Titre : La Femme de France
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1930-11-30
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb44222136j
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 27853 Nombre total de vues : 27853
Description : 30 novembre 1930 30 novembre 1930
Description : 1930/11/30 (N812). 1930/11/30 (N812).
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5520751g
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JO-65964
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 19/01/2011
^i^mmede^unoe
FEMMES D'AUJOURD'HUI
LUCIENNE FAVRE
jeune romancière qui, il y
a cinq ans, dès son premier
livre, Dimilri et- la Mort,
nous apparut, chose singu-
lière, nettement dégagée des
traditions intellectuelles de
son sexe, devait, par la
suite, en affirmant sa per-
sonnalité, nous séduire bien davantage
encore, et surtout nous permettre d'espérer
que la littérature féminine de ce temps
pourrait enfin rnendre rang honorable dans
la littérature tout court.
Après Dimilri et la- Mort étaient venus
Bab-el-Oued, L'Homme derrière le mur,
La Noce, et, ces derniers mois, Orientale 1930.
Autant d'oeuvres, autant, et plus encore,
de personnages fantastiques, placés aux
limites mêmes du rêve, de la réalité, du
cauchemar, et qui animent un Univers
étrange et pourtant vraisemblable.
Personnages de tous les jours ou person-
nages d'exception, chacun d'eux porte en
soi son aventure intérieure, toujours inquié-
tante, toujours pathétique. Et c'est dans ce
domaine secret de la personnalité provi-
soire de l'humanité, d'une séduction doidou-
reuse, parfois cruelle, que Lucienne. Favre
nous entraîne sans cesse.
Mais d'abord, quelle est Lucienne Favre ?
J'ai pu la joindre à la fin de son dernier
séjour à Paris, lui demander de me parler
d'elle, de ses livres, de ses projets de travail,
de sa façon même de travailler. Car Lucienne
Favre habite Alger.
— ...depuis une quinzaine d'années, me
dit-elle, mais quoiqu'étant née à Paris,
y ayant fait mes études, je ne regrette pas
Paris. Là-bas, au moins, la vie est calme
et sans fièvre. On peut travailler beaucoup
sans avoir les nerfs usés. Croyez-vous
qu'ici il me serait possible, comme à Alger,
de suivre une stricte discipline de travail,
c'est-à-dire de me coucher tôt, de me lever
à six heures, et d'écrire, chaque matin, de
huit heures jusqu'à deux heures, jusqu'au
déjeuner ?
« Et puis, j'aime cette ville, carrefour de "
tous les peuples, de toutes les religions, dont
la fusion est si pittoresque. C'est, du reste,
ce que j'essaierai de grouper dans mon pro-
chain roman Trois étages et cinq Dieux.
— Je vous en prie, voudriez-vous me
parler de vos premiers travaux, de vos
débuts ?
Sous un front couvert d'une frange
épaisse de cheveux auburn, les yeux d'agate
claire sourient longuement, puis le petit
, visage triangulaire devient grave.
"t — Je commencerai par l'aveu classique :
j'ai toujours aimé écrire. Pendant la guerre
— je n'avais pas vingt ans — j'ai composé
une série de poèmes en prose, genre Chansons
de Bilitis, jamais parus. Puis, les années
suivantes, j'ai écrit la matière.;de deux ou
trois volumes autobiographiques, naturelle-
nient, puisque c'est toujours là la première
forme d'expression chez nous autres- fem-
mes. Mais cela dort encore dans mes
tiroirs.
« Ce n'est qu'en 1923 que j'ai vraiment,
officiellement plutôt, débuté dans les lettres,
eh publiant plusieurs nouvelles au Cra-.
pouillot. Mais^plus tard, après mon premier
roman, j'ai bien compris que seul, désor-
mais, le roman m'intéresserait. On a plus
d'espace, plus de liberté pour se mouvoir...
Est-il meilleur augure pour une jeune
romancière que de débuter sous le marrai-
nage de Colette ? Ce fut le cas de Lucienne
Favre. Colette, qui dirigeait alors la collec-
tion qui porte son nom et que pidîliait
Ferenczi, accepta immédiatement, en 1925,
Dimilri et la- Mort.
