Titre : Le Monde artiste : théâtre, musique, beaux-arts, littérature
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1912-12-28
Contributeur : Lemoine, Achille (1813-1895). Directeur de publication
Contributeur : Gourdon de Genouillac, Henri (1826-1898). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32818188p
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 19764 Nombre total de vues : 19764
Description : 28 décembre 1912 28 décembre 1912
Description : 1912/12/28 (A52,N52). 1912/12/28 (A52,N52).
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5456914b
Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, Z-1096
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 03/12/2008
LE MONDE ARTISTE
très populaires jusqu'à l'époque de Goethe. Peu de
temps avant lui, Lessing, qui les vit à Berlin,
en 1753, concevait déjà l'idée de rajeunir le sujet.
Mais son Faust demeura inachevé, entre un pro-
logue en enfers et une scène finale où les anges
ravissaient aux démons la proie qu'ils croyaient si
bien tenir.
C'est alors que Goethe entre en scène à son tour.
« L'étrange pièce de marionnettes résonnait et bour-
donnait dans ma tête — confesse-t-il dans Vérité
et poésie. Moi aussi, j'avais mesuré l'étendue du
savoir humain et reconnu son néant ; moi aussi,
j'avais essayé de la vie par tous ses côtés, pour me
retrouver plus mécontent et plus tourmenté après
chacun de mes essais ! » Mais ce qui lui appartient
en propre, et où son génie éclate, c'est quand il
prend Faust sur le déclin de son existence, « trop
vieux pour satisfaire ses désirs et pas assez vieux
pour ne plus en avoir », et qu'il le fait rajeunir par
Méphistophélès, réalisant ainsi l'impossible miracle
après lequel nous soupirons tous. Pour Goethe, en
effet, la sincérité reste encore supérieure à l'art.
Il n'a jamais essayé de rendre ce qu'il avait person-
nellement éprouvé, ce qui lui avait brûlé les ongles,
selon sa forte expression. Et si son oeuvre porte si
directement sur le public, la raison en est qu'on la
sent profondément vivre, comme on dit aujourd'hui.
En particulier, le charme immortel dont rayonne sa
Marguerite provient de ce qu'elle n'est pas autre
chose qu'une réminiscence émue de la première
Gretchen qui ait fait battre son coeur d'adolescent.
Commencé en 1774, quand il allait avoir vingt-
cinq ans, et terminé seulement quelques mois avant
sa mort, celle-ci survenue dans sa quatre-vingt-
deuxième année, le Faust de Goethe fut l'oeuvre de
toute sa vie, et se divise en deux parties aussi dis-
semblables que le commencement et la fin de la lon-
gue et féconde carrière dont elles resteront l'indes-
tructible monument. Les personnages de Faust et de
Méphistophélès sont même les seuls traits d'union
qui les relient l'un à l'autre. Débordant de passion
et de mouvement, comme la jeunesse, la première
est surtout connue en France par l'adaptation musi-
cale de Gounod. Et l'on sait quel merveilleux parti
en tirèrent, au point de vue lyrique, les très habiles
librettistes que furent Jules Barbier et Michel Carré.
Grâces soient rendues au théâtre de l'Odéon qui
nous a offert la première adaptation, sur une scène
française, de l'oeuvre complète de Goethe. Elle est
due, comme vous savez, à M. Emile Vedel qui avait
déjà donné au théâtre, en collaboration avec
M. Pierre Loti, une excellente traduction du Roi
Lear, de Shakespeare; son adaptation de Faust lui
fait autant d'honneur.
Après les tableaux où le docteur entre en rap-
ports avec Satan et l'immortel épisode de Margue-
rite, nous voyons donc revivre la seconde partie
de la tragédie. Satan conduit Faust sur les bords de
l'Elbe, où les sylphes et les elfes, aimables génies de
la nature, versent au docteur l'oubli apaisant; Mar-
guerite, dont il ne se souvient plus, est remplacée
par la plus belle des femmes : l'Hélène antique. Au
moment où l'ardent docteur s'approche pour saisir
la fille de Jupiter et de Léda, celle à qui les vieil-
lards troyens pardonnaient leurs malheurs à cause
de sa beauté, Hélène disparaît en ne lui laissant que
sa robe entre les mains. Le spectacle s'achève sur
l'heureuse image d'un Faust sauvé et pardonné par
Marguerite. Ainsi Faust, « l'âme qui s'élève toujours
plus haut », et Méphistophélès, « l'esprit qui nie
sans cesse » restent, pour Goethe, les deux élé-
ments indispensables de toute vie heureuse et les
deux facteurs nécessaires de l'histoire de l'huma-
nité.
