Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1866-08-06
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 06 août 1866 06 août 1866
Description : 1866/08/06 (N110). 1866/08/06 (N110).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4719166n
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 06/11/2017
raite de payer la multa (amende), il invoqua tous
les saints du paradis, disant qu'il avait six en-
fants, une femme malade, etc., etc.
Je le laissai mentir tout à son aise, et lors-
qu'il eut déclaré qu'il ne possédait pas la somme
qu'on lui demandait, j'ordonnai à un ouvrier de
eonduire l'animal à la fourrière.
Cet ouvrier, jeune moco de dix-huit ans, mar-
chant pieds nus et couvert à peine d'une chemise
dslaine, se dressa soudain sur ses talons, en me.
giflant:
— Le senhor oublie, que je suis blanc et qu'un
Iflaftc ne mène pas un burro par la rue.
Je m'excusai de mon mieux envers le scnhor
Antonio ot je lui demandai si un blanc pouvait, j
sans déroger, aller appeler un seront de ville. ij
Après une réponse affirmative, il partit. Il ren- ! ;
tra bientôt, suivi d'un garçon de vingt-cinq ans, j
à peu près, de moyenne grandeur, bien pris )
dans sa taille, portant sur sa face les signes ca.- )
ractéristiques de sa race... Je reconnus en lui un 1
cigano.
— Tu es agent de police? demandai-je au ci-
gano.
— Si, senhor, répondit-il.
— As-tu une médaille, une carie, pour justi-
fier de ce titre ?
Le cigano me dit gravement qu'au Brésil cet
usage n'existait pas. Je voulus connaître ses
noms. Il déclara qu'il s'appelait José Ignacio
Maria Carlos Pedro da Vega. Il exigeait 3,000
reis pour conduire le burro..le lui en offris 2,OUO
qui seraient payés : 1,000 en partant, et les autres
1,000 lorsqu'il me présenterait le reçu de l'em-
ployé de la fourrière.
Cela arrêté, je lui remis une pièce de 1,000
reis. Après l'avoir reçue, le cigano fit deux pas
vers la porte. Je le rappelai aussitôt.
— Eh bien! mais... tu n'emmènes pas l'ani-
mal? m'écriai-je.
L'homme prit l'attitude, l'air, le ton qui m'a-
vaient frappé naguère elie? Antonio, et penchant
majestueusement la tète sur le cou :
— Senhor, proféra-t-il avec hauteur, je ne suis
pas un noir pour remplir un pareil office. Je vais
chercher un esclave qui recevra mes ordres.
Et gravement, lentement, il sortit de la cha-
cara.
Un quart d'heure ne s'était pas écoulé que je
le vis apparai r,) avec un moleque. Le petit noir
avait une corde à la main; sur l'ordre du cigano.
il passa cette corde autour du cou du burro et il
sortit avec lui de la chacara.
— En m'apportant le reçu de la fourrière, tu
toucheras les autres 1,000 reis convenus, dis-je
à l'agent.
— Si, senhor, répondit-Il en amenant un sin-
gulier sourire sur ses lèvres jaunâtres.
Ce sourire me poursuivait encore sous le ber-
ceau de bananiers où je m'étais retiré pour lire
à mon aise les Luziudas de Camoens, lorsque
Antonio accourut vers moi.
! — Senhor, senhor, dit-il, le cigano est un ci-
gano, c'est-à-dire un ladrao.-
, — Qu'est-ce que cela signifie?
i — Cela signifie que le bUlTl) n'a pas pris le
chemin de la fourrière, mais celui de la maison
du vieux Portugais.
Il m'expliqua alors que, se défiant du cigano,
il l'avait suivi à distance, et qu'au détour de la
rue Velha san Diego, il l'avait vu s'aboucher avec
le maître du burro. Le marché venait d'être
conclu entre eux. L'agent avait reçu une pièce
de monnaie, et le vieux Portugais s'éloignait
avec l'animal.
Le rôle de dupe m'a toujours déplu. Le cy
nisme du ciganp, qui, à deux pas de mon habi-
tation, tenant mon argent d'une main, prend de
l'autre celui du Portugais, me révolta.
-— Ah ! c'est comme cela que se fait la police
à Rio ! m'écriai-je. Eh bien! nous allons voir, et
je n'en aurai pas le démenti.
Je m'habille à l'instant ; malgré les flammes
que darde le soleil, je me rends vers le chef de
la police.
Ce magistrat me reçoit froidement, mais poli-
ment. Après m'avoir entendu, il me dit de faire
un requerimento et de le lui apporter.
Un requerimento, madame, c'est, suivant le
cas, une pétition, une requête, une plainte. Il est
exigé pour. les moindres démarches, pour les
demandes les plus futiles. Avez-vous affaire à
l'alfandega (douane)? vite un requerimento ; à l'il-
lustrissima camara municipal? encore un reque-
rimcnto? au magistrat du qual'teirao? au dela-
8ado ? au fiscal? un requerimento, toujours un
requerimento qui contienne l'explication de ce
que vous voulez obtenir.
Une fois déjà BOUS avions été victimes d'un
vol audacieux commis par un agent de police.
Sous le prétexte que nos vendeurs n'avaient pas
de licença (permission) pour débiter leur mar-
chandise dans les rues, on les avait arrêtés, et
avec eux leur provision d'allumettes. Il nous
avait fallu préalablement payer une multa de
16,000 reis, bien que nous fussions en règle, et
entendre l'agent fiscal déclarer effrontément que
cette somme ne rentrerait plus dans notre poche.
