Titre : Candide : grand hebdomadaire parisien et littéraire ["puis" littéraire et parisien]
Éditeur : Fayard (Paris)
Éditeur : [s.n.][s.n.] (Clermont-Ferrand)
Date d'édition : 1935-09-05
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32737062q
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 05 septembre 1935 05 septembre 1935
Description : 1935/09/05 (A11,N599). 1935/09/05 (A11,N599).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG63 Collection numérique : BIPFPIG63
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4677071d
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JOD-125
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 11/07/2017
JEAN FAYARD
La Chasse
aux rêves
ROMAN
Dans cet ouvrage, M. Jean Fayard
a témoigné une force et une maturité
dont on le sentait capable depuis
q.Mal d'amour», mais qu'il n'avait paà
encore montrée à ce point.
Edmond JALOUX.
12 fr. A. FAYARD et Cie, édit.
f ESTOMAC 1
I ENTÉRITE CHEZ CHEZ I
I arthritisme I
I Eau de régime, faiblement II
I minéralisée, légèrement gazeuse.
I Bien préciser le nom de la Source I
■ pour éviter les substitutions. M
^ Direction Vals-Saint-Jean. 63, BJHaussmann,PARIS.
— Je choisis cette station, si vous me promettez que j'y trouverai
toutes ces demoiselles.
SAMUEL
Nouvelle Inédite par Jack LONDON
Traduit de l'anglais par Louis POSTIF
Marguerite Hénan ne me
produisit jamais une telle
impression que le jour où
je l'aperçus, par hasard,
portant un sac de grains de
cinquante kilos sur l'é-
paule ; elle avançait à pas
menus, mais sûrs, de la
charrette à l'écurie, et fit une pause pour
reprendre haleine au pied de l'escalier me-
nant au coffre à grain. Elle franchit les
quatre marches raides l'une après l'autre,
sans se presser, sans hésiter, avec une as-
surance qui m'enleva toute crainte de voir
le sac échapper sous le double faix du
grain et des années. Sa vieillesse mani-
feste m'avait poussé à m'arrêter près de
la voiture pour la regarder faire.
Six fois elle accomplit le trajet de la
charrette à l'écurie avec un plein sac
sur le dos, sans paraître remarquer ma
présence. La voiture vide, elle chercha
des allumettes dans sa poche et se mit à
tirer sur une courte pipe en terre, refou-
lant le tabac brûlant d'un pouce calleux et
apparemment insensible.
— Vous faites une rude travail pour
une femme de votre âge, risquai-je.
Elle posa sur moi son regards étrange-
ment fixe. Sa pensée et sa parole trahis-
saient une lenteur voulue et une parfaite
conviction que. l'éternité lui appartenant,
elle n'avait nullement besoin de se pres-
ser. Je me sentis de nouveau troublé par
cette assurance prodigieuse. Dans cette
éternité bien à elle, le temps ne lui man-
quait pas pour poser les pieds bien a
plat et se maintenir en parfait équilibre :
il y avait place, en un mot, pour la certi-
tude, et il n'y en avait aucune pour un
faux pas, ni dans sa vie spirituelle, ni
dans ce débardage de sacs de cinquante
kilos.
L'impression produite était fantastique.
Un hasard des plus précaires venait de
me mettre en présence i:l'un . être dépas-
sant mes propres conceptions de l'âme
humaine, et plus je me renseignerais au
cours des semaines suivantes sur le compte
de Marguerite Hénan, plus elle me pa-
raîtrait mystérieuse et lointaine, telle une
inconnue tombée de quelque autre pla-
nète : nulle remarque, venant d'elle ou
d'aucun des habitants de l'île, ne m'in-
diquerait quelles façons de vivre, quelles
ardeurs sentimentales ou quelles contem-
plations philosophiques avaient ou mode-
ler son être antérieur ou actuel.
— J'aurai soixante-douze ans le ven-
dredi-saint, d'aujourd'hui en quinze, dit-
elle en réponse à ma question.
— Mais vous êtes un peu âgée pour ac-
complir ce travail d'homme, et même
d'homme solide — insistai-je.
Elle parut se replonger dans son
atmosphère d'éternité contemplative, et
j'en fus affecté à tel point que je n'au-
rais. 'pas été surpris de me réveiller un
siècle ou deux plus tard pour entendre
le commencement de sa réponse :
— Il faut que le travail se fasse, et je
ne veux rien devoir à personne.
— Mais n'avez-vous pas d'enfants, ni de
famille ?
— Oh si ! des quantités, mais ils ne
jugent pas à propos de m'aider.
Elle tira quelques instants sur sa pipe,
puis ajouta, en indiquant la maison d'un
signe de tête :
— Je vis seule.
Je jetai un coup d'œil vers l'habitation
spacieuse et couverte de chaume, la
grande écurie et la vaste perspective de
champs qui en dépendaient évidemment :
— C'est un beau morceau de terrain à
cultiver vous même.
— Oui, c'est un grand, soixante-dix
acres. Cela suffisait à occuper mon vieux
mari ainsi qu'un fils et un domestique,
sans parler des aides engagés pour la
moisson et d'une servante pour l'intérieur.
Elle grimpa dans la charrette, rassem-
bla les rênes et me fouilla de son regard
perçant.
— Vous venez sans doute de l'autre
côté de la mer, d'Amérique, n'est-ce pas ?
— Oui, je suis Yankee.
— On ne doit pas rencontrer dans vo-
tre pays beaucoup d'indigènes de l'île Mac
Gin ?
— Je ne me souviens pas d'en avoir vu
un seul des Etats-Unis.