Curieuse et sombre histoire d'un jeune
noble russe réfugié à Alger, sans ressources,
qui préfère à la ville européenne, dont
l'activité laborieuse le gêne comme un
obscur remords, la ville indigène, grouil-
lante et indifférente, la casbah où il peut
« être seulement libre de goûter paresseu-
sement ce pain dur et nu, cette vie indi-
gente, embellie de soleil et de pensée ».
Et lorsqu'à la misère viennent s'ajouter
le mal inguérissable et la longue, atroce
agonie, Dimitri les subit avec la résignation,
le fatalisme de sa propre race, et de la. race
fraternelle.
Colette ne s'était pas trompée en espérant
beaucoup de la débutante. Quand parut,
en 1926, Bab-el-Oued, nul ne s'étonna que
le prix Fémina ait frôlé Lucienne Favre,
par huit voix contre dix à Charles Silvestre.
Epuré, mûri, le talent de l'écrivain s'est
aussi épanoui, son indépendance et sa per-
sonnalité se sont affirmées, on n'en peut
plus douter. désormais.
C'est un roman tout différent de l'autre,
attachant non seulement par l'étude serrée
qu'il présente, d'une vie de femme du
peuple acharnée à gagner son bonheur, mais
c'est aussi un très curieux document sur le
quartier espagnol d'Alger, ce Bab-el-Oued
où se réfugient toutes les misères, tous
les vices. Et c'est sur cette fresque, grouil-
lante d'humanité et de pittoresque, que se
détache le lent, le morne destin d'Ascension
Martiniquez, une rude femme qui connut
la misère durant toute son enfance, et qui,
pour arriver à écarter d'elle l'odieuse inquié-
tude de la faim, lutte, avec une âpreté
farouche, durant des années.
- sEn 1928, parut L'Homme derrière le mur
. «dédié à tous les chevaliers servants de la
Fantaisie », qui reçut aussitôt le prix Cor-
rard décerné par la Société des Gens de
Lettres.
« Une inquiétude, plus féconde que la
peur, écrit Mac-Orlan dans sa préface, crée
tout aussitôt les éléments de l'aventure. Et
l'Aventure, c'est un homme jeune et mé-
diocre, un coquni médiocre, mais extraordi-
nairement vivant qui, sous l'impulsion de
sa créatrice, devient comme une petite mais .
inoubliable lumière, dans une maison morte,
obscure, habitée par les fantômes bour-
geois de la peur, de la mélancolie, de la
vanité, et de l'imprévu sensuel créé par les
femmes. »
Au printemps de 1929, ce fut La Noce.
Un grand livre, à la fois puissant, amer et
doux. Un rêve qui flotte, audacieux et pur,
sur cette âpre et souvent cruelle peinture de
la. vie de province. Beau rêve de Domi-
nique. Destin de Dominique, l'héroïne de
romance et de tragédie, « orchidée au milieu
des plates-bandes provinciales », Iseult au
coeur ravagé et magnétique, promis, offert
par l'Implacable Fatalité, à ce héros mer-
veilleux, beau de visage et noble d'âme,
Marc-Antoine, le cher Aventurier conquis
après dix années d'attente orgueilleuse et
secrète.
Et puis, après ce livre remarquable, —
un des meilleurs parmi les meilleurs de
ce dernier cycle littéraire — Lucienne
Favre publia, comme pour se reposer du
lourd travail de La Noce, une oeuvre dé-
pouillée, touchante : Orientale 1930, ou
l'histoire de Fathma, type synthétique de
la musulmane pauvre des villes, aussi éloi-
gnée que possible du type littéraire et périmé
des désenchantées de harem. Au milieu de
cette poésie naturelle et surnaturelle de
l'Orient abâtardi, que la romancière sait
si bien exprimer, l'oripeau du fellah paraît
moins navrant que la guenille de l'ouvrier
européen. Leçon mélancolique, et vaine...
Telle est Lucienne Favre, et telle est son
(«livre virile et vivante, qui enrichit singu-
lièrement l'apport littéraire féminin, parce
que, sans données précises, elle a l'art de
construire un monde de fantaisie et d'aven-
ture, parce qu'en elle l'intelligence parle
plus haut que l'instinct, et surtout parce
qu'elle ne mêle jamais la. sensualité et la
sensibilité.
