Titre : Gringoire : le grand hebdomadaire parisien ["puis" le grand hebdomadaire social], politique et littéraire
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Bordeaux)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Marseille)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Clermont-Ferrand)
Date d'édition : 1939-07-27
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32784069f
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 27 juillet 1939 27 juillet 1939
Description : 1939/07/27 (A12,N559). 1939/07/27 (A12,N559).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG63 Collection numérique : BIPFPIG63
Description : Collection numérique : BIPFPIG13 Collection numérique : BIPFPIG13
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4747387q
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-126
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/03/2018
LES CALOMNIES
- D'abord, c'est faux, nous n'avons
jamais touché d'argent russe... on nous
0e en billets français...
L'ART D'ETRE AUTEUR
— Il le fallait:.. J'ai tout subordonné
au problème de la natalité...
— Bravo ! tu fais des enfants ?
— Non, des statistiques.
EXCURSIONS FUTURES
— Ta mère et toi, vous prendrez
l'autosi rade de l'axe, moi je file par le
- tunnel sous la Manche, nous nous re-
trouverons sur le pont de Dantzig...
LE CALLIGRAPHE EN CHAMBRE
' OU L'USINE DE M. KING HALL
— Ah ! si nous étions à Londres...
Tu pourrais faire fortune en copiant
des adresses...
LE SUSPECT
— C'est des histoires 1 Comment
voulez-vous que cet imbécile-là soit
d'intelligence avec qui que ce soit ?
POUR LE CENT CINQUANTENAIRE
La Grande Peur du 30 juillet 1789.
par Philippe HENRIOT
Tout, pourrait-on penser, a déjà été dit
sur la prise de la Bastille que commémo-
lent chaque année, en France, les bals de
quartier et les feux d'artifice. Mais si les
horreurs qui accompagnèrent cette journée
d'émeute sont devenues familières aux histo-
riens, il reste encore à cette aventure un
côté mystérieux.
Certes, rien ne s'oppose a priori à ce
qu'on admette que le soulèvement populaire
du 14 juillet 1789 a été dirigé par le seul
effet du hasard vers la fameuse forteresse.
Mais cette thèse devient singulièrement fra-
gile quand on évoque l'étrange concomitance
des événements qui allaient suivre.
La prise de la Bastille apparaît alors,
non plus comme un épisode détaché, mais
comme un signal. La façon dont la fièvre
de Paris va gagner la province démontre une
organisation méticuleuse, révèle une infer-
nale et minutieuse préparation.
Et, s'ils étaient francs, les célébrants du
cent cinquantenaire, au lieu de magnifier
l'explosion « spontanée » d'un peuple qui veut
conquérir la liberté, loueraient les metteurs
en scène d'une tragédie où, comme il arrive
si souvent, ce peuple fut cyniquement berné
par ses exploiteurs.
En effet, le déclenchement du drame ter-
rible s'est fait en trois temps, chronométrés
à la perfection : le 14 juillet, prise de la
Bastille ; le 22, armement des provinces ;
le 30, la Grande Peur...
***
Dès les premières semaines de son exis-
ience* l'Assemblée nationale avait offert un
assez "triste spectacle. Arthur Young, qui
l'avait contemplé, écrivait d'elle : « Elle est
prisonnière des tribunes. C'est le public qui
lui dicte ses votes, et quel public ! Toujours
le même : ce sont les suppôts des Loges qui
sont là, assidus, et veillent à ce que la beso-
gne qu'ils ont préparée dans leurs antres
s'accomplisse ; les députés leur obéissent
docliement. »
Mais les Loges ne se contentaient pas de
diriger les débats de l'Assemblée. Elles
entendaient disposer du pays. La prise de la
Bastille, fut l'instrument de l'opération. « Le
même jour, à la même heure, écrit M. de
Verneuil Palaiseau, dans ses Souvenirs de
soixante-quinze ans, on fit partir de Paris un
grand nombre de courriers, porteurs d'ins-
tructions secrètes qu'ils devaient laisser par-
tout sur leur passage. »
La simultanéité avec laquelle la mission
fut remplie sur tous les points du territoire
tient prodige. Elle n'a cessé de laisser
perplexes les historiens. Ce fut presque par-
tout le 22 juillet que, sous des impulsions
locales, fréquemment maçonniques, se cons-
lituèrent des groupes d'auto-défense qui pre-
naient des noms divers : garde nationale,
comités patriotiques, gardes civiques... Çà et
'a> les esprits raisonnables et pondérés font
observer qu'il existe déjà des compagnies
bourgeoises, des milices... mais leurs objec-
tons sont vite balayées : il s'agit, expliquent
1(* messagers, de créer des « associations en
forme de régiments », et, d'ailleurs, répète-
'•on aux hésitants, cela se fait partout...
Ce dernier argument trahit à lui seul le
j0jîiplot : comment peut-on dire que cela se
fait partout si l'on ignore qu'à la même heure,
etl effet, dans toutes les provinces, des émis-
ses identiques accomplissent une identique
besogne ?
Emissaires de qui ? Le duc d'Orléans ?
Mirabeau ? Taileyrand ? Tous francs-ma-
j.°ns> du reste. Un contemporain, du nom
p Lefèvre, secrétaire de l'Intendance de
Limoges, prétend que la chose avait été déci-
ee au cours d'un conciliabule secret tenu
Sieyès, Taileyrand et Mirabeau. Ce
dernier plan, aurait voulu retarder l'exécution du
puis aurait fini par céder en disant :
? Puisque vous le voulez, armons le peuple.
" désarmera qui voudra 1 »
Dira-t-on qu'il ignorait où on allait ? Si
Jtyès était membre de la Loge des 22,
'('rabeau faisait partie de la secte des Illu-
tnInés, où il avait introduit Taileyrand. Il
avait assisté, en 1782, au fameux Convent
} Wilhelmsbad, avaient été prises des
joutions terribles contre Louis XVI et
istave III de Suède... Gustave III sera poi-
gnardé le 15 mars 1 792 ; Louis XVI a
illotiné le 21 janvier 1793...
Le second acte du drame ayant été joué
j e 22 juillet, tout est prêt pour le troisième :
jVec la même soudaineté, la même concor-
I née, le 30 juillet éclate, à travers la
| France,' comme un gigantesque incendie im-
| possible à maîtriser, cette Grande Peur qui
| va permettre le déchaînement de tant d'atro-
j cités.
| Les mémoires du temps, les archives de
nos provinces, les correspondances des contem-
porains décrivent avec une hallucinante iden-
tité l'explosion et les progrès du fléau. Le
même scénario se reproduisit presque sans
variante dans tous les* centres urbains ou
ruraux, sur les grandes routes ou sur les
marchés.
Cela commençait par une rumeur, d'abord
sans origine définie : « Il paraît que... on
prétend... des gens viennent d'arriver qui
assurent... » Mais si les auteurs étaient
vagues, les nouvelles étaient précises. Des
troupes de brigands, assassinant tout et brû-
lant tout sur leur passage avaient été vues
à quelques lieues de là. Ils avaient déjà
réduit en cendres les villes du voisinage...
Selon les régions, on remplaçait les simples
brigands par des bandes d'Anglais dans
l'Ouest, par une irruption d'Allemands dans
l'Est... Parfois, on y mêlait des nobles dési-
reux d'arrêter l'élan du peuple vers la
liberté... Très vite, on trouvait des cautions
autorisées pour ces racontars. Mais, sans les
attendre, le peuple affolé et terrorisé sonnait
le tocsin, courait aux châteaux pour deman-
der des fusils et, au besoin, les exiger.
