Titre : Le Gaulois : littéraire et politique
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1882-01-04
Contributeur : Pène, Henri de (1830-1888). Directeur de publication
Contributeur : Tarbé des Sablons, Edmond Joseph Louis (1838-1900). Directeur de publication
Contributeur : Meyer, Arthur (1844-1924). Directeur de publication
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Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
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Description : 04 janvier 1882 04 janvier 1882
Description : 1882/01/04 (Numéro 844). 1882/01/04 (Numéro 844).
Description : Collection numérique : Arts de la marionnette Collection numérique : Arts de la marionnette
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 21/02/2008
Quinzième année. < • Deuxième Série. Numéro 844
Paris -1,15» centimes. Départements et Gares ,150 centimes]
Mercredi 4 Janvier 188£
J'CT~ -~I~IS®1~
Directeur Politinu,t
'̃' ABONNEMENTS ̃
Parie Trois mois.. 13 fr. 5O
Départements Truis mois 46 fr. /•̃'̃
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P A U t. DE L '.É A G t'" ""̃
S \te r ê l ai r e ci e l a, Rédaction
ANNONCES
MM. Clx. Lagrange, Cerf et 0>«
'̃ t', ri.ACE DR. A DOUIlSIti t»
El à l'Administration dit Journal'
̃ ADMINISTRATION -.̃̃̃-̃̃•
», bonlerarit dès Italie»*,
LOÂSEllECTOMLE
Nous avons le plan de la revision,
nous n'en avons pas les détails. Dans le
plan figure, au premier rang, l'extension
des baises électorales du Sénat.
Aujourd'hui le Sénat est élu, au scrutin
de liste, dans chaque département, par
tous les conseillers généraux et tous les
• conseillers d'arrondissement, qu'on ap-
pelle les électeurs de droit, et par des
délégués élus à cet effet, un par com-
mune, dans toutes les communes du dé-
partement. Ces délégués forment évi-
demment la majorité du corps électoral,
et c'est ce qui a permis à M. Gambetta,
daus une des nombreuses apologies qu'il
a faites du Sénat, de l'appeler le grand
eonseil des communes de France.
Cette disposition de la loi qui donne
? un délégué à chaque communey quelles
que soient sa population et son étendue,
ne peut pas recevoir d'autre explication.
Le Sénat est, en effet, le grand conseil
des communes de France. De toutes les
unités créées par la loi, la commune est
la plus ancienne, la plus forte, celle qui
établit la solidarité la plus étroite entre
les citoyens, et qui a le plus de droit à
être représentée et défendue au sein du
gouvernement central. Les communes
ont été, au moyen-âge, en France, en
Italie, dans les Flandres, l'école de la
liberté et du patriotisme. C'est une
idée républicaine et démocratique d'a-
.voir rattaché le Sénat aux communes. Il
n'y a nulle analogie entre une grande
t puissance vitale assurée aux communes
de France, et la domination de toutes
les communes par une commune uni-
que, qui a été le rêve des insurgés
en 1871. i
On veut remplacer la représentation
des communes par la représentation de
la densité des populations, en donnant à
chaque commune un nombre de délé-
gués proportionnel à sa population. C'est
tout un renversement de la loi au point
de vue théorique. Dans la pratique, la
transformation ne sera pas moins pro-
fonde, car l'équilibre va être rompu, au
détriment des communes rurales et au
profit des grandes communes.
Il ne faut rïëiFéxagèrer, pas mêmëTIâ `
logique. Avouons donc qu'il y a quelque
• chose de singulier à donner un délégué
à la commune de Paris, et un délégué à
•la commune de Suresnes. On a bien de
la peine à comprendre l'égalité de ces
deux communes dans le collège électo-
ral. Paris est une commune, si l'on veut;
et si l'on veut aussi, c'est vingt commu-
nes. Nous doutons que les revisionnistes
aient envie de diviser la commune de
Paris; mais nous comprenons que Pa-
ris, pesant d'un autre poids que Sures-
nes ou Puteaux dans les destinées de la
France, intervienne d'une façon plus
prépondérante dans les élections. Cette
raison ne suffirait pas pour nous déter-
miner â courir les chances toujours re-
doutables d'une revision mais nous ne
voulons pas en nier la gravité. >
Voici, d'ailleurs, une réflexion que
nous soumettons aux revisionnistes de
la dernière heure, aux subissants, aux
résignés:
Ou l'extension des bases électorales
ne produira aucun effet, ou l'effet qu'elle
produira aura lieu, non au profit de la
république, mais au profit exclusif des
intransigeants. '̃ •
Il nous semble assez probable qu'elle
ne produira aucun effet. Dans la plupart t
des départements,, on sait d'avance si la
liste sera réactionnaire ou républicaine.
Nous avons la certitude d'une élection
républicaine dans l'immense majorité
des départements et les réactionnaires
ne peuvent guère être battus dans les
quelques départements qui leur appar-
tiennent. Dix, vingt, trente électeurs de
plus dans le collège électoral ne dépla-
ceront pas la majorité; et, qu'on ne l'ou-
blie pas, vingt électeurs de plus, ce n'est
pas tout à fait vingt républicains de
plus.
Dans quels départements la réforme
changera-t-elle à fond l'aspect du collège
électoral par l'introduction d'un grand
nombre d'électeurs nouveaux? Dans. les
départements qui ont un très grand chef-
lieu et uae surface très petite. Il est
clair que Paris achèvera d'annihiler sa
banlieue que Lyon et Marseille rédui-
ront à l'impuissance les communes de
leurs départements.
Cela est loin d'âtre aussi vrai pour
Rouen, pour Nantes, qui sont aussi de
grandes villes, mais entourées de com-
munes nombreuses. Or, il n'y a aucun
danger, absolument aucun, que les très
grandes villes fassent des élections anti-
républicaines mais il n'est pas démon-
tré jusqu'à présent qu'elles accordent
leur préférence à la République libérale,
ou même à la République opportuniste.
Pour la République libérale, nous pas-
s)as condamnation. On a accamulé tant
dô sophismes contre la liberté et les
vrais libéraux, que nous n'avons pas les
grands courants pour nous en ce mo-
ment. Ils nous reviendront, pourvu que
a*)us ayons de la persévérance, et que
les incitations des uns et les injustices
des autres ne nous fassent incliner ni
trop à droite, ni trop à gauche. Il s'agit
pour nous de rester ce que nous som-
mes, et il paraît bien, à voir le peu de
gens qui réussissent à garder leur équi-
libre, que c'est une opération difficile.
Les opportunistes, qui se croient mai-
tres du terrain, et qui l'étaient hier en
effet, ont un autre procédé. Voilà bien
longtemps qu'ils no se maintiennent au
pouvoir qu'à force d'obéir à leurs enne-
mis. Ils savent déjà ce que vaut le pou-
voir exercé dans ces conditions, et ils
ije vont pas tarder à savoir ce qu'il dure.
Les intransigeants ont sur les opportu-
nistes l'immense avantage d'avoir une
opinion et de ne pas faire de la politique
par étapes. -C'est ce qui fait que leurs
victoires' sont de vraies victoires, tandis
que la plupart des victoires de nos gens
à étapes ne sont que des défaites dissi-
mulées.
Es élargissîini tes bases électorales du
Sénat, M. Gambettasert une fois uô plus
les intérêts de ses ennemis, •
i^_
Nos Echos
AUJOURD'HUI
A 6 heures, dîner au Grand-IMtsl admission
jusqu'à 6 heures 3/4.
Pendant la durée du- dîner, l'orchestre da
M. Desgranges jouera dans la nouvelle salle de
musique.
MENU
Potage julienne au consommé ̃
Hora-d'œuvre
Filets do dorades à la Bercy
Pommes de terre à l'anglaise
Pièces de bœuf à la flamande >
Salmis de- gibier aux champignons.
Dindonneau au cresson
Salade ̃
Haricots panachés à la raaîtrc-d'hôtël
Tartelette de fruits
Glace
Parfait au café au ̃ ̃
Desserts
Fromages, fruits et petits-fours
A 8 h. 1/2. au Café Divan, séance de billard
par M. Gibelin, professeur du Casino do Vichy.
Le salon des dames est ouvert aux voyageurs.
Piano, orgue, tables da jeux. Dîner à la carte
au restaurant.
Le programme du dîner-concert. Voir & la
4« page.)
LA POLITIOUE
La conclusion du traité de commerce
franco-anglais rencontre de telles diffi-
cultés, qu'on commence à désespérer
d'une solution favorable. La conséquence
de l'insuccès des négociations serait la
remise en vigueur, .entre les deux pays,
du tarif général des douanes à partir du
8 février.
LE MONDE ET LA VILLE
La reine Victoria a passé le jour de
l'an en famille. La veille, un concert
tout intime, dont Marie Rosé, l'ancienne
étoile de notre théâtre Lyrique a fait
presque tous les frais, réunissait les
membres de la famille royale, la prin-
cesse Béatrice, le marquis de Lorne, la
princesse Louise, le prince Léopold et
le prince Christian.
