Titre : Le Gaulois : littéraire et politique
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1882-10-29
Contributeur : Pène, Henri de (1830-1888). Directeur de publication
Contributeur : Tarbé des Sablons, Edmond Joseph Louis (1838-1900). Directeur de publication
Contributeur : Meyer, Arthur (1844-1924). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 29 octobre 1882 29 octobre 1882
Description : 1882/10/29 (Numéro 105). 1882/10/29 (Numéro 105).
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k524407g
Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/02/2008
Dimanche 29 Octobre 1883
Seizième Année Troisième Série Numéro 105
.m~m~rm ME'YE.ES.
Dt/'ec~Mr
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i.ans JLtepartements
Un mois. 5fr. Un mois. 6fr.
Trois mois. 1350 Trois mois. 16fr.W
Six mois. ST'fr. Six mois. 32fr.
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f~" i~
Etranger j~ 1
Trois mois (Union postat&). 18 ff.\ 1
REDACTION -S-
9, boulevard des Ita.fien8,9
BE DEUX HEURES AMtKUlT
PAms-Jo~mL
PARIS I. S Centimes. DÉPARTEMENTS ET GARES ~
~EE. DE FUmrE
R~~otc~eK?' e~ CAej~
ANNONCE~
RitM:. CH. LA&RAIsj&E, CERF & C''
t',PLACEDELAt!OUME,S 6
~< & !c&Hfyt
ADMINISTRATION
CE MX HEURES~AMNQ'HEURES
e, boutevantABONNEMEN-TS.PETiIES ANNONCES
RENSEIGNEMENTS S
9, boulevard des Italiens, 9
On trouvera à la deuxième page la
suite de l'interessa.nt feuilleton de M.
Xavier de Montepin
LE DERN!ER DUC Q'HALLAU Y
.LE
/y 1
Il y a. de cela si longtemps, et il est
tombé depuis lors "de telles quantités 1
d'eau, qu'on ne sait plus bien si c'était
avant ou après le déluge, un jeune sous-
lieutenant de plume eut, avec tous les
sous-lieutenants de la cavaterie fran-
çaiseune querelle qui ressemble, par
quelques points, à celle qui émeut 'en
ce moment l'opinion parisienne.
J'avais écrit dans le .PY~~o un
simple écho de dix lignes, sans ûel et,
je crois bien, sans sel aussi, à propos
des éperons malappris qui déchirent les
robes des valseuses et de certaines soifs
militaires qui dessèchent les plateaux de
rafraîchissements. Cela donna l'idée de* 1
boiremonsang aux plus jeunes nour-
rissons de l'Annuaire militaire.
Personne n'était nommé, personne
n'était vi:'é dans l'inoffensif écho du
temps passé, de même que, dans l'~lo-
quente déclamation de M. Mirbeau con-
tre le ca~~KeM, vous pouvez tourner et
retourner, -presser et tordre les phrases, 1
"les unes après les autres, vous n'en fe-
rez pas sortir l'ombre d'une oNense à
l'adresse de tel ou tel comédien. Mais,
les temps sont changés, une révolution
s'est accomplie les comédiens sontrune
puissance dans l'Etajb une bulle de sa-
von lancée dans leur camp y éclate avec
un bruit de bombe, et l'attaque devient
un attentat, que dis-je? un régicide.
Le délit d'oRense à l'armée n'existe 1
plus ~a loi de lèse-majesté va-t-elle, par
contre, ressusciter au profit de la co-
médie ?
Les prêtres sont jetés tous les jours a
l'égout, en compagnie des magistrats.
Plus un habit était respecté autrefois,
plus on bave dessus aujourd'hui avec
continuité, avec délices, avec impunité.
Les deux roues de devant du char de i
l'Etat, disait unjourM./Thiers au cardi-
nal Guibert, dans son langage un peu
prudhommesque, c'est le clergé et l'ar-
mée. <
M. Thiers retardait; car il n'eût cer-
tainement pas considéré la comédie 3
même comme une des deux roues dé
derrière de son char allégorique. Il se `
contentait d'en faire grand usage pour
son compte personnel.
(
Si l'on dégage la question du comé- i
dien des exagérations qui l'obscurcis-
sent et qui sont comme la fumée de la
bataille des idées, il faut bien reconnaî-
tre qu'entre le comédien du temps pré-
sent et celui du temps passé il y a au-
tant de diNérence qu'entre le paysan
décrit par La Bruyère et l'électeur rural j
contemporain. Le comédien devient un'
bourgeois, un père de'famille, un ci-
toyen comme les ~autres, presque
un commerçant, qui usine son art, tient
en partie double les livres de son talent
et ne se distingue plus guère du com- l'
mun des mortels que par d'assez insigni-
fiantes obligations professionnelles rela
tives au régime pileux de son visage.
Mais, les avoués et les notaires, eux
s.ussi, ont-ils toute la liberté de leur
t)a.rbe? 9 f
il y a encore une question de bouton- a
Diëre qui reste en suspens. La bouton- t
nière du comédien, et le ruban rouge s
doivent-ils s'unir en légitimes noces ? 1
J'ai trop souvent donné mon avis ici- d
même sur ce point délicat pour y rêve- p
nir. P
J'aime mieux me rappeler le plaisir ;j
que me causa dernièrement la décora- f<
tion de mon célèbre ami M. Faure, et le
chagrin que je ressentais, chaque année, s 9
en ne voyant pas arriver chez mon non S
moins célèbre ami Gustave Roger le bre- c
vêt qu'on lui promettait toujours, et qu'il
doitencore regretter dansl'autre monde.' p
Quand ce qui reste en nous des vieux j<
préjugés proteste contre l'assimilation a
complète du comédien à n'importe quel
autre ouvrier de la ruche sociale, il est
incontestable que l'organisation mili-
taire actuelle, en vertu de laquelle ils
sont soldats et ofâciersdansia territo-
riale, tout en exerçant une profession
jadis réputée infâme, leur fournit un
excellent argument contre nous. Certes, M
ce n'est plus de nos jours qu'un comé-
dien aurait lieu de répondre, comme au I'
siècle passé, à un gentilhomme qui lui I!
vantait, sur le mode ironi que, les avan-
tages du théâtre <: Nous expions tout j
c'ela par le droit que ous avez de nous z' II
parler impunément, comme vous le fai-
tes.
De nos jours,,si l'on a'oSenséunco- a
médien, et que ce comédien vous en de- s
mande réparation, il faut lui faire des (
excuses ou aller sur le pré. Est-ce que le
sang du jeunë~ Seveste, en coulant à Bu-
zenval, n'a pas prouve qu'il est de lamé- p
me couleur dans leurs veines que dans l,
les nôtres? Pendant ce temps-là, les ac-
triées s'étaient faites innrmiëres et sœurs
de charité, comme les femmes du mon-
de, et c'était une sainte émulation à qui
jouerait le mieux son rôle. P
Il serait banal de rappeler qu'en temps v
ordinaire ces mêmes comédiens et ces n
comédiennes, sans lesquels il n'y a pas
de bonne fête et par conséoruent,pas de
grosse recette pour la charité, car le n
monde est ainsi fait qu'il veut surtout
faire le bien à condition de s'amuser en
le faisant; sont les premiers minis- s
très de l'aumône, p
C'est même par là qu'ils se sont tout
d'abord réconciliés avec l'Eglise. On n'a
pas assez remarqué que celle-ci s'était
bien vite humanisée à l'endroit du co-
médien, dès qu'il a fait mine de dépouil-,
l~r le vieil enfant de la bohème.drama-
tique pour entrer dans le giron de la
vie régulière. Sur tout ce qui ne touche
pas au'dogme, l'Eglise sait être accom-
modante. C'est un des secrets de sa force
de changer selon les temps et les lieux
tout ce qui n'est p&s d'essence immua-
blé. Je connais plusieurs actrices qui ont
des confesseurs, et j'en vois qui condui-
sent leurs petits enfants à la messe ou au
catéchisme, ce qui ne leur fait pas né-
gliger leurs i épétitions.
Ce qui caractérise le comédien de ce
temps ci, c'est le dégoût de la bohème
natale et une soif d'embourgeoisement
qui, trop satisfaite, n'aura peut être pas
des conséquences aussi heureuses !pour
eux qu'ils se l'imaginent. Ils me font
un peu l'eSet de gens qui briseraient
leur écu pour en faire disparaître ila
barre. Un rayon de poésie éclairait leur
ilotisme social, et peut-être l'originalité
du talent en bénéficiait-elle. Ils ont
soufflé dessus comme Sosie sur sa lan-
terne.
Je reviens à mon point de départ
l'article de M. Mirbeau et les tempêtes
qu'il soulève. Plus d'une fois, il m'est
arrivé de lire des pages où le journa-
lisme était fort maltraité je n'en aij
conçu aucune indignation. Tant vaut
l'homme qui l'exerce, tant vaut notre
profession. La magistrature l'armée,
l'Eglise, m'apparaissent comme respec-
tables par elles-mêmes tant pis pour les
gens qui n'éprouvent pas ces respects-
là. Ils montrent qu'ils sont mal élevés,
voilà~out.