Le général d'Esparbès, gouverneur du
Languedoc, écrivait au maréchal de Mouchy,
chef des forces armées de Guyenne : « Il y
a eu une terreur panique le 30 du mois der-
nier (juillet). Tous les habitants étaient sous
les armes. Les femmes couraient les campa-
gnes, le tocsin sonnait partout. Elle s'est com-
muniquée, en moins de vingt-quatre heures, à
plus de soixante lieues... M. le comte de
Durfort m'écrit pour me prévenir que cinq
cents hommes doivent venir me demander
trois cents fusils et que si je ne les leur pro-
mets pas, ils mettront le feu à mon châ-
teau... »
*
**
Cette Grande Peur une fois déclenchée, nul
ne fut plus maître de l'arrêter. La surprise
et la frayeur allaient devenir, aux mains des
meneurs révolutionnaires, des leviers formi-
dables. Les diaboliques organisateurs des 22
et 30 juillet ont été les artisans essentiels
de la tragédie !
C'est un historien qu'on n'accusera pas de
passion, M. Thiers lui-même, qui le recon-
naît : « En quelques jours, écrit-il, la
France est en armes, attendant des brigands
qui ne viennent pas... Ce stratagème rendit
universelle la Révolution du 14 juillet en
provoquant l'armement de la nation. »
Mais, dès 1790, l'auteur anonyme des
Réflexions sur les affaires politiques des
temps présents de la France avait diagnos-
tiqué les origines de ce mystérieux mouve-
ment : « Le premier agent qui amena cet
armement, écrit-il, fut d'abord les instruc-
tions secrètes données à des chefs de partis,
dispersés et envoyés dans toutes les provin-
ces, ce qui a dû coûter des sommes énormes
à quelque puissance inconnue. »
* Réservera-t-on, au cours des fêtes, un
hommage officiel à cette « puissance incon-
nue » qui fit naître, sous le signe de la peur,
une révolution qui devait s'achever sous celui
,.lA 1" F/IVFPTLL* )
Philippe HENRIOT.
Sept jours. ◑ .Sept nuits par Clément VAUTEL
Les maris abandonnés.
Voici revenue la saison où madame
abandonne monsieur, qui est retenu à
Paris « par ses affaires ». Elle est à la
mer, à la montagne, à la campagne, avec
les enfants, ou elle prend « les eaux »
toute seule, en principe. Pendant un mois,
monsieur vivra en garçon — en garçon
sérieux. A moins que...
Que penser de cette « trêve conjugale » ?
Mme Jeanne Fernandez, qui tient le rayon
de « La vie féminine » dans un journal,
écrit :
Toutes les femmes n'abandonnent pas un
mari à une maison inhospitalière (sancta
sirnplieitas /) qui disparaît sous les housses,
alors qu'elles emmènent leur famille aux
champs.
Non, Dieu merci, toutes les femmes qui
vont se mettre en maillot deux-pièces sur
la plage ne se soucient pas plus de leurs
fauteuils que de leur pseudo seigneur et
maître. Que font-elles ? Notre consœur nous
le dit en citant un touchant exemple :
Je sais une amie, dont le cœur et l'esprit
(est-ce tout ?) font un être charmant, qui
cède au devoir impérieux de se séparer d'un
mari chéri, mais à une condition, et c'est là
que vous retrouverez sa jolie nature : elle
laisse au logis la domestique dont le mari
a l'habitude, afin qu'il ne prenne pas ce goût
d' € errer » dont les conséquences sont plus
fâcheuses qu'on ne le suppose...
Ah ! voilà une femme de précaution !
— Mon chéri, je te laisse la bonne...
Oui, mais, si la bonne est gentille et
complaisante, le mari, sans « prendre le
goût d'errer », lui demandera' peut-être de
dénouer son tablier blanc... La solitude est
mauvaise conseillère, et la chair est si
faible !
Mme Jeanne Fernandez n'a pas prévu
cet autre danger. Elle continue, avec une
ingénuité exquise :
Le cabinet de travail et la chambre à cou-
cher sont intacts, malgré la saison : ainsi,
l'homme (eh ! oui, voilà le vrai mot), subite-
ment seul et quelque peu désorienté les pre-
miers jours, a, du moins, la ressource d'ame-
ner de temps en temps un ami pour partager
son repas.
Précieuse ressource, en effet ! Mais n'en
a-t-il pas d'autres ? On peut imaginer que
l' « homme » emmène une amie improvisée
pour « partager son repas » au restaurant.
Quitte à partager ensuite le lit de la « rem-
plaçante »... Simple échange de bons pro-
cédés !
Notre consoeur fait un émouvant tableau
de l'existence que mène le mari dans l'ap-
partement où est restée la bonne et où les
housses n'ont pas été mises... « Il continue
le soir ses lectures sous la même lampe
qu'en hiver, il lève les yeux sur le même
tableau qu'il voulut à cette place, etc. »
Que lui manque-t-il, à cet homme ? Rien,
évidemment... Madame reviendra dans un
mois avec la certitude de retrouver, elle ,
aussi, tout en place.
— Qu'as-tu fait, mon chéri ?
— J'ai beaucoup lu sous la lampe. Et
toi ?
— Moi, j'ai bruni, comme tu vois... Et tu
ne vois pas tout ! ,
Ces conditions d'existence, conclut Mme
Fernandez. prévues par une femme attentive,
suppriment l'infortune (ça dépend) d'un mari
qu'elle mérite « raisonnable », au sens où
le comprend M. de La Rochefoucauld. Il sera
alors « celui qui connaît la raison, la dis-
cerne et la goûte ».
Oui, mais La Rochefoucauld a dit aussi :
« L'on fait plus souvent des trahisons par
faiblesse que par un dessein formé de
trahir ». Et la femme vraiment « attentive » 1
ne compte pas sur la « lampe d'hiver », le 1
« tableau resté en place », pas même sur les
meubles sans housse, pour empêcher son 1
mari abandonné de mener la vie de garçon. !
Elle ne l'abandonne pas, même en lui lais- 1
sant la bonne, ou elle accepte, avec plus ou
moins de philosophie, un risque somme toute
assez naturel. Sans compter qu'il peut lui
arriver à elle-même... En vérité, ces sépara- '
tions de corps pendant la saison aphrodi-
siaque ont toujours inspiré les vaudevillistes.
Ce n'est pas comme par hasard...
Les enfants au dodo.
Auteurs dramatiques qui se vantent
d'être des moins de vingt ans — comme
s'ils le faisaient exprès ! — romanciers,
romancières qui, à l'âge de Roméo et de
Juliette, écrivent — sans les avoir vécues,
j'imagine — des histoires d'amour ; acteurs
qui n'ont pas le menton bleu, et pour
cause ; actrices dont le principal mérite est
d'être plus jeunes à la ville qu'Agnès à la
scène ; stars en herbe, virtuoses dont on
ne pourrait presser le nez sans en faire
jaillir du lait — mais oui, c'est très bien...
Place aux jeunes !
Encore ne faudrait-il pas exagérer.
Cette information vient d'être publiée :
Quinze enfants de Paris, garçons et filles,
âgés de 9 à 14 ans, vont jouer, à la rentrée,
l'opéra-comique dans un théâtre des boule-
vards. Ils interpréteront Le Barbier de
Séville, Manon, Carmen et Werther.