La mise en scène est au-dessus de tout éloge,
non seulement pour la somptuosité, mais pour l'in-
telligence et le goût. Ce nous est une joie de féli-
citer hautement, cette fois, M. Antoine. Le décor du
cabinet de Faust et celui du Brocken ont provoqué
des cris d'admiration, fort justifiés. Autour de
Faust endormi sur la rive de l'Elbe, les petites
élèves de la Loïe Fuller ont dansé un ravissant bal-
let — le Ballet des Sylphes sur la musique de Ber-
lioz — que, malgré l'heure tardive, le public du
premier soir a redemandé d'acclamation. On ne sau-
rait imaginer plus délicieuse Marguerite que
Mlle Sylvie. M. Joubé est, lui aussi, un Faust re-
marquable, et M. Desfontaines un Méphistophélès
qui, certes, ne manque ni d'adresse, ni de sou-
plesse; mais pourquoi ne puis-je me faire aux into-
nations, parfois si communes, de sa voix?... Mlle Peu-
get est une comique dame Marthe et M. Marquet a
fait, sous les traits de Valentin, une excellente
rentrée à l'Odéon où il fut jadis très justement ap-
plaudi. Quelle belles et douloureuses musiques,
ingénieusement assemblées par M. Florent Schmitt
et magistralement dirigées au pupitre par M. Ga-
briel Pierné! Elles furent l'un des charmes de l'ar-
tistique soirée.
Sans doute, il ne faut pas chercher, dans l'Homme
qui assassina du théâtre Antoine, nous ne dirons
pas le décor si exact de Constantinople — en dépit
des deux toiles de fond qui représentent la Corne
d'Or et le Bosphore — mais l'originale atmosphère
dans laquelle M. Claude Farrère, émule de pierre
Loti, avait délicieusement baigné son dramatique
roman. Mais nous y retrouvons du moins, très crâ-
nement campés par M. Pierre Frondaie, en grand
progrès, ce nous semble, depuis la Femme et le
Pantin, les personnages du livre déjà célèbre : lord
Falkland, le terrible Anglais éperdûment épris de
sa cousine, dont il veut faire sa femme; la pauvre
lady Falkland, que le mari et la maîtresse veulent
contraindre au divorce, non sans lui arracher son
fils; le prince Cernuwitz, l'ami et le louche complice
du mari; enfin, le colonel de Sévigné, le noble pro-
tecteur de l'infortunée lady. Entre ces quatre ou cinq
personnes, se joue un drame singulièrement pre-
nant. Car il arrive ceci que le prince Cernuwitz,
devenu l'amant de lady Falkland, s'arrange —
d'accord avec le mari — pour se faire surprendre
en flagrant délit. Falkland tient donc son divorce,
et sa femme, folle de honte et de douleur, signera
un papier par quoi elle renonce à la tutelle de son
enfant. Cependant, a surgi l'ami, le protecteur de
lady Falkland, l'officier français, marquis de Sévi-
gné, qui a surpris l'odieuse manoeuvre. Demeuré
seul avec Falkland, il le tue d'un coup de poignard
et s'empare du papier, du fatal papier, qui ravit à
la mère son enfant chéri. Pourquoi agit-il ainsi? Par
amour pour lady Falkland, — mais aussi par un bel
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très populaires jusqu'à l'époque de Goethe. Peu de
temps avant lui, Lessing, qui les vit à Berlin,
en 1753, concevait déjà l'idée de rajeunir le sujet.
Mais son Faust demeura inachevé, entre un pro-
logue en enfers et une scène finale où les anges
ravissaient aux démons la proie qu'ils croyaient si
bien tenir.
C'est alors que Goethe entre en scène à son tour.
« L'étrange pièce de marionnettes résonnait et bour-
donnait dans ma tête — confesse-t-il dans Vérité
et poésie. Moi aussi, j'avais mesuré l'étendue du
savoir humain et reconnu son néant ; moi aussi,
j'avais essayé de la vie par tous ses côtés, pour me
retrouver plus mécontent et plus tourmenté après
chacun de mes essais ! » Mais ce qui lui appartient
en propre, et où son génie éclate, c'est quand il
prend Faust sur le déclin de son existence, « trop
vieux pour satisfaire ses désirs et pas assez vieux
pour ne plus en avoir », et qu'il le fait rajeunir par
Méphistophélès, réalisant ainsi l'impossible miracle
après lequel nous soupirons tous. Pour Goethe, en
effet, la sincérité reste encore supérieure à l'art.
Il n'a jamais essayé de rendre ce qu'il avait person-
nellement éprouvé, ce qui lui avait brûlé les ongles,
selon sa forte expression. Et si son oeuvre porte si
directement sur le public, la raison en est qu'on la
sent profondément vivre, comme on dit aujourd'hui.
En particulier, le charme immortel dont rayonne sa
Marguerite provient de ce qu'elle n'est pas autre
chose qu'une réminiscence émue de la première
Gretchen qui ait fait battre son coeur d'adolescent.
Commencé en 1774, quand il allait avoir vingt-
cinq ans, et terminé seulement quelques mois avant
sa mort, celle-ci survenue dans sa quatre-vingt-
deuxième année, le Faust de Goethe fut l'oeuvre de
toute sa vie, et se divise en deux parties aussi dis-
semblables que le commencement et la fin de la lon-
gue et féconde carrière dont elles resteront l'indes-
tructible monument. Les personnages de Faust et de
Méphistophélès sont même les seuls traits d'union
qui les relient l'un à l'autre. Débordant de passion
et de mouvement, comme la jeunesse, la première
est surtout connue en France par l'adaptation musi-
cale de Gounod. Et l'on sait quel merveilleux parti
en tirèrent, au point de vue lyrique, les très habiles
librettistes que furent Jules Barbier et Michel Carré.
