Titre : L'Europe littéraire : journal de la littérature nationale et étrangère
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1833-08-02
Contributeur : Bohain, Victor (1805-1856). Directeur de publication
Contributeur : Royer, Alphonse (1803-1875). Directeur de publication
Contributeur : Cappot, Jean-Gabriel (1800-1863). Rédacteur
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32771259r
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Format : Nombre total de vues : 310 Nombre total de vues : 310
Description : 02 août 1833 02 août 1833
Description : 1833/08/02 (A1,N66). 1833/08/02 (A1,N66).
Description : Note : AVEC NUMERO SPECIMEN. Note : AVEC NUMERO SPECIMEN.
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k54417424
Source : Bibliothèque nationale de France, département Littérature et art, Z-1052
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 30/09/2008
; L'EUROPE LITTÉRAIRE.
2C>7
gue,aprèsqui sa famille allait s'éteindre, et sk duChé-pairie s"én "aller à vàM'eau; et pen-
dant qu'il en gémissait auprès d'elle, en lui disant avec amertume : — Il n'y aura plus de
Villeroy : — Eh bien, lui répondit la maréchale, brt fera comme il y à trois cents ans, on s'en
■^■passera." .' • . ..,'
Sa maison, ses anieublemens, sa- table et ses nombreuses livrées, ses équipages et surtout
sa chapelle et sa salle du dais, tout chez elle enfin était d'tine magnificence admirable. Elle
avaitpoiîrsonusa'gepersonnelunnécessâiredetàbleeh'ormassîf, et là: collection de ses tabatièré's
■était la plus splendide et la plus curieuse Chose dû monde. Au milieu de toutes ces dorures et
de ces grands portraits de connétables, avec tous ces lions de Luxembourg et ces aiglons de
- Montmorency, on était d'abord un peu surprise en apercevant une petite bonne femme en
robe de taffetas brun ,;avec le bonnet et lés manchettes dé gazé unie à grand ourlet, sans bi-
. joux et sans aucune espèce d'étalage où de fanfreluches: Mais en approchant, c'était une phy-
■ sionohiie si animée, et si bien tempérée pourtant," un Ivisagé si: noble et si régulier' encore,
une attitude modeste et presque royale, on pourrait dire, avec un propos si spirituellement
: varié,, si naturellement poli, si digne et si fin tout à la fois-, qu'on l'ëcoutait et là regardait
continuellement avec un plaisir inexprimable. Le Costume dés vieilles femmes de ce temps-là
avait un grand avantage pour elles, et c'était Celui de né ressembler èh.aucune façon à celui
des jeunes femmes de leur temps, avec lesquelles on ne se trouvait jamais à lieu d'établir
une comparaison,-qui est toujours si défavorable pour les, douairières ! •: Lès "vieilles femmes
étaient alors des espèces de figures à part; on les jugeait sans penser à leur sexe, qui n'exis-
tait plus pour les idées de galanteries, non plus que pour la toiletté. Les pauvres femmes de
mon âge et de mon temps me font grand'pilié quand je les vois avec des bonnets fleuris-, des
fichus menteurs et tout leur attirail.juvénile, qui fait qu'on les compare toujours involontai-
rement avec leurs petites-filles, et qu'on les trouve horribles en toute justice ! Je ne doute
pas que le manque de respect, ou, pour mieux dire, l'impertinence des jeunes gens d'aujour-
d'hui pour les vieilles femmes, ne provienne, en grande partie, de leur sot accoutrement; car
■enfin l'on ne saurait exiger ni s'attendre à ce que des étourneaux puissent distinguer la dif-
férence qui se trouve entre la docilté pour l'usage et la prétention ridicule. Une vieille
femme est habillée comme une jeune personne; cette vieille femme est ridicule à cause du
parallèle; elle est ridicule et c'est tout au moins, car la plus légère apparence de prétention
doit la faire paraître odieuse, abominable, et je n'ai jamais pu m'expliquer autrement la ré=-
probation universelle et le décri général où sont tombées les pauvres vieilles femmes. J'en
connais qui n'osent pas s'habiller raisonnablement de peur que les enfans 11e leur jettent des
pierres quand elles descendent de voiture à la porte des églises, ce qui serait encore pire
que de les coudoyer «t de leur marcher sur les pieds dans les salons. Tant il y a qu'on est
bien malheureuse d'être une vieille femme par le temps qui court, et que je ne m'en con-
solerai jamais !
Onne saurait avoir mieux dépeinlla maréchale de Luxembourg que ne l'a fait Mmc de F
dans son joli roman d'E de R , et son mérite est suivant moi d'autant plus grand,
qu'elle n'avait jamais été de la société de la Maréchale, à beaucoup près. Ce n'est pas chez
son père, M. Filleul, ni chez son beau-père, Labillarderie, qu'elle aura pu trouver le type
du meilleur goût dans le plus grand monde, qu'elle a deviné sans l'avoir connu, et l'on a
beau me répéter que c'est une femme d'esprit, la chose ne m'en paraît pas moins ' inex-
plicable.
On disait autrefois que les hommes de très-bonne compagnie perdaient quelquefois la
finesse de leur tact et le ton de la cour, quand ils avaient des habitudes prolongées avec des
femmes d'un'ordre inférieur, et l'on disait que ces mêmes femmes acquéraient souvent l'u-
sage du grand monde avec les bonnes manières et le bon goût qu'on avait laissé tomber dans
leur société, ce qui faisait, du moins, que le bon goût perdu ne l'était pas pour tout le
monde; mais 011 disait aussi que tout cela n'était qu'un vernis pour la décoration, qu'en y
regardant de proche ou long-temps, ou voyait pointer sous les repeints les couleurs de l'an-
cien tableau, et qu'à la moindre contradiction, par exemple, il arrivait des explosions de
paroles, avec un déluge de faits et gestes, et quelquefois des actes vindicatifs qui parais-
' saient d'une vulgarité surprenante!...'C'est une sorte d'observations que je n'ai pas été à
lieu de vérifier, mais quant à cette perfection dans les manières qui se trouvait quelquefois
partagée entre les plus grandes dames et quelques femmes de la condition la plus inférieure,
il me semble que c'est uue transition toute naturelle pour arriver de la Blaréchale Duchesse
de Montmorency-Luxembourg à M" 0 Quinault, chez qui ma grand'mère, qui n'était pas
moins grande dame que Mmc de Luxembourg, ne manqua pas de me mener faire une visite
de noces, avec un ton d'égards et de solennité'polie qui coulait de source, et qu'on aurait
bien cle la peine à simuler aujourd'hui. Voilà, vous en conviendrez, une belle période. J'ai
cru n'en pas finir, et ma plume en est hors d'halqine (1) !
