marier avec Rosa Mutr=, la fille du garde cham-
pêtre, criait: « Encore un coup... encore un
coup:. C'est peut-être le dernier plat de chou-
croute que nous voyons devant nos yeux ! »
— Pauvre garçon ! fit madame Thérèse.
— Oui, reprit Lisbeth, et ça ne serait encore
rien, si les filles pouvaient se marier; mais
quand les garçons partent, les filles restent
plantées là, à rêver du matin au soir, à se con- ;
mimer et à s'ennuyer. Elles ne peuvent pour-
tant pas prendre des vieux de soixante ans, des
veufs, ou bien des bossus, des boiteux ou des
borgnes. Ah ! madame Thérèse, ce n'est pas
pour vous faire des reproches, mais sans votre
Révolution, nous serions bien tranquilles, nous
ne penserions qu'à louer le Seigneur de ses
grâces. C'est terrible une République pareille
qui dérange tout le monde de ses habitudes ! •
Tout en écoutant cette histoire, je sentais
une bonne odeur de veau farci remplir la
chambre, et je finis par me lever avec Scipio,
pour aller jeter un coup d'oeil à la cuisine :
nous avions une bonne soupe aux oignons, une
poitrine de veau farcie et des pommes de terre
frites. La chasse m'avait tellement ouvert l'ap-
pétit, qu'il me semblait que j'aurais tout avalé
d'une bouchée.
Scipio n'était pas dans de moins heureuses
dispositions; la patte au bord de l'âtre, il re-
gardait du nez à travers les marmites, car le
nez du chien, comme le dit M. de Buffon, est
une seconde vue fort délicate.
Après avoir bien regardé, je me mis à faire
des voeux pour le retour de l'oncle.
« Ah! Lisbeth 1 m'écriai-je en rentrant, si tu
savais comme j'ai faim !
— Tant mieux, tant mieux, me répondit la
vieille en jacassant toujours, l'appétit est une
bonne chose. »
Puis elle poursuivit ses histoires de village,
que madame Thérèse semblait écouter avec
plaisir. Moi, j'allais, je venais dé la salle à la
cuisine, et Scipio me suivait pas à pas; il avait
sans doute les mêmes idées que moi.
La nuit dehors devenait noire.
De temps en temps madame Thérèse inter-
rompait la vieille servante, levant le doigt et
disant :
« Ecoutez I »
Alors tout le monde restait tranquille une
seconde.
« Ce n'est rien, faisait Lisbeth; c'est la char-
rette de Hans Bockel qui passe ; » ou bien :
« c'est la mère Dreyfus qui s'en va maintenant
à la veillée chez les Brêmer. »
Elle connaissait les habitudes de tous les
gêna d'Anstatt, et se faisait un véritable bon-
heur d'en parler à la dame française, mainte-
nant qu'elle avait vu la sainte Vierge pendue à
son cou ; car sa nouvelle amitié venait de là,
comme je l'appris plus tard,
Sept heures sonnèrent, puis la demie. A la
fin, ne sachant plus que faire pour attendre, je
me dressai sur une chaise, et je pris dans un
rayon l'Histoire naturelle de M. de Buffon, chose
qui ne m'était jamais arrivée ; puiB, les deux
coudes BUT la table, dans une sorte de déses-
poir, je me mis à lire tout seul en français. Il
me fallait tout mon appétit pour me donner
une pareille idée; mais à chaque instant je
levais la tête, regardant la fenêtre, les yeux
tout grands ouverts et prêtant l'oreille.
Je venais de trouver l'histoire du moineau,
qui possède deux fois plus de cervelle que
l'homme en proportion de son corps, quand
enfin un bruit lointain, un bruit de grelots se
fit entendre; ce n'était encore qu'un bruisse-
ment presque imperceptible, perdu dans l'éloi-
gnement, mais il se rapprochait vite, et bientôt
madame Thérèse dit :
■ C'est M. le docteur.
—Oui, fit Lisbeth en se levantetremet tant son
rouet aucoinde l'horloge, cette fois c'est lui. «
Elle courut à la cuisine.
J'étais déjà dans l'allée, abandonnant M. de
Buffon sur la table, et je tirais la porte exté-
rieure en criant :
« C'est toi, mon oncle?
— Oui, Fritzel, répondit la voix joyeuse de
l'oncle, j'arrive. Tout s'est bien passé à la mai-
son?
— Très-bien, oncle, tout le monde se porte
bien.
— Bon, bon ! »
Au même instant, Lisbeth sortait avec la lan-
terne, et je vis l'oncle sous le hangar, en train
de dételer le cheval. Il était tout blanc au mi-
lieu des ténèbres, et chaque poil de sa houp-
pelande et de son gros bonnet de loutre scin-
tillait à la lanterne comme une étoile. Il se
dépêchait; Rappel, tournant la tête vers l'écu-
rie, semblait ne pouvoir attendre.
« Seigneur Dieu, qu'il fait froid dehors ! dit
la vieille servante en accourant l'aider; vous
devez être gelé, monsieur le docteur. Allez,
entrez vite vous réchauffer, je finirai bien toute
seule. »
Mais l'oncle Jacob n'avait pas l'habitude de
laisser le soin de son cheval à d'autres ; ce n'est
qu'en voyant Rappel devant son râtelier garni de
foin, et les pieds dans la bonne litière, qu'il dit :
« Entrons maintenant. » Et nous entrâmes
tous ensemble.
i Bonnes nouvelles, madame Thérèse■. s'écria
l'oncle sur le seuil, bonnes nouvelles'! J'arrive.
de Kaiserslautern, tout va bien là-bas. »
pêtre, criait: « Encore un coup... encore un
coup:. C'est peut-être le dernier plat de chou-
croute que nous voyons devant nos yeux ! »
— Pauvre garçon ! fit madame Thérèse.