La Reine a distribué elle-même, dans
les villages qui avoisinent Osborne, des
vêtements, des lainages, des chaussu-
res, etc., à titre de cadeaux de nouvel an,
aux pauvres dupays, qui ont également
reçu de plantureuses rations de viande
par les soins de l'intendant de Sa Ma-
jesté. On dit tout bas que the flrst lady
of the land, ainsi que 1 appellent volon-
tiers ses sujets, met la dernière main à
une œuvre littéraire sur la nature de
laquelle on ne sera édifié qu'au prin-
temps prochain, quand l'auguste souve-
raine quittera l'île de Wight pour Lon-
dres, où l'ouvrage sera publié, à un pe-
tit nombre d'exemplaires numérotés.
A Home, le roi Humbert, de retour
de Naples, où il était allé chasser pen-
dant la dernière semaine de l'année, a
reçu, le 1er janvier, les membres du
corps diplomatique présents dans la Ville
Eternelle.
La réception a été assez terne et assez
embarrassée, paraît-il. Le Roi avait l'air
de mauvaise Tiumeur et quelques-uns
de ses ministres avaient des figures
d'enterrement. En l'absence de M. le
marquis deNoailles, notre ambassadeur,
la France était représentée par le pre-
mier secrétaire de la légation, M. le mar-
quis de Reverseaux.
M. Gougeard, ministre de la marine,
est parti hier soir pour Cherbourg. Le
ministre doit y présider aujourd'hui la
double inauguration du tribunal de com-
merce et du théâtre.
Les obsèques du peintre Alfred Deho-
dencq, dont nous avons annoncé la mort
hier, auront lieu aujourd'hui, à dix heu-
res précises, en l'église Sain t-Ë tienne-
du-Mont.
Mme Rouvier, dont on avait annoncé
à tort, paraît-il, l'installation définitive
à Nice pour la saison hivernale, est ren-
trée à Paris elle assistait hier avec le
ministre du commerce à la représenta-
tion de l'Opéra, et démentait elle-même
tous les bruits qui ont couru sur son in-
tention de priver, cette année, le monde
officiel de sa présence.
Très brillante réunion lundi soir à
l'Opéra, pour le début de cette année.
Les loges formaient une véritable cor-
beille aristocratique le duc et la du-
chesse de Bisaccia, le prince et la prin-
cesse d'Hénin, la duchesse de la Tre-
moïlle, la baronne Hottinger, la corn-
tesse Pillet-Will, la princesse de Bran-
covan, la comtesse de Pourtalôs, la mar-
quisedeJaucourt, la comtesse de Ganay,
etc. Beaucoup de toilettes blanches ou
noires. Une sorte de deuil très élégant,
adopté spontanément, comme si nos
belles Parisiennes eussent voulu porter
celui de l'année disparue. Quelques dia-
mants. Cependant l'on n'a pas encore
ouvert tous les écrins.
On attend pour cela le premier coup
d'archet de quelque belle fête. ` '̃.̃
Demain jeudi aura lieu une très belle
matinée en l'honneur du contrat de
Mlle de Lambel, fille du vicomte et de la-
vicomtesse de Lambel, qui épouse le
fi}s du général d'Estampes. Cette union
entre deux familles aussi honorables que
bien apparentées est accueillie avec la
plus grande sympathie.
NOUVELLES A LA MAIN
Une vierge de quinze ans, Mlle X.
lit des romans en cachette.
C'est ainsi que nos jeunes Parisiennes
•se forment l'esprit et le cœur.
̃ L'autre jôttr, §? mère entre dans sa
chambre, et la fillette cache i»i livre avec
précipitation.
Que lisais -tu là? interroge ia
mère.
Mon histoire sainte.
Où en étais-tu?
Au moment où Faublas. entre
dans le ventre de la baleine.
Dans un restaurant de nuit, un jeune
gommeux, fortement ému, heurte une
table et renverse une carafe sur les ge-
noux d'un consommateur.
Ne faites pas attention, murmure-
t-il, je suis un peu parti.
Moi, réplique l'inondé, je suis d'a-
vis que vous ne Tètes pas assez 1
UN DOMINO r
LES EMPLOYÉS
Comme je passais dans cette foule
compacte, dans cette foule engourdie,
lourde, pâteuse, qui coulait lentement,
dimanche, sur le boulevard comme une
épaisse bouillie humaine, plusieurs fois
ce mot me frappa l'oreille « La gratifi-
cation. » En eifet, ce qui remuait si dif-
ficilement le long des trottoirs, c'était le
peuple des employés.
De toutes les classes d'individus, de
tous les ordres de travailleurs, de tous
les hommes qui livrentquotidiennement
le dur combat pour vivre, ceux-là sont
le plus à plaindre, sont les plus déshéri-
tés de faveurs.
On ne le croit pas. On ne le sait point.
Ils sont impuissants à se plaindre; ils ne
peuvent pas se révolter; ils restent liés,
bâillonnes dans leur misère, leur misère
correcte, leur misère de bachelier.
Gomme je l'aime, cette dédicace de
Jules Vallès « A tous ceux qui, nourris
de grec et de latin, sont morts de
faim » p
s
Voici qu'on parle d'augmenter le trai-
tement des députés, ou plutôt, voici que
les députés parlent d'augmenter leur
traitement. Qui donc parlera d'augmen-
ter celui des employés, qui rendent, ma
foi, autant de discutables services que
les bavards du palais Bourbon ?
Sait-on ce qu ils gagnent, ces bache-
liers, ces licenciés en droit, ces garçons
que l'ignorance de la vie, la négligence
coupable des pères et la protection d'un
haut fonctionnaire ont fait entrer, un
jour, comme surnuméraires dans un
ministère?
Quinze ou dix-huit cents francs au dé-
but Puis, de trois ans en trois ans, ils
obtiennent une augmentation de trois
cents francs, jusqu'au maximun de qua-
tre mille, auquel ils arrivent vers cin-
quante ou cinquante-cinq ans. Je ne
parle point ici des très rares élus qui
deviennent chefs de bureau. J'en dirai
quelques mots tout à l'heure.
-Sait-on ce que gagne aujourd'hui,
dans Paris, un bon maçon ? Quatre-
vingts centimes l'heure. Soit huit francs
par jour, soit deux cent huit francs par
mois, soit deux mille cinq cinq cents
francs environ par an.
Un ouvrier dans une spécialité quel-
conque ? Douze francs par jour. Soit trois
mille sept cents francs par an Et je ne
parle pas des habiles I
Or, messieurs les gouvernants, vous
savez ce que vaut le pain, et le reste,
n'est-ce pas, puisque vous vous trouvez
insuffisamment rétribués? Vous admet-
tez bien que les bureaucrates se marient
comme vous, aient des enfants comme
vous, s'habillent au moins un psu, sans
fourrures, mais enfin aillent vêtus à
leur bureau. Et vous voulez qu'aujour-
d'hui, avec deux mille cinq cents francs,
moyenne des traitements, un homme ait
une femme, deux mioches.au moins (un
de chaque sexe, pour maintenir l'équili-
bre des unions futures et la population
de la France, dont vous vous inquiétez),
et que cet homme achète des culottés
pour lui et son garçon, des jupes pour
sa femme et sa fille. Calculons loyer,
cinq cents; habillement et linge, six
cents; tous autres frais, cinq cents. II
reste neuf cents francs juste, soit deux
francs quarante-cinq centimes par jour
pour nourrir le père, la mère et les deux
enfants. C'est odieux et révoltant
Et pourquoi donc, seuls, les employés
demeurent-ils dans cette misère, aïbrs
que l'ouvrier vit à son aise. Pourquoi ?
Parce qu'ils ne peuvent ni réclamer, ni
protester, ni se mettre en grève, ni chan-
ger d'emploi, ni se faire artisan.
Cet homme est instruit, il respecte son
éducation et se respecte lui-môme. Ses
diplômes l'empêchent de clouer des ten-
tures ou de racler du plâtre, ce qui vau«
drait mieux pour lui..
S'il quittait sa fonction, que ferait-il"? I?
où irait-il ? On ne change pas d'adminis-
tration comme d'atelier. 11 y aies fo-or-
ma-li-lés. Il ne peut .pas protester; on
le chasserait.il ne peut même pas récla-
mer. Voici un exemple. Il y a quelques
années, les employés de la marine, las
de mourir de faim, de voir les Exposi-
tions universelles et l'augmentation gé-
nérale du bien-être faire tout renchérir,
alors que leurs traitementsdemeuraient
invariablement dérisoires, rédigèrent
humblement une requête à M. Gambetta,
président de la Chambre. Il y eut dans
les bureaux un soupir d'espoir. Tout le
monde signait. Des députés avaient
promis, dit-on, d'intervenir. Or, la re-
quête fut dénoncée, saisie, au nom de la
discipline et au mépris de tout droit.