Biais, à propos des Montmorency, je ne vous avais pas dit tout ce que j'en avais sur le coeur,
et, pendant que je les tiens par les cheveux, je veux vous enraconter quelque chose encore, de
peur de l'oublier. BIme la vicomtesse de L.... s'avisa de vouloir un jour singer sa défunte cousine
de Luxembourg, et voilà qu'elle écrivit le billet suivant au Maréchal de Ségur, qui était pour
lors ministre de la guerre, et qui ne voulait pas confier le commandement d'un régiment au
fils de Mmc la Vicomtesse : « Je ne sais, Monseigneur, si vous avez lu l'histoire cle notre mai-
» son, mais vous y verriez qu'il était plus facile autrefois à un Montmorency d'avoir l'épée
» de connétable, que d'obtenir aujourd'hui des épaulettes de colonel, etc. » Le Maréchal de
Ségur lui répondit bien à propos qu'il avait lu l'histoire de France, et qu'il en concluait que
MM. de Montmorency avaient toujours été traités suivant leur mérite. On se moqua joli-
ment de cette outrecuidante personne, avec sa rabâcherie des connétables et son histoire des
Montmorency, par M. des Ormeaux.
MUe Quinault, ou plutôt Quinaut, suivant la prosodie française, était une vieille fille qui
vivait d'une pension sur la cassette, et qui descendait du fameux Quinaut des satires et de
l'Opéra. Tout le monde savait qu'elle avait débuté sur le même théâtre; mais il était convenu
que personne ne devait s'en souvenir ou s'en tenir pour assuré, et qu'il fallait toujours rom-
pre les chiens quand le vent du cor de chasse allait donner de ce côté-là. On convenait qu'elle
avait été l'intime amie du Duc de Nevers, lequel était Mancini, le neveu du Cardinal Ma-
zarin, et le père du vieux Duc cle Nivernais d'aujourd'hui : vous voyez que Mlle Quinaut ne
datait pas de la veille. On disait qu'elle avait été fort jolie; mais ce qui la rendait non pareille
était une intelligence du monde avec un esprit de conduite incomparables. Il s'était trouvé
que MUc Quinaut n'aimait pas l'argent, et qu'elle aimait par-dessus tout ce qu'on appellerait
(1 ) Je vous avais déjà dit que mes grands parens étaient morts avant l'époque de mon entrée dans
!e monde ; ainsi, toutes les fois que je vous parle de ma grand'mère, il est question de Julie-Thérèse
Grimaldi des Princes de Salerne et de Monaco, Marquise douairière de Froulay. Je crois vous avoir
déjà prévenu que j'avais pris l'habitude de l'appeler ma grand'mère, quoi qu'elle ne fût que la deuxième
f.-mme de monaïeuï, Philippe-Charles, Marquis de Froulay, de Moniflaux et de Gàtines-les-Sept-
Tours. En outre, elle aurait toujours été ma proche parente, car elle était nièce du Maréchal de Tessé
qui était le chef de ma famille, et dont la mère était l'héritière de cette grande maison de Beaumanoir
bois ton sang, qui descendait de ce fameux héros breton de la bataille des Trente. La grand-mère du
Maréchal était la belle et fameuse Marie d'Escoubleau de Sourdis de Montlùcy laquelle était fille' du
Marquis d'Alluye et de Jeanne de Foix, Princesse de Chabannais et de Carmaing. Excusez-nous du
peu, s'il vous plaît, comme aurait dit Mmo de Luxembourg, en s'inclinànt.
René III, Sire de Froulay, Comte de Tessé, Marquis d'Ambrières, de Ghâteauneuf, de Beauma-
noir et de Lavardin, Vicomte de Beaumont, dèTrans etdeNogent, Châtelain de Varnye, Baron
d'Aulnay, Lessart, Fresnoy-sur-Sarlhe et autres lieux, Grand d'Espagne de la première classe, Bue
Romain, Noble Génois et premier Baron du Maine, Maréchal et Grand Fauconnier de France /Co-
lonel-Général des Dragons, Général des Galères de France et Chevalier des ordres du Roi, Chevalier
de l'ordre insigne de la Toison-d'Or et de l'ordre royal de Saint-Jacques-porte-Glaive, grand'eroix de
l'ordre militaire et hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem de Malte, Conseiller du Roi en tous ses con-
seils , son ancien Ambassadeur auprès du Saint-Siège Apostolique, et Grand Écuyer de la Reine, est
mort en 1725, au couvent des Camaldules, où il s'4tait retiré depuis plusieurs années. Il avait le Ré- ,
gent, la régence et surtout la cour du Régent en abomination! Iine sortit de sa retraite que pour as-
sister au sacre du Roi Louis XV, où il eut l'honneur de porter sa main de justice! H est fort inutile de :
^ réfuter ici plusieurs mensonges dont cet envieux et venimeux Duc de Saint-Simon s'est rendu coupable
: envers lé Maréchal de Tessé, qui n'en était pas moins un grand capitaine, ainsi qu'un des plus ver- v
fueux et des plus illustres personnages de leur temps. . (N'oie de Madame de Créquy.)