Paule Malardot.
— 26
FEMMES D'AUJOURD'HUI
LUCIENNE FAVRE
jeune romancière qui, il y
a cinq ans, dès son premier
livre, Dimilri et- la Mort,
nous apparut, chose singu-
lière, nettement dégagée des
traditions intellectuelles de
son sexe, devait, par la
suite, en affirmant sa per-
sonnalité, nous séduire bien davantage
encore, et surtout nous permettre d'espérer
que la littérature féminine de ce temps
pourrait enfin rnendre rang honorable dans
la littérature tout court.
Après Dimilri et la- Mort étaient venus
Bab-el-Oued, L'Homme derrière le mur,
La Noce, et, ces derniers mois, Orientale 1930.
Autant d'oeuvres, autant, et plus encore,
de personnages fantastiques, placés aux
limites mêmes du rêve, de la réalité, du
cauchemar, et qui animent un Univers
étrange et pourtant vraisemblable.
Personnages de tous les jours ou person-
nages d'exception, chacun d'eux porte en
soi son aventure intérieure, toujours inquié-
tante, toujours pathétique. Et c'est dans ce
domaine secret de la personnalité provi-
soire de l'humanité, d'une séduction doidou-
reuse, parfois cruelle, que Lucienne. Favre
nous entraîne sans cesse.
Mais d'abord, quelle est Lucienne Favre ?
J'ai pu la joindre à la fin de son dernier
séjour à Paris, lui demander de me parler
d'elle, de ses livres, de ses projets de travail,
de sa façon même de travailler. Car Lucienne
Favre habite Alger.
— ...depuis une quinzaine d'années, me
dit-elle, mais quoiqu'étant née à Paris,
y ayant fait mes études, je ne regrette pas
Paris. Là-bas, au moins, la vie est calme
et sans fièvre. On peut travailler beaucoup
sans avoir les nerfs usés. Croyez-vous
qu'ici il me serait possible, comme à Alger,
de suivre une stricte discipline de travail,
c'est-à-dire de me coucher tôt, de me lever
à six heures, et d'écrire, chaque matin, de
huit heures jusqu'à deux heures, jusqu'au
déjeuner ?
« Et puis, j'aime cette ville, carrefour de "
tous les peuples, de toutes les religions, dont
la fusion est si pittoresque. C'est, du reste,
ce que j'essaierai de grouper dans mon pro-
chain roman Trois étages et cinq Dieux.
— Je vous en prie, voudriez-vous me
parler de vos premiers travaux, de vos
débuts ?
Sous un front couvert d'une frange
épaisse de cheveux auburn, les yeux d'agate
claire sourient longuement, puis le petit
, visage triangulaire devient grave.
"t — Je commencerai par l'aveu classique :
j'ai toujours aimé écrire. Pendant la guerre
— je n'avais pas vingt ans — j'ai composé
une série de poèmes en prose, genre Chansons
de Bilitis, jamais parus. Puis, les années
suivantes, j'ai écrit la matière.;de deux ou
trois volumes autobiographiques, naturelle-
nient, puisque c'est toujours là la première
forme d'expression chez nous autres- fem-
mes. Mais cela dort encore dans mes
tiroirs.
« Ce n'est qu'en 1923 que j'ai vraiment,
officiellement plutôt, débuté dans les lettres,
eh publiant plusieurs nouvelles au Cra-.
pouillot. Mais^plus tard, après mon premier
roman, j'ai bien compris que seul, désor-
mais, le roman m'intéresserait. On a plus
d'espace, plus de liberté pour se mouvoir...
Est-il meilleur augure pour une jeune
romancière que de débuter sous le marrai-
nage de Colette ? Ce fut le cas de Lucienne
Favre. Colette, qui dirigeait alors la collec-
tion qui porte son nom et que pidîliait
Ferenczi, accepta immédiatement, en 1925,
Dimilri et la- Mort.
Curieuse et sombre histoire d'un jeune
noble russe réfugié à Alger, sans ressources,
qui préfère à la ville européenne, dont
l'activité laborieuse le gêne comme un
obscur remords, la ville indigène, grouil-
lante et indifférente, la casbah où il peut
« être seulement libre de goûter paresseu-
sement ce pain dur et nu, cette vie indi-
gente, embellie de soleil et de pensée ».
