Titre : La Petite presse : journal quotidien... / [rédacteur en chef : Balathier Bragelonne]
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1868-03-14
Contributeur : Balathier Bragelonne, Adolphe de (1811-1888). Directeur de publication
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837965d
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 14 mars 1868 14 mars 1868
Description : 1868/03/14 (A3,N695). 1868/03/14 (A3,N695).
Description : Collection numérique : Commun Patrimoine:... Collection numérique : Commun Patrimoine: bibliothèque numérique du réseau des médiathèques de Plaine Commune
Description : Collection numérique : Commune de Paris de 1871 Collection numérique : Commune de Paris de 1871
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k47176979
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-190
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 23/10/2017
LA PETITE PRESSE
5 cent. le numéro JOURNAL QUOTIDIEN - . 5 cent. le numéro
ABONNEMENTS. — Trois moi;. Sic mois. Dn an.
Paris. 5 fr. 9 fr. 2 s fr.
Départements.. 6 il 99
Administrateur : E. DELSAUX.
3me année. -4 SAMEDI 1 i MARS 1868. — No 695'
L'irecteur-Propriétaire : JAN NIN.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIER BRAGELONNE.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Drouot.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, 13 MARS 1868
LA FAMINE EN ALGÉRIE
11 y a quelque temps, chersN^cJeti^^^i
mis sous vos yeux la lettre éloquente de
Mgr l'évêque d'Alger.
Cette lettre disait les horribles misères dont
notre colonie est le théâtre ; elle faisait appel
à la France en faveur des malheureux Arabes
affamés.
Cet appel a été entendu. Le gouvernement
a donné Quatre' cent mille francs : c'était
quelque chose. Des souscriptions se sont ou-
vertes. Mais, quand il s'agit de soulager tout
un peuple, il faut beaucoup d'or. Quand une
nation tout entière crie: J'ai faim 1 il faut
' beaucoup de blé...
Voici ce qui s'est passé, il y a quille jours,
jans un village de l'Algérie :
Une femme Arabe, suivant l'exemple de la
plupart des siens, avait quitté son douar, au
pied de l'Atlas, et elle était venue sur le ter-
ritoire militaire, espérant y trouver à manger
pour elle et pour ses enfants.
A mesure qu'on se rapproche des centres
. européens, on trouve des secours qui man-
quent absolument dans les tribus.
Par malheur, les colons ne sont guère
plus riches que les indigènes. A peine peuvent-
ils eux-mêmes se préserver de la faim, et
leur charité est impuissante en Jace de la
détresse qui les environne de toutes parts.
La femme dont je parle se trouvait seule,
avec trois enfants incapables de travailler.
Son mari était mort du choléra. Elle, men-
diait. On resta deux jours sans l'apercevoir.
Mais, dans ces horribles crises, la souffrance
fend égoïste, et l'on ne s'occupe pas de ses
voisins...
Donc, deux jours s'étaient passés. Tout à
coup, vers le soir, une odeur de viande brûlée
s'éleva d'une misérable tente. Ceux qui étaient
près de là y coururent, espérant y trouver de
quoi apaiser leur faim. Ils virent la mère de
' famille, accroupie sur le sol, les cheveux
épars, partageant entre ses enfants un quar-
tier de chair. ,
Ses enfants!... Deux seulement prenaient
part au repas. Les Arabes interrogèrent
• la mère, 'et celle-ci leur avoua, dans sa.
folie, qu'elle avait tué le troisième et que
\c'était son corps qu'elle donnait à manger
fUX deux autres.
, i
Pas de commentaire.
M. le juge d'instruction d'Oran et un autre
magistrat se sont présentés à leur tour à l'en-
trée de la tente.
Mais que peut la justice contre la folie?...
Cette "femme était évidemment en proie
au délire lorsqu'elle a commis son horrible
crime; et ce délire n'avait qu'une eause : la
faim..
Mère, elle sacrifiait un de ses enfants pour
nourrir les deux autres. 4
De telles choses échappent à la loi..
Il faut en parler pourtant.
' Il faut dire le mal, afin qu'un prompt re-
mède y soit apporté.