aujourd'hui là supériorité d'ans les relations. Elle avait ajusté ses flûtes et dressé toutêsses.
batteries de manière à se, trouver en rapport de société permanente, et sur un pied d'égalité
quasi-complète, avec Aes sommités socïales'de son temps, les plus escarpées et les plus ina-
bordables pour une personne comme elle. On ne savait pas comment elle avait pu faire son
compte; mais toujours est-il.qu'elle avait obtenu le collier deISaint-Micliel avec une pension
considérable, etpuis qu'elle avait obtenu un logement superbe, au Louvre, dans l'apparte-
ment de l'Infante, et sur lé jardin, du côté delà Seine; en plein midi, pour qu'il n'y man-
quât rien. Toujours est-il aussi que de proche en proche, et depuis le vieux Duc de Nevers
jusqu'à M">e la Comtesse de Toulouse et M. le Duc de.Pénthièvre, qui fdrzikient l'assem-
blage éminent de toutes les vertus cardinales, et qui distillaient la dignité là plus officielle,
toutee qu'il y avait déplus puissant, de plus illustre à. la cour et de plus considérable à la
ville, àcommencer par le grand baiic du parlement et à finir parle Doyen des Maîtres des
Comptes, tout cela, dis-jé, arrivait à tour de rôle et rëvérencieusemënt dans le salon de
MUe Quinaut,. qui avait le bon esprit de ne vouloir jamais sortir, de chez elle, et, qui vous
disait humblement qu'elle ne prenait la liberté de faire de visites à personne; mais n'y par-
venait pas qui. voulait, dans les salons dé l'Infante ? Et la fameuse Blmc d'Epinay, par exem-
ple, avait eu bien dé là peihe à trouver quelqu'un dans sa société qui fût assez en crédit pour
la faire arriver jusqu'à Mllc. Quinaut ! Enfin les choses étaient arrivées à ce point de pérfec- ' .
-tiori, qu'on n'aurait pas voulu manquer à lui présenter les nouvelles mariées dontle roi, sa
famille et les princes du sang royal avaient signé les contrats, privilège qu'elle ne partageait
qu'avec l'Archevêque, le Gouverneur de Paris et Mme l'Abbesse de Saint-Antoine, qui était
une Princesse de Condé. On voit que ce n'est pas seulement d'aujourd'hui qu'il s'est trouvé
des femmes exclusivement et continuellement occupées à se procurer une sorte de consis-
tance factice et d'importance empruntée, telle que Mme de Montesson, par exemple.
Nous trouvâmes donc MUe Quinaut bien assise et bien établie sous ses voûtes royales,
Superbement dorées et peintes,
Ainsi qu'au Louvre il appartient,
'comme dit Scarron. Elle était en habit de damas noir «t blanc, patee que la cour était en
demi-deuil, et sa robe était sur un grand panier ; elle avait bon air et bonne grâce autant
qu'il est possible, mais elle n'avait pas de rouge comme nous autres, et c'est ici qu'aurait
commencé le ridicule avec l'usurpation. J'ai déjà dit que MUe "Quinaut était décorée de l'ordre
de Saint-Michel : c'était à raison d'un superbe motet qu'elle avait composé pour la chapelle
de la Reine, et c'était, je crois bien, la première femme à qui l'on eût donné le cordon noir,
'dont on a gratifié depuis Mmc Saint-Dberty quand elle a épousé le Comte d'Entragues. Quand
nous entrâmes chez MUc Quinaut, elle s'y trouvait côte à côte avec -M. le Duc de Pénthièvre,
qui était le petit-fils de Louis XIV, ainsi que vous savez; avec la Duchesse-douairière de
Bouillon, la Princesse de Soubise et sa soeur la Landgrave de Hesse, Mlle de Vertus, le Vi-
dame de Vassé, le Grand-Prieur d'Auvergne, le Comte d'Estaing, le Marquis de Créqùy,
mon beau-père; enfin tous les illustres de Mmo du Deffand; et tous les mirliflors de l'hôtel
de la Reynière n'auraient paru que du fretin, en comparaison de tous les obélisques de
haute noblesse et tous les faisceaux de puissant crédit que nous trouvâmes établis autour de
MUe Quinaut.-
Il fout vous dire que Mademoiselle de Vertus était une vieille Princesse de la maison de
Bretagne, et, je crois, la dernière de sa maison, avec laquelle nous étions brouillés "pour je
ne sais quel procès qu'elle avait soutenu contre nous avec le Marquis de la Grange, qui était
son neveu, et le plus endiablé chicaneur de la terre (1). Voilà tout ce que j'ai su jamais de
ce procès-là; mais tant il y a que nous trouvant brouillés, je n'avais jamais vu Mademoiselle
de Vertus, pas plus que Mlle Quinaut, et que je les pris l'une pour l'autre, ce dont il arriva
le quiproquo le mieux conditionné. J'attaquai d'abord de conversation Mademoiselle de Ver-
tus, auprès de qui j'étais assise, à qui je fis toutes sortes de gracieusetés, et qui répondit à
mes politesses avec un air surpris et touché, car c'était une excellente et sainte personne ; et
pendant ce temps-là, ma grand'mère, qui conversait avec la Dame au cordon noir, que je
prenais pour quelque Chanoinesse de Remiremont, me regardait avec un air d'inquiétude
extraordinaire, et elle me dit eu nous en allant qu'elle n'avait pas douté que je ne fusse de-
venue folle.
