Titre : Le Gaulois : littéraire et politique
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1882-08-13
Contributeur : Pène, Henri de (1830-1888). Directeur de publication
Contributeur : Tarbé des Sablons, Edmond Joseph Louis (1838-1900). Directeur de publication
Contributeur : Meyer, Arthur (1844-1924). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 13 août 1882 13 août 1882
Description : 1882/08/13 (Numéro 28). 1882/08/13 (Numéro 28).
Description : Note : erreur de numérotation. Note : erreur de numérotation.
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 22/02/2008
PARIS i. S CeiltimeS; DÉPARTEMENTS iST GARES S<~ CENTIMES'
Seizième Année Troisième Série Numô~e 28
Dimanche 13 Août 1882
'AmTEttim MENEES
Dtf
ABONNEMENTS
Paria 1 Département*
Unmois. 5fr. Unmois. 6<~
Troiamoia. 1850 Trois moia. 16/S~
Sixmois. a7fr. Sixmois. Sa!&~
Unam. S4fr. Unan. MÛ.
Etranger
Trou) mois (Union postale). t8~r.
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RÉDACTION
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RENSEIGNEMENTS
W, boulevard de< Italiem, <
1. et
PA~S Jb~ML
t/thcere~ÏËM
M. de Marcëre'est un noyé qui revient
sur l'eau. Les républicains croyaient
l'avoir bien solidement garrotté dans
des liens de plomb; ils lu) avaient atta-
ché aux bras et aux jambes le poids de
leurs ordres du jour les plus dédai-
gneux ils l'avaient bâillonné, coulé à
fond. Il gisait tristement au fond des
marécages parlementaires, dans le li-
mon de l'oubli. Le fretin des nouveaux
députés grouillait insolemment autour
de ce cadavre de ministre, sans même y
prendre garde.
Tout à coup le noyé s'agite, il s'en-
lève le voilà à la surface et il ne se
contente pas de surnager il parle, il
réclame sa place, il veut être ministre
ou tout au moins ambassadeur!
Figurez-vous l'infortuné Aubert frap-
pant, huit jours après le crime, à la
porte du ménage Fenayrou, venant s'as-
seoir au souper de famille, à côté de la
belle Gabrielle et réclamant ses droits.
L'autre jour, lorsque M. de Marcëre
montra sa mine piteuse de ressuscité, il
y eut un mouvement d'eSroi dans toute
la Chambre. L'effroi dégénéra en stu-
peur quand on l'entendit murmurer
humblement ses excuses et ses protes-
tations de désintéressement. Ainsi ce dé-
capité parlant avait l'audace de songer
qu on pourrait bien lui offrir une part
de la curée. Il revenait, comme par ha-
sard, en un jour de crise ministé-
rielle, comme si les crises étaient faites
pour les ministres enterrés, pour les
hommes unis, pour les secrétaires d'E-
tat du Maréchal et les prédécesseurs de
M. Simon t
Il faut pourtant bien compter avec ce
cadavre récalcitrant. On l'enverra à
Rome. On donnera à ce pauvres! re l'es-
corte pompeuse des suisses à plumes
vertes, des auditeurs de rote, des cha-
pelains de Saint-Louis. Oa l'embaumera
dans une sorte de cardinalat laïque.
Eh bien ) non, M. de Marcére ne veut
pas être embaumé.
Depuis longtemps, il convoite l'am-
bassade à Rome. S'il l'obtient, il y por-
tera une politique personnelle, des pro-
jets, des systèmes. Il viendra, précédé
de la préface qu'il écrivit en tête d'un
livre anonyme et ultra-libéral sur le
.BM<~e< des CM~M et la QMes<:OM c~'ï-
cale (1). Il viendra ferré sur le problème
des rapports de l'Eglise avec la Répu-
blique. On no pouvait dépêcher au Vati-
can un ambassadeur plus importun 1
Le Vatican est accoutumé aux ambas-
sadeurs de carrière, aux diplomates qui
ont la tradition, qui ont passé par le pa-
lais Colonna, en qu&lité de secrétaires
ou d'attachés, avant de s'y installer en
ambassadeurs. Pour la première fois,
la secrétairerie d'Etat assistera à un ap-
prentissage diplomatique, et discutera
avec un politicien portant en ses poches
un projet de nouveau concordat à 1 usage
spécial de la République française.
Nous nous représentons mal M. de
Marcèrerécitant au souverain pontife, en
cuise de compliment d'introduction, des
fragments de sa préface
Très saint Père, dira-t-il, Bona-
parte avait voulu faire de l'Eglise ro-
maine un instrument de règne. Il y a
réussi et l'Eglise s'y est prêtée, par
cette singaliëre destinée, peu confor-
me à sa mission providentielle, qui
l'a rendue trop souvent ladominatn ce
ou la servante des rois. Dans la vue
trop humaine de défendre ses intérêts
.matériels, elle a définitivement oublié
"son rôle d'émancipatrice pour prendre
celui de complice et d'aide contre l'af-
franchissement des peuples. Triste
rôle pour elle! Il est grand temps
qu'elle l'abjure (2).
0 souverain pontife, l'Eglise a abusé
du droit d'enseigner en se dérobant à
la stricte observance des règlements
universitaires du droit de s'associer,
elle a abu?é en multipliant avec excès
les abbayes et les couvents du droit
de s'associer, elle a abusé en accu-
mulant d( s richesses (3).
Je me jette à vos pieds, très Saint-
Père, dans l'espoir que Votre Sainteté
m'aidera à changer tout cela. La vé-
rité est qu'en matière religieuse
tout est à refaire (4~). Il est nécessaire
que le clergé soit astreint d'une façon
plus complète aux devoirs civiques (5 ),
c'est-à-dire que les séminaristes pren-
nent le fasil et mènent la vie de ca-
serne. Afin d'opérer ces réformes sa-
lutaires, j'ai l'honneur. Très Saint-
Père, de déposer sur vos genoux un
petit projet de concordat, qui sera
fort agréable à notre jeune et chère
République. Ce nouveau contrat, sans
séparer l'Eglise et l'Etat, les déga-
gera autant que possible; nous appli-
querons à l'Eglise, avec le consente-
ment de Votre Sainteté, le régime du
droit commun sur les associations (6),
c'est-à-dire quelque loi élaborée par les
citoyens Brisson ou Madier de Mont-
jau, et tout cela pour la plus grande
gloire de l'Eglise apostolique et ro-
maine, dont j'ai l'honneur d'être
l'humble ûls) =
M. de Marcère se doit à lui-même de
tenir au Sajnt-Përe ce langage, qui ex-
prime son opinion actuelle, celle de
'1882, celle qu'il vient de faire imprimer
chez l'éditeur Dentu.
Il pensait sans doute autrement en
1869, alors qu'il éditait à la librairie du
Co~es~oM~œ~ la jPoM~M~ d'un Provin-
cial.
Il pensait autrement, alors qu'il pré-
(;)) Paris, E. Dentu, 1881.
(2) Préface au Badgst des cultes, p. VII.
(3) Id. p. IX.
(4 Id. p. XVI.
(5) Id. p.XXH.
6) Id. p. XV.
sidait une conférence de Saint-Vincent-
de-Paul.
Mais les Marcère changent avec les
régimes. Le Marcère qui achetait les
légendaires chevaux blancs du sacre
royal n'est pas celui qui s'attirait les
réprimandes de M. Pinard, son procu-
reur général, pour l'excès de son zèle
impérialiste, alors qu'il était procureur
à Saint-Pol. Et ce Marcère-là n'a rien de
commun avec celui qui se déclarait en
1876 en communion parfaite d'opinions
et d'idées avec ld'Amérique.
Il faut nous tenir au Marcère d'au-
jourd'hui, à celui qui dédie des préfaces
aux livres semi-loysoniens, qui veut
réformer l'Eglise et le concordat, et
soumettre les catholiques au droit com-
mun édicté par les persécuteurs t
Mais qui sait ce que deviendra le Mar
cère de demain, au milieu des parfums
de Rome ?
La vraie politique monarchique con-
siste à ménager tous les hommes de
quelque valeur même républicains,
parce que le gouvernement qui succé-
dera à la République aura besoin du
concours de tous et s'ouvrira à tous.