Elle hocha la tête.
— Les gens d'ici sont attachés à leur
pays, ce qui ne veut pas dire qu'ils ne
voyagent guère. Mais ils finissent par
revenir à la maison, du moins ceux qui ne
périssent pas en mer ou par les fièvres et
autres maladies des contrées étrangères.
— Alors vos fils ont dû naviguer et re-
venir au pays ?
— Oh ! oui : tous, excepté Samuel,
qui s'est noyé.
Quand elle prononça le nom de Samuel,
je crus surprendre dans ses yeux une bi-
zarre lueur, et, par une sorte de choc télé-
pathique, deviner en elle une terrible tris-
tesse, un immense regret. Il me sembla que
tel était le secret de cette nature impéné-
trable, le contact instantané qui me lais-
sait entrevoir ses profondeurs, le fil con-
ducteur qui, si je le suivais jusqu'au bout,
me permettrait de déchiffrer cette âme
étrange. Je grillais d'envie de lui poser
une question, mais elle la devança.
Elle fit claquer sa langue pour exciter
le cheval, me lança un « Bonjour, Mon-
sieur ! » et la voiture s'éloigna.
♦ ♦
Les habitants de l'île MacGill sont des
gens simples, rustiques, et je doute qu'il
existe au monde une population plus so-
bre, plus économe et plus laborieuse.
Un bras de mer large au plus d'un demi-
mille sépare l'île MacGill de la terre irlan-
daise. Une fois ce détroit franchi, on se
trouve dans un pays tout différent, où pré-
domine l'influence écossaise. D'abord, les
insulaires sont presbytériens. En consta-
tant qu'il n'existe pas un seul cabaret dans
cette île peuplée de sept mille âmes, on se
fait une idée de la tempérance de sa popu-
lation. Conformément aux vieilles coutu-
mes. l'opinion publique et les ministres
du culte y exercent une puissante autorité.
tandis que les pères et mères y sont res-
pectés et obéis comme en bien peu de coins
du monde moderne. On n'y fait la cour que
jusqu'à dix heures du soir, et jamais une
jeune fille ne s'y promène avec un jeune
homme à l'insu et sans le consentement
de ses parents.
♦ ♦
Ce fut par le patron d'un vapeur de for-
tune, et en qualité de passager de Colombo
à Rangoun, que j'entendis parler pour la
première fois de l'île MacGill; grâce à sa
lettre de recommandation, je pus me pré-
senter dans la maison de Mme Ross, veuve
dun maître d'équipage. Elle vivait dans
l'île avec sa fille et pour le moment ses
deux fils naviguaient en mer. Mme Rosi-
ne prenait pas de pensionnaires, mais al]
vu de la lettre du capitaine Ross, elle COll-
sentit à me recevoir. Le soir de ma ren-
contre avec Marguerite Hénan, j'interro-
geai Mme Ross à son sujet et compris tout
de suite que j'étais tombé sur un véritable
mystère.
Comme tous les habitants de l'île — je
ne devais pas tarder à m'en apercevoir —
Mme Ross manifesta une sincère répu-
gnance à discuter le cas de Marguerite
Hénan. Cependant, ce soir-là même, j'ap-
pris que Marguerite Hénan passait jadis
pour la plus belle femme de l'île. Fille d'un
fermier à l'aise, elle avait épousé Thomas
Hénan, un fermier également riche. A part
les occupations ordinaires du ménage, elle
n'était pas habituée à travailler, ni même,
à la différence des autres femmes de l'île,
à donner un coup de main au travail des
champs.
— Mais où sont ses enfants ? deman-
dai-je.
— Deux de ses fils, Jacques et Timo-
thée, sont mariés et naviguent. La grande
maison près du bureau de poste appartient
à Jacques. Ses filles non mariées vivent
avec celles qui le sont. Et les autres sont
morts.
— Les Samuel ! interrompit Clara avec
une nuance de malice.
Clara était la tille de Mme Ross. une
jeune et forte personne aux traits agréa-
bles, avec des yeux noirs d\.ne remarqua-
ble beauté.
— Il n'y a pas de quoi plaisanter, re-
montra sa mère.
— Les Samuel ? demandai-je. Je ne
comprends pas.
— Ses quatre fils qui sont morts.
— Et tous les quatre s'appelaient Sa-
muel ?
— Oui.
— C'est étrange, remarquai-je dans le
silence qui se prolongeait.
— Très étrange, confirma Mme Ross en
s'activant au tricot posé sur ses genoux,
un des innombrables vêtements de dessous
qu'elle tricotait sans relâche pour les quar-
tiers-maîtres, ses fils.
— Et les Samuel sont les seuls qui soient
morts ? demandai-je dans un nouvel effort
de curiosité.
— Les autres vivent encore. Une belle
famille. Il n'y en avait pas de plus belle
dans toute l'île. Et jamais plus beaux gar-
çons n'en sont partis pour naviguer. Le
ministre les citait comme modèles. Et ja-
mais le moindre scandale n'a éclaboussé
les filles.
— Mais comment se fait-il qu'elle se
trouve seule dans sa vieillesse ? insistai-je.
Pourquoi ses propres enfants ne s'oeçu-
pent-ils pas d'elle ? Pourquoi cet isole-
ment ? Ne vont-ils jamais voir ni la
soigner ?
— Jamais aucun d'eux n'y est allé de-
puis plus de vingt ans. C'est elle qui a
attiré cette solitude sur sa tête. Elle les a
chassés de la maison comme elle a chassé
de la vie le vieux Tom Hénan, son défunt
mari.
— La boisson ? hasardai-je.