Mademoiselle de Vertus m'ayant trouvée si bien disposée pour elle, ne douta pas que je
méritasse une marque de son bon souvenir : nous étions parentes, et l'on me dit qu'elle s'at-
tendait à recevoir ma visite; mais elle mourut à la peine au bout de quatre ou cinq' mois,
après avoir eu l'attention d'ajouter à son testament un codicile, au moyen duquel il vint I
tomber subito dans ma petite cassette une somme de quarante mille francs en beaux louis |
d'or, et cela parce que j'avais pris Mademoiselle Anne de Bretagne, Comtesse de Vertus et j
Pair de France, pour BÏUp Quinaut, simple chevalier de l'ordre du Roi. Je vous ai dit quel
était le chiffre cle ma pension, ainsi vous pouvez jugez des félicitations que je m'adressai !
pour avoir été si prévenante et si bonne parente à mon insu ! Enfin, comme il faut tâcher de i
tirer quelque moralité de toute chose, vous pourrez juger aussi qu'autrefois, quand on avait
été bien polie, ce n'était pas toujours en pure perte, du moins !
A propos de cadeaux imprévus, de générosités singulières, et de Mlle Quinaut, je vous
dirai que long-temps après ceci, la Maréchale de Mirepoix, qui recevait toujours et ne don-
nait janiais rien (2), me montra pourtant un superbe cachet qu'elle avait fait faire pour celte
demoiselle, et qu'elle allait lui envoyer pour étrennes. — Comment donc, lui dis-je, un ca-
chet armorié pour M"e Quinaut ? — Et pourquoi donc pas, mon coeur, me dit la Blaréchale
avec un sérieux imperturbable ; Mllc Quinaut n'est-elle pas fille de condition? son grand'père
avait été anobli par le feu Roi. On voit passer aujourd'hui dans toutes les rues des armoiries
à couronne de Comte et de Baron, qui ne valent pas- mieux que les siennes, et, du reste,
c'est le président de Sérigny qui me les a fait blasonner d'après son registre. — Et l'Opéra ?
lui répoudis-je? —Ah ! l'Opéra.... n'en parlez donc pas; on dirait que vous êtes méchante.
Et, du reste, on ne déroge pas à la noblesse en jouant à l'Opéra. BI. Le Bloine, ajouta-t-elle
en souriant, BI. Le Bloine, Ecuyer, Sieur de Chassé et premier chanteur à l'Académie
(•1) François-Joseph Le Lieure (ou Le Lièvre, comme on l'écrit à présent), Marquis de la Grange-
le-Roy, de Fourilles et d'Atiilly, lieutenant-général, commandant des Mousquetaires delà garde du Roi
Louis XV, etc. Il était au Parlement de Paris sous les règnes de Louis XII etde François 1er, lequel avait enli-epris de s'oppo-
ser à l'enregistrement du Concordat avec LéonX, en dépit du Pape et du-Roi, ce qui n'aboutit qu'à
l'empêcher d'être Chancelier de France. C'est une des familles les plus immensément riches du royaume,
et c'est-une famille dé la plus vieille robe, ce dont il résultait toujours que tous les présidens et conseillers
des anciennes familles duParlement étaient obligés de se récuser et de s'abstenir de siéger sur les fleurs-
de-lis. quand on jugeait ses procès. Les plus minimes et les plus nouveaux dans la magistrature avaient
la vanité d'imiter en. cela "Nosseigneurs dugrand banc ; c'était le bel air du Parlement de Paris, et il n'y
avait si mince conseiller des requêtes ou des enquêtes qui ne montrât la prétention de se faire récuser
comme parent, toutes les ibis qu'on avait à juger un procès du Marquis, de la Grange, ce qui ne man-
quait pas d'arriver souvent. Il avait épousé Mademoiselle de Méliand, qui était notre parente et dont le
grand-père avait été le successeur de mon père dans ses deux ambassades de Suisse et de Venise. La
Présidente de Méliand de Choisy. femme de cet ambassadeur, était Mademoiselle Bossuet, nièce de
l'Évêque de Meaux, et nous disions qu'elle tenait beaucoup moins de l'aigle que de l'oie. Comme nous
sommes restés tout-à-fait brouillés par suite de nos procès pour la succession des Comtes de Vertus et
de la Princesse dé Gourtehay, je ne sais pas si le Marquis de la Grange existe encore.
(Noie de Madame de Créquy.)
L'auteur de ces mémoires a commis ici, contre son ordinaire, une légère inexactitude, car d'après
l'Histoire des grands officiers de la Couronne, le Marquis de la Grange ne pouvait pas être le neveu et
devait être le cousin-germain de Mademoiselle de Vertus, laquelle était fille d'Anne Judith Le Lieure
de la Grange, fille du Président Thomas Le. Lieure, marquis de la Grange et de Fourilles, aïeul du-
dit François-Joseph dont parle Madame de Créquy. Il est mort à Paris en 1808, âgé de 82 ans. 11 était
le père du lieutenant-général Marquis de la Grange, ancien commandant des Mousquetaires, dont les
journaux viennent de nous annoncer la mort, et dont le fils aîné, M. le Comté Edouard, de la-Grange,
est un des fondateurs et des collaborateurs les plus distingués de l'Europe littéraire.
■".-.■■■ ■'•>.,.■■. . .',■'■"..■■ .■.'.." ;{Note de l'Editeur.) :' -'-
: (2) Marguerite de Beauyau-Craon, veuve dé Jacques Henry de Lorraine, Prince de Lixin, remariée
eh 1739 à Gaston deLévis etLômagne, Maréchal-Duc de Mirepoix, ambassadeur en Angleterre, etc.