L'agent n'avait retiré que la honte de cette mes-
quine spéculation. Les 16,000 reis nous furent
restitués ; mais il m'était resté une rancune con-
tre ces employés subalternes, et puisque l'occa.
sion se présentait de poursuivre l'un d'eux, je ne
ne voulus pas la laisser échapper.
Quoique ma visite au chef de la police soit le
seul incident de la journée qui ait trait à cette
affaire, cependant, comme j'ai entrepris le ci-
gano, je vais en quelques mots vous apprendre ce
qu'il advint de mes démarches ultérieures.
Le lendemain, mon requerimento fut porté à
qui de droit.
Trois jours après, je me présentai au bureau
de la police. Un commis me déclara qu'on effet
le nommé José Ignacio Maria Carlos Pedro de
Vaga était employé par l'administration, mais
qu'on ignorait son adresse.
— Il demeure rue du Born-Jllrdirn, dans une
ruelle habitée exclusivement par des cigano?,
répondis-je.
— Cela étant, reprit le commis, on va vous
donner un agent qui saisira le cigano sous vos
yeux... s'il le trouve chez lui, tont.ciois, ajouta-t-
il avec un accent qui me donna il réfléchir.
Je fis observer au commis que ce rôle me ré-
pugnait fort, et, que je ne voulais pas assister à
une pareille opération. La police tenait tous les
renseignements nécessaires maintenant; elle
n'avait plus qu'à marcher et à remplir ses de-
voirs.
— Ce soir, le cigano couchera en prison, dit
alors le commis.
Je saluai, et, on retournant à la chacara, je
m'applaudis d'avoir tenu lion.
— Ce sera d'un bon exemple, pensai-je ; cette
vermine d'agents besogneux y pensera à deux
fuis désormais, avant de filouter ainsi les étran-
gers.
CHARLES EXPILLY.
(La suite à demain.)
UN GALANT CHEVALIER
C'était par une des plus chaudes journées du mois
de juin; le ciel était un peu implacable, un soleil per-
pendiculaire surchauffait les rails de la ligne de Bor-
deaux à Paris, et le train oxpress se dirigeant sur la
capitale venait de s'arrêter à Ilufi'ec, la lerre classique
des terrines de foies gras et l'ancien liet' seigneurial du
célèbre duc de Saint-Simon. Le chef du train ouvril
brusquement la porte du wagon des dames et demanda
aux personnes occupant ce compartiment de vouloii
bien donner accès dans leur gynécée à un compagnon
de voyage du sexe masculin qui ne pouvait Irouvei
place ailleurs, Ions les wagons étant au grand (-oiiiiilul.
Le beau sexe est compatissant, et les quatre voyageuses
installées clans la voilure (deux dames el leurs femmes
de chambre) accordèrent sans se faire prier l'autorisa-
tion qu'on leur demandait.
L'homme admis dans ce quatuor de femmes s'em-
pressa aussitôt d'entrer dans le wagon, et de remercier
en fort bons termes les personnes qui avaient consenti
à le recevoir. C'était un grand homme, aux cheveux
noirs, brillants comme du cirage vernis, aux yeux à
fleur de tète et à la bouche vermeille comme une gre-
nade en 11(3tir; dans ses regards, dans ses ininièi,es, dans
sa façon de s'exprimer, on remarquait cet abandon plein
de grâce el celte cordiale franchise dont les compatriotes
du chevalierd'Arlagnan semblent avoir conservé le mo-
lJopole. Quand on arriva il Poitiers, il avait déjà trouvé
moyen de conter aux deux dames qu'il appartenait il une •
des familles les plus opulentes du Midi, el qu'il se ren-
dait au Havre pour y terminer d'iinmeiises opérations
financières. En mémo temps, il se montrait pour ses
deux covoyageuses le plus attentif des compagnons de
route; il baissait la glace quand il faisait trop de vent,
et les stores quand il faisait trop de soleil; un train
venait-il à passer sur la voie inverse avec un bruit
épouvantable qui faisajt tressauter les quatre femmes,
il s'empressait de les rassurer et de leur otl'rir des pas-
tilles de menthe et de chocolat, extraites d'une bonbull-
nière en écaille dorée.
A Chàtellerault, la plus âgée des dames fit ses adieux
à la plus jeune qui était sa parente, et descendit avec
sa carriériste ; elles se rendaient à un manoir situé daus
les environs. Voilà noire chevalier d'aventure resté
seul près delà jeune dame et de sa femme de chambre.
Avec une réserve délicate, qui n'cxc)uait pas une
nuance plus marquée, il sut charmer, par sa conver-
sation, la belle veuve, car c'élait une veuve.
Le reste du voyage fut pour lui une série d'étapes
tout il la fois sentimentales et respectueuses ; à Tours,
il oll'rit la main pour descendre, et à Orléans, le bras
pour monter; à EtamjJes, il demanda (iti'il lui fût per-
mis de se présenter chez la veuve, en revenant du Ha-
vre,et il Clwisy-le-Iloi, il obtint cutte permissiou. Huit
jours plus tard, il sonnait à la porte de sa prétendue, et
il était introduit immédiatement dans rapparlemenl.il
revint le lendemain, puis le surlendemain et les jours
suivants.
Pendant leurs entrevues successives, quel secret con-
fia-t-il a sa fiancée? Celui-ci, entre autres: il y avait
pour, le moment, disait-il, une magnifique fortune à
faire, au moyen de spéculations de Bourse ; lui, Alfred
V...., était déjà plus qu'il moitié engagé clans une af-
faire dece genre, et s'il Clit été sur de trouver un asso-
cié, un honnête bailleur de fonds, pour partager les
charges de sa situation, il lui eût garanti à l'avance
plusieurs millions de bénéfice...