Personne n'est coupable.
L'int.empérie des saisons, l'excès de la sé-
cheresse, l'abondance des pluies, les longues
guerres : telles sont les causes ordinaires de
la famine.
Les peuples pasteurs, qui vivent du lait et
de la chair de leurs troupeaux; les colonies
agricoles, qui consomment leurs récoltes,
peuvent être affamés par une sécheresse qui
brûle l'herbe et le blé avant qu'ils aient eu
le temps de croître.
Des greniers?... Mais si la sécheresse dure
deux ans, si elle dure trois ans, les greniers
se videront, et alors comment faire?
...S'adresser aux peuples, voisins, et leur
dire: - Ici, Ton n'a pas de pain; vous en
avez là-bas ; partagez avec 'nous, au nom de
l'humanité !
C'est ce qu'a fait l'Algérie par la voix de
son évêque:
« Des calculs qui ne sont pas exagérés font
monter jusqu'à cent mille le nombre des vic-
times dans ces six derniers mois!... Jugez
par-là, mes frères, du nombre des veuves,
des orphelins, des vieillards restés sans res-
sources... »
Ainsi parlait Mgr d'Alger, il y a deux
mois.
Depuis deux mois aussi des souscriptions
sont ouvertes.
La France, si miséricordieuse d'ordinaire,
restera-t-elle sourde cette fois ?... Non, car
pour ouvrir son cœur et prodiguer son or, il
lui suffira de se souvenir.
Elle se rappellera ses propres souffrance'! et
ses beaux élans de charité.
Nous ne sommes plus à ce terrible hiver
de 1709, où nos paysans faisaient de la farine
avec le gland des chênes, et où le vieux roi
Louis XIV mangeait du pain noir à Versailles,
en pleurant sur son trésor épuisé par une
guerre sans merci.
Les temps du Pacte de Famine sont loin de
nous, et nous ne nous rappelons que pour les
maudire les traitants auxquels Louis XV
avait accordé le monopole du commerce des
blés.
11 faut relire pourtant la page indignée de
Camille Desmoulins contre les accapareurs :
a Y a-t-il un attentat contre l'humanité
plus monstrueux et plus horrible? Quoi!
en vain le ciel aura versé ses bénédictions
sur nos fertiles contrées ! Quoi ! lorsqu'une
seule récolte suffit à nourrir la France
pendant trois ans, en vain l'abondance
de six moissons consécutives aura écarté la
faim de la chaumière du pauvre, il y aura
des hommes qui se feront un trafic d'imiter
la colère céleste ! Nous retrouverons au mi-
,lieu de nous, et dans un de nos semblables,
une famine et un fléau vivant!...
«Pour avoir de l'or, des hommes ont infecté
d'un mélange homicide la denrée nourricière
de leurs frères! Ils ont-dit : — Que m'im-
portent les sou-ffrances, la'{}ouleur et le gémis-
sement du pauvre, pourvu' que j'aie de l'or?
sPÊZe m'importe qua les hôpitaux se remplis-
sent de scorbutiques, pourvu que j'aie de l'or?
Que m'importe qu'au milieu de ses enfants
une mère se désespère de ne pouvoir leur
donner du pain, pourvu que, moi, j'aie de
l'or? "
» Egoïstes exécrables ! Et pourquoi cet or?
C'est pour couvrir de mets délicats votre
table et celle du vice et de la débauche que
cent mille familles ont manqué de pain !...
» Il fallait donner des illuminations, des
fêtes splendides; il vous fallait fréquenter les
spectacles et nourrir tous les jours vos oreilles
de. sons délicieux ; voilà pourquoi les hôpi-
taux retentissent des gémissements de ceux
que vous avez empoisonnés. Insensibles à
l'indignation publique, insensibles à l'horreur
qu'inspire votre nom, vous avez été payer des
prostituées, et vous avez tout oublié sur leur
sein ! Comment le remords, comment le cri
de tout un peuple ne vous y ont-ils pas pour- '
suivis?... D
Aujourd'hui, notre commerce est libre, et,
si quelque grande infortune frappe et réduit
à la misère la population d'une de nos pro-
vinces, les autres provinces s'empressent de
venir à son aide. Qu'on se rappelle les inon-
dations du Rhône et celle de la Loire, la crise
cotonnièreàRouenetdans les départements du
Nord... Partout s'ouvraient des souscriptions,
et, depuis le millionnaire jusqu'à l'ouvrier,de-
puis les associations jusqu'aux individus,
c'était à qui apporterait son billet de banque
ou son gros sou. ' '
Eh ! bien, les devoirs de la France sont les
mêmes aujourd'hui.