2C>7
gue,aprèsqui sa famille allait s'éteindre, et sk duChé-pairie s"én "aller à vàM'eau; et pen-
dant qu'il en gémissait auprès d'elle, en lui disant avec amertume : — Il n'y aura plus de
Villeroy : — Eh bien, lui répondit la maréchale, brt fera comme il y à trois cents ans, on s'en
■^■passera." .' • . ..,'
Sa maison, ses anieublemens, sa- table et ses nombreuses livrées, ses équipages et surtout
sa chapelle et sa salle du dais, tout chez elle enfin était d'tine magnificence admirable. Elle
avaitpoiîrsonusa'gepersonnelunnécessâiredetàbleeh'ormassîf, et là: collection de ses tabatièré's
■était la plus splendide et la plus curieuse Chose dû monde. Au milieu de toutes ces dorures et
de ces grands portraits de connétables, avec tous ces lions de Luxembourg et ces aiglons de
- Montmorency, on était d'abord un peu surprise en apercevant une petite bonne femme en
robe de taffetas brun ,;avec le bonnet et lés manchettes dé gazé unie à grand ourlet, sans bi-
. joux et sans aucune espèce d'étalage où de fanfreluches: Mais en approchant, c'était une phy-
■ sionohiie si animée, et si bien tempérée pourtant," un Ivisagé si: noble et si régulier' encore,
une attitude modeste et presque royale, on pourrait dire, avec un propos si spirituellement
: varié,, si naturellement poli, si digne et si fin tout à la fois-, qu'on l'ëcoutait et là regardait
continuellement avec un plaisir inexprimable. Le Costume dés vieilles femmes de ce temps-là
avait un grand avantage pour elles, et c'était Celui de né ressembler èh.aucune façon à celui
des jeunes femmes de leur temps, avec lesquelles on ne se trouvait jamais à lieu d'établir
une comparaison,-qui est toujours si défavorable pour les, douairières ! •: Lès "vieilles femmes
étaient alors des espèces de figures à part; on les jugeait sans penser à leur sexe, qui n'exis-
tait plus pour les idées de galanteries, non plus que pour la toiletté. Les pauvres femmes de
mon âge et de mon temps me font grand'pilié quand je les vois avec des bonnets fleuris-, des
fichus menteurs et tout leur attirail.juvénile, qui fait qu'on les compare toujours involontai-
rement avec leurs petites-filles, et qu'on les trouve horribles en toute justice ! Je ne doute
pas que le manque de respect, ou, pour mieux dire, l'impertinence des jeunes gens d'aujour-
d'hui pour les vieilles femmes, ne provienne, en grande partie, de leur sot accoutrement; car
■enfin l'on ne saurait exiger ni s'attendre à ce que des étourneaux puissent distinguer la dif-
férence qui se trouve entre la docilté pour l'usage et la prétention ridicule. Une vieille
femme est habillée comme une jeune personne; cette vieille femme est ridicule à cause du
parallèle; elle est ridicule et c'est tout au moins, car la plus légère apparence de prétention
doit la faire paraître odieuse, abominable, et je n'ai jamais pu m'expliquer autrement la ré=-
probation universelle et le décri général où sont tombées les pauvres vieilles femmes. J'en
connais qui n'osent pas s'habiller raisonnablement de peur que les enfans 11e leur jettent des
pierres quand elles descendent de voiture à la porte des églises, ce qui serait encore pire
que de les coudoyer «t de leur marcher sur les pieds dans les salons. Tant il y a qu'on est
bien malheureuse d'être une vieille femme par le temps qui court, et que je ne m'en con-
solerai jamais !
Onne saurait avoir mieux dépeinlla maréchale de Luxembourg que ne l'a fait Mmc de F
dans son joli roman d'E de R , et son mérite est suivant moi d'autant plus grand,
qu'elle n'avait jamais été de la société de la Maréchale, à beaucoup près. Ce n'est pas chez
son père, M. Filleul, ni chez son beau-père, Labillarderie, qu'elle aura pu trouver le type
du meilleur goût dans le plus grand monde, qu'elle a deviné sans l'avoir connu, et l'on a
beau me répéter que c'est une femme d'esprit, la chose ne m'en paraît pas moins ' inex-
plicable.
On disait autrefois que les hommes de très-bonne compagnie perdaient quelquefois la
finesse de leur tact et le ton de la cour, quand ils avaient des habitudes prolongées avec des
femmes d'un'ordre inférieur, et l'on disait que ces mêmes femmes acquéraient souvent l'u-
sage du grand monde avec les bonnes manières et le bon goût qu'on avait laissé tomber dans
leur société, ce qui faisait, du moins, que le bon goût perdu ne l'était pas pour tout le
monde; mais 011 disait aussi que tout cela n'était qu'un vernis pour la décoration, qu'en y
regardant de proche ou long-temps, ou voyait pointer sous les repeints les couleurs de l'an-
cien tableau, et qu'à la moindre contradiction, par exemple, il arrivait des explosions de
paroles, avec un déluge de faits et gestes, et quelquefois des actes vindicatifs qui parais-
' saient d'une vulgarité surprenante!...'C'est une sorte d'observations que je n'ai pas été à
lieu de vérifier, mais quant à cette perfection dans les manières qui se trouvait quelquefois
partagée entre les plus grandes dames et quelques femmes de la condition la plus inférieure,
il me semble que c'est uue transition toute naturelle pour arriver de la Blaréchale Duchesse
de Montmorency-Luxembourg à M" 0 Quinault, chez qui ma grand'mère, qui n'était pas
moins grande dame que Mmc de Luxembourg, ne manqua pas de me mener faire une visite
de noces, avec un ton d'égards et de solennité'polie qui coulait de source, et qu'on aurait
bien cle la peine à simuler aujourd'hui. Voilà, vous en conviendrez, une belle période. J'ai
cru n'en pas finir, et ma plume en est hors d'halqine (1) !
Biais, à propos des Montmorency, je ne vous avais pas dit tout ce que j'en avais sur le coeur,
et, pendant que je les tiens par les cheveux, je veux vous enraconter quelque chose encore, de
peur de l'oublier. BIme la vicomtesse de L.... s'avisa de vouloir un jour singer sa défunte cousine
de Luxembourg, et voilà qu'elle écrivit le billet suivant au Maréchal de Ségur, qui était pour
lors ministre de la guerre, et qui ne voulait pas confier le commandement d'un régiment au
fils de Mmc la Vicomtesse : « Je ne sais, Monseigneur, si vous avez lu l'histoire cle notre mai-
» son, mais vous y verriez qu'il était plus facile autrefois à un Montmorency d'avoir l'épée
» de connétable, que d'obtenir aujourd'hui des épaulettes de colonel, etc. » Le Maréchal de
Ségur lui répondit bien à propos qu'il avait lu l'histoire de France, et qu'il en concluait que
MM. de Montmorency avaient toujours été traités suivant leur mérite. On se moqua joli-
ment de cette outrecuidante personne, avec sa rabâcherie des connétables et son histoire des
Montmorency, par M. des Ormeaux.