Mme Ross secoua la tête avec dédain.
Un long silence suivit, durant lequel
Mme Ross tricota plus résolument que ja-
mais.
♦ ♦
En regardant les curiosités exotiques
rapportées par les fils de la maison, je
réfléchissais au mystère de Marguerite
Hénan, qui avait poussé son mari à la
tombe et que ses enfants avaient aban-
donnée. Sinon à la boisson, à quoi attri-
buer cette décadence ? A quelque mons-
trueuse cruauté ? A quelque infidélité re-
tentissante — ou l'un de ces terribles cri-
mes que commettent parfois ces paysans
de l'ancien monde ?
Mais à mesure que je soumettais mes
hypothèses à Mme Ross, elle hochait la
tête :
— Vous n'y êtes pas, disait-elle. Mar-
guerite fut bonne épouse et bonne mère,
et je la crois incapable de faire du mal
à une mouche. Elle a élevé sa famille dans
la crainte du Seigneur et d'après les
bons principes. L'ennui, c'est qu'elle de-
vint lunatique... idiote.
Et pour me faire mieux comprendra, elle
se tapota le front.
— Mais j'ai causé avec elle tantôt —
objectai-je — et elle m'a produit l'effet
d'une femme très sensée et d'une luci-
dité remarquable pour son âge.
— Oui, tout ce que vous dites est_ vrai,
continua-t-elle tranquillement. Mais ce
n'est pas à cela que je fais allusion : je
veux parler de sa mauvaise tête et de son
obstination insensée. Il n'y a jamais eu
au monde de femme plus entêtée. Et tout
cela à cause du nom de Samuel, qui était
celui de son plus jeune frère, celui, pa-
raît-il, qu'elle aimait le mieux, et qui
se suicida par la faute du ministre pres-
bytérien qui avait omis de déclarer et de
faire bénir l'église neuve à Dublin. C'était
signe que le nom portait malheur, mais
elle ne voulut pas l'admettre, et les gens
jasèrent quand elle donna le nom de Sa-
muel à son premier-né, celui qui mourut
du croup. Et ne s'avisa-t-elle pas de re-
donner le nom au prochain ? Celui-ci pé-
rit à l'âge de trois ans, en tombant dans
un baquet d'eau bouillante. Tout cela, vous
dis-je, provient de son absurde entête-
ment.
« Il lui fallait un Samuel, et cette
obstination causa la mort de ses quatre
fils. Après le décès du premier, la mère
de Marguerite ne s'était-elle pas agenouil-
lée dans la poussière, à ses pieds, la sup-
pliant de ne pas donner ce nom de Sa-
muel à son prochain enfant '? Mais pas
moyen de la détourner de sa résolution
Marguerite Hénan n'en a jamais fait qu'à
sa façon et ne s'est jamais montrée aussi
obstinée qu'à propos de ce nom de Sa-
muel.
« Elle raffolait positivement de ce nom.
là. Le croiriez-vous ? Tous ses voisins
et même ses parents et alliés, sauf ceux
qui habitaient avec elle, se levèrent et
sortirent au moment du baptême du se.
cond... celui qui fut ébouillanté — a l'ins.
tant où le ministre, ayant demandé que:
serait le nom de l'enfant, elle répondit
Samuel. Ils se levèrent et quittèrent 13
maison. Et, sur le seuil, Fannie, sa tante
maternelle, se retourna et dit de façon f:
être entendue de tout le monde : « Pour
quoi donc veut-elle assassiner ce pauvre
gosse ? » Le ministre n'en perdit pas
une parole, et cela ne lui fit pas plaisir
Mais, comme il le dit plus tard à inor
Carry, qu'y pouvait-il faire ? Tel était
le désir de cette femme, et il n'y a pas de
loi pour empêcher une femme de donner
à son enfant le nom qui lui plaît.
« Il y eut un troisième Samuel. Et
quand il eut péri en mer, au large du car
de Bonne-Espérance, ne viola-t-elle pas
toutes les lois de la nature en mettant au
monde un quatrième fils '? Elle avait qua-
rante-sept ans, je vous le déclare : et à
cet âge-là, elle eut un enfant ! Pensez
donc, à quarante-sept ans ! Ce fut un
scandale pur et simple ! »
♦ ♦
De la bouche de Clara, le lendemain
matin, j'appris l'histoire du frère préféré
de Marguerite Hénan, et de-ci, de-là, au
cours de la semaine suivante, je reconsti-
tuai la tragique histoire de cette femme.
Samuel Dundee était le plus jeune de
ses quatre frères et, au dire de Sarah,
elle professait pour lui une véritable ado-
ration. Il naviguait, en ce temps-là,
comme patron d'un voilier de la ligne
Banks ; et il épousa Agnès Hewitt. On
dépeignait celle-ci comme un feu-follet,
une mince créature aux traits délicats,
douée d'une organisation nerveuse des plus
sensitives. Leur mariage avait été le pre-
mier qui fût célébré dans l'église « neuve »
et, après une lune de miel de deux semai-
nes, Samuel embrassa sa femme et alla
prendre le commandement du Lough-
bank, un quatre-mâts-barque.
Ce fut au sujet de cette église « neuve »
que le ministre commit une bévue : il
n'en était pas seul responsable, comme
me l'expliqua plus tard un des anciens :
la responsabilité en fut répartie sur tout
le Presbytère de Coughlpen, qui compre-
nait une quinzaine d'églises dans l'île et
sur la grande terre. La vieille église, ne
pouvant plus être réparée, avait été dé-
molie et la nouvelle fut construite sur les
mêmes fondations. Le ministre et le chef
du presbytère, assimilant ces fondations
à une carène de navire, ne conçurent
même pas l'idée que l'église neuve pÚt
être considérée légalement comme diffé-
rente de l'ancienne.
— Trois couples y furent mariés au
cours de la première semaine — dit Clara
— Samuel Dundee et Agnès Hewit les pre-
miers ; puis, le lendemain, Albert Mahan
et Minnie Duncan ; et, à la fin de la
semaine, Eddie Troy et Flow Mackin-
tosh. Les trois hommes étaient marins et,
au but de six semaines, ils avaient tous
rejoint leurs navires et étaient partis en
mer, sans se douter le moins du monde de
leur fausse position.
Le démon de la perversité dut se pâmer
de rire devant la situation. Tout concou-
rait à la. corser. Les mariages avaient été
célébrés dtins la première semaine de
mai, ce fut seulement au bout de trois
mois que le ministre, conformément à la
loi, adressa son rapport trimestriel aux
autorités civiles de Dublin. Il reçut une
prompte réponse l'avertissant que son
son église ne possédait pas d'existence lé-
gale, dès lors qu'elle n'était pas déclarée
selon la loi. Naturellement, le pasteur
s'empressa de remplir cette formalité,
mais on ne pouvait raccommoder les ma-
riages avec la même facilité. Les trois ma-
rins voguaient en mer et, bref, leurs fem-
mes n'étaient pas leurs épouses.
— Mais le ministre ne voulait pas alar-
mer les gens, dit Clara. Il resta coi et at-
tendit le retour des navigateurs. Il se
trouvait par hasard à l'autre bout de l'île
pour célébrer un baptême lorsque Albert
Mahan rentra à l'improviste, son navire
étant au bassin de Dublin. Neuf heures
du soir sonnaient quand le ministre, en
pantoufles et robe de chambre, apprit la
nouvelle. Il se lève d'un bond, demande un
cheval et une selle et court comme le vent
à la recherche d'Albert Mahan. Celui-ci
allait se mettre au lit et s'était déjà dé-
chaussé d'un pied quand le pasteur arrive.
« — Venez avec moi tous les' deux !
crie le pasteur hors d'haleine.
« — Pour quoi faire, alors que je suis
éreinté et en train de me coucher ? de-
mande Albert.
« — Pour que je vous marie légalement,
dit le ministre.
« Albert lui jette un regard sombre et
s'écrie :
« — Voyons, mon révérend, vous plai-
santez !
« Mais en lui-même, comme il me le
confia plus tard, il s'étonnait que le mi-
nistre s'adonnât au whisky si tard dans
la vie.
« Nous ne sommes pas mariés ! pro-
teste Minnie.
«Le révérend fait un signe de dénéga-
tion.
« — Et je ne suis pas Mme Mahan ?
« — Non, dit-il, vous n'êtes pas
Mme Mahan. Vous êtes tout simplement
Mlle Dunean.
« — Mais vous nous avez mariés vous-
même, dit-elle.
« — Je vous ai mariés sans vous ma-
rier, répond-il. Et là-dessus, il leur ra-
conte toute l'histoire. Albert remet son
soulier, tous deux s'en vont avec lui, et
cette fois ils sont mariés selon les règles.
Comme devait dire plus tard Albert Ma-
han :
« — Il n'y a pas beaucoup d'hommes
qui aient eu deux nuits de noces dans
l'île MacGill.
Deux mois après, Edclie Troy vint en
congé et fut promptement remarié. Mais
Samuel Dundee était parti pour un voyage
de trois années et n'arriva point au terme
fixé. Pour compliquer la situation, un pe-
tit garçon de plus de deux ans l'attendait
dans les bras de sa mère. Les mois se
passaient et la jeune femme dépérissait
d'inquiétude.
— Ce n'est pas pour moi que je me
tracassse — disait-elle fréquemment —
c'est pour ce pauvre enfant sans père. Si
un malheur arrivait à Samuel, dans quelle
situation se trouverait le petit ?
Le Bureau Lloyd's porta manquant le
Loughbank, et les propriétaires cessèrent
d'envoyer à la femme de Samuel sa demi-
solde mensuelle. Mais ce fut surtout la
question de légitimité de l'enfant qui dé-
rangea l'esprit de sa mère. Quand tout
espoir du retour de Samuel fut abandonné,
Agnès Hewitt alla se noyer avec son bébé
dans le détroit. Et c'est ici que se corse
la tragédie. Le Loughbank n'était pas
perdu. Par suite d'une série de désastres
et de retards inénarrables, il avait fait,
sans pouvoir donner de nouvelles, un de
ces voyages prolongés qu'on enregistre
une fois ou deux au cours d'un demi-
siècle. Comme le démon devait se tenir
les côtes ! Samuel revint, et quand il ap-
prit la nouvelle, quelque chose se brisa
dans son cœur ou dans sa tête. Le len-
demain matin, on le trouva étendu sur la
tombe de sa femme et de son enfant, où il
avait essayé de se tuer. Jamais, dans
l'histoire de l'île MacGill, on n'avait en-
tendu parler d'un moribond aussi terrible.
Il cracha à la figure du ministre, le traita
de tous les noms et mourut en proférant
des blasphèmes effroyables, à tel point
que ceux qui le soignaient accomplissaient
leur besogne avec des mains tremblan-
tes et en détournant la tête.
Et malgré tout cela, Marguerite Hénan
donna à son premier-né le prénom de Sa-
muel.
♦ ♦
Comment expliquer l'obstination de
cette femme, ou peut-être l'obsession mor-
bide qui la poussait à baptiser ainsi l'un
de ses fils ? Son troisième enfant fut une
fille, à laquelle elle octroya son propre
prénom, et le quatrième fut encore un
garçon.