Oserai-je modestement dire aux co-
médiens qu'à mon avis ils ne sauraient
réclamer, pour leurconfrérie.plus devé-
nération que nous pour lajiôtre ? Qu'ils
se contentent du terrain conquis par
leur considération et qu'ils ne visent
point à trop étendre les conquêtes, de
fraîche date, dont ils sont si ners! Grâce
à leur art, ils savent mieux que personne
qu'un cheveu sépare le succès du sifflet.
Il m'arriva. un jour, de dîner avec un
maréchal de France, un grand orateur,
un grand journaliste et un comédien cé-
lébre. Ce dernier qui parlait fort
bien ne permit à aucun autre con-
vive de placer un mot. Autour de lui, il
ût regretter l'époque où il aurait dîné à
l'ofûce.
Les comédiens d'aujourd'hui sont les
parvenus de la considération. Qu'ils en
jouissent, ils ont raison; qu'ils se la fas-
sent pardonner par leur modération, ils
auront plus raison encore. Eux mon-
tent et tout descend. Cela double l'essor
apparent de leur fortune et peut-être les
grise.
< Sur ce, comme dit le Scaramouche
dans M~OH Déforme
Faisons la soupe et repassons nos rôles.
H. OE PÊNE
AU GYMMASE
UN ROMAN PARISIEN
PAR M. OCTAVE FEUILLET
UNEXTRAfT DE LA PtÈCE
Nous sommes heureux de pouvoir of-
frir à nos lecteurs la scène très bellequi
a préparé, hier, dans la pièce de M. oc-
tave Feuillet, l'immense succès du troi-
sième acte.
Marcelle de Targy, ruinée par la. délicatesse
de son mari, qui a sacri8é toute leur fortune pour
payer une dette d'honneur laissée en souHranoe
par son père, supporte difficilement l'humble
condition & laquelle elle se voit tout à coup ré-
duite. Dans sa décadence matérielle, elte est à la
fois assiégée par les visites d'anciennes amies
dont la compassion l'humilie, par les obsessions
galantes d'u~i baron do la finance (Chevria.1) et
par les propositions plus ou moins artistiques
d'un certain Juliani, son ancien professeur de
chant, qui veut l'enlever, lui promettant de faire
d'elle une étoile qui se lèvera a New-York. La
scène qu'on va lire et le monologue qui suit ap-
partiennent au troisième acte et montrent la
jeune femme se décidant à se déclasser et a
abandonner les siens plutôt que de supporter
davantage la. misère.
Sc&ne XBW
CHEVRIAL, MARCELLE
CHEVRIAL
Délicieuses créatures 1
MARCELLE, eM~a~ de Wfe e~ SM~b<~Oui, n'est ce pas ? Je vous remercie de
leur avoir parlé comme vous l'avez fait.
H semblait vraiment qu'elles se faisaient
un jeu de me mortiner, de me martyriser.
(.E'~e eMMte )'apMeMt6M< avec son KtOMC~Otr
!M i~fMMS gMt lui ëC~K~peM~J
CHEVRIAL
Voyons, chère madame, vous prenez trop
a cœur le bavardage de ces deux petites
sottes ) 1
MARCELLE
C'est qu'elles ont bien des camarades, je
vous assure Je ferais mieux de ne voir
personne. car, à chaque visite que je fais
ou que je repois, c'est le môme supplice ou
la même torture.
CHEVRIAL
Oui, sans doute; mais vous vous anectez
trop. Si le présent est un pe~ dur, il faut
penser à l'avenir. Ce sont quelques mau-
vaises semaines à passer. Votre situation
ne peut manquer de s'améliorer.
MARCELLE
Et comment? Nous n'attendons rien.
nous n'espérons rien.
CHEVRIAL
-Qui sait? li y a peut-être des gens qui
s'intéressent àr vous plus que vous ne le
pensez.
MARCELLE, simplement
Et qui donc, mon Dieu ? P
CHEVRIAL
Mais, moi par exemple. et rien n'est
plus naturel, vous en conviendrez.
a
MARCELLE, le ~~~Ï
Vous ? Et que pouvez-vous faire pour
nous?
CHEVRIAL
Mais beaucoup, beaucoup Il n'y a rien
d'impossible à ce que vous repreniez peu à
peu. dans le monde la place, le rang que
vous y occupiez. Ça dépend un peu de
moi. un peu de votre mari. et un peu de
vous aussi.
MARCELLE
Pardon. Je ne comprends pas bien.
CHEVRIAL
Votre mari s'attache à sa besogne dans
notre maison, il. y montre des aptitudes
remarquables. Vous savez que dans nos
établissements financiers l'avAicoment est
racide et se fait même quelquefois à pas
de géant. Outre les appointements, on y
a des intérêts. on y est associé dans les
bénéfices. ça va très vite Mon Dieu t vo-
tre mari se rendant utile, vous pouvez
dans un moment prochain très prochain
avec un peu-d'aide, bien entendu, repa-
raître dans tout votre éclat et faire ren-
trer dans l'ombre toutes ces excellentes
petites amies qui vous écrasent aujour-
d'hui de leur pitié! En réalité, rien n'est
plus faisable.
MARCELLE acec f~e~C.
Je transmettrai vos bonnes paroles à
mon mari, et je suis sûre qu'il redoublera
de zèle pour seconder vos bienveillantes
dispositions.
CHEVRIAL
Oui, mais-je vous ai dit que cela dépen-
dait un peu de vous aussi
MARCELLE, NMCMM~eMtt-~O~t~e.
Je ne vois pas quel rôle je puis jouer,
moi, dans tout cela.
GHEVRIAL
Je vaisvousTfe dire. –Mon Dieu 1 chère
madame, je crois que vous avez de moi une
assez mauvaise opinion et, 'à quelques
'égards, vous avez raison.
MARCELLE
Mais, pas du tout l
CHEVRIAL
Pardon, je lis dans votre .coeur, et, en
outre, je veux vous faire lire dans le mien.
Je ne suis ni un ange ni un saint, je suis
simplement un homme, un homme ordi-
naire, et, à ce titre, j'aime qui m'aime ) Je
rends le bien pour le bien; mais je ne peux
pas faire davantage et rendre pa.r exemple
le bien pour le mal, rendre la sympathie
pour la malveillance~ l'amitié pour la
haine!
MARCELLE
Oh la. haine.
CHEVRIAL
L'antipathie, si vous voulez: Eh bien) 1
chère madame,vous avez eu de tout temps
pour moi une antipathie que vous n'avez
pas pris la peine de dissimuler. Fran-
chement, ça ne m'encourage pas Je vous
le répète, la nature humaine est là; on fait
pour des amis ce qu'on ne fait pas pour
des indiSérents. encore moins pour des
ennemis MARCELLE.
MARGELLE
Votre ennemie, monsieur, je ne l'ai ja-
mais été, et je. la suis moins que jamais de-
puis que nous vous devons de la reconnais-
sance.
CHEVRIAL, W~M<
Je ne veux pas de reconna-issance.
MARGELLE, a~ec ~r
Mais, que voulez-vous ? f
CHEVRIAL
Je veux de l'amitié.
MARCELLE
'Notre amitié répondra, n'en doutez pa.s,
à vos bons procédés.
"` CHEYRIAL
Mais je parle de la vôtre en particulier.
MARCELLE
Je n'ai pas fait d'exception pour la
mienne.
CHEVRIAL
Ainsi, à dater de cette explication, plus
de haine, plus d'antipathie ? 9
MARCELLE, OH~C MM /aMa! ~OMWra
Sans doute 1
CHEVRIAL
Vous m'aimerez un peu f
MARGELLE
Je le devrais.
GHEVRIAL
Ah t si c'est par pur devoir.
MARCELLE, <~s <}'OM6Ms
II ne faut pas trop demander.
CHEVRIAL,c!'<~e.
Eh bien! votre main seulement, comme
gage de cette'amitié promise.
Marcelle lui laisse prendre sa main avec em-
barras. Il y dépose un baiser prolongé. Elle re-
tire aussitôt sa main par un mouvement de pu-
deur inquiète.
CHEVRIAL
Au revoir, chère dame. Très chère
dame. comptez sur moi. (Il sort).
Sc&meXV
MARCELLE, seule, atterrée.
Et je l'ai écouté jusqu'au bout, j'ai feint
de ne pas comprendre! J'ai subi cet odieux
baiser! Ah ) misérable que je suis) (-E'~e se
M~e.) Mais, si je reste ici, je suis perdue.
Un jour ou l'autre, dans un de ces instants
de défaillance, de désespoir, d'horrible ten-
tation. je succomberai lâchement. Je
deviendrai la dernière des femmes Ah ) 1
pourquoi m'a-t-on empêchée de partir? P
C'était le salut Ils sont cruels Ils sont
aveugles Me retenir ici, c'est me condam-
ner non seulement à la souffrance, à la mi-
sère, mais au mal t Oui. au mal Oui.
c'était le salut 1. Partir ). (~!f jette un
f<~a!'ù! ~Mf j)eM<ïM!e.– Baissant la co~.).