MUe Quinault, ou plutôt Quinaut, suivant la prosodie française, était une vieille fille qui
vivait d'une pension sur la cassette, et qui descendait du fameux Quinaut des satires et de
l'Opéra. Tout le monde savait qu'elle avait débuté sur le même théâtre; mais il était convenu
que personne ne devait s'en souvenir ou s'en tenir pour assuré, et qu'il fallait toujours rom-
pre les chiens quand le vent du cor de chasse allait donner de ce côté-là. On convenait qu'elle
avait été l'intime amie du Duc de Nevers, lequel était Mancini, le neveu du Cardinal Ma-
zarin, et le père du vieux Duc cle Nivernais d'aujourd'hui : vous voyez que Mlle Quinaut ne
datait pas de la veille. On disait qu'elle avait été fort jolie; mais ce qui la rendait non pareille
était une intelligence du monde avec un esprit de conduite incomparables. Il s'était trouvé
que MUc Quinaut n'aimait pas l'argent, et qu'elle aimait par-dessus tout ce qu'on appellerait
(1 ) Je vous avais déjà dit que mes grands parens étaient morts avant l'époque de mon entrée dans
!e monde ; ainsi, toutes les fois que je vous parle de ma grand'mère, il est question de Julie-Thérèse
Grimaldi des Princes de Salerne et de Monaco, Marquise douairière de Froulay. Je crois vous avoir
déjà prévenu que j'avais pris l'habitude de l'appeler ma grand'mère, quoi qu'elle ne fût que la deuxième
f.-mme de monaïeuï, Philippe-Charles, Marquis de Froulay, de Moniflaux et de Gàtines-les-Sept-
Tours. En outre, elle aurait toujours été ma proche parente, car elle était nièce du Maréchal de Tessé
qui était le chef de ma famille, et dont la mère était l'héritière de cette grande maison de Beaumanoir
bois ton sang, qui descendait de ce fameux héros breton de la bataille des Trente. La grand-mère du
Maréchal était la belle et fameuse Marie d'Escoubleau de Sourdis de Montlùcy laquelle était fille' du
Marquis d'Alluye et de Jeanne de Foix, Princesse de Chabannais et de Carmaing. Excusez-nous du
peu, s'il vous plaît, comme aurait dit Mmo de Luxembourg, en s'inclinànt.
René III, Sire de Froulay, Comte de Tessé, Marquis d'Ambrières, de Ghâteauneuf, de Beauma-
noir et de Lavardin, Vicomte de Beaumont, dèTrans etdeNogent, Châtelain de Varnye, Baron
d'Aulnay, Lessart, Fresnoy-sur-Sarlhe et autres lieux, Grand d'Espagne de la première classe, Bue
Romain, Noble Génois et premier Baron du Maine, Maréchal et Grand Fauconnier de France /Co-
lonel-Général des Dragons, Général des Galères de France et Chevalier des ordres du Roi, Chevalier
de l'ordre insigne de la Toison-d'Or et de l'ordre royal de Saint-Jacques-porte-Glaive, grand'eroix de
l'ordre militaire et hospitalier de Saint-Jean de Jérusalem de Malte, Conseiller du Roi en tous ses con-
seils , son ancien Ambassadeur auprès du Saint-Siège Apostolique, et Grand Écuyer de la Reine, est
mort en 1725, au couvent des Camaldules, où il s'4tait retiré depuis plusieurs années. Il avait le Ré- ,
gent, la régence et surtout la cour du Régent en abomination! Iine sortit de sa retraite que pour as-
sister au sacre du Roi Louis XV, où il eut l'honneur de porter sa main de justice! H est fort inutile de :
^ réfuter ici plusieurs mensonges dont cet envieux et venimeux Duc de Saint-Simon s'est rendu coupable
: envers lé Maréchal de Tessé, qui n'en était pas moins un grand capitaine, ainsi qu'un des plus ver- v
fueux et des plus illustres personnages de leur temps. . (N'oie de Madame de Créquy.)
aujourd'hui là supériorité d'ans les relations. Elle avait ajusté ses flûtes et dressé toutêsses.
batteries de manière à se, trouver en rapport de société permanente, et sur un pied d'égalité
quasi-complète, avec Aes sommités socïales'de son temps, les plus escarpées et les plus ina-
bordables pour une personne comme elle. On ne savait pas comment elle avait pu faire son
compte; mais toujours est-il.qu'elle avait obtenu le collier deISaint-Micliel avec une pension
considérable, etpuis qu'elle avait obtenu un logement superbe, au Louvre, dans l'apparte-
ment de l'Infante, et sur lé jardin, du côté delà Seine; en plein midi, pour qu'il n'y man-
quât rien. Toujours est-il aussi que de proche en proche, et depuis le vieux Duc de Nevers
jusqu'à M">e la Comtesse de Toulouse et M. le Duc de.Pénthièvre, qui fdrzikient l'assem-
blage éminent de toutes les vertus cardinales, et qui distillaient la dignité là plus officielle,
toutee qu'il y avait déplus puissant, de plus illustre à. la cour et de plus considérable à la
ville, àcommencer par le grand baiic du parlement et à finir parle Doyen des Maîtres des
Comptes, tout cela, dis-jé, arrivait à tour de rôle et rëvérencieusemënt dans le salon de
MUe Quinaut,. qui avait le bon esprit de ne vouloir jamais sortir, de chez elle, et, qui vous
disait humblement qu'elle ne prenait la liberté de faire de visites à personne; mais n'y par-
venait pas qui. voulait, dans les salons dé l'Infante ? Et la fameuse Blmc d'Epinay, par exem-
ple, avait eu bien dé là peihe à trouver quelqu'un dans sa société qui fût assez en crédit pour
la faire arriver jusqu'à Mllc. Quinaut ! Enfin les choses étaient arrivées à ce point de pérfec- ' .