En dépit des coups dont le destin l'a-
vait déjà frappée, et de ruptures immi-
nentes avec parents et amis, elle s'entêta
à vouloir donner à son enfant le prénom
de son frère. Ses amies d'enfance lui
tournèrent le dos à l'église ; sa propre
mère, après une dernière supplication,
quitta sa maison en l'avertissant qu'elle
ne lui adresserait plus la parole de sa vie
si elle faisait baptiser son enfant sous
ce nom ; et la vieille dame tint parole
pendant les trente années qu'elle survécut.
Le ministre consentit à baptiser l'en-
fant sous n'importe quel nom, excepté ce-
lui de Samuel, et tous les autres ministres
de l'île MacGill firent la même restriction.
Marguerite Hénan songea un instant à
recourir à la loi, mais en définitive elle
porta l'enfant à Belfast et le fit baptiser
sous le nom de Samuel.
Et alors, comme un démenti donné à
l'île entière, il ne se passa rien d'anor-
mal. Le garçon grandit et prospéra. Le
maître d'école ne cessait de le vanter
comme le plus intelligent de tous ses élè-
ves passés et actuels. Doué d'une splendide
constitution, Samuel s'accrochait forte-
ment à la vie; à l'étonnement général, il
échappa aux malaises ordinaires de l'en-
fance. Il ignora rougeole et coqueluche,
oreillons et migraines. Il semblait cuirassé
contre les microbes et à l'abri de toute con-
tagion, et, au dire d'un ancien, « jamais
clou ni bouton n'apparurent sur cette peau
saine ». Il battit tous les records scolaires
en instruction comme en éducation phy-
sique, et il rossa tous les garçons de son
âge et de sa taille dans l'île MacGill.
-0 &
D'autres enfants virent à Marguerite.
Son cinquième fut un garçon qu'elle appela
Jacques. Trois filles suivirent en rapide suc-
cession, Alice, Sarah et Nora, puis un pe-
tit Timothée et encore deux filles, Florence
et^ Catherine. Cette dernière était la on-
zième et Marguerite Hénan, à trente-cinq
ans, se départit de ses prouesses. Elle
avait bien rempli son devoir envers l'île
MaeGill et la reine d'Angleterre. Il lui res-
tait neuf enfants en bonne santé. Tout al-
lait bien, et la mort des deux premiers sem-
blait avoir apaisé la malechance. Neuf en-
fants prospéraient, et l'un d'eux se nom-
mait Samuel.
Jacques choisit la carrière maritime,
bien que ce fût moins une affaire de choix
qu'une obligation. Dans l'île MacGil!, les
aînés cultivaient la terre, les autres la-
bouraient les vagues. Timothée suivit
l'exemple de Jacques, et quand ce dernier
reçut son premier commandement, celui
d'un vapeur de cabotage de Cardiff, Ti-
mothée était second sur un grand navire à
voiles.
Cependant Samuel ne mordait guère à
la terre. La vie de fermier ne lui disait
pas grand-chose. Ses frères s'en allaient
en mer, non par vocation, mais faute d'au-
tre moyen de gagner leur pain; et l'autre,
qui n'avait pas besoin de partir, enviait
leur sort quand, au retour de lointains
voyages et assis près du feu dans la cui-
sine, ils narraient les merveilles des pays
d'outre-mer.
Samuel s'adonna à l'étude, et au grand
désappointement de son père, alla à Bel-
fast passer des examens et conquérir des
diplômes supplémentaires. Quand le vieux
maître d'école prit sa retraite, Samuel le
remplaça. En secret, cependant, il étudiait
la navigation, et Marguerite était char-
mée lorsque, assis près du feu avec ses
frères et en dépit de leurs brevets de se-
conds, il les embrouillait dans les détails
théoriques de leur profession.
Tom Hénan seul fut profondément scan-
dalisé lorsque Samuel, instituteur gentle-
man et héritier de la ferme Hénan, s'en-
gagea sur un navire en qualité de matelot.
Marguerite avait une confiance aveugle en
l'étoile de son fils, et tout ce qu'il faisait
lui paraissait judicieux. Conformément à
la veine attachée à la glorieuse person-
nalité de Samuel, jamais on ne vit un ma-
telot monter plus rapidement ,-.en grade.
Deux ans à peine après son entrée dans
le poste d'équipage, il passa derrière le
mât en qualité de second stagiaire. Cela
se passait dans un port fiévreux de la
Côte occidentale, et le comité de patrons
qui l'examina sur la science de la naviga-
tion, reconnut qu'il en savait plus long
qu'ils n'en avaient oublié eux-mêmes. Deux
ans après il partait de Liverpool, en qua-
lité de second sur la Starry Grace, ayant
en poche ses deux brevets de second et de
capitaine au long cours. Et alors se produi-
sit l'événement dont la prévision faisait
hocher la tête aux vieux insulaires.
0 e
Il me fut raconté par Gavin Macnab,
quartier-maître en ce temps-là à bord du
Starry-Grace, et originaire lui-même de
l'île MacGill.
— Je m'en souviens comme d'hier, dit-il.
Nous faisions route vers l'est et luttions
contre le mauvais temps. Il n'y eut jamais
un meilleur marin que Samuel Hénan. Je
me rappelle son expression ce matin-là,
tandis qu'il regardait les grosses vagues
qui nous arrivaient par l'arrière, et obser-
vait la façon dont se comportait le navire...