Il en est temps encore pourtant) Oui, je
voudrais être au bout du monde!
EUe garde pendant quelque temps une attitude
sombre et pensive; puis, brusquement, elte prend
une feuille de pa.pier dans un bureau et s'apprête
a écrire. Tout & coup elle prête l'oreille on en-
tend la voix de Mme de Targy dans l'anticham-
bre
Ma mère 1 1
Elle se dirige à la. hâte vers sa chambre
à la porte, elle hésite puis faisant un
geste de resolution, elle entre chez elle.
LA
PmH~E .MPRESE~ÂTMN
Je ne serais pas embarrassé s'il me
fallait assigner un rang à l'oeuvre de M.
Octave Feuillet, comparée à ses œuvres
anciennes. Je placerais Un Roman pari-
~eK entre DaKJa et MoM~'o!'e. Les carac-
tères y sont moins fermement traces
que dans la première l'action y est
plus saisissante que dans la seconde.
C'estdire en quelle haute estime littéraire
je tiens <7M-NoMMMpaW~M.Lapièce,re-
présentée hier soir avec un immense
succès au Gymnase, ne peut se comparer
qu'aux deux plus belles parmi leurs
soeurs aînées. Noble famille où se déta-
chent, lumineuses et aères, tant de gra-
cieuses figures. J'ajouterai que jamais
M. Octave Feuillet n'a rien écrit de plus
scénique. Quand on étudieon est frappé d'un fait assez singulier.
M. Octave Feuillet emploie, pour expo-
ser ses pièces, le même procédé que
pour exposer ses romans. Les caractè-
res ne s y dessinent'que lentement, par,
tons superposés, au lieu d'être peints
d'un trait par une réplique ou par un
mot.
En cette dernière œuvre, au contraire,
l'illustre écrivain a saisi nettement le
croquis des personnages. L'exposition,
très habilement conçue, se fait vite,
sans hâte, mais sans longueur. Dès la
fin de ce premier acte excellent, l'action
est posée, avec une grande crânene
d'allures. J'aime moins le second, bien
que s'y montre, pour la première fois,
l'une des plus gracieuses créations de
M. Feuillet. Le troisième acte est super-
be. Le quatrième et le cinquième sont
saisissants parfois même jusqu'à la
cruauté.
M. et Mme Henri de Targy donnent un
bal.Tous les personnages de la pièce s'y
promenent avec leurs beautés bu leurs
ridicules. Marcelle, une grande artiste
et une femm~ du monde; pauvre, épou-
sée par amour et aimant son mari;
mais elle est faible, aimant le luxe
et sans Ûerté la baronne Ghevrial,
créature exquise, âme divine, qui
souNro au milieu des lâchetés Con-
temporaines un cygne forcé de vivre
en un lac de boue; son mari.ie baron
Chevrial est peint d'après nature: finan-
cier véreux, dix fois millionnaire, usé
jusqu'à la corde,sotmaispointbête, cou-
reur de nlles~ même de nlles de cham-
bre ;Tlrandel, encore un ~vie parisienne, qui parle par monosyl-
labes pour ne point se fatiguer quel
personnage amusant et neuf! le doc-
teur Chesnel, qui a la spécialité desbons
soins, mais aussi des mauvaises nou-
velles des mondaines coquettes et des
Parisiennes méchantes tout un poème
de soie, et de diamants frissonnant sur
des épaules nues.
M. Octave Feuillet a peint avec une
dextérité charmante ce commencement
d'un bal, si fringant et si gai. Marcelle
de Targy vient de chanter, avec son ta-
lent et son succès accoutumés. Et com-
me on l'applaudit t On jase bien un peu
sur son professeur, le beau ténor Ju-
liani. Quel est le monde où l'on Tie jase
pas? Le baron Chevrial .lui-même,
est ému. Moins il est vrai, par le talent
que par < la femme qui l'excite
Puis les valses commencent, languis-
santes et amoureuses, sous la lumière
douce des lustres, dans les splendeurs
d'un hôtel riche, deux ans fermé. En ef-
fet, Henri de Targy a longtemps porté
le deuil de son père. On ignore môme
les détails précis de cette mort, succé-
dant à de grosses pertes à la Bourse.
On ne sait qu'une chose: la profonde
douleur de la veuve, demeurée inconso-
lée sous son long voile noir.
Le docteur Chesnel, qui la soigne, a
même remarqué que le temps accroît t
cette douleur, au lieu de l'user. Le
monde l'a remarqué aussi. Les petits'
potins ont circulé à travers le bal, et
Chevrial a même déclaré qu'il devait y
avoir <. un cadavre au fond de quelque
armoire x. Les invités sont partis et le
docteur, resté le dernier, commence à ]
éveiller le .doute dans l'âme du fils. II J
lui dit que sa mère est atteinte; non 1
d'une maladie physique, mais d'un ma- l
laise moral. Henri, remonté dans la a
chambre de sa mère, pour l'embrasser,
l'a entendu sangloter et prononcer des
mots étranges. Elle parlait de ses re-
mords. Quels remords? Et le doute (
grandit et la souffrance arrive et Henri t
ose se confier à sa femme. Mais Mme de r
Targy a entendu marcher son fils; 1
elle l'a suivi, elle lui a entendu dire, un (
peu vite peut-être, ces cruelles paroles: t
Si ma mère n'avaitpas été une hon- 1
nête femme
Alors elle bondit Mieux vaut connep
le secret qui lui pèse mieux vaut rui-
ner son fils que de déchoir dans son c
cœur. M. de Fervières, ami intime de feu r
M. de Targy, avait une nlle adultérine. 't
Aûn de pouvoir lui transmettre sa fortune, t
il l'a léguée en mourant à son ami. Quand 1
le père légal sera mort, lui aussi, M. de c
Targy remettra les trois millions d
car il ne s'agit pais de moins, à l'en- l
fant tant aimée. Celle-ci s'appelle main- 1
tenant Thérèse Chevrial. I
Malheureusement M. de Targy a joué 1
à la Bourse, il a beaucoup perdu. Exé- r
cuter le fidéi commis, c'est ruiner lui et c
lés siens. Sa conscience et son intérêt c
ont longtemps lutté, et il est mort à la s
peine. c
Que va faire le nls ? S'il paie, il n'a a
plus rien s'il ne paie pas, il vole. Le
doute plane un instant dans cette âme
troublée. Puis se tournant vers sa
mère
Personne au monde, dit-il, excepté
vous, ne connaît ce secret ? q
–Personne.
Nous devons tout rendre, ma
mère.
Quand le rideau se levé sur le second
acte, le baron Chevrial est dans son ca-
binet de travail. Après quelques scènes
bien amusantes, Henri arrive. Il vient
faire sa nëre~ et loyale restitution. De
vrai, l'on pourrait critiquer peut-être la
façon dont M. Octave Feuillet a achevé
de dessiner, en ces scènes, le caractère
du baron. Mais Thérèse apparaît, et avec
elle, tant de charme qu'on demeure
ravi. Il y avait là une scène très
difficile & écrire. La jeune femme com-
prendrait que sa mère avait eu un amant.
M. Octave Feuillet a vaincu la difficulté
avec une délicatesse infinie. Rarement
a-t-il écrit des pages plus touchantes.
-Thérèse refaso l'héritage. Le baron est
chef de la communauté il l'accepte.
On voit, en cette douce créature, le
~vaillant mépris de l'argent. On sent en-
core combien l'action d'Henri lui paraît
haute, accomplie en ces temps si bas.
Peut-être un amour discret va-t-il naître
en elle, comme un mince filet de soleil
glissant entre les branches.
Le troisième acte est d'une puissante
vérité d'observation'. Il fallait peindre les
douleurs, les épreuves de toutes sortes,
les blessures de chaque jour supportées
par Henri etpar Marcelle. Il fallait indi-
quer nettement, et pourtant sans y trop
insister, le dédain où le monde tient le
riche devenu pauvre. Il fallait enfin que
ce fût a la fois vrai au point de vue psy-
chologique, et saisissant au point de
vue théâtral. C'est-à-dire que c'était vou-
loir exécuter un tour de force.
Peut-être M. Octave Feuillet a-t-il trop
crûment disposé les lumières. Mais le
tableau m'a paru d'abord un peu heurté.
Par exemple, la révolte de Marcelle en
face de la gêne se montre trop vite. Sans
doute elle souffre des blessures ancien-
nes mais le public ne comprend bi~n
que ce qui se fait sous ses yeux. On la
sent agressive contre son mari elle lui
en veut d'avoir écouté sa conscience et
de n'avoir pas fait taire son honneur. On
la voit teûtéa par !es ofEres du ténor Ju-
liani, qui lui propose de le suivre en
Amérique avec sa troupe d'opéra no-
made.