-tiori, qu'on n'aurait pas voulu manquer à lui présenter les nouvelles mariées dontle roi, sa
famille et les princes du sang royal avaient signé les contrats, privilège qu'elle ne partageait
qu'avec l'Archevêque, le Gouverneur de Paris et Mme l'Abbesse de Saint-Antoine, qui était
une Princesse de Condé. On voit que ce n'est pas seulement d'aujourd'hui qu'il s'est trouvé
des femmes exclusivement et continuellement occupées à se procurer une sorte de consis-
tance factice et d'importance empruntée, telle que Mme de Montesson, par exemple.
Nous trouvâmes donc MUe Quinaut bien assise et bien établie sous ses voûtes royales,
Superbement dorées et peintes,
Ainsi qu'au Louvre il appartient,
'comme dit Scarron. Elle était en habit de damas noir «t blanc, patee que la cour était en
demi-deuil, et sa robe était sur un grand panier ; elle avait bon air et bonne grâce autant
qu'il est possible, mais elle n'avait pas de rouge comme nous autres, et c'est ici qu'aurait
commencé le ridicule avec l'usurpation. J'ai déjà dit que MUe "Quinaut était décorée de l'ordre
de Saint-Michel : c'était à raison d'un superbe motet qu'elle avait composé pour la chapelle
de la Reine, et c'était, je crois bien, la première femme à qui l'on eût donné le cordon noir,
'dont on a gratifié depuis Mmc Saint-Dberty quand elle a épousé le Comte d'Entragues. Quand
nous entrâmes chez MUc Quinaut, elle s'y trouvait côte à côte avec -M. le Duc de Pénthièvre,
qui était le petit-fils de Louis XIV, ainsi que vous savez; avec la Duchesse-douairière de
Bouillon, la Princesse de Soubise et sa soeur la Landgrave de Hesse, Mlle de Vertus, le Vi-
dame de Vassé, le Grand-Prieur d'Auvergne, le Comte d'Estaing, le Marquis de Créqùy,
mon beau-père; enfin tous les illustres de Mmo du Deffand; et tous les mirliflors de l'hôtel
de la Reynière n'auraient paru que du fretin, en comparaison de tous les obélisques de
haute noblesse et tous les faisceaux de puissant crédit que nous trouvâmes établis autour de
MUe Quinaut.-
Il fout vous dire que Mademoiselle de Vertus était une vieille Princesse de la maison de
Bretagne, et, je crois, la dernière de sa maison, avec laquelle nous étions brouillés "pour je
ne sais quel procès qu'elle avait soutenu contre nous avec le Marquis de la Grange, qui était
son neveu, et le plus endiablé chicaneur de la terre (1). Voilà tout ce que j'ai su jamais de
ce procès-là; mais tant il y a que nous trouvant brouillés, je n'avais jamais vu Mademoiselle
de Vertus, pas plus que Mlle Quinaut, et que je les pris l'une pour l'autre, ce dont il arriva
le quiproquo le mieux conditionné. J'attaquai d'abord de conversation Mademoiselle de Ver-
tus, auprès de qui j'étais assise, à qui je fis toutes sortes de gracieusetés, et qui répondit à
mes politesses avec un air surpris et touché, car c'était une excellente et sainte personne ; et
pendant ce temps-là, ma grand'mère, qui conversait avec la Dame au cordon noir, que je
prenais pour quelque Chanoinesse de Remiremont, me regardait avec un air d'inquiétude
extraordinaire, et elle me dit eu nous en allant qu'elle n'avait pas douté que je ne fusse de-
venue folle.
Mademoiselle de Vertus m'ayant trouvée si bien disposée pour elle, ne douta pas que je
méritasse une marque de son bon souvenir : nous étions parentes, et l'on me dit qu'elle s'at-
tendait à recevoir ma visite; mais elle mourut à la peine au bout de quatre ou cinq' mois,
après avoir eu l'attention d'ajouter à son testament un codicile, au moyen duquel il vint I
tomber subito dans ma petite cassette une somme de quarante mille francs en beaux louis |
d'or, et cela parce que j'avais pris Mademoiselle Anne de Bretagne, Comtesse de Vertus et j
Pair de France, pour BÏUp Quinaut, simple chevalier de l'ordre du Roi. Je vous ai dit quel
était le chiffre cle ma pension, ainsi vous pouvez jugez des félicitations que je m'adressai !
pour avoir été si prévenante et si bonne parente à mon insu ! Enfin, comme il faut tâcher de i
tirer quelque moralité de toute chose, vous pourrez juger aussi qu'autrefois, quand on avait
été bien polie, ce n'était pas toujours en pure perte, du moins !
A propos de cadeaux imprévus, de générosités singulières, et de Mlle Quinaut, je vous
dirai que long-temps après ceci, la Maréchale de Mirepoix, qui recevait toujours et ne don-
nait janiais rien (2), me montra pourtant un superbe cachet qu'elle avait fait faire pour celte
demoiselle, et qu'elle allait lui envoyer pour étrennes. — Comment donc, lui dis-je, un ca-
chet armorié pour M"e Quinaut ? — Et pourquoi donc pas, mon coeur, me dit la Blaréchale
avec un sérieux imperturbable ; Mllc Quinaut n'est-elle pas fille de condition? son grand'père
avait été anobli par le feu Roi. On voit passer aujourd'hui dans toutes les rues des armoiries
à couronne de Comte et de Baron, qui ne valent pas- mieux que les siennes, et, du reste,
c'est le président de Sérigny qui me les a fait blasonner d'après son registre. — Et l'Opéra ?
lui répoudis-je? —Ah ! l'Opéra.... n'en parlez donc pas; on dirait que vous êtes méchante.