L'Algérie, c'est encore la patrie. En tous
cas, c'est un pays qui souffre, et c'est
assez.
Mgr d'Alger, en partant, disait encore :
« Je recevrai avec reconnaissance ce que la
charité m'enverra dans mon diocèse où je
vais rentrer demain. »
Répétons-le, on n'a pas envoyé assez, et, *
ayons la franchise de le dire, c'est que, dans
cette crise, la presse n'a pas fait son devoir
comme dans les autres.
Trois journaux sur quatre, occupés de mi-
sérables querelles de personnalités et de bou-
tiques, n'ont pas su trouver, dans leurs vingt-
quatre colonnes quotidiennes, une pauvre pe-
tite place, pour apprendre à leurs lecteurs les
maux de l'Algérie et pour leur dire : —
Donnez.
Et c'est pourtant en face de ces grands dé-
sastres que le rôle de la puesse devrait éclater
dans toute sa magnificeuce. Ici, plus de
partis, plus d'animosités, plus de discussions
de doctrines, mais un appel généreux, un de
ces cris qui font battre les cœurs, une de ces
voix universelles qui ne sauraient s'élever
inécoutées!...
Il en est temps encore. En pareil cas, il
n'est jamais trop tard. Qu'une grande sous-
cription soit ouverie pour venir en aide aux
souscriptions particulières. Que tout le monde
donne. Il suffira, pour transformer la charité
en un élan national, de mettre sous les yeux
de tous ceux qui savent lire l'histoire de cette
mère devenue folle, qui assassine son enfant.
TONY RÉVILLON.
ROCAMBOLE
mess="" 126 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
TROISIÈME PARTIE
NEWGATE. - LE CIMETIÈRE DES SUPPLICIÉS
XXIII
L objet que l'homme gris avait tiré de sa po-
che en deux morceaux, qu'il s'empressait de
réunir, était un outil des plus vulgaires, un
tarière.
En démontant le manche, il avait pu le ca-
cher sous ses vêtements.
Voir le numéro du 22 novembre.
A Londres, où toutes les maisons sont de :
construction légère, les planches sont en boig
et n'ont pas grande épaisseur.
— Que faites-vous donc? demanda le rough,
qui vit l'homme gris s'agenouiller et appuyer sa
tarière sur le plancher. '
— Tu le vois, je perce un trou. *f
— Pourquoi faire? 4 -
— Pour voir ce qui se passe en bas. ' ' •
Et, en effet, la tarière mordit le bois- et s'en-
fonça sans bruit et lentement dans le plancher.
Ce fut l'affaire de quelques minutes.
Au bout de ce tomps, le plancher était à
jour. - ■
Alors l'homme gris retira sa tarière et 'cam-
manda à John de souffler la chandelle. -
La pièce de dessous, le laboratoire, était plongée
da.ns l'obscurité ;- mais un filet de lumière qui
passait sous la porte de la pièce voisine et venait
mourir sur le parquet, juste au-dessous du trou
percé par l'homme gris, attestait que Calcrnff ne
dormait pas.
L'homme gris, qui s'était couché à plat-ventre
pour appliquer son œil au trou, vit ce filet de
lumière et, se relevant il dit:
— Calcraff ne dort pas encore, il faut attendre.
— Je ne vois pas trop pourquoi vous avez
percé ce trou? fit le rough. Il est trop petit pour
v passer autre chose que le doigt.
Oni;mais il est assez grand pour nous
servir de judas.
. — J.e comprends encore moins pourquoi vous
m'avez fait souffler la chandelle.
— C'est bien simple pourtant. Suppose que la
chandelle soit allumée.
— Bon!
— Que CdtcrafT sorte de sa chambre et vienne
dans son laboratoire.
— Eh bien?
— Et qu'il lève les yeux. La lumière nous
trahira en lui montrant le trou.
— Ah ! c'est juste, dit le rougi], je ne pensais
pas à cela.
— Maintenant, reprit l'homme gris à voix
basse, en-attendant qu'il éteigne sa lampe et
qu'il dorme, causons.
— Soit, dit le rough à voix basse.
— Lord Vilmot, Shoking,si tu l'aimes mieux,
est fort curieux de tout ce qui précède ou suit
une,exécution.
— Ah ! vraiment?
— Il donnerait beaucoup d'argent pour savoir
ce que fait CaleraIT ordinairement.
— Je puis vous le dire, moi, fit le rough.
— Eh bien ! va, je t'écoute.
— En temps ordinaire, c'est-à-dire quand sa
besogne chôme , c%lc.raff sa lève de bonne
heure
— Fort bien.
— Une vieille femme,qui lui sert de se: vante,
lui fait à déjeuner.
Il mange et s'en va.
— Sais -tu où?
— 11 se promène, tantôt dans 10s docks, tan
tôt dans les beaux quartiers au "West blJ, oi
il est moins connu dé vue et où il n'a pas pou:
que les enfants le poursuivant en le huant.
Il lunche dans la première taverne venue, va
prendre son repas, du soir, tour, seul. un peu
partout, boit deux (JU trois chopes Ge biere et
rentre chez lui.
Jamais il ne parle à personne. 9
— Et lorsqu'fl a tivie exécution à nire?
— Alors ses habitudes sont lUI peu chan-
r* '«a
O
— Comment cela?
.— La veille au matin, .JljlTorio;;, son valet, ar-
rive au petit jour, et Caicralf lai donne *es
ordres.
C'est JefTeries qui »'occupe (13 faire dresser
l'échafaud pendant la nuit; c'est lui qui emporte
la corde et le bonnet noir. Calci afl ne touche à
rien jusqu'au dernier y.oment.
Il passe la journée hors de chez lui. conime à
l'ordinaire, mais les gens qui l'ont vu l'lineller
assurent qu'il ne boit que de l'eau.
Au lieu de rentrer tarq.. com.va k l'ordinaire
5 cent. le numéro JOURNAL QUOTIDIEN - . 5 cent. le numéro
ABONNEMENTS. — Trois moi;. Sic mois. Dn an.
Paris. 5 fr. 9 fr. 2 s fr.
Départements.. 6 il 99
Administrateur : E. DELSAUX.
3me année. -4 SAMEDI 1 i MARS 1868. — No 695'
L'irecteur-Propriétaire : JAN NIN.
Rédacteur en chef : A. DE BALATHIER BRAGELONNE.
BUREAUX D'ABONNEMENT : 9, rue Drouot.
ADMINISTRATION : 13, place Breda.
PARIS, 13 MARS 1868
LA FAMINE EN ALGÉRIE
11 y a quelque temps, chersN^cJeti^^^i
mis sous vos yeux la lettre éloquente de
Mgr l'évêque d'Alger.
Cette lettre disait les horribles misères dont
notre colonie est le théâtre ; elle faisait appel
à la France en faveur des malheureux Arabes
affamés.
Cet appel a été entendu. Le gouvernement
a donné Quatre' cent mille francs : c'était
quelque chose. Des souscriptions se sont ou-
vertes. Mais, quand il s'agit de soulager tout
un peuple, il faut beaucoup d'or. Quand une
nation tout entière crie: J'ai faim 1 il faut
' beaucoup de blé...
Voici ce qui s'est passé, il y a quille jours,
jans un village de l'Algérie :
Une femme Arabe, suivant l'exemple de la
plupart des siens, avait quitté son douar, au
pied de l'Atlas, et elle était venue sur le ter-
ritoire militaire, espérant y trouver à manger
pour elle et pour ses enfants.
A mesure qu'on se rapproche des centres
. européens, on trouve des secours qui man-
quent absolument dans les tribus.
Par malheur, les colons ne sont guère
plus riches que les indigènes. A peine peuvent-
ils eux-mêmes se préserver de la faim, et
leur charité est impuissante en Jace de la
détresse qui les environne de toutes parts.
La femme dont je parle se trouvait seule,
avec trois enfants incapables de travailler.
Son mari était mort du choléra. Elle, men-
diait. On resta deux jours sans l'apercevoir.
Mais, dans ces horribles crises, la souffrance
fend égoïste, et l'on ne s'occupe pas de ses
voisins...
Donc, deux jours s'étaient passés. Tout à
coup, vers le soir, une odeur de viande brûlée
s'éleva d'une misérable tente. Ceux qui étaient
près de là y coururent, espérant y trouver de
quoi apaiser leur faim. Ils virent la mère de
' famille, accroupie sur le sol, les cheveux
épars, partageant entre ses enfants un quar-
tier de chair. ,
Ses enfants!... Deux seulement prenaient
part au repas. Les Arabes interrogèrent
• la mère, 'et celle-ci leur avoua, dans sa.
folie, qu'elle avait tué le troisième et que
\c'était son corps qu'elle donnait à manger
fUX deux autres.
, i
Pas de commentaire.
M. le juge d'instruction d'Oran et un autre
magistrat se sont présentés à leur tour à l'en-
trée de la tente.
Mais que peut la justice contre la folie?...
Cette "femme était évidemment en proie
au délire lorsqu'elle a commis son horrible
crime; et ce délire n'avait qu'une eause : la
faim..
Mère, elle sacrifiait un de ses enfants pour
nourrir les deux autres. 4
De telles choses échappent à la loi..
Il faut en parler pourtant.
' Il faut dire le mal, afin qu'un prompt re-
mède y soit apporté.
Personne n'est coupable.
L'int.empérie des saisons, l'excès de la sé-
cheresse, l'abondance des pluies, les longues
guerres : telles sont les causes ordinaires de
la famine.
Les peuples pasteurs, qui vivent du lait et
de la chair de leurs troupeaux; les colonies
agricoles, qui consomment leurs récoltes,
peuvent être affamés par une sécheresse qui
brûle l'herbe et le blé avant qu'ils aient eu
le temps de croître.
Des greniers?... Mais si la sécheresse dure
deux ans, si elle dure trois ans, les greniers
se videront, et alors comment faire?
...S'adresser aux peuples, voisins, et leur
dire: - Ici, Ton n'a pas de pain; vous en
avez là-bas ; partagez avec 'nous, au nom de
l'humanité !
C'est ce qu'a fait l'Algérie par la voix de
son évêque:
« Des calculs qui ne sont pas exagérés font
monter jusqu'à cent mille le nombre des vic-
times dans ces six derniers mois!... Jugez
par-là, mes frères, du nombre des veuves,
des orphelins, des vieillards restés sans res-
sources... »
Ainsi parlait Mgr d'Alger, il y a deux
mois.
Depuis deux mois aussi des souscriptions
sont ouvertes.
La France, si miséricordieuse d'ordinaire,
restera-t-elle sourde cette fois ?... Non, car
pour ouvrir son cœur et prodiguer son or, il
lui suffira de se souvenir.
Elle se rappellera ses propres souffrance'! et
ses beaux élans de charité.
Nous ne sommes plus à ce terrible hiver
de 1709, où nos paysans faisaient de la farine
avec le gland des chênes, et où le vieux roi
Louis XIV mangeait du pain noir à Versailles,
en pleurant sur son trésor épuisé par une
guerre sans merci.
Les temps du Pacte de Famine sont loin de
nous, et nous ne nous rappelons que pour les
maudire les traitants auxquels Louis XV
avait accordé le monopole du commerce des
blés.
11 faut relire pourtant la page indignée de
Camille Desmoulins contre les accapareurs :
a Y a-t-il un attentat contre l'humanité
plus monstrueux et plus horrible? Quoi!
en vain le ciel aura versé ses bénédictions
sur nos fertiles contrées ! Quoi ! lorsqu'une
seule récolte suffit à nourrir la France
pendant trois ans, en vain l'abondance
de six moissons consécutives aura écarté la
faim de la chaumière du pauvre, il y aura
des hommes qui se feront un trafic d'imiter
la colère céleste ! Nous retrouverons au mi-
,lieu de nous, et dans un de nos semblables,
une famine et un fléau vivant!...
«Pour avoir de l'or, des hommes ont infecté
d'un mélange homicide la denrée nourricière
de leurs frères! Ils ont-dit : — Que m'im-
portent les sou-ffrances, la'{}ouleur et le gémis-
sement du pauvre, pourvu' que j'aie de l'or?
sPÊZe m'importe qua les hôpitaux se remplis-
sent de scorbutiques, pourvu que j'aie de l'or?
Que m'importe qu'au milieu de ses enfants
une mère se désespère de ne pouvoir leur
donner du pain, pourvu que, moi, j'aie de
l'or? "
» Egoïstes exécrables ! Et pourquoi cet or?
C'est pour couvrir de mets délicats votre
table et celle du vice et de la débauche que
cent mille familles ont manqué de pain !...
» Il fallait donner des illuminations, des
fêtes splendides; il vous fallait fréquenter les
spectacles et nourrir tous les jours vos oreilles
de. sons délicieux ; voilà pourquoi les hôpi-
taux retentissent des gémissements de ceux
que vous avez empoisonnés. Insensibles à
l'indignation publique, insensibles à l'horreur
qu'inspire votre nom, vous avez été payer des
prostituées, et vous avez tout oublié sur leur
sein ! Comment le remords, comment le cri
de tout un peuple ne vous y ont-ils pas pour- '
suivis?... D
Aujourd'hui, notre commerce est libre, et,
si quelque grande infortune frappe et réduit
à la misère la population d'une de nos pro-
vinces, les autres provinces s'empressent de
venir à son aide. Qu'on se rappelle les inon-
dations du Rhône et celle de la Loire, la crise
cotonnièreàRouenetdans les départements du
Nord... Partout s'ouvraient des souscriptions,
et, depuis le millionnaire jusqu'à l'ouvrier,de-
puis les associations jusqu'aux individus,
c'était à qui apporterait son billet de banque
ou son gros sou. ' '
Eh ! bien, les devoirs de la France sont les
mêmes aujourd'hui.
L'Algérie, c'est encore la patrie. En tous
cas, c'est un pays qui souffre, et c'est
assez.
Mgr d'Alger, en partant, disait encore :
« Je recevrai avec reconnaissance ce que la
charité m'enverra dans mon diocèse où je
vais rentrer demain. »
Répétons-le, on n'a pas envoyé assez, et, *
ayons la franchise de le dire, c'est que, dans
cette crise, la presse n'a pas fait son devoir
comme dans les autres.
Trois journaux sur quatre, occupés de mi-
sérables querelles de personnalités et de bou-
tiques, n'ont pas su trouver, dans leurs vingt-
quatre colonnes quotidiennes, une pauvre pe-
tite place, pour apprendre à leurs lecteurs les
maux de l'Algérie et pour leur dire : —
Donnez.
Et c'est pourtant en face de ces grands dé-
sastres que le rôle de la puesse devrait éclater
dans toute sa magnificeuce. Ici, plus de
partis, plus d'animosités, plus de discussions
de doctrines, mais un appel généreux, un de
ces cris qui font battre les cœurs, une de ces
voix universelles qui ne sauraient s'élever
inécoutées!...
Il en est temps encore. En pareil cas, il
n'est jamais trop tard. Qu'une grande sous-
cription soit ouverie pour venir en aide aux
souscriptions particulières. Que tout le monde
donne. Il suffira, pour transformer la charité
en un élan national, de mettre sous les yeux
de tous ceux qui savent lire l'histoire de cette
mère devenue folle, qui assassine son enfant.
TONY RÉVILLON.
ROCAMBOLE
mess="" 126 LES
MISÈRES DE LONDRES
PAR
PONSON DU TERRAIL
TROISIÈME PARTIE
NEWGATE. - LE CIMETIÈRE DES SUPPLICIÉS
XXIII
L objet que l'homme gris avait tiré de sa po-
che en deux morceaux, qu'il s'empressait de
réunir, était un outil des plus vulgaires, un
tarière.
En démontant le manche, il avait pu le ca-
cher sous ses vêtements.
Voir le numéro du 22 novembre.
A Londres, où toutes les maisons sont de :
construction légère, les planches sont en boig
et n'ont pas grande épaisseur.
— Que faites-vous donc? demanda le rough,
qui vit l'homme gris s'agenouiller et appuyer sa
tarière sur le plancher. '
— Tu le vois, je perce un trou. *f
— Pourquoi faire? 4 -
— Pour voir ce qui se passe en bas. ' ' •
Et, en effet, la tarière mordit le bois- et s'en-
fonça sans bruit et lentement dans le plancher.
Ce fut l'affaire de quelques minutes.
Au bout de ce tomps, le plancher était à
jour. - ■
Alors l'homme gris retira sa tarière et 'cam-
manda à John de souffler la chandelle. -
La pièce de dessous, le laboratoire, était plongée
da.ns l'obscurité ;- mais un filet de lumière qui
passait sous la porte de la pièce voisine et venait
mourir sur le parquet, juste au-dessous du trou
percé par l'homme gris, attestait que Calcrnff ne
dormait pas.
L'homme gris, qui s'était couché à plat-ventre
pour appliquer son œil au trou, vit ce filet de
lumière et, se relevant il dit:
— Calcraff ne dort pas encore, il faut attendre.
— Je ne vois pas trop pourquoi vous avez
percé ce trou? fit le rough. Il est trop petit pour
v passer autre chose que le doigt.
Oni;mais il est assez grand pour nous
servir de judas.
. — J.e comprends encore moins pourquoi vous
m'avez fait souffler la chandelle.
— C'est bien simple pourtant. Suppose que la
chandelle soit allumée.
— Bon!
— Que CdtcrafT sorte de sa chambre et vienne
dans son laboratoire.
— Eh bien?
— Et qu'il lève les yeux. La lumière nous
trahira en lui montrant le trou.
— Ah ! c'est juste, dit le rougi], je ne pensais
pas à cela.
— Maintenant, reprit l'homme gris à voix
basse, en-attendant qu'il éteigne sa lampe et
qu'il dorme, causons.
— Soit, dit le rough à voix basse.
— Lord Vilmot, Shoking,si tu l'aimes mieux,
est fort curieux de tout ce qui précède ou suit
une,exécution.
— Ah ! vraiment?
— Il donnerait beaucoup d'argent pour savoir
ce que fait CaleraIT ordinairement.
— Je puis vous le dire, moi, fit le rough.
— Eh bien ! va, je t'écoute.
— En temps ordinaire, c'est-à-dire quand sa
besogne chôme , c%lc.raff sa lève de bonne
heure
— Fort bien.
— Une vieille femme,qui lui sert de se: vante,
lui fait à déjeuner.
Il mange et s'en va.
— Sais -tu où?
— 11 se promène, tantôt dans 10s docks, tan
tôt dans les beaux quartiers au "West blJ, oi
il est moins connu dé vue et où il n'a pas pou:
que les enfants le poursuivant en le huant.
Il lunche dans la première taverne venue, va
prendre son repas, du soir, tour, seul. un peu
partout, boit deux (JU trois chopes Ge biere et
rentre chez lui.
Jamais il ne parle à personne. 9
— Et lorsqu'fl a tivie exécution à nire?
— Alors ses habitudes sont lUI peu chan-
r* '«a
O
— Comment cela?
.— La veille au matin, .JljlTorio;;, son valet, ar-
rive au petit jour, et Caicralf lai donne *es
ordres.
C'est JefTeries qui »'occupe (13 faire dresser
l'échafaud pendant la nuit; c'est lui qui emporte
la corde et le bonnet noir. Calci afl ne touche à
rien jusqu'au dernier y.oment.
Il passe la journée hors de chez lui. conime à
l'ordinaire, mais les gens qui l'ont vu l'lineller
assurent qu'il ne boit que de l'eau.
Au lieu de rentrer tarq.. com.va k l'ordinaire
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