Mais où trouver ce bailleur, hélas?... Il avait à peine
lancé ce point cl'iiiterrog,,i.lioii, que la veuve, fouillant
dans les profondeurs d'un élégant bonheur-du-jour, eu
relirait un portefeuille contenant quarante beaux bil-
lelsde mille francs, et les remeltail sans le moindre re-
cu, à son fiancé. Huit jours plus tzir(l, nouvelle visile,
nouvelle demande, et nouvelle marque de confiance !
donnée par la future, qui compta à son futur une som-
me de 25,000 fr. provenant de la vente d'aetions des j
chemins de fer autrichiens el espagnols. L'amoureux
spéculateur remercia, empocha et s'éloigna, promettant
de revenir le lendemain. Vaine promesse ! Depuis un
mois, la veuve n'a pas encore revu son fiancé, et cotte
absence bizarre, jointe à la disparition des 65,000 fr.,
a déterminé la dame à porter plainte.
(Gazette des Tribunaux.)
CAUSES CÉLÈBRES
AFFAIRE PEYTEL 1
1838 — 1839.
« A Monsieur le Rédacteur du Siècle,
« Paris, 29 septembre 1839.
» Monsieur,
» Je n'ai point reçu de la justice la mission de
la venger des outrées que M. de Balzac n'a
pas CI ain tde lui adresser dans sa lettre; je ncm'im-
poserai pas davantage la tâche pénible de rele-
ver toutes les erreurs involontaires ou calculées
dont fourmille son roman.
» Il en est une pourtant sur laquelle il importe
de fixer l'attention publique, parce qu'elle est
de nature à faire apprécier les autres.
» M. de Balzac suppose qu'aucune investiga-
tion n'a été faite sur le lieu du crime ; que rien
n'a étéexaininé, v riflé, ni la situation du terrain,
ni les empreintes qu'il devait avoir reçues, ni
l'état (es cadavres, ni la position dans laquelle
ils ont été trouvés.
» Vous pouvez lire dans votre journal même
le compte rendu des débats à ce sujet, et en
particulier la déposition si précise de M. le lieu-
tenant de gendarmerie "VoU (Le Siècle, samedi,
JI août),
» Puisse cette déposition, relue avec soin, mé-
ditée avec attention, engager M. de Balzac à se
lélier désormais de son imagination de roman-
cier, et à ne parler, à l'avenir, que des choses
sur lesquelles on n'a pas d'intérêt à le tromper
lui-même.
» M. de Balzac croit peut-être avoir donné à
cette affaire une physionomie nouvelle. Il y a
pourtant aussi du latent eu provi, ce, et s'il avait
entendu le plaidoyer de l'avocat que l'accusé
,'était choisi, il n'hésiterait, pas à penser que le
-den, quel qu'en soit le mérite, n est qu'une pâle
et incomplète copie de celui qui, pendant sept
Icures, a captive 1 attention d'un nombreux au-
litoire,
•> Quanta la famille Alcaz.u', elle croit devoir
conserver jusqu'à la lin [a strie te neutralité qu'elle
s'est imposée jusqu'à ce jour. Elle a toujours eu
foi dans la justice du pays. La vengeance n'est
pas dans son cœur ; son devoir est de se taire,
malgré ses convictions.
» Cependant, que M. de Balzac sache qu'elle
ne lui reconnaît pas le droit de déverser l'outrage,
comme il le fait, sur une femme, sur une malheu-
reuse mère, dont les chagrins auraient dû, sinon
obtenir les respects, du moins imposer silence à
.-a plume.
» Je plains surtout le romancier d'avoir con-
senti à placer sous l'égide de son talent un sys-
tème inventé par la plus lâche hypocrisie, (lont
tous les matériaux avaient été préparés à l'a-
vance, mais auquel on ne s'est pas arrêté un
seul instant, tant est devenue forte, irrésistible,
la conviction, qu'il était impossible de la faire
accueillir.
» Encore si M. de Balzac présentait ce sys
tème avec le courage d'un homme auquel le
doute n'est pas permis !... Mais recourir à des
insinuations perfides, lancer en termes ambigus
des soupr'ons que l'on a l'air de ne vouloir pas
approfondir par générosité, dresser une espèce
d'acte d'accusation, non pas contre un prévenu
qui, s'il est dans les fers, peut au moins répon-
tIn" mais contre une personne étendue-dans la
tombe et que glace le froid de la mort!-
» Oh ! monsieur de Balzac, je ne veux pas vous
juger, je préfère laisser ce soin à votre conscience.
Quand vous l'interrogerez, elle vous répondra,
j'en suis sûr, qu'une réputation vaut mieux qu'un
livre ; et qu'il eût été préférable mille fois de ne
pas faire un article de journal, même en faveur
d'Lm ancien journaliste, que de déverser le venin
de la calomnie sur la malheureuse victime de la
plus affreuse machination.
)) N'auriez-vous d'autre but, monsieur de Bal-
zac, (lue d'obtenir un échange entre l'échafaud
et les galères? Alors même ce serait acheter
cette étrange faveur un peu cher, car dans ce cas,
de votre aveu, il n'y aurait pas complète inno-
cence.
» Que deviennent les insinuations dé M. de
Balzac sur les prétendues liaisons de Félicie
Alcazar avec le domestique de M. de Montri-
chard, devant ce fait, parfaitement constaté, que
Louis Bey est entré chez M. de Montrichard le
jour où Félicie Alcazar est partie pour Paris!
» Il en est de même des autres suppositions
de M. de Balzac, mais il ne convient pas d'en-
tamer par incidence de si graves discussions.
J'en ai dit assez et n'étèverai plus la voix sur
cette épouvantable affaire, à moins que je n'aie à
i
( li) V aidei les numéros parus depuis le 26 juillot.
répondre à la justice, quoi que ce soit qu'ajoute
M. de Balzac.
» Que s'il lui arrivait d'outrager directement
la mémoire de Félicie Alcazar, c'est à la justice
que s'adresserait la famille de la victime pour
obtenir une éclatante réparation.
- » J'espère, monsieur, que vous ne refuserez
pas d'insérer immédiatement cette courte ré-
ponse à une si longue attaque, et vous prie d'a-
gréer l'assurance de ma parfaite considération. »
Le Droit (2 octobre) fait suivre immédiate-
ment cete lettre de la consultation médico-lé-
gale du docteur Olivier d'Angers.
Peytel, après sa condamnation, fut immédia-
tement conduit dans une autre chambre que
celle qu'il avait occupée jusque-là dans la prison
et soumis à un régime beaucoup plus sévère,
changement qui parut l'affecter vivement.
La veille de sa condamnation il semblait ne
pas douter de son acquittement. Dans une en-
trevue qu'il avait eue avec sa sœur, il avait fixé
le jour et l'heure de son départ pour Mâcon et
avait résolu de l'exécuter de nuit pour se sous-
traire aux manifestations de la foule. Du reste,
à peine r. mis du trouble où l'avait jeté le pro-
noncé de l'arrêt, il avait manifesté la plus en-
tière confiance dans le résultat de son pourvoi en
cassation. Conformément au règlement, on dut
lui mettre les fers aux pieds.
Le pourvoi de Peytel fut appelé à l'audience
du 10 octobre devant la chambre criminelle de
la Cour de cassation, sous la présidence de M. le
comte de Bastard, et y avait attiré une aftluenec
tout Ù. l'ait insolite. Le rapport fut présenté par
M. le conseiller Vincens Saint-Laurent; puis
son avocat, Me Lauvin, exposa et soutint sept
moyens de cassation, qui furent successivement
combattus par M. Pascalis, avocat général, et
la Cour, après un délibéré de deux heures en la
chambre du conseil, rendit un arrêt de rejet.
Cette décision, attendue à Bourg avec la plus
grande impatience, y fut connue dès le samedi
12, au soir, avant l'arrivée du courrier de Paris,
par des lettres venues de Lyon. Le lendemain,
à huit heures du matin, l und.s amis de Peytel,
autorisé à le visiter dans sa prison, la lui fit
connaître, sur ses instances réitérées. Peytel,
qui depuis quelques jours avait beaucoup perdu
de la fermeté qu'il avait déployée depuis sa
condamnation, semula, à cette nouvelle, recou-
vrer toute son énergie : « Je m'y attendais, ré-
pon it-il... je m'y attendais... Touchez mon
cœur, et voyez s'il bat plus fort... Je saurai
mourir; mes amis m réhabiliteront, »
Des mesures de plus en p.us rigoureuses fu-
rent prises Ù. son égard. Toutefois, on lui laissa
la faculté d'écrire, comme il n'avait cessé de le
faire depuis sa condamnation. Il écrivait tour à
tour en prose et en vers, et faisait le récit de sa
vie, s'efforçant d'établir qu'il n'avait aucun inté-
rêt dans le crime dont la justice l'avait reconnu
coupable. Le reproche de cupidité semblait celui
qui lui pesait le plus.
La France entière se préoccupait du sort de
Peytel; ses avocats, en même temps que le
pourvoi en cassation, lui avaient fait signer un
recours en grâce. Dès le 16, le Capitole, journal
rédigé en chef par M. Mauguin, annonçait que la.
peine avait été commuée, nouvelle que démen-
tait deux jours après la Gazette des Tribunaux,
à la demande de la Chancellerie.
La sœur de Peytel, qui lui était sincèrement
dévouée, avait fait le voyage de Paris pour venir
se jeter aux pieds du roi ; elle n'avait pu, quoi-
que fortement appuyée, en obtenir un moment
d'audience. Le dimanche 27, le roi, ouvrant son
Paroissien dans la chapelle de Saint-Cloud, y
avait trouvé la supplique la plus émouvante;
pareille chose était arrivée à la reine Marie-
Amélie.
Certes, ce n'étaient pas des gens au cœur dur,
inexorables à la pitié. Louis-Philippe avait écrit
contre la peine de mort, et tous les actes de sa
vie avaient été conformes à son opinion; le pre-
mier de nos rois il avait défendu que sur aucune
partie du territoire, même dans nos colonies, un
condamné à mort fùt exécuté sans que le dossier
lui eÙt été soumis, et ce dossier il l'examinait
avec un soin religieux.
Il avait consacré une nuit presque entière,
seul dans son cabinet, à l'examen de celui de
Peytel. Le lendemain, en le rendant au garde
des sceaux, il lui dit :
« Je n'ai rien trouvé, absolument rien qui
puisse motiver l'indulgence; on me veut faire
croire qu'il peut exister quelque doute... Si c'é-
tait un homme du peuple, un homme en blouse,
j'hésiterais peut-être; mais un homme en habit
noir, un notaire... je ne puis pas; on dirait en-
core que je protège les bourgeois. D'ailleurs, dans
mon opinion, un homme d'éducation qui commet
un crime est cent, fois moins digne de pitié qu'un
malheureux illettré. M
B. MAURICE.
(La fin à clemain.)
Le rédacteur en chef.