Et, du reste, on ne déroge pas à la noblesse en jouant à l'Opéra. BI. Le Bloine, ajouta-t-elle
en souriant, BI. Le Bloine, Ecuyer, Sieur de Chassé et premier chanteur à l'Académie
(•1) François-Joseph Le Lieure (ou Le Lièvre, comme on l'écrit à présent), Marquis de la Grange-
le-Roy, de Fourilles et d'Atiilly, lieutenant-général, commandant des Mousquetaires delà garde du Roi
Louis XV, etc. Il était
ser à l'enregistrement du Concordat avec LéonX, en dépit du Pape et du-Roi, ce qui n'aboutit qu'à
l'empêcher d'être Chancelier de France. C'est une des familles les plus immensément riches du royaume,
et c'est-une famille dé la plus vieille robe, ce dont il résultait toujours que tous les présidens et conseillers
des anciennes familles duParlement étaient obligés de se récuser et de s'abstenir de siéger sur les fleurs-
de-lis. quand on jugeait ses procès. Les plus minimes et les plus nouveaux dans la magistrature avaient
la vanité d'imiter en. cela "Nosseigneurs dugrand banc ; c'était le bel air du Parlement de Paris, et il n'y
avait si mince conseiller des requêtes ou des enquêtes qui ne montrât la prétention de se faire récuser
comme parent, toutes les ibis qu'on avait à juger un procès du Marquis, de la Grange, ce qui ne man-
quait pas d'arriver souvent. Il avait épousé Mademoiselle de Méliand, qui était notre parente et dont le
grand-père avait été le successeur de mon père dans ses deux ambassades de Suisse et de Venise. La
Présidente de Méliand de Choisy. femme de cet ambassadeur, était Mademoiselle Bossuet, nièce de
l'Évêque de Meaux, et nous disions qu'elle tenait beaucoup moins de l'aigle que de l'oie. Comme nous
sommes restés tout-à-fait brouillés par suite de nos procès pour la succession des Comtes de Vertus et
de la Princesse dé Gourtehay, je ne sais pas si le Marquis de la Grange existe encore.
(Noie de Madame de Créquy.)
L'auteur de ces mémoires a commis ici, contre son ordinaire, une légère inexactitude, car d'après
l'Histoire des grands officiers de la Couronne, le Marquis de la Grange ne pouvait pas être le neveu et
devait être le cousin-germain de Mademoiselle de Vertus, laquelle était fille d'Anne Judith Le Lieure
de la Grange, fille du Président Thomas Le. Lieure, marquis de la Grange et de Fourilles, aïeul du-
dit François-Joseph dont parle Madame de Créquy. Il est mort à Paris en 1808, âgé de 82 ans. 11 était
le père du lieutenant-général Marquis de la Grange, ancien commandant des Mousquetaires, dont les
journaux viennent de nous annoncer la mort, et dont le fils aîné, M. le Comté Edouard, de la-Grange,
est un des fondateurs et des collaborateurs les plus distingués de l'Europe littéraire.
■".-.■■■ ■'•>.,.■■. . .',■'■"..■■ .■.'.." ;{Note de l'Editeur.) :' -'-
: (2) Marguerite de Beauyau-Craon, veuve dé Jacques Henry de Lorraine, Prince de Lixin, remariée
eh 1739 à Gaston deLévis etLômagne, Maréchal-Duc de Mirepoix, ambassadeur en Angleterre, etc.
Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 96.1%.
En savoir plus sur l'OCR
En savoir plus sur l'OCR
Le texte affiché peut comporter un certain nombre d'erreurs. En effet, le mode texte de ce document a été généré de façon automatique par un programme de reconnaissance optique de caractères (OCR). Le taux de reconnaissance estimé pour ce document est de 96.1%.
- Auteurs similaires Hénard Robert Hénard Robert /services/engine/search/sru?operation=searchRetrieve&version=1.2&maximumRecords=50&collapsing=true&exactSearch=true&query=(dc.creator adj "Hénard Robert" or dc.contributor adj "Hénard Robert")Aspects du vieux Paris / 50 eaux-fortes originales de Pierre Desbois ; préface de Lucien Descaves, de l'Académie de Goncourt ; texte de Robert Hénard /ark:/12148/bpt6k1528097q.highres Aspects du vieux Paris / 50 eaux-fortes originales de Pierre Desbois ; préface de Funck-Brentano ; textes de Robert Henard /ark:/12148/bpt6k1528099j.highres
-
-
Page
chiffre de pagination vue 3/4
- Recherche dans le document Recherche dans le document https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/search/ark:/12148/bpt6k54417424/f3.image ×
Recherche dans le document
- Partage et envoi par courriel Partage et envoi par courriel https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/share/ark:/12148/bpt6k54417424/f3.image
- Téléchargement / impression Téléchargement / impression https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/download/ark:/12148/bpt6k54417424/f3.image
- Mise en scène Mise en scène ×
Mise en scène
Créer facilement :
- Marque-page Marque-page https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/bookmark/ark:/12148/bpt6k54417424/f3.image ×
Gérer son espace personnel
Ajouter ce document
Ajouter/Voir ses marque-pages
Mes sélections ()Titre - Acheter une reproduction Acheter une reproduction https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/pa-ecommerce/ark:/12148/bpt6k54417424
- Acheter le livre complet Acheter le livre complet https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/indisponible/achat/ark:/12148/bpt6k54417424
- Signalement d'anomalie Signalement d'anomalie https://sindbadbnf.libanswers.com/widget_standalone.php?la_widget_id=7142
- Aide Aide https://gallica.bnf.fr/services/ajax/action/aide/ark:/12148/bpt6k54417424/f3.image × Aide
Facebook
Twitter
Pinterest