Titre : Le Gaulois : littéraire et politique
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1920-08-14
Contributeur : Pène, Henri de (1830-1888). Directeur de publication
Contributeur : Tarbé des Sablons, Edmond Joseph Louis (1838-1900). Directeur de publication
Contributeur : Meyer, Arthur (1844-1924). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32779904b
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 14 août 1920 14 août 1920
Description : 1920/08/14 (Numéro 45652). 1920/08/14 (Numéro 45652).
Description : Note : supplément littéraire pages 3 et 4. Note : supplément littéraire pages 3 et 4.
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k5384175
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 20/03/2008
RÉDACTION
aDfcîfaiSTlUTION
Rue DRoeot, Paris
Çe supplément ne doit pas
être vendu, à part. Il est
délivré, sans augmentation
de prix, à tout acheteur et
envoyé gratuitement à tous
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quotidien.
RÉDACTION
ADMINISTRATION
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Une "Nouvelle"
de Gaisworthy
Un maître écrivain de l'Angleterre
contemporaine est en train de se révéler
au public français. Il y a sept ans déjà
que, dans la Revue des Deux Mondes,
une subtile et enthousiaste étude de M.
André Ghevrillon, nous annonçait Gals-
worthy. Les années de tourmente ont
passé depuis sans que l'oeuvre du grand
romancier nous ait été rendue plus acces-
sible. Enfin, la Revue llebdomadaire
vient de publier La 'Fleur sombre, la
Revue dcs Deux Mondes nous promet
Le Manoir et les éditions de la Sirène,
pour l'automne, Le Propriétaire. Ces
deux dernières œuvres sont d'un iro-
niste. Les étroitesses de l'esprit de
classe, les naïvetés ou les cruelles éner-
gies de l'égoïsme individuel, l'œil du
romancier les perçoit dans leurs plus
inconscientes manifestations, son intel-
ligence les conditionne sa main les
retrace avec une finesse et une exacti-
tude anatomiques. La vision Concrète
du dehors et du dedans des personnages
si nombreux, si variés (il y a vingt
portraits rien que dans Le Propriétairc)
ne saurait aller plus loin. Rien n'est
omis de ces menus caractères qui font
un être cohérent, solide et particulier.
Et pourtant,'vus dans un tel'détail, avec
une telle acuité, expliqués et justifiés si
complètement, ces personnages sont vus
de très loin. Non pas du point de vue de
où toute chose humaine apparaît
exotique, irrationnelle et futile mais du
point de vue de Brahma peut-être, avec
le sentiment permanent de ce qu'il y a
d'illusoire dans l'existence individuelle
et une défiance profonde, un sarcasme
pressant à l'égard de tout ce que l'hom-
me a inventé pour la solidifier.
Galsworthy est un poète panthéiste
il coule un flot lyrique sous son ironie.
Même dans ses oeuvres les plus réticen-
tes et en apparence les plus détachées,
on le voit affleurer çà et là. Tel chapitre
du Propriétaire (cette patiente et presque
toujours impassible satire de la riche
bourgeoisie de Londres) fait penser à
ces portes hermétiques d'un four d'usi-
ne la flamme qui glisse dans les rai-
nures. les encadre d'une frange hale-
tante. Cette flamme que le poète perçoit
sous les apparences, elle est pour lui la
vérité même, la force créatrice, l'amour
et l'objet de l'amour. Elle brûle l'indi-
vidu, l'être sépare, solide, avec toutes
ses singularités héréditaires, toutes les
empreintes de la caste et de l'éducation.
Elle le mêle à la nature. L'être qui a
connu cette extatique délivrance, cette
révélation de ce qui est par delà le moi,
ne peut plus s'intéresser tout à fait aux
événements et aux tâches de sa vie par-
ticulière. L'ennui l'accompagne un
sourd désir, qui parfois à dix ans, à
vingt ans do distance, éclate en une
crise de fièvre, et de soif. C'est une* chose
inutile, capricieuse, par moments dévo-
rante que l'on, porte en soi, à qui l'amour
même n'offre qu'un repos éphémère et
qui ne peut se fixer que dans l'art. La
révivàscence d'un de ces étranges souve-
nirs panthétistes, dans une vie grise, au
bout de vingt-six ans, tel est le sujet de
l'admirable nouvelle dont le Gaulois
commencera demain la publication.
Voilà un ménage qui célèbre ses non-
ces d argent par un voyage en automo-
bile. On s'arrête, pour une halte, au mi-
lieu de la journée. La femme ouvre sa
boîte d'aquarelle le mari, avec lu pré-
texte d'un Euripide de poche, va s'éten-
dre et rêver sur la lande. Peu à peu, il
reconnaît autour de lui un paysage où il
a vécu autrefois quelques jours. C'est
là que jeune homme, libre de souci, en-
tre l'Université d'où il sortait et la car-
rière qui ne l'avait pas encore pris,
plongé par, le hasard d'un accident de
voyage en plein milieu rural, il a aimé
une petite paysanne galloise, une jeune
fille, toute passion et innocente, pareille
aux fleurs qui s'ouvraient alors dans le
verger. C'est là qu'il s'est quitté lui-
mêmes, pour adhérer au mouvement di-
vin du printemps. A-t-il aimé vraiment
cette petite Megan, la nuit qu'elle lui ap-
parut sous le pommier, « sa forme son>
bre se confondant avec le petit arbre,
son blanc visage avec les fleurs Non,
il a cessé, seulement d'être lui, et la na-
ture l'a envahi, soulevé, il lui est de-
venw perméable et obéissant. L'amour,
de Megan en lui, c'est le printemps qui
entre, et il l'a aimée sans l'avoir choisie,
comme roule la terre, comme monte la
sève.
L'extase est brève, la société est forte
contre la nature elle retrouve cet enfant
qu'elle avait perdu quelques jours elle
le reprend quand il croit n'avoir pas
comtois encore un mal irréparable. Ce
n'est pas un elfe ou un faune, c'est un
jeune Anglais honnête, simple, limité;
elle l'encadre, le fixe, utilise ses instinets
dans un raisonnable mariage. Et voilà
qu'à l'automne d'une longue et sage vie
conjugale, le magique souvenir renaît
avec le poison de ses parfums. Les lac-
Leurs de La Fleur sombre savent, quel
est l'art de M. Galsworthy pour peindre
la beauté déchirante de ce qui nous fuit.
Ils le retrouveront ici, dans sa perfec-
tion. Quel poète nous a versé le breuvage
d'une plus brûlante mélancolie ? Et quel
artiste, regardant frémir les ailes d'une
heure extatique, en a mieux fixé la hâte
inexorable et la palpitation ?
Camille Mayran
A VERSAILLES
SONNETS D'ÉTÉ
A Henri de Régnier.
Poète évocateur de la Cité des Eaux,
Ami dont mon esprit subit le noble empire,
Je veux que ces sonnets où Versailles respire
Aillent à voùs, ainsi qu'un léger vol d'oiseaux.
Déjà vos rimes d'or, dans leurs subtils réseaux,
Ont capté les splendeurs de ce parc où soupire
Le soir, en un décor qu'eût envié Shakespeare,
La voix du passé mort pleurant dans les roseaux.
Sans doute est-il hardi, lorsque vous les chantâtes,
De chanter à mon tour les grâces délicates
De ces lieux où le Rêve épouse la Beauté;
Songez, pour excuser ma trop grande assurance,
Que Versailles détient l'honneur incontesté
De toujours inspirer les poètes de France.
S'ils avaient pris Paris.
S'ils avaient pris Paris en leurs rudes filets,
Ils comptaient aussitôt se ruer sur Versailles,
Et, sous le faux aspect de justes représailles,
Anéantir le parc et brûler le palais.
De prestes avions, surchargés de boulets,
De torpilles, d'obus formidables mitrailles
Que la mort à pleins bras jeta dans les batailles-
Auraient, sur ces splendeurs, passé, sombres et
[laids.
Mais un dieu protecteur de l'Art et de la Grâce
Arrêta brusquement l'activité vorace
Des pirates de l'air prêts à tout saccager;
Ils ont fui, maudissant la fortune rebelle;
Et Versailles nous montre, au sortir du danger,
Sa noblesse plus noble et sa beauté plus belle!
Gloire nouvelle
Ce fut toujours ta tâche avec grâce accomplie,
Versailles, de prêter ton décor merveilleux
A tant d'événements sombres ou glorieux
Dont l'histoire de notre pays est remplie.
En toi, le souvenir des jours tristes s'allie
Au souvenir des jours élégants et joyeux,
Et dans ton parc, au pied d'un groupe harmonieux,
La Gaîté tend la main à la Mélancolie.
Aujourd'hui, ton superbe et solennel décor
Devient plus solennel et plus superbe encor
Il s'emplit de clartés et de splendeurs nouvelles:
Car c'est sur ton château que par un jour d'été
Vint se poser la Paix, colombe aux blanches ailes,
Volant dans la terreur d'un ciel ensanglanté.
IV
La Maison glorieuse
Près du grand parc plein d'ombre et de solennité,
Boulevard de la Reine, aux portes de la ville,
La petite maison sans éclat et sans style
Sous le ciel bleu sommeille avec sérénité.
De modestes fusains ornent chaque côté
De l'escalier qui mène à l'étroit péristyle;
Et l'on voit tournoyer, dans le jardin tranquille,
Un vol de papillons, mouvantes fleurs d'été.
Saluons en passant cette maison naïve!
Alors qu'il préparait la suprême offensive,
Le sauveur du pays, le grand Foch, l'habita:
Sur l'obscure demeure il jeta de la gloire,
Et l'un de ces rayons glorieux s'incrusta
En ces murs ignorés jusqu'alors sans histoire.
Jacques Normand
Versaitles, août 1920.
lie Pèlerinage
de Port-Royal
La société des « Promenades Conféren-
ces n a brillamment terminé son année par
un ·· pèlerinage » à Port-Royal-des-Champs,
que dirigeait, avec toute son autorité et
commentait avec tout le charme de sa pa-
role, M. André Hallays.
La première halte se fit dans le charmant
salon de l'ancien presbytère de Saint-Lam-
bert. Après avoir brièvement rappelé les
origines et la fin de Port-Royal, évoqué
les figures de quelques-unes des grandes
religieuses et esquissé la physionomie des
principaux « Messieurs n, M. A. Hallays
dit
La vallée que vous venez de suivre, le
paysage que vous avez sous les yeux
sont les mêmes que contemplèrent les
religieuses et les solitaires, les mêmes
où médita Pascal, les mêmes où la jeune
imagination de Racine s'enivrait des
aventures de Theagène et de Chariclée.
Il est pourtant difficile de les reconnaî-
tre dans les peintures que nous en a
laissées le dix-iseptièms siècle.
Nous sommes émerveillés de la fraîche
verdure des taillis qui revêtent la pente
des coltines, de la grâce des coteaux, du
sourire de cette nature, riche et modeste,
qui, à chaque printemps, semble pren-
dre joyeusement sa revanche des dévas-
tations accomplies il y a deux siècles.
Et cependant, tous ceux qui jadis pas-
saient ici emportaient dans leur mémoire
l'image d'un site sauvage, presque tra-
gique. « C'est un vallon ajfreux, propre
à faire son. salut écrivait Mme de
Sévigné. Revenant du même pèlerinage,
de jeunes bourgeoises de Paris racon-
taient que « le monastère est situé dans
un fond, entouré de prodigieuses mot-
tagnes ». Dans toutes les descriptions,
le mot qui revient le plus souvent est
celui de Thébmde, c'est-à-dire d'une
solitude, lointaine, africaine et rocheuse,
où des anachorètes vivent de racines au
fond des grottes. Et on avait si bien
coutume de nommer Port-Royal une
« Thébaïde », qu'un annaliste du cou-
vent commit, un jour, une déplorable t
confusion. Comme il voulait conter la
vie de Racine et énumérait les seuls
ouvrages du poète qu'un bon janséniste
avait le droit de connaître Esther,
Athalie, Les Cantiques spiriluels, il
n'hésitait pas à y joindre la Thébaïde,
convaincu que ce titre devait être celui
d'un poème sur la solitude de Port-
Si nos impressions différent à ce
point de celles de nos ancêtres, c'est
sans doute que les abords de Port-Royal
étaient mal commodes au temps de
Louis XIV et éveillaient dans les imagi-
nations des pensées terrifiantes. On ne
parvenait ici que par des chemins
effroyables où les attelages renâclaient
et les voitures s'embourbaient. Nul vil-
lage, nulle habitation à proximité du
couvent. Tout à l'heure, en venant de
Saint-Lambert, vous avez pu aperce-
voir une sorte d'immense villa de
bains de mer qu'un architecte, saris
doute moliaziste, a plantée au seuil du
vallon elle n'était pas à cette place, je
vous assure, quand Racine chantait
Port-Royal et les « demeures du
silence ».
Puis, si le paysage est pareil, nos
goûts ont bien changé. Nous avons subi
les prestiges du romantisme. Nous nous
sommes engoués des « sublimes hor-
reurs » de la nature. Nous avons, pour
notre plaisir, parcouru des vallons au-
trement affreux, escaladé des monta-
gnes autrement prodigieuses et lorsque
nous revenons ici, dans cette campagne
modérée, nous la trouvons douce, dis-
crète et charmante.
Est-ce à dire que les Messieurs de
Port-Royal furent insensibles aux beau-
tés de leur retraite ? A la religieuse pen-
sée qui les jetait dans la solitude, ne se
mêlait-il pas un secret désir de contem-
pler plus librement les merveilles do la
terre et du ciel ?,
M. Hamon, ce solitaire pieux et naïf,
aimait les bois de Port-Royal. Il a même
fait confidence de ses « petites rêveries »
à' l'un de ses amis. Ecoutez ce jansé-
niste attendri qui, d'ailleurs, n'a rien
d'un poète romantique
« J'étais hier seul à mon ordinaire
dans le parc qui est à présent aussi soli-
taire que les déserts de la Thébaïde
(toujours la Thébaïde) j'y allais, comme
je vous dis, pour me défaire de moi t-t
pour m'abandonner aux premiers ob-
jets qui se présentaient à mon esprit.
Comme je m'étais, cac.hé dans lue, bois
et ne pouvais rien voir que des arbres,
je n'eus point aussi d'autre conversa-
tion. J'allai m'asseoir sur un siège qui
est encore du temps passé et qui était
encore couvert de mousse cela me fit
souvenir de ce verset des Lamentations
Vise Sion lugent. (Les routes de Sion
sont pleines de larmes). Mais comme je
n'étais pas en humeur de faire le procès
à personne, et que, je n'avais pas le cou-
rage de me le faire à moi-même, j'ar-
rêtai mes yeux sur ce siège et non pas
sur ceux qui l'y avaient fait "mettre je
remarquais, en le voyant, que des plan-
tes que l'on arrose tous les jours sè-
chent dans les meilleures terres et que
cependant il venait quelque chose jus-
que sur ce bois sec. Il me sembla que
tout cela me condamnait et que c'était
avec grande raison que l'arbre stérile
était condamné au feu, n'ayant point de
bonne excuse de ce qu'on ne porte pas
de fruit, en quelque lieu que ce puisse
être, quand on a été planté de la main
de Dieu même. »
Et cette autre « rêverie », d'un tour
tout franciscain
« Etant assis sur ce banc, j'avais de-
vant moi un pauvre châtaignier qui
avait été planté là afin de faire une es-
pèce d'encoignure et d'être là non pas
comme une pierre, mais comme un arbre
angulaire, pour servir de commence-
ment à une allée et de fin à une autre
mais les arbres qui étaient derrière,
étant trop grands, l'avaient empêché de
croître suffisamment ce qui est beau,
c'est que la nature qui fait toujours
bien ce qu'elle fait, comme dit notre Ilip-
pocrate (M. Hamon était médecin) et
qui est savante et admirable jusque dans
les choses insensibles, avait porté toutes
les branches de ce pauvre arbre du côté
du soleil et d'où lui venait la vie il est
visible qu'il fuyait cette ombre mor-
telle de toute sa force. Je trouvai les
arbres des forêts plus sages que les
hommes. »
Chacun écoute et entend à sa manière
les voix de la nature. C'est une illusion
de croire que les hommes dtt dix-3ep-
tième siècle, même jansénistes, -na-
raient l'attrait des champs et des bois.
La Mère Agnès disait, il est vrai
Tout le plaisir qu'on prend dans les
choses visibles diminue d'autant la vie
de la grâce. » Et c'était la pure doctrine
du jansénisme mais cet excellent M.
Hamon, qui ne vivait pas enfermé entre-
les quatre murs d'un monastère, savait
très bien que, sans diminuer en lui la
vie de la Grâce, un chrétien peut con-
templer les œuvres die. Dieu, interroger
les mousses et les arbres des bois.
La pure doctrine du jansénisme, les
religieuses l'appliquèrent dans la cons-
truction et l'aménagement de leurs mai-
sons. L'ascétisme était la loi de leur vie
pénitente. Toute beauté leur semblait
une ennemie sournoise, armée contre le
salut du chrétien. L'art ne pouvait donc
être à leurs yeux que .pièges et embû-
ches. Un jour, le même M. Hamon fai-
sait observer à la Mère Angélique qu'un
des bâtiments du monastère présentait
un aspect irrégulier et que les fenêtres
du second étage n'avaient aucune pro-
portion à celles du premier Mon
Dieu que j'aime cela dit l'abbesse
que si l'on n'est pas dans la, pauvreté,
que du moins on en conserve l'image »
En cela, les religieuses de Port-Royal
se montraient scrupuleusement fidèles à
la tradition de leur ordre. Elles étaient
filles de saint Bernard, qui a tonné .con-
tre le luxe des églises et des monastères.
C'était l'esprit cistercien qui avait ins-
piré leurs constitutif*
La lettre en fut rigoureusement obser-
vén quand fut édifié le monastère de
Paris et quand fut restauré le monastère
des Champs.
André Hallays
REMARQUES
Par une faiblesse qui est spéciale aux hommes
d'Etat, c'est presque toujours à l'heure où ils
sont le plus fatigués qu'ils se croient le plus
nécessaires.
Un allié qui se pose en arbitre risque de trahir
à la fois son allié et son ennemi.
Ce qui fait le vrai danger de la femme
méchante, c'est qu'elle est capable, devant ceux
qui ne la connaissent qu'à demi, de grimacer
la bonté.
Puisqu'il est presque impossible à un écrivain
d'apprécier le moment exact où il devrait prendre
sa retraite, l'auteur arrivé à une situation litté-
raire, agit avec dignité en cessant d'écrire trop
tôt: car, en littérature plus encore qu'en amour,
mieux vaut la certitude d'être regretté que la
crainte d'être indifférent.
Au fond, ce qu'on nomme la paix est un état
général dans lequel les divers peuples sont domi-
nés par celui d'entre eux qui est le plus capable
de faire la guerre. Ainsi, même en plein calme,
la guerre est le grand ressort interne de la paix
comme le cœur continue de battre dans la
poitrine de l'homme endormi.
En amour, on devient de plus en plus miso-
gyne, à mesure qu'on a de moins en moins à
se faire pardonner.
Le succès, quel qu'il soit, a toujours son expli-
cation. Et il est parfaitement sot de la mécon-
naître. La vérité, c'est qu'il y a des succès qu'on
ne voudrait pas avoir.
A
Il est des femmes toujours présentes, toujours
en éveil et toujours dirigeantes, qui croient faire
de leur mari un époux heureux et n'en font qu'un
enfant martyr.
le*
Dans les tractations de la politique internatio-
nale, une nation exclusivement commerçante se
salit plus volontiers les mains: l'argent qui les
remplit lui cache la souillure.
et
Si le syndicalisme vient s'étendre aux métiers
où ne règne pas la lourde égalité manuelle et qui
reposent avant tout sur la personnalité de l'indi-
vidu, les syndicalistes seront, en général, les
ratés de la profession ou bien ceux qui, tout
en y réussissant, n'y obtiennent pourtant pas le
genre de réussite qu'ils avaient rêvé.
Sans s'en douter, beaucoup de citadins aiment
le séjour à la campagne à partir d'un certain
âge parce que le temps y paraît très long. Ils
se donnent ainsi l'impression qu'ils approchent
.moins vite de la mort.
C'est un devoir élémentaire et très doux
que d'aimer tous les anciens combattants:
mais il n'est pas défendu de préférer ceux qui
sont bien élevés.
A
En politique, la conviction compte pour si
peu de chose qu'on lance l'insulte à l'homme
qui abandonne un parti dont il ne partage plus
les idées et qu'on tient pour parfaitement hono-
rable celui qui reste fidèle à un parti qu'il désap-
prouve.
Souvent, la modestie n'est que de la- vanité
qui prend par le plus long.
Le point faible de beaucoup de femmes, c'est
qu'elles emploient le même genre d'habileté avec
les hommes à qui elles sont indifférentes qu'avec
les hommes à qui elles plaisent.
Albert Guinon
On rencontre presque toujours, dans
la carrière des bons écrivains, un pas-
sage privilégié où leurs dons s'affermis-
sent et raffolent du plein jour. Les faux
pas du début et leur ardeur, l'enthou-
siasme inquiet de la découverte, dispa-
raissent devant quelque choix de plein
et d'aisé, de satisfait, de nécessaire. Je
chantais, mes amàs, comme l'homme
respire. Les Tharaud peuvent répéter
ce beau vers de Lamartine il convient
éminemment à ce stade de possession
paisible où nous les trouvons engagés
depuis La Maîtresse servante, Ravaillac,
La Bataille c'est-à-dire depuis
une dizaine d'années.
lla guerre a fait un coude ôu, pour
mieux dire, un noeud dans leur crois-
sance. Plus libérale pour d'autres, pour
un Giraudoux par exemple, qui lui doit
pour beaucoup les étonnantes imageries
de L'Adorable Clio, la guerre des tran-
chées n'a inspiré aux Tharaud que cette
Relève, où leur virtuosité sommeille et
fait la moue. Rabat ou les Heures maro-
caines marque élégamment la reprise.
Marrakech ou les Seiqneurs de l'atlas
les réinstalle en maîtres dans ce royau-
me aux couleurs calmes et fortes, aux
proportions justes, aux gestes lents et
sûrs, aux horizons apaisés, aux détails
rêveurs, .graves, précieux et qui parti-
cipent de l'immense.
Dans Marrakech, nous retrouvons à la'
fois la floraison sobre et dense, qui
signala jadis aux Concourt ce Dingley
qui tient ses promesses, la discipline
retorse et fiévreuse de cette Maîtresse
servante, dont Barrés goûta la science
et l'exacte' psychologie, la symphonie
lumineuse de La Fête Arabe, ce sens de
la nature large et coulante, si remar-
quable dans La Bataille à Scutari,
enfin cette philosophie ouverte et maî-
tresse de contemplateurs en éveil, qui
les' accompagne dans tous leurs mouve-
ments et dont tant de pages, dans L'Om-
bre de la Croix, portent la marque,
tout cela fondu, résistant, attrayant
comme une éternelle aventure.
C'est le propre, en effet, des frères
Tharaud de transporter au bout de tous
leurs regards cette puissance et cette
jouissance du découvreur, qui confère à
lcr sensation qu'ils détiennent encore par
devers eux je veux dire que notre
lecteur n'a pas encore atteinte une
supériorité ineffable sur le charme
qu'ils viennent de nous procurer et qui
lui-même l'emportait en plénitude sur
l'agrément qui venait avant lui. Cette
gradation capiteuso de la curiosité jus-
qu'au comble de la satisfaction, les Tha-
raud y excellent et no s'en lassent ja-
mais.
A quoi tient-elle ? Pourquoi restons-
nous suspendus, avec eux, de proche en
proche, dans l'attente d'on ne sait quoi
de désirable ? Pourquoi cette action re-
posée, qui est la leur, nous garde-t-eUe
haletants et le regard lié au panorama
qu'ils font savamment bouger devant
nous ? En d'autres termes, comment ex-
pliquer qu'un récit nous entraîne à sa
suite par la certitude crue du nouveau
un nouveau passionnant s'y pro-
duit à chaque pas, comme dans ces es-
caliers automatiques où des dents invi-
sibles s'emparent du mécanisme et nous
font monter dans les hauteurs ?
Passe encore s'il s'agit d'une combi-
naison à péripéties, où le rebondisse-
ment des choses autorise l'agacement de
l'intérêt, mais ces grands espaces sim-
ples où les Tharaud nous promènent,
-comment comprendre qu'ils soient en
même temps le domaine de la surprise ?
Prenez Marrakech. Rien n'y prétend
à l'embûche et dès le premier tournant
nous sommes captifs captifs de cette
automobile impérieuse et organisatrice
du général Lyautey, qui glisse, monte
et descend par les forêts de cèdres cy-
clopéens captifs do ces postes solitaires,
plantés comme un clou de possession au
sommet des cols captifs de ce palais
des fées où Ba Ahmed consuma son or-
gueil captifs de cette u place folle
où Marrakech la rouge divague et roule
dans un soleil qui, nour mieux vous
mordre, se fait brouillard et poussière 1
captifs de ce ghetto visqueux de crasse
et grouillant de ferveur, mélange de
Sganarelle et d'Absalon, captifs de ces
gigantesques féodaux, dont un Saint-
Simon ne dépeindrait pas mieux l'éclat
ou la décrépitude, ces féodaux du ving-
tième siècle, aux passions éternelles
comme la vie, qui font çà et là dans ce
Maroc très ancien des taches plus an-
ciennes captifs de ces tambourins, de
,ces fous, de ces tombeaux, où, dans des
ciselures de rêve, se dessèche tant de
luxure, de sang et d'or. Pourquoi tout
cela nous ravit-il ? Pourquoi la moindre
phrase nous enjoint-e'le de ne la quitter,
tous rouges de plaisir, que pour courir
plus vite après la nhrase qui vient ?
Pourquoi ces images qui se succèdent se
passent-elles notre âme à la' file, de
main en main, comme un fruit qu'on
savoure et qu'on veut savourer encore ?
Il ne suffit pas de savoir que leurs
descriptions parlent et remuent, qu'on
n'oublie pas ce que les 'l'haraud ont
révélé le castel du Glaoui, la réception
du rabbin, la mort d'Abd-el- Malek, au-
tant de scènes qui s'incorporent à notre
acquit littérairé et perfectionnent notre
façon de voir beau. Il y a plus.
Au fond, que réclame-t-on d'un des-
criptif ? Qu'il nous mette en présence de
la nature, le mot étant pris, dans un
sens large. Cela revient à scruter le pro-
blème de la connaissance littéraire des
choses et de leur appropriation par la
sensibilité esthétique. On espère du des-
criptif qu'il nous rende prochain et
intime un monde lointain, déconcertant,
étranger. Chacun a sa méthode celle
des Tharaud, plus saisissables dans des
ouvrages où leurs forces d'épanouisse-
ment se manifestent dans tous les sens,
comme Marrakech, La Fêle arabe, Ra·
vaillac, comporte deux temps, semble-
t-il..
D'abord, ils réduisent le spectacle
informe qui leur est donné en un tableau
que discipline l'intelligence la plus sé-
vère, imposant à la matière qui s'offre
à. foison un centre et des bouts, un haut
et un. bas, un visage, une fin, une espèce
de but et d'origine.
Et ce qui nous intéresse par dessus
tout, sans que nous nous en rendions
toujours nettement compte, c'est bien,
chez les Tharaud, cet effort de réduc-
tion à l'unité et à l'intelligible, qui s'ef-
fectue par l'intermédiaire de gestes obs-
curs, dont nous souhaitons le succès,
parce qu'ils symbolisent le travail su-
prême de l'intelligence en action. Dans
Marrakech, on longe de la sorte une
vingtaine de ces fresques immenses,
dont l'Atlas énorme bouche le fond et
qu'un Daniel Halévy compare à des De-
lacroix. Lisez, de ce point de vue, « les
deux casbah rivales ».
Mais il reste à meubler ces dessins
d'ensemble, à les égayer, à réaliser, pour
chaque détail, un 'progrès d'absorption
analogue à celui qui donna figure au
premier chaos. Cette seconde tâche, les
Tharaud y pourvoient par la comparai-
son, qui, chez eux, remplit un rôle vital.
C'est elle qui confère supérieurement à
leurs tableaux de 'élasticité, de la pro-
fondeur et du jour.
Un autre avantage de cette méthode,
c'est d'évoquer, en marge de la sensa-
tion, une multitude de tableautins acces-
soires, qui exercent leur variété, leur
agrément, leurs facultés infinies de tra-
duction et d'appropriation au profit de
notre intérêt. Avec quelle fantaisie ne
nous transportent-ils pas de l'inconnu au
connu, en prêtant, pur commencer,
leur forme à ce qui n'a pas encore de
forme reçue, et qui en cherche, en je-
tant sous nos pas, entre nous et l'objet
sauvage, leur joli fropt de fleurs fami-
lières, en apprivoisant nos sens et nos
âmes sous leur caresse. Chaque ligne et
ainsi doublée de significations multi-
ples, qu,i errent doucement autour du
sujet principal, lui créant une perspec-
tive interne stupéfiante. Non seulement
la scène à rendre s'est isolée, par la
vertu de la comparaison, et a fait image,
non seulement elle s'est. assimilée aux
'courbures et aux prismes de notre es-
prit, mais encore, sur un second plan
mystérieux s'érigent, grâce à elle, des
analogies esthétiques qui font tableau à
leur tour et acquièrent une valeur inex-
primablo à travers la distance mentale
qui les poétise. Je songe à ce grand cè-
dre qu'on abat, mais qu'on abandonne
« Alors le blanc cadavre reste allongé
sur place, et sa base charbonneuse, tou-
jours enracinée dans la terre, semble
un gros cierge funèbre qui s'est éieint
près de lui. » A la dernière limite, on.
aperçoit un Jean-Paul Laurens troi-
sième et dernier plan de l'enrichissement
intellectuel.
Il y aurait encore beaucoup à dire et
sur les Tharaud et sur Marrakech. Livre
de poésie, c'est aussi un livre d'histoire,
une source que l'on consultera. De hau-
tes leçons politiques v dorment, comme
une eau bleue dans un paysage'de. Hen-
ner. Mais cela, c'est une autre avenue,
trop peuplée et trop vaste. Contentons-
nous de marquer ici notre joie de trou-
ver, dans leur plein jeu, de très grands
artistes. Qui donc, sur leur terrain, ose-
rait défier les Tharaud ?
René Johannet
L'AVERTISSEMENT
PAR MUo LUCIE PAUL-MARGUERITTE
Je ne suis pas peureuse, déclara
Mme Noisette, dont l'aspect vigoureux,
une santé robuste et un esprit sain con-
firmaient ces paroles. J'ai prouvé plus
d'une fois que je n'étais pas nerveuse.
Je ne crains pas les embûches de la rue
et, souvent, par des rues obscures et
désertes, j'ai regagné, à la nuit, mon
pavillon d'Auteuil. Il m'est arrivé d'y
demeurer sans domestique, seule absolu-
ment, et je n'en ai pas moins bien dormi.
Et pourtant, une fois, j'ai connu la peur.
» C'était à Viroflay. Mon mari y avait
loué une maison à la lisière du bois, une
grande maison banale et confortable,
entourée d'un affreux jardin de banlieue
sans arbres, ceint d'un mur bas et d'un
grillage insuffisant. C'était la dernière
maison du village d'un côté, la forêt
de l'autre, iL cinquante mètres, une pe-
titre bicoque inhabitée, toute mystérieuse
avec ses volets clos et son jardin à
l'abandon. Ma villa ne me fut pas sym-
pathique et je reprochai à mon mari de
l'avoir si hâtivement choisie. Y passer
tout l'été ne me souriait guère, mais
comme, au début de juin, la chaleur
était écrasante, nous décidâmes de nous.
y installer. Juliette, ma femme de cham-
bre, une brune alerte et délurée, qui,
comme on dit, « ne craint pas sa peine »,
m'accompagna. La cuisinière, auprès
de sa mère malade, et mon mari, en pro-
vince pour affaires, échappèrent, désin-
voltes, à cette corvée qu'est un emména,
gement.
A midi, les « tapissières » arrivaient,
à cinq heures tout était déchargé et plus
ou moins en place. Exhubérants d'avoir
vidé quelques litres de vin et satisfaits
de leur gratification, les hommes se reti-
rèrent sur cette offre ongageante
A votre service, madame, quand le
cœur vous en dira.
Je protestais, éreintée de fatigue, me
jurant de ne plus affronter pareille
aventure. Les voitures disparurent au
tournant de la route, je demeurai avec
Juliette, seules dans cette demeure étran-
gère, où dans le désordre et l'inachevé
des chambres traînait la paille, où s'en-
tassaient, pêle-mêle, parmi les objets de
cuisine, des vases précieux, où des traces
de pas salissaient les parquets, où les
meubles, dépaysés, paraissaient s'éton-
ner d'être là et, craquant de tout leur
poids, s'interrogeaient et réclamaient
sans doute la double épaisseur de tapis
sur laquelle, à Paris, s'enfonçaient leurs
pieds délicats.
Infatigable, Juliette déballait les cor-
beilles, accrochait la batterie de cuisine
et rangeait le linge. Vers sept heures,
elle ouvrit quelques boîtes de conserve
et dressa sur la table un dîner sommaire.
Je n'avais pas faim et n'aspirais qu'à me
mettre au lit, mais je m'attablais, docile.
La salle à manger avait vue sur la rue.
Juliette tout à coup s'approcha de la
fenêtre un vagabond affreux, hirsute,
dépenaillé, observait curieusement 18
maison, les mains agrippées aux bar*
reaux de la grille.
En voilà un qui ne se gêne guère,
gronda Juliette.
La curiosité de l'homme était, en
effet, manifeste, mais son vêtement de
misère me le fit prendre en pitié et je
priai Juliette de lui porter quelque au-
mône.
Elle descendit le perron en grognant ;î
Madame est bien bonne.
A ce moment, l'individu nous vit,
tressaillit et, peureux, s'éloigna vive-
ment en hissant sur son épaule un sac
de toile. Nulle rumeur, sauf, dans le
silence, un bruit sourd et précipité de
pas qui s'éloignent. Cet incident nous fit
sentir notre abandon.
-La maison est bien isolée, remar-
qua la jeune bonne en jetant autour
d'elle un regard inquiet.
Avant qu'on pût, en cas d'alerte, nous
porter secours, des malfaiteurs auraient
eu le temps d'accomplir leur forfait. En-
tendrait-on seulement les cris de deux
femmes appelant à l'aide? Juliette pré-
tendait que non, j'affirmais que. si, tout
en étant de son avis. Dans ces pensées
peu rassurantes, je montai à ma cham-
bre. Juliette dressa son lit à côté de moi,
dans le cabinet de toilette.. Pour la pre-
mière fois de ma vie, avant de me glis-
ser dans les draps, 'j'inspectais les pla-
cards et me baissais tour regarder sous
le lit. L'électricité n'était *-as encore ins-
tallée et tout paraît étrange à la lueur
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Rue DRoeot, Paris
Çe supplément ne doit pas
être vendu, à part. Il est
délivré, sans augmentation
de prix, à tout acheteur et
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quotidien.
Une "Nouvelle"
de Gaisworthy
Un maître écrivain de l'Angleterre
contemporaine est en train de se révéler
au public français. Il y a sept ans déjà
que, dans la Revue des Deux Mondes,
une subtile et enthousiaste étude de M.
André Ghevrillon, nous annonçait Gals-
worthy. Les années de tourmente ont
passé depuis sans que l'oeuvre du grand
romancier nous ait été rendue plus acces-
sible. Enfin, la Revue llebdomadaire
vient de publier La 'Fleur sombre, la
Revue dcs Deux Mondes nous promet
Le Manoir et les éditions de la Sirène,
pour l'automne, Le Propriétaire. Ces
deux dernières œuvres sont d'un iro-
niste. Les étroitesses de l'esprit de
classe, les naïvetés ou les cruelles éner-
gies de l'égoïsme individuel, l'œil du
romancier les perçoit dans leurs plus
inconscientes manifestations, son intel-
ligence les conditionne sa main les
retrace avec une finesse et une exacti-
tude anatomiques. La vision Concrète
du dehors et du dedans des personnages
si nombreux, si variés (il y a vingt
portraits rien que dans Le Propriétairc)
ne saurait aller plus loin. Rien n'est
omis de ces menus caractères qui font
un être cohérent, solide et particulier.
Et pourtant,'vus dans un tel'détail, avec
une telle acuité, expliqués et justifiés si
complètement, ces personnages sont vus
de très loin. Non pas du point de vue de
où toute chose humaine apparaît
exotique, irrationnelle et futile mais du
point de vue de Brahma peut-être, avec
le sentiment permanent de ce qu'il y a
d'illusoire dans l'existence individuelle
et une défiance profonde, un sarcasme
pressant à l'égard de tout ce que l'hom-
me a inventé pour la solidifier.
Galsworthy est un poète panthéiste
il coule un flot lyrique sous son ironie.
Même dans ses oeuvres les plus réticen-
tes et en apparence les plus détachées,
on le voit affleurer çà et là. Tel chapitre
du Propriétaire (cette patiente et presque
toujours impassible satire de la riche
bourgeoisie de Londres) fait penser à
ces portes hermétiques d'un four d'usi-
ne la flamme qui glisse dans les rai-
nures. les encadre d'une frange hale-
tante. Cette flamme que le poète perçoit
sous les apparences, elle est pour lui la
vérité même, la force créatrice, l'amour
et l'objet de l'amour. Elle brûle l'indi-
vidu, l'être sépare, solide, avec toutes
ses singularités héréditaires, toutes les
empreintes de la caste et de l'éducation.
Elle le mêle à la nature. L'être qui a
connu cette extatique délivrance, cette
révélation de ce qui est par delà le moi,
ne peut plus s'intéresser tout à fait aux
événements et aux tâches de sa vie par-
ticulière. L'ennui l'accompagne un
sourd désir, qui parfois à dix ans, à
vingt ans do distance, éclate en une
crise de fièvre, et de soif. C'est une* chose
inutile, capricieuse, par moments dévo-
rante que l'on, porte en soi, à qui l'amour
même n'offre qu'un repos éphémère et
qui ne peut se fixer que dans l'art. La
révivàscence d'un de ces étranges souve-
nirs panthétistes, dans une vie grise, au
bout de vingt-six ans, tel est le sujet de
l'admirable nouvelle dont le Gaulois
commencera demain la publication.
Voilà un ménage qui célèbre ses non-
ces d argent par un voyage en automo-
bile. On s'arrête, pour une halte, au mi-
lieu de la journée. La femme ouvre sa
boîte d'aquarelle le mari, avec lu pré-
texte d'un Euripide de poche, va s'éten-
dre et rêver sur la lande. Peu à peu, il
reconnaît autour de lui un paysage où il
a vécu autrefois quelques jours. C'est
là que jeune homme, libre de souci, en-
tre l'Université d'où il sortait et la car-
rière qui ne l'avait pas encore pris,
plongé par, le hasard d'un accident de
voyage en plein milieu rural, il a aimé
une petite paysanne galloise, une jeune
fille, toute passion et innocente, pareille
aux fleurs qui s'ouvraient alors dans le
verger. C'est là qu'il s'est quitté lui-
mêmes, pour adhérer au mouvement di-
vin du printemps. A-t-il aimé vraiment
cette petite Megan, la nuit qu'elle lui ap-
parut sous le pommier, « sa forme son>
bre se confondant avec le petit arbre,
son blanc visage avec les fleurs Non,
il a cessé, seulement d'être lui, et la na-
ture l'a envahi, soulevé, il lui est de-
venw perméable et obéissant. L'amour,
de Megan en lui, c'est le printemps qui
entre, et il l'a aimée sans l'avoir choisie,
comme roule la terre, comme monte la
sève.
L'extase est brève, la société est forte
contre la nature elle retrouve cet enfant
qu'elle avait perdu quelques jours elle
le reprend quand il croit n'avoir pas
comtois encore un mal irréparable. Ce
n'est pas un elfe ou un faune, c'est un
jeune Anglais honnête, simple, limité;
elle l'encadre, le fixe, utilise ses instinets
dans un raisonnable mariage. Et voilà
qu'à l'automne d'une longue et sage vie
conjugale, le magique souvenir renaît
avec le poison de ses parfums. Les lac-
Leurs de La Fleur sombre savent, quel
est l'art de M. Galsworthy pour peindre
la beauté déchirante de ce qui nous fuit.
Ils le retrouveront ici, dans sa perfec-
tion. Quel poète nous a versé le breuvage
d'une plus brûlante mélancolie ? Et quel
artiste, regardant frémir les ailes d'une
heure extatique, en a mieux fixé la hâte
inexorable et la palpitation ?
Camille Mayran
A VERSAILLES
SONNETS D'ÉTÉ
A Henri de Régnier.
Poète évocateur de la Cité des Eaux,
Ami dont mon esprit subit le noble empire,
Je veux que ces sonnets où Versailles respire
Aillent à voùs, ainsi qu'un léger vol d'oiseaux.
Déjà vos rimes d'or, dans leurs subtils réseaux,
Ont capté les splendeurs de ce parc où soupire
Le soir, en un décor qu'eût envié Shakespeare,
La voix du passé mort pleurant dans les roseaux.
Sans doute est-il hardi, lorsque vous les chantâtes,
De chanter à mon tour les grâces délicates
De ces lieux où le Rêve épouse la Beauté;
Songez, pour excuser ma trop grande assurance,
Que Versailles détient l'honneur incontesté
De toujours inspirer les poètes de France.
S'ils avaient pris Paris.
S'ils avaient pris Paris en leurs rudes filets,
Ils comptaient aussitôt se ruer sur Versailles,
Et, sous le faux aspect de justes représailles,
Anéantir le parc et brûler le palais.
De prestes avions, surchargés de boulets,
De torpilles, d'obus formidables mitrailles
Que la mort à pleins bras jeta dans les batailles-
Auraient, sur ces splendeurs, passé, sombres et
[laids.
Mais un dieu protecteur de l'Art et de la Grâce
Arrêta brusquement l'activité vorace
Des pirates de l'air prêts à tout saccager;
Ils ont fui, maudissant la fortune rebelle;
Et Versailles nous montre, au sortir du danger,
Sa noblesse plus noble et sa beauté plus belle!
Gloire nouvelle
Ce fut toujours ta tâche avec grâce accomplie,
Versailles, de prêter ton décor merveilleux
A tant d'événements sombres ou glorieux
Dont l'histoire de notre pays est remplie.
En toi, le souvenir des jours tristes s'allie
Au souvenir des jours élégants et joyeux,
Et dans ton parc, au pied d'un groupe harmonieux,
La Gaîté tend la main à la Mélancolie.
Aujourd'hui, ton superbe et solennel décor
Devient plus solennel et plus superbe encor
Il s'emplit de clartés et de splendeurs nouvelles:
Car c'est sur ton château que par un jour d'été
Vint se poser la Paix, colombe aux blanches ailes,
Volant dans la terreur d'un ciel ensanglanté.
IV
La Maison glorieuse
Près du grand parc plein d'ombre et de solennité,
Boulevard de la Reine, aux portes de la ville,
La petite maison sans éclat et sans style
Sous le ciel bleu sommeille avec sérénité.
De modestes fusains ornent chaque côté
De l'escalier qui mène à l'étroit péristyle;
Et l'on voit tournoyer, dans le jardin tranquille,
Un vol de papillons, mouvantes fleurs d'été.
Saluons en passant cette maison naïve!
Alors qu'il préparait la suprême offensive,
Le sauveur du pays, le grand Foch, l'habita:
Sur l'obscure demeure il jeta de la gloire,
Et l'un de ces rayons glorieux s'incrusta
En ces murs ignorés jusqu'alors sans histoire.
Jacques Normand
Versaitles, août 1920.
lie Pèlerinage
de Port-Royal
La société des « Promenades Conféren-
ces n a brillamment terminé son année par
un ·· pèlerinage » à Port-Royal-des-Champs,
que dirigeait, avec toute son autorité et
commentait avec tout le charme de sa pa-
role, M. André Hallays.
La première halte se fit dans le charmant
salon de l'ancien presbytère de Saint-Lam-
bert. Après avoir brièvement rappelé les
origines et la fin de Port-Royal, évoqué
les figures de quelques-unes des grandes
religieuses et esquissé la physionomie des
principaux « Messieurs n, M. A. Hallays
dit
La vallée que vous venez de suivre, le
paysage que vous avez sous les yeux
sont les mêmes que contemplèrent les
religieuses et les solitaires, les mêmes
où médita Pascal, les mêmes où la jeune
imagination de Racine s'enivrait des
aventures de Theagène et de Chariclée.
Il est pourtant difficile de les reconnaî-
tre dans les peintures que nous en a
laissées le dix-iseptièms siècle.
Nous sommes émerveillés de la fraîche
verdure des taillis qui revêtent la pente
des coltines, de la grâce des coteaux, du
sourire de cette nature, riche et modeste,
qui, à chaque printemps, semble pren-
dre joyeusement sa revanche des dévas-
tations accomplies il y a deux siècles.
Et cependant, tous ceux qui jadis pas-
saient ici emportaient dans leur mémoire
l'image d'un site sauvage, presque tra-
gique. « C'est un vallon ajfreux, propre
à faire son. salut écrivait Mme de
Sévigné. Revenant du même pèlerinage,
de jeunes bourgeoises de Paris racon-
taient que « le monastère est situé dans
un fond, entouré de prodigieuses mot-
tagnes ». Dans toutes les descriptions,
le mot qui revient le plus souvent est
celui de Thébmde, c'est-à-dire d'une
solitude, lointaine, africaine et rocheuse,
où des anachorètes vivent de racines au
fond des grottes. Et on avait si bien
coutume de nommer Port-Royal une
« Thébaïde », qu'un annaliste du cou-
vent commit, un jour, une déplorable t
confusion. Comme il voulait conter la
vie de Racine et énumérait les seuls
ouvrages du poète qu'un bon janséniste
avait le droit de connaître Esther,
Athalie, Les Cantiques spiriluels, il
n'hésitait pas à y joindre la Thébaïde,
convaincu que ce titre devait être celui
d'un poème sur la solitude de Port-
Si nos impressions différent à ce
point de celles de nos ancêtres, c'est
sans doute que les abords de Port-Royal
étaient mal commodes au temps de
Louis XIV et éveillaient dans les imagi-
nations des pensées terrifiantes. On ne
parvenait ici que par des chemins
effroyables où les attelages renâclaient
et les voitures s'embourbaient. Nul vil-
lage, nulle habitation à proximité du
couvent. Tout à l'heure, en venant de
Saint-Lambert, vous avez pu aperce-
voir une sorte d'immense villa de
bains de mer qu'un architecte, saris
doute moliaziste, a plantée au seuil du
vallon elle n'était pas à cette place, je
vous assure, quand Racine chantait
Port-Royal et les « demeures du
silence ».
Puis, si le paysage est pareil, nos
goûts ont bien changé. Nous avons subi
les prestiges du romantisme. Nous nous
sommes engoués des « sublimes hor-
reurs » de la nature. Nous avons, pour
notre plaisir, parcouru des vallons au-
trement affreux, escaladé des monta-
gnes autrement prodigieuses et lorsque
nous revenons ici, dans cette campagne
modérée, nous la trouvons douce, dis-
crète et charmante.
Est-ce à dire que les Messieurs de
Port-Royal furent insensibles aux beau-
tés de leur retraite ? A la religieuse pen-
sée qui les jetait dans la solitude, ne se
mêlait-il pas un secret désir de contem-
pler plus librement les merveilles do la
terre et du ciel ?,
M. Hamon, ce solitaire pieux et naïf,
aimait les bois de Port-Royal. Il a même
fait confidence de ses « petites rêveries »
à' l'un de ses amis. Ecoutez ce jansé-
niste attendri qui, d'ailleurs, n'a rien
d'un poète romantique
« J'étais hier seul à mon ordinaire
dans le parc qui est à présent aussi soli-
taire que les déserts de la Thébaïde
(toujours la Thébaïde) j'y allais, comme
je vous dis, pour me défaire de moi t-t
pour m'abandonner aux premiers ob-
jets qui se présentaient à mon esprit.
Comme je m'étais, cac.hé dans lue, bois
et ne pouvais rien voir que des arbres,
je n'eus point aussi d'autre conversa-
tion. J'allai m'asseoir sur un siège qui
est encore du temps passé et qui était
encore couvert de mousse cela me fit
souvenir de ce verset des Lamentations
Vise Sion lugent. (Les routes de Sion
sont pleines de larmes). Mais comme je
n'étais pas en humeur de faire le procès
à personne, et que, je n'avais pas le cou-
rage de me le faire à moi-même, j'ar-
rêtai mes yeux sur ce siège et non pas
sur ceux qui l'y avaient fait "mettre je
remarquais, en le voyant, que des plan-
tes que l'on arrose tous les jours sè-
chent dans les meilleures terres et que
cependant il venait quelque chose jus-
que sur ce bois sec. Il me sembla que
tout cela me condamnait et que c'était
avec grande raison que l'arbre stérile
était condamné au feu, n'ayant point de
bonne excuse de ce qu'on ne porte pas
de fruit, en quelque lieu que ce puisse
être, quand on a été planté de la main
de Dieu même. »
Et cette autre « rêverie », d'un tour
tout franciscain
« Etant assis sur ce banc, j'avais de-
vant moi un pauvre châtaignier qui
avait été planté là afin de faire une es-
pèce d'encoignure et d'être là non pas
comme une pierre, mais comme un arbre
angulaire, pour servir de commence-
ment à une allée et de fin à une autre
mais les arbres qui étaient derrière,
étant trop grands, l'avaient empêché de
croître suffisamment ce qui est beau,
c'est que la nature qui fait toujours
bien ce qu'elle fait, comme dit notre Ilip-
pocrate (M. Hamon était médecin) et
qui est savante et admirable jusque dans
les choses insensibles, avait porté toutes
les branches de ce pauvre arbre du côté
du soleil et d'où lui venait la vie il est
visible qu'il fuyait cette ombre mor-
telle de toute sa force. Je trouvai les
arbres des forêts plus sages que les
hommes. »
Chacun écoute et entend à sa manière
les voix de la nature. C'est une illusion
de croire que les hommes dtt dix-3ep-
tième siècle, même jansénistes, -na-
raient l'attrait des champs et des bois.
La Mère Agnès disait, il est vrai
Tout le plaisir qu'on prend dans les
choses visibles diminue d'autant la vie
de la grâce. » Et c'était la pure doctrine
du jansénisme mais cet excellent M.
Hamon, qui ne vivait pas enfermé entre-
les quatre murs d'un monastère, savait
très bien que, sans diminuer en lui la
vie de la Grâce, un chrétien peut con-
templer les œuvres die. Dieu, interroger
les mousses et les arbres des bois.
La pure doctrine du jansénisme, les
religieuses l'appliquèrent dans la cons-
truction et l'aménagement de leurs mai-
sons. L'ascétisme était la loi de leur vie
pénitente. Toute beauté leur semblait
une ennemie sournoise, armée contre le
salut du chrétien. L'art ne pouvait donc
être à leurs yeux que .pièges et embû-
ches. Un jour, le même M. Hamon fai-
sait observer à la Mère Angélique qu'un
des bâtiments du monastère présentait
un aspect irrégulier et que les fenêtres
du second étage n'avaient aucune pro-
portion à celles du premier Mon
Dieu que j'aime cela dit l'abbesse
que si l'on n'est pas dans la, pauvreté,
que du moins on en conserve l'image »
En cela, les religieuses de Port-Royal
se montraient scrupuleusement fidèles à
la tradition de leur ordre. Elles étaient
filles de saint Bernard, qui a tonné .con-
tre le luxe des églises et des monastères.
C'était l'esprit cistercien qui avait ins-
piré leurs constitutif*
La lettre en fut rigoureusement obser-
vén quand fut édifié le monastère de
Paris et quand fut restauré le monastère
des Champs.
André Hallays
REMARQUES
Par une faiblesse qui est spéciale aux hommes
d'Etat, c'est presque toujours à l'heure où ils
sont le plus fatigués qu'ils se croient le plus
nécessaires.
Un allié qui se pose en arbitre risque de trahir
à la fois son allié et son ennemi.
Ce qui fait le vrai danger de la femme
méchante, c'est qu'elle est capable, devant ceux
qui ne la connaissent qu'à demi, de grimacer
la bonté.
Puisqu'il est presque impossible à un écrivain
d'apprécier le moment exact où il devrait prendre
sa retraite, l'auteur arrivé à une situation litté-
raire, agit avec dignité en cessant d'écrire trop
tôt: car, en littérature plus encore qu'en amour,
mieux vaut la certitude d'être regretté que la
crainte d'être indifférent.
Au fond, ce qu'on nomme la paix est un état
général dans lequel les divers peuples sont domi-
nés par celui d'entre eux qui est le plus capable
de faire la guerre. Ainsi, même en plein calme,
la guerre est le grand ressort interne de la paix
comme le cœur continue de battre dans la
poitrine de l'homme endormi.
En amour, on devient de plus en plus miso-
gyne, à mesure qu'on a de moins en moins à
se faire pardonner.
Le succès, quel qu'il soit, a toujours son expli-
cation. Et il est parfaitement sot de la mécon-
naître. La vérité, c'est qu'il y a des succès qu'on
ne voudrait pas avoir.
A
Il est des femmes toujours présentes, toujours
en éveil et toujours dirigeantes, qui croient faire
de leur mari un époux heureux et n'en font qu'un
enfant martyr.
le*
Dans les tractations de la politique internatio-
nale, une nation exclusivement commerçante se
salit plus volontiers les mains: l'argent qui les
remplit lui cache la souillure.
et
Si le syndicalisme vient s'étendre aux métiers
où ne règne pas la lourde égalité manuelle et qui
reposent avant tout sur la personnalité de l'indi-
vidu, les syndicalistes seront, en général, les
ratés de la profession ou bien ceux qui, tout
en y réussissant, n'y obtiennent pourtant pas le
genre de réussite qu'ils avaient rêvé.
Sans s'en douter, beaucoup de citadins aiment
le séjour à la campagne à partir d'un certain
âge parce que le temps y paraît très long. Ils
se donnent ainsi l'impression qu'ils approchent
.moins vite de la mort.
C'est un devoir élémentaire et très doux
que d'aimer tous les anciens combattants:
mais il n'est pas défendu de préférer ceux qui
sont bien élevés.
A
En politique, la conviction compte pour si
peu de chose qu'on lance l'insulte à l'homme
qui abandonne un parti dont il ne partage plus
les idées et qu'on tient pour parfaitement hono-
rable celui qui reste fidèle à un parti qu'il désap-
prouve.
Souvent, la modestie n'est que de la- vanité
qui prend par le plus long.
Le point faible de beaucoup de femmes, c'est
qu'elles emploient le même genre d'habileté avec
les hommes à qui elles sont indifférentes qu'avec
les hommes à qui elles plaisent.
Albert Guinon
On rencontre presque toujours, dans
la carrière des bons écrivains, un pas-
sage privilégié où leurs dons s'affermis-
sent et raffolent du plein jour. Les faux
pas du début et leur ardeur, l'enthou-
siasme inquiet de la découverte, dispa-
raissent devant quelque choix de plein
et d'aisé, de satisfait, de nécessaire. Je
chantais, mes amàs, comme l'homme
respire. Les Tharaud peuvent répéter
ce beau vers de Lamartine il convient
éminemment à ce stade de possession
paisible où nous les trouvons engagés
depuis La Maîtresse servante, Ravaillac,
La Bataille c'est-à-dire depuis
une dizaine d'années.
lla guerre a fait un coude ôu, pour
mieux dire, un noeud dans leur crois-
sance. Plus libérale pour d'autres, pour
un Giraudoux par exemple, qui lui doit
pour beaucoup les étonnantes imageries
de L'Adorable Clio, la guerre des tran-
chées n'a inspiré aux Tharaud que cette
Relève, où leur virtuosité sommeille et
fait la moue. Rabat ou les Heures maro-
caines marque élégamment la reprise.
Marrakech ou les Seiqneurs de l'atlas
les réinstalle en maîtres dans ce royau-
me aux couleurs calmes et fortes, aux
proportions justes, aux gestes lents et
sûrs, aux horizons apaisés, aux détails
rêveurs, .graves, précieux et qui parti-
cipent de l'immense.
Dans Marrakech, nous retrouvons à la'
fois la floraison sobre et dense, qui
signala jadis aux Concourt ce Dingley
qui tient ses promesses, la discipline
retorse et fiévreuse de cette Maîtresse
servante, dont Barrés goûta la science
et l'exacte' psychologie, la symphonie
lumineuse de La Fête Arabe, ce sens de
la nature large et coulante, si remar-
quable dans La Bataille à Scutari,
enfin cette philosophie ouverte et maî-
tresse de contemplateurs en éveil, qui
les' accompagne dans tous leurs mouve-
ments et dont tant de pages, dans L'Om-
bre de la Croix, portent la marque,
tout cela fondu, résistant, attrayant
comme une éternelle aventure.
C'est le propre, en effet, des frères
Tharaud de transporter au bout de tous
leurs regards cette puissance et cette
jouissance du découvreur, qui confère à
lcr sensation qu'ils détiennent encore par
devers eux je veux dire que notre
lecteur n'a pas encore atteinte une
supériorité ineffable sur le charme
qu'ils viennent de nous procurer et qui
lui-même l'emportait en plénitude sur
l'agrément qui venait avant lui. Cette
gradation capiteuso de la curiosité jus-
qu'au comble de la satisfaction, les Tha-
raud y excellent et no s'en lassent ja-
mais.
A quoi tient-elle ? Pourquoi restons-
nous suspendus, avec eux, de proche en
proche, dans l'attente d'on ne sait quoi
de désirable ? Pourquoi cette action re-
posée, qui est la leur, nous garde-t-eUe
haletants et le regard lié au panorama
qu'ils font savamment bouger devant
nous ? En d'autres termes, comment ex-
pliquer qu'un récit nous entraîne à sa
suite par la certitude crue du nouveau
un nouveau passionnant s'y pro-
duit à chaque pas, comme dans ces es-
caliers automatiques où des dents invi-
sibles s'emparent du mécanisme et nous
font monter dans les hauteurs ?
Passe encore s'il s'agit d'une combi-
naison à péripéties, où le rebondisse-
ment des choses autorise l'agacement de
l'intérêt, mais ces grands espaces sim-
ples où les Tharaud nous promènent,
-comment comprendre qu'ils soient en
même temps le domaine de la surprise ?
Prenez Marrakech. Rien n'y prétend
à l'embûche et dès le premier tournant
nous sommes captifs captifs de cette
automobile impérieuse et organisatrice
du général Lyautey, qui glisse, monte
et descend par les forêts de cèdres cy-
clopéens captifs do ces postes solitaires,
plantés comme un clou de possession au
sommet des cols captifs de ce palais
des fées où Ba Ahmed consuma son or-
gueil captifs de cette u place folle
où Marrakech la rouge divague et roule
dans un soleil qui, nour mieux vous
mordre, se fait brouillard et poussière 1
captifs de ce ghetto visqueux de crasse
et grouillant de ferveur, mélange de
Sganarelle et d'Absalon, captifs de ces
gigantesques féodaux, dont un Saint-
Simon ne dépeindrait pas mieux l'éclat
ou la décrépitude, ces féodaux du ving-
tième siècle, aux passions éternelles
comme la vie, qui font çà et là dans ce
Maroc très ancien des taches plus an-
ciennes captifs de ces tambourins, de
,ces fous, de ces tombeaux, où, dans des
ciselures de rêve, se dessèche tant de
luxure, de sang et d'or. Pourquoi tout
cela nous ravit-il ? Pourquoi la moindre
phrase nous enjoint-e'le de ne la quitter,
tous rouges de plaisir, que pour courir
plus vite après la nhrase qui vient ?
Pourquoi ces images qui se succèdent se
passent-elles notre âme à la' file, de
main en main, comme un fruit qu'on
savoure et qu'on veut savourer encore ?
Il ne suffit pas de savoir que leurs
descriptions parlent et remuent, qu'on
n'oublie pas ce que les 'l'haraud ont
révélé le castel du Glaoui, la réception
du rabbin, la mort d'Abd-el- Malek, au-
tant de scènes qui s'incorporent à notre
acquit littérairé et perfectionnent notre
façon de voir beau. Il y a plus.
Au fond, que réclame-t-on d'un des-
criptif ? Qu'il nous mette en présence de
la nature, le mot étant pris, dans un
sens large. Cela revient à scruter le pro-
blème de la connaissance littéraire des
choses et de leur appropriation par la
sensibilité esthétique. On espère du des-
criptif qu'il nous rende prochain et
intime un monde lointain, déconcertant,
étranger. Chacun a sa méthode celle
des Tharaud, plus saisissables dans des
ouvrages où leurs forces d'épanouisse-
ment se manifestent dans tous les sens,
comme Marrakech, La Fêle arabe, Ra·
vaillac, comporte deux temps, semble-
t-il..
D'abord, ils réduisent le spectacle
informe qui leur est donné en un tableau
que discipline l'intelligence la plus sé-
vère, imposant à la matière qui s'offre
à. foison un centre et des bouts, un haut
et un. bas, un visage, une fin, une espèce
de but et d'origine.
Et ce qui nous intéresse par dessus
tout, sans que nous nous en rendions
toujours nettement compte, c'est bien,
chez les Tharaud, cet effort de réduc-
tion à l'unité et à l'intelligible, qui s'ef-
fectue par l'intermédiaire de gestes obs-
curs, dont nous souhaitons le succès,
parce qu'ils symbolisent le travail su-
prême de l'intelligence en action. Dans
Marrakech, on longe de la sorte une
vingtaine de ces fresques immenses,
dont l'Atlas énorme bouche le fond et
qu'un Daniel Halévy compare à des De-
lacroix. Lisez, de ce point de vue, « les
deux casbah rivales ».
Mais il reste à meubler ces dessins
d'ensemble, à les égayer, à réaliser, pour
chaque détail, un 'progrès d'absorption
analogue à celui qui donna figure au
premier chaos. Cette seconde tâche, les
Tharaud y pourvoient par la comparai-
son, qui, chez eux, remplit un rôle vital.
C'est elle qui confère supérieurement à
leurs tableaux de 'élasticité, de la pro-
fondeur et du jour.
Un autre avantage de cette méthode,
c'est d'évoquer, en marge de la sensa-
tion, une multitude de tableautins acces-
soires, qui exercent leur variété, leur
agrément, leurs facultés infinies de tra-
duction et d'appropriation au profit de
notre intérêt. Avec quelle fantaisie ne
nous transportent-ils pas de l'inconnu au
connu, en prêtant, pur commencer,
leur forme à ce qui n'a pas encore de
forme reçue, et qui en cherche, en je-
tant sous nos pas, entre nous et l'objet
sauvage, leur joli fropt de fleurs fami-
lières, en apprivoisant nos sens et nos
âmes sous leur caresse. Chaque ligne et
ainsi doublée de significations multi-
ples, qu,i errent doucement autour du
sujet principal, lui créant une perspec-
tive interne stupéfiante. Non seulement
la scène à rendre s'est isolée, par la
vertu de la comparaison, et a fait image,
non seulement elle s'est. assimilée aux
'courbures et aux prismes de notre es-
prit, mais encore, sur un second plan
mystérieux s'érigent, grâce à elle, des
analogies esthétiques qui font tableau à
leur tour et acquièrent une valeur inex-
primablo à travers la distance mentale
qui les poétise. Je songe à ce grand cè-
dre qu'on abat, mais qu'on abandonne
« Alors le blanc cadavre reste allongé
sur place, et sa base charbonneuse, tou-
jours enracinée dans la terre, semble
un gros cierge funèbre qui s'est éieint
près de lui. » A la dernière limite, on.
aperçoit un Jean-Paul Laurens troi-
sième et dernier plan de l'enrichissement
intellectuel.
Il y aurait encore beaucoup à dire et
sur les Tharaud et sur Marrakech. Livre
de poésie, c'est aussi un livre d'histoire,
une source que l'on consultera. De hau-
tes leçons politiques v dorment, comme
une eau bleue dans un paysage'de. Hen-
ner. Mais cela, c'est une autre avenue,
trop peuplée et trop vaste. Contentons-
nous de marquer ici notre joie de trou-
ver, dans leur plein jeu, de très grands
artistes. Qui donc, sur leur terrain, ose-
rait défier les Tharaud ?
René Johannet
L'AVERTISSEMENT
PAR MUo LUCIE PAUL-MARGUERITTE
Je ne suis pas peureuse, déclara
Mme Noisette, dont l'aspect vigoureux,
une santé robuste et un esprit sain con-
firmaient ces paroles. J'ai prouvé plus
d'une fois que je n'étais pas nerveuse.
Je ne crains pas les embûches de la rue
et, souvent, par des rues obscures et
désertes, j'ai regagné, à la nuit, mon
pavillon d'Auteuil. Il m'est arrivé d'y
demeurer sans domestique, seule absolu-
ment, et je n'en ai pas moins bien dormi.
Et pourtant, une fois, j'ai connu la peur.
» C'était à Viroflay. Mon mari y avait
loué une maison à la lisière du bois, une
grande maison banale et confortable,
entourée d'un affreux jardin de banlieue
sans arbres, ceint d'un mur bas et d'un
grillage insuffisant. C'était la dernière
maison du village d'un côté, la forêt
de l'autre, iL cinquante mètres, une pe-
titre bicoque inhabitée, toute mystérieuse
avec ses volets clos et son jardin à
l'abandon. Ma villa ne me fut pas sym-
pathique et je reprochai à mon mari de
l'avoir si hâtivement choisie. Y passer
tout l'été ne me souriait guère, mais
comme, au début de juin, la chaleur
était écrasante, nous décidâmes de nous.
y installer. Juliette, ma femme de cham-
bre, une brune alerte et délurée, qui,
comme on dit, « ne craint pas sa peine »,
m'accompagna. La cuisinière, auprès
de sa mère malade, et mon mari, en pro-
vince pour affaires, échappèrent, désin-
voltes, à cette corvée qu'est un emména,
gement.
A midi, les « tapissières » arrivaient,
à cinq heures tout était déchargé et plus
ou moins en place. Exhubérants d'avoir
vidé quelques litres de vin et satisfaits
de leur gratification, les hommes se reti-
rèrent sur cette offre ongageante
A votre service, madame, quand le
cœur vous en dira.
Je protestais, éreintée de fatigue, me
jurant de ne plus affronter pareille
aventure. Les voitures disparurent au
tournant de la route, je demeurai avec
Juliette, seules dans cette demeure étran-
gère, où dans le désordre et l'inachevé
des chambres traînait la paille, où s'en-
tassaient, pêle-mêle, parmi les objets de
cuisine, des vases précieux, où des traces
de pas salissaient les parquets, où les
meubles, dépaysés, paraissaient s'éton-
ner d'être là et, craquant de tout leur
poids, s'interrogeaient et réclamaient
sans doute la double épaisseur de tapis
sur laquelle, à Paris, s'enfonçaient leurs
pieds délicats.
Infatigable, Juliette déballait les cor-
beilles, accrochait la batterie de cuisine
et rangeait le linge. Vers sept heures,
elle ouvrit quelques boîtes de conserve
et dressa sur la table un dîner sommaire.
Je n'avais pas faim et n'aspirais qu'à me
mettre au lit, mais je m'attablais, docile.
La salle à manger avait vue sur la rue.
Juliette tout à coup s'approcha de la
fenêtre un vagabond affreux, hirsute,
dépenaillé, observait curieusement 18
maison, les mains agrippées aux bar*
reaux de la grille.
En voilà un qui ne se gêne guère,
gronda Juliette.
La curiosité de l'homme était, en
effet, manifeste, mais son vêtement de
misère me le fit prendre en pitié et je
priai Juliette de lui porter quelque au-
mône.
Elle descendit le perron en grognant ;î
Madame est bien bonne.
A ce moment, l'individu nous vit,
tressaillit et, peureux, s'éloigna vive-
ment en hissant sur son épaule un sac
de toile. Nulle rumeur, sauf, dans le
silence, un bruit sourd et précipité de
pas qui s'éloignent. Cet incident nous fit
sentir notre abandon.
-La maison est bien isolée, remar-
qua la jeune bonne en jetant autour
d'elle un regard inquiet.
Avant qu'on pût, en cas d'alerte, nous
porter secours, des malfaiteurs auraient
eu le temps d'accomplir leur forfait. En-
tendrait-on seulement les cris de deux
femmes appelant à l'aide? Juliette pré-
tendait que non, j'affirmais que. si, tout
en étant de son avis. Dans ces pensées
peu rassurantes, je montai à ma cham-
bre. Juliette dressa son lit à côté de moi,
dans le cabinet de toilette.. Pour la pre-
mière fois de ma vie, avant de me glis-
ser dans les draps, 'j'inspectais les pla-
cards et me baissais tour regarder sous
le lit. L'électricité n'était *-as encore ins-
tallée et tout paraît étrange à la lueur
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