l'ÉVOLUTION DES ÉTUDES JURIDIQUES. 103
conditions d'existence, de ses causes, de son milieu, de ses effets,
de ses conséquences. On l'étudié nue, et même on l'étudié
morte, sorte de squelette logique (11, dépouillée de sa chair,
des organes de relation qiù faisaient sa vie.
Scientifiquement, on ne démontrera pas qu'en n'étudiant que
l'une des faces d'un phénomène, face isolée des autres faces, on
puisse jamais arriver à expliquer le phénomène, à en saisir
l'esprit (2).
Pratiquement donc on n'aboutira pas, pour les mêmes raisons, à
tirer des seules dispositions législatives, des seuls travaux prépa-
ratoires tous les éléments nécessairesà l'interprétation juridique.
L'interprétation n'a pas, en effet, pour seul but de déduire logi-
quement de principes généraux, inscrits au texte, mille règles
secondaires en vue de l'application à une infinité de cas parti-
culiers. Son but est aussi d'éclairer ces principes eux-mêmes, d'en
rechercher l'esprit, afin de déterminer la portée de la loi pour
une quantité de cas douteux. Il est, en effet, des cas prévus par la
loi, mais exclus par son esprit : cessante ratione legis, cessât eji/s
dispositio ; il est aussi des cas non prévus parla loi, mais auxquels
l'esprit de la loi permet de l'étendre : ubi eadem ratio legis, etc.
L'esprit de la loi prévaut donc sur son texte, en tant qu'il s'a-
git d'en mesurer toute la portée : l'esprit de la loi est la racine
de ce qu'on appelle l'extension analogique.
D'ailleurs l'interprétation doit se laisser dominer par l'esprit
delà loi, pour une raison péremptoire : c'est qu'un texte, conclu-
sion tardive de toute une période de conflits, de tâtonnements et
d'essais de réglementation en fait de ces conflits, n'est jamais
qu'une satisfaction retardée, donnée au besoin social ; ce texte,
à, peine formulé et imposé, se fixe, en harmonie peut-être suffi-
(1) Cf. sur ce point, notamment Ihering, Esprit du Droit romain, trad., I. I, p. 33
et passim, et surtout t. IV, pp. 308 à 314. te lecteur y verra comment l'éminent
juriste y apprécie « l'illusion de la dialectique juridique »,... « l'illusion logique »...
— « C'est méconnaître l'essence même du droit, que de vouloir, au nom de la lo
« gique, faire de la jurisprudence la mathématique du droit. La vie ne doit passe plier
« aux principes, ce sont les principes qui doivent se modeler sur la vie. » (p. 310.
D'autres auteurs prodiguent des réflexions analogues ; il serait trop long de les citer)
(2) Montesquieu, dans son Esprit des lois, l'a tenté; mais notre collaborateur
M. de Bousiers a démontré remarquablement à quel point il avait échoué dans cette
tâche. Voyez Science sociale, t. IV, pp. 273, 275, 279, 280, etc..