Le capitaine était en bas et passait ses
journées à boire. A sept heures Hénan ra-
mena le navire tête au vent, n'osant plus
le faire courir vent arrière dans cette mer
démontée. A huit heures, après déjeuner,
il descendit, et une demi-heure après le
capitaine monta, les yeux troubles, la dé-
marche incertaine et se cramponnant à
l'échelle. Ça bardait, je vous prie de croire,
et il restait là, clignant les yeux, hochant
la tête et marmottant tout seul.
« — Ote-toi de là ! » dit-il enfin à
l'homme de barre.
« — Mon Dieu ! » s'écria l'aide-second,
qui se tenait près de lui.
« — Le capitaine ne le regarda
même pas, il continuait son soliloque.
Et tout à coup il se redressa et re-
leva la tête en criant : « Mets la barre
dessus, mon bonhomme ! Que le diable
t'emporte ! Es-tu sourd à ne pas enten-
dre ? »
« Une vraie veine d'ivrogne ! La Starry
Grâce vira devant une tempête de tous les
diables, sans embarquer une goutte d'eau,
tandis que l'aide-second hurlait des ordres
et que l'équipage se précipitait affolé. Sur
quoi le capitaine hocha la tête avec satis-
faction et redescendit faire son plein de
whisky. Un véritable attentat contre nos
vies à tous, ni plus ni moins, car ce n'était
pas le moment, même pour le plus gros
navire du monde, de courir vent arrière.
Courir ! Je n'ai jamais rien vu de pareil.
C'était inimaginable, et pourtant voilà qua-
rante ans que je bourlingue sur les mers,
en comptant mes années de mousse. C'était
effrayant, je vous l'affirme.
« L'aide-second était pâle comme un
mort : il resta seul pendant une demi-
heure, puis, n'y pouvant plus tenir, il des-
cendit appeler Samuel et le troisième se-
cond. Un fameux marin que ce Samuel :
mais c'en était trop pour lui. Il regarda
et observa, examinant la situation sous
toutes ses faces sans y trouver d'issue. Il
n'osait pas mettre en panne. Le navire
aurait été balayé de tous ses hommes et
agrès avant de se redresser. Il n'y avait
rien à faire qu'à continuer de courir. Et si
le temps empirait, nous étions perdus de
toute façon, car tôt ou tard cette mer dé-
montée nous emporterait par-dessus la
poupe.
« Vous ai-je parlé tout à l'heure d'une
tempête de tous les diables '? C'était encore
bien pis ! Satan en personne devait met-
tre la main au bouillon. J'ai vu pas mal
d'horreurs, mais je ne tiens pas à en re-
voir une pareille. Pas un homme de l'équi-
page n'osait se mettre dans son hamac.
Non, pas un ne se tenait dans, l'entrepont.
Groupés sur le rouf, ils regardaient en se
cramponnant. Les trois seconds se tenaient
sur le gaillard d'arrière avec les deux ti-
moniers, et le seul individu en bas était le
capitaine, qui ronflait, ivre-mort.
« Et alors je la vis venir, à un mille
de distance, dominant toutes les autres
comme une île... la vague la plus grosse
que j aie aperçue de ma vie. Les trois se-
conds, l'un à côté de l'autre, la regar-
daient, priant comme nous tous qu'elle ne
se brisât pas au passage. Mais il devait
en être autrement. A la dernière minute
au moment où elle se dressait comme une
montagne,_ surplombant l'arrière et ca-
chant le ciel, les trois officiers se disper-
sèrent, le second et le troisième se hâtant
vers le mât d'artimon pour y grimper, le
premier courant au gouverna'il pour y prê-
ter main-forte. C'était un homme brave ce
Samuel Héran. Il se précipitait au-devant
de cette mère de toutes les vagues, pensant
non pas à lui-même, mais au navire. Les
deux timoniers étaient attachés à la roue,
mais il voulait être prêt à les remplacer
s'ils étaient tués. La vague arriva. Nous
autres sur le rouf ne pouvions voir le gail-
lard d'arrière à cause des milliers de ton-
nes d'eau qui s'y déversèrent. Cette vague
nettoya tout. emporta tout, les deux se-
conds en train de grimper dans les hau-
bans d'artimon, Samuel Héran courant
vers le gouvernail, les deux timoniers at-
tachés à la barre, et la barre elle-même.
Nous ne devions plus revoir aucun d'eux,
car le navire coiffa en l'absence de gou-
vernail, et deux hommes de l'équipage fu-
rent arrachés du rouf, sans parler du
charpentier que nous ramassâmes à la
coupée d'arrière les membres en marme-
lade. »
Et ici intervint le miracle, la merveil-
leuse preuve de l'esprit héroïque de cette
femme. Marguerite Héran comptait qua-
rante-sept ans lorsque lui parvint la nou-
velle de la mort de Samuel; et peu de
temps après, l'incroyable rumeur se répan-
dit dans l'île. Je dis bien « incroyable »,
car les habitants eux-mêmes refusaient
d'y croire. Le docteur Hall s'en moqua, et
tout le monde en fit des gorges chaudes.
On attribua le commérage à Sarah Dack,
domestique des Hénan, la seule qui de-
meurât avec Marguerite et son mari. Sa-
ray persista clans son affirmation et fut
traitée de menteuse. Une ou deux person-
nes se risquèrent à questionner Tom Hé-
nan lui-même, mais leur audace ne leur
attira que jurons et reproches.
La rumeur s'apaisa, l'attention générale
étant maintenue accaparée par le nau-
frage, dans les mers Chine, du Grenoble
dont tous les officiers et la moitié de
l'équipage étaient nés et mariés dans l'île
Jla cG ill.
