
*JI*fj j'ai soufTert à force de.m'être agenouillée et
qui m'a immobilisée pendant, plusieurs se-
maines.
J'ai assisté, l'an dernier, à la présentation de presse de
ce beau film. L'obscurité tomba sur une foule curieuse,
l'orchestre préluda, et, soudain, parce que sur l'écran
lumineux Jeanne paraît,, douloureuse, une "intense émo-
tion saisit la salle. Jeanne toute simple, Jeanne fille
des champs, vêtue encore du justaucorps et de la lourde
botte.
L'émotion s'étendait toujours.
Cauchon, impitoyable, enlisé dans la tragique erreur,
et Loyscleur, cauteleux, et tous ces moines aux
masques de tourment -et d'étrangeté, et cette face
de Jeanne, ces yeux, ces pauvres yeux débordant de
larmes.
Elle était bien toute la douleur humaine — proie
d'une époque violente, brutale, sectaire entre toutes. —
la Jeanne palpitante, immolée comme une hostie aux
passions des hommes.
Pas d'applaudissements, pas de chuchotements. Les
saisissantes images de Dreyer créaient-une atmosphère
de piété et de pitié. Avant la fin, tandis que Jeanne,
malade, tendait son bras pour une saignée, lorsque
le sang fusa, on emporta de la salle, silencieuse comme
une église, une femme et un jeune homme évanouis...
Mais je dots m'arracher aussi à l'émotion de ce
rappel.
Qu avez-vous éprouve eu voyant pour la pre-
mière • fois ce dédoublement de votre image
sur l'écran?
— J'avoue que j'ai été un peu surprise, un
peu déçue par la dureté, la sévérité impi-
toyable de l'écran. C'est un art bien décon-
certant. 11 est vrai que le sévère costume
masculin que je portais, l'absence totale, de
maquillage... et de cheveux y furent pour beau-
coup. Je tournerai encore volon-
tiers, mais cependant c'est le
théâtre que j'aime par-dessus
tout.
« Le rôle que j'ambitionne
maintenant?... Phèdre. Ame
beaucoup plus complexe que
celle de Jeaimc, il me semble
que j'en ferai une création assez
personnelle.;
« En scène. •
La vieille et sympathique figure du régis-
seur apparaît quelques secondes dans l'entre-
bâillement de la porte...
Une poignée de mains; et Falconetti dis-
paraît. ...
Je réintègre mon fauteuil pour applaudir
cette grande comédienne.
PAULE MALARDOT.
M"' FalconeJli daim « 1M Dame aux camélias ».
M"' Falconetti à la ville.
loge fleurie pendant que l'habilleuse, entr'ouvrant
la porte qui donne dans les coulisses, laisse en-
trer une fusée d'applaudissements. La porte se
referme. Une minute de silence. Et soudain, voici
Falconetti.
Avec la meilleure grâce du inonde, ce soir, tandis
que s'affaire autour d'elle l'habilleuse, la belle artiste
répond au classique interrogatoire.
— Lies débuts de ma .carrière ? Voyons....Je sortais
du Conservatoire, classe de Duininy..." C'était en 1919.
Je débutai à l'Odéon dans la V(e d'une femme de.
Saint-Georges de lîontélicr. Puis la Comédie-Française
me fit le très appréciable honneur de m'appeler. J'y
jouai Amoureuse, de Porto Riche, cl. Rosine du liarbièr
île Sénitle. Bon... Quelle triste maison que le Théàtrc-
Frauçajs. J'étais aussi trop indépendante pour me
soumettre - à la hiérarchie désuète qui fait loi là-bas,
j'ai, repris nia. libellé... Je .créai le Miroir qui fait. rire.
cotte pièce moderne et charmante de Marcel Espiau.
"Je créai fa .Féerie amoureuse, de Saint-Georges de.
Bonbélier. Quoi encore... Une pièce de Bataille, au
Vaudeville, Çharley, au théâtre Michel, Miche,
d'Etienne Rey, Lorcnzaccio, de Musset, à la Madeleine.
J'ai aussi tenté une expérience assez risquée eu ressuscitant la légendaire et délicieuse figure de
Pierrot dans la pantomime l'Enfant prodigue. .l'ai joué l'immortelle Dame aux camélias, qui tint
longtemps l'alliche au théâtre Sarah-Bernahdt. Eh bien, vous voyez que je suis déjà presque <■ une
ancienne » 1
— Oui... j'ai toujours entendu dire cela par les « moins de trente, ans». Mais jamais par les «plus
de cinquante »... Quel est le rôle que vous avez particulièrement aimé?
— Celui de linquiclant Lorenzaccw.
J'aurais dû m'en- douter. Quel rôle en effet
pouvait mieux convenir,, mieux s'adapter à ce
vibrant talent, à cette fantaisie si délicate et
subtile, à cette comédienne poète aux yeux
verts?
Quel rôle, sinon celui de l'unique film qu'elle
a tourné H y a un an, le chef-d'oeuvre de Cari
Dreyer, présenté au public cette année seule-
ment, la Passion de Jeanne d'Arc.
- Maintes fois sollicitée par des metteurs en
scène, Falconetti avait toujours refusé d'être
infidèle au théâtre qu'elle aimait plus que tout
au monde — et qu'elle continue, du reste, à
aimer de la même absolue passion. Mais vint Cari
Dreyer. Le génial danois, auteur d'une oeuvre
magnifique, te Mattredu logis, en méditait une
autre, le Procès de. la mor! de Jeanne d'Arc.
Il sut convaincre l'artiste qu'il avait choisie
entre toutes. Et Falconetti accepta de vivre
la page là plus' poignante de notre histoire, de
devenir l'httmblè fille réaliste ettnystiquc dont
rêvait Dreyer, si différente de la Jehàhne des
traditions fades ou grandiloquentes.
La belle comédienne, ne peut évoquer sans
émotion/ces mois de travail.
— Il fut si passionnant pour moi; me dit-elle,
dé travailleravec "un. homme tel que Dreyer.
Tout ce qu'il.pense; tout ce qu'il voit est entiè-
rement original. Cette pauvre Jeanne vaincue,
pantelante, soutenue par sa foi seule, c'était
le plus admirable rôle qu'une artiste peut
souhaiter. Je suis très fière de l'avoir inter-
prété, et j'y ai mis toute mon âme. Avouez
que, pour me conformer à là vérité •historique
comme à la vision du réalisateur, je pouvais
bien faire le sacrifice de mes cheveux. On a
dit et:écrit, à ce sujet, bien/dès choses stu-
pidès et fausses. En réalité, avant même d'être
engagée, j'avais consenti à ce sacrifice, je sa-
vais que j'aurais la tête complct-cmtuil rasée.
• « Lé seul souvenir pénible que j'aie long-
f temps gardé de la réalisation de ce lilin,
* ^r\ c'est un épanchement de syn.oyje, dont
*JI*fj j'ai soufTert à force de.m'être agenouillée et
qui m'a immobilisée pendant, plusieurs se-
maines.
J'ai assisté, l'an dernier, à la présentation de presse de
ce beau film. L'obscurité tomba sur une foule curieuse,
l'orchestre préluda, et, soudain, parce que sur l'écran
lumineux Jeanne paraît,, douloureuse, une "intense émo-
tion saisit la salle. Jeanne toute simple, Jeanne fille
des champs, vêtue encore du justaucorps et de la lourde
botte.
L'émotion s'étendait toujours.
Cauchon, impitoyable, enlisé dans la tragique erreur,
et Loyscleur, cauteleux, et tous ces moines aux
masques de tourment -et d'étrangeté, et cette face
de Jeanne, ces yeux, ces pauvres yeux débordant de
larmes.
Elle était bien toute la douleur humaine — proie
d'une époque violente, brutale, sectaire entre toutes. —
la Jeanne palpitante, immolée comme une hostie aux
passions des hommes.
Pas d'applaudissements, pas de chuchotements. Les
saisissantes images de Dreyer créaient-une atmosphère
de piété et de pitié. Avant la fin, tandis que Jeanne,
malade, tendait son bras pour une saignée, lorsque
le sang fusa, on emporta de la salle, silencieuse comme
une église, une femme et un jeune homme évanouis...
Mais je dots m'arracher aussi à l'émotion de ce
rappel.
Qu avez-vous éprouve eu voyant pour la pre-
mière • fois ce dédoublement de votre image
sur l'écran?
— J'avoue que j'ai été un peu surprise, un
peu déçue par la dureté, la sévérité impi-
toyable de l'écran. C'est un art bien décon-
certant. 11 est vrai que le sévère costume
masculin que je portais, l'absence totale, de
maquillage... et de cheveux y furent pour beau-
coup. Je tournerai encore volon-
tiers, mais cependant c'est le
théâtre que j'aime par-dessus
tout.
« Le rôle que j'ambitionne
maintenant?... Phèdre. Ame
beaucoup plus complexe que
celle de Jeaimc, il me semble
que j'en ferai une création assez
personnelle.;
« En scène. •
La vieille et sympathique figure du régis-
seur apparaît quelques secondes dans l'entre-
bâillement de la porte...
Une poignée de mains; et Falconetti dis-
paraît. ...
Je réintègre mon fauteuil pour applaudir
cette grande comédienne.
PAULE MALARDOT.
M"' FalconeJli daim « 1M Dame aux camélias ».
M"' Falconetti à la ville.
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 84.85%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 84.85%.
-
-
Page
chiffre de pagination vue 5/19
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k5562757p/f5.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k5562757p/f5.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k5562757p/f5.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k5562757p/f5.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k5562757p
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k5562757p
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k5562757p/f5.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest