LE CLERGÉ MODÈLE D'APRÈS UNE IDÉE DE 1830. 37
clame le père de tous et qu'il se fasse tout à tous. Il faut qu'il
connaisse « ses brebis », comme le Bon Pasteur son modèle.
M. de Lamartine ne l'entend pas ainsi. Le prêtre dont il a fait
l'intermédiaire du pauvre et du riche, le consolateur universel,
le « conseil de tous les actes solennels de la vie civile », est un
solitaire. « Retiré dans son humble presbytère, à l'ombre de son
église, il doit en sortir rarement. Il lui est permis d'avoir une
vigne, un jardin, un verger, quelquefois un petit champ, et de
les cultiver de ses propres mains, d'y nourrir quelques animaux
domestiques, déplaisir ou d'utilité, la vache, la chèvre, des
brebis, le pigeon, des oiseaux chantants, le chien surtout, ce
meuble vivant du foyer, cet ami de ceux qui sont oubliés du
monde, et qui pourtant ont besoin d'être aimés par quelqu'un ! »
Vous pensez si cet homme, retranché de la société, vivant, comme
une vieille fille dévote, entre ses prières, « ses oiseaux chantants »
et son chien, va acquérir de l'expérience et inspirer de la con-
fiance! Sa situation vis-à-vis du public non croyant sera celle
d'un petit l'entier original, d'un sorcier, d'un être à part; on
pourra lui dire avec toute apparence de raison : « Homme
noir, d'où sortez-vous? » Les fables les plus ridicules seront accré-
ditées à son sujet, parce qu'il sort trop complètement du cadre
de la vie ordinaire, et qu'il est entouré de mystère; enfin l'ima-
gination populaire, toujours superstitieuse, lui attribuera un
pouvoir occulte ; elle se détournera de lui comme d'un individu
dangereux, et souvent malfaisant, qui attire la grêle et la gelée,
qui fait pleuvoir, et avec lequel il est prudent de se mettre bien,
pour éviter sa vengeance. Je n'invente rien, et je vois d'ici vingt
paysans de moi connus, qui vont à la messe quand ils en ont le
temps, et qui pensent ainsi.
Cette attitude du clergé se comprendrait encore dans un pays
absolument chrétien, où toutes les familles, animées d'une foi
profonde, seraient préservées par elle des préjugés que je viens
de dire. On pourrait alors imaginer théoriquement un curé so-
litaire, à la porte duquel chacun viendrait frapper pour l'admi-
nistration des sacrements, que tout le monde écouterait le di-
manche au prône, auquel sa vie retirée permettrait cependant