Un « jeune et intelligent directeur » —
jeune, en tout cas, peut-être même vient-il
de rater son certificat d'études — a eu cette
ingénieuse idéet
— Rossini, Massenet, Bizet interprétés
par des gosses ! Voilà qui va moderniser
le répertoire...
Et dire que Rossini avait horreur des
enfants prodiges !... A l'un d'eux, qui venait
de jouer du piano, il pinça l'oreille en disant
simplement :
— Petit tapageur ! ï
Je trouve de très mauvais goût de faire
jouer le rôle de la pupille de Bartholo par
une fillette à laquelle on doit encore couper
le pain en tartines... Rosine est une rusée,
Figaro, un « dessalé » pourtant, chante en
la désignant :
Et mon maître, le voilà !
Il sera gênant de voir une enfant obtenir
ce compliment-là, même d'un Figaro de dix
ou douze ans.
Manon, cette « poule », aura donc, à la
scène, l'âge d'une petite communiante ?
Une Carmen de neuf ans fera savoir à don
José (treize ans aux prunes) :
Et si je t'aime,
Prends garde à toi ! i
Quant à Werther, il se suicidera, à qua-
torze ans, pour une Charlotte qui, née
en 1929, sera, dans la pièce, mère de
famille... Ah ! l'air des enfants chanté par
une gamine qui ne sait peut-être pas —
espérons-le — comment on les fait !
Je pense que 'lorsqu'un de ces moutards
aura manqué son entrée ou sera resté en
panne dans son grand air, sa maman lui
administrera, derrière le décor, une correc-
tion... Vous voyez ça, Escamillo, le toréa-
dor de Carmen, recevant la fessée !
Non, par respect pour l'enfance, et pour
les œuvres des maîtres, il faut blâmer, dès
maintenant, une si indécente tentative...
Les enfants ne doivent être employés au
théâtre ou au cinéma — et cela dans cer-
taines conditions sévèrement fixées — que
pour jouer des rôles d'enfants. Comme
Shirley Temple...
En était-il ?
J'ai lu, dans Toute l'Edition — journal
quasi officiel du monde où l'on imprime —
des lignes qui m'ont fait sursauter.
Dans un article sur les manuscrits lais-
sés par des personnalités disparues et aux-
quels sont promis, pour un jour ou l'autre,
des « succès de librairie », Mme Nicole
Vedres affirme tranquillement :
11 est aussi, toujours à la Bibliothèque
nationale, un curieux objet : c'est une malle
d'osier ficelée et cadenassée et qui contient
le « Journal intime » de Jehan Rictus. L'au-
teur du Cœur populaire appartenait à la
police en qualité d'indicateur, et son Jour-
nal contient, dit-on, de curieuses révélations.
Comment, Jehan Rictus « en était » ?
L'auteur de La Jasante de la vieille —
j'avoue que je n'aime pas beaucoup ce
genre de poésie d'un romantisme vraiment
trop « chiqué » — le barde des clochards,
des révoltés, Jehan Rictus, avec sa tête
d'apôtre pleurnichard, était un indicateur
de police ?
Mme Nicole Vedres doit être bien sûre
de son fait, car ce ne sont pas là choses
qu'on dit, ni surtout qu'on imprime à la
légère.
Tout de même, je n'y crois pas, je ne
veux pas y croire... D'autant plus que, fon-
dateur, avec Benjamin Crémieux, de
l'œuvre des Cinquante-Cinq — elle fonc-
tionna longtemps — j'ai contribué, pour ma
part, à la pension mensuelle de cinq cents
francs qui fut servie, pendant plusieurs
années, à Jehan Rictus, « poète maudit »
dont la situation misérable nous avait été
signalée... Avons-nous été dupés ? Passe
encore... Mais nous aurions pu allouer ces
six mille francs par an à un écrivain âgé
ou malade qui, lui, n'en eût pas été.
Non, je préfère attendre « les preuves »...
Elles doivent être dans la malle, mais je
fais une « jasante » — une prière — pour
qu'on ne les y trouve pas.
La « camelote » littéraire.
Au coin de la rue de Richelieu, à côté d'une
des baraques — elles viennent de dispa-
raître — qui s'alignaient le long du boule-
vard à l'occasion du 14 juillet, il y avait
un éventaire chargé de livres — tous les
mêmes — devant lequel une dame assez
jeune, plutôt élégante, répétait, d'une petite
voix acidulée :
— Je suis l'auteur... Achetez mon roman.
Trois francs, avec dédicace ! \
Les amateurs ne m'ont pas paru nom- 1
breux. Pourtant, un roman — simple pla-
quette, il est vrai — avec dédicace, pour
trois francs, ce n'était pas cher.
Mme Lily H. de L... — son nom n'est
pas encore célèbre — va peut-être faire
école, une école, en somme, littéraire. Nous
avons déjà la « foire aux croûtes » : nous
aurons la « foire aux bouquins », où les
auteurs vendront eux-mêmes leurs œuvres
et libelleront des dédicaces en plein vent.
Pourquoi pas ? Certains littérateurs, et non
des moins illustres, en remontreraient au
roi des camelots !
Clément VAUTEL.
PORTRAIT
LUCIENNE FAVRE
par Pierre BONARDI
...Et puis, vint Prosper.
On peut dire ce qu'on veut, mais Prosper
r c est^ quelqu'un, encore qu'il ne soit personne.
Il n'est qu'une ombre de rêve et, pourtant,
' c'est un homme, que dis-je ! c'est « l'homme
du milieu » complet, superbe, musclé, coura-
geux, tendre et brutal, exigeant et généreux
et, pour tout dire, plus méprisable et plus beau
que nature, puisqu'il n'existait qu'au cerveau
d une fille de la Casbah d'Alger, peu sou-
; cieuse d'engraisser de pâles voyous et qui re-
tenait les prétendants par cette confidence :
| — Moi, je suis à Prosper et je l'attends.
Cette Pénélope du ruisseau était la seule à
savoir que son Ulysse ne reviendrait pas, ou
plus exactement qu'il ne viendrait jamais.
Prosper eut la chance de trouver à Paris
: un bon théâtre d'avant-garde, un metteur en
scène, un excellent décorateur et, surtout,
■ Marguerite Jamois, dont le talent s'épanouit
dans ce climat, au point d'y réaliser une créa-
tion comparable aux plus célèbres.
Du jour au lendemain, Paris et la province
devinrent curieux de cette casbah, de ses pa-
rasites et l'ombre de Prosper ouvrit ainsi la
voie à une masse de productions cinématogra-
phiques, où finiront par s'épuiser la jeunesse,
la santé, la désinvolture de Jean Gabin, la
puissance sensuelle de Viviane Romance et la
faveur du public.
Le théâtre, à dire le vrai, offrit rarement
une évocation aussi exacte, aussi totale d'un
coin de terre hors série. Tout y était, sauf
l'agressive odeur de suint, de viande grillée,
de latrines et de parfums gras. Tout y était,
de ce qui atteint l'œil et l'oreille, avec une
perfection miraculeuse dans la forme, la cou-
leur, le vocabulaire et l'atmosphère drama-
tique.
Mais l'auteur ?
On demande aux libraires et aux critiques
ce qu'avait produit, en dehors de Prosper, ce
nouveau dramaturge. Les profanes connurent
ainsi que Mme Lucienne Favre venait tout
juste d'aborder le théâtre, mais que cette pre-
mière pièce à la carrière triomphale avait été
précédée de romans et d'essais très appréciés.
On apprit par les mêmes bouches autorisées
qu'il était inutile de lui adresser des invita-
tions pour le Ritz, le Polo ou la Nuit de
Longchamp, parce que ce curieux écrivain ha-
bitait Alger et qu'à Alger, d'ailleurs, il était
très difficile de la dénicher.
Prosper consacrait donc une œuvre déjà
importante plus qu'elle ne la révélait, car
Lucienne Favre avait conquis depuis une di-
zaine d'années l'audience et l'estime de tous
ceux, Européens ou Africains, qui s'intéres-
sent à l'Algérie, aux diverses races et confes-
sions qui s'y frottent, s'y piquent et, quelque-
fois, sqy égorgent. |
Ses aînés et ses pairs la connaissaient et i
l'admiraient, surtout la grande Colette, qui ne
galvaude pas ses sympathies corporatives. En-
tre autres récompenses, elle obtint le Grand
Prix littéraire de l'Algérie (le même que reçut j
l'an passé notre collaborateur Paul Achard, j
pour Barberousse). Elle ne manqua le Prix
Femina que d'une voix. Ses amis la tenaient
et la tiennent pour un sauvageon hostile à
toutes les servitudes des existences convention-
nelles, dans quelque milieu que ce soit, litté-
raire aussi bien que bourgeois ou mondain. j
Le succès de Prosper multiplia les touris-
tes sédentaires et les incita à continuer par le j
livre, l'exploration commencée au théâtre
Montparnasse, de la casbah, de l'Algérie, des
âmes qui y adorent la sainte Trinité, Allah ou
Iaveh. Exploration jusque là suspendue. Les
observateurs les plus précis et les meilleurs
écrivains, de Louis Bertrand à Robert Ran-
dau, de Jean Vignaud à F. Duchêne,
n'avaient pu forcer certaines portes fermées
aux mâles par les lois de Mahomet et même
d* Moïse. £
II fallait une femme pour écrire Bab-el.
Oued et Musulmane 1930, aussi bien que
pour imaginer Prosper, dans le décor auquel
er elle avait consacré son incomparable ouvrage :
e. Dans la casbah.
tt, ^ Puisqu'on ne la rencontrait jamais, chacun
ie s en fit, comme pour Prosper, une représenta-
a- D? •• personnelle. l'apparenta à Elissa
ix Rhal*s, à Myriam Harry et à Leilah Beder-
iu kann. On la chargea de toute la friperie orien-
tu tale, depuis le tchartchaf jusqu'aux babou-
u- ches.
e- l saToir et comprendre tant de choses,
il fallait, n 'est-ce pas, une authentique musul-
s. mane d 'Alger, une née native, une vraie de
à vraie ?
'u Oui, bien. Lucienne Favre est Parisienne
comme Gavroche. Elle est exactement une de
is ces « pâles enfants pousssées dans les fau-
;n bourgs », comme on en trouve dans les passions
It, populaires, selon saint François-Coppée. Elle
lit est née à l'ombre de la porte Saint-Martin,
i- d aune fille de professeurs gascons venue tout
exprès à Paris pour fonder un foyer avec un
:e artisan qui fabriquait des hampes de dra-
i- peaux pour l'armée.
Ces accessoires dorés vous ont un air Paul
Déroulède, qui va très bien à ce bout de
femme au visage rond, aux traits réguliers,
aux grands yeux où scintillent deux agates-
puces dont les rayons piquent (les hampes 1)
tant ils filent droit. Elle est jolie, Lucienne
Favre. Elle n'est pas femme de lettres du
tout. On pense plutôt à une favorite de Na-
mouna aux dimensions fixées par Musset :
On eût dit que sa mère l'avait fait plus petit
[pour le faire avec soin.
Preuve qu'elle fut mise au monde pour
scruter et ausculter l 'Orient. Parlez-vous sé-
rieusement ? Elle est, vous dis-je, la fille d'un
Parisien qui fabriquait des hampes pour les
drapeaux de l'armée française. C'est juste,
mais j'oubliais d'ajouter que par sa mère, elle
est Reclus et l'on sait que les Reclus sont,
Onésime en tête, indisciplinés, curieux de toute
chose, sensibles à l'excès et d'une clairvoyance
exceptionnelle.
L artisan mourut jeune. La mère angoissée
par l avenir de la fillette ne respira que le
jour où elle lui eut appris un métier. Lucienne
Favre est peut-être un de ces trottins dont les
jeunes gens d'avant guerre ont si souvent ap-
plaudi la grâce prime-sautière et l'élégance ins-
a tinctive. Trottin. Cousette. Ouvrière. Pre-
mière. Lorsque, en Algérie, où un très jeune
• époux l'avait emmenée presque adolescente,
a elle se trouva veuve de guerre et maman, la
a petite faubourienne de la porte Saint-Martin
dut quelquefois à son aiguille de paraître
* moins préoccupée de ses atours pour la sai-
1 son et de son pain pour l'année.
Le poids d'une lourde journée de travail,
• elle sait ce que c'est et qu'il ne doit pas être
» plus visible aux pages d'un livre que dans la
: coupe d une robe. Plus le labeur est dur, plus
l'ouvrage doit communiquer un sentiment de
création aisée, sinon joyeuse.
Prosper, quant à cette impression d'aisance
s et d'alacrité, est une œuvre aussi magistrale
que Dans la casbah. Les croquis et les com-
mentaires paraissent cursifs, lors même qu'on
sait que la chasseresse a passé des semaines,
des mois, des années à l'affût. Plus encore
Musulmane 1930, qui demeure un document
unique.
Lucienne Favre revint au théâtre (accom-
pagnée d'un praticien particulièrement délié,
Mme Constance Colline), pour y présenter
Isabelle Eberhardt, sa sœur slave et déséqui-
librée. Je suis persuadé que l'étude de cette
bohème des sables a fait réfléchir notre Afri-
caine de Paris sur l'heureuse conjoncture qui
la tira de deux souches françaises également
solides et bien plantées. Isabelle d'Afrique,
Isabelle-sans-mesure qui voulut sortir de sa
peau pour devenir sa propre héroïne de ro-
man, a certainement fixé, à Lucienne Favre,
les limites extrêmes de nos affections et de nos
échanges avec l'Islam et l'Orient.
De s'être longuement confrontées, elle,
l'Occidentale qui peut vivre du travail de ses
mains, avec la Slave, avec la Musulmane, avec
ia Juive, vient peut-être qu'elle ne se passionne
jamais sans qu'un humour net et bien denté
nous rappelle que la lucidité des Reclus et le
bon sens des Favre n'en sont point affectés.
On multipliera à nouveau cette observation
en lisant son dernier roman Le bain juif. Elle
a admirablement saisi et rendu le côté « his-
toire juive », par quoi la race persécutée dis-
simule autant qu'elle le peut, en riant, ses ter-
reurs ou ses rancunes. Elle s'attendrit, elle
prend parti, comme le bon peuple de Paris a
toujours fait au parterre, mais elle demeure
spectatrice.
Je voudrais croire que cette possibilité de
se mêler sans se confondre, de s'émouvoir sans
se liquéfier, que cette merveilleuse indépen-
dance — qu'on aurait voulu nous voir abju-
rer dans tant de chapelles où Dostoïewsky
est dieu — est la qualité que Lucienne Favre
a le plus assidûment cultivée et dont elle rend,
chaque soir, hommage filial au fabricant de
hampes et à sa vaillante épouse.
Pierre BONARDI.
- D'abord, c'est faux, nous n'avons
jamais touché d'argent russe... on nous
0e en billets français...
L'ART D'ETRE AUTEUR
— Il le fallait:.. J'ai tout subordonné
au problème de la natalité...
— Bravo ! tu fais des enfants ?
— Non, des statistiques.
EXCURSIONS FUTURES
— Ta mère et toi, vous prendrez
l'autosi rade de l'axe, moi je file par le
- tunnel sous la Manche, nous nous re-
trouverons sur le pont de Dantzig...
LE CALLIGRAPHE EN CHAMBRE
' OU L'USINE DE M. KING HALL
— Ah ! si nous étions à Londres...
Tu pourrais faire fortune en copiant
des adresses...
LE SUSPECT
— C'est des histoires 1 Comment
voulez-vous que cet imbécile-là soit
d'intelligence avec qui que ce soit ?
POUR LE CENT CINQUANTENAIRE
La Grande Peur du 30 juillet 1789.
par Philippe HENRIOT
Tout, pourrait-on penser, a déjà été dit
sur la prise de la Bastille que commémo-
lent chaque année, en France, les bals de
quartier et les feux d'artifice. Mais si les
horreurs qui accompagnèrent cette journée
d'émeute sont devenues familières aux histo-
riens, il reste encore à cette aventure un
côté mystérieux.
Certes, rien ne s'oppose a priori à ce
qu'on admette que le soulèvement populaire
du 14 juillet 1789 a été dirigé par le seul
effet du hasard vers la fameuse forteresse.
Mais cette thèse devient singulièrement fra-
gile quand on évoque l'étrange concomitance
des événements qui allaient suivre.
La prise de la Bastille apparaît alors,
non plus comme un épisode détaché, mais
comme un signal. La façon dont la fièvre
de Paris va gagner la province démontre une
organisation méticuleuse, révèle une infer-
nale et minutieuse préparation.
Et, s'ils étaient francs, les célébrants du
cent cinquantenaire, au lieu de magnifier
l'explosion « spontanée » d'un peuple qui veut
conquérir la liberté, loueraient les metteurs
en scène d'une tragédie où, comme il arrive
si souvent, ce peuple fut cyniquement berné
par ses exploiteurs.
En effet, le déclenchement du drame ter-
rible s'est fait en trois temps, chronométrés
à la perfection : le 14 juillet, prise de la
Bastille ; le 22, armement des provinces ;
le 30, la Grande Peur...
***
Dès les premières semaines de son exis-
ience* l'Assemblée nationale avait offert un
assez "triste spectacle. Arthur Young, qui
l'avait contemplé, écrivait d'elle : « Elle est
prisonnière des tribunes. C'est le public qui
lui dicte ses votes, et quel public ! Toujours
le même : ce sont les suppôts des Loges qui
sont là, assidus, et veillent à ce que la beso-
gne qu'ils ont préparée dans leurs antres
s'accomplisse ; les députés leur obéissent
docliement. »
Mais les Loges ne se contentaient pas de
diriger les débats de l'Assemblée. Elles
entendaient disposer du pays. La prise de la
Bastille, fut l'instrument de l'opération. « Le
même jour, à la même heure, écrit M. de
Verneuil Palaiseau, dans ses Souvenirs de
soixante-quinze ans, on fit partir de Paris un
grand nombre de courriers, porteurs d'ins-
tructions secrètes qu'ils devaient laisser par-
tout sur leur passage. »
La simultanéité avec laquelle la mission
fut remplie sur tous les points du territoire
tient prodige. Elle n'a cessé de laisser
perplexes les historiens. Ce fut presque par-
tout le 22 juillet que, sous des impulsions
locales, fréquemment maçonniques, se cons-
lituèrent des groupes d'auto-défense qui pre-
naient des noms divers : garde nationale,
comités patriotiques, gardes civiques... Çà et
'a> les esprits raisonnables et pondérés font
observer qu'il existe déjà des compagnies
bourgeoises, des milices... mais leurs objec-
tons sont vite balayées : il s'agit, expliquent
1(* messagers, de créer des « associations en
forme de régiments », et, d'ailleurs, répète-
'•on aux hésitants, cela se fait partout...
Ce dernier argument trahit à lui seul le
j0jîiplot : comment peut-on dire que cela se
fait partout si l'on ignore qu'à la même heure,
etl effet, dans toutes les provinces, des émis-
ses identiques accomplissent une identique
besogne ?
Emissaires de qui ? Le duc d'Orléans ?
Mirabeau ? Taileyrand ? Tous francs-ma-
j.°ns> du reste. Un contemporain, du nom
p Lefèvre, secrétaire de l'Intendance de
Limoges, prétend que la chose avait été déci-
ee au cours d'un conciliabule secret tenu
Sieyès, Taileyrand et Mirabeau. Ce
dernier plan, aurait voulu retarder l'exécution du
puis aurait fini par céder en disant :
? Puisque vous le voulez, armons le peuple.
" désarmera qui voudra 1 »
Dira-t-on qu'il ignorait où on allait ? Si
Jtyès était membre de la Loge des 22,
'('rabeau faisait partie de la secte des Illu-
tnInés, où il avait introduit Taileyrand. Il
avait assisté, en 1782, au fameux Convent
} Wilhelmsbad, avaient été prises des
joutions terribles contre Louis XVI et
istave III de Suède... Gustave III sera poi-
gnardé le 15 mars 1 792 ; Louis XVI a
illotiné le 21 janvier 1793...
Le second acte du drame ayant été joué
j e 22 juillet, tout est prêt pour le troisième :
jVec la même soudaineté, la même concor-
I née, le 30 juillet éclate, à travers la
| France,' comme un gigantesque incendie im-
| possible à maîtriser, cette Grande Peur qui
| va permettre le déchaînement de tant d'atro-
j cités.
| Les mémoires du temps, les archives de
nos provinces, les correspondances des contem-
porains décrivent avec une hallucinante iden-
tité l'explosion et les progrès du fléau. Le
même scénario se reproduisit presque sans
variante dans tous les* centres urbains ou
ruraux, sur les grandes routes ou sur les
marchés.
Cela commençait par une rumeur, d'abord
sans origine définie : « Il paraît que... on
prétend... des gens viennent d'arriver qui
assurent... » Mais si les auteurs étaient
vagues, les nouvelles étaient précises. Des
troupes de brigands, assassinant tout et brû-
lant tout sur leur passage avaient été vues
à quelques lieues de là. Ils avaient déjà
réduit en cendres les villes du voisinage...
Selon les régions, on remplaçait les simples
brigands par des bandes d'Anglais dans
l'Ouest, par une irruption d'Allemands dans
l'Est... Parfois, on y mêlait des nobles dési-
reux d'arrêter l'élan du peuple vers la
liberté... Très vite, on trouvait des cautions
autorisées pour ces racontars. Mais, sans les
attendre, le peuple affolé et terrorisé sonnait
le tocsin, courait aux châteaux pour deman-
der des fusils et, au besoin, les exiger.
Le général d'Esparbès, gouverneur du
Languedoc, écrivait au maréchal de Mouchy,
chef des forces armées de Guyenne : « Il y
a eu une terreur panique le 30 du mois der-
nier (juillet). Tous les habitants étaient sous
les armes. Les femmes couraient les campa-
gnes, le tocsin sonnait partout. Elle s'est com-
muniquée, en moins de vingt-quatre heures, à
plus de soixante lieues... M. le comte de
Durfort m'écrit pour me prévenir que cinq
cents hommes doivent venir me demander
trois cents fusils et que si je ne les leur pro-
mets pas, ils mettront le feu à mon châ-
teau... »
*
**
Cette Grande Peur une fois déclenchée, nul
ne fut plus maître de l'arrêter. La surprise
et la frayeur allaient devenir, aux mains des
meneurs révolutionnaires, des leviers formi-
dables. Les diaboliques organisateurs des 22
et 30 juillet ont été les artisans essentiels
de la tragédie !
C'est un historien qu'on n'accusera pas de
passion, M. Thiers lui-même, qui le recon-
naît : « En quelques jours, écrit-il, la
France est en armes, attendant des brigands
qui ne viennent pas... Ce stratagème rendit
universelle la Révolution du 14 juillet en
provoquant l'armement de la nation. »
Mais, dès 1790, l'auteur anonyme des
Réflexions sur les affaires politiques des
temps présents de la France avait diagnos-
tiqué les origines de ce mystérieux mouve-
ment : « Le premier agent qui amena cet
armement, écrit-il, fut d'abord les instruc-
tions secrètes données à des chefs de partis,
dispersés et envoyés dans toutes les provin-
ces, ce qui a dû coûter des sommes énormes
à quelque puissance inconnue. »
* Réservera-t-on, au cours des fêtes, un
hommage officiel à cette « puissance incon-
nue » qui fit naître, sous le signe de la peur,
une révolution qui devait s'achever sous celui
,.lA 1" F/IVFPTLL* )
Philippe HENRIOT.
Sept jours. ◑ .Sept nuits par Clément VAUTEL
Les maris abandonnés.
Voici revenue la saison où madame
abandonne monsieur, qui est retenu à
Paris « par ses affaires ». Elle est à la
mer, à la montagne, à la campagne, avec
les enfants, ou elle prend « les eaux »
toute seule, en principe. Pendant un mois,
monsieur vivra en garçon — en garçon
sérieux. A moins que...
Que penser de cette « trêve conjugale » ?
Mme Jeanne Fernandez, qui tient le rayon
de « La vie féminine » dans un journal,
écrit :
Toutes les femmes n'abandonnent pas un
mari à une maison inhospitalière (sancta
sirnplieitas /) qui disparaît sous les housses,
alors qu'elles emmènent leur famille aux
champs.
Non, Dieu merci, toutes les femmes qui
vont se mettre en maillot deux-pièces sur
la plage ne se soucient pas plus de leurs
fauteuils que de leur pseudo seigneur et
maître. Que font-elles ? Notre consœur nous
le dit en citant un touchant exemple :
Je sais une amie, dont le cœur et l'esprit
(est-ce tout ?) font un être charmant, qui
cède au devoir impérieux de se séparer d'un
mari chéri, mais à une condition, et c'est là
que vous retrouverez sa jolie nature : elle
laisse au logis la domestique dont le mari
a l'habitude, afin qu'il ne prenne pas ce goût
d' € errer » dont les conséquences sont plus
fâcheuses qu'on ne le suppose...
Ah ! voilà une femme de précaution !
— Mon chéri, je te laisse la bonne...
Oui, mais, si la bonne est gentille et
complaisante, le mari, sans « prendre le
goût d'errer », lui demandera' peut-être de
dénouer son tablier blanc... La solitude est
mauvaise conseillère, et la chair est si
faible !
Mme Jeanne Fernandez n'a pas prévu
cet autre danger. Elle continue, avec une
ingénuité exquise :
Le cabinet de travail et la chambre à cou-
cher sont intacts, malgré la saison : ainsi,
l'homme (eh ! oui, voilà le vrai mot), subite-
ment seul et quelque peu désorienté les pre-
miers jours, a, du moins, la ressource d'ame-
ner de temps en temps un ami pour partager
son repas.
Précieuse ressource, en effet ! Mais n'en
a-t-il pas d'autres ? On peut imaginer que
l' « homme » emmène une amie improvisée
pour « partager son repas » au restaurant.
Quitte à partager ensuite le lit de la « rem-
plaçante »... Simple échange de bons pro-
cédés !
Notre consoeur fait un émouvant tableau
de l'existence que mène le mari dans l'ap-
partement où est restée la bonne et où les
housses n'ont pas été mises... « Il continue
le soir ses lectures sous la même lampe
qu'en hiver, il lève les yeux sur le même
tableau qu'il voulut à cette place, etc. »
Que lui manque-t-il, à cet homme ? Rien,
évidemment... Madame reviendra dans un
mois avec la certitude de retrouver, elle ,
aussi, tout en place.
— Qu'as-tu fait, mon chéri ?
— J'ai beaucoup lu sous la lampe. Et
toi ?
— Moi, j'ai bruni, comme tu vois... Et tu
ne vois pas tout ! ,
Ces conditions d'existence, conclut Mme
Fernandez. prévues par une femme attentive,
suppriment l'infortune (ça dépend) d'un mari
qu'elle mérite « raisonnable », au sens où
le comprend M. de La Rochefoucauld. Il sera
alors « celui qui connaît la raison, la dis-
cerne et la goûte ».
Oui, mais La Rochefoucauld a dit aussi :
« L'on fait plus souvent des trahisons par
faiblesse que par un dessein formé de
trahir ». Et la femme vraiment « attentive » 1
ne compte pas sur la « lampe d'hiver », le 1
« tableau resté en place », pas même sur les
meubles sans housse, pour empêcher son 1
mari abandonné de mener la vie de garçon. !
Elle ne l'abandonne pas, même en lui lais- 1
sant la bonne, ou elle accepte, avec plus ou
moins de philosophie, un risque somme toute
assez naturel. Sans compter qu'il peut lui
arriver à elle-même... En vérité, ces sépara- '
tions de corps pendant la saison aphrodi-
siaque ont toujours inspiré les vaudevillistes.
Ce n'est pas comme par hasard...
Les enfants au dodo.
Auteurs dramatiques qui se vantent
d'être des moins de vingt ans — comme
s'ils le faisaient exprès ! — romanciers,
romancières qui, à l'âge de Roméo et de
Juliette, écrivent — sans les avoir vécues,
j'imagine — des histoires d'amour ; acteurs
qui n'ont pas le menton bleu, et pour
cause ; actrices dont le principal mérite est
d'être plus jeunes à la ville qu'Agnès à la
scène ; stars en herbe, virtuoses dont on
ne pourrait presser le nez sans en faire
jaillir du lait — mais oui, c'est très bien...
Place aux jeunes !
Encore ne faudrait-il pas exagérer.
Cette information vient d'être publiée :
Quinze enfants de Paris, garçons et filles,
âgés de 9 à 14 ans, vont jouer, à la rentrée,
l'opéra-comique dans un théâtre des boule-
vards. Ils interpréteront Le Barbier de
Séville, Manon, Carmen et Werther.
Un « jeune et intelligent directeur » —
jeune, en tout cas, peut-être même vient-il
de rater son certificat d'études — a eu cette
ingénieuse idéet
— Rossini, Massenet, Bizet interprétés
par des gosses ! Voilà qui va moderniser
le répertoire...
Et dire que Rossini avait horreur des
enfants prodiges !... A l'un d'eux, qui venait
de jouer du piano, il pinça l'oreille en disant
simplement :
— Petit tapageur ! ï
Je trouve de très mauvais goût de faire
jouer le rôle de la pupille de Bartholo par
une fillette à laquelle on doit encore couper
le pain en tartines... Rosine est une rusée,
Figaro, un « dessalé » pourtant, chante en
la désignant :
Et mon maître, le voilà !
Il sera gênant de voir une enfant obtenir
ce compliment-là, même d'un Figaro de dix
ou douze ans.
Manon, cette « poule », aura donc, à la
scène, l'âge d'une petite communiante ?
Une Carmen de neuf ans fera savoir à don
José (treize ans aux prunes) :
Et si je t'aime,
Prends garde à toi ! i
Quant à Werther, il se suicidera, à qua-
torze ans, pour une Charlotte qui, née
en 1929, sera, dans la pièce, mère de
famille... Ah ! l'air des enfants chanté par
une gamine qui ne sait peut-être pas —
espérons-le — comment on les fait !
Je pense que 'lorsqu'un de ces moutards
aura manqué son entrée ou sera resté en
panne dans son grand air, sa maman lui
administrera, derrière le décor, une correc-
tion... Vous voyez ça, Escamillo, le toréa-
dor de Carmen, recevant la fessée !
Non, par respect pour l'enfance, et pour
les œuvres des maîtres, il faut blâmer, dès
maintenant, une si indécente tentative...
Les enfants ne doivent être employés au
théâtre ou au cinéma — et cela dans cer-
taines conditions sévèrement fixées — que
pour jouer des rôles d'enfants. Comme
Shirley Temple...
En était-il ?
J'ai lu, dans Toute l'Edition — journal
quasi officiel du monde où l'on imprime —
des lignes qui m'ont fait sursauter.
Dans un article sur les manuscrits lais-
sés par des personnalités disparues et aux-
quels sont promis, pour un jour ou l'autre,
des « succès de librairie », Mme Nicole
Vedres affirme tranquillement :
11 est aussi, toujours à la Bibliothèque
nationale, un curieux objet : c'est une malle
d'osier ficelée et cadenassée et qui contient
le « Journal intime » de Jehan Rictus. L'au-
teur du Cœur populaire appartenait à la
police en qualité d'indicateur, et son Jour-
nal contient, dit-on, de curieuses révélations.
Comment, Jehan Rictus « en était » ?
L'auteur de La Jasante de la vieille —
j'avoue que je n'aime pas beaucoup ce
genre de poésie d'un romantisme vraiment
trop « chiqué » — le barde des clochards,
des révoltés, Jehan Rictus, avec sa tête
d'apôtre pleurnichard, était un indicateur
de police ?
Mme Nicole Vedres doit être bien sûre
de son fait, car ce ne sont pas là choses
qu'on dit, ni surtout qu'on imprime à la
légère.
Tout de même, je n'y crois pas, je ne
veux pas y croire... D'autant plus que, fon-
dateur, avec Benjamin Crémieux, de
l'œuvre des Cinquante-Cinq — elle fonc-
tionna longtemps — j'ai contribué, pour ma
part, à la pension mensuelle de cinq cents
francs qui fut servie, pendant plusieurs
années, à Jehan Rictus, « poète maudit »
dont la situation misérable nous avait été
signalée... Avons-nous été dupés ? Passe
encore... Mais nous aurions pu allouer ces
six mille francs par an à un écrivain âgé
ou malade qui, lui, n'en eût pas été.
Non, je préfère attendre « les preuves »...
Elles doivent être dans la malle, mais je
fais une « jasante » — une prière — pour
qu'on ne les y trouve pas.
La « camelote » littéraire.
Au coin de la rue de Richelieu, à côté d'une
des baraques — elles viennent de dispa-
raître — qui s'alignaient le long du boule-
vard à l'occasion du 14 juillet, il y avait
un éventaire chargé de livres — tous les
mêmes — devant lequel une dame assez
jeune, plutôt élégante, répétait, d'une petite
voix acidulée :
— Je suis l'auteur... Achetez mon roman.
Trois francs, avec dédicace ! \
Les amateurs ne m'ont pas paru nom- 1
breux. Pourtant, un roman — simple pla-
quette, il est vrai — avec dédicace, pour
trois francs, ce n'était pas cher.
Mme Lily H. de L... — son nom n'est
pas encore célèbre — va peut-être faire
école, une école, en somme, littéraire. Nous
avons déjà la « foire aux croûtes » : nous
aurons la « foire aux bouquins », où les
auteurs vendront eux-mêmes leurs œuvres
et libelleront des dédicaces en plein vent.
Pourquoi pas ? Certains littérateurs, et non
des moins illustres, en remontreraient au
roi des camelots !
Clément VAUTEL.
PORTRAIT
LUCIENNE FAVRE
par Pierre BONARDI
...Et puis, vint Prosper.
On peut dire ce qu'on veut, mais Prosper
r c est^ quelqu'un, encore qu'il ne soit personne.
Il n'est qu'une ombre de rêve et, pourtant,
' c'est un homme, que dis-je ! c'est « l'homme
du milieu » complet, superbe, musclé, coura-
geux, tendre et brutal, exigeant et généreux
et, pour tout dire, plus méprisable et plus beau
que nature, puisqu'il n'existait qu'au cerveau
d une fille de la Casbah d'Alger, peu sou-
; cieuse d'engraisser de pâles voyous et qui re-
tenait les prétendants par cette confidence :
| — Moi, je suis à Prosper et je l'attends.
Cette Pénélope du ruisseau était la seule à
savoir que son Ulysse ne reviendrait pas, ou
plus exactement qu'il ne viendrait jamais.
Prosper eut la chance de trouver à Paris
: un bon théâtre d'avant-garde, un metteur en
scène, un excellent décorateur et, surtout,
■ Marguerite Jamois, dont le talent s'épanouit
dans ce climat, au point d'y réaliser une créa-
tion comparable aux plus célèbres.
Du jour au lendemain, Paris et la province
devinrent curieux de cette casbah, de ses pa-
rasites et l'ombre de Prosper ouvrit ainsi la
voie à une masse de productions cinématogra-
phiques, où finiront par s'épuiser la jeunesse,
la santé, la désinvolture de Jean Gabin, la
puissance sensuelle de Viviane Romance et la
faveur du public.
Le théâtre, à dire le vrai, offrit rarement
une évocation aussi exacte, aussi totale d'un
coin de terre hors série. Tout y était, sauf
l'agressive odeur de suint, de viande grillée,
de latrines et de parfums gras. Tout y était,
de ce qui atteint l'œil et l'oreille, avec une
perfection miraculeuse dans la forme, la cou-
leur, le vocabulaire et l'atmosphère drama-
tique.
Mais l'auteur ?
On demande aux libraires et aux critiques
ce qu'avait produit, en dehors de Prosper, ce
nouveau dramaturge. Les profanes connurent
ainsi que Mme Lucienne Favre venait tout
juste d'aborder le théâtre, mais que cette pre-
mière pièce à la carrière triomphale avait été
précédée de romans et d'essais très appréciés.
On apprit par les mêmes bouches autorisées
qu'il était inutile de lui adresser des invita-
tions pour le Ritz, le Polo ou la Nuit de
Longchamp, parce que ce curieux écrivain ha-
bitait Alger et qu'à Alger, d'ailleurs, il était
très difficile de la dénicher.
Prosper consacrait donc une œuvre déjà
importante plus qu'elle ne la révélait, car
Lucienne Favre avait conquis depuis une di-
zaine d'années l'audience et l'estime de tous
ceux, Européens ou Africains, qui s'intéres-
sent à l'Algérie, aux diverses races et confes-
sions qui s'y frottent, s'y piquent et, quelque-
fois, sqy égorgent. |
Ses aînés et ses pairs la connaissaient et i
l'admiraient, surtout la grande Colette, qui ne
galvaude pas ses sympathies corporatives. En-
tre autres récompenses, elle obtint le Grand
Prix littéraire de l'Algérie (le même que reçut j
l'an passé notre collaborateur Paul Achard, j
pour Barberousse). Elle ne manqua le Prix
Femina que d'une voix. Ses amis la tenaient
et la tiennent pour un sauvageon hostile à
toutes les servitudes des existences convention-
nelles, dans quelque milieu que ce soit, litté-
raire aussi bien que bourgeois ou mondain. j
Le succès de Prosper multiplia les touris-
tes sédentaires et les incita à continuer par le j
livre, l'exploration commencée au théâtre
Montparnasse, de la casbah, de l'Algérie, des
âmes qui y adorent la sainte Trinité, Allah ou
Iaveh. Exploration jusque là suspendue. Les
observateurs les plus précis et les meilleurs
écrivains, de Louis Bertrand à Robert Ran-
dau, de Jean Vignaud à F. Duchêne,
n'avaient pu forcer certaines portes fermées
aux mâles par les lois de Mahomet et même
d* Moïse. £
II fallait une femme pour écrire Bab-el.
Oued et Musulmane 1930, aussi bien que
pour imaginer Prosper, dans le décor auquel
er elle avait consacré son incomparable ouvrage :
e. Dans la casbah.
tt, ^ Puisqu'on ne la rencontrait jamais, chacun
ie s en fit, comme pour Prosper, une représenta-
a- D? •• personnelle. l'apparenta à Elissa
ix Rhal*s, à Myriam Harry et à Leilah Beder-
iu kann. On la chargea de toute la friperie orien-
tu tale, depuis le tchartchaf jusqu'aux babou-
u- ches.
e- l saToir et comprendre tant de choses,
il fallait, n 'est-ce pas, une authentique musul-
s. mane d 'Alger, une née native, une vraie de
à vraie ?
'u Oui, bien. Lucienne Favre est Parisienne
comme Gavroche. Elle est exactement une de
is ces « pâles enfants pousssées dans les fau-
;n bourgs », comme on en trouve dans les passions
It, populaires, selon saint François-Coppée. Elle
lit est née à l'ombre de la porte Saint-Martin,
i- d aune fille de professeurs gascons venue tout
exprès à Paris pour fonder un foyer avec un
:e artisan qui fabriquait des hampes de dra-
i- peaux pour l'armée.
Ces accessoires dorés vous ont un air Paul
Déroulède, qui va très bien à ce bout de
femme au visage rond, aux traits réguliers,
aux grands yeux où scintillent deux agates-
puces dont les rayons piquent (les hampes 1)
tant ils filent droit. Elle est jolie, Lucienne
Favre. Elle n'est pas femme de lettres du
tout. On pense plutôt à une favorite de Na-
mouna aux dimensions fixées par Musset :
On eût dit que sa mère l'avait fait plus petit
[pour le faire avec soin.
Preuve qu'elle fut mise au monde pour
scruter et ausculter l 'Orient. Parlez-vous sé-
rieusement ? Elle est, vous dis-je, la fille d'un
Parisien qui fabriquait des hampes pour les
drapeaux de l'armée française. C'est juste,
mais j'oubliais d'ajouter que par sa mère, elle
est Reclus et l'on sait que les Reclus sont,
Onésime en tête, indisciplinés, curieux de toute
chose, sensibles à l'excès et d'une clairvoyance
exceptionnelle.
L artisan mourut jeune. La mère angoissée
par l avenir de la fillette ne respira que le
jour où elle lui eut appris un métier. Lucienne
Favre est peut-être un de ces trottins dont les
jeunes gens d'avant guerre ont si souvent ap-
plaudi la grâce prime-sautière et l'élégance ins-
a tinctive. Trottin. Cousette. Ouvrière. Pre-
mière. Lorsque, en Algérie, où un très jeune
• époux l'avait emmenée presque adolescente,
a elle se trouva veuve de guerre et maman, la
a petite faubourienne de la porte Saint-Martin
dut quelquefois à son aiguille de paraître
* moins préoccupée de ses atours pour la sai-
1 son et de son pain pour l'année.
Le poids d'une lourde journée de travail,
• elle sait ce que c'est et qu'il ne doit pas être
» plus visible aux pages d'un livre que dans la
: coupe d une robe. Plus le labeur est dur, plus
l'ouvrage doit communiquer un sentiment de
création aisée, sinon joyeuse.
Prosper, quant à cette impression d'aisance
s et d'alacrité, est une œuvre aussi magistrale
que Dans la casbah. Les croquis et les com-
mentaires paraissent cursifs, lors même qu'on
sait que la chasseresse a passé des semaines,
des mois, des années à l'affût. Plus encore
Musulmane 1930, qui demeure un document
unique.
Lucienne Favre revint au théâtre (accom-
pagnée d'un praticien particulièrement délié,
Mme Constance Colline), pour y présenter
Isabelle Eberhardt, sa sœur slave et déséqui-
librée. Je suis persuadé que l'étude de cette
bohème des sables a fait réfléchir notre Afri-
caine de Paris sur l'heureuse conjoncture qui
la tira de deux souches françaises également
solides et bien plantées. Isabelle d'Afrique,
Isabelle-sans-mesure qui voulut sortir de sa
peau pour devenir sa propre héroïne de ro-
man, a certainement fixé, à Lucienne Favre,
les limites extrêmes de nos affections et de nos
échanges avec l'Islam et l'Orient.
De s'être longuement confrontées, elle,
l'Occidentale qui peut vivre du travail de ses
mains, avec la Slave, avec la Musulmane, avec
ia Juive, vient peut-être qu'elle ne se passionne
jamais sans qu'un humour net et bien denté
nous rappelle que la lucidité des Reclus et le
bon sens des Favre n'en sont point affectés.
On multipliera à nouveau cette observation
en lisant son dernier roman Le bain juif. Elle
a admirablement saisi et rendu le côté « his-
toire juive », par quoi la race persécutée dis-
simule autant qu'elle le peut, en riant, ses ter-
reurs ou ses rancunes. Elle s'attendrit, elle
prend parti, comme le bon peuple de Paris a
toujours fait au parterre, mais elle demeure
spectatrice.
Je voudrais croire que cette possibilité de
se mêler sans se confondre, de s'émouvoir sans
se liquéfier, que cette merveilleuse indépen-
dance — qu'on aurait voulu nous voir abju-
rer dans tant de chapelles où Dostoïewsky
est dieu — est la qualité que Lucienne Favre
a le plus assidûment cultivée et dont elle rend,
chaque soir, hommage filial au fabricant de
hampes et à sa vaillante épouse.
Pierre BONARDI.
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