Cependant la rumeur ne s'éteignit point:
Sarah la colportait de moins en moins
discrètement, Tom Hénan paraissait plus
sombre que jamais, et le docteur Hall,
après une visite à la maison Hénan, ne
s'en gaussait plus.
De fait, ce fut un garçon, et un merveil-
leux garçon. Le docteur Hall s'extasiait
sur sa perfection physique et sa force con-
sidérable et écrivit un mémoire pour signa-
ler à la Société médicale de Dublin le cas
le plus intéressant qu'il eût rencontré au
cours de sa longue carrière.
Quand Sarah révéla le poids prodigieux
du bébé, toute l'île la traita encore une
fois de menteuse. Mais lorsque le méde-
cin jura l'avoir pesé lui-même, l'île se tint
coite et accepta désormais tous les bavar-
dages de Sarah au sujet de la croissance
et de l'appétit de l'enfant.
Et cette fois encore, Marguerite Hénan
alla à Belfast et le fit baptiser sous le
nom de Samuel.
♦ ♦
— Il valait son pesant d'or, me dit
Sarah.
Sarah Dack, à l'époque où je la rencon-
trai, était une vieille fille de soixante
ans, munie d'une provision d'expériences
si tragiques que ses dires auraient con-
servé tout leur intérêt pour ses com-
mères alors même que sa langue eût mar-
ché pendant dix ans sans discontinuer.
— Il valait son pesant d'or, déclarait
Sarah Dack. Jamais il ne s'agitait. Assis
au soleil pendant des heures, il ne bou-
geait pas tant qu'il n'avait pas faim. Et
d'une force ! Quand il vous serrait la
main, on aurait dit un homme. Je m'en
souviens; quelques heures après sa nais-
sance, il me serra si fort que je poussai
un cri presque d'effroi. Avec cela une
santé merveilleuse. Il dormait et man-
geait et grandissait sans jamais inspirer
la moindre inquiétude. Jamais il ne fit
perdre à personne une nuit de sommeil,
ni même une minute, même quand ses
dents perçaient. Marguerite le faisait sau-
ter sur ses genoux et demandait si l'on
avait jamais vu plus beau petit gars dans
les trois royaumes.
« Il grandissait !... à proportion de ce
qu'il tétait. A un an on lui en aurait donné
deux. Il faisait bien des bruits de gar-
gouille dans la gorge et rampait à quatre
pattes, mais il fut lent à marcher et à
parler. On pouvait s'y attendre au train
où il poussait : tout s'en allait en force et
santé. Le vieux Tom Hénan lui-même se
réjouissait de le voir si solide. Le méde-
cin fut le premier à concevoir quelques
soupçons : je m'en souviens bien, et ce-
pendant j'étais loin de me douter de quoi
il retournait. Je le voyais faire passer des
objets devant les yeux de Samuel et pro-
duire des bruits forts ou doux, loin ou
près des petites oreilles. Puis le médecin
s'en allait les sourcils froncés et secouant
la tête comme si le gosse était malade.
Mais j'aurais pu jurer le contraire, moi
qui le voyais manger et grandir. Cepen-
dant le médecin ne disait rien à Margue-
rite et ce n'était pas mon affaire de de-
viner ce qui l'inquiétait.
« Je me souviens encore du jour où le
petit Samuel parla pour la première fois.
Agé de deux ans alors, il possédait la taille
d'un enfant de cinq ans, bien qu'il ne put
encore réussir à marcher. Il courait a
quatre pattes, heureux et content pourvu
qu'on lui donnât à manger promptement
et fréquemment, si fréquemment que c'eii
était extraordinaire. J'étais en train
d'étendre du linge à sécher quand le voilà
qui s'amène, balançant sa grosse tête à
droite et à gauche et clignant des yeux
au soleil. Et tout à coup il parla. J'en
fus tellement saisie que je faillis mourir
de frayeur, et je compris tout de suite les,
La Chasse
aux rêves
ROMAN
Dans cet ouvrage, M. Jean Fayard
a témoigné une force et une maturité
dont on le sentait capable depuis
q.Mal d'amour», mais qu'il n'avait paà
encore montrée à ce point.
Edmond JALOUX.
12 fr. A. FAYARD et Cie, édit.
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■ pour éviter les substitutions. M
^ Direction Vals-Saint-Jean. 63, BJHaussmann,PARIS.
— Je choisis cette station, si vous me promettez que j'y trouverai
toutes ces demoiselles.
SAMUEL
Nouvelle Inédite par Jack LONDON
Traduit de l'anglais par Louis POSTIF
Marguerite Hénan ne me
produisit jamais une telle
impression que le jour où
je l'aperçus, par hasard,
portant un sac de grains de
cinquante kilos sur l'é-
paule ; elle avançait à pas
menus, mais sûrs, de la
charrette à l'écurie, et fit une pause pour
reprendre haleine au pied de l'escalier me-
nant au coffre à grain. Elle franchit les
quatre marches raides l'une après l'autre,
sans se presser, sans hésiter, avec une as-
surance qui m'enleva toute crainte de voir
le sac échapper sous le double faix du
grain et des années. Sa vieillesse mani-
feste m'avait poussé à m'arrêter près de
la voiture pour la regarder faire.
Six fois elle accomplit le trajet de la
charrette à l'écurie avec un plein sac
sur le dos, sans paraître remarquer ma
présence. La voiture vide, elle chercha
des allumettes dans sa poche et se mit à
tirer sur une courte pipe en terre, refou-
lant le tabac brûlant d'un pouce calleux et
apparemment insensible.