A. DE BALATHIEll BRAGELONNE.
Paris. — Imprimerie Vallée 15, rue Breda. -6
les saints du paradis, disant qu'il avait six en-
fants, une femme malade, etc., etc.
Je le laissai mentir tout à son aise, et lors-
qu'il eut déclaré qu'il ne possédait pas la somme
qu'on lui demandait, j'ordonnai à un ouvrier de
eonduire l'animal à la fourrière.
Cet ouvrier, jeune moco de dix-huit ans, mar-
chant pieds nus et couvert à peine d'une chemise
dslaine, se dressa soudain sur ses talons, en me.
giflant:
— Le senhor oublie, que je suis blanc et qu'un
Iflaftc ne mène pas un burro par la rue.
Je m'excusai de mon mieux envers le scnhor
Antonio ot je lui demandai si un blanc pouvait, j
sans déroger, aller appeler un seront de ville. ij
Après une réponse affirmative, il partit. Il ren- ! ;
tra bientôt, suivi d'un garçon de vingt-cinq ans, j
à peu près, de moyenne grandeur, bien pris )
dans sa taille, portant sur sa face les signes ca.- )
ractéristiques de sa race... Je reconnus en lui un 1
cigano.
— Tu es agent de police? demandai-je au ci-
gano.
— Si, senhor, répondit-il.
— As-tu une médaille, une carie, pour justi-
fier de ce titre ?
Le cigano me dit gravement qu'au Brésil cet
usage n'existait pas. Je voulus connaître ses
noms. Il déclara qu'il s'appelait José Ignacio
Maria Carlos Pedro da Vega. Il exigeait 3,000
reis pour conduire le burro..le lui en offris 2,OUO
qui seraient payés : 1,000 en partant, et les autres
1,000 lorsqu'il me présenterait le reçu de l'em-
ployé de la fourrière.
Cela arrêté, je lui remis une pièce de 1,000
reis. Après l'avoir reçue, le cigano fit deux pas
vers la porte. Je le rappelai aussitôt.
— Eh bien! mais... tu n'emmènes pas l'ani-
mal? m'écriai-je.
L'homme prit l'attitude, l'air, le ton qui m'a-
vaient frappé naguère elie? Antonio, et penchant
majestueusement la tète sur le cou :
— Senhor, proféra-t-il avec hauteur, je ne suis
pas un noir pour remplir un pareil office. Je vais
chercher un esclave qui recevra mes ordres.
Et gravement, lentement, il sortit de la cha-
cara.
Un quart d'heure ne s'était pas écoulé que je
le vis apparai r,) avec un moleque. Le petit noir
avait une corde à la main; sur l'ordre du cigano.
il passa cette corde autour du cou du burro et il
sortit avec lui de la chacara.
— En m'apportant le reçu de la fourrière, tu
toucheras les autres 1,000 reis convenus, dis-je
à l'agent.
— Si, senhor, répondit-Il en amenant un sin-
gulier sourire sur ses lèvres jaunâtres.
Ce sourire me poursuivait encore sous le ber-
ceau de bananiers où je m'étais retiré pour lire
à mon aise les Luziudas de Camoens, lorsque
Antonio accourut vers moi.
! — Senhor, senhor, dit-il, le cigano est un ci-
gano, c'est-à-dire un ladrao.-
, — Qu'est-ce que cela signifie?
i — Cela signifie que le bUlTl) n'a pas pris le
chemin de la fourrière, mais celui de la maison
du vieux Portugais.
Il m'expliqua alors que, se défiant du cigano,
il l'avait suivi à distance, et qu'au détour de la
rue Velha san Diego, il l'avait vu s'aboucher avec
le maître du burro. Le marché venait d'être
conclu entre eux. L'agent avait reçu une pièce
de monnaie, et le vieux Portugais s'éloignait
avec l'animal.
Le rôle de dupe m'a toujours déplu. Le cy
nisme du ciganp, qui, à deux pas de mon habi-
tation, tenant mon argent d'une main, prend de
l'autre celui du Portugais, me révolta.
-— Ah ! c'est comme cela que se fait la police
à Rio ! m'écriai-je. Eh bien! nous allons voir, et
je n'en aurai pas le démenti.
Je m'habille à l'instant ; malgré les flammes
que darde le soleil, je me rends vers le chef de
la police.
Ce magistrat me reçoit froidement, mais poli-
ment. Après m'avoir entendu, il me dit de faire
un requerimento et de le lui apporter.
Un requerimento, madame, c'est, suivant le
cas, une pétition, une requête, une plainte. Il est
exigé pour. les moindres démarches, pour les
demandes les plus futiles. Avez-vous affaire à
l'alfandega (douane)? vite un requerimento ; à l'il-
lustrissima camara municipal? encore un reque-
rimcnto? au magistrat du qual'teirao? au dela-
8ado ? au fiscal? un requerimento, toujours un
requerimento qui contienne l'explication de ce
que vous voulez obtenir.
Une fois déjà BOUS avions été victimes d'un
vol audacieux commis par un agent de police.
Sous le prétexte que nos vendeurs n'avaient pas
de licença (permission) pour débiter leur mar-
chandise dans les rues, on les avait arrêtés, et
avec eux leur provision d'allumettes. Il nous
avait fallu préalablement payer une multa de
16,000 reis, bien que nous fussions en règle, et
entendre l'agent fiscal déclarer effrontément que
cette somme ne rentrerait plus dans notre poche.
L'agent n'avait retiré que la honte de cette mes-
quine spéculation. Les 16,000 reis nous furent
restitués ; mais il m'était resté une rancune con-
tre ces employés subalternes, et puisque l'occa.
sion se présentait de poursuivre l'un d'eux, je ne
ne voulus pas la laisser échapper.