Mais, avec M. de Marcëre, ces ména-
gements sont inutiles. Il n'a jamais
manqué à aucune cause triomphante, et
il n'a jamais déplu aux pouvoirs établis
que par excès de servilité. De plus, il est
léger comme le liège, élastique comme
le caoutchouc et souple comme l'osier.
II sombre et surnage, il s'étire en toutes
formes, il plie toujours et ne rompt ja-
mais.
N'importe, avant de prendre le train
de Rome, il agira prudemment s'il ra-
chète à M. Dentu tous les exemplaires
invendus du J?M~e< des c~M~s et ~ ÛMesMoM c~ri~e. Si la dépense est
grosse, M. de Marcëre a fait fortune
et son traitement d'ambassadeur le ré-
compensera) 1
HENR) DES HOUX
Nos Echos
AUJOURD'HUI
A 6 heures et demie, dîner au Grand-Hôtel
admission jusqu'à 7 heures.
Pendant la durée du dîner, .t'orchestra de
M. Desgt'angea jouera dans la nouvelle satle de
musique.
MENU
Potage printanier royala
Melon
Hors-d'œuvra
Saumon sauce homard
Croquettes duchesse
Filet de bœuf aux concombres farcis
Salmis de canetons aux champignons
Dindonneau au cresson
Salade
Petits pois à la paysanne
Savarin au kirsch
Glace
Vanille et framboises
Desserts
Fromages, fruits et petits-foura
Le salon des dames est ouvert aux voyageurs.
Piano, orgues, tables de jeux.- D!ner à la carta
au restaurant. Billards au Café Divan.
Le programme du dîner-concert. (Voir à la
4' page.)
0~
Musée Grévin, 10, boulevard Montmartre.
De onze heures du matin à onze heures du soir.
Entrée 1 franc.
Français, 8 h. Le MarMp~ <:
LE MONDE ET LAVtLLE
Les feuilles ofâcieuses démentent le
bruit de la démission de M. Ftoquet.
Cette nouvelle no as rassure sans nous
surprendre.
Télégramme de notre correspondant de
Trouville:
Ce soir, au Salon de Trouville, belle
représentation des deux Coquelin, Feb-
vre, Reichemberg et Grivot. On jouait
.LM~e III, c~sp! logues.
Les courses seront magninques deux
cents chevaux sont arrivés ou attendus.
Contrairement aux dires des journaux,
Archer ne vient pas à TrouviIIe. Les
chevaux du haras de Chamant seront
montés par Webb.
Voici mes pronostics pour dimanche
Prix sp~cM~ Friandise.
jpy!'a; de y/'OM~!Me Innocent.
Prix de Z~oM~SKr Ecurie Lefevre.
-PrM? des M~MMes Touriste ou Au-
réiie.
Les véritables toilettes paraîtront sur
le champ de courses.
L'impératrice Eugénie, dont la santé
était fort affaiblie ces derniers temps,
vient, sur ravis de ses médecins, de quit-
ter Londres. Sa Majesté a passé hier à
Calais se rendant à Munich, où Elle sé-
journera quelques jours. EUe ira s'éta-
blir ensuite au château d'Arenenberg.
Villégiature présidentielle.
M. Grévy va bientôt quitter l'Elysée
pour se rendre à Mont sous-Vaudrey.
Nous apprenons que MM. de Freyci-
net et Léon Say ont été invités tous deux,
par le président de la République, à al-
ler passer quelques jours, le mois pro-
chain, dans la propriété de M. Grévy,
lorsqu'il sera dénnitivement installé
avec sa famille. 1
Vers la nn de septembre, le président
de la République se rendra à Chenon-
ceaux où il séjournera une semaine ou
deux.
L'amiral sir George Rose Sartorius.
commandant de l'ordre du Bain, doyen
des ofûciersde la marine anglaise, vient
d'accomplir sa quatre-vingt-douzième
année.
Entré dans la marine en 1801, il est un
des rares survivants, sinon le seul. de
cette mémorable bataille de Trafalgar,
ou Nelson détruisit la notte française
il fat promu au grade d'amiral de la
notte, sorte de maréchalat, en 1869.
Sir George Rose-Sartorius est un peu
moins âgé que le comte de Schramm, le
doyen de nos officiers généraux, mais
beaucoup moins ancien de grade que
ce dernier. Le comte de Schramm est,
en effet, général de division depuis d832.
Les obsèques de M. Frédéric Gaillar-
det, dont nous annonçonsia mort d'autre
part, auront lieu demain lundi, à dix
heures du matin, à l'église du Plessis-
Bouchard.
Lee amis du défunt devront prendre,
à la gare du Nord, le train de huit
heures quarante-cinq minutes du matin
pour Franconville. Le Plessis est à dix
minutes de la gare.
Après le service religieux, le corps
sera ramené à Paris. L'inhumation se
fer9. au cimetière Montparnasse, dans le
caveau de la famille.
Avis aux pères de famille qui envoient
leurs enfants s'instruire au collège
Rollin.
Le conseil d'administration de cet éta-
blissement, qui compte dans son sein
plusieurs radicaux, a, en établissant les
prévisions de dépensespour l'année pro-
chaine, purement et simplement sup-
primé le crédit destiné au traitement de
l'aumônier du collège.
De sorte que Jtes enfants ne trouveront
plus, à l'avenir, l'instruction religieuse
qu'ils avaient commencé à apprendre.
M. Grévy a visité hier l'exposit ion des
arts décoratifs au palais de l'Industrie.
Le Président, qui est arrivé à quatre
heures seulement, était accompagné du
général Pittié il a parcouru toutes les
salles.
MM. Antonin Proust et Bouilhet lui
faisaient les honneurs de l'intéressante
exhibition.
Les nouvelles du dessinateur Vierge
continuent à donner à ses amis le plus
grand espoir.
Cet artiste a commencé à retrouver
l'usage de la parole, et il peut presque
aujourd'hui se servir des membres qui
étaient paralysés.
Voici deux ou trois fois déjà qu'il fait
le voyage de Meudon à Paris pour se
rendre chez son frère, Samuel Vierge,
dessinateur comme lui, qui l'avait rem-
placé dans plusieurs de ces travaux.
Très remarqués hier, sur le boule-
vard, se promenant bras dessus, bras
dessous, MM. Daclerc, président du con-
seil des ministres, et Léon Say, ex-mi-
nistre des finances.
Pas de rancune ) 1
Nous apprenons le mariage de M. Sté-
phane de Witasse de Thezy avec Mlle
Eugénie de Beaulaincourt-Marles, ar-
rière-petite-nlle du comte de Beaulain-
court-Marles, qui fut victime de la Ré-
volution et périt sur l'échafaud à Arras,
sous le proconsulat de Lebon. 1.
La famille de Witasse de Thezy compte
parmi les anciennes familles de Picar-
die.
M. le docteur Potain pose sa candida-
ture à l'Académie de médecine, dans la
section de pathologie médicale, en rem-
placement de M. Bouillaud, récemment
décédé..
On nous écrit de Besancon
Mercredi dernier a été célébré, en
l'église de Saint-Terjeux, banlieue de
Besançon, le mariage de Mlle Margue-
rite de Suremain, avec le comte Adeiric
de Lénoncourt, sous-lieutenant au 98°
régiment d'infanterie.
La bénédiction nuptiale a été donnée
aux jeunes époux par S. Em. Mgr Ca-
verot, cardinal-archevêque de Lyon,
primat des Gaules.
Une nombreuse et brillante assistance
témoignait, par sa présence, de la pro-
fonde sympathie que méritaient, à si
juste titre, deux des familles les plus
anciennes et les plus respectées de la
Franche-Comté.
HOUVELLES A LA MAIN
Nous avons lu, dans un cimetière de
province, l'épi taphe suivante
MADAME X.
REGRETTÉE DE SON GENDRE
Etau-dessous:
~Vo~. Ces regrets sont véritables
et ne sont point mis là par ironie, x
Encore les combles, pour ne pas en
perdre l'habitude.
Le comble de la frugalité
Se nourrir de racines. carrées, de
poissons. d'avril et de pains. à ca-
cheter.
Le comble de la précaution
Mettre une muselière au chien. de
son fusil 1
Au casino deBagnëres-de-Luchon..
Un individu d'allures assez suspectes
s'était fait remettre à sa place par un
monsieur à qui son ton ne plaisait pas.
Prenez garde, lui dit l'individu en
question; je vous préviens que j'ai dix
ans de salte.