Elle ne se dit pas que, les vraies dou-
leurs, c'est Henri qui les subit. N'a-t-il
pas accepté d'être le secrétaire du baron
Chevriar ? N'est-il pas constamment
heurté par ses anciens compagnons de
plaisir ?Et'cependant, pendant que lui
reste fièrement résigné, c'est elle qui
se révolte. Là encore, M. Octave Feuillet
abordait de front une situation redouta-
ble.
On se rappelle qu'au premier acte M.
Chevrial trouvait Mme de Targy fort à
son goût. Cette petite femme m'ex-
cite) 'Or, l'idée infâme.a germé dans
cette âme de boue il n'a pris Henri
comme secrétaire que pour avoir l'occa-
sion de voir plus souvent Marcelle II a
suivi pas à pas les défaillances de la
jeune femme il a guetté chacune de ses
révoltes. Et il arrive, quand il la croit
bien lassée, bien écœurée. Habilement,
sournoisement, il lui ogre de l'acheter.
Pas de gros mots, pas de propositions
heurtées, tout cela est d'un art exquis.
Ce misérable sent bien qu'il faut doser
les dégoûts qui viendront à Marcelle.
Et, en eSet, elle a dû l'entendre jus-
qu'au bout a-t-elle le droit de se mon-
trer bien bégueule maintenant qu'elle
est pauvre? Est-ce que la. position de
son mari ne dépend pas dé cet homme? '1
Elle aime mieux feindre de ne pas com-
prendre et boire jusqu'au bout le calice.
Il lui embrasse même la main en la quit-
tant t Mais, quand elle est seule, le dé-
goût lui monte aux lèvres. En est-
elle déjà à transiger avec sa conscience) 1
Alors, après cette première honte,
d'autres hontes nouvelles t Mieux vaut
cabotiner dans les deux Amériques que
de rester exposée à ces corruptions in-
cessantes mieux vaut les grandes cour-
ses à travers les villes de là-bas que les
abjections de la ville pourrie. Du
moins, elle travaillera elle doit rester
digne d'elle et de son mari. Elle ne se
dit pas que subir, en feignant de ne les
pas comprendre, les galanteries du ba-
ron, c'est commettre une petite lâcheté,
sans doute; tandis que c'est commettre
une grande infamie que de fuir au bras
d'un ténor,comme une femme coupable,
en laissant son mari être seul malheu-
reux ·
Le drame marche et palpite. Henri
doit choisir. Suivre sa femme dont la
tendresse lui échappe ou soigner,
mourante, sa mère dont la tendresse
lui demeure. Il reste) Admirable En
d'acte, acclamée par toute une salle en-
thousiaste qui a fait trois fois relever le
rideau.
On apprend bientôt qae Marcelle
de Targy a ,dû périr en mer. Le
navire a brûlé dans l'Océan i C'est dans
"un souper chez Rosa Guérin, la maî-
tresse de Chevrial que se commente
la nouvelle. Bien observées et bien
drôles ces banalités pleurardes qu'on
échange entre deux verres de Cham-
pagne. Une seule figure honnête ap-
paraît dans ce milieu d'oreie. C'est
Henri, qui vient apporter au baron des
pièces à signer. Ces filles et ces gom-
meux ont voulu voir sur le visage de
ce fier galant homme l'effet que lui
causait la mort de sa femme. -Après
son départ les toasts éclatent. Tout à
coup, le baron pousse un cri,un éblouis-
sement le prend; on le transporte sur le
balcon, bu il meurt comme un chien,
comme il a vécu.. a
Encore une un d'acte admirable, d'un
effet si puissant qu'on frissonne.
Tout change. Henri n'avait guère sujet
de pleurer sa femme, Thérèse Chevnal
n'avait guère sujet de~pleurer son mari.
Deux êtres jeunes, honnêtes, sincères,
se trouvent en face l'un de l'autre et li-
bres tous les deux. Il est naturel qu'un
amour réciproque naisse dans ces cœurs
qui se ressemblent. Vont-ils donc être
heureux? Qu'èst-ce qui les en empê-
cherait ? La fatalité tragique qui do-
mine l'œuvre de M. Octave Feuillet.
Seule, Marcelle a échappé à l'incendie,
elle revient près de son mari; elle es-
père y trouver le pardon et y retrouver
îe bonheur. Mais elle comprend bien
vite que sa résurrection inattendue dé-
sole Henri et Thérèse. Elle sent combien
elle est effacée dans tous ces coeurs;
elle comprend qu'elle est morte pour
ces deux êtres, dont l'un l'a oubliée~
dont l'autre l'a remplacée.
Tel est ce drame heurté, violent, mais
d'un intérêt puissant, et qui contient des
scènes d'une haute et ûère allure drama-
tique. C'est au bruit d'enthousiastes bra-
vos qu'on a nommé M. Octave Feuillet
et rappelé cette superbe troupe du Gym-
nase qui a été, hier soir, digne de la;
Comédie-Française. Mme Pasca joue
avec son immense talent, avec son auto-
rité accoutumée. Elle a eu un triomphe
après le troisième acte. Du haut en bas,
on acclamait la superbe tragédienne.
M. Saint-Germain a le tort de don-
ner moins de soins à un rôle qui lui
déplaît parce qu'il le sent antipathique.
M. Marais joue le rôle d'Senri avec la
chaleur généreuse qui fait son succès
mais aussi avec une retenue très digne,
qui révèle une heureuse transformation
de son talent. M. Landrol est parfait
sous les traits'du docteur Chesnel. Quant
à MlleVolsy (Thérèse Chevrial), elle
est tout uniment adorable. Le meilleur
compliment à lui faire, c'est de dire que
l'artiste est à la hauteur du rôle exquis
que le poète a conçu. Mlle Magnier a.
eu de l'esprit, quand il fallait avoir de
l'esprit au quatrième acte, à la mort
saisissante du baron, elle s'est révélée
artiste tragique de premier ordre. Mme
Brindeau est, comme toujours, en pro-
grès S~ir elle-même. Sa beauté sombre
et ses qualités dramatiques ont encore
augmenté depuis un an.
Pas une tache, pas un heurt dans cette
magnifique interprétation. Deux artis-
tes jouant de petits rôles, MM. Noblet
et Martin, ont été charmants.
L'œuvre superbe de M. Octave Feuil-
let a trouvé au Gymnase un cadre mer-
veilleux. On a dit ailleurs le soin com-
plet d'artiste avec lequel M. Koning a
monté !7~ jRoMM~~M:r!S!'e~.Moi, je veux
surtout louer le soin exquis, l'intellij!
gence de la mise en scène, la perfection
de chaque détail. Le Gymnase tout en*
tier comprenait que, lorsque l'on inter-
prète de l'Octave Feuillet, il faut être à
la fois digne de la pièce qu'on joue [et
digne du nom qui l'a signée. Alors on
obtient, comme nier soir, l'un des triom-
phes les plus beaux et les plus mérités
dp la scène française.
ALBERT DELPIT
mfRESsms B'm EAEsm
à ta Leter!e du CAULOtS
Monsieur le directeur,
J'ai gagné un 'fauteuil à la loterie du
(?aM!oM, pour la. première d'Octave Feuil-
let et vous me demandez, en retour,de vous
conter mes impressions sur la soirée.
Vous vous êtes dit que, puisque le sort a.
justement favorisé une artiste du Gymnase,
car je suis au Gymnase et non au Palais-
Royal, comme un de vos rédacteurs le di-.
sait ce matin, il serait piquant de faire
jaser cette artiste précisément sur la pre-
mière de son théâtre.
Puisque c'est au bonne fortune d'assister à cette solennité,
je ne me ferai pas tirer l'oreille. D'ailleurs
je suis comédienne, et vous pensez bien
que,depuis deux jours, les comédiennes ont
trop peur des journalistes pour pouvoir
rien leur refuser.
Cela dit, je me jette à l'eau, en comptant
un peu sur vous et vos rédacteurs pour
m'empêcher de me noyer.
Htatoire de la Pièce
Dans le courant de l'année dernière, M.
Octave Feuillet abandonna, à M. Victor
Koning, quatre pièces de son répertoire
le T~OMMK d'un /'fM~ ~OM~ ~Kfr~, Da-
7/ le ~&/K~ et ./M/
Le jeune directeur du Gymnase insista
vivement auprès du célèbre écrivain pour
obtenir de lui une pièce nouvelle. Mal-
heureusement, M. Feuillet, depuis quel-
que temps, est dans un état de santé qui
ne lui permet guère de s'engager dans un
travail, à livrer à date fixe, et il dut décli-
ner l'offre qu'on lui faisait.
A quelque temps de là, on présent &
M. Koning une comédie qui lui plut, mais
ou il lui parut que quelques retouchés
étaient nécessaires. Ges retouches, il lets
demanda a M. Octave Feuillet.
Celui ci lut l'ouvrage, indiqua les modi-
fications à faire, mais déclina encore toute
offre de collaboration.
Pourtant, à quelques jours delà, se trou-
vant avec M. Koniag < II m'est venu, lui
dit-il, une idéé qui me semble très appro-
priée à votre personnel. Elle est bonne t
s'écria M. Koning. Racontez-la-moi.
Quand le directeur du Gymnase l'eut
entendue, il la trouva excellente: Pour
condition expresse, M. Octave Feuillet sti-
pula qu'on lui laisserait tout le temps) né-
cessaire. Naturellement M. Koning f y en-
gagea. `
Cela né t'empêcha pas de suivre pas
Seizième Année Troisième Série Numéro 105
.m~m~rm ME'YE.ES.
Dt/'ec~Mr
ABONNEMENTS
i.ans JLtepartements
Un mois. 5fr. Un mois. 6fr.
Trois mois. 1350 Trois mois. 16fr.W
Six mois. ST'fr. Six mois. 32fr.
Un an. 54 fr. Un an. 64fiy-J
f~" i~
Etranger j~ 1
Trois mois (Union postat&). 18 ff.\ 1
REDACTION -S-
9, boulevard des Ita.fien8,9
BE DEUX HEURES AMtKUlT
PAms-Jo~mL
PARIS I. S Centimes. DÉPARTEMENTS ET GARES ~
~EE. DE FUmrE
R~~otc~eK?' e~ CAej~
ANNONCE~
RitM:. CH. LA&RAIsj&E, CERF & C''
t',PLACEDELAt!OUME,S 6
~< & !c&Hfyt
ADMINISTRATION
CE MX HEURES~AMNQ'HEURES
e, boutevant
RENSEIGNEMENTS S
9, boulevard des Italiens, 9
On trouvera à la deuxième page la
suite de l'interessa.nt feuilleton de M.
Xavier de Montepin
LE DERN!ER DUC Q'HALLAU Y
.LE
/y 1
Il y a. de cela si longtemps, et il est
tombé depuis lors "de telles quantités 1
d'eau, qu'on ne sait plus bien si c'était
avant ou après le déluge, un jeune sous-
lieutenant de plume eut, avec tous les
sous-lieutenants de la cavaterie fran-
çaiseune querelle qui ressemble, par
quelques points, à celle qui émeut 'en
ce moment l'opinion parisienne.
J'avais écrit dans le .PY~~o un
simple écho de dix lignes, sans ûel et,
je crois bien, sans sel aussi, à propos
des éperons malappris qui déchirent les
robes des valseuses et de certaines soifs
militaires qui dessèchent les plateaux de
rafraîchissements. Cela donna l'idée de* 1
boiremonsang aux plus jeunes nour-
rissons de l'Annuaire militaire.
Personne n'était nommé, personne
n'était vi:'é dans l'inoffensif écho du
temps passé, de même que, dans l'~lo-
quente déclamation de M. Mirbeau con-
tre le ca~~KeM, vous pouvez tourner et
retourner, -presser et tordre les phrases, 1
"les unes après les autres, vous n'en fe-
rez pas sortir l'ombre d'une oNense à
l'adresse de tel ou tel comédien. Mais,
les temps sont changés, une révolution
s'est accomplie les comédiens sontrune
puissance dans l'Etajb une bulle de sa-
von lancée dans leur camp y éclate avec
un bruit de bombe, et l'attaque devient
un attentat, que dis-je? un régicide.
Le délit d'oRense à l'armée n'existe 1
plus ~a loi de lèse-majesté va-t-elle, par
contre, ressusciter au profit de la co-
médie ?
Les prêtres sont jetés tous les jours a
l'égout, en compagnie des magistrats.
Plus un habit était respecté autrefois,
plus on bave dessus aujourd'hui avec
continuité, avec délices, avec impunité.
Les deux roues de devant du char de i
l'Etat, disait unjourM./Thiers au cardi-
nal Guibert, dans son langage un peu
prudhommesque, c'est le clergé et l'ar-
mée. <
M. Thiers retardait; car il n'eût cer-
tainement pas considéré la comédie 3
même comme une des deux roues dé
derrière de son char allégorique. Il se `
contentait d'en faire grand usage pour
son compte personnel.
(
Si l'on dégage la question du comé- i
dien des exagérations qui l'obscurcis-
sent et qui sont comme la fumée de la
bataille des idées, il faut bien reconnaî-
tre qu'entre le comédien du temps pré-
sent et celui du temps passé il y a au-
tant de diNérence qu'entre le paysan
décrit par La Bruyère et l'électeur rural j
contemporain. Le comédien devient un'
bourgeois, un père de'famille, un ci-
toyen comme les ~autres, presque
un commerçant, qui usine son art, tient
en partie double les livres de son talent
et ne se distingue plus guère du com- l'
mun des mortels que par d'assez insigni-
fiantes obligations professionnelles rela
tives au régime pileux de son visage.
Mais, les avoués et les notaires, eux
s.ussi, ont-ils toute la liberté de leur
t)a.rbe? 9 f
il y a encore une question de bouton- a
Diëre qui reste en suspens. La bouton- t
nière du comédien, et le ruban rouge s
doivent-ils s'unir en légitimes noces ? 1
J'ai trop souvent donné mon avis ici- d
même sur ce point délicat pour y rêve- p
nir. P
J'aime mieux me rappeler le plaisir ;j
que me causa dernièrement la décora- f<
tion de mon célèbre ami M. Faure, et le
chagrin que je ressentais, chaque année, s 9
en ne voyant pas arriver chez mon non S
moins célèbre ami Gustave Roger le bre- c
vêt qu'on lui promettait toujours, et qu'il
doitencore regretter dansl'autre monde.' p
Quand ce qui reste en nous des vieux j<
préjugés proteste contre l'assimilation a
complète du comédien à n'importe quel
autre ouvrier de la ruche sociale, il est
incontestable que l'organisation mili-
taire actuelle, en vertu de laquelle ils
sont soldats et ofâciersdansia territo-
riale, tout en exerçant une profession
jadis réputée infâme, leur fournit un
excellent argument contre nous. Certes, M
ce n'est plus de nos jours qu'un comé-
dien aurait lieu de répondre, comme au I'
siècle passé, à un gentilhomme qui lui I!
vantait, sur le mode ironi que, les avan-
tages du théâtre <: Nous expions tout j
c'ela par le droit que ous avez de nous z' II
parler impunément, comme vous le fai-
tes.
De nos jours,,si l'on a'oSenséunco- a
médien, et que ce comédien vous en de- s
mande réparation, il faut lui faire des (
excuses ou aller sur le pré. Est-ce que le
sang du jeunë~ Seveste, en coulant à Bu-
zenval, n'a pas prouve qu'il est de lamé- p
me couleur dans leurs veines que dans l,
les nôtres? Pendant ce temps-là, les ac-
triées s'étaient faites innrmiëres et sœurs
de charité, comme les femmes du mon-
de, et c'était une sainte émulation à qui
jouerait le mieux son rôle. P
Il serait banal de rappeler qu'en temps v
ordinaire ces mêmes comédiens et ces n
comédiennes, sans lesquels il n'y a pas
de bonne fête et par conséoruent,pas de
grosse recette pour la charité, car le n
monde est ainsi fait qu'il veut surtout
faire le bien à condition de s'amuser en
le faisant; sont les premiers minis- s
très de l'aumône, p
C'est même par là qu'ils se sont tout
d'abord réconciliés avec l'Eglise. On n'a
pas assez remarqué que celle-ci s'était
bien vite humanisée à l'endroit du co-
médien, dès qu'il a fait mine de dépouil-,
l~r le vieil enfant de la bohème.drama-
tique pour entrer dans le giron de la
vie régulière. Sur tout ce qui ne touche
pas au'dogme, l'Eglise sait être accom-
modante. C'est un des secrets de sa force
de changer selon les temps et les lieux
tout ce qui n'est p&s d'essence immua-
blé. Je connais plusieurs actrices qui ont
des confesseurs, et j'en vois qui condui-
sent leurs petits enfants à la messe ou au
catéchisme, ce qui ne leur fait pas né-
gliger leurs i épétitions.
Ce qui caractérise le comédien de ce
temps ci, c'est le dégoût de la bohème
natale et une soif d'embourgeoisement
qui, trop satisfaite, n'aura peut être pas
des conséquences aussi heureuses !pour
eux qu'ils se l'imaginent. Ils me font
un peu l'eSet de gens qui briseraient
leur écu pour en faire disparaître ila
barre. Un rayon de poésie éclairait leur
ilotisme social, et peut-être l'originalité
du talent en bénéficiait-elle. Ils ont
soufflé dessus comme Sosie sur sa lan-
terne.
Je reviens à mon point de départ
l'article de M. Mirbeau et les tempêtes
qu'il soulève. Plus d'une fois, il m'est
arrivé de lire des pages où le journa-
lisme était fort maltraité je n'en aij
conçu aucune indignation. Tant vaut
l'homme qui l'exerce, tant vaut notre
profession. La magistrature l'armée,
l'Eglise, m'apparaissent comme respec-
tables par elles-mêmes tant pis pour les
gens qui n'éprouvent pas ces respects-
là. Ils montrent qu'ils sont mal élevés,
voilà~out.
Oserai-je modestement dire aux co-
médiens qu'à mon avis ils ne sauraient
réclamer, pour leurconfrérie.plus devé-
nération que nous pour lajiôtre ? Qu'ils
se contentent du terrain conquis par
leur considération et qu'ils ne visent
point à trop étendre les conquêtes, de
fraîche date, dont ils sont si ners! Grâce
à leur art, ils savent mieux que personne
qu'un cheveu sépare le succès du sifflet.
Il m'arriva. un jour, de dîner avec un
maréchal de France, un grand orateur,
un grand journaliste et un comédien cé-
lébre. Ce dernier qui parlait fort
bien ne permit à aucun autre con-
vive de placer un mot. Autour de lui, il
ût regretter l'époque où il aurait dîné à
l'ofûce.
Les comédiens d'aujourd'hui sont les
parvenus de la considération. Qu'ils en
jouissent, ils ont raison; qu'ils se la fas-
sent pardonner par leur modération, ils
auront plus raison encore. Eux mon-
tent et tout descend. Cela double l'essor
apparent de leur fortune et peut-être les
grise.
< Sur ce, comme dit le Scaramouche
dans M~OH Déforme
Faisons la soupe et repassons nos rôles.
H. OE PÊNE
AU GYMMASE
UN ROMAN PARISIEN
PAR M. OCTAVE FEUILLET
UNEXTRAfT DE LA PtÈCE
Nous sommes heureux de pouvoir of-
frir à nos lecteurs la scène très bellequi
a préparé, hier, dans la pièce de M. oc-
tave Feuillet, l'immense succès du troi-
sième acte.
Marcelle de Targy, ruinée par la. délicatesse
de son mari, qui a sacri8é toute leur fortune pour
payer une dette d'honneur laissée en souHranoe
par son père, supporte difficilement l'humble
condition & laquelle elle se voit tout à coup ré-
duite. Dans sa décadence matérielle, elte est à la
fois assiégée par les visites d'anciennes amies
dont la compassion l'humilie, par les obsessions
galantes d'u~i baron do la finance (Chevria.1) et
par les propositions plus ou moins artistiques
d'un certain Juliani, son ancien professeur de
chant, qui veut l'enlever, lui promettant de faire
d'elle une étoile qui se lèvera a New-York. La
scène qu'on va lire et le monologue qui suit ap-
partiennent au troisième acte et montrent la
jeune femme se décidant à se déclasser et a
abandonner les siens plutôt que de supporter
davantage la. misère.
Sc&ne XBW
CHEVRIAL, MARCELLE
CHEVRIAL
Délicieuses créatures 1
MARCELLE, eM~a~ de Wfe e~ SM~b<~Oui, n'est ce pas ? Je vous remercie de
leur avoir parlé comme vous l'avez fait.
H semblait vraiment qu'elles se faisaient
un jeu de me mortiner, de me martyriser.
(.E'~e eMMte )'apMeMt6M< avec son KtOMC~Otr
!M i~fMMS gMt lui ëC~K~peM~J
CHEVRIAL
Voyons, chère madame, vous prenez trop
a cœur le bavardage de ces deux petites
sottes ) 1
MARCELLE
C'est qu'elles ont bien des camarades, je
vous assure Je ferais mieux de ne voir
personne. car, à chaque visite que je fais
ou que je repois, c'est le môme supplice ou
la même torture.
CHEVRIAL
Oui, sans doute; mais vous vous anectez
trop. Si le présent est un pe~ dur, il faut
penser à l'avenir. Ce sont quelques mau-
vaises semaines à passer. Votre situation
ne peut manquer de s'améliorer.
MARCELLE
Et comment? Nous n'attendons rien.
nous n'espérons rien.
CHEVRIAL
-Qui sait? li y a peut-être des gens qui
s'intéressent àr vous plus que vous ne le
pensez.
MARCELLE, simplement
Et qui donc, mon Dieu ? P
CHEVRIAL
Mais, moi par exemple. et rien n'est
plus naturel, vous en conviendrez.
a
MARCELLE, le ~~~Ï
Vous ? Et que pouvez-vous faire pour
nous?
CHEVRIAL
Mais beaucoup, beaucoup Il n'y a rien
d'impossible à ce que vous repreniez peu à
peu. dans le monde la place, le rang que
vous y occupiez. Ça dépend un peu de
moi. un peu de votre mari. et un peu de
vous aussi.
MARCELLE
Pardon. Je ne comprends pas bien.
CHEVRIAL
Votre mari s'attache à sa besogne dans
notre maison, il. y montre des aptitudes
remarquables. Vous savez que dans nos
établissements financiers l'avAicoment est
racide et se fait même quelquefois à pas
de géant. Outre les appointements, on y
a des intérêts. on y est associé dans les
bénéfices. ça va très vite Mon Dieu t vo-
tre mari se rendant utile, vous pouvez
dans un moment prochain très prochain
avec un peu-d'aide, bien entendu, repa-
raître dans tout votre éclat et faire ren-
trer dans l'ombre toutes ces excellentes
petites amies qui vous écrasent aujour-
d'hui de leur pitié! En réalité, rien n'est
plus faisable.
MARCELLE acec f~e~C.
Je transmettrai vos bonnes paroles à
mon mari, et je suis sûre qu'il redoublera
de zèle pour seconder vos bienveillantes
dispositions.
CHEVRIAL
Oui, mais-je vous ai dit que cela dépen-
dait un peu de vous aussi
MARCELLE, NMCMM~eMtt-~O~t~e.
Je ne vois pas quel rôle je puis jouer,
moi, dans tout cela.
GHEVRIAL
Je vaisvousTfe dire. –Mon Dieu 1 chère
madame, je crois que vous avez de moi une
assez mauvaise opinion et, 'à quelques
'égards, vous avez raison.
MARCELLE
Mais, pas du tout l
CHEVRIAL
Pardon, je lis dans votre .coeur, et, en
outre, je veux vous faire lire dans le mien.
Je ne suis ni un ange ni un saint, je suis
simplement un homme, un homme ordi-
naire, et, à ce titre, j'aime qui m'aime ) Je
rends le bien pour le bien; mais je ne peux
pas faire davantage et rendre pa.r exemple
le bien pour le mal, rendre la sympathie
pour la malveillance~ l'amitié pour la
haine!
MARCELLE
Oh la. haine.
CHEVRIAL
L'antipathie, si vous voulez: Eh bien) 1
chère madame,vous avez eu de tout temps
pour moi une antipathie que vous n'avez
pas pris la peine de dissimuler. Fran-
chement, ça ne m'encourage pas Je vous
le répète, la nature humaine est là; on fait
pour des amis ce qu'on ne fait pas pour
des indiSérents. encore moins pour des
ennemis MARCELLE.
MARGELLE
Votre ennemie, monsieur, je ne l'ai ja-
mais été, et je. la suis moins que jamais de-
puis que nous vous devons de la reconnais-
sance.
CHEVRIAL, W~M<
Je ne veux pas de reconna-issance.
MARGELLE, a~ec ~r
Mais, que voulez-vous ? f
CHEVRIAL
Je veux de l'amitié.
MARCELLE
'Notre amitié répondra, n'en doutez pa.s,
à vos bons procédés.
"` CHEYRIAL
Mais je parle de la vôtre en particulier.
MARCELLE
Je n'ai pas fait d'exception pour la
mienne.
CHEVRIAL
Ainsi, à dater de cette explication, plus
de haine, plus d'antipathie ? 9
MARCELLE, OH~C MM /aMa! ~OMWra
Sans doute 1
CHEVRIAL
Vous m'aimerez un peu f
MARGELLE
Je le devrais.
GHEVRIAL
Ah t si c'est par pur devoir.
MARCELLE, <~s <}'OM6Ms
II ne faut pas trop demander.
CHEVRIAL,
Eh bien! votre main seulement, comme
gage de cette'amitié promise.
Marcelle lui laisse prendre sa main avec em-
barras. Il y dépose un baiser prolongé. Elle re-
tire aussitôt sa main par un mouvement de pu-
deur inquiète.
CHEVRIAL
Au revoir, chère dame. Très chère
dame. comptez sur moi. (Il sort).
Sc&meXV
MARCELLE, seule, atterrée.
Et je l'ai écouté jusqu'au bout, j'ai feint
de ne pas comprendre! J'ai subi cet odieux
baiser! Ah ) misérable que je suis) (-E'~e se
M~e.) Mais, si je reste ici, je suis perdue.
Un jour ou l'autre, dans un de ces instants
de défaillance, de désespoir, d'horrible ten-
tation. je succomberai lâchement. Je
deviendrai la dernière des femmes Ah ) 1
pourquoi m'a-t-on empêchée de partir? P
C'était le salut Ils sont cruels Ils sont
aveugles Me retenir ici, c'est me condam-
ner non seulement à la souffrance, à la mi-
sère, mais au mal t Oui. au mal Oui.
c'était le salut 1. Partir ). (~!f jette un
f<~a!'ù! ~Mf j)eM<ïM!e.– Baissant la co~.).
Il en est temps encore pourtant) Oui, je
voudrais être au bout du monde!