Quoique ma visite au chef de la police soit le
seul incident de la journée qui ait trait à cette
affaire, cependant, comme j'ai entrepris le ci-
gano, je vais en quelques mots vous apprendre ce
qu'il advint de mes démarches ultérieures.
Le lendemain, mon requerimento fut porté à
qui de droit.
Trois jours après, je me présentai au bureau
de la police. Un commis me déclara qu'on effet
le nommé José Ignacio Maria Carlos Pedro de
Vaga était employé par l'administration, mais
qu'on ignorait son adresse.
— Il demeure rue du Born-Jllrdirn, dans une
ruelle habitée exclusivement par des cigano?,
répondis-je.
— Cela étant, reprit le commis, on va vous
donner un agent qui saisira le cigano sous vos
yeux... s'il le trouve chez lui, tont.ciois, ajouta-t-
il avec un accent qui me donna il réfléchir.
Je fis observer au commis que ce rôle me ré-
pugnait fort, et, que je ne voulais pas assister à
une pareille opération. La police tenait tous les
renseignements nécessaires maintenant; elle
n'avait plus qu'à marcher et à remplir ses de-
voirs.
— Ce soir, le cigano couchera en prison, dit
alors le commis.
Je saluai, et, on retournant à la chacara, je
m'applaudis d'avoir tenu lion.
— Ce sera d'un bon exemple, pensai-je ; cette
vermine d'agents besogneux y pensera à deux
fuis désormais, avant de filouter ainsi les étran-
gers.
CHARLES EXPILLY.
(La suite à demain.)
UN GALANT CHEVALIER
C'était par une des plus chaudes journées du mois
de juin; le ciel était un peu implacable, un soleil per-
pendiculaire surchauffait les rails de la ligne de Bor-
deaux à Paris, et le train oxpress se dirigeant sur la
capitale venait de s'arrêter à Ilufi'ec, la lerre classique
des terrines de foies gras et l'ancien liet' seigneurial du
célèbre duc de Saint-Simon. Le chef du train ouvril
brusquement la porte du wagon des dames et demanda
aux personnes occupant ce compartiment de vouloii
bien donner accès dans leur gynécée à un compagnon
de voyage du sexe masculin qui ne pouvait Irouvei
place ailleurs, Ions les wagons étant au grand (-oiiiiilul.
Le beau sexe est compatissant, et les quatre voyageuses
installées clans la voilure (deux dames el leurs femmes
de chambre) accordèrent sans se faire prier l'autorisa-
tion qu'on leur demandait.
L'homme admis dans ce quatuor de femmes s'em-
pressa aussitôt d'entrer dans le wagon, et de remercier
en fort bons termes les personnes qui avaient consenti
à le recevoir. C'était un grand homme, aux cheveux
noirs, brillants comme du cirage vernis, aux yeux à
fleur de tète et à la bouche vermeille comme une gre-
nade en 11(3tir; dans ses regards, dans ses ininièi,es, dans
sa façon de s'exprimer, on remarquait cet abandon plein
de grâce el celte cordiale franchise dont les compatriotes
du chevalierd'Arlagnan semblent avoir conservé le mo-
lJopole. Quand on arriva il Poitiers, il avait déjà trouvé
moyen de conter aux deux dames qu'il appartenait il une •
des familles les plus opulentes du Midi, el qu'il se ren-
dait au Havre pour y terminer d'iinmeiises opérations
financières. En mémo temps, il se montrait pour ses
deux covoyageuses le plus attentif des compagnons de
route; il baissait la glace quand il faisait trop de vent,
et les stores quand il faisait trop de soleil; un train
venait-il à passer sur la voie inverse avec un bruit
épouvantable qui faisajt tressauter les quatre femmes,
il s'empressait de les rassurer et de leur otl'rir des pas-
tilles de menthe et de chocolat, extraites d'une bonbull-
nière en écaille dorée.
A Chàtellerault, la plus âgée des dames fit ses adieux
à la plus jeune qui était sa parente, et descendit avec
sa carriériste ; elles se rendaient à un manoir situé daus
les environs. Voilà noire chevalier d'aventure resté
seul près delà jeune dame et de sa femme de chambre.
Avec une réserve délicate, qui n'cxc)uait pas une
nuance plus marquée, il sut charmer, par sa conver-
sation, la belle veuve, car c'élait une veuve.
Le reste du voyage fut pour lui une série d'étapes
tout il la fois sentimentales et respectueuses ; à Tours,
il oll'rit la main pour descendre, et à Orléans, le bras
pour monter; à EtamjJes, il demanda (iti'il lui fût per-
mis de se présenter chez la veuve, en revenant du Ha-
vre,et il Clwisy-le-Iloi, il obtint cutte permissiou. Huit
jours plus tard, il sonnait à la porte de sa prétendue, et
il était introduit immédiatement dans rapparlemenl.il
revint le lendemain, puis le surlendemain et les jours
suivants.
Pendant leurs entrevues successives, quel secret con-
fia-t-il a sa fiancée? Celui-ci, entre autres: il y avait
pour, le moment, disait-il, une magnifique fortune à
faire, au moyen de spéculations de Bourse ; lui, Alfred
V...., était déjà plus qu'il moitié engagé clans une af-
faire dece genre, et s'il Clit été sur de trouver un asso-
cié, un honnête bailleur de fonds, pour partager les
charges de sa situation, il lui eût garanti à l'avance
plusieurs millions de bénéfice...