A quoi le monsieur répondit fort tran-
quillement
Je ne sais pas si vous avez dix ans
de sa~e. mais je parierais bien que
vous n'avez pas cinq années de p~o-
p~M
SK BOtMNe
LE PREM!ER SOtR
DES
CONDAMNÉS
On trouvera plus loin le compte ren-
du de l'audience à la nn de laquelle Ma-
rin Fenayrou a été condamné à mort, sa
femme aux travaux forcés à perpétuité
et son frère à sept ans de la même
peine.
Après la proclamation du verdict et
de la condamnation, les trois condamnés
sont descendus dans la prison par l'es-
calier qui fait communiquer le quartier
des prévenus avec la salle des assises.
Ils se sont rencontrés tous les trois dans
un corridor froid comme tous les corri-
dors de prison, où le pas résonne sur
les pierres blanches du dallage.
Lucien Fenayroumarcbait devant. Son
frère a couru à lui < Embrasse-moi,
mon pauvre frère, dit-il. Lucien n'a
pas répondu.
Et c'est presque de force que Marin
Fenayrou s'est emparé de la main de
son frère.
Presque en même temp, Gabrielle
Fenayrou rejoignit son mari. Elle lui
prit le bras, et les deux époux, surveil-
lés de loin par les gendarmes qui res-
pectaient leur tête-à-tête, se promenè-
rent pendant une minute.causant à voix
basse.
Cette intimité du mari et de la femme
a beaucoup surpris les gardiens car,
depuis qu il avait appris, au cours d'une
confrontation, les relations de sa femme
avec M. & Marin Fenayrou ne lui
avait plus écrit et n'avait plus demandé
de ses nouvelles. Même il avait dit, le
lendemain de cette révélation < Main-
tenant que je sais cela, si la chose était
à refaire, je ne la ferais pas. Puis, le-
vant le poing au ciel, il avait ajouté
« Je me serais vengé autrement »
Quand l'inspecteur de l'administration
pénitentiaire de Seine-et-Oise, M. Gent,
un criminaliste très distingué et très
aimable, soit dit entre parenthèses, a cru
devoir rompre l'entretien, Marin est
rentré brusquement dans sa cellule il
en est sorti tout de suite, tenant à la
main une côtelette et un morceau de
painenveloppés dans un journal « Tiens,
voilà mon déjeuner de ce matin, cela
fera ton dîner de ce soir. e
Gabrielle prit le paquet et embrassa
son mari, qui fat ensuite enfermé.
Restée seule avec M. Gent (Lucien
avait été conduit dans sa cellult) la
femme Fenayrou lui dit t Je vous en
prie, monsieur l'inspecteur, veillez sur
mon pauvre mari il a l'intention de se
tuer. Empêchez cela.
M. Gent rassura Gabrielle, et immé-
diatement il donna l'ordre de mettre au
condamné à mort la bricole, bretelle de
sûreté vulgairement appelée camisole
de force.
Vers deux heures, les trois défen-
seurs, M" Démange, de Royer, Danet,
rendirent visite à leurs clients.
M" Demange trouva Marin Fenayrou
très calme, tout à fait impassible. Le
condamné à mort reverra lundi son
éloquent avocat, qui lui fera signer sans
doute son pourvoi en cassation.
Gabrielle Fenayrou, qui avait été si
complètement maîtresse d'elle-même
pendant tous les débats, eut une défail-
lance quand elle se trouva en présence
de M" de Royer. Elle ne put articuler
que des mots sans suite: « Mes enfants!
mon pauvre mari Mon Dieu
M" de Royer a donné à sa cliente quel-
ques paroles d'encouragement. Puis, il
est parti pour Suresnes. Il retournera à
Versailles demain et décidera s'il y a
lieu, pour sa. cliente, de se pourvoir en
cassation.
Lucien Fenayrou était dans un ef-
frayant état de prostration quand son
avocat entra dans la cellule. Etendu sur
son lit, il poussait des gémissements pi-
toyables. Ce malheureux se pourvoira
lundi en cassation contre l'arrêt qui l'a
frappé.
Après la visite de leurs défenseurs, les
condamnés ont reçu celle de M. le pré-
sident Bérard des Glajeux puis, vers
cinq heures, celle de M. &ent.
A cinq heures, la réaction s'était pro-
duite chez chacun d'eux.
Marin Fenayron
Marin Fenayrou, couché sur son lit,
était très agité. Quand M. Gent entra,
il lui dit Ah! monsieur, je vous haïs-
sais parce que vous essayiez de m'é-
clairer sur ma situation. Vous aviez
bien raison, les juges ont jugé comme
vous me l'aviez fait pressentir.
Leur verdict n'est pas tout à fait uste
ils n'ont pas fait la distinction entre un
assassin et un homme qui se venge.
Car j'avais le droit de me venger de ce
misérable qui m'appelait père et qui
m'a volé mon bonheur Le lâche je me
privais de ma femme pour ne pas la
faire mourir, et il me trompait avec
elle. Lui un Alphonse car c est la vé-
rité, monsieur, il n'est venu que pour
l'argent, pour les deux mille francs que
ma femme lui promettait dans sa lettre.
L'infâme l'infâme! oh) je ne me repens
pas. Il m'avait tout volé. On peut me
tuer, c'est la vérité. »
Regardant ses mains liées, Marin Fe-
nayrou reprit après une pose t Vous
faites commencer mon supplice en me
liant déjà. »
M. Gent répondit en oSrant au con-
damné de lui accorder tous les adoucis-
sements à son sort compatibles avec les
prescriptions réglementaires. Fenayrou
demanda. la permission de fumer.
@abr!e!!e JFemayrem
Crabrielle Fenayrou avait recouvré
son impassibilité. Elle recommanda en-
core à M. Gent de veiller sur son mari,
demanda des nouvelles de Lucien, puis
fit des projets d'avenir Son mari se-
rait gracié, il irait en Nouvelle-Calédo-
nie. Au bout d'un an, comme il se con-
duirait bien, on lui donnerait l'autori-
sation de faire venir près de lui sa fem-
me, ses enfants et sa belle-mère. Ils
pourraient vivre là-bas heureux,comme
ils auraient fait à l'étranger si on ne les
avait pas arrêtés avant leur départ.
Oui, elle le rendrait bien heureux, le
pauvre homme qui l'aimait tant et qui
avait tant fait pour elle.
En travaillant, ils oublierai eut le mal-
heureux t qui.les avait menés au crime.
M. Gent entendit la confidence de tous
ces projets; puis iipria Gabrielle Fenay-
rou de sortir avec lui. Ensemble ils mon-
tèrent dans une voiture qui les mena à
fond de train à la prison des femmes de
Versailles.
Pendant le trajet, des clameurs indi-
gnées de la foule parvinrent jusqu'à la
condamnée < On aurait bien dû épar-
gner les outrages de la foule à une pau-
vre femme comme moi t dit-elle. Elle
se tut, puis, reprenant < N'est-ce pas.
monsieur, que l'auditoire a murmuré
quand il a entendu condamner à mort
mon mari?
tjMc!en Fenayrou
Le malheureux avait recouvré la pa-
role. Il sangioLait: «Oh! mes enfants,
ma femme ) Je n'avais rien fait de mal.
J'ai toujours travaillé. Et ila fallu qu'ils
vinssent me chercher pour assassiner,
moi. moi: Mes enfants vont mourir de
faim. Et ce sera de la faute de cette abo-
minable vieille. Elle les excitait, quand
moi je les calmais. Oh! il faudra qu'on
casse cet arrêt je suis innocent, moi, je
n'ai pas tué »
A neuf heures du soir, M. Gent a fait,
dans les deux cellules de Marin et de Lu-
cien, une dernière visite. Les deux cou-
pables, qui n'avaient pas dîné, ne dor-
maient pas encore. LOUIS LAMBERT
Muta mmMMT
LE TRAIN BES MARIS
AMJER
Six heures et demie, gare Saint-Lazare.
Une première retour Dieppe.
Une première retour Etretat.
Tiens, c'est toi ? Tu vas à Dieppe.
Et toi à Etretat. Alors nous voyageons
ensemble jusqu'à Rouen, comme samedi
dernier.
Et comme samedi prochain. Et voilà
Pontvoisin qui va à Trouville, lui.
Première Trouville
Comment pas de retour, Pontvoisin ?