EUe garde pendant quelque temps une attitude
sombre et pensive; puis, brusquement, elte prend
une feuille de pa.pier dans un bureau et s'apprête
a écrire. Tout & coup elle prête l'oreille on en-
tend la voix de Mme de Targy dans l'anticham-
bre
Ma mère 1 1
Elle se dirige à la. hâte vers sa chambre
à la porte, elle hésite puis faisant un
geste de resolution, elle entre chez elle.
LA
PmH~E .MPRESE~ÂTMN
Je ne serais pas embarrassé s'il me
fallait assigner un rang à l'oeuvre de M.
Octave Feuillet, comparée à ses œuvres
anciennes. Je placerais Un Roman pari-
~eK entre DaKJa et MoM~'o!'e. Les carac-
tères y sont moins fermement traces
que dans la première l'action y est
plus saisissante que dans la seconde.
C'estdire en quelle haute estime littéraire
je tiens <7M-NoMMMpaW~M.Lapièce,re-
présentée hier soir avec un immense
succès au Gymnase, ne peut se comparer
qu'aux deux plus belles parmi leurs
soeurs aînées. Noble famille où se déta-
chent, lumineuses et aères, tant de gra-
cieuses figures. J'ajouterai que jamais
M. Octave Feuillet n'a rien écrit de plus
scénique. Quand on étudie
M. Octave Feuillet emploie, pour expo-
ser ses pièces, le même procédé que
pour exposer ses romans. Les caractè-
res ne s y dessinent'que lentement, par,
tons superposés, au lieu d'être peints
d'un trait par une réplique ou par un
mot.
En cette dernière œuvre, au contraire,
l'illustre écrivain a saisi nettement le
croquis des personnages. L'exposition,
très habilement conçue, se fait vite,
sans hâte, mais sans longueur. Dès la
fin de ce premier acte excellent, l'action
est posée, avec une grande crânene
d'allures. J'aime moins le second, bien
que s'y montre, pour la première fois,
l'une des plus gracieuses créations de
M. Feuillet. Le troisième acte est super-
be. Le quatrième et le cinquième sont
saisissants parfois même jusqu'à la
cruauté.
M. et Mme Henri de Targy donnent un
bal.Tous les personnages de la pièce s'y
promenent avec leurs beautés bu leurs
ridicules. Marcelle, une grande artiste
et une femm~ du monde; pauvre, épou-
sée par amour et aimant son mari;
mais elle est faible, aimant le luxe
et sans Ûerté la baronne Ghevrial,
créature exquise, âme divine, qui
souNro au milieu des lâchetés Con-
temporaines un cygne forcé de vivre
en un lac de boue; son mari.ie baron
Chevrial est peint d'après nature: finan-
cier véreux, dix fois millionnaire, usé
jusqu'à la corde,sotmaispointbête, cou-
reur de nlles~ même de nlles de cham-
bre ;Tlrandel, encore un ~vie parisienne, qui parle par monosyl-
labes pour ne point se fatiguer quel
personnage amusant et neuf! le doc-
teur Chesnel, qui a la spécialité desbons
soins, mais aussi des mauvaises nou-
velles des mondaines coquettes et des
Parisiennes méchantes tout un poème
de soie, et de diamants frissonnant sur
des épaules nues.
M. Octave Feuillet a peint avec une
dextérité charmante ce commencement
d'un bal, si fringant et si gai. Marcelle
de Targy vient de chanter, avec son ta-
lent et son succès accoutumés. Et com-
me on l'applaudit t On jase bien un peu
sur son professeur, le beau ténor Ju-
liani. Quel est le monde où l'on Tie jase
pas? Le baron Chevrial .lui-même,
est ému. Moins il est vrai, par le talent
que par < la femme qui l'excite
Puis les valses commencent, languis-
santes et amoureuses, sous la lumière
douce des lustres, dans les splendeurs
d'un hôtel riche, deux ans fermé. En ef-
fet, Henri de Targy a longtemps porté
le deuil de son père. On ignore môme
les détails précis de cette mort, succé-
dant à de grosses pertes à la Bourse.
On ne sait qu'une chose: la profonde
douleur de la veuve, demeurée inconso-
lée sous son long voile noir.
Le docteur Chesnel, qui la soigne, a
même remarqué que le temps accroît t
cette douleur, au lieu de l'user. Le
monde l'a remarqué aussi. Les petits'
potins ont circulé à travers le bal, et
Chevrial a même déclaré qu'il devait y
avoir <. un cadavre au fond de quelque
armoire x. Les invités sont partis et le
docteur, resté le dernier, commence à ]
éveiller le .doute dans l'âme du fils. II J
lui dit que sa mère est atteinte; non 1
d'une maladie physique, mais d'un ma- l
laise moral. Henri, remonté dans la a
chambre de sa mère, pour l'embrasser,
l'a entendu sangloter et prononcer des
mots étranges. Elle parlait de ses re-
mords. Quels remords? Et le doute (
grandit et la souffrance arrive et Henri t
ose se confier à sa femme. Mais Mme de r
Targy a entendu marcher son fils; 1
elle l'a suivi, elle lui a entendu dire, un (
peu vite peut-être, ces cruelles paroles: t
Si ma mère n'avaitpas été une hon- 1
nête femme
Alors elle bondit Mieux vaut connep
le secret qui lui pèse mieux vaut rui-
ner son fils que de déchoir dans son c
cœur. M. de Fervières, ami intime de feu r
M. de Targy, avait une nlle adultérine. 't
Aûn de pouvoir lui transmettre sa fortune, t
il l'a léguée en mourant à son ami. Quand 1
le père légal sera mort, lui aussi, M. de c
Targy remettra les trois millions d
car il ne s'agit pais de moins, à l'en- l
fant tant aimée. Celle-ci s'appelle main- 1
tenant Thérèse Chevrial. I
Malheureusement M. de Targy a joué 1
à la Bourse, il a beaucoup perdu. Exé- r
cuter le fidéi commis, c'est ruiner lui et c
lés siens. Sa conscience et son intérêt c
ont longtemps lutté, et il est mort à la s
peine. c
Que va faire le nls ? S'il paie, il n'a a
plus rien s'il ne paie pas, il vole. Le
doute plane un instant dans cette âme
troublée. Puis se tournant vers sa
mère
Personne au monde, dit-il, excepté
vous, ne connaît ce secret ? q
–Personne.
Nous devons tout rendre, ma
mère.
Quand le rideau se levé sur le second
acte, le baron Chevrial est dans son ca-
binet de travail. Après quelques scènes
bien amusantes, Henri arrive. Il vient
faire sa nëre~ et loyale restitution. De
vrai, l'on pourrait critiquer peut-être la
façon dont M. Octave Feuillet a achevé
de dessiner, en ces scènes, le caractère
du baron. Mais Thérèse apparaît, et avec
elle, tant de charme qu'on demeure
ravi. Il y avait là une scène très
difficile & écrire. La jeune femme com-
prendrait que sa mère avait eu un amant.
M. Octave Feuillet a vaincu la difficulté
avec une délicatesse infinie. Rarement
a-t-il écrit des pages plus touchantes.
-Thérèse refaso l'héritage. Le baron est
chef de la communauté il l'accepte.
On voit, en cette douce créature, le
~vaillant mépris de l'argent. On sent en-
core combien l'action d'Henri lui paraît
haute, accomplie en ces temps si bas.
Peut-être un amour discret va-t-il naître
en elle, comme un mince filet de soleil
glissant entre les branches.
Le troisième acte est d'une puissante
vérité d'observation'. Il fallait peindre les
douleurs, les épreuves de toutes sortes,
les blessures de chaque jour supportées
par Henri etpar Marcelle. Il fallait indi-
quer nettement, et pourtant sans y trop
insister, le dédain où le monde tient le
riche devenu pauvre. Il fallait enfin que
ce fût a la fois vrai au point de vue psy-
chologique, et saisissant au point de
vue théâtral. C'est-à-dire que c'était vou-
loir exécuter un tour de force.
Peut-être M. Octave Feuillet a-t-il trop
crûment disposé les lumières. Mais le
tableau m'a paru d'abord un peu heurté.
Par exemple, la révolte de Marcelle en
face de la gêne se montre trop vite. Sans
doute elle souffre des blessures ancien-
nes mais le public ne comprend bi~n
que ce qui se fait sous ses yeux. On la
sent agressive contre son mari elle lui
en veut d'avoir écouté sa conscience et
de n'avoir pas fait taire son honneur. On
la voit teûtéa par !es ofEres du ténor Ju-
liani, qui lui propose de le suivre en
Amérique avec sa troupe d'opéra no-
made.
Elle ne se dit pas que, les vraies dou-
leurs, c'est Henri qui les subit. N'a-t-il
pas accepté d'être le secrétaire du baron
Chevriar ? N'est-il pas constamment
heurté par ses anciens compagnons de
plaisir ?Et'cependant, pendant que lui
reste fièrement résigné, c'est elle qui
se révolte. Là encore, M. Octave Feuillet
abordait de front une situation redouta-
ble.
On se rappelle qu'au premier acte M.