Mais où trouver ce bailleur, hélas?... Il avait à peine
lancé ce point cl'iiiterrog,,i.lioii, que la veuve, fouillant
dans les profondeurs d'un élégant bonheur-du-jour, eu
relirait un portefeuille contenant quarante beaux bil-
lelsde mille francs, et les remeltail sans le moindre re-
cu, à son fiancé. Huit jours plus tzir(l, nouvelle visile,
nouvelle demande, et nouvelle marque de confiance !
donnée par la future, qui compta à son futur une som-
me de 25,000 fr. provenant de la vente d'aetions des j
chemins de fer autrichiens el espagnols. L'amoureux
spéculateur remercia, empocha et s'éloigna, promettant
de revenir le lendemain. Vaine promesse ! Depuis un
mois, la veuve n'a pas encore revu son fiancé, et cotte
absence bizarre, jointe à la disparition des 65,000 fr.,
a déterminé la dame à porter plainte.
(Gazette des Tribunaux.)
CAUSES CÉLÈBRES
AFFAIRE PEYTEL 1
1838 — 1839.
« A Monsieur le Rédacteur du Siècle,
« Paris, 29 septembre 1839.
» Monsieur,
» Je n'ai point reçu de la justice la mission de
la venger des outrées que M. de Balzac n'a
pas CI ain tde lui adresser dans sa lettre; je ncm'im-
poserai pas davantage la tâche pénible de rele-
ver toutes les erreurs involontaires ou calculées
dont fourmille son roman.
» Il en est une pourtant sur laquelle il importe
de fixer l'attention publique, parce qu'elle est
de nature à faire apprécier les autres.
» M. de Balzac suppose qu'aucune investiga-
tion n'a été faite sur le lieu du crime ; que rien
n'a étéexaininé, v riflé, ni la situation du terrain,
ni les empreintes qu'il devait avoir reçues, ni
l'état (es cadavres, ni la position dans laquelle
ils ont été trouvés.
» Vous pouvez lire dans votre journal même
le compte rendu des débats à ce sujet, et en
particulier la déposition si précise de M. le lieu-
tenant de gendarmerie "VoU (Le Siècle, samedi,
JI août),
» Puisse cette déposition, relue avec soin, mé-
ditée avec attention, engager M. de Balzac à se
lélier désormais de son imagination de roman-
cier, et à ne parler, à l'avenir, que des choses
sur lesquelles on n'a pas d'intérêt à le tromper
lui-même.
» M. de Balzac croit peut-être avoir donné à
cette affaire une physionomie nouvelle. Il y a
pourtant aussi du latent eu provi, ce, et s'il avait
entendu le plaidoyer de l'avocat que l'accusé
,'était choisi, il n'hésiterait, pas à penser que le
-den, quel qu'en soit le mérite, n est qu'une pâle
et incomplète copie de celui qui, pendant sept
Icures, a captive 1 attention d'un nombreux au-
litoire,
•> Quanta la famille Alcaz.u', elle croit devoir
conserver jusqu'à la lin [a strie te neutralité qu'elle
s'est imposée jusqu'à ce jour. Elle a toujours eu
foi dans la justice du pays. La vengeance n'est
pas dans son cœur ; son devoir est de se taire,
malgré ses convictions.
» Cependant, que M. de Balzac sache qu'elle
ne lui reconnaît pas le droit de déverser l'outrage,
comme il le fait, sur une femme, sur une malheu-
reuse mère, dont les chagrins auraient dû, sinon
obtenir les respects, du moins imposer silence à
.-a plume.
» Je plains surtout le romancier d'avoir con-
senti à placer sous l'égide de son talent un sys-
tème inventé par la plus lâche hypocrisie, (lont
tous les matériaux avaient été préparés à l'a-
vance, mais auquel on ne s'est pas arrêté un
seul instant, tant est devenue forte, irrésistible,
la conviction, qu'il était impossible de la faire
accueillir.
» Encore si M. de Balzac présentait ce sys
tème avec le courage d'un homme auquel le
doute n'est pas permis !... Mais recourir à des
insinuations perfides, lancer en termes ambigus
des soupr'ons que l'on a l'air de ne vouloir pas
approfondir par générosité, dresser une espèce
d'acte d'accusation, non pas contre un prévenu
qui, s'il est dans les fers, peut au moins répon-
tIn" mais contre une personne étendue-dans la
tombe et que glace le froid de la mort!-
» Oh ! monsieur de Balzac, je ne veux pas vous
juger, je préfère laisser ce soin à votre conscience.
Quand vous l'interrogerez, elle vous répondra,
j'en suis sûr, qu'une réputation vaut mieux qu'un
livre ; et qu'il eût été préférable mille fois de ne
pas faire un article de journal, même en faveur
d'Lm ancien journaliste, que de déverser le venin
de la calomnie sur la malheureuse victime de la
plus affreuse machination.
)) N'auriez-vous d'autre but, monsieur de Bal-
zac, (lue d'obtenir un échange entre l'échafaud
et les galères? Alors même ce serait acheter
cette étrange faveur un peu cher, car dans ce cas,
de votre aveu, il n'y aurait pas complète inno-
cence.
» Que deviennent les insinuations dé M. de
Balzac sur les prétendues liaisons de Félicie
Alcazar avec le domestique de M. de Montri-
chard, devant ce fait, parfaitement constaté, que
Louis Bey est entré chez M. de Montrichard le
jour où Félicie Alcazar est partie pour Paris!
» Il en est de même des autres suppositions
de M. de Balzac, mais il ne convient pas d'en-
tamer par incidence de si graves discussions.
J'en ai dit assez et n'étèverai plus la voix sur
cette épouvantable affaire, à moins que je n'aie à
i
( li) V aidei les numéros parus depuis le 26 juillot.
répondre à la justice, quoi que ce soit qu'ajoute
M. de Balzac.
» Que s'il lui arrivait d'outrager directement
la mémoire de Félicie Alcazar, c'est à la justice
que s'adresserait la famille de la victime pour
obtenir une éclatante réparation.
- » J'espère, monsieur, que vous ne refuserez
pas d'insérer immédiatement cette courte ré-
ponse à une si longue attaque, et vous prie d'a-
gréer l'assurance de ma parfaite considération. »
Le Droit (2 octobre) fait suivre immédiate-
ment cete lettre de la consultation médico-lé-
gale du docteur Olivier d'Angers.
Peytel, après sa condamnation, fut immédia-
tement conduit dans une autre chambre que
celle qu'il avait occupée jusque-là dans la prison
et soumis à un régime beaucoup plus sévère,
changement qui parut l'affecter vivement.
La veille de sa condamnation il semblait ne
pas douter de son acquittement. Dans une en-
trevue qu'il avait eue avec sa sœur, il avait fixé
le jour et l'heure de son départ pour Mâcon et
avait résolu de l'exécuter de nuit pour se sous-
traire aux manifestations de la foule. Du reste,
à peine r. mis du trouble où l'avait jeté le pro-
noncé de l'arrêt, il avait manifesté la plus en-
tière confiance dans le résultat de son pourvoi en
cassation. Conformément au règlement, on dut
lui mettre les fers aux pieds.
Le pourvoi de Peytel fut appelé à l'audience
du 10 octobre devant la chambre criminelle de
la Cour de cassation, sous la présidence de M. le
comte de Bastard, et y avait attiré une aftluenec
tout Ù. l'ait insolite. Le rapport fut présenté par
M. le conseiller Vincens Saint-Laurent; puis
son avocat, Me Lauvin, exposa et soutint sept
moyens de cassation, qui furent successivement
combattus par M. Pascalis, avocat général, et
la Cour, après un délibéré de deux heures en la
chambre du conseil, rendit un arrêt de rejet.
Cette décision, attendue à Bourg avec la plus
grande impatience, y fut connue dès le samedi
12, au soir, avant l'arrivée du courrier de Paris,
par des lettres venues de Lyon. Le lendemain,
à huit heures du matin, l und.s amis de Peytel,
autorisé à le visiter dans sa prison, la lui fit
connaître, sur ses instances réitérées. Peytel,
qui depuis quelques jours avait beaucoup perdu
de la fermeté qu'il avait déployée depuis sa
condamnation, semula, à cette nouvelle, recou-
vrer toute son énergie : « Je m'y attendais, ré-
pon it-il... je m'y attendais... Touchez mon
cœur, et voyez s'il bat plus fort... Je saurai
mourir; mes amis m réhabiliteront, »
Des mesures de plus en p.us rigoureuses fu-
rent prises Ù. son égard. Toutefois, on lui laissa
la faculté d'écrire, comme il n'avait cessé de le
faire depuis sa condamnation. Il écrivait tour à
tour en prose et en vers, et faisait le récit de sa
vie, s'efforçant d'établir qu'il n'avait aucun inté-
rêt dans le crime dont la justice l'avait reconnu
coupable. Le reproche de cupidité semblait celui
qui lui pesait le plus.
La France entière se préoccupait du sort de
Peytel; ses avocats, en même temps que le
pourvoi en cassation, lui avaient fait signer un
recours en grâce. Dès le 16, le Capitole, journal
rédigé en chef par M. Mauguin, annonçait que la.
peine avait été commuée, nouvelle que démen-
tait deux jours après la Gazette des Tribunaux,
à la demande de la Chancellerie.
La sœur de Peytel, qui lui était sincèrement
dévouée, avait fait le voyage de Paris pour venir
se jeter aux pieds du roi ; elle n'avait pu, quoi-
que fortement appuyée, en obtenir un moment
d'audience. Le dimanche 27, le roi, ouvrant son
Paroissien dans la chapelle de Saint-Cloud, y
avait trouvé la supplique la plus émouvante;
pareille chose était arrivée à la reine Marie-
Amélie.
Certes, ce n'étaient pas des gens au cœur dur,
inexorables à la pitié. Louis-Philippe avait écrit
contre la peine de mort, et tous les actes de sa
vie avaient été conformes à son opinion; le pre-
mier de nos rois il avait défendu que sur aucune
partie du territoire, même dans nos colonies, un
condamné à mort fùt exécuté sans que le dossier
lui eÙt été soumis, et ce dossier il l'examinait
avec un soin religieux.
Il avait consacré une nuit presque entière,
seul dans son cabinet, à l'examen de celui de
Peytel. Le lendemain, en le rendant au garde
des sceaux, il lui dit :
« Je n'ai rien trouvé, absolument rien qui
puisse motiver l'indulgence; on me veut faire
croire qu'il peut exister quelque doute... Si c'é-
tait un homme du peuple, un homme en blouse,
j'hésiterais peut-être; mais un homme en habit
noir, un notaire... je ne puis pas; on dirait en-
core que je protège les bourgeois. D'ailleurs, dans
mon opinion, un homme d'éducation qui commet
un crime est cent, fois moins digne de pitié qu'un
malheureux illettré. M
B. MAURICE.
(La fin à clemain.)
Le rédacteur en chef.
A. DE BALATHIEll BRAGELONNE.
Paris. — Imprimerie Vallée 15, rue Breda. -6
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