L'EMPIRE OTTOMAN ET LE RISQUE CORSAIRE AU XVIIe SIÈCLE
En un certain sens, la conquête ottomane fut aussi une revanche économique de l'Orient sur l'Occident. L'éviction des Latins, qui dominaient la navigation et les échanges dans les mers du Levant depuis deux siècles, a permis la récupération par l'Orient de son propre espace commercial et l'épanouissement d'un capitalisme indigène dont Halil Inalcik a naguère montré le dynamisme et la diversité 1. Après la chute de Constantinople, la mer Noire devient chasse gardée gréco-turque pour trois siècles et, dans le cadre d'une politique de maîtrise des mers ottomanes sciemment conduite par les premiers sultans 2, les Orientaux s'intéressent dorénavant non plus seulement aux trafics caravaniers vers l'intérieur du continent, mais également à la navigation et aux échanges maritimes, tant à l'inté- rieur de l'empire qu'en direction de l'Europe et de l'océan Indien. Les éléments musulmans, avantagés au premier chef par la nouvelle situation, laisseront une large place aux autres sujets ou vassaux de la Porte : Grecs, Juifs, Arméniens, Ragusains, etc. Cependant, jusqu'au début du xvir siècle au moins, ils restent eux-mêmes très engagés dans les affaires. Dans ses souvenirs publiés en 1613, l'Allemand Johannes Wild, longtemps esclave en Turquie et en Egypte, revient à plusieurs reprises sur ce qui lui paraît une véritable spécificité des Turcs : « Ils se livrent en général beaucoup au négoce. » Lui-même a connu, au Caire et à Constantinople, de « riches marchands » ayant des correspondants dans tout le Levant et jusqu'aux Indes, et capables de supporter sans être incommodés des pertes de l'ordre de plusieurs milliers de ducats. D'après son témoignage, même le transport maritime est encore à cette date largement entre leurs mains : lorsque, en 1609 puis en 1611, il s'embarque d'Alexandrie pour Istanbul,
1. Halil INALCIK, « Capital Formation in the Ottoman Empire », Journal of Economie History, XXIX (1969), pp. 97-140. Cf. également The Ottoman Empire. The Classical Age 1300-1600, Londres, 1973.
2. Andrew C. HESS, « The Evolution of the Ottoman Seaborne Empire in the Age of the Oceanic Discoveries », The American Historical Review, LLXV (1970), pp. 1892-1919.
3. Johann WILD, Reysbeschreibung eines Gefangenen christen... anno 1604, Nuremberg, 1613 ; cité ici dans la traduction française par Oleg V. VolkofE de la partie égyptienne du récit de Wild, publiée dans la collection des « Voyageurs occidentaux en Egypte », volume 9, sous le titre Voyages en Egypte de Johann Wild, 1606-1610, Paris - Le Caire, 1973.
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