Chevrial trouvait Mme de Targy fort à
son goût. Cette petite femme m'ex-
cite) 'Or, l'idée infâme.a germé dans
cette âme de boue il n'a pris Henri
comme secrétaire que pour avoir l'occa-
sion de voir plus souvent Marcelle II a
suivi pas à pas les défaillances de la
jeune femme il a guetté chacune de ses
révoltes. Et il arrive, quand il la croit
bien lassée, bien écœurée. Habilement,
sournoisement, il lui ogre de l'acheter.
Pas de gros mots, pas de propositions
heurtées, tout cela est d'un art exquis.
Ce misérable sent bien qu'il faut doser
les dégoûts qui viendront à Marcelle.
Et, en eSet, elle a dû l'entendre jus-
qu'au bout a-t-elle le droit de se mon-
trer bien bégueule maintenant qu'elle
est pauvre? Est-ce que la. position de
son mari ne dépend pas dé cet homme? '1
Elle aime mieux feindre de ne pas com-
prendre et boire jusqu'au bout le calice.
Il lui embrasse même la main en la quit-
tant t Mais, quand elle est seule, le dé-
goût lui monte aux lèvres. En est-
elle déjà à transiger avec sa conscience) 1
Alors, après cette première honte,
d'autres hontes nouvelles t Mieux vaut
cabotiner dans les deux Amériques que
de rester exposée à ces corruptions in-
cessantes mieux vaut les grandes cour-
ses à travers les villes de là-bas que les
abjections de la ville pourrie. Du
moins, elle travaillera elle doit rester
digne d'elle et de son mari. Elle ne se
dit pas que subir, en feignant de ne les
pas comprendre, les galanteries du ba-
ron, c'est commettre une petite lâcheté,
sans doute; tandis que c'est commettre
une grande infamie que de fuir au bras
d'un ténor,comme une femme coupable,
en laissant son mari être seul malheu-
reux ·
Le drame marche et palpite. Henri
doit choisir. Suivre sa femme dont la
tendresse lui échappe ou soigner,
mourante, sa mère dont la tendresse
lui demeure. Il reste) Admirable En
d'acte, acclamée par toute une salle en-
thousiaste qui a fait trois fois relever le
rideau.
On apprend bientôt qae Marcelle
de Targy a ,dû périr en mer. Le
navire a brûlé dans l'Océan i C'est dans
"un souper chez Rosa Guérin, la maî-
tresse de Chevrial que se commente
la nouvelle. Bien observées et bien
drôles ces banalités pleurardes qu'on
échange entre deux verres de Cham-
pagne. Une seule figure honnête ap-
paraît dans ce milieu d'oreie. C'est
Henri, qui vient apporter au baron des
pièces à signer. Ces filles et ces gom-
meux ont voulu voir sur le visage de
ce fier galant homme l'effet que lui
causait la mort de sa femme. -Après
son départ les toasts éclatent. Tout à
coup, le baron pousse un cri,un éblouis-
sement le prend; on le transporte sur le
balcon, bu il meurt comme un chien,
comme il a vécu.. a
Encore une un d'acte admirable, d'un
effet si puissant qu'on frissonne.
Tout change. Henri n'avait guère sujet
de pleurer sa femme, Thérèse Chevnal
n'avait guère sujet de~pleurer son mari.
Deux êtres jeunes, honnêtes, sincères,
se trouvent en face l'un de l'autre et li-
bres tous les deux. Il est naturel qu'un
amour réciproque naisse dans ces cœurs
qui se ressemblent. Vont-ils donc être
heureux? Qu'èst-ce qui les en empê-
cherait ? La fatalité tragique qui do-
mine l'œuvre de M. Octave Feuillet.
Seule, Marcelle a échappé à l'incendie,
elle revient près de son mari; elle es-
père y trouver le pardon et y retrouver
îe bonheur. Mais elle comprend bien
vite que sa résurrection inattendue dé-
sole Henri et Thérèse. Elle sent combien
elle est effacée dans tous ces coeurs;
elle comprend qu'elle est morte pour
ces deux êtres, dont l'un l'a oubliée~
dont l'autre l'a remplacée.
Tel est ce drame heurté, violent, mais
d'un intérêt puissant, et qui contient des
scènes d'une haute et ûère allure drama-
tique. C'est au bruit d'enthousiastes bra-
vos qu'on a nommé M. Octave Feuillet
et rappelé cette superbe troupe du Gym-
nase qui a été, hier soir, digne de la;
Comédie-Française. Mme Pasca joue
avec son immense talent, avec son auto-
rité accoutumée. Elle a eu un triomphe
après le troisième acte. Du haut en bas,
on acclamait la superbe tragédienne.
M. Saint-Germain a le tort de don-
ner moins de soins à un rôle qui lui
déplaît parce qu'il le sent antipathique.
M. Marais joue le rôle d'Senri avec la
chaleur généreuse qui fait son succès
mais aussi avec une retenue très digne,
qui révèle une heureuse transformation
de son talent. M. Landrol est parfait
sous les traits'du docteur Chesnel. Quant
à MlleVolsy (Thérèse Chevrial), elle
est tout uniment adorable. Le meilleur
compliment à lui faire, c'est de dire que
l'artiste est à la hauteur du rôle exquis
que le poète a conçu. Mlle Magnier a.
eu de l'esprit, quand il fallait avoir de
l'esprit au quatrième acte, à la mort
saisissante du baron, elle s'est révélée
artiste tragique de premier ordre. Mme
Brindeau est, comme toujours, en pro-
grès S~ir elle-même. Sa beauté sombre
et ses qualités dramatiques ont encore
augmenté depuis un an.
Pas une tache, pas un heurt dans cette
magnifique interprétation. Deux artis-
tes jouant de petits rôles, MM. Noblet
et Martin, ont été charmants.
L'œuvre superbe de M. Octave Feuil-
let a trouvé au Gymnase un cadre mer-
veilleux. On a dit ailleurs le soin com-
plet d'artiste avec lequel M. Koning a
monté !7~ jRoMM~~M:r!S!'e~.Moi, je veux
surtout louer le soin exquis, l'intellij!
gence de la mise en scène, la perfection
de chaque détail. Le Gymnase tout en*
tier comprenait que, lorsque l'on inter-
prète de l'Octave Feuillet, il faut être à
la fois digne de la pièce qu'on joue [et
digne du nom qui l'a signée. Alors on
obtient, comme nier soir, l'un des triom-
phes les plus beaux et les plus mérités
dp la scène française.
ALBERT DELPIT
mfRESsms B'm EAEsm
à ta Leter!e du CAULOtS
Monsieur le directeur,
J'ai gagné un 'fauteuil à la loterie du
(?aM!oM, pour la. première d'Octave Feuil-
let et vous me demandez, en retour,de vous
conter mes impressions sur la soirée.
Vous vous êtes dit que, puisque le sort a.
justement favorisé une artiste du Gymnase,
car je suis au Gymnase et non au Palais-
Royal, comme un de vos rédacteurs le di-.
sait ce matin, il serait piquant de faire
jaser cette artiste précisément sur la pre-
mière de son théâtre.
Puisque c'est au bonne fortune d'assister à cette solennité,
je ne me ferai pas tirer l'oreille. D'ailleurs
je suis comédienne, et vous pensez bien
que,depuis deux jours, les comédiennes ont
trop peur des journalistes pour pouvoir
rien leur refuser.
Cela dit, je me jette à l'eau, en comptant
un peu sur vous et vos rédacteurs pour
m'empêcher de me noyer.
Htatoire de la Pièce
Dans le courant de l'année dernière, M.
Octave Feuillet abandonna, à M. Victor
Koning, quatre pièces de son répertoire
le T~OMMK d'un /'fM~ ~OM~ ~Kfr~, Da-
7/ le ~&/K~ et ./M/
Le jeune directeur du Gymnase insista
vivement auprès du célèbre écrivain pour
obtenir de lui une pièce nouvelle. Mal-
heureusement, M. Feuillet, depuis quel-
que temps, est dans un état de santé qui
ne lui permet guère de s'engager dans un
travail, à livrer à date fixe, et il dut décli-
ner l'offre qu'on lui faisait.
A quelque temps de là, on présent &
M. Koning une comédie qui lui plut, mais
ou il lui parut que quelques retouchés
étaient nécessaires. Ges retouches, il lets
demanda a M. Octave Feuillet.
Celui ci lut l'ouvrage, indiqua les modi-
fications à faire, mais déclina encore toute
offre de collaboration.
Pourtant, à quelques jours delà, se trou-
vant avec M. Koniag < II m'est venu, lui
dit-il, une idéé qui me semble très appro-
priée à votre personnel. Elle est bonne t
s'écria M. Koning. Racontez-la-moi.
Quand le directeur du Gymnase l'eut
entendue, il la trouva excellente: Pour
condition expresse, M. Octave Feuillet sti-
pula qu'on lui laisserait tout le temps) né-
cessaire. Naturellement M. Koning f y en-
gagea. `
Cela né t'empêcha pas de suivre pas
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