— Oui, reprit Lisbeth, et ça ne serait encore
rien, si les filles pouvaient se marier; mais
quand les garçons partent, les filles restent
plantées là, à rêver du matin au soir, à se con- ;
mimer et à s'ennuyer. Elles ne peuvent pour-
tant pas prendre des vieux de soixante ans, des
veufs, ou bien des bossus, des boiteux ou des
borgnes. Ah ! madame Thérèse, ce n'est pas
pour vous faire des reproches, mais sans votre
Révolution, nous serions bien tranquilles, nous
ne penserions qu'à louer le Seigneur de ses
grâces. C'est terrible une République pareille
qui dérange tout le monde de ses habitudes ! •
Tout en écoutant cette histoire, je sentais
une bonne odeur de veau farci remplir la
chambre, et je finis par me lever avec Scipio,
pour aller jeter un coup d'oeil à la cuisine :
nous avions une bonne soupe aux oignons, une
poitrine de veau farcie et des pommes de terre
frites. La chasse m'avait tellement ouvert l'ap-
pétit, qu'il me semblait que j'aurais tout avalé
d'une bouchée.
Scipio n'était pas dans de moins heureuses
dispositions; la patte au bord de l'âtre, il re-
gardait du nez à travers les marmites, car le
nez du chien, comme le dit M. de Buffon, est
une seconde vue fort délicate.
Après avoir bien regardé, je me mis à faire
des voeux pour le retour de l'oncle.
« Ah! Lisbeth 1 m'écriai-je en rentrant, si tu
savais comme j'ai faim !
— Tant mieux, tant mieux, me répondit la
vieille en jacassant toujours, l'appétit est une
bonne chose. »
Puis elle poursuivit ses histoires de village,
que madame Thérèse semblait écouter avec
plaisir. Moi, j'allais, je venais dé la salle à la
cuisine, et Scipio me suivait pas à pas; il avait
sans doute les mêmes idées que moi.
La nuit dehors devenait noire.
De temps en temps madame Thérèse inter-
rompait la vieille servante, levant le doigt et
disant :
« Ecoutez I »
Alors tout le monde restait tranquille une
seconde.
« Ce n'est rien, faisait Lisbeth; c'est la char-
rette de Hans Bockel qui passe ; » ou bien :
« c'est la mère Dreyfus qui s'en va maintenant
à la veillée chez les Brêmer. »
Elle connaissait les habitudes de tous les
gêna d'Anstatt, et se faisait un véritable bon-
heur d'en parler à la dame française, mainte-
nant qu'elle avait vu la sainte Vierge pendue à
son cou ; car sa nouvelle amitié venait de là,
comme je l'appris plus tard,
Sept heures sonnèrent, puis la demie. A la
fin, ne sachant plus que faire pour attendre, je
me dressai sur une chaise, et je pris dans un
rayon l'Histoire naturelle de M. de Buffon, chose
qui ne m'était jamais arrivée ; puiB, les deux
coudes BUT la table, dans une sorte de déses-
poir, je me mis à lire tout seul en français. Il
me fallait tout mon appétit pour me donner
une pareille idée; mais à chaque instant je
levais la tête, regardant la fenêtre, les yeux
tout grands ouverts et prêtant l'oreille.
Je venais de trouver l'histoire du moineau,
qui possède deux fois plus de cervelle que
l'homme en proportion de son corps, quand
enfin un bruit lointain, un bruit de grelots se
fit entendre; ce n'était encore qu'un bruisse-
ment presque imperceptible, perdu dans l'éloi-
gnement, mais il se rapprochait vite, et bientôt
madame Thérèse dit :
■ C'est M. le docteur.
—Oui, fit Lisbeth en se levantetremet tant son
rouet aucoinde l'horloge, cette fois c'est lui. «
Elle courut à la cuisine.
J'étais déjà dans l'allée, abandonnant M. de
Buffon sur la table, et je tirais la porte exté-
rieure en criant :
« C'est toi, mon oncle?
— Oui, Fritzel, répondit la voix joyeuse de
l'oncle, j'arrive. Tout s'est bien passé à la mai-
son?
— Très-bien, oncle, tout le monde se porte
bien.
— Bon, bon ! »
Au même instant, Lisbeth sortait avec la lan-
terne, et je vis l'oncle sous le hangar, en train
de dételer le cheval. Il était tout blanc au mi-
lieu des ténèbres, et chaque poil de sa houp-
pelande et de son gros bonnet de loutre scin-
tillait à la lanterne comme une étoile. Il se
dépêchait; Rappel, tournant la tête vers l'écu-
rie, semblait ne pouvoir attendre.
« Seigneur Dieu, qu'il fait froid dehors ! dit
la vieille servante en accourant l'aider; vous
devez être gelé, monsieur le docteur. Allez,
entrez vite vous réchauffer, je finirai bien toute
seule. »
Mais l'oncle Jacob n'avait pas l'habitude de
laisser le soin de son cheval à d'autres ; ce n'est
qu'en voyant Rappel devant son râtelier garni de
foin, et les pieds dans la bonne litière, qu'il dit :
« Entrons maintenant. » Et nous entrâmes
tous ensemble.
i Bonnes nouvelles, madame Thérèse■. s'écria
l'oncle sur le seuil, bonnes nouvelles'! J'arrive.
de Kaiserslautern, tout va bien là-bas. »
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