Grâces soient rendues au théâtre de l'Odéon qui
nous a offert la première adaptation, sur une scène
française, de l'oeuvre complète de Goethe. Elle est
due, comme vous savez, à M. Emile Vedel qui avait
déjà donné au théâtre, en collaboration avec
M. Pierre Loti, une excellente traduction du Roi
Lear, de Shakespeare; son adaptation de Faust lui
fait autant d'honneur.
Après les tableaux où le docteur entre en rap-
ports avec Satan et l'immortel épisode de Margue-
rite, nous voyons donc revivre la seconde partie
de la tragédie. Satan conduit Faust sur les bords de
l'Elbe, où les sylphes et les elfes, aimables génies de
la nature, versent au docteur l'oubli apaisant; Mar-
guerite, dont il ne se souvient plus, est remplacée
par la plus belle des femmes : l'Hélène antique. Au
moment où l'ardent docteur s'approche pour saisir
la fille de Jupiter et de Léda, celle à qui les vieil-
lards troyens pardonnaient leurs malheurs à cause
de sa beauté, Hélène disparaît en ne lui laissant que
sa robe entre les mains. Le spectacle s'achève sur
l'heureuse image d'un Faust sauvé et pardonné par
Marguerite. Ainsi Faust, « l'âme qui s'élève toujours
plus haut », et Méphistophélès, « l'esprit qui nie
sans cesse » restent, pour Goethe, les deux élé-
ments indispensables de toute vie heureuse et les
deux facteurs nécessaires de l'histoire de l'huma-
nité.
La mise en scène est au-dessus de tout éloge,
non seulement pour la somptuosité, mais pour l'in-
telligence et le goût. Ce nous est une joie de féli-
citer hautement, cette fois, M. Antoine. Le décor du
cabinet de Faust et celui du Brocken ont provoqué
des cris d'admiration, fort justifiés. Autour de
Faust endormi sur la rive de l'Elbe, les petites
élèves de la Loïe Fuller ont dansé un ravissant bal-
let — le Ballet des Sylphes sur la musique de Ber-
lioz — que, malgré l'heure tardive, le public du
premier soir a redemandé d'acclamation. On ne sau-
rait imaginer plus délicieuse Marguerite que
Mlle Sylvie. M. Joubé est, lui aussi, un Faust re-
marquable, et M. Desfontaines un Méphistophélès
qui, certes, ne manque ni d'adresse, ni de sou-
plesse; mais pourquoi ne puis-je me faire aux into-
nations, parfois si communes, de sa voix?... Mlle Peu-
get est une comique dame Marthe et M. Marquet a
fait, sous les traits de Valentin, une excellente
rentrée à l'Odéon où il fut jadis très justement ap-
plaudi. Quelle belles et douloureuses musiques,
ingénieusement assemblées par M. Florent Schmitt
et magistralement dirigées au pupitre par M. Ga-
briel Pierné! Elles furent l'un des charmes de l'ar-
tistique soirée.
Sans doute, il ne faut pas chercher, dans l'Homme
qui assassina du théâtre Antoine, nous ne dirons
pas le décor si exact de Constantinople — en dépit
des deux toiles de fond qui représentent la Corne
d'Or et le Bosphore — mais l'originale atmosphère
dans laquelle M. Claude Farrère, émule de pierre
Loti, avait délicieusement baigné son dramatique
roman. Mais nous y retrouvons du moins, très crâ-
nement campés par M. Pierre Frondaie, en grand
progrès, ce nous semble, depuis la Femme et le
Pantin, les personnages du livre déjà célèbre : lord
Falkland, le terrible Anglais éperdûment épris de
sa cousine, dont il veut faire sa femme; la pauvre
lady Falkland, que le mari et la maîtresse veulent
contraindre au divorce, non sans lui arracher son
fils; le prince Cernuwitz, l'ami et le louche complice
du mari; enfin, le colonel de Sévigné, le noble pro-
tecteur de l'infortunée lady. Entre ces quatre ou cinq
personnes, se joue un drame singulièrement pre-
nant. Car il arrive ceci que le prince Cernuwitz,
devenu l'amant de lady Falkland, s'arrange —
d'accord avec le mari — pour se faire surprendre
en flagrant délit. Falkland tient donc son divorce,
et sa femme, folle de honte et de douleur, signera
un papier par quoi elle renonce à la tutelle de son
enfant. Cependant, a surgi l'ami, le protecteur de
lady Falkland, l'officier français, marquis de Sévi-
gné, qui a surpris l'odieuse manoeuvre. Demeuré
seul avec Falkland, il le tue d'un coup de poignard
et s'empare du papier, du fatal papier, qui ravit à
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