L'amiral quelconque, alors ministre,
fulmina des menaces de révocation pour
les signataires, terrorisa l'administra-
tion tout entière. Que pouvait-on faire?
Rien: On se tut, et on continua à crever
de misère.
• Et quand on songe que ces pauvres
diables d'employés trouvent encore quel-
quefois le moyen, par suite je ne sais
quels insondables mystères d'économie,
d'envoyer leurs fils au collège, afin de
leur faire obtenir, plus tard, ce ridicule
et inutile diplôme de bachelier
C'est à eux qu'on peut appliquer l'i-
mage hardie si connue, et dire « Ils vi-
rent de privations. »
~w~
Parlons de leur existence^
Sur la porte des Ministères, on devrarir
écrire en lettres noires la célèbre phrase
de Dante « Laissez toute espérance,
vous qui entrez, s
On pénètre là vers vingt-deux ans.
On y reste jusqu'à soixante. Et pendant
cette longue période, rien ne se passe.
L'existence tout entière s'écoule dans le
petit bureau sombre, toujours le même,
tapissé de cartons verts. Ôny entre jeune,
à l'heure des espoirs vigoureux. 'On en
sort vieux, près de mourir. Toute cette
moisson de souvenirs que nous faisons
dans une vie, les événements imprévus,
les amours douces ou tragiques, les
voyages aventureux, tous les hasards
d'une existence libre, sont inconnus à
ces forçats.
Tous les jours, les semaines, les mois,
les saisons, les années se ressemblent.
A la, même heure, on arrive; à la
même heure, on déjeune; à la même
heure, on s'en va; et cela de vingt-deux
à soixante ans. Quatre accidents seule-
ment font date le mariage, la nais-
sance du premier enfant, la mort de son
père et de. sa mère. Rien autre chose;
pardon, les avancements. On ne sait rien
de la vie ordinaire, rien même de Paris.
On ignore jusqu'aux joyeuses journées
de soleil dans les rues, et les vagabon-
dages dans les champs car jamais on
n'est lâché avant l'heure réglementaire.
On se constitue prisonnier à dix heures
du matin; la prison s'ouvre à cinq heures,
alors que la nuit vient. Mais, en com-
pensation, pendant quinze jours par an
on a bien le droit, droit discuté, mar-
chandé, reproche, d'ailleurs de rester
enfermé dans son logis. Car où pourrait-
on aller sans argent?
Le charpentier grimpe dans le ciel;
le cocher rôde par les rues; le mécani-
cien des chemins de fer traverse les
bois, les plaines, les montagnes, va
sans cesse des murs de la ville au large
horizon bleu des mers. L'employé ne
quitte point son bureau, cercueil de ce
vivant; et dans la même petite glace où
il s'est regardé, jeune, avec sa mousta-
che blonde, le jour de son arrivée, il se
contemple, chauve, avec sa barbe blan-
che, le jour où il est mis à la retraite.
Alors, c est fini, la vie est fermée, l'ave-
nir clos. Comment cela se fait-il qu'on
en soit là déjà? Comment donc a-t-on
pu vieillir ainsi sans qu'aucun événe-
ment se soit accompli, qu'aucune sur-
prise de l'existence tous ait jamais
secoué? Cela est, pourtant. Place aux
jeunes, aux jeunes employés
Alors on s'en va, plus misérable en-
core, avec l'infime pension de retraite. On
se retire aux environs de Paris, dans un
village à dépotoirs, où l'on meurt pres-
que tout de suite de la brusque rupture
de cette longue et acharnée habitude du
bureau quotidien, des mêmes mouve-
ments, des mêmes actions, des mômes
besognes aux mêmes heures.
Parlons des chefs maintenant.
Les quelques inconnus d'avant-hier
qui, hier, se sont réveillés ministres
n'ont pas pu ressentir un plus violent af-
folement d'orgueil qu'un vieil employé
nommé chef. Lui, 1 opprimé, l'humilié,
le triste obéissant, il commande, il en a
le droit, et il se venge. Il parle haut,
durement, insolemment, et les subor-
donnés s'inclinent.
Il* faut excepter certains ministères
comme celui de l'instruction publique,
où d'anciennes traditions de bienveil-
lance et de courtoisie ont été jusqu'ici
conservées. D'autres sont des galères.
J'ai cité celui de la marine j'y reviens.
J'y ai passé, je le connais. Là-dedans
on a le ion du commandement des offi-
ciers sur leur pont.
Il n'est pas le seul d'ailleurs, rien n'é-
gale la morgue, l'outrecuidance, l'inso-
lence de certains pions parvenus, dont
l'ancienneté a fait des rois de bureau,
des despotes au rond de cuir.
L'ouvrier insulté par le contre-maître
retrousse ses manches et frappe du
poing. Puis il ramasse ses outils et cher-
che un autre chantier. Un employé un
peu fier serait sans pain le lendemain,
et pour longtemps, sinon pour toujours.
Dernièrement, un ministre prenant
possession de son département pronon-
çait â peu près ces paroles devant les
« hauts fonctionnaires » de son adminis-
tration, les 'chefs et les employés « Et
n'oubliez pas, messieurs, que j'exige vo-
tre estime et votre obéissance votre
estime, parce que j'y ai droit; votre
obéissance, parcs que vous me la de-
vez. »̃̃̃•.̃
Cela sent-il assez- l'aulori taire par-
venu?
Et songeons à ce que deviendra un pa-
reil discours pansant de bouche en bou-
che jusqu'au sous-chef haranguant ses
expéditionnaires 1
Oh il y a bien des cœurs froissés dans
ces vastes usines à papier noirci, et des
.cœurs tristes, et de grandes misères, et
de pauvres gens, instruits, capables, qui
auraient pu être quelqu'un, et qui ne
seront jamais rien, et qui ne marieront
point leurs filles sans dot, à moins de
leur faire épouser un employé comme
eux.
GUY DE MAUPASSANT
SÉNATEURS SORTANTS
̃ '̃ ̃ a»f. »G FKEYCIKET
Au mois de février 1871, un peu avant
de prendre son billet pour Saint-Sébas-
tien, M. Gambetta écrivait: «il faut
que Freycinet soit élu » M. de Freyci-
net ne fut pas élu, et personne ne pensa
que le monde fût près de finir.
Quatre ou cinq ans plus tard, au mois
de janvier ISTtî, Paris avait cinq séna-
teurs â nommer. M. Gambelta, revenu
d'Espagne, remplaça les injonctions des-
potiques par des manœuvres politiques,
et M. de Freycinet entra au Sénat, ou il
a eu, pendant deux jours, la réputation
d'un homme nécessaire.
-^11 en sort aujourd'hui, un peu chif-
fomlô parles événements, un peu sus-
pect auxTïsxisiens, qui le trouvent ilas-
que, et il quête ça^-eWA un siège dans
les régions méridionales. M'T^mJ'tôt!^
répète encore ou fait répéter par ses
préfets « II faut que Freycinet soit
élu » On espère que l'une ou l'autre
de ces candidatures, officiellement va-
gabondes, réussira, et que M. de Freyci-
net, sénateur ambulant, reviendra au
Luxembourg avec cette irritation natu-
reile que les inamovibles' causent aux
camarades.
̃ .# •' •̃ :i* ̃-̃: l-
11 n'y changera point l'idée qu'on se
fait maintenant de lui. Il a donné sa
mesure, ayant été deux ou trois fois mi-
nistre. Ministre des travaux publics, mi-
nistre des affaires étrangères et prési-
deut du couseil.
Il a beaucoup entrepris et il a tout
manqué mais, en tout, il a paru supé-
rieur. Môme comme délégué a la guerre,
au plus fort de l'invasion allemande, on
l'avait jugé tel. On disait « II est con-
damné, il est néfaste, une fatalité pèse
sur lui mais, sans cette fatalité, ce se-
rait un homme de génie. »
Aux travaux publics, il a fait des plans,
fort beaux sur le papier, un programme
gigantesque, que les petits esprits trai-
taient de chimère, et qu'on réalisera ai-
sément, avec dix milliards. M. de Frey-
cinet n'a pas pu le réaliser lui-même. A
cette époque, il avait beaucoup d'enne-
mis cachés qui affectaient de ne voir en
lui qu'un casse-cou.
M. Léon Say, ministre des finances,
lui faisait une guerre sourde, et mani-
festait même publiquement ses alarmes,
jusqu'au jour ou la création du 3 0/0
amortissable scella décidément l'alliance
du rêveur et du financier. On vit, non
sans étonnement, s'unir le feu et l'eau
on admira ce mariage curieux du panier
percé et du coffre-fort Fichet. Le thésau-
riseur Say parut céder au dissipateur
Freycinet; mais, avec sa malice ordi-
naire, il ne céda qu'à demi, et, jour
comble de malheur, les vrais ingénieurs
disent que le grand plan est raté.
Il ne l'est pas, il n'est qu'interrompu.
Des méchants ont mis une pierre sur
les rails, et la locomotive de ce sublime
chauffeur a déraillé. Il n'en a pas moins
taillé de la besogne à ses successeurs
pour deux ou trois siècles et d'ailleurs,
qu'importe le plan, pourvu que M. Say
et M. de Freycinet fraternisent?
Ministre des affaires étrangères, et
président du conseil, M. de Freycinet
n'a pas eu le temps d'aller loin. Là en-
core, on lui a jeté un sort. Il commen-
çait agréablement, lorsque cette persis-
tante tatalitô l'a arrêté court. Il a laissé
la réputation d'un homme d'Etat mal-
heureux mais, en même temps, il s'est
fait un renom d'orateur exquis.
#*#
11 faudrait être insensible aux enchan-
tements des sirènes pour le lui chicaner.
La douce persuasion coule vraiment de
ses lèvres, et, en mainte occasion, sa pa-
role délicieuse a sauvé sa politique en-
guignonnée. Martignac n'avait pas plus
d'onction, ni M. Emile Ollivier plus de
grâce. On l'a dit souvent: « C'est un sor-
cier C'est un charmeur !» On ne résiste
pas à de pareils musiciens, et ils peuvent
chanter, sur le luth d'Orphée, toutes les
fadaises qu'il leur plaira. Le bois même
de la tribune redit ces modulations insi-
dieuses et devient complice de la trahi-
son. Le charme ne tombe que quand Or-
phée lui-môme est tombé.
Il a bien fallu voir que la ravissante
musique de M. de Freycinet cachait
comme tout ce qui est trop moelleux et
féminin, un peu d'indécision et de lan-
gueur, une absence fâcheuse d'idées
sûres et de vues arrêtées, un penchant
aux velléités non suivies d'effet, une
incurable impuissance à se fixer pour
agir, un goût marqué pour cette jouis-
sance délicate, pour ce raffinement d'es-
prit qui consiste à flotter sans cesse au
gré du hasard, à se bercer dans son di-
lettantisme, comme dans une ivresse
orientale, et à savourer éternellement
l'ineffable plaisir de ne pas savoir ce
que l'on veut.
C'est la politique du hamac, et M. de
Freycinet en est là. On a vu facilement
qu'avec ce virtuose, lorsque le son s'é-
loigne, le caractère s'évapore aussi. Ses
plus jolis discours sont de suaves pali-
nodies. Il avait dit é!.oquemmcnt qu'il
ne ferait pas l'amnistie il a dit éloquem-
tnent qu'il la ferait, et il l'a faite. Il avait
promis, avec un 'accent séraphurùer; de
respecter la liberté religieuse, et il a- ré-
digé Jes décrets. 11 avait annoncé fière-
ment qu'il les exécuterait, et, .plutôt
que de les exécuter, il a quitté le minis-
tère. Dans un récent discours, il a parlé
d'un phare lumineux. Il en est un lui-
même,– lumineux, mais tournant
Je ne crois pasquïl y ait un homme au
monde qui se soit donné à lui-même,
avec plus d'aisance, plus de démentis.
Je ne surprendrai personne, pas mê'm«
M. de Freycinet, en constatant qu'il a
perpétuellement changé 'du matin; au
soir, comme une jolie femme. Toujours
aimable, toujours charmant, plus at-
trayant à chaque métamorphose; plus
séduisant à chaque toilette c'est "le ca-
price incarné ̃̃
̃̃̃̃"̃ ̃•̃-̃ &% v
( Il y a là un mystère. Peut-être serait-
il malséant d'insister. Avec son air.
grave et son apparence câline, je soup-
çonne que M. de Freycinet est la plus
nerveuse, la plus impressionnable des
créatures contemporaines. Il doit exer-
cer et subir en môme temps toute
sorte d'influences- dont la subtilité
nous échappe. II" se passionne, je pense,
et se détache en un clin d'œil^avec
une extrême facilité, pour les idées
les plus contraires et les personnes les
plus différentes. Il veut tout, il désire
tout, et il se lasse de tout en cinq minu-
tes. Cette nervosité presque maladive
expliquerait bien des variations, et don-
nerait même toute la clef àe ce lunati-
que. C'est un rêveur d'une autre époque,
un mélancolique de 1820. C'est Adolphe,
c est Benjâffiift-Goïïstant "kra-ème-iL
tEeatt-aTTs.Nous avons déjà eu: Werther
carabin c'est Werther ingénieur.
Essayez donc de pénétrer dans une
conscience aussi compliquée. Vous ri'fen
avez pas môme le droit. Tout .se -résout
et se décide, en cet endroit sacré, par des
impressions intimes, personnelles, prodi-
gieusement changeantes et fugitives, où
il entre mille ingrédients insaisissables,
y compris l'air du temps, et dont l'ana-
lyse, si on la poussait trop loin, auraità
la fois le caractère d'une indiscrétion
et la fragilité d'une hypothèse. 1
Il y a des moments où l'on est tenté de
croire que cet ingénieur, ce savent, ce
mécanicien, croit aux fétiches, aux mas-
cottes, aux étoiles et à la bonne aven-
ture. •;
J'ignore s'il est vraiment religieux,
il doit l'être et ne pas l'être mais je pa-
rierais qu'il est superstitieux, comme
Louis XI, et qu'il attache de temps.en
temps, une petite Vierge âson chapeau.
Le sel renversé, les fourchettes en croii,
le vendredi, le chiffre 13, doivent jouet-
leur rôle dans les résolutions de ce ma-
gnétiseur magnétisé. J'ai lu quelque
part, je ne sais où, qu'il croyait aux mi-
racles, lui, un savant, lui, un protes-
tant
t Un peu plus, il croirait à l'eau; de
Lourdes, oui, lui, M. de Freycinet,
l'homme des décrets, à l'eau de Lour-
des 1 Il l'a avoué « Si j'étais catholique,
et si j'étais malade, je n'hésiterais pas
à courir cette chance » C'est bien lui,
n'est-ce pas, qui a écrit cela Y °
Une pareille confession peint l'homme.
Un autre jour, il aura ses révoltes, et,
qui sait? ses blasphèmes. Manfred in-
surgé jettera aux quatre vents du ciel
ses foudroyantes malédictions. Et on
aura tort de les lui reprocher: ce poly-
technicien est un poète. Chateaubriand
a été ministre. Lamartine a été ministre
et, si Alfred de Musset ne Tapas été, c'est
sans doute que le destin réservait la
place à M. de Freycinet. Pour peu que
le cabinet ait besoin d'un impression-
niste, « il faut que Freycinet soit élu » D
Z.
A HAPPY NEW-YEAR f
C'est un nombre incalculable de fois que
les salons de Mme Morton ont. entendu ré-
péter hier, de trois à six heures, la joyeuse
salutation avec laquelle les Américains et
les Anglais s'abordent au icr janvier. La
toute charmante femme du ministre des
Etats-Unis recevait mardi, pour la pre-
mière fois dans sa nouvelle résidence, le^
hommages de la colonie américaine de
Paris, venue au grand complet prendre sa
part du licttledrnm qui inaugurait l'hôtel
de la place des Etats-Unis. Il faudrait citer
les noms de tous les Américains de distinc-
tion de passage ou en résidence à Paris,
pour n'omettre aucun des visiteurs de Mme
Morton, qui s'est acquittée de ses devoirs
de maîtresse de maison avec un charme de
séduction inexprimable, dont se rendent
compte ceux-là seuls qui ont eu l'honneur
de lui être présentés.
Citons pourtant, au hasard M. le consul
général Walker et sa femme M. et Mme
Philip Walker; M. le vice-consul Hooper,
Mme et miss Hooper, le général et la gé-
nérale Fairchild, M., Mme et miss J. W.
Mackay, M,, Mme et miss Grâce Selig-
mann, M. et Mme Wassermann, les nou-
veaux mariés; Mme Hungerford, Mme et
miss Henston, M., Mme et miss Homans,
Mme Healy et miss Kathleen Healy, M. et
miss Eakin, M. et Mme Viterbo, M. Jac-
ques Alfassa, M. Jules de Castro, M. le
consul général Wolf, M. le consul général
Peixotto, le docteur Warren-Bey et sa fille,
docteur Hitchcock, M. et Mme Ryan, Mme
Strakosch, miss Emma Thurnsby, Mlle Ma-
rie Van Zandt, Mme Stevenson, Mme Bers-
tein, Mme Levy, M. le vice-consul italien
Bajnotti et Mme, M. Pomeroy, Révérend
docteur Payne, M. Cabanel, etc., etc.
Un peu plus tard, la même sociétéélé-
gante, les mêmes visiteurs sympathiques
se sont retrouvés chez Mme J. W. Mac-
kay, dont ils ont pu admirer le portrait
que Meissonier a achevé ces jours passés,
Paris -1,15» centimes. Départements et Gares ,150 centimes]
Mercredi 4 Janvier 188£
J'CT~ -~I~IS®1~
Directeur Politinu,t
'̃' ABONNEMENTS ̃
Parie Trois mois.. 13 fr. 5O
Départements Truis mois 46 fr. /•̃'̃
RHnir.TtnNi
F ~a.
9, koolevËrd des Itelieus, •! I I;
•̃ DE DEUX UELT.E3 A MINUIT ̃
US MAHVSC.ntTS NB-'SERO'KT T Y AS' RKU D%S /tf
33. r>B o-sroisr
A.dminiurmeur-r)i:U:(juJ.
P A U t. DE L '.É A G t'" ""̃
S \te r ê l ai r e ci e l a, Rédaction
ANNONCES
MM. Clx. Lagrange, Cerf et 0>«
'̃ t', ri.ACE DR. A DOUIlSIti t»
El à l'Administration dit Journal'
̃ ADMINISTRATION -.̃̃̃-̃̃•
», bonlerarit dès Italie»*,
LOÂSEllECTOMLE
Nous avons le plan de la revision,
nous n'en avons pas les détails. Dans le
plan figure, au premier rang, l'extension
des baises électorales du Sénat.
Aujourd'hui le Sénat est élu, au scrutin
de liste, dans chaque département, par
tous les conseillers généraux et tous les
• conseillers d'arrondissement, qu'on ap-
pelle les électeurs de droit, et par des
délégués élus à cet effet, un par com-
mune, dans toutes les communes du dé-
partement. Ces délégués forment évi-
demment la majorité du corps électoral,
et c'est ce qui a permis à M. Gambetta,
daus une des nombreuses apologies qu'il
a faites du Sénat, de l'appeler le grand
eonseil des communes de France.
Cette disposition de la loi qui donne
? un délégué à chaque communey quelles
que soient sa population et son étendue,
ne peut pas recevoir d'autre explication.
Le Sénat est, en effet, le grand conseil
des communes de France. De toutes les
unités créées par la loi, la commune est
la plus ancienne, la plus forte, celle qui
établit la solidarité la plus étroite entre
les citoyens, et qui a le plus de droit à
être représentée et défendue au sein du
gouvernement central. Les communes
ont été, au moyen-âge, en France, en
Italie, dans les Flandres, l'école de la
liberté et du patriotisme. C'est une
idée républicaine et démocratique d'a-
.voir rattaché le Sénat aux communes. Il
n'y a nulle analogie entre une grande
t puissance vitale assurée aux communes
de France, et la domination de toutes
les communes par une commune uni-
que, qui a été le rêve des insurgés
en 1871. i
On veut remplacer la représentation
des communes par la représentation de
la densité des populations, en donnant à
chaque commune un nombre de délé-
gués proportionnel à sa population. C'est
tout un renversement de la loi au point
de vue théorique. Dans la pratique, la
transformation ne sera pas moins pro-
fonde, car l'équilibre va être rompu, au
détriment des communes rurales et au
profit des grandes communes.
Il ne faut rïëiFéxagèrer, pas mêmëTIâ `
logique. Avouons donc qu'il y a quelque
• chose de singulier à donner un délégué
à la commune de Paris, et un délégué à
•la commune de Suresnes. On a bien de
la peine à comprendre l'égalité de ces
deux communes dans le collège électo-
ral. Paris est une commune, si l'on veut;
et si l'on veut aussi, c'est vingt commu-
nes. Nous doutons que les revisionnistes
aient envie de diviser la commune de
Paris; mais nous comprenons que Pa-
ris, pesant d'un autre poids que Sures-
nes ou Puteaux dans les destinées de la
France, intervienne d'une façon plus
prépondérante dans les élections. Cette
raison ne suffirait pas pour nous déter-
miner â courir les chances toujours re-
doutables d'une revision mais nous ne
voulons pas en nier la gravité. >
Voici, d'ailleurs, une réflexion que
nous soumettons aux revisionnistes de
la dernière heure, aux subissants, aux
résignés:
Ou l'extension des bases électorales
ne produira aucun effet, ou l'effet qu'elle
produira aura lieu, non au profit de la
république, mais au profit exclusif des
intransigeants. '̃ •
Il nous semble assez probable qu'elle
ne produira aucun effet. Dans la plupart t
des départements,, on sait d'avance si la
liste sera réactionnaire ou républicaine.
Nous avons la certitude d'une élection
républicaine dans l'immense majorité
des départements et les réactionnaires
ne peuvent guère être battus dans les
quelques départements qui leur appar-
tiennent. Dix, vingt, trente électeurs de
plus dans le collège électoral ne dépla-
ceront pas la majorité; et, qu'on ne l'ou-
blie pas, vingt électeurs de plus, ce n'est
pas tout à fait vingt républicains de
plus.
Dans quels départements la réforme
changera-t-elle à fond l'aspect du collège
électoral par l'introduction d'un grand
nombre d'électeurs nouveaux? Dans. les
départements qui ont un très grand chef-
lieu et uae surface très petite. Il est
clair que Paris achèvera d'annihiler sa
banlieue que Lyon et Marseille rédui-
ront à l'impuissance les communes de
leurs départements.
Cela est loin d'âtre aussi vrai pour
Rouen, pour Nantes, qui sont aussi de
grandes villes, mais entourées de com-
munes nombreuses. Or, il n'y a aucun
danger, absolument aucun, que les très
grandes villes fassent des élections anti-
républicaines mais il n'est pas démon-
tré jusqu'à présent qu'elles accordent
leur préférence à la République libérale,
ou même à la République opportuniste.
Pour la République libérale, nous pas-
s)as condamnation. On a accamulé tant
dô sophismes contre la liberté et les
vrais libéraux, que nous n'avons pas les
grands courants pour nous en ce mo-
ment. Ils nous reviendront, pourvu que
a*)us ayons de la persévérance, et que
les incitations des uns et les injustices
des autres ne nous fassent incliner ni
trop à droite, ni trop à gauche. Il s'agit
pour nous de rester ce que nous som-
mes, et il paraît bien, à voir le peu de
gens qui réussissent à garder leur équi-
libre, que c'est une opération difficile.
Les opportunistes, qui se croient mai-
tres du terrain, et qui l'étaient hier en
effet, ont un autre procédé. Voilà bien
longtemps qu'ils no se maintiennent au
pouvoir qu'à force d'obéir à leurs enne-
mis. Ils savent déjà ce que vaut le pou-
voir exercé dans ces conditions, et ils
ije vont pas tarder à savoir ce qu'il dure.
Les intransigeants ont sur les opportu-
nistes l'immense avantage d'avoir une
opinion et de ne pas faire de la politique
par étapes. -C'est ce qui fait que leurs
victoires' sont de vraies victoires, tandis
que la plupart des victoires de nos gens
à étapes ne sont que des défaites dissi-
mulées.
Es élargissîini tes bases électorales du
Sénat, M. Gambettasert une fois uô plus
les intérêts de ses ennemis, •
i^_
Nos Echos
AUJOURD'HUI
A 6 heures, dîner au Grand-IMtsl admission
jusqu'à 6 heures 3/4.
Pendant la durée du- dîner, l'orchestre da
M. Desgranges jouera dans la nouvelle salle de
musique.
MENU
Potage julienne au consommé ̃
Hora-d'œuvre
Filets do dorades à la Bercy
Pommes de terre à l'anglaise
Pièces de bœuf à la flamande >
Salmis de- gibier aux champignons.
Dindonneau au cresson
Salade ̃
Haricots panachés à la raaîtrc-d'hôtël
Tartelette de fruits
Glace
Parfait au café au ̃ ̃
Desserts
Fromages, fruits et petits-fours
A 8 h. 1/2. au Café Divan, séance de billard
par M. Gibelin, professeur du Casino do Vichy.
Le salon des dames est ouvert aux voyageurs.
Piano, orgue, tables da jeux. Dîner à la carte
au restaurant.
Le programme du dîner-concert. Voir & la
4« page.)
LA POLITIOUE
La conclusion du traité de commerce
franco-anglais rencontre de telles diffi-
cultés, qu'on commence à désespérer
d'une solution favorable. La conséquence
de l'insuccès des négociations serait la
remise en vigueur, .entre les deux pays,
du tarif général des douanes à partir du
8 février.
LE MONDE ET LA VILLE
La reine Victoria a passé le jour de
l'an en famille. La veille, un concert
tout intime, dont Marie Rosé, l'ancienne
étoile de notre théâtre Lyrique a fait
presque tous les frais, réunissait les
membres de la famille royale, la prin-
cesse Béatrice, le marquis de Lorne, la
princesse Louise, le prince Léopold et
le prince Christian.
La Reine a distribué elle-même, dans
les villages qui avoisinent Osborne, des
vêtements, des lainages, des chaussu-
res, etc., à titre de cadeaux de nouvel an,
aux pauvres dupays, qui ont également
reçu de plantureuses rations de viande
par les soins de l'intendant de Sa Ma-
jesté. On dit tout bas que the flrst lady
of the land, ainsi que 1 appellent volon-
tiers ses sujets, met la dernière main à
une œuvre littéraire sur la nature de
laquelle on ne sera édifié qu'au prin-
temps prochain, quand l'auguste souve-
raine quittera l'île de Wight pour Lon-
dres, où l'ouvrage sera publié, à un pe-
tit nombre d'exemplaires numérotés.
A Home, le roi Humbert, de retour
de Naples, où il était allé chasser pen-
dant la dernière semaine de l'année, a
reçu, le 1er janvier, les membres du
corps diplomatique présents dans la Ville
Eternelle.
La réception a été assez terne et assez
embarrassée, paraît-il. Le Roi avait l'air
de mauvaise Tiumeur et quelques-uns
de ses ministres avaient des figures
d'enterrement. En l'absence de M. le
marquis deNoailles, notre ambassadeur,
la France était représentée par le pre-
mier secrétaire de la légation, M. le mar-
quis de Reverseaux.
M. Gougeard, ministre de la marine,
est parti hier soir pour Cherbourg. Le
ministre doit y présider aujourd'hui la
double inauguration du tribunal de com-
merce et du théâtre.
Les obsèques du peintre Alfred Deho-
dencq, dont nous avons annoncé la mort
hier, auront lieu aujourd'hui, à dix heu-
res précises, en l'église Sain t-Ë tienne-
du-Mont.
Mme Rouvier, dont on avait annoncé
à tort, paraît-il, l'installation définitive
à Nice pour la saison hivernale, est ren-
trée à Paris elle assistait hier avec le
ministre du commerce à la représenta-
tion de l'Opéra, et démentait elle-même
tous les bruits qui ont couru sur son in-
tention de priver, cette année, le monde
officiel de sa présence.
Très brillante réunion lundi soir à
l'Opéra, pour le début de cette année.
Les loges formaient une véritable cor-
beille aristocratique le duc et la du-
chesse de Bisaccia, le prince et la prin-
cesse d'Hénin, la duchesse de la Tre-
moïlle, la baronne Hottinger, la corn-
tesse Pillet-Will, la princesse de Bran-
covan, la comtesse de Pourtalôs, la mar-
quisedeJaucourt, la comtesse de Ganay,
etc. Beaucoup de toilettes blanches ou
noires. Une sorte de deuil très élégant,
adopté spontanément, comme si nos
belles Parisiennes eussent voulu porter
celui de l'année disparue. Quelques dia-
mants. Cependant l'on n'a pas encore
ouvert tous les écrins.
On attend pour cela le premier coup
d'archet de quelque belle fête. ` '̃.̃
Demain jeudi aura lieu une très belle
matinée en l'honneur du contrat de
Mlle de Lambel, fille du vicomte et de la-
vicomtesse de Lambel, qui épouse le
fi}s du général d'Estampes. Cette union
entre deux familles aussi honorables que
bien apparentées est accueillie avec la
plus grande sympathie.
NOUVELLES A LA MAIN
Une vierge de quinze ans, Mlle X.
lit des romans en cachette.
C'est ainsi que nos jeunes Parisiennes
•se forment l'esprit et le cœur.
̃ L'autre jôttr, §? mère entre dans sa
chambre, et la fillette cache i»i livre avec
précipitation.
Que lisais -tu là? interroge ia
mère.
Mon histoire sainte.
Où en étais-tu?
Au moment où Faublas. entre
dans le ventre de la baleine.
Dans un restaurant de nuit, un jeune
gommeux, fortement ému, heurte une
table et renverse une carafe sur les ge-
noux d'un consommateur.
Ne faites pas attention, murmure-
t-il, je suis un peu parti.
Moi, réplique l'inondé, je suis d'a-
vis que vous ne Tètes pas assez 1
UN DOMINO r
LES EMPLOYÉS
Comme je passais dans cette foule
compacte, dans cette foule engourdie,
lourde, pâteuse, qui coulait lentement,
dimanche, sur le boulevard comme une
épaisse bouillie humaine, plusieurs fois
ce mot me frappa l'oreille « La gratifi-
cation. » En eifet, ce qui remuait si dif-
ficilement le long des trottoirs, c'était le
peuple des employés.
De toutes les classes d'individus, de
tous les ordres de travailleurs, de tous
les hommes qui livrentquotidiennement
le dur combat pour vivre, ceux-là sont
le plus à plaindre, sont les plus déshéri-
tés de faveurs.
On ne le croit pas. On ne le sait point.
Ils sont impuissants à se plaindre; ils ne
peuvent pas se révolter; ils restent liés,
bâillonnes dans leur misère, leur misère
correcte, leur misère de bachelier.
Gomme je l'aime, cette dédicace de
Jules Vallès « A tous ceux qui, nourris
de grec et de latin, sont morts de
faim » p
s
Voici qu'on parle d'augmenter le trai-
tement des députés, ou plutôt, voici que
les députés parlent d'augmenter leur
traitement. Qui donc parlera d'augmen-
ter celui des employés, qui rendent, ma
foi, autant de discutables services que
les bavards du palais Bourbon ?
Sait-on ce qu ils gagnent, ces bache-
liers, ces licenciés en droit, ces garçons
que l'ignorance de la vie, la négligence
coupable des pères et la protection d'un
haut fonctionnaire ont fait entrer, un
jour, comme surnuméraires dans un
ministère?
Quinze ou dix-huit cents francs au dé-
but Puis, de trois ans en trois ans, ils
obtiennent une augmentation de trois
cents francs, jusqu'au maximun de qua-
tre mille, auquel ils arrivent vers cin-
quante ou cinquante-cinq ans. Je ne
parle point ici des très rares élus qui
deviennent chefs de bureau. J'en dirai
quelques mots tout à l'heure.
-Sait-on ce que gagne aujourd'hui,
dans Paris, un bon maçon ? Quatre-
vingts centimes l'heure. Soit huit francs
par jour, soit deux cent huit francs par
mois, soit deux mille cinq cinq cents
francs environ par an.
Un ouvrier dans une spécialité quel-
conque ? Douze francs par jour. Soit trois
mille sept cents francs par an Et je ne
parle pas des habiles I
Or, messieurs les gouvernants, vous
savez ce que vaut le pain, et le reste,
n'est-ce pas, puisque vous vous trouvez
insuffisamment rétribués? Vous admet-
tez bien que les bureaucrates se marient
comme vous, aient des enfants comme
vous, s'habillent au moins un psu, sans
fourrures, mais enfin aillent vêtus à
leur bureau. Et vous voulez qu'aujour-
d'hui, avec deux mille cinq cents francs,
moyenne des traitements, un homme ait
une femme, deux mioches.au moins (un
de chaque sexe, pour maintenir l'équili-
bre des unions futures et la population
de la France, dont vous vous inquiétez),
et que cet homme achète des culottés
pour lui et son garçon, des jupes pour
sa femme et sa fille. Calculons loyer,
cinq cents; habillement et linge, six
cents; tous autres frais, cinq cents. II
reste neuf cents francs juste, soit deux
francs quarante-cinq centimes par jour
pour nourrir le père, la mère et les deux
enfants. C'est odieux et révoltant
Et pourquoi donc, seuls, les employés
demeurent-ils dans cette misère, aïbrs
que l'ouvrier vit à son aise. Pourquoi ?
Parce qu'ils ne peuvent ni réclamer, ni
protester, ni se mettre en grève, ni chan-
ger d'emploi, ni se faire artisan.
Cet homme est instruit, il respecte son
éducation et se respecte lui-môme. Ses
diplômes l'empêchent de clouer des ten-
tures ou de racler du plâtre, ce qui vau«
drait mieux pour lui..
S'il quittait sa fonction, que ferait-il"? I?
où irait-il ? On ne change pas d'adminis-
tration comme d'atelier. 11 y aies fo-or-
ma-li-lés. Il ne peut .pas protester; on
le chasserait.il ne peut même pas récla-
mer. Voici un exemple. Il y a quelques
années, les employés de la marine, las
de mourir de faim, de voir les Exposi-
tions universelles et l'augmentation gé-
nérale du bien-être faire tout renchérir,
alors que leurs traitementsdemeuraient
invariablement dérisoires, rédigèrent
humblement une requête à M. Gambetta,
président de la Chambre. Il y eut dans
les bureaux un soupir d'espoir. Tout le
monde signait. Des députés avaient
promis, dit-on, d'intervenir. Or, la re-
quête fut dénoncée, saisie, au nom de la
discipline et au mépris de tout droit.
L'amiral quelconque, alors ministre,
fulmina des menaces de révocation pour
les signataires, terrorisa l'administra-
tion tout entière. Que pouvait-on faire?
Rien: On se tut, et on continua à crever
de misère.
• Et quand on songe que ces pauvres
diables d'employés trouvent encore quel-
quefois le moyen, par suite je ne sais
quels insondables mystères d'économie,
d'envoyer leurs fils au collège, afin de
leur faire obtenir, plus tard, ce ridicule
et inutile diplôme de bachelier
C'est à eux qu'on peut appliquer l'i-
mage hardie si connue, et dire « Ils vi-
rent de privations. »
~w~
Parlons de leur existence^
Sur la porte des Ministères, on devrarir
écrire en lettres noires la célèbre phrase
de Dante « Laissez toute espérance,
vous qui entrez, s
On pénètre là vers vingt-deux ans.
On y reste jusqu'à soixante. Et pendant
cette longue période, rien ne se passe.
L'existence tout entière s'écoule dans le
petit bureau sombre, toujours le même,
tapissé de cartons verts. Ôny entre jeune,
à l'heure des espoirs vigoureux. 'On en
sort vieux, près de mourir. Toute cette
moisson de souvenirs que nous faisons
dans une vie, les événements imprévus,
les amours douces ou tragiques, les
voyages aventureux, tous les hasards
d'une existence libre, sont inconnus à
ces forçats.
Tous les jours, les semaines, les mois,
les saisons, les années se ressemblent.
A la, même heure, on arrive; à la
même heure, on déjeune; à la même
heure, on s'en va; et cela de vingt-deux
à soixante ans. Quatre accidents seule-
ment font date le mariage, la nais-
sance du premier enfant, la mort de son
père et de. sa mère. Rien autre chose;
pardon, les avancements. On ne sait rien
de la vie ordinaire, rien même de Paris.
On ignore jusqu'aux joyeuses journées
de soleil dans les rues, et les vagabon-
dages dans les champs car jamais on
n'est lâché avant l'heure réglementaire.
On se constitue prisonnier à dix heures
du matin; la prison s'ouvre à cinq heures,
alors que la nuit vient. Mais, en com-
pensation, pendant quinze jours par an
on a bien le droit, droit discuté, mar-
chandé, reproche, d'ailleurs de rester
enfermé dans son logis. Car où pourrait-
on aller sans argent?
Le charpentier grimpe dans le ciel;
le cocher rôde par les rues; le mécani-
cien des chemins de fer traverse les
bois, les plaines, les montagnes, va
sans cesse des murs de la ville au large
horizon bleu des mers. L'employé ne
quitte point son bureau, cercueil de ce
vivant; et dans la même petite glace où
il s'est regardé, jeune, avec sa mousta-
che blonde, le jour de son arrivée, il se
contemple, chauve, avec sa barbe blan-
che, le jour où il est mis à la retraite.
Alors, c est fini, la vie est fermée, l'ave-
nir clos. Comment cela se fait-il qu'on
en soit là déjà? Comment donc a-t-on
pu vieillir ainsi sans qu'aucun événe-
ment se soit accompli, qu'aucune sur-
prise de l'existence tous ait jamais
secoué? Cela est, pourtant. Place aux
jeunes, aux jeunes employés
Alors on s'en va, plus misérable en-
core, avec l'infime pension de retraite. On
se retire aux environs de Paris, dans un
village à dépotoirs, où l'on meurt pres-
que tout de suite de la brusque rupture
de cette longue et acharnée habitude du
bureau quotidien, des mêmes mouve-
ments, des mêmes actions, des mômes
besognes aux mêmes heures.
Parlons des chefs maintenant.
Les quelques inconnus d'avant-hier
qui, hier, se sont réveillés ministres
n'ont pas pu ressentir un plus violent af-
folement d'orgueil qu'un vieil employé
nommé chef. Lui, 1 opprimé, l'humilié,
le triste obéissant, il commande, il en a
le droit, et il se venge. Il parle haut,
durement, insolemment, et les subor-
donnés s'inclinent.
Il* faut excepter certains ministères
comme celui de l'instruction publique,
où d'anciennes traditions de bienveil-
lance et de courtoisie ont été jusqu'ici
conservées. D'autres sont des galères.
J'ai cité celui de la marine j'y reviens.
J'y ai passé, je le connais. Là-dedans
on a le ion du commandement des offi-
ciers sur leur pont.
Il n'est pas le seul d'ailleurs, rien n'é-
gale la morgue, l'outrecuidance, l'inso-
lence de certains pions parvenus, dont
l'ancienneté a fait des rois de bureau,
des despotes au rond de cuir.
L'ouvrier insulté par le contre-maître
retrousse ses manches et frappe du
poing. Puis il ramasse ses outils et cher-
che un autre chantier. Un employé un
peu fier serait sans pain le lendemain,
et pour longtemps, sinon pour toujours.
Dernièrement, un ministre prenant
possession de son département pronon-
çait â peu près ces paroles devant les
« hauts fonctionnaires » de son adminis-
tration, les 'chefs et les employés « Et
n'oubliez pas, messieurs, que j'exige vo-
tre estime et votre obéissance votre
estime, parce que j'y ai droit; votre
obéissance, parcs que vous me la de-
vez. »̃̃̃•.̃
Cela sent-il assez- l'aulori taire par-
venu?
Et songeons à ce que deviendra un pa-
reil discours pansant de bouche en bou-
che jusqu'au sous-chef haranguant ses
expéditionnaires 1
Oh il y a bien des cœurs froissés dans
ces vastes usines à papier noirci, et des
.cœurs tristes, et de grandes misères, et
de pauvres gens, instruits, capables, qui
auraient pu être quelqu'un, et qui ne
seront jamais rien, et qui ne marieront
point leurs filles sans dot, à moins de
leur faire épouser un employé comme
eux.
GUY DE MAUPASSANT
SÉNATEURS SORTANTS
̃ '̃ ̃ a»f. »G FKEYCIKET
Au mois de février 1871, un peu avant
de prendre son billet pour Saint-Sébas-
tien, M. Gambetta écrivait: «il faut
que Freycinet soit élu » M. de Freyci-
net ne fut pas élu, et personne ne pensa
que le monde fût près de finir.
Quatre ou cinq ans plus tard, au mois
de janvier ISTtî, Paris avait cinq séna-
teurs â nommer. M. Gambelta, revenu
d'Espagne, remplaça les injonctions des-
potiques par des manœuvres politiques,
et M. de Freycinet entra au Sénat, ou il
a eu, pendant deux jours, la réputation
d'un homme nécessaire.
-^11 en sort aujourd'hui, un peu chif-
fomlô parles événements, un peu sus-
pect auxTïsxisiens, qui le trouvent ilas-
que, et il quête ça^-eWA un siège dans
les régions méridionales. M'T^mJ'tôt!^
répète encore ou fait répéter par ses
préfets « II faut que Freycinet soit
élu » On espère que l'une ou l'autre
de ces candidatures, officiellement va-
gabondes, réussira, et que M. de Freyci-
net, sénateur ambulant, reviendra au
Luxembourg avec cette irritation natu-
reile que les inamovibles' causent aux
camarades.
̃ .# •' •̃ :i* ̃-̃: l-
11 n'y changera point l'idée qu'on se
fait maintenant de lui. Il a donné sa
mesure, ayant été deux ou trois fois mi-
nistre. Ministre des travaux publics, mi-
nistre des affaires étrangères et prési-
deut du couseil.
Il a beaucoup entrepris et il a tout
manqué mais, en tout, il a paru supé-
rieur. Môme comme délégué a la guerre,
au plus fort de l'invasion allemande, on
l'avait jugé tel. On disait « II est con-
damné, il est néfaste, une fatalité pèse
sur lui mais, sans cette fatalité, ce se-
rait un homme de génie. »
Aux travaux publics, il a fait des plans,
fort beaux sur le papier, un programme
gigantesque, que les petits esprits trai-
taient de chimère, et qu'on réalisera ai-
sément, avec dix milliards. M. de Frey-
cinet n'a pas pu le réaliser lui-même. A
cette époque, il avait beaucoup d'enne-
mis cachés qui affectaient de ne voir en
lui qu'un casse-cou.
M. Léon Say, ministre des finances,
lui faisait une guerre sourde, et mani-
festait même publiquement ses alarmes,
jusqu'au jour ou la création du 3 0/0
amortissable scella décidément l'alliance
du rêveur et du financier. On vit, non
sans étonnement, s'unir le feu et l'eau
on admira ce mariage curieux du panier
percé et du coffre-fort Fichet. Le thésau-
riseur Say parut céder au dissipateur
Freycinet; mais, avec sa malice ordi-
naire, il ne céda qu'à demi, et, jour
comble de malheur, les vrais ingénieurs
disent que le grand plan est raté.
Il ne l'est pas, il n'est qu'interrompu.
Des méchants ont mis une pierre sur
les rails, et la locomotive de ce sublime
chauffeur a déraillé. Il n'en a pas moins
taillé de la besogne à ses successeurs
pour deux ou trois siècles et d'ailleurs,
qu'importe le plan, pourvu que M. Say
et M. de Freycinet fraternisent?
Ministre des affaires étrangères, et
président du conseil, M. de Freycinet
n'a pas eu le temps d'aller loin. Là en-
core, on lui a jeté un sort. Il commen-
çait agréablement, lorsque cette persis-
tante tatalitô l'a arrêté court. Il a laissé
la réputation d'un homme d'Etat mal-
heureux mais, en même temps, il s'est
fait un renom d'orateur exquis.
#*#
11 faudrait être insensible aux enchan-
tements des sirènes pour le lui chicaner.
La douce persuasion coule vraiment de
ses lèvres, et, en mainte occasion, sa pa-
role délicieuse a sauvé sa politique en-
guignonnée. Martignac n'avait pas plus
d'onction, ni M. Emile Ollivier plus de
grâce. On l'a dit souvent: « C'est un sor-
cier C'est un charmeur !» On ne résiste
pas à de pareils musiciens, et ils peuvent
chanter, sur le luth d'Orphée, toutes les
fadaises qu'il leur plaira. Le bois même
de la tribune redit ces modulations insi-
dieuses et devient complice de la trahi-
son. Le charme ne tombe que quand Or-
phée lui-môme est tombé.
Il a bien fallu voir que la ravissante
musique de M. de Freycinet cachait
comme tout ce qui est trop moelleux et
féminin, un peu d'indécision et de lan-
gueur, une absence fâcheuse d'idées
sûres et de vues arrêtées, un penchant
aux velléités non suivies d'effet, une
incurable impuissance à se fixer pour
agir, un goût marqué pour cette jouis-
sance délicate, pour ce raffinement d'es-
prit qui consiste à flotter sans cesse au
gré du hasard, à se bercer dans son di-
lettantisme, comme dans une ivresse
orientale, et à savourer éternellement
l'ineffable plaisir de ne pas savoir ce
que l'on veut.
C'est la politique du hamac, et M. de
Freycinet en est là. On a vu facilement
qu'avec ce virtuose, lorsque le son s'é-
loigne, le caractère s'évapore aussi. Ses
plus jolis discours sont de suaves pali-
nodies. Il avait dit é!.oquemmcnt qu'il
ne ferait pas l'amnistie il a dit éloquem-
tnent qu'il la ferait, et il l'a faite. Il avait
promis, avec un 'accent séraphurùer; de
respecter la liberté religieuse, et il a- ré-
digé Jes décrets. 11 avait annoncé fière-
ment qu'il les exécuterait, et, .plutôt
que de les exécuter, il a quitté le minis-
tère. Dans un récent discours, il a parlé
d'un phare lumineux. Il en est un lui-
même,– lumineux, mais tournant
Je ne crois pasquïl y ait un homme au
monde qui se soit donné à lui-même,
avec plus d'aisance, plus de démentis.
Je ne surprendrai personne, pas mê'm«
M. de Freycinet, en constatant qu'il a
perpétuellement changé 'du matin; au
soir, comme une jolie femme. Toujours
aimable, toujours charmant, plus at-
trayant à chaque métamorphose; plus
séduisant à chaque toilette c'est "le ca-
price incarné ̃̃
̃̃̃̃"̃ ̃•̃-̃ &% v
( Il y a là un mystère. Peut-être serait-
il malséant d'insister. Avec son air.
grave et son apparence câline, je soup-
çonne que M. de Freycinet est la plus
nerveuse, la plus impressionnable des
créatures contemporaines. Il doit exer-
cer et subir en môme temps toute
sorte d'influences- dont la subtilité
nous échappe. II" se passionne, je pense,
et se détache en un clin d'œil^avec
une extrême facilité, pour les idées
les plus contraires et les personnes les
plus différentes. Il veut tout, il désire
tout, et il se lasse de tout en cinq minu-
tes. Cette nervosité presque maladive
expliquerait bien des variations, et don-
nerait même toute la clef àe ce lunati-
que. C'est un rêveur d'une autre époque,
un mélancolique de 1820. C'est Adolphe,
c est Benjâffiift-Goïïstant "kra-ème-iL
tEeatt-aTTs.Nous avons déjà eu: Werther
carabin c'est Werther ingénieur.
Essayez donc de pénétrer dans une
conscience aussi compliquée. Vous ri'fen
avez pas môme le droit. Tout .se -résout
et se décide, en cet endroit sacré, par des
impressions intimes, personnelles, prodi-
gieusement changeantes et fugitives, où
il entre mille ingrédients insaisissables,
y compris l'air du temps, et dont l'ana-
lyse, si on la poussait trop loin, auraità
la fois le caractère d'une indiscrétion
et la fragilité d'une hypothèse. 1
Il y a des moments où l'on est tenté de
croire que cet ingénieur, ce savent, ce
mécanicien, croit aux fétiches, aux mas-
cottes, aux étoiles et à la bonne aven-
ture. •;
J'ignore s'il est vraiment religieux,
il doit l'être et ne pas l'être mais je pa-
rierais qu'il est superstitieux, comme
Louis XI, et qu'il attache de temps.en
temps, une petite Vierge âson chapeau.
Le sel renversé, les fourchettes en croii,
le vendredi, le chiffre 13, doivent jouet-
leur rôle dans les résolutions de ce ma-
gnétiseur magnétisé. J'ai lu quelque
part, je ne sais où, qu'il croyait aux mi-
racles, lui, un savant, lui, un protes-
tant
t Un peu plus, il croirait à l'eau; de
Lourdes, oui, lui, M. de Freycinet,
l'homme des décrets, à l'eau de Lour-
des 1 Il l'a avoué « Si j'étais catholique,
et si j'étais malade, je n'hésiterais pas
à courir cette chance » C'est bien lui,
n'est-ce pas, qui a écrit cela Y °
Une pareille confession peint l'homme.
Un autre jour, il aura ses révoltes, et,
qui sait? ses blasphèmes. Manfred in-
surgé jettera aux quatre vents du ciel
ses foudroyantes malédictions. Et on
aura tort de les lui reprocher: ce poly-
technicien est un poète. Chateaubriand
a été ministre. Lamartine a été ministre
et, si Alfred de Musset ne Tapas été, c'est
sans doute que le destin réservait la
place à M. de Freycinet. Pour peu que
le cabinet ait besoin d'un impression-
niste, « il faut que Freycinet soit élu » D
Z.
A HAPPY NEW-YEAR f
C'est un nombre incalculable de fois que
les salons de Mme Morton ont. entendu ré-
péter hier, de trois à six heures, la joyeuse
salutation avec laquelle les Américains et
les Anglais s'abordent au icr janvier. La
toute charmante femme du ministre des
Etats-Unis recevait mardi, pour la pre-
mière fois dans sa nouvelle résidence, le^
hommages de la colonie américaine de
Paris, venue au grand complet prendre sa
part du licttledrnm qui inaugurait l'hôtel
de la place des Etats-Unis. Il faudrait citer
les noms de tous les Américains de distinc-
tion de passage ou en résidence à Paris,
pour n'omettre aucun des visiteurs de Mme
Morton, qui s'est acquittée de ses devoirs
de maîtresse de maison avec un charme de
séduction inexprimable, dont se rendent
compte ceux-là seuls qui ont eu l'honneur
de lui être présentés.
Citons pourtant, au hasard M. le consul
général Walker et sa femme M. et Mme
Philip Walker; M. le vice-consul Hooper,
Mme et miss Hooper, le général et la gé-
nérale Fairchild, M., Mme et miss J. W.
Mackay, M,, Mme et miss Grâce Selig-
mann, M. et Mme Wassermann, les nou-
veaux mariés; Mme Hungerford, Mme et
miss Henston, M., Mme et miss Homans,
Mme Healy et miss Kathleen Healy, M. et
miss Eakin, M. et Mme Viterbo, M. Jac-
ques Alfassa, M. Jules de Castro, M. le
consul général Wolf, M. le consul général
Peixotto, le docteur Warren-Bey et sa fille,
docteur Hitchcock, M. et Mme Ryan, Mme
Strakosch, miss Emma Thurnsby, Mlle Ma-
rie Van Zandt, Mme Stevenson, Mme Bers-
tein, Mme Levy, M. le vice-consul italien
Bajnotti et Mme, M. Pomeroy, Révérend
docteur Payne, M. Cabanel, etc., etc.
Un peu plus tard, la même sociétéélé-
gante, les mêmes visiteurs sympathiques
se sont retrouvés chez Mme J. W. Mac-
kay, dont ils ont pu admirer le portrait
que Meissonier a achevé ces jours passés,
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