Non, je reste toute la semaine. Dame 1
ce sont les courses, et la liquidation se fera
en hausse.
.Des poignées de mains s'échan-
gent on cherche des coins; oh étale son
paletot, son chapeau, sa valise et cinq
journaux dans le compartiment,pour réser-
ver des places aux amis qui arrivent les
uns après les autres. Voilà un mois qu'on
prend de compagnie, chaque samedi, le
même train pour aller, et, chaque samedi~
le même train pour revenir. On a fini par
se connaître, par se donner rendez-vous,
par s'attendre. Pour un peu, si un habitué
manque à l'appel, on prierait la locomo-
tive et le chauffeur d'attendre un peu.
Le compartiment n'a pas tardé à se
remplir, et les huit places sont occupées.
On cause de tout, de la hausse des soies,
de la faillite Magimel, du procès Fenayrou
et de la condamnation à mort, que tout le
was:on trouve excessive. Dame écoutez
donc, c'est le train des maris 1
Généralement, les visages sont heureux.
Cela se comprend, la Bourse est bonne
et le soleil fait plaisir après l'orage. Aussi,
le filet est encombré. Ce sont des jouets
pour bébé, des partitions pour mademoi-
selle, un panier de pêches de chez Potel
pourtout le monde; et dans le portefeuille
pour madame la note acquittée de sa mo-
diste, qu'on a apportée la veille à monsieur,
comme par hasard.
Dans un autre wagon, toute une série de
maris du même club. On continue en che-
min de fer la partie commencée au cercle.
Il y a cent cinquante louis.
Banco!
–Huit!
Neuf 1
Quelle guigne
Bast tu te referas demain aux cour-
ses.
Qui est-ce qui gagne le prix de Trou-
ville ?
Comte-Alfred est sûr.
Deux cents louis contre cent, Comte-
Alfred.
–Faït!
A Rouen, le train de Dieppe s'arrête
pour prendre les maris rouennais.
On descend pour se dégourdir les jam-
bes, et se dire adieu car c'est la bifurca-
tion. Les maris de Dieppe serrent la main
à ceux d'Etretàt, en se donnant rendez-
vous pour le surlendemain, par le train du
retour. On va au buffet boire ensemble" un
verre de fine champagne, et l'on se sépare,
les Etretatais, faciles à reconnaître, bons
enfants, plus simples dans leur mise et
dans leurs goûts, en jaquette d'alpaga et
en gilet blanc les Dieppois un peu plus
gourmés, plus esclaves de la mode et du
chic, serrés et irréprochables dans leurs
complets de chez Winter. Les premiers li-
sent le T~M~ et apportent à leurs femmes
le ./ûK~K~ Modes arrivé à la maison la
veille. Les seconds ont pris pour madame
la Vie ~~M~MKc et le dernier roman
paru.
En montant en wagon, un étonnement
Largillière ) Tu étais donc parti On
ne t'a pas vu au cercle de la semaine.
Chut pas un mot, à ma femme sur-
tout. J'ai passé ma semaine à Roueo, et
Hortense me croyait au bureau, à mes
affaires) I
Et la nuit est venue. Le train file à
toute vapeur, et la locomotive soufne sa
fumée dans la nuit noire comme une gerbe
de feu. On approche. Dans les wagons, on
tire du nfe't les valises et les sacs, les ca-
deaux pour la famille, et les commissions s
dont on s'est chargé.
On entre en gare. On descend de wa-
gon. Devant la porte de la sortie.des mou-
choirs s'agitent. Mamans et; enfants sont
là qui attendent l'arrivant. Bébé n'a pas
voulu se coucher avant d'avoir embrassé
son petit père Enusion générale~. v
Tu vas bien ?
Parfaitement. Et toi? 1
A merveille. Regarde, bébé, comme
l'air de la mer lui fait du bien.
–Je crois bien. C'est-à-dire qu'il a en'
core grandi depuis dimanche 1
Rentrons vite. Il est tard, et tu dois
ètre fatigué.
Et fais-moi réveiller de bonne heure
car, tu sais, je veux prendre un bain de
mer demain matin ).
WALENTtN
4--
FREOERtC GAiLURDET
Frédéric Gaillardet, l'un des auteurs
de ce fameux drame ~oMr de ~Ves~,
à propos duquel il soutint contre Alexan-
dre Dumas une polémique qui alla jus-
qu'au duel, est mort hier matin dans sa
propriété du Plessis-Bouchard, fort
belle campagne où il avait coutume de
passer ses étés.
A Paris, il demeurait rue Washing-
ton n° 2. Somptueusement installé, hos-
pitalier, recevant volontiers ses amis à
dîner. Nous avons même été au bal
chez lui, il y a quelques années.
Fondateur du CoMr/~er (?5 ~s~- ~s,
dont il fut rédacteur en chef de 1837 à
1848, il avait, après fortune faite, quitté
les Etats-Unis, pour venir vivre à Paris
en gentleman.
H s'était marié en Amérique.
Il ne voulait plus être, depuis de lon-
gues années, que le correspondant pa-
risien du journal dont il avait été l'heu-
reux et habile fondateur.
Né en 1806, à Tonnerre, il avait par
conséquent soixante-seize ans.
Grand, maigre, un peu pareil à un
roseau penché; décoré de la Légion
d'honneur des cheveux gris soigneu-
sement bouclés sur un visage imberbe
et coloré, il vivait, dit-on, depuis long-
temps avec un seul poumon mais, sou-
tenu par ses nerfs, d mena jusqu'à son
dernier jour une vie mondaine assez ac-
tive.
On dit que c'est un refroidissement
qu'il prit dans son parc, il y a huit
jours, qui l'a emporté. Sans cet accident,
il semblait que ce fût un de ces délicats,
destinés à enterrer les plus solides,
comme on en rencontre souvent dans la
vie.
Il a rendu le dernier soupir hier ma-
tin, après avoir expressément réclamé
les secours de la religion.
La première fois qu'il me fut donné de
le rencontrer, c'était –il y a bon nombre
d'années à un dîner chez son ami Jules
Lecomte, dans la petite maison originale
et coquette, pleine de faïences au de-
dans, revêtue de faïences à l'extérieur,
que ce fameux chroniqueur s'était fait
bâtir sur la chaussée de la Muette, et
qui fut vendue, après sa mort, à un gen-
tilhomme russe.
Nos couverts se trouvèrent placés à
côté l'un de l'autre; je ne sais par quel
hasard, car Jules Locomte était un maî-
tre de maison très méticuleux, nous ne
fûmes pas présentés l'un à l'autre avant
le repas, de sorte que j'étais à cent lieues
de me douter que mon voisin, d'appa-
rence un peu yankee et d'allure bour-
geoise, fût le célèbre, l'illustre, le reten-
tissant et batailleur auteur de la. ToM~
de .V<~e, ou du moins son premier
père.
Je n'avais pas songé, avant le dîner, a
regarder les livres étalés sur la table du
saton, sans quoi leur choix m'aurait
certainement averti qu'il y avatt de la
To!~ ~e -y<~ZM-~e (hélas t on a peut être oublié que
Jules Lecomte donna sous ce titre, avec
succès, une grande comédie en quatre
actes, au Théâtre-Français) avsdt cette
hospitalière coutume, chaque fois qu'il
invitait des gens de lettres a dîner, d'éta-
ler comme par hasard, tout ou partie des
œuvres, magnifiquement reliées, de ses
hôtes de plume.
S'ils n'avaient pas de volumes à leur
actif, il les remplaçait par leurs derniers
articles. Ces prévenances étaient une
des cordes de son luxe privé, qui 'était
réel et à propos duquel Augustine Bro-
han qui n'avait pas été toujours aussi
aimable pour lui eut, un jour qu'il lui
montrait son hôtel, et spécialement le
rayon de sa bibliothèque où étaient
rangées ses œuvres personnelles, une
louange tout à fait délicate
Ceci, dit la plus Rne, la plus mor-
dante et aussi la plus gracieuse des sou-
brettes quand elle voulait ceci –et elle
montrait les volumes de Jules Lecomte
-explique cela. Cela, c'était tout l'hôtel,
avec ses richesses, en meubles, tentu-
res, tableaux, bibelots.
Mais revenons à l'auteur dé la. T'OMr
cte Nesté.
Sa carrière comme auteur dramatique
tient tout entière dans le retentissement
formidable de l'œuvre qu'il donna à
vingt-six ans, etsous le succès de laquelle
le reste de sa carrière théâtrale fut
comme écrasé. Qui se souvient qu'il
donna ensuite us ~t'M~ts~, un C/)M~
jM~aM~oMr? Gaillardet est dans laFoM'*
de JVque cette pièce-là, en somme, tandis
Seizième Année Troisième Série Numô~e 28
Dimanche 13 Août 1882
'AmTEttim MENEES
Dtf
ABONNEMENTS
Paria 1 Département*
Unmois. 5fr. Unmois. 6<~
Troiamoia. 1850 Trois moia. 16/S~
Sixmois. a7fr. Sixmois. Sa!&~
Unam. S4fr. Unan. MÛ.
Etranger
Trou) mois (Union postale). t8~r.
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RÉDACTION
9, boulevard dea Italien)), W
ea nanx HECBBt A MtNUtt
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MML. Otï. JLA&BANGE, CB: A a
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ADMINISTRATION
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RENSEIGNEMENTS
W, boulevard de< Italiem, <
1. et
PA~S Jb~ML
t/thcere~ÏËM
M. de Marcëre'est un noyé qui revient
sur l'eau. Les républicains croyaient
l'avoir bien solidement garrotté dans
des liens de plomb; ils lu) avaient atta-
ché aux bras et aux jambes le poids de
leurs ordres du jour les plus dédai-
gneux ils l'avaient bâillonné, coulé à
fond. Il gisait tristement au fond des
marécages parlementaires, dans le li-
mon de l'oubli. Le fretin des nouveaux
députés grouillait insolemment autour
de ce cadavre de ministre, sans même y
prendre garde.
Tout à coup le noyé s'agite, il s'en-
lève le voilà à la surface et il ne se
contente pas de surnager il parle, il
réclame sa place, il veut être ministre
ou tout au moins ambassadeur!
Figurez-vous l'infortuné Aubert frap-
pant, huit jours après le crime, à la
porte du ménage Fenayrou, venant s'as-
seoir au souper de famille, à côté de la
belle Gabrielle et réclamant ses droits.
L'autre jour, lorsque M. de Marcëre
montra sa mine piteuse de ressuscité, il
y eut un mouvement d'eSroi dans toute
la Chambre. L'effroi dégénéra en stu-
peur quand on l'entendit murmurer
humblement ses excuses et ses protes-
tations de désintéressement. Ainsi ce dé-
capité parlant avait l'audace de songer
qu on pourrait bien lui offrir une part
de la curée. Il revenait, comme par ha-
sard, en un jour de crise ministé-
rielle, comme si les crises étaient faites
pour les ministres enterrés, pour les
hommes unis, pour les secrétaires d'E-
tat du Maréchal et les prédécesseurs de
M. Simon t
Il faut pourtant bien compter avec ce
cadavre récalcitrant. On l'enverra à
Rome. On donnera à ce pauvres! re l'es-
corte pompeuse des suisses à plumes
vertes, des auditeurs de rote, des cha-
pelains de Saint-Louis. Oa l'embaumera
dans une sorte de cardinalat laïque.
Eh bien ) non, M. de Marcére ne veut
pas être embaumé.
Depuis longtemps, il convoite l'am-
bassade à Rome. S'il l'obtient, il y por-
tera une politique personnelle, des pro-
jets, des systèmes. Il viendra, précédé
de la préface qu'il écrivit en tête d'un
livre anonyme et ultra-libéral sur le
.BM<~e< des CM~M et la QMes<:OM c~'ï-
cale (1). Il viendra ferré sur le problème
des rapports de l'Eglise avec la Répu-
blique. On no pouvait dépêcher au Vati-
can un ambassadeur plus importun 1
Le Vatican est accoutumé aux ambas-
sadeurs de carrière, aux diplomates qui
ont la tradition, qui ont passé par le pa-
lais Colonna, en qu&lité de secrétaires
ou d'attachés, avant de s'y installer en
ambassadeurs. Pour la première fois,
la secrétairerie d'Etat assistera à un ap-
prentissage diplomatique, et discutera
avec un politicien portant en ses poches
un projet de nouveau concordat à 1 usage
spécial de la République française.
Nous nous représentons mal M. de
Marcèrerécitant au souverain pontife, en
cuise de compliment d'introduction, des
fragments de sa préface
Très saint Père, dira-t-il, Bona-
parte avait voulu faire de l'Eglise ro-
maine un instrument de règne. Il y a
réussi et l'Eglise s'y est prêtée, par
cette singaliëre destinée, peu confor-
me à sa mission providentielle, qui
l'a rendue trop souvent ladominatn ce
ou la servante des rois. Dans la vue
trop humaine de défendre ses intérêts
.matériels, elle a définitivement oublié
"son rôle d'émancipatrice pour prendre
celui de complice et d'aide contre l'af-
franchissement des peuples. Triste
rôle pour elle! Il est grand temps
qu'elle l'abjure (2).
0 souverain pontife, l'Eglise a abusé
du droit d'enseigner en se dérobant à
la stricte observance des règlements
universitaires du droit de s'associer,
elle a abu?é en multipliant avec excès
les abbayes et les couvents du droit
de s'associer, elle a abusé en accu-
mulant d( s richesses (3).
Je me jette à vos pieds, très Saint-
Père, dans l'espoir que Votre Sainteté
m'aidera à changer tout cela. La vé-
rité est qu'en matière religieuse
tout est à refaire (4~). Il est nécessaire
que le clergé soit astreint d'une façon
plus complète aux devoirs civiques (5 ),
c'est-à-dire que les séminaristes pren-
nent le fasil et mènent la vie de ca-
serne. Afin d'opérer ces réformes sa-
lutaires, j'ai l'honneur. Très Saint-
Père, de déposer sur vos genoux un
petit projet de concordat, qui sera
fort agréable à notre jeune et chère
République. Ce nouveau contrat, sans
séparer l'Eglise et l'Etat, les déga-
gera autant que possible; nous appli-
querons à l'Eglise, avec le consente-
ment de Votre Sainteté, le régime du
droit commun sur les associations (6),
c'est-à-dire quelque loi élaborée par les
citoyens Brisson ou Madier de Mont-
jau, et tout cela pour la plus grande
gloire de l'Eglise apostolique et ro-
maine, dont j'ai l'honneur d'être
l'humble ûls) =
M. de Marcère se doit à lui-même de
tenir au Sajnt-Përe ce langage, qui ex-
prime son opinion actuelle, celle de
'1882, celle qu'il vient de faire imprimer
chez l'éditeur Dentu.
Il pensait sans doute autrement en
1869, alors qu'il éditait à la librairie du
Co~es~oM~œ~ la jPoM~M~ d'un Provin-
cial.
Il pensait autrement, alors qu'il pré-
(;)) Paris, E. Dentu, 1881.
(2) Préface au Badgst des cultes, p. VII.
(3) Id. p. IX.
(4 Id. p. XVI.
(5) Id. p.XXH.
6) Id. p. XV.
sidait une conférence de Saint-Vincent-
de-Paul.
Mais les Marcère changent avec les
régimes. Le Marcère qui achetait les
légendaires chevaux blancs du sacre
royal n'est pas celui qui s'attirait les
réprimandes de M. Pinard, son procu-
reur général, pour l'excès de son zèle
impérialiste, alors qu'il était procureur
à Saint-Pol. Et ce Marcère-là n'a rien de
commun avec celui qui se déclarait en
1876 en communion parfaite d'opinions
et d'idées avec l
Il faut nous tenir au Marcère d'au-
jourd'hui, à celui qui dédie des préfaces
aux livres semi-loysoniens, qui veut
réformer l'Eglise et le concordat, et
soumettre les catholiques au droit com-
mun édicté par les persécuteurs t
Mais qui sait ce que deviendra le Mar
cère de demain, au milieu des parfums
de Rome ?
La vraie politique monarchique con-
siste à ménager tous les hommes de
quelque valeur même républicains,
parce que le gouvernement qui succé-
dera à la République aura besoin du
concours de tous et s'ouvrira à tous.
Mais, avec M. de Marcëre, ces ména-
gements sont inutiles. Il n'a jamais
manqué à aucune cause triomphante, et
il n'a jamais déplu aux pouvoirs établis
que par excès de servilité. De plus, il est
léger comme le liège, élastique comme
le caoutchouc et souple comme l'osier.
II sombre et surnage, il s'étire en toutes
formes, il plie toujours et ne rompt ja-
mais.
N'importe, avant de prendre le train
de Rome, il agira prudemment s'il ra-
chète à M. Dentu tous les exemplaires
invendus du J?M~e< des c~M~s et ~
grosse, M. de Marcëre a fait fortune
et son traitement d'ambassadeur le ré-
compensera) 1
HENR) DES HOUX
Nos Echos
AUJOURD'HUI
A 6 heures et demie, dîner au Grand-Hôtel
admission jusqu'à 7 heures.
Pendant la durée du dîner, .t'orchestra de
M. Desgt'angea jouera dans la nouvelle satle de
musique.
MENU
Potage printanier royala
Melon
Hors-d'œuvra
Saumon sauce homard
Croquettes duchesse
Filet de bœuf aux concombres farcis
Salmis de canetons aux champignons
Dindonneau au cresson
Salade
Petits pois à la paysanne
Savarin au kirsch
Glace
Vanille et framboises
Desserts
Fromages, fruits et petits-foura
Le salon des dames est ouvert aux voyageurs.
Piano, orgues, tables de jeux.- D!ner à la carta
au restaurant. Billards au Café Divan.
Le programme du dîner-concert. (Voir à la
4' page.)
0~
Musée Grévin, 10, boulevard Montmartre.
De onze heures du matin à onze heures du soir.
Entrée 1 franc.
Français, 8 h. Le MarMp~ <:
LE MONDE ET LAVtLLE
Les feuilles ofâcieuses démentent le
bruit de la démission de M. Ftoquet.
Cette nouvelle no as rassure sans nous
surprendre.
Télégramme de notre correspondant de
Trouville:
Ce soir, au Salon de Trouville, belle
représentation des deux Coquelin, Feb-
vre, Reichemberg et Grivot. On jouait
.LM~e III, c~sp!
Les courses seront magninques deux
cents chevaux sont arrivés ou attendus.
Contrairement aux dires des journaux,
Archer ne vient pas à TrouviIIe. Les
chevaux du haras de Chamant seront
montés par Webb.
Voici mes pronostics pour dimanche
Prix sp~cM~ Friandise.
jpy!'a; de y/'OM~!Me Innocent.
Prix de Z~oM~SKr Ecurie Lefevre.
-PrM? des M~MMes Touriste ou Au-
réiie.
Les véritables toilettes paraîtront sur
le champ de courses.
L'impératrice Eugénie, dont la santé
était fort affaiblie ces derniers temps,
vient, sur ravis de ses médecins, de quit-
ter Londres. Sa Majesté a passé hier à
Calais se rendant à Munich, où Elle sé-
journera quelques jours. EUe ira s'éta-
blir ensuite au château d'Arenenberg.
Villégiature présidentielle.
M. Grévy va bientôt quitter l'Elysée
pour se rendre à Mont sous-Vaudrey.
Nous apprenons que MM. de Freyci-
net et Léon Say ont été invités tous deux,
par le président de la République, à al-
ler passer quelques jours, le mois pro-
chain, dans la propriété de M. Grévy,
lorsqu'il sera dénnitivement installé
avec sa famille. 1
Vers la nn de septembre, le président
de la République se rendra à Chenon-
ceaux où il séjournera une semaine ou
deux.
L'amiral sir George Rose Sartorius.
commandant de l'ordre du Bain, doyen
des ofûciersde la marine anglaise, vient
d'accomplir sa quatre-vingt-douzième
année.
Entré dans la marine en 1801, il est un
des rares survivants, sinon le seul. de
cette mémorable bataille de Trafalgar,
ou Nelson détruisit la notte française
il fat promu au grade d'amiral de la
notte, sorte de maréchalat, en 1869.
Sir George Rose-Sartorius est un peu
moins âgé que le comte de Schramm, le
doyen de nos officiers généraux, mais
beaucoup moins ancien de grade que
ce dernier. Le comte de Schramm est,
en effet, général de division depuis d832.
Les obsèques de M. Frédéric Gaillar-
det, dont nous annonçonsia mort d'autre
part, auront lieu demain lundi, à dix
heures du matin, à l'église du Plessis-
Bouchard.
Lee amis du défunt devront prendre,
à la gare du Nord, le train de huit
heures quarante-cinq minutes du matin
pour Franconville. Le Plessis est à dix
minutes de la gare.
Après le service religieux, le corps
sera ramené à Paris. L'inhumation se
fer9. au cimetière Montparnasse, dans le
caveau de la famille.
Avis aux pères de famille qui envoient
leurs enfants s'instruire au collège
Rollin.
Le conseil d'administration de cet éta-
blissement, qui compte dans son sein
plusieurs radicaux, a, en établissant les
prévisions de dépensespour l'année pro-
chaine, purement et simplement sup-
primé le crédit destiné au traitement de
l'aumônier du collège.
De sorte que Jtes enfants ne trouveront
plus, à l'avenir, l'instruction religieuse
qu'ils avaient commencé à apprendre.
M. Grévy a visité hier l'exposit ion des
arts décoratifs au palais de l'Industrie.
Le Président, qui est arrivé à quatre
heures seulement, était accompagné du
général Pittié il a parcouru toutes les
salles.
MM. Antonin Proust et Bouilhet lui
faisaient les honneurs de l'intéressante
exhibition.
Les nouvelles du dessinateur Vierge
continuent à donner à ses amis le plus
grand espoir.
Cet artiste a commencé à retrouver
l'usage de la parole, et il peut presque
aujourd'hui se servir des membres qui
étaient paralysés.
Voici deux ou trois fois déjà qu'il fait
le voyage de Meudon à Paris pour se
rendre chez son frère, Samuel Vierge,
dessinateur comme lui, qui l'avait rem-
placé dans plusieurs de ces travaux.
Très remarqués hier, sur le boule-
vard, se promenant bras dessus, bras
dessous, MM. Daclerc, président du con-
seil des ministres, et Léon Say, ex-mi-
nistre des finances.
Pas de rancune ) 1
Nous apprenons le mariage de M. Sté-
phane de Witasse de Thezy avec Mlle
Eugénie de Beaulaincourt-Marles, ar-
rière-petite-nlle du comte de Beaulain-
court-Marles, qui fut victime de la Ré-
volution et périt sur l'échafaud à Arras,
sous le proconsulat de Lebon. 1.
La famille de Witasse de Thezy compte
parmi les anciennes familles de Picar-
die.
M. le docteur Potain pose sa candida-
ture à l'Académie de médecine, dans la
section de pathologie médicale, en rem-
placement de M. Bouillaud, récemment
décédé..
On nous écrit de Besancon
Mercredi dernier a été célébré, en
l'église de Saint-Terjeux, banlieue de
Besançon, le mariage de Mlle Margue-
rite de Suremain, avec le comte Adeiric
de Lénoncourt, sous-lieutenant au 98°
régiment d'infanterie.
La bénédiction nuptiale a été donnée
aux jeunes époux par S. Em. Mgr Ca-
verot, cardinal-archevêque de Lyon,
primat des Gaules.
Une nombreuse et brillante assistance
témoignait, par sa présence, de la pro-
fonde sympathie que méritaient, à si
juste titre, deux des familles les plus
anciennes et les plus respectées de la
Franche-Comté.
HOUVELLES A LA MAIN
Nous avons lu, dans un cimetière de
province, l'épi taphe suivante
MADAME X.
REGRETTÉE DE SON GENDRE
Etau-dessous:
~Vo~. Ces regrets sont véritables
et ne sont point mis là par ironie, x
Encore les combles, pour ne pas en
perdre l'habitude.
Le comble de la frugalité
Se nourrir de racines. carrées, de
poissons. d'avril et de pains. à ca-
cheter.
Le comble de la précaution
Mettre une muselière au chien. de
son fusil 1
Au casino deBagnëres-de-Luchon..
Un individu d'allures assez suspectes
s'était fait remettre à sa place par un
monsieur à qui son ton ne plaisait pas.
Prenez garde, lui dit l'individu en
question; je vous préviens que j'ai dix
ans de salte.
A quoi le monsieur répondit fort tran-
quillement
Je ne sais pas si vous avez dix ans
de sa~e. mais je parierais bien que
vous n'avez pas cinq années de p~o-
p~M
SK BOtMNe
LE PREM!ER SOtR
DES
CONDAMNÉS
On trouvera plus loin le compte ren-
du de l'audience à la nn de laquelle Ma-
rin Fenayrou a été condamné à mort, sa
femme aux travaux forcés à perpétuité
et son frère à sept ans de la même
peine.
Après la proclamation du verdict et
de la condamnation, les trois condamnés
sont descendus dans la prison par l'es-
calier qui fait communiquer le quartier
des prévenus avec la salle des assises.
Ils se sont rencontrés tous les trois dans
un corridor froid comme tous les corri-
dors de prison, où le pas résonne sur
les pierres blanches du dallage.
Lucien Fenayroumarcbait devant. Son
frère a couru à lui < Embrasse-moi,
mon pauvre frère, dit-il. Lucien n'a
pas répondu.
Et c'est presque de force que Marin
Fenayrou s'est emparé de la main de
son frère.
Presque en même temp, Gabrielle
Fenayrou rejoignit son mari. Elle lui
prit le bras, et les deux époux, surveil-
lés de loin par les gendarmes qui res-
pectaient leur tête-à-tête, se promenè-
rent pendant une minute.causant à voix
basse.
Cette intimité du mari et de la femme
a beaucoup surpris les gardiens car,
depuis qu il avait appris, au cours d'une
confrontation, les relations de sa femme
avec M. & Marin Fenayrou ne lui
avait plus écrit et n'avait plus demandé
de ses nouvelles. Même il avait dit, le
lendemain de cette révélation < Main-
tenant que je sais cela, si la chose était
à refaire, je ne la ferais pas. Puis, le-
vant le poing au ciel, il avait ajouté
« Je me serais vengé autrement »
Quand l'inspecteur de l'administration
pénitentiaire de Seine-et-Oise, M. Gent,
un criminaliste très distingué et très
aimable, soit dit entre parenthèses, a cru
devoir rompre l'entretien, Marin est
rentré brusquement dans sa cellule il
en est sorti tout de suite, tenant à la
main une côtelette et un morceau de
painenveloppés dans un journal « Tiens,
voilà mon déjeuner de ce matin, cela
fera ton dîner de ce soir. e
Gabrielle prit le paquet et embrassa
son mari, qui fat ensuite enfermé.
Restée seule avec M. Gent (Lucien
avait été conduit dans sa cellult) la
femme Fenayrou lui dit t Je vous en
prie, monsieur l'inspecteur, veillez sur
mon pauvre mari il a l'intention de se
tuer. Empêchez cela.
M. Gent rassura Gabrielle, et immé-
diatement il donna l'ordre de mettre au
condamné à mort la bricole, bretelle de
sûreté vulgairement appelée camisole
de force.
Vers deux heures, les trois défen-
seurs, M" Démange, de Royer, Danet,
rendirent visite à leurs clients.
M" Demange trouva Marin Fenayrou
très calme, tout à fait impassible. Le
condamné à mort reverra lundi son
éloquent avocat, qui lui fera signer sans
doute son pourvoi en cassation.
Gabrielle Fenayrou, qui avait été si
complètement maîtresse d'elle-même
pendant tous les débats, eut une défail-
lance quand elle se trouva en présence
de M" de Royer. Elle ne put articuler
que des mots sans suite: « Mes enfants!
mon pauvre mari Mon Dieu
M" de Royer a donné à sa cliente quel-
ques paroles d'encouragement. Puis, il
est parti pour Suresnes. Il retournera à
Versailles demain et décidera s'il y a
lieu, pour sa. cliente, de se pourvoir en
cassation.
Lucien Fenayrou était dans un ef-
frayant état de prostration quand son
avocat entra dans la cellule. Etendu sur
son lit, il poussait des gémissements pi-
toyables. Ce malheureux se pourvoira
lundi en cassation contre l'arrêt qui l'a
frappé.
Après la visite de leurs défenseurs, les
condamnés ont reçu celle de M. le pré-
sident Bérard des Glajeux puis, vers
cinq heures, celle de M. &ent.
A cinq heures, la réaction s'était pro-
duite chez chacun d'eux.
Marin Fenayron
Marin Fenayrou, couché sur son lit,
était très agité. Quand M. Gent entra,
il lui dit Ah! monsieur, je vous haïs-
sais parce que vous essayiez de m'é-
clairer sur ma situation. Vous aviez
bien raison, les juges ont jugé comme
vous me l'aviez fait pressentir.
Leur verdict n'est pas tout à fait uste
ils n'ont pas fait la distinction entre un
assassin et un homme qui se venge.
Car j'avais le droit de me venger de ce
misérable qui m'appelait père et qui
m'a volé mon bonheur Le lâche je me
privais de ma femme pour ne pas la
faire mourir, et il me trompait avec
elle. Lui un Alphonse car c est la vé-
rité, monsieur, il n'est venu que pour
l'argent, pour les deux mille francs que
ma femme lui promettait dans sa lettre.
L'infâme l'infâme! oh) je ne me repens
pas. Il m'avait tout volé. On peut me
tuer, c'est la vérité. »
Regardant ses mains liées, Marin Fe-
nayrou reprit après une pose t Vous
faites commencer mon supplice en me
liant déjà. »
M. Gent répondit en oSrant au con-
damné de lui accorder tous les adoucis-
sements à son sort compatibles avec les
prescriptions réglementaires. Fenayrou
demanda. la permission de fumer.
@abr!e!!e JFemayrem
Crabrielle Fenayrou avait recouvré
son impassibilité. Elle recommanda en-
core à M. Gent de veiller sur son mari,
demanda des nouvelles de Lucien, puis
fit des projets d'avenir Son mari se-
rait gracié, il irait en Nouvelle-Calédo-
nie. Au bout d'un an, comme il se con-
duirait bien, on lui donnerait l'autori-
sation de faire venir près de lui sa fem-
me, ses enfants et sa belle-mère. Ils
pourraient vivre là-bas heureux,comme
ils auraient fait à l'étranger si on ne les
avait pas arrêtés avant leur départ.
Oui, elle le rendrait bien heureux, le
pauvre homme qui l'aimait tant et qui
avait tant fait pour elle.
En travaillant, ils oublierai eut le mal-
heureux t qui.les avait menés au crime.
M. Gent entendit la confidence de tous
ces projets; puis iipria Gabrielle Fenay-
rou de sortir avec lui. Ensemble ils mon-
tèrent dans une voiture qui les mena à
fond de train à la prison des femmes de
Versailles.
Pendant le trajet, des clameurs indi-
gnées de la foule parvinrent jusqu'à la
condamnée < On aurait bien dû épar-
gner les outrages de la foule à une pau-
vre femme comme moi t dit-elle. Elle
se tut, puis, reprenant < N'est-ce pas.
monsieur, que l'auditoire a murmuré
quand il a entendu condamner à mort
mon mari?
tjMc!en Fenayrou
Le malheureux avait recouvré la pa-
role. Il sangioLait: «Oh! mes enfants,
ma femme ) Je n'avais rien fait de mal.
J'ai toujours travaillé. Et ila fallu qu'ils
vinssent me chercher pour assassiner,
moi. moi: Mes enfants vont mourir de
faim. Et ce sera de la faute de cette abo-
minable vieille. Elle les excitait, quand
moi je les calmais. Oh! il faudra qu'on
casse cet arrêt je suis innocent, moi, je
n'ai pas tué »
A neuf heures du soir, M. Gent a fait,
dans les deux cellules de Marin et de Lu-
cien, une dernière visite. Les deux cou-
pables, qui n'avaient pas dîné, ne dor-
maient pas encore. LOUIS LAMBERT
Muta mmMMT
LE TRAIN BES MARIS
AMJER
Six heures et demie, gare Saint-Lazare.
Une première retour Dieppe.
Une première retour Etretat.
Tiens, c'est toi ? Tu vas à Dieppe.
Et toi à Etretat. Alors nous voyageons
ensemble jusqu'à Rouen, comme samedi
dernier.
Et comme samedi prochain. Et voilà
Pontvoisin qui va à Trouville, lui.
Première Trouville
Comment pas de retour, Pontvoisin ?
Non, je reste toute la semaine. Dame 1
ce sont les courses, et la liquidation se fera
en hausse.
.Des poignées de mains s'échan-
gent on cherche des coins; oh étale son
paletot, son chapeau, sa valise et cinq
journaux dans le compartiment,pour réser-
ver des places aux amis qui arrivent les
uns après les autres. Voilà un mois qu'on
prend de compagnie, chaque samedi, le
même train pour aller, et, chaque samedi~
le même train pour revenir. On a fini par
se connaître, par se donner rendez-vous,
par s'attendre. Pour un peu, si un habitué
manque à l'appel, on prierait la locomo-
tive et le chauffeur d'attendre un peu.
Le compartiment n'a pas tardé à se
remplir, et les huit places sont occupées.
On cause de tout, de la hausse des soies,
de la faillite Magimel, du procès Fenayrou
et de la condamnation à mort, que tout le
was:on trouve excessive. Dame écoutez
donc, c'est le train des maris 1
Généralement, les visages sont heureux.
Cela se comprend, la Bourse est bonne
et le soleil fait plaisir après l'orage. Aussi,
le filet est encombré. Ce sont des jouets
pour bébé, des partitions pour mademoi-
selle, un panier de pêches de chez Potel
pourtout le monde; et dans le portefeuille
pour madame la note acquittée de sa mo-
diste, qu'on a apportée la veille à monsieur,
comme par hasard.
Dans un autre wagon, toute une série de
maris du même club. On continue en che-
min de fer la partie commencée au cercle.
Il y a cent cinquante louis.
Banco!
–Huit!
Neuf 1
Quelle guigne
Bast tu te referas demain aux cour-
ses.
Qui est-ce qui gagne le prix de Trou-
ville ?
Comte-Alfred est sûr.
Deux cents louis contre cent, Comte-
Alfred.
–Faït!
A Rouen, le train de Dieppe s'arrête
pour prendre les maris rouennais.
On descend pour se dégourdir les jam-
bes, et se dire adieu car c'est la bifurca-
tion. Les maris de Dieppe serrent la main
à ceux d'Etretàt, en se donnant rendez-
vous pour le surlendemain, par le train du
retour. On va au buffet boire ensemble" un
verre de fine champagne, et l'on se sépare,
les Etretatais, faciles à reconnaître, bons
enfants, plus simples dans leur mise et
dans leurs goûts, en jaquette d'alpaga et
en gilet blanc les Dieppois un peu plus
gourmés, plus esclaves de la mode et du
chic, serrés et irréprochables dans leurs
complets de chez Winter. Les premiers li-
sent le T~M~ et apportent à leurs femmes
le ./ûK~K~ Modes arrivé à la maison la
veille. Les seconds ont pris pour madame
la Vie ~~M~MKc et le dernier roman
paru.
En montant en wagon, un étonnement
Largillière ) Tu étais donc parti On
ne t'a pas vu au cercle de la semaine.
Chut pas un mot, à ma femme sur-
tout. J'ai passé ma semaine à Roueo, et
Hortense me croyait au bureau, à mes
affaires) I
Et la nuit est venue. Le train file à
toute vapeur, et la locomotive soufne sa
fumée dans la nuit noire comme une gerbe
de feu. On approche. Dans les wagons, on
tire du nfe't les valises et les sacs, les ca-
deaux pour la famille, et les commissions s
dont on s'est chargé.
On entre en gare. On descend de wa-
gon. Devant la porte de la sortie.des mou-
choirs s'agitent. Mamans et; enfants sont
là qui attendent l'arrivant. Bébé n'a pas
voulu se coucher avant d'avoir embrassé
son petit père Enusion générale~. v
Tu vas bien ?
Parfaitement. Et toi? 1
A merveille. Regarde, bébé, comme
l'air de la mer lui fait du bien.
–Je crois bien. C'est-à-dire qu'il a en'
core grandi depuis dimanche 1
Rentrons vite. Il est tard, et tu dois
ètre fatigué.
Et fais-moi réveiller de bonne heure
car, tu sais, je veux prendre un bain de
mer demain matin ).
WALENTtN
4--
FREOERtC GAiLURDET
Frédéric Gaillardet, l'un des auteurs
de ce fameux drame ~oMr de ~Ves~,
à propos duquel il soutint contre Alexan-
dre Dumas une polémique qui alla jus-
qu'au duel, est mort hier matin dans sa
propriété du Plessis-Bouchard, fort
belle campagne où il avait coutume de
passer ses étés.
A Paris, il demeurait rue Washing-
ton n° 2. Somptueusement installé, hos-
pitalier, recevant volontiers ses amis à
dîner. Nous avons même été au bal
chez lui, il y a quelques années.
Fondateur du CoMr/~er (?5 ~s~- ~s,
dont il fut rédacteur en chef de 1837 à
1848, il avait, après fortune faite, quitté
les Etats-Unis, pour venir vivre à Paris
en gentleman.
H s'était marié en Amérique.
Il ne voulait plus être, depuis de lon-
gues années, que le correspondant pa-
risien du journal dont il avait été l'heu-
reux et habile fondateur.
Né en 1806, à Tonnerre, il avait par
conséquent soixante-seize ans.
Grand, maigre, un peu pareil à un
roseau penché; décoré de la Légion
d'honneur des cheveux gris soigneu-
sement bouclés sur un visage imberbe
et coloré, il vivait, dit-on, depuis long-
temps avec un seul poumon mais, sou-
tenu par ses nerfs, d mena jusqu'à son
dernier jour une vie mondaine assez ac-
tive.
On dit que c'est un refroidissement
qu'il prit dans son parc, il y a huit
jours, qui l'a emporté. Sans cet accident,
il semblait que ce fût un de ces délicats,
destinés à enterrer les plus solides,
comme on en rencontre souvent dans la
vie.
Il a rendu le dernier soupir hier ma-
tin, après avoir expressément réclamé
les secours de la religion.
La première fois qu'il me fut donné de
le rencontrer, c'était –il y a bon nombre
d'années à un dîner chez son ami Jules
Lecomte, dans la petite maison originale
et coquette, pleine de faïences au de-
dans, revêtue de faïences à l'extérieur,
que ce fameux chroniqueur s'était fait
bâtir sur la chaussée de la Muette, et
qui fut vendue, après sa mort, à un gen-
tilhomme russe.
Nos couverts se trouvèrent placés à
côté l'un de l'autre; je ne sais par quel
hasard, car Jules Locomte était un maî-
tre de maison très méticuleux, nous ne
fûmes pas présentés l'un à l'autre avant
le repas, de sorte que j'étais à cent lieues
de me douter que mon voisin, d'appa-
rence un peu yankee et d'allure bour-
geoise, fût le célèbre, l'illustre, le reten-
tissant et batailleur auteur de la. ToM~
de .V<~e, ou du moins son premier
père.
Je n'avais pas songé, avant le dîner, a
regarder les livres étalés sur la table du
saton, sans quoi leur choix m'aurait
certainement averti qu'il y avatt de la
To!~ ~e -y<~ZM-~e (hélas t on a peut être oublié que
Jules Lecomte donna sous ce titre, avec
succès, une grande comédie en quatre
actes, au Théâtre-Français) avsdt cette
hospitalière coutume, chaque fois qu'il
invitait des gens de lettres a dîner, d'éta-
ler comme par hasard, tout ou partie des
œuvres, magnifiquement reliées, de ses
hôtes de plume.
S'ils n'avaient pas de volumes à leur
actif, il les remplaçait par leurs derniers
articles. Ces prévenances étaient une
des cordes de son luxe privé, qui 'était
réel et à propos duquel Augustine Bro-
han qui n'avait pas été toujours aussi
aimable pour lui eut, un jour qu'il lui
montrait son hôtel, et spécialement le
rayon de sa bibliothèque où étaient
rangées ses œuvres personnelles, une
louange tout à fait délicate
Ceci, dit la plus Rne, la plus mor-
dante et aussi la plus gracieuse des sou-
brettes quand elle voulait ceci –et elle
montrait les volumes de Jules Lecomte
-explique cela. Cela, c'était tout l'hôtel,
avec ses richesses, en meubles, tentu-
res, tableaux, bibelots.
Mais revenons à l'auteur dé la. T'OMr
cte Nesté.
Sa carrière comme auteur dramatique
tient tout entière dans le retentissement
formidable de l'œuvre qu'il donna à
vingt-six ans, etsous le succès de laquelle
le reste de sa carrière théâtrale fut
comme écrasé. Qui se souvient qu'il
donna ensuite us ~t'M~ts~, un C/)M~
jM~aM~oMr? Gaillardet est dans laFoM'*
de JV
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