Et lorsqu'à la misère viennent s'ajouter
le mal inguérissable et la longue, atroce
agonie, Dimitri les subit avec la résignation,
le fatalisme de sa propre race, et de la. race
fraternelle.
Colette ne s'était pas trompée en espérant
beaucoup de la débutante. Quand parut,
en 1926, Bab-el-Oued, nul ne s'étonna que
le prix Fémina ait frôlé Lucienne Favre,
par huit voix contre dix à Charles Silvestre.
Epuré, mûri, le talent de l'écrivain s'est
aussi épanoui, son indépendance et sa per-
sonnalité se sont affirmées, on n'en peut
plus douter. désormais.
C'est un roman tout différent de l'autre,
attachant non seulement par l'étude serrée
qu'il présente, d'une vie de femme du
peuple acharnée à gagner son bonheur, mais
c'est aussi un très curieux document sur le
quartier espagnol d'Alger, ce Bab-el-Oued
où se réfugient toutes les misères, tous
les vices. Et c'est sur cette fresque, grouil-
lante d'humanité et de pittoresque, que se
détache le lent, le morne destin d'Ascension
Martiniquez, une rude femme qui connut
la misère durant toute son enfance, et qui,
pour arriver à écarter d'elle l'odieuse inquié-
tude de la faim, lutte, avec une âpreté
farouche, durant des années.
- sEn 1928, parut L'Homme derrière le mur
. «dédié à tous les chevaliers servants de la
Fantaisie », qui reçut aussitôt le prix Cor-
rard décerné par la Société des Gens de
Lettres.
« Une inquiétude, plus féconde que la
peur, écrit Mac-Orlan dans sa préface, crée
tout aussitôt les éléments de l'aventure. Et
l'Aventure, c'est un homme jeune et mé-
diocre, un coquni médiocre, mais extraordi-
nairement vivant qui, sous l'impulsion de
sa créatrice, devient comme une petite mais .
inoubliable lumière, dans une maison morte,
obscure, habitée par les fantômes bour-
geois de la peur, de la mélancolie, de la
vanité, et de l'imprévu sensuel créé par les
femmes. »
Au printemps de 1929, ce fut La Noce.
Un grand livre, à la fois puissant, amer et
doux. Un rêve qui flotte, audacieux et pur,
sur cette âpre et souvent cruelle peinture de
la. vie de province. Beau rêve de Domi-
nique. Destin de Dominique, l'héroïne de
romance et de tragédie, « orchidée au milieu
des plates-bandes provinciales », Iseult au
coeur ravagé et magnétique, promis, offert
par l'Implacable Fatalité, à ce héros mer-
veilleux, beau de visage et noble d'âme,
Marc-Antoine, le cher Aventurier conquis
après dix années d'attente orgueilleuse et
secrète.
Et puis, après ce livre remarquable, —
un des meilleurs parmi les meilleurs de
ce dernier cycle littéraire — Lucienne
Favre publia, comme pour se reposer du
lourd travail de La Noce, une oeuvre dé-
pouillée, touchante : Orientale 1930, ou
l'histoire de Fathma, type synthétique de
la musulmane pauvre des villes, aussi éloi-
gnée que possible du type littéraire et périmé
des désenchantées de harem. Au milieu de
cette poésie naturelle et surnaturelle de
l'Orient abâtardi, que la romancière sait
si bien exprimer, l'oripeau du fellah paraît
moins navrant que la guenille de l'ouvrier
européen. Leçon mélancolique, et vaine...
Telle est Lucienne Favre, et telle est son
(«livre virile et vivante, qui enrichit singu-
lièrement l'apport littéraire féminin, parce
que, sans données précises, elle a l'art de
construire un monde de fantaisie et d'aven-
ture, parce qu'en elle l'intelligence parle
plus haut que l'instinct, et surtout parce
qu'elle ne mêle jamais la. sensualité et la
sensibilité.
Paule Malardot.
— 26
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 96.32%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 96.32%.
-
-
Page
chiffre de pagination vue 27/35
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k5520751g/f27.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k5520751g/f27.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k5520751g/f27.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k5520751g/f27.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k5520751g
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k5520751g
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k5520751g/f27.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest