Titre : Journal des débats politiques et littéraires
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1896-11-10
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Description : 10 novembre 1896 10 novembre 1896
Description : 1896/11/10 (Numéro 314). 1896/11/10 (Numéro 314).
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
314
TL.e~n.-Hjm.~ro: '10 G~BL-<2hm.~s' à- FATHS, SETF~E etS~Tr~E-ETP-CMSE I~~FÂ~E~TEiMTÉT~TTS: i5 ceni~tné~ I~TMunéro
108* AMNEE
mRD!10 NOVEMBRE
1896
11 MARM 10 NOVEMBRE
1896
DIRECTION ET ADMINISTRATION
i7, Rae des Prêtres-Saint-6ermain-Auxem)is, 4?
PRIX DE L'ABONNEMENT
TROIS MOIS SIX MOIS CM AN
Paris, Seine et Seme-et-Oise.. 10 fr. 30 fr. 40 fr.
Dëpart" et Alsace-Lorraine.. 13,50 ZSfr. SOfr.
Union postale. 16 fr. 33 fr. e4 f&
POLITIQU~S ET 1 LITTLRAIRES
ADRESSE TÉLÉGRAPHIQ.UE:
DÉBATS-PARtS
ÏLes amoMtces et réclames somt repnes difecte-
et 8, ptace de F0péra<
Om s'ttbomne à Paris thms ncs bnreaax cî
S. HjACE BE DOPERA en pro~nee et & t etras)!
ger d&
SOMMAIRE
BULLETIN.– Z'e7ee~!OH ~.Bor~MMa'.
ASSOCIATIONS UNIVERSITAIRES. A. Albert-Petit.
Au JOUR T.E JOUR. ~e moKumen~ de Watteau.
Andrë Michct
A L'ÉTRANGER. .Z.M 7 LETTRE DE MADAGASCAR.
L'EXPEDITION NANSEN.
AU PAYS DES NAUFRAGES. A. Le Braz.
BRiGANDEs. André Ciodard.
BULLETIN
L'ÉLECTION DE BORDEAUX
L'élection législative de Bordeaux, pour le
remplacement de M. le députe Labat, n'a pas
donné, hier, de résultats définitifs: il y a
ballottage. Des trois concurrents, c'est M. Al-
bert Decrais qui arrive en tête, avec 4,781 'voix;
vient ensuite M. 'Ferret, radical-socialiste, qui
a réuni 3,471 suSrages, et enfin M. Albert
Chiche, ancien députe boulang-iste~ qui en a
obtenu 2,340. Ce qui peut donner quelques in-
quiétudes sur le succès final de M. Decrais,
c'est' que ses deux adversaires ont échangé,
avant le premier tour de scrutin, de bonnes
paroles en vue du second, et se sont promis
aide et assistance. Cet accord et cette fusion
du boulangisme, du radicalisme et du so-
cialisme n'est pas un fait nouveau. On en
voit a la Chambre même une application
très caractéristique. Les noms de M. Caste-
lin, de M. Bourgeois, de M. Jaurès, sont dés-
ormais confondus, comme le furent, il y a quel-
ques années, ceux du général Boulanger et de
M. Clemenceau. Le pacte qui a été conclu à
Bordeaux n'a donc pas de quoi nous surpren-
dre. S'il est ftdélement exécuté, les voix réunies
de l'ex-député boulangiste et du radical-socia-
liste doivent donner la majorité à ce dernier, à.
raisonner du moins, sur les chiffres du pre-
mier scrutin.
Mais avant de s'arrêter à un pronostic si
fâcheux et, on peut bien le dire, si peu flatteur
pour l'amour-propre de la ville de Bordeaux, il
convient de tenir compte d'un élément qui peut
modifier complètement ces calculs. Sur 20,327
électeurs inscrits, dans la 1'~ circonscription de
Bordeaux, 10,719 seulement ont pris part au
scrutin d'hier. Il n'est pas téméraire d& suppo
ser que la très grande majorité, de ces 10,000
abstentionnistes ne professent pas des opinions
radicales et socialistes. Les radicaux, les socia-
listes ne sont pas naturellement portés à l'ab-
stention. On peut affirmer qu'à Bordeaux,
comme ailleurs, ce sont les électeurs d'une opi-
nion tout opposée qui s'abstiennent, les uns
par indifférence et nonchalance, les autres pour
d'autres motifs. 1
Entre le chiffre des voix attribuées à M. Al- r
bert Decrais et le total de celles que les deux!
concurrents ont obtenues, il n'y a qu'un écart t
d'un millier de voix. Il suffirait donc d'un très ¡'
léger effort pour assurer le succès du candidat
qui représenté les idées d'ordre et de gouver-
nement. Est-ce trop présumer de. l'activité et
du bon sens des abstentionnistes d'hier que de
croire qu'il s'en trouvera dans quinze jours un
nombre suffisant qui secoueront leur torpeur l,
ou leur mauvaise humeur et prendront la peine
de barrer le chemin au candidat, radical-socia-
liste ? Ces abstentionnistes, déserteurs de la
utte au moment ou la neutralité est une lâ-
cheté bu une sottise, ces abstentionnistes nous
étonnent et leur flegme nous confond. Dix
mille abstentions dans une circonscription
d'une ville telle que Bordeaux, et dans une
élection où le socialisme et la défense
sociale sont aux prises, c'est un signe des
temps et d'un état d'esprit dont les socialistes
et toutes les factions révolutionnaires avec eux
ont le droit de se réjouir. II est évident que la
conquête des pouvoirs publics avec toutes ses
conséquences se présentent à eux dans des 1
conditions exceptionnellement favorables, si'; l
FEUILLETON RU JOURNAL DES DÉBATS
du 10 HovemtM-e ~886
m PAYS DES NAUFBMES
Dans une note que toutes les feuilles de nos
départements côtiers ont été unanimes à repro-
duire, le Jb!quelques jours, sous une forme discrète, un
appel ému à la charité publique en faveur des
malheureuses familles si cruellement éprou-
vées.par les sinistres maritimes de ces derniers
temps. Sur aucun point du littoral les « vic-
times de la mer H n'ont été plus nombreuses
qu'au Guilvinec. Le même jour, dans le même
coup de tempête, après une lutte désespérée et
d'un caractère singulièrement tragique, six bar-
ques disparaissaient, entraînant dans l'abîme
une cinquantaine d'hommes dont on recueille
présentement les débris épars, le long de tout le
rivage atlantique,jusqu'aufond du gotfe deGas-
cogne. KNe pleurez pas les morts delà mer, dit un
adage breton, mais honorez leurs femmes et
ayez en compassion leurs petits.)' Veuves et
orphelins ont reçu du ministère de la marine
un premier secours, hélas t bien précaire et
qu'en vertu d'une bizarre pratique administra-
tive ils ont dû venir chercher a. Quimper, au
chef-lieu du commissariat. On les a pu voir
stationner par.~roupes sombres, sous la pluie,
à la porte des bureaux, ayant fait à pied la plu-
part sept ou huit lieues pour toucher cette triste
aumône. Peut-être eût-il été plus décent de la
leur distribuer à domicile: on leur eût évité
les fatigues et les frais d'un voyage qu'ils
n'étaient guère, moralement ni matérielle-
ment, en état d'accomplir. Fort heureuse-
ment, le préfet du Finistère s'y est pris d'au-
tre façon pour répartir entre ces pauvres
gens les sommes qu'il avait mission de leur
remettre, tant de la part de M?° Furtado-Heine
que de la part du Président de !a RépuDiique.
Reproduction interdite.
l'abstention de ceux qui auraient le plus d'in-
térêt (sans parler du devoir) à. leur résister
leur laisse le champ libre, si les hommes qui se
portent courageusement en avant pour les com-
battre sont abandonnés par ceux-là.'mêmes
dont ils soutiennent là cause. S'il plaît aux
abstentionnistes bordelais, pour la plupart
honnêtes et paisibles citoyens sans doute, et
ennemis des révolutions, attachés à beaucoup
de choses qui en ce moment s'ébranlent, d'as-
sister en spectateurs indifférents et inertes à
la préparation des événements dont ils seront
les premières victimes si l'abstention, dans
ces circonstances critiques, leur semble être
une attitude commode ou une farce spirituelle,
ils sont libres de rester chez eux dans quinze
jours, et de laisser la victoire au candidat radi-
cal et socialiste. Mais nous persistons à croire,
jusqu'à preuve contraire, qu'une grande cité
comme Bordeaux renferme emore plus de
patriotisme et d'intelligence.
Une légende. –Quelques journaux continuent
à discuter sérieusement le récit fantaisiste d'après
lequel l'empereurd'Allemagne serait venu assister
incognito aux fêtes données a Paris en l'honneur du
tsar. L'invraisemblance absolue d'une pareille esca-
pade éclate & tous les yeux; mais c'est précisément
ce qui rend l'histoire piquante et la fait accepter
comme exacte par un certain nombre de bonnes
âmes, crédules et .éprises du merveilleux. Ne leur
dites pas que Guillaume H était tranquillement a
Hubertusstock, qu'il a. expédié, de cette résidence, des
télégrammes adressés au tsar, qu'il aurait certaine-
ment été reconnu s'iF s'était mêlé à l'assistance dans
la galerie des Glaces de Versailles ou dans une tri-
bune de Châlons ce sont des raisonnements, et a.
quoi sert de raisonner avec des gens qui ont le goût
des choses romanesques, et qui ont vu, dans les
œuvres de Gaboriau ou de Boisgobey, des K alibis o
organisés avec beaucoup plus d'habilité encore qu'il
n'en aurait faim a l'empereur d'Allemagne pour dis-
simulerun voyage à.Paris? La légende estabsarde
ce n'est pas une raison pour qu'elle ne soit pas tenace
et pour qu'elle ne unisse pas, au bout de quelques
siècles, par entrer dans l'histoire. Elle en a bien ac-
cueilli d'autres, qui n'étaient pas plus sensées.
Les vitesses en mer. Les Anglais ont sur
chantier un contre-torpilleur, l'~a'prcM, qui doit filer
33 nœuds, soit un peu p!us de 61 kilomètres à l'heure.
A cette vitesse, la traversée de Calais à Douvres ne
serait que d'une quarantaine de minutes; celle de
Marseille aAIger.demoins de treize heures; on fran-
chirait l'océan Atlantique, de Brest à. New-York, en
moins de quatre jours. Nos voisins d'outre-Manche
cherchent.~ nous enlever la.. première phice dansie
record des contre-torpiUeurs. On sait que nous la dé-
tenons depuis un an avec le 7''0!'6an qui a filé un peu
plus de 31 nœuds et que les contre-torpilleurs an-
glais de récente construction ne sont pas parvenus à
l'égaler, maigre qn'ils soient d'un tonnage beaucoup
plus considérable.
Mais tes.vitesses voisines de 30 nœuds sont excep-
tionnelles, môme dans les Hottes do guerre, et jusqu'à
présent elles sont si' coûteuses que la navigation
commerciale ne songe pas a les aborder..Sur l&s li-
gnes de paquebots les plus rapides, on ne dépasse
guère 20 nœuds et les Compagnies transatlantiques
qui mettent en ligne des navires de cette catégorie
sontloinde faire toutes de brillantes affaires.Les arma-
teurs disent volontiers que" la vitesse ne paye pas ):,et
cela parce qu'elle ne s'acquiert qu'avec de puissantes
machines très encombrantes et au prix d'une énorme
consommation do charbon. Aussi les paquebots a
passagers affectes au service des pays lointains, tels
que le Brésil, l'Afrique australe, l'Austra)ie, l'Extrême
Orient, se contentent-ils de vitesses économiques et
ne dépassent-ils pas 16 nœuds. Quant au cargo-boat,
le roulier des mors, il est moins ambitieux encore
c'est à l'allure moyenne de 10 nœuds qu'il eGectue
ses traversées.
Dans son rapport très documente sur le budget du
ministère du commerce, M. Charles-Roux met en
relief la mauvaise situation de notre marine mar-
chande, et, en ce qui concerne la grande ligne posta'e
du Havre a New-York, -il démontre que, si nous ne
faisons un eS'ort, noua succomberons sous les coups
de nos rivaux.-Nous ne mettons en ligne qu'un navire
de 18 nœuds 1/2, tandis que les Anglais, les Amér'
cains et. tes Allemands ont plusieurs navires de 1U a
20 noeuds, navires que la clientèle prend de ~pré-
férence parce qu'ils restent moins longtemps à ia
mer que les paquebots français. Il n'y a d'ailleurs
que dans la direction Dieppe-Newhaven que le
pavillon français couvre des bâtiments de con-
struction française, réalisant des-vitesses de 20
nœuds. Sur la route dé France en Algérie, nous che-
Mieux inspiré ou moins esclave du préjugé
administratif, au lieu de les faire venir à lui, il
a préféra se rendre chez eux. C'est un genre de
politesse auqueHes humbles ne sont pas accou-
tumes ils n'en sentent que. mieux le prix.
J'assistais à cette visite préfectorale et j'en ai
retenu une impression que je voudrais consi-
gner ici, avec le secret espoir, je l'avoue, qu'elle
attendrira le lecteur et !e fera compatir effica-
cement a la plus complète, à la plus vaste, à la
plus navrante des infortunes.
Je ne pense pas qu'il y ait une époque dans
l'année où la route qui mené vers le Guilvinec
présente à l'œil un aspect réjouissant. Sitôt
franchies les plantureuses collines qui bordent
adroite la rivière salée de Quimper, on entre
dans un pays sévère aux longs etpâles horizons
fuyants. On roule jusqu'à Pont-Labbésurun
plateau désert, creuse de dépressions peu pro-
fondes où s'étalent, entre des berges de ro-
seaux, des marais tristes. Pas un village, pas
même un hameau sur le parcours. Rien qu'une
auberge isolée, avec cette enseigne étrange:
A ~t~H~e. La grosse bourgade de Pont-
Labbé met, seule, un semblant dévie dans
ces grandes étendues muettes. Elle groupe
ses maisons autour d'une minoterie moderne
et d'un ancien donjon féodal dont les ombres se
rejoignent, mirées dans les eaux d'un étang.
C'est la capitale d~s J9~'oM~m qui forment,
dans cette région de 1'r~o~' cornouaillais, un
îlot de population à part, race mystérieuse,
dit-on, lourde d'allures, sobre de gestes, en-
goncée dans des costumes massifs et presque
hiératiques où courent de somptueux dessins,
des chamarrures éclatantes. L'industrie des
brodeurs bretons y est encore prospère et l'on
y peut voir, derrière les vitres, des hommes
accroupis marier sur des -étoffes rigides des
soies de toutes les couleurs, en observant scru-
puleusement les règles d'un art primitif et tra-
ditionnel. Au sortir de la ville, le paysage de
nouveau s'assombrit, reprend sa monotonie
vaste, son air de steppe immense, déroulé, à
perte de vue, sans une saillie de terrain, sem-
blable en sa morne platitude à une mer de
broussailles que n'égayé même pas, l'automne
venu, la pourpre fanée des bruyères ou la
chaude teinte vieil or des haies d'ajoncs. Les
bois de pins qui pronient sur les lointains leur
ligne d'un bleu noir aggravent la mélancolie
de cette solitude en l'exprimant à leur façon
minons tout doucement, avec des vitesses honnêtes;
ilestvraique,dece côté, nous n'avons pas à redouter
de concurrence, ce genre de navigation étant réservé
à nos bâtiments et, pour cette raison, nos 'armateurs
ne font aucun eHbrt pour améliorer les communica-
tions entre la métropole et sa grande colonie afri-
caine.
ASSOCIATIONS UNIVERSITAIRES
M. Mirman va interpeller le ministre de l'in-
struction publique, entre autres choses, sur
l'intention qu'on lui prête de refuser son appro-
bation à l'Association générale des professeurs
de l'enseignement secondaire, en formation de-
puis le commencement de l'année. M. Mirman
s'appuiera sur l'autorisation accordée, dans des
circonstances analogues, à l'Association des
maîtres répétiteurs, pour enfermer M. Ram-
baud dans un dilemme facile prévoir. Ou bien
les Associations de membres de l'enseignement
ont une action fâcheuse sur l'organisme uni-
versitaire, et alors il n'en faut tolérer aucune;
ou bien ces Associations n'ont pas d'inconvé-
nient, et alors il faut les autoriser toutes. Il
serait illogique qu'il y eût, en pareille matière,
deux poids etdeux mesures, et une différence
de traitement au préjudice des professeurs
serait particulièrement injustifiable.
M. Mirman tient d'ailleurs pour acquis au dé-
bat que l'Association des répétiteurs a fait ses
preuves de sagesse et qu'elle s'est montrée di-
gne des encouragements dont elle a été l'objet.
H faut croire que M. Mirman ne lit jamais la
~e/b?'~e Mn~M'e, organe bi-mensuel des
répétiteurs, dont les polémiques brillent par la
vigueur plus que par la politesse. Mais, du
moins, il assistait au banquet annuel de la cor-
porationqui a eu lieu, la semaine dernière, sous
le patronage de M. Bazille et de quelques autres
radicaux ou socialistes de bonne marque. Il a
donc eu le plaisir d'entendre le président
de l'Association exprimer officiellement les
vues de ses collègues sur les améliora-
tions qu'il conviendrait d'introduire dans le
régime des lycées et collèges. Il a pu con-
stater que la réforme qui tient le plus au
cœur de ces éducateurs fin de siècle, c'est d'ob-
tenir vingt-quatre heures de liberté par se-
maine « pour faire un accroc hebdomadaire à
ce vœu de chasteté qu'on leur impose, –oA
pMe~W et auquel ils n'ont jamais souscrit. M.
Cette .revendication dépouillée d'artifice ouvre
des horizons éminemment suggestifs sur l'état
d'âme et le but pratique d'une Association dont
un certain nombre de professeurs de l'en-
seignement secondaire envient, dit-on, les
lauriers. Et on aime à se rappeler que ladite
Association a été fondée, aux termes de ses
statuts, pour « favoriser et faciliter les études »
de ceux qui en font partie. ~'I'
Nous n'ignorons pas qu'on peut attendre des
professeurs plus de discrétion et de bon goût.
Nous admettons volontiers que leur Associa-
tion poursuivrait un idéal d'un caractère plus
élevé que celui dont les maîtres répétiteurs se
déclarent actuellement épris. Mais ce ne sont
pas toujours les membres les plus pondérés et
les plus qualifiés qui sont à la tête d'une Asso-
ciation, même quand ils en forment incontesta-
blement la majorité. Il arrive plutôt, au con-
traire, que, par modestie ou par lassitude, ils
codent la place à des personnages encombrants,
dont le principal titre est de se mettre sans
cesse en avant et qui finissent par se faire croire
indispensables à force de le croire eux-mêmes.
Il ne manque pas certes, en dépit des apparen-
ces, de maîtres répétiteurs sincèrement attachés
a leurs devoirs et qui s'en acquittent en toute
conscience, sans mettre l'univers au courant de
ceux de leurs besoins qui n'ont rien d'intellectuel.
Ceux-là ne font pas beaucoup de bruit et ne.
posent pas pour la galerie, mais ils laissent
malheureusement à d'autres l'honneur de par-
ler en leur nom et ils se trouvent compromis un
beau jour sans l'avoir su ni voulu. C'est le sort
des modérés de fonder ainsi des OEuvres dont la
direction passe peu à peu en d'autres mains.
L'Association des répétiteurs a été autrefois,
par faiblesse ou par imprévoyance, encouragée
par une foule d'hommes politiques, qui doivent
dans leur plainte douce d'arbres résignés, voués
à un éternel gémissement.
Nous fîmes ce trajet par un pluvieux diman-
che d'octobre, sous un ciel bas, ouaté de nua-
ges d'un gris plombé, traînant presque à fleur
de so!. L'idée du spectacle qui nous attendait
au terme de notre course n'était évidemment
pas pour nous prédisposer à des images sou-
riantes. Mais, n'aurions-nous pas eu ce motif
d'être peu enclins a la joie, que nos âmes eus-
sent néanmoins subi, malgré nous, l'espèce de
suggestion solennelle émanée de ces campa-
gnes désertes sur qui planait la paix domini-
cale et que baignait une lumière oblique, comme
renvoyée par les miroirs, encore invisibles, de
la mer. Dirai-je que les incidents de la route
n'eurent pas précisément pour effet d'en atté-
nuer la tristesse? Comme nous venions de tra-
verser Plomeur, un village composé surtout
d'un cimetière où des paysans attendaient
l'heure de vêpres, assis sur les tombes, notre
voiture dut se ranger contre la douve pour lais-
ser passer un pauvre convoi, funéraire qui s'a-
vançait, précédé d'un prêtre, en surplis, aa
bruit tintinnabulant des clochettes suspendues
aux lourdes croix de cuivre. Le cercuei),
recouvert d'un drap trop court qui n'ar-
rivait pas a joindre les deux extrémités, re-
posait dans un de ces chariots à claire-voie
qu'on ne rencontre plus guère qu'en Bretagne
et qui ont la forme d'une carène de barque por-
tée sur un essieu. Un bidet de la côte, de ceux
qu'on emploie au transport de la sardine, trai-
nait le véhicule, témoignant que le corps qui
s'en allait-ainsi vers sa dernière demeure était
celui d'un marin, pour les obsèques d'un «ter-
rien », on eût attelé des bœufs de labour. Dans
ladésolation de cepays plat,où le noir des
tourbières faisait comme des taches de gan-
grené, ces funérailles silencieuses, les hommes
tête nue sous la pluie, les femmes encapuchon-
nées, nous serrèrent le cœur d'un émoi. sou-
dain et rembrunirent encore nos pensées du-
rant les deux ou trois lieues de.pla.me qu'il
nous restai ta franchir.
A tout momentsurgissaient, aux deux flancs
du chemin, des croix monolithes, d'aspect bar-
bare, taillées à même dans des menhirs désaf-
fectés. Et l'on en voyait d'autres, en pleins'
champs, érigeant le symbole du christianisme
sur des sépultures d'avant l'histoire. Puis des
moulins à vent apparurent alignés sur l'hori-
être bien surpris aujourd'hui de se voir accolés
à MM. Viviani, Jaurès ou .Mirman sur la liste
des membres honoraires. Rien d'instructif à cet
égard comme de relever, année par année, les
noms de ceux qui.ont assiste au banquet depuis
sa fondation. Des convives de ta première
heure la plupart s'abstiennent à présent, ce qui
prouve en quelle estime ils tiennent l'OEuvre à
laquelle ils ont inconsciemment collaboré. Ils
sont remplacés par de nouveaux venus qui n'é-
taient pas invités il y a dix ans. L'Association
a changé de caractère. Je ne dis pas qu'elle y
ait gagné.
Une évolution analogue se produirait fatale-
ment dans l'Association des professeurs. Elle
se présente aujourd'hui au baptême ministé-
riel sous des apparences bénignes; elle ne de-
mande qu'un minimum de « libertés raisonna-
bles )', c'est-à-dire le droit pour les syndiqués
de « faire entendre leurs doléances et de se
concerterenvue de leurs intérêts corporatifs ».
Ce programme modeste, encore que d'un va-
gue qui ouvre la porte à toutes les surprises,
ne cache sans doute aucune arrière-pensée
mais il est bon de se rappeler que les
maîtres répétiteurs, au début, :se montraient
encore moins exigeants. Il y a des ma-
nières fâcheuses d'exprimer ses doléances;
il y a même des doléances qu'il vaut mieux ne
pas exprimer du tout. Le corps enseignant ris-
que de perdre de sa considération à importuner
le public du récit de ses griefs professionnels.
Les familles qui s'adressent aux lycées aiment
à croire que ces graves et discrètes maisons
sont des asiles de paix et de concorde où l'on
ne se préoccupe que de donner à leurs enfants
une bonne éducation. Elles voient d'un œil dé-
fiant toutes ces Ligues de répétiteurs, de pro-
fesseurs, qui donnent aux établissements de
l'Etat un faux air d'usines ravagées par les
Syndicats. Les ennemis ou les concurrents de
l'Université ne se font pas faute déjà d'exploiter
ce sentiment d'inquiétude ils s'entendent à
merveille à utiliser les écarts de langage de la
~e/b?'Mtc universitaire, dont ils sont les plus >s
fidèles abonnés. Peut-être est-il superflu de
leur fournir de nouvelles armes, à l'heure où
le recensement de la population scolaire de nos
lycées accuse, au moins en ce qui touche les
internes, et non pas seulement en province,
un recul significatif.
On objectera qu'il s'agit avant tout de fonder
une Société de secours mutuels, destinée à
compléter ou à suppléer les retraites servies
par l'Etat. Personne,assurément, ne s'offusque-
rait de voir les professeurs préoccupés d'assu-
rer à leurs familles une garantie de plus contre
les risques de la maladie ou de la mort. L'As-
sociation projetée pourrait, sur ce terrain, ren-
dre de réels services, môme à supposer qu'on
s'en exagère un peu l'importance. Mais ceux
qui en ont jeté les bases ont de plus vastes am-
bitions, sur lesquelles le comité centrai provi-
soire qui siège a. Bordeaux évite de s'expliquer
nettement, mais dont il est facile de trouver la
trace dans les circulaires de bon nombre de
comités locaux. L'appel du lycée de Caen, par
exemple, s'exprime sans ambages « Sur le but
et le principe même de l'Association, il est né-
cessaire de faire disparaître toute équivoque.
L'assistance mutuelle ne peut être ici que l'ac-
ce~oM'e, et comme la base légale de notre
Association. Sous peine de disséminer inutile-
ment ses ressources et ses forces, de -s'écarter
de son but, de faire double emploi avec tant
d'Associations plus riches à la fois et plus res-
treintes, elle doit reposer sur l'idée de la soli-
darité morale entre collègues beaucoup plus
que sur la solidarité matérielle. E!, nous vous
invitons à affirmer nettement vos intentions
sur ce point, » Certains collèges sont encore
plus explicites. C'est, croyons-nous, après
avoir pris connaissance de quelques docu-
ments, de ce genre, que la section permanente
du Conseil supérieur a émis un avis défavora-
ble au projet d'Association. Et c'est pour la
même raison que la plupart des lycées de Paris
continuent de faire grise mine aux invites qui
leur sont prodiguées. Les'statistiques les plus
complaisantes comptent actuellement i75 éta-
blissements syndiqués. Elles négligent, il est
vrai, d'indiquer le nombre de professeurs qui
!zon, pareils eux aussi, avec leurs ailes au
repos, à des calvaires gigantesques aux fûts
disproportionnés. Et, enfin, une raie de vif
argent balafra le ciel; des profils de maisons
semées sans ordre saillirent en noir sur ce fond
miroitant. Nous entrions au Guilvinec. Par-
tout, au seuil des logis, des filets couleur de
tan étendus à sécher sur des poteaux; dans
l'air, une odeur forte, ce relent particulier aux
cités de la sardine. M. Gaston Deschamps, lors
de son récent pèlerinage à Douarnenez, a tracé
de ces villes improvisées, dont le sort est a la
merci des hasards de la pêche', un tableau mer-
veilleusement coloré qui en donne l'image a. la
fois la plus pittoresque et la plus juste. Il y a
trente ans, le Guilvinec n'était qu'un misérable
havre où dormaient les trois quarts du temps,
renversés sur le sable, une demi-douzaine d'es-
quifs trop sommairement gréés pour affronter
les risques du large. C'est aujourd'hui une ville
de la mer, avec ses phares, ses quais, ses mô-
les, son peuple d'usiniers, de mareyeurs, de
marins, et sa flottille, hier encore si florissante,
de quelque quarante gabares solidement équi-
pées.
Une des premières maisons que l'on rencon-
tre est la mairie. Près du seu:! se tenait le
maire, un Breton trapu, à figure rase~ les traits
énergiques, les yeux clairs et doux, coiffé du
béret et vêtu de la vareuse bleu sombre des
marins endimanchés.
–Les mères et les veuves sont là, dit-il au
préfet en poussant la porte de la salle dos
séances.
J'éprouvai, quant moi, en pénétrant dans
cette pièce, une sorte de frisson religieux.
Elles étaient là, en-effet, rangées sur des bancs,
le long de la muraille, sans rien de théâtral,
d'ailleurs, dans leur attitude, assises sagement
comme à la messe, avec un air de tristesse
calme, denavrëment résigné. Toutes portaient
le costume Z~oM~en~, l'étroit bonnet à formes
de mître, en toile empesée brodée de dessins
jaunes, les oreillettes noires nouées d'un large
ruban sous le menton, le corsage épais et
massif ainsi qu'une cuirasse et la triple jupe
aux rebords superposés. Nul changement dans
leur vêture habituelle, si ce n'est qu'elles en
avaient arraché les chamarrures de soies
voyantes et les avaient remplacées par de mo-.
destes galons de velours. Nulle marque de
douleur non plus sur leur visage, sauf la muette
composent chaque groupe; elles négligent
également ce détail symptomatiqueque !e lycée
de Lyon s'est détaché de la Fédération, après
y avoir d'abord adhéré. Le Comité central a
beau « faire ses réserves sur la manière dont
on a parfois plaidé la cause de l'Association'),
il n'a pas le droit de désavouer les amis im-
prudents dont il trouve la franchise intem-
pestive. Il n'a aucun moyen d'échapper aux
solidarités compromettantes des adhérents
d'avant-garde, et il en aurait encore moins le
moyen, et peut-être le désir, du jour où
l'Association serait dénnitivement constituée.
Les timides réserves formulées aujourd'hui ne
sont que des précautions oratoires, destinées a.
rester des précautions inutiles.
Et c'est pourquoi il nous paraît difficile de
croire que l'Association des professeurs de
l'enseignement secondaire, si sympathiques
que puissent être les intérêts dont elle se ré-
clame, soit à la veille d'être autorisée. Le meil-
leur argument qu'on invoque en sa faveur,
c'est le précédent créé à l'avantage des répéti-
teurs. Mais c'est; un argument à deux tran-
chants. L'Association des répétiteurs n'a pas
fait de la liberté qui lui a été accordée un usage
assez heureux pour qu'il y ait lieu de réitérer
l'expérience. Elle n'a montré ni le tact ni la dis-
crétion .sur lesquels on avait cru pouvoir comp-
ter. La ligne de conduite qu'elle a suivie prouve
qu'on a eu tort naguère de l'autoriser et qu'on
aurait tort aujourd'hui, un tort moins excu-
sable encore, de lui donner un pendant. La
seule façon de sortir du dilemme qui se pose,
ce n'est pas d'autoriser une seconde Associa-
tion des fonctionnaires de l'enseignement, c'est
de dissoudre celle qui existe déjà.
A. ALBERT-PETIT.
AU JOUR LE JOUR
LE MONUMENT DE WATTBAU
La chose fut exquise et fort bien ordonnée. ·
et nous devons de grands remerciements au co-
mité Watteau. IL était moral que, parmi tant
de statues vulgaires ou grotesques, un monument
fût consacré enfin à une gloire authentique et
bienfaisante; il était désirable que ce monu-
ment s'élevât près de ce palais du Luxembourg
où Watteau vint étudier, chez son patron Au-
dran, les deux maîtres qu'il adorait d'une égale
ferveur Rubens, dont il avait placé dans
sa chambre un tableau, « vers lequel, écri-
vait-il à Julienne, mes yeux ne se lassent pas
de se retourner, comme dessus un tabernacle)),
et la nature que les grands arbres voisins et la
splendeur des crépuscules révélaient à son âme
mélancolique, avide uniquement de solitude et de
musique. Ce monument ainsi placé, il fallait
lui donner le caractère d'un hommage discret
bien plus que d'une glorification tapageuse.
On l'a très bien compris. Pas de ces statues
insupportables comme .nous en avons trop, où
« le grand artiste )', la main sur le cœur et les
yeux au cieF, attend l'inspiration et pose pour les
badauds dans une, attitude académique; pas de
ces muses romaines sorties des ateliers où l'on a
trop longtemps asservi l'âme et l'imagination
françaises. Rien qu'un buste, dont Watteau lui-
même nous a laissé le modèle, et une sou-
brette, drapée à sa façon, qui lui oflre des fleurs.
L'etain et le marbre s'y associent finement, dans
un arrangement d'architecture très simple et très
heureux. MM. Gaucquié et H. Guillaume ont été
bien inspirés. Il importait enfin que la céré-
monie d'inauguration fût, autant que possible,
exempte de la banalité traditionnelle. Les dis-
cours, inévitables, ont été parfaits. M. Ca-
rolus Duran a parlé, discrètement et très bien
M. le ministre des beaux-arts a écrit sur An-
toine Watteau une page de critique et d'his-
toire excellente. La musique 'des vers et celle,
plus charmante encore, des harpes, des man-
dolines, des violons et des Sûtes a complété
et couronné la fête. Et quand, au son voilé des
instruments et des voix, M"° Wyns est venue,
d'un geste exquis. de grâce et de tendresse, ré-
pandre, au pied du monument, une gerbe de
fleurs automnales, une rumeur lointaine d'apo-
théose, intime, émue et comme fraternelle, a dû
monter et être douco à l'âme de Watteau.
supplication qu'on pouvait lire dans leurs re-
gardsde bêtes battues. Elles attendaient, immo-
biles, les mains croisées dans leurs manches ou
jointes sur leurs genoux, que commençat la
lecture du palmarès funèbre. L'appel se fit, ba-
teau par bateau. Le secrétaire de mairie jetait
les noms, dans le lugubre silence, en français
d'abord, puis en breton, pour être sûr d'êtie
mieux compris.
–Approchez, celles de la F<~o~e-disait-il. Approchez, celles du Saint-Coren-
Ce fut un dénie poignant. Les femmes s'a-
vançaient à tour de rôle, aïeules vieilles et
cassées, veuves de tout âge, quelques-unes sur
!e point d'être mères. Biles tendaient la main
du même geste tranquille, murmuraient a. voix
basse un timide remerciement, parfois en es-
suyant une larme, et, revenues a. leur banc, re-
prenaient leur immobilité passive, cette ex-
pression de fatalisme craintif et doux qui est
peut-être le trait le plus profond du caractère
de leur race. J'en comptai dix-neuf, mais d'au-
cunes manquaient au rendez-vous, retenues
par les obsèques de l'une d'elles.
Justement, voici l'enterrement qui arrive,
Ht observer le. maire.
Nous perçûmes le tintement des sonnailles
mortuaires; puis la bière se montra sous les fe-
nêtres, portée à. bras par des femmes.
Trois des embarcations englouties relevaient
du hameau de Leschiagat, un faubourg mari-
time qui n'est séparé du Guilvinec que par un
arriëre-port, large seulement d'une ou deux en-
cablures, mais qui se rattache à Treffiagat, la
commune limitrophe. Un canot nous mit sur
l'autre rive. C'était l'heure de l'appareillage
pour les bateaux qui se livrent à la pêche noc-
turne du merlus. Nous croisâmes, au cours de
la traversée, plusieurs d'entre eux qui s'ébran-
laient; leurs hautes voilures, en passant, proje-
tèrent sur nous leur ombre; debout contre le
plat-bord, les hommes de l'équipage se retour-
nèrent pour nous saluer et, à Jes regarder s'é-
loigner avec leur belle insouciance d'aventu-
riers de la mer, on ne pouvait se défendre de
songer aux autres, à ceux qui partirent un soir
de septembre de ce même havre et qui n'étaient
point revenus. A Leschiagat, les femmbs
avaient été convoquées à. la maison d'école.
Nous les trouvâmes, au nombre d'une vingtaine,
installées dans les bancs de la classe quelques-
M. Rambaud a fait espérer que nous verrions,
en i()oo, l'œuvre complet du maître, pour une
fois réuni. C'est un vœu que notre ami André
Hallays a exprimé autrefois ici même et dont la
réalisation serait assurément le plus délicat hom-
mage qu'on pût rendre au grand artiste, en même
temps que le plus utile service à l'histoire de l'art.
Nous en prenons acte avec une vive reconnais-
sance. En ajouterai-je un autre, moins important
d'ailleurs? Watteau s'était fait de la forêt de
Montmorency, où l'attiraient souvent l'amitié de
Crozat et plus encore son humeur mélancoli-
que, un lieu de promenade et de retraite pré-
féré. Si le comité qui vient de nous donner le
joli monument du Luxembourg avait quelque
fonds de reste, il conviendrait de rappeler,
fût-ce par une simple inscription à l'entrée de la
forêt, qu'un grand peintre, un grand paysagiste,
vint chercher là quelques-unes de ses inspira-
tions. A défaut du comité, la municipalité de
Montmorency, que je sais intelligente, pourrait
peut-être y pourvoir.
Ce côté du talent de Watteau ne doit pas être
laissé dans l'ombre. Un des premiers tableaux de
Turner représente W~~MM ~K~ et témoigne e
de l'influence qu'eurent sur Gainsborough et les
paysagistes anglais de-la seconde moitié du dix-hui-
tième.siècle'le séjour que le maître francais.fit
à Londresetles œuvres qu'il y laissa Remettons
partout en lumière et en hcmneur ce peintre et ce
poète, qui sentit si profondément à la fois la
grâce et l'élégance des formes fragiles et des joies
éphémères, l'apaisement, la beauté et la grandeur
de l'immortelle nature.
ANDRE MiCHEL.
A L'ÉTRANGER
LES ITALIENS ET L'ETHIOPIE
Presque quotidiennement, les journaux enre-
gistrent d'inquiétantes rumeurs sur ce qui se
passe aux confins de l'Ethiopie et de la colpnie
italienne d'Erythrée. A croire quelques-uns
d'entre eux, on serait à la veille d'une reprise
des hostilités. Rien ne paraît, cependant, justi-
fier tant de pessimisme. Si Menelick n'a accordé
à Mgr Macaire, l'envoyé du Pape, que la liberté
de deux des prisonniers pour lesquels il venait
intercéder, alors que, quelques mois plus tôt,
cinquante avaient été relâchés en l'honneur du
couronnement du tsar, il n'en faut pas conclure
quelesdispositionsdunégus àl'égard de l'Italie
se soient altérées dans l'intervalle. Lesuccës des
Russes, contrastant avec l'inanité des efforts da
l'envoyé pontifical, montre qu'ils ont su déter-
miner les préférences du clergé éthiopien en
faveur de l'orthodoxie orientale, alors que l'or-
ganisation romaine lui inspire des défiances.
C'est un indice nouveau de l'extrême ha-
bileté des Russes & gagner l'esprit des
peuples à moitié civilisés, mais nullement
une preuve de la volonté de Menelick de ne
pas laisser aboutir les négociations de paix.
S'il garde jalousement ses 1,300 prisonniers,
c'est, au contraire, pour avoir un moyen d'ac-
tion de plus pour agir sur le gouvernement
italien et en obtenir des concessions. D'ailleurs,
le major Nerazzini, chargé d'aller négocier avec
le négus, a été de sa part l'objet d'une récep-
tion les plus flatteuses. Si ses instructions sont
suffisamment conciliantes, il n'y a pas de raison
de croire que nous n'apprendrons pas, d'ici à
quelques semaines, que sa mission s'est heu-
reusement terminée par la conclusion de la
paix.
Il est vrai que certains journaux italiens par-
lent beaucoup des mouvements des forces
éthiopiennes. Ils insistent sur la présence d'une
trentaine de mille soldats, avec le ras Mangas-
cia, dans le Tigré. A les croire, le gros des
forces choanes, en marche vers le Nord, aurait'
déjà atteint le lacAsciangui, etilfaut s'atten-
dre à les voir commenter avec inquiétude le
fait que le négus vient de convier ses ras
à venir conférer avec lui à Addis-Abeba. Mais
ces journaux oublient que la paix, qui règne
depuis six mois en fait, n'a jamais été confir-
mée en droit. Sans des circonstances météoro-
logiques exceptionnelles, la trêve nécessaire de
la saison des pluies aurait déjà pris fin, et les
opérations pourraient recommencer. Menelick,
unes avaient sur les bras des enfants encore à
la mamelle qu'elles durent bercer en chantant.
à mi-voix, pour les faire taire, tandis que le
maire de Treffiagat, un vieux paysan aux
longs cheveux celtiques, procédait à l'appel
des noms. Comme la cérémonie prenait fin, un
marin qui y avait assisté, front découvert,
rencogné dans l'embrasure d'une fenêtre,
m'aborda
–Et nous, me demanda-t-il, est-ce qu'on ne
fera rien pour nous?
C'était un des survivants de la catastrophe,
un de ceux qui furent recueillis par l'aviso le
CaM~a/K alors qu'ils finissaient presque de
sombrer, entraînés en dérive par la tempête à
plusieurs milles au sud de Groix. Il se mit à
me conter dans un jargon barbare, semi-bre-
ton, semi-français, les affres de cette nuit tra-
gique. Sept heures durant, ils luttèrent, lui et
ses compagnons du ~û76, parmi de monstrueu-
ses ténèbres, contre les éléments déchaînés.
Quand se leva l'aube blême sur le cahos sinis-
tre de la mer,' ils s'aperçurent que deux autres
barques, la voilure en lambeaux comme la
leur, fuyaient dans la direction qu'ils s'eubr-
çaient eux-mêmes de tenir. Ils parvinrent a.
s'en rapprocher, reconnurent les hommes qui
montaient la plus voisine. « Ohé! Le Corre! '< Il
crièrent-ils au patron. Mais le patron n'eut pas
le temps de*répondre un paquet d'eau crevait
sur lui ~et sur les siens. L'instant d'après, !a
mer avait fait place nette. La deuxième embar-
cation résista jusque vers midi, puis il en fut
d'elle comme de la précédente. '1
–Nous, du~076,concluaitl'homme, nous en
avons réchappé. Mais a. quoi sert de n'être point
mort, si l'on a perdu les moyens de vivre? Pour
sauver nos existences, nous avons dû sacrifier
nos filets. Ne nous aidera-t-on pas à les rem-
placer ? C'est qu'il n'y a pas que les veuves,
Monsieur!
Non, il n'y a pas que les veuves, et iln'y a
pas, hélas! que les infortunes du Guilvinec ou
de Leschiagat. De Douarnenez, de Belon, de
toute la côte méridionale de !'Armorique, à vrai
dire, voici que montent d'autres lamentations.
Chaque journée presque ajoute des naufrages
nouveaux au grand martyrologe delà mer. Ce
cri de misère, aussi vaste que les flots mêmes,
fasse le cielqu'U soit entendu! 1
A. LE BRAZ.
TL.e~n.-Hjm.~ro: '10 G~BL-<2hm.~s' à- FATHS, SETF~E etS~Tr~E-ETP-CMSE I~~FÂ~E~TEiMTÉT~TTS: i5 ceni~tné~ I~TMunéro
108* AMNEE
mRD!10 NOVEMBRE
1896
11 MARM 10 NOVEMBRE
1896
DIRECTION ET ADMINISTRATION
i7, Rae des Prêtres-Saint-6ermain-Auxem)is, 4?
PRIX DE L'ABONNEMENT
TROIS MOIS SIX MOIS CM AN
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Dëpart" et Alsace-Lorraine.. 13,50 ZSfr. SOfr.
Union postale. 16 fr. 33 fr. e4 f&
POLITIQU~S ET 1 LITTLRAIRES
ADRESSE TÉLÉGRAPHIQ.UE:
DÉBATS-PARtS
ÏLes amoMtces et réclames somt repnes difecte-
Om s'ttbomne à Paris thms ncs bnreaax cî
S. HjACE BE DOPERA en pro~nee et & t etras)!
ger d&
SOMMAIRE
BULLETIN.– Z'e7ee~!OH ~.Bor~MMa'.
ASSOCIATIONS UNIVERSITAIRES. A. Albert-Petit.
Au JOUR T.E JOUR. ~e moKumen~ de Watteau.
Andrë Michct
A L'ÉTRANGER. .Z.M 7
L'EXPEDITION NANSEN.
AU PAYS DES NAUFRAGES. A. Le Braz.
BRiGANDEs. André Ciodard.
BULLETIN
L'ÉLECTION DE BORDEAUX
L'élection législative de Bordeaux, pour le
remplacement de M. le députe Labat, n'a pas
donné, hier, de résultats définitifs: il y a
ballottage. Des trois concurrents, c'est M. Al-
bert Decrais qui arrive en tête, avec 4,781 'voix;
vient ensuite M. 'Ferret, radical-socialiste, qui
a réuni 3,471 suSrages, et enfin M. Albert
Chiche, ancien députe boulang-iste~ qui en a
obtenu 2,340. Ce qui peut donner quelques in-
quiétudes sur le succès final de M. Decrais,
c'est' que ses deux adversaires ont échangé,
avant le premier tour de scrutin, de bonnes
paroles en vue du second, et se sont promis
aide et assistance. Cet accord et cette fusion
du boulangisme, du radicalisme et du so-
cialisme n'est pas un fait nouveau. On en
voit a la Chambre même une application
très caractéristique. Les noms de M. Caste-
lin, de M. Bourgeois, de M. Jaurès, sont dés-
ormais confondus, comme le furent, il y a quel-
ques années, ceux du général Boulanger et de
M. Clemenceau. Le pacte qui a été conclu à
Bordeaux n'a donc pas de quoi nous surpren-
dre. S'il est ftdélement exécuté, les voix réunies
de l'ex-député boulangiste et du radical-socia-
liste doivent donner la majorité à ce dernier, à.
raisonner du moins, sur les chiffres du pre-
mier scrutin.
Mais avant de s'arrêter à un pronostic si
fâcheux et, on peut bien le dire, si peu flatteur
pour l'amour-propre de la ville de Bordeaux, il
convient de tenir compte d'un élément qui peut
modifier complètement ces calculs. Sur 20,327
électeurs inscrits, dans la 1'~ circonscription de
Bordeaux, 10,719 seulement ont pris part au
scrutin d'hier. Il n'est pas téméraire d& suppo
ser que la très grande majorité, de ces 10,000
abstentionnistes ne professent pas des opinions
radicales et socialistes. Les radicaux, les socia-
listes ne sont pas naturellement portés à l'ab-
stention. On peut affirmer qu'à Bordeaux,
comme ailleurs, ce sont les électeurs d'une opi-
nion tout opposée qui s'abstiennent, les uns
par indifférence et nonchalance, les autres pour
d'autres motifs. 1
Entre le chiffre des voix attribuées à M. Al- r
bert Decrais et le total de celles que les deux!
concurrents ont obtenues, il n'y a qu'un écart t
d'un millier de voix. Il suffirait donc d'un très ¡'
léger effort pour assurer le succès du candidat
qui représenté les idées d'ordre et de gouver-
nement. Est-ce trop présumer de. l'activité et
du bon sens des abstentionnistes d'hier que de
croire qu'il s'en trouvera dans quinze jours un
nombre suffisant qui secoueront leur torpeur l,
ou leur mauvaise humeur et prendront la peine
de barrer le chemin au candidat, radical-socia-
liste ? Ces abstentionnistes, déserteurs de la
utte au moment ou la neutralité est une lâ-
cheté bu une sottise, ces abstentionnistes nous
étonnent et leur flegme nous confond. Dix
mille abstentions dans une circonscription
d'une ville telle que Bordeaux, et dans une
élection où le socialisme et la défense
sociale sont aux prises, c'est un signe des
temps et d'un état d'esprit dont les socialistes
et toutes les factions révolutionnaires avec eux
ont le droit de se réjouir. II est évident que la
conquête des pouvoirs publics avec toutes ses
conséquences se présentent à eux dans des 1
conditions exceptionnellement favorables, si'; l
FEUILLETON RU JOURNAL DES DÉBATS
du 10 HovemtM-e ~886
m PAYS DES NAUFBMES
Dans une note que toutes les feuilles de nos
départements côtiers ont été unanimes à repro-
duire, le Jb!quelques jours, sous une forme discrète, un
appel ému à la charité publique en faveur des
malheureuses familles si cruellement éprou-
vées.par les sinistres maritimes de ces derniers
temps. Sur aucun point du littoral les « vic-
times de la mer H n'ont été plus nombreuses
qu'au Guilvinec. Le même jour, dans le même
coup de tempête, après une lutte désespérée et
d'un caractère singulièrement tragique, six bar-
ques disparaissaient, entraînant dans l'abîme
une cinquantaine d'hommes dont on recueille
présentement les débris épars, le long de tout le
rivage atlantique,jusqu'aufond du gotfe deGas-
cogne. KNe pleurez pas les morts delà mer, dit un
adage breton, mais honorez leurs femmes et
ayez en compassion leurs petits.)' Veuves et
orphelins ont reçu du ministère de la marine
un premier secours, hélas t bien précaire et
qu'en vertu d'une bizarre pratique administra-
tive ils ont dû venir chercher a. Quimper, au
chef-lieu du commissariat. On les a pu voir
stationner par.~roupes sombres, sous la pluie,
à la porte des bureaux, ayant fait à pied la plu-
part sept ou huit lieues pour toucher cette triste
aumône. Peut-être eût-il été plus décent de la
leur distribuer à domicile: on leur eût évité
les fatigues et les frais d'un voyage qu'ils
n'étaient guère, moralement ni matérielle-
ment, en état d'accomplir. Fort heureuse-
ment, le préfet du Finistère s'y est pris d'au-
tre façon pour répartir entre ces pauvres
gens les sommes qu'il avait mission de leur
remettre, tant de la part de M?° Furtado-Heine
que de la part du Président de !a RépuDiique.
Reproduction interdite.
l'abstention de ceux qui auraient le plus d'in-
térêt (sans parler du devoir) à. leur résister
leur laisse le champ libre, si les hommes qui se
portent courageusement en avant pour les com-
battre sont abandonnés par ceux-là.'mêmes
dont ils soutiennent là cause. S'il plaît aux
abstentionnistes bordelais, pour la plupart
honnêtes et paisibles citoyens sans doute, et
ennemis des révolutions, attachés à beaucoup
de choses qui en ce moment s'ébranlent, d'as-
sister en spectateurs indifférents et inertes à
la préparation des événements dont ils seront
les premières victimes si l'abstention, dans
ces circonstances critiques, leur semble être
une attitude commode ou une farce spirituelle,
ils sont libres de rester chez eux dans quinze
jours, et de laisser la victoire au candidat radi-
cal et socialiste. Mais nous persistons à croire,
jusqu'à preuve contraire, qu'une grande cité
comme Bordeaux renferme emore plus de
patriotisme et d'intelligence.
Une légende. –Quelques journaux continuent
à discuter sérieusement le récit fantaisiste d'après
lequel l'empereurd'Allemagne serait venu assister
incognito aux fêtes données a Paris en l'honneur du
tsar. L'invraisemblance absolue d'une pareille esca-
pade éclate & tous les yeux; mais c'est précisément
ce qui rend l'histoire piquante et la fait accepter
comme exacte par un certain nombre de bonnes
âmes, crédules et .éprises du merveilleux. Ne leur
dites pas que Guillaume H était tranquillement a
Hubertusstock, qu'il a. expédié, de cette résidence, des
télégrammes adressés au tsar, qu'il aurait certaine-
ment été reconnu s'iF s'était mêlé à l'assistance dans
la galerie des Glaces de Versailles ou dans une tri-
bune de Châlons ce sont des raisonnements, et a.
quoi sert de raisonner avec des gens qui ont le goût
des choses romanesques, et qui ont vu, dans les
œuvres de Gaboriau ou de Boisgobey, des K alibis o
organisés avec beaucoup plus d'habilité encore qu'il
n'en aurait faim a l'empereur d'Allemagne pour dis-
simulerun voyage à.Paris? La légende estabsarde
ce n'est pas une raison pour qu'elle ne soit pas tenace
et pour qu'elle ne unisse pas, au bout de quelques
siècles, par entrer dans l'histoire. Elle en a bien ac-
cueilli d'autres, qui n'étaient pas plus sensées.
Les vitesses en mer. Les Anglais ont sur
chantier un contre-torpilleur, l'~a'prcM, qui doit filer
33 nœuds, soit un peu p!us de 61 kilomètres à l'heure.
A cette vitesse, la traversée de Calais à Douvres ne
serait que d'une quarantaine de minutes; celle de
Marseille aAIger.demoins de treize heures; on fran-
chirait l'océan Atlantique, de Brest à. New-York, en
moins de quatre jours. Nos voisins d'outre-Manche
cherchent.~ nous enlever la.. première phice dansie
record des contre-torpiUeurs. On sait que nous la dé-
tenons depuis un an avec le 7''0!'6an qui a filé un peu
plus de 31 nœuds et que les contre-torpilleurs an-
glais de récente construction ne sont pas parvenus à
l'égaler, maigre qn'ils soient d'un tonnage beaucoup
plus considérable.
Mais tes.vitesses voisines de 30 nœuds sont excep-
tionnelles, môme dans les Hottes do guerre, et jusqu'à
présent elles sont si' coûteuses que la navigation
commerciale ne songe pas a les aborder..Sur l&s li-
gnes de paquebots les plus rapides, on ne dépasse
guère 20 nœuds et les Compagnies transatlantiques
qui mettent en ligne des navires de cette catégorie
sontloinde faire toutes de brillantes affaires.Les arma-
teurs disent volontiers que" la vitesse ne paye pas ):,et
cela parce qu'elle ne s'acquiert qu'avec de puissantes
machines très encombrantes et au prix d'une énorme
consommation do charbon. Aussi les paquebots a
passagers affectes au service des pays lointains, tels
que le Brésil, l'Afrique australe, l'Austra)ie, l'Extrême
Orient, se contentent-ils de vitesses économiques et
ne dépassent-ils pas 16 nœuds. Quant au cargo-boat,
le roulier des mors, il est moins ambitieux encore
c'est à l'allure moyenne de 10 nœuds qu'il eGectue
ses traversées.
Dans son rapport très documente sur le budget du
ministère du commerce, M. Charles-Roux met en
relief la mauvaise situation de notre marine mar-
chande, et, en ce qui concerne la grande ligne posta'e
du Havre a New-York, -il démontre que, si nous ne
faisons un eS'ort, noua succomberons sous les coups
de nos rivaux.-Nous ne mettons en ligne qu'un navire
de 18 nœuds 1/2, tandis que les Anglais, les Amér'
cains et. tes Allemands ont plusieurs navires de 1U a
20 noeuds, navires que la clientèle prend de ~pré-
férence parce qu'ils restent moins longtemps à ia
mer que les paquebots français. Il n'y a d'ailleurs
que dans la direction Dieppe-Newhaven que le
pavillon français couvre des bâtiments de con-
struction française, réalisant des-vitesses de 20
nœuds. Sur la route dé France en Algérie, nous che-
Mieux inspiré ou moins esclave du préjugé
administratif, au lieu de les faire venir à lui, il
a préféra se rendre chez eux. C'est un genre de
politesse auqueHes humbles ne sont pas accou-
tumes ils n'en sentent que. mieux le prix.
J'assistais à cette visite préfectorale et j'en ai
retenu une impression que je voudrais consi-
gner ici, avec le secret espoir, je l'avoue, qu'elle
attendrira le lecteur et !e fera compatir effica-
cement a la plus complète, à la plus vaste, à la
plus navrante des infortunes.
Je ne pense pas qu'il y ait une époque dans
l'année où la route qui mené vers le Guilvinec
présente à l'œil un aspect réjouissant. Sitôt
franchies les plantureuses collines qui bordent
adroite la rivière salée de Quimper, on entre
dans un pays sévère aux longs etpâles horizons
fuyants. On roule jusqu'à Pont-Labbésurun
plateau désert, creuse de dépressions peu pro-
fondes où s'étalent, entre des berges de ro-
seaux, des marais tristes. Pas un village, pas
même un hameau sur le parcours. Rien qu'une
auberge isolée, avec cette enseigne étrange:
A ~t~H~e. La grosse bourgade de Pont-
Labbé met, seule, un semblant dévie dans
ces grandes étendues muettes. Elle groupe
ses maisons autour d'une minoterie moderne
et d'un ancien donjon féodal dont les ombres se
rejoignent, mirées dans les eaux d'un étang.
C'est la capitale d~s J9~'oM~m qui forment,
dans cette région de 1'r~o~' cornouaillais, un
îlot de population à part, race mystérieuse,
dit-on, lourde d'allures, sobre de gestes, en-
goncée dans des costumes massifs et presque
hiératiques où courent de somptueux dessins,
des chamarrures éclatantes. L'industrie des
brodeurs bretons y est encore prospère et l'on
y peut voir, derrière les vitres, des hommes
accroupis marier sur des -étoffes rigides des
soies de toutes les couleurs, en observant scru-
puleusement les règles d'un art primitif et tra-
ditionnel. Au sortir de la ville, le paysage de
nouveau s'assombrit, reprend sa monotonie
vaste, son air de steppe immense, déroulé, à
perte de vue, sans une saillie de terrain, sem-
blable en sa morne platitude à une mer de
broussailles que n'égayé même pas, l'automne
venu, la pourpre fanée des bruyères ou la
chaude teinte vieil or des haies d'ajoncs. Les
bois de pins qui pronient sur les lointains leur
ligne d'un bleu noir aggravent la mélancolie
de cette solitude en l'exprimant à leur façon
minons tout doucement, avec des vitesses honnêtes;
ilestvraique,dece côté, nous n'avons pas à redouter
de concurrence, ce genre de navigation étant réservé
à nos bâtiments et, pour cette raison, nos 'armateurs
ne font aucun eHbrt pour améliorer les communica-
tions entre la métropole et sa grande colonie afri-
caine.
ASSOCIATIONS UNIVERSITAIRES
M. Mirman va interpeller le ministre de l'in-
struction publique, entre autres choses, sur
l'intention qu'on lui prête de refuser son appro-
bation à l'Association générale des professeurs
de l'enseignement secondaire, en formation de-
puis le commencement de l'année. M. Mirman
s'appuiera sur l'autorisation accordée, dans des
circonstances analogues, à l'Association des
maîtres répétiteurs, pour enfermer M. Ram-
baud dans un dilemme facile prévoir. Ou bien
les Associations de membres de l'enseignement
ont une action fâcheuse sur l'organisme uni-
versitaire, et alors il n'en faut tolérer aucune;
ou bien ces Associations n'ont pas d'inconvé-
nient, et alors il faut les autoriser toutes. Il
serait illogique qu'il y eût, en pareille matière,
deux poids etdeux mesures, et une différence
de traitement au préjudice des professeurs
serait particulièrement injustifiable.
M. Mirman tient d'ailleurs pour acquis au dé-
bat que l'Association des répétiteurs a fait ses
preuves de sagesse et qu'elle s'est montrée di-
gne des encouragements dont elle a été l'objet.
H faut croire que M. Mirman ne lit jamais la
~e/b?'~e Mn~M'e, organe bi-mensuel des
répétiteurs, dont les polémiques brillent par la
vigueur plus que par la politesse. Mais, du
moins, il assistait au banquet annuel de la cor-
porationqui a eu lieu, la semaine dernière, sous
le patronage de M. Bazille et de quelques autres
radicaux ou socialistes de bonne marque. Il a
donc eu le plaisir d'entendre le président
de l'Association exprimer officiellement les
vues de ses collègues sur les améliora-
tions qu'il conviendrait d'introduire dans le
régime des lycées et collèges. Il a pu con-
stater que la réforme qui tient le plus au
cœur de ces éducateurs fin de siècle, c'est d'ob-
tenir vingt-quatre heures de liberté par se-
maine « pour faire un accroc hebdomadaire à
ce vœu de chasteté qu'on leur impose, –oA
pMe~W et auquel ils n'ont jamais souscrit. M.
Cette .revendication dépouillée d'artifice ouvre
des horizons éminemment suggestifs sur l'état
d'âme et le but pratique d'une Association dont
un certain nombre de professeurs de l'en-
seignement secondaire envient, dit-on, les
lauriers. Et on aime à se rappeler que ladite
Association a été fondée, aux termes de ses
statuts, pour « favoriser et faciliter les études »
de ceux qui en font partie. ~'I'
Nous n'ignorons pas qu'on peut attendre des
professeurs plus de discrétion et de bon goût.
Nous admettons volontiers que leur Associa-
tion poursuivrait un idéal d'un caractère plus
élevé que celui dont les maîtres répétiteurs se
déclarent actuellement épris. Mais ce ne sont
pas toujours les membres les plus pondérés et
les plus qualifiés qui sont à la tête d'une Asso-
ciation, même quand ils en forment incontesta-
blement la majorité. Il arrive plutôt, au con-
traire, que, par modestie ou par lassitude, ils
codent la place à des personnages encombrants,
dont le principal titre est de se mettre sans
cesse en avant et qui finissent par se faire croire
indispensables à force de le croire eux-mêmes.
Il ne manque pas certes, en dépit des apparen-
ces, de maîtres répétiteurs sincèrement attachés
a leurs devoirs et qui s'en acquittent en toute
conscience, sans mettre l'univers au courant de
ceux de leurs besoins qui n'ont rien d'intellectuel.
Ceux-là ne font pas beaucoup de bruit et ne.
posent pas pour la galerie, mais ils laissent
malheureusement à d'autres l'honneur de par-
ler en leur nom et ils se trouvent compromis un
beau jour sans l'avoir su ni voulu. C'est le sort
des modérés de fonder ainsi des OEuvres dont la
direction passe peu à peu en d'autres mains.
L'Association des répétiteurs a été autrefois,
par faiblesse ou par imprévoyance, encouragée
par une foule d'hommes politiques, qui doivent
dans leur plainte douce d'arbres résignés, voués
à un éternel gémissement.
Nous fîmes ce trajet par un pluvieux diman-
che d'octobre, sous un ciel bas, ouaté de nua-
ges d'un gris plombé, traînant presque à fleur
de so!. L'idée du spectacle qui nous attendait
au terme de notre course n'était évidemment
pas pour nous prédisposer à des images sou-
riantes. Mais, n'aurions-nous pas eu ce motif
d'être peu enclins a la joie, que nos âmes eus-
sent néanmoins subi, malgré nous, l'espèce de
suggestion solennelle émanée de ces campa-
gnes désertes sur qui planait la paix domini-
cale et que baignait une lumière oblique, comme
renvoyée par les miroirs, encore invisibles, de
la mer. Dirai-je que les incidents de la route
n'eurent pas précisément pour effet d'en atté-
nuer la tristesse? Comme nous venions de tra-
verser Plomeur, un village composé surtout
d'un cimetière où des paysans attendaient
l'heure de vêpres, assis sur les tombes, notre
voiture dut se ranger contre la douve pour lais-
ser passer un pauvre convoi, funéraire qui s'a-
vançait, précédé d'un prêtre, en surplis, aa
bruit tintinnabulant des clochettes suspendues
aux lourdes croix de cuivre. Le cercuei),
recouvert d'un drap trop court qui n'ar-
rivait pas a joindre les deux extrémités, re-
posait dans un de ces chariots à claire-voie
qu'on ne rencontre plus guère qu'en Bretagne
et qui ont la forme d'une carène de barque por-
tée sur un essieu. Un bidet de la côte, de ceux
qu'on emploie au transport de la sardine, trai-
nait le véhicule, témoignant que le corps qui
s'en allait-ainsi vers sa dernière demeure était
celui d'un marin, pour les obsèques d'un «ter-
rien », on eût attelé des bœufs de labour. Dans
ladésolation de cepays plat,où le noir des
tourbières faisait comme des taches de gan-
grené, ces funérailles silencieuses, les hommes
tête nue sous la pluie, les femmes encapuchon-
nées, nous serrèrent le cœur d'un émoi. sou-
dain et rembrunirent encore nos pensées du-
rant les deux ou trois lieues de.pla.me qu'il
nous restai ta franchir.
A tout momentsurgissaient, aux deux flancs
du chemin, des croix monolithes, d'aspect bar-
bare, taillées à même dans des menhirs désaf-
fectés. Et l'on en voyait d'autres, en pleins'
champs, érigeant le symbole du christianisme
sur des sépultures d'avant l'histoire. Puis des
moulins à vent apparurent alignés sur l'hori-
être bien surpris aujourd'hui de se voir accolés
à MM. Viviani, Jaurès ou .Mirman sur la liste
des membres honoraires. Rien d'instructif à cet
égard comme de relever, année par année, les
noms de ceux qui.ont assiste au banquet depuis
sa fondation. Des convives de ta première
heure la plupart s'abstiennent à présent, ce qui
prouve en quelle estime ils tiennent l'OEuvre à
laquelle ils ont inconsciemment collaboré. Ils
sont remplacés par de nouveaux venus qui n'é-
taient pas invités il y a dix ans. L'Association
a changé de caractère. Je ne dis pas qu'elle y
ait gagné.
Une évolution analogue se produirait fatale-
ment dans l'Association des professeurs. Elle
se présente aujourd'hui au baptême ministé-
riel sous des apparences bénignes; elle ne de-
mande qu'un minimum de « libertés raisonna-
bles )', c'est-à-dire le droit pour les syndiqués
de « faire entendre leurs doléances et de se
concerterenvue de leurs intérêts corporatifs ».
Ce programme modeste, encore que d'un va-
gue qui ouvre la porte à toutes les surprises,
ne cache sans doute aucune arrière-pensée
mais il est bon de se rappeler que les
maîtres répétiteurs, au début, :se montraient
encore moins exigeants. Il y a des ma-
nières fâcheuses d'exprimer ses doléances;
il y a même des doléances qu'il vaut mieux ne
pas exprimer du tout. Le corps enseignant ris-
que de perdre de sa considération à importuner
le public du récit de ses griefs professionnels.
Les familles qui s'adressent aux lycées aiment
à croire que ces graves et discrètes maisons
sont des asiles de paix et de concorde où l'on
ne se préoccupe que de donner à leurs enfants
une bonne éducation. Elles voient d'un œil dé-
fiant toutes ces Ligues de répétiteurs, de pro-
fesseurs, qui donnent aux établissements de
l'Etat un faux air d'usines ravagées par les
Syndicats. Les ennemis ou les concurrents de
l'Université ne se font pas faute déjà d'exploiter
ce sentiment d'inquiétude ils s'entendent à
merveille à utiliser les écarts de langage de la
~e/b?'Mtc universitaire, dont ils sont les plus >s
fidèles abonnés. Peut-être est-il superflu de
leur fournir de nouvelles armes, à l'heure où
le recensement de la population scolaire de nos
lycées accuse, au moins en ce qui touche les
internes, et non pas seulement en province,
un recul significatif.
On objectera qu'il s'agit avant tout de fonder
une Société de secours mutuels, destinée à
compléter ou à suppléer les retraites servies
par l'Etat. Personne,assurément, ne s'offusque-
rait de voir les professeurs préoccupés d'assu-
rer à leurs familles une garantie de plus contre
les risques de la maladie ou de la mort. L'As-
sociation projetée pourrait, sur ce terrain, ren-
dre de réels services, môme à supposer qu'on
s'en exagère un peu l'importance. Mais ceux
qui en ont jeté les bases ont de plus vastes am-
bitions, sur lesquelles le comité centrai provi-
soire qui siège a. Bordeaux évite de s'expliquer
nettement, mais dont il est facile de trouver la
trace dans les circulaires de bon nombre de
comités locaux. L'appel du lycée de Caen, par
exemple, s'exprime sans ambages « Sur le but
et le principe même de l'Association, il est né-
cessaire de faire disparaître toute équivoque.
L'assistance mutuelle ne peut être ici que l'ac-
ce~oM'e, et comme la base légale de notre
Association. Sous peine de disséminer inutile-
ment ses ressources et ses forces, de -s'écarter
de son but, de faire double emploi avec tant
d'Associations plus riches à la fois et plus res-
treintes, elle doit reposer sur l'idée de la soli-
darité morale entre collègues beaucoup plus
que sur la solidarité matérielle. E!, nous vous
invitons à affirmer nettement vos intentions
sur ce point, » Certains collèges sont encore
plus explicites. C'est, croyons-nous, après
avoir pris connaissance de quelques docu-
ments, de ce genre, que la section permanente
du Conseil supérieur a émis un avis défavora-
ble au projet d'Association. Et c'est pour la
même raison que la plupart des lycées de Paris
continuent de faire grise mine aux invites qui
leur sont prodiguées. Les'statistiques les plus
complaisantes comptent actuellement i75 éta-
blissements syndiqués. Elles négligent, il est
vrai, d'indiquer le nombre de professeurs qui
!zon, pareils eux aussi, avec leurs ailes au
repos, à des calvaires gigantesques aux fûts
disproportionnés. Et, enfin, une raie de vif
argent balafra le ciel; des profils de maisons
semées sans ordre saillirent en noir sur ce fond
miroitant. Nous entrions au Guilvinec. Par-
tout, au seuil des logis, des filets couleur de
tan étendus à sécher sur des poteaux; dans
l'air, une odeur forte, ce relent particulier aux
cités de la sardine. M. Gaston Deschamps, lors
de son récent pèlerinage à Douarnenez, a tracé
de ces villes improvisées, dont le sort est a la
merci des hasards de la pêche', un tableau mer-
veilleusement coloré qui en donne l'image a. la
fois la plus pittoresque et la plus juste. Il y a
trente ans, le Guilvinec n'était qu'un misérable
havre où dormaient les trois quarts du temps,
renversés sur le sable, une demi-douzaine d'es-
quifs trop sommairement gréés pour affronter
les risques du large. C'est aujourd'hui une ville
de la mer, avec ses phares, ses quais, ses mô-
les, son peuple d'usiniers, de mareyeurs, de
marins, et sa flottille, hier encore si florissante,
de quelque quarante gabares solidement équi-
pées.
Une des premières maisons que l'on rencon-
tre est la mairie. Près du seu:! se tenait le
maire, un Breton trapu, à figure rase~ les traits
énergiques, les yeux clairs et doux, coiffé du
béret et vêtu de la vareuse bleu sombre des
marins endimanchés.
–Les mères et les veuves sont là, dit-il au
préfet en poussant la porte de la salle dos
séances.
J'éprouvai, quant moi, en pénétrant dans
cette pièce, une sorte de frisson religieux.
Elles étaient là, en-effet, rangées sur des bancs,
le long de la muraille, sans rien de théâtral,
d'ailleurs, dans leur attitude, assises sagement
comme à la messe, avec un air de tristesse
calme, denavrëment résigné. Toutes portaient
le costume Z~oM~en~, l'étroit bonnet à formes
de mître, en toile empesée brodée de dessins
jaunes, les oreillettes noires nouées d'un large
ruban sous le menton, le corsage épais et
massif ainsi qu'une cuirasse et la triple jupe
aux rebords superposés. Nul changement dans
leur vêture habituelle, si ce n'est qu'elles en
avaient arraché les chamarrures de soies
voyantes et les avaient remplacées par de mo-.
destes galons de velours. Nulle marque de
douleur non plus sur leur visage, sauf la muette
composent chaque groupe; elles négligent
également ce détail symptomatiqueque !e lycée
de Lyon s'est détaché de la Fédération, après
y avoir d'abord adhéré. Le Comité central a
beau « faire ses réserves sur la manière dont
on a parfois plaidé la cause de l'Association'),
il n'a pas le droit de désavouer les amis im-
prudents dont il trouve la franchise intem-
pestive. Il n'a aucun moyen d'échapper aux
solidarités compromettantes des adhérents
d'avant-garde, et il en aurait encore moins le
moyen, et peut-être le désir, du jour où
l'Association serait dénnitivement constituée.
Les timides réserves formulées aujourd'hui ne
sont que des précautions oratoires, destinées a.
rester des précautions inutiles.
Et c'est pourquoi il nous paraît difficile de
croire que l'Association des professeurs de
l'enseignement secondaire, si sympathiques
que puissent être les intérêts dont elle se ré-
clame, soit à la veille d'être autorisée. Le meil-
leur argument qu'on invoque en sa faveur,
c'est le précédent créé à l'avantage des répéti-
teurs. Mais c'est; un argument à deux tran-
chants. L'Association des répétiteurs n'a pas
fait de la liberté qui lui a été accordée un usage
assez heureux pour qu'il y ait lieu de réitérer
l'expérience. Elle n'a montré ni le tact ni la dis-
crétion .sur lesquels on avait cru pouvoir comp-
ter. La ligne de conduite qu'elle a suivie prouve
qu'on a eu tort naguère de l'autoriser et qu'on
aurait tort aujourd'hui, un tort moins excu-
sable encore, de lui donner un pendant. La
seule façon de sortir du dilemme qui se pose,
ce n'est pas d'autoriser une seconde Associa-
tion des fonctionnaires de l'enseignement, c'est
de dissoudre celle qui existe déjà.
A. ALBERT-PETIT.
AU JOUR LE JOUR
LE MONUMENT DE WATTBAU
La chose fut exquise et fort bien ordonnée. ·
et nous devons de grands remerciements au co-
mité Watteau. IL était moral que, parmi tant
de statues vulgaires ou grotesques, un monument
fût consacré enfin à une gloire authentique et
bienfaisante; il était désirable que ce monu-
ment s'élevât près de ce palais du Luxembourg
où Watteau vint étudier, chez son patron Au-
dran, les deux maîtres qu'il adorait d'une égale
ferveur Rubens, dont il avait placé dans
sa chambre un tableau, « vers lequel, écri-
vait-il à Julienne, mes yeux ne se lassent pas
de se retourner, comme dessus un tabernacle)),
et la nature que les grands arbres voisins et la
splendeur des crépuscules révélaient à son âme
mélancolique, avide uniquement de solitude et de
musique. Ce monument ainsi placé, il fallait
lui donner le caractère d'un hommage discret
bien plus que d'une glorification tapageuse.
On l'a très bien compris. Pas de ces statues
insupportables comme .nous en avons trop, où
« le grand artiste )', la main sur le cœur et les
yeux au cieF, attend l'inspiration et pose pour les
badauds dans une, attitude académique; pas de
ces muses romaines sorties des ateliers où l'on a
trop longtemps asservi l'âme et l'imagination
françaises. Rien qu'un buste, dont Watteau lui-
même nous a laissé le modèle, et une sou-
brette, drapée à sa façon, qui lui oflre des fleurs.
L'etain et le marbre s'y associent finement, dans
un arrangement d'architecture très simple et très
heureux. MM. Gaucquié et H. Guillaume ont été
bien inspirés. Il importait enfin que la céré-
monie d'inauguration fût, autant que possible,
exempte de la banalité traditionnelle. Les dis-
cours, inévitables, ont été parfaits. M. Ca-
rolus Duran a parlé, discrètement et très bien
M. le ministre des beaux-arts a écrit sur An-
toine Watteau une page de critique et d'his-
toire excellente. La musique 'des vers et celle,
plus charmante encore, des harpes, des man-
dolines, des violons et des Sûtes a complété
et couronné la fête. Et quand, au son voilé des
instruments et des voix, M"° Wyns est venue,
d'un geste exquis. de grâce et de tendresse, ré-
pandre, au pied du monument, une gerbe de
fleurs automnales, une rumeur lointaine d'apo-
théose, intime, émue et comme fraternelle, a dû
monter et être douco à l'âme de Watteau.
supplication qu'on pouvait lire dans leurs re-
gardsde bêtes battues. Elles attendaient, immo-
biles, les mains croisées dans leurs manches ou
jointes sur leurs genoux, que commençat la
lecture du palmarès funèbre. L'appel se fit, ba-
teau par bateau. Le secrétaire de mairie jetait
les noms, dans le lugubre silence, en français
d'abord, puis en breton, pour être sûr d'êtie
mieux compris.
–Approchez, celles de la F<~o~e-
Ce fut un dénie poignant. Les femmes s'a-
vançaient à tour de rôle, aïeules vieilles et
cassées, veuves de tout âge, quelques-unes sur
!e point d'être mères. Biles tendaient la main
du même geste tranquille, murmuraient a. voix
basse un timide remerciement, parfois en es-
suyant une larme, et, revenues a. leur banc, re-
prenaient leur immobilité passive, cette ex-
pression de fatalisme craintif et doux qui est
peut-être le trait le plus profond du caractère
de leur race. J'en comptai dix-neuf, mais d'au-
cunes manquaient au rendez-vous, retenues
par les obsèques de l'une d'elles.
Justement, voici l'enterrement qui arrive,
Ht observer le. maire.
Nous perçûmes le tintement des sonnailles
mortuaires; puis la bière se montra sous les fe-
nêtres, portée à. bras par des femmes.
Trois des embarcations englouties relevaient
du hameau de Leschiagat, un faubourg mari-
time qui n'est séparé du Guilvinec que par un
arriëre-port, large seulement d'une ou deux en-
cablures, mais qui se rattache à Treffiagat, la
commune limitrophe. Un canot nous mit sur
l'autre rive. C'était l'heure de l'appareillage
pour les bateaux qui se livrent à la pêche noc-
turne du merlus. Nous croisâmes, au cours de
la traversée, plusieurs d'entre eux qui s'ébran-
laient; leurs hautes voilures, en passant, proje-
tèrent sur nous leur ombre; debout contre le
plat-bord, les hommes de l'équipage se retour-
nèrent pour nous saluer et, à Jes regarder s'é-
loigner avec leur belle insouciance d'aventu-
riers de la mer, on ne pouvait se défendre de
songer aux autres, à ceux qui partirent un soir
de septembre de ce même havre et qui n'étaient
point revenus. A Leschiagat, les femmbs
avaient été convoquées à. la maison d'école.
Nous les trouvâmes, au nombre d'une vingtaine,
installées dans les bancs de la classe quelques-
M. Rambaud a fait espérer que nous verrions,
en i()oo, l'œuvre complet du maître, pour une
fois réuni. C'est un vœu que notre ami André
Hallays a exprimé autrefois ici même et dont la
réalisation serait assurément le plus délicat hom-
mage qu'on pût rendre au grand artiste, en même
temps que le plus utile service à l'histoire de l'art.
Nous en prenons acte avec une vive reconnais-
sance. En ajouterai-je un autre, moins important
d'ailleurs? Watteau s'était fait de la forêt de
Montmorency, où l'attiraient souvent l'amitié de
Crozat et plus encore son humeur mélancoli-
que, un lieu de promenade et de retraite pré-
féré. Si le comité qui vient de nous donner le
joli monument du Luxembourg avait quelque
fonds de reste, il conviendrait de rappeler,
fût-ce par une simple inscription à l'entrée de la
forêt, qu'un grand peintre, un grand paysagiste,
vint chercher là quelques-unes de ses inspira-
tions. A défaut du comité, la municipalité de
Montmorency, que je sais intelligente, pourrait
peut-être y pourvoir.
Ce côté du talent de Watteau ne doit pas être
laissé dans l'ombre. Un des premiers tableaux de
Turner représente W~~MM ~K~ et témoigne e
de l'influence qu'eurent sur Gainsborough et les
paysagistes anglais de-la seconde moitié du dix-hui-
tième.siècle'le séjour que le maître francais.fit
à Londresetles œuvres qu'il y laissa Remettons
partout en lumière et en hcmneur ce peintre et ce
poète, qui sentit si profondément à la fois la
grâce et l'élégance des formes fragiles et des joies
éphémères, l'apaisement, la beauté et la grandeur
de l'immortelle nature.
ANDRE MiCHEL.
A L'ÉTRANGER
LES ITALIENS ET L'ETHIOPIE
Presque quotidiennement, les journaux enre-
gistrent d'inquiétantes rumeurs sur ce qui se
passe aux confins de l'Ethiopie et de la colpnie
italienne d'Erythrée. A croire quelques-uns
d'entre eux, on serait à la veille d'une reprise
des hostilités. Rien ne paraît, cependant, justi-
fier tant de pessimisme. Si Menelick n'a accordé
à Mgr Macaire, l'envoyé du Pape, que la liberté
de deux des prisonniers pour lesquels il venait
intercéder, alors que, quelques mois plus tôt,
cinquante avaient été relâchés en l'honneur du
couronnement du tsar, il n'en faut pas conclure
quelesdispositionsdunégus àl'égard de l'Italie
se soient altérées dans l'intervalle. Lesuccës des
Russes, contrastant avec l'inanité des efforts da
l'envoyé pontifical, montre qu'ils ont su déter-
miner les préférences du clergé éthiopien en
faveur de l'orthodoxie orientale, alors que l'or-
ganisation romaine lui inspire des défiances.
C'est un indice nouveau de l'extrême ha-
bileté des Russes & gagner l'esprit des
peuples à moitié civilisés, mais nullement
une preuve de la volonté de Menelick de ne
pas laisser aboutir les négociations de paix.
S'il garde jalousement ses 1,300 prisonniers,
c'est, au contraire, pour avoir un moyen d'ac-
tion de plus pour agir sur le gouvernement
italien et en obtenir des concessions. D'ailleurs,
le major Nerazzini, chargé d'aller négocier avec
le négus, a été de sa part l'objet d'une récep-
tion les plus flatteuses. Si ses instructions sont
suffisamment conciliantes, il n'y a pas de raison
de croire que nous n'apprendrons pas, d'ici à
quelques semaines, que sa mission s'est heu-
reusement terminée par la conclusion de la
paix.
Il est vrai que certains journaux italiens par-
lent beaucoup des mouvements des forces
éthiopiennes. Ils insistent sur la présence d'une
trentaine de mille soldats, avec le ras Mangas-
cia, dans le Tigré. A les croire, le gros des
forces choanes, en marche vers le Nord, aurait'
déjà atteint le lacAsciangui, etilfaut s'atten-
dre à les voir commenter avec inquiétude le
fait que le négus vient de convier ses ras
à venir conférer avec lui à Addis-Abeba. Mais
ces journaux oublient que la paix, qui règne
depuis six mois en fait, n'a jamais été confir-
mée en droit. Sans des circonstances météoro-
logiques exceptionnelles, la trêve nécessaire de
la saison des pluies aurait déjà pris fin, et les
opérations pourraient recommencer. Menelick,
unes avaient sur les bras des enfants encore à
la mamelle qu'elles durent bercer en chantant.
à mi-voix, pour les faire taire, tandis que le
maire de Treffiagat, un vieux paysan aux
longs cheveux celtiques, procédait à l'appel
des noms. Comme la cérémonie prenait fin, un
marin qui y avait assisté, front découvert,
rencogné dans l'embrasure d'une fenêtre,
m'aborda
–Et nous, me demanda-t-il, est-ce qu'on ne
fera rien pour nous?
C'était un des survivants de la catastrophe,
un de ceux qui furent recueillis par l'aviso le
CaM~a/K alors qu'ils finissaient presque de
sombrer, entraînés en dérive par la tempête à
plusieurs milles au sud de Groix. Il se mit à
me conter dans un jargon barbare, semi-bre-
ton, semi-français, les affres de cette nuit tra-
gique. Sept heures durant, ils luttèrent, lui et
ses compagnons du ~û76, parmi de monstrueu-
ses ténèbres, contre les éléments déchaînés.
Quand se leva l'aube blême sur le cahos sinis-
tre de la mer,' ils s'aperçurent que deux autres
barques, la voilure en lambeaux comme la
leur, fuyaient dans la direction qu'ils s'eubr-
çaient eux-mêmes de tenir. Ils parvinrent a.
s'en rapprocher, reconnurent les hommes qui
montaient la plus voisine. « Ohé! Le Corre! '< Il
crièrent-ils au patron. Mais le patron n'eut pas
le temps de*répondre un paquet d'eau crevait
sur lui ~et sur les siens. L'instant d'après, !a
mer avait fait place nette. La deuxième embar-
cation résista jusque vers midi, puis il en fut
d'elle comme de la précédente. '1
–Nous, du~076,concluaitl'homme, nous en
avons réchappé. Mais a. quoi sert de n'être point
mort, si l'on a perdu les moyens de vivre? Pour
sauver nos existences, nous avons dû sacrifier
nos filets. Ne nous aidera-t-on pas à les rem-
placer ? C'est qu'il n'y a pas que les veuves,
Monsieur!
Non, il n'y a pas que les veuves, et iln'y a
pas, hélas! que les infortunes du Guilvinec ou
de Leschiagat. De Douarnenez, de Belon, de
toute la côte méridionale de !'Armorique, à vrai
dire, voici que montent d'autres lamentations.
Chaque journée presque ajoute des naufrages
nouveaux au grand martyrologe delà mer. Ce
cri de misère, aussi vaste que les flots mêmes,
fasse le cielqu'U soit entendu! 1
A. LE BRAZ.
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