— Vous faites une rude travail pour
une femme de votre âge, risquai-je.
Elle posa sur moi son regards étrange-
ment fixe. Sa pensée et sa parole trahis-
saient une lenteur voulue et une parfaite
conviction que. l'éternité lui appartenant,
elle n'avait nullement besoin de se pres-
ser. Je me sentis de nouveau troublé par
cette assurance prodigieuse. Dans cette
éternité bien à elle, le temps ne lui man-
quait pas pour poser les pieds bien a
plat et se maintenir en parfait équilibre :
il y avait place, en un mot, pour la certi-
tude, et il n'y en avait aucune pour un
faux pas, ni dans sa vie spirituelle, ni
dans ce débardage de sacs de cinquante
kilos.
L'impression produite était fantastique.
Un hasard des plus précaires venait de
me mettre en présence i:l'un . être dépas-
sant mes propres conceptions de l'âme
humaine, et plus je me renseignerais au
cours des semaines suivantes sur le compte
de Marguerite Hénan, plus elle me pa-
raîtrait mystérieuse et lointaine, telle une
inconnue tombée de quelque autre pla-
nète : nulle remarque, venant d'elle ou
d'aucun des habitants de l'île, ne m'in-
diquerait quelles façons de vivre, quelles
ardeurs sentimentales ou quelles contem-
plations philosophiques avaient ou mode-
ler son être antérieur ou actuel.
— J'aurai soixante-douze ans le ven-
dredi-saint, d'aujourd'hui en quinze, dit-
elle en réponse à ma question.
— Mais vous êtes un peu âgée pour ac-
complir ce travail d'homme, et même
d'homme solide — insistai-je.
Elle parut se replonger dans son
atmosphère d'éternité contemplative, et
j'en fus affecté à tel point que je n'au-
rais. 'pas été surpris de me réveiller un
siècle ou deux plus tard pour entendre
le commencement de sa réponse :
— Il faut que le travail se fasse, et je
ne veux rien devoir à personne.
— Mais n'avez-vous pas d'enfants, ni de
famille ?
— Oh si ! des quantités, mais ils ne
jugent pas à propos de m'aider.
Elle tira quelques instants sur sa pipe,
puis ajouta, en indiquant la maison d'un
signe de tête :
— Je vis seule.
Je jetai un coup d'œil vers l'habitation
spacieuse et couverte de chaume, la
grande écurie et la vaste perspective de
champs qui en dépendaient évidemment :
— C'est un beau morceau de terrain à
cultiver vous même.
— Oui, c'est un grand, soixante-dix
acres. Cela suffisait à occuper mon vieux
mari ainsi qu'un fils et un domestique,
sans parler des aides engagés pour la
moisson et d'une servante pour l'intérieur.
Elle grimpa dans la charrette, rassem-
bla les rênes et me fouilla de son regard
perçant.
— Vous venez sans doute de l'autre
côté de la mer, d'Amérique, n'est-ce pas ?
— Oui, je suis Yankee.
— On ne doit pas rencontrer dans vo-
tre pays beaucoup d'indigènes de l'île Mac
Gin ?
— Je ne me souviens pas d'en avoir vu
un seul des Etats-Unis.
Elle hocha la tête.
— Les gens d'ici sont attachés à leur
pays, ce qui ne veut pas dire qu'ils ne
voyagent guère. Mais ils finissent par
revenir à la maison, du moins ceux qui ne
périssent pas en mer ou par les fièvres et
autres maladies des contrées étrangères.
— Alors vos fils ont dû naviguer et re-
venir au pays ?
— Oh ! oui : tous, excepté Samuel,
qui s'est noyé.
Quand elle prononça le nom de Samuel,
je crus surprendre dans ses yeux une bi-
zarre lueur, et, par une sorte de choc télé-
pathique, deviner en elle une terrible tris-
tesse, un immense regret. Il me sembla que
tel était le secret de cette nature impéné-
trable, le contact instantané qui me lais-
sait entrevoir ses profondeurs, le fil con-
ducteur qui, si je le suivais jusqu'au bout,
me permettrait de déchiffrer cette âme
étrange. Je grillais d'envie de lui poser
une question, mais elle la devança.
Elle fit claquer sa langue pour exciter
le cheval, me lança un « Bonjour, Mon-
sieur ! » et la voiture s'éloigna.
♦ ♦
Les habitants de l'île MacGill sont des
gens simples, rustiques, et je doute qu'il
existe au monde une population plus so-
bre, plus économe et plus laborieuse.
Un bras de mer large au plus d'un demi-
mille sépare l'île MacGill de la terre irlan-
daise. Une fois ce détroit franchi, on se
trouve dans un pays tout différent, où pré-
domine l'influence écossaise. D'abord, les
insulaires sont presbytériens. En consta-
tant qu'il n'existe pas un seul cabaret dans
cette île peuplée de sept mille âmes, on se
fait une idée de la tempérance de sa popu-
lation. Conformément aux vieilles coutu-
mes. l'opinion publique et les ministres
du culte y exercent une puissante autorité.
tandis que les pères et mères y sont res-
pectés et obéis comme en bien peu de coins
du monde moderne. On n'y fait la cour que
jusqu'à dix heures du soir, et jamais une
jeune fille ne s'y promène avec un jeune
homme à l'insu et sans le consentement
de ses parents.
♦ ♦
Ce fut par le patron d'un vapeur de for-
tune, et en qualité de passager de Colombo
à Rangoun, que j'entendis parler pour la
première fois de l'île MacGill; grâce à sa
lettre de recommandation, je pus me pré-
senter dans la maison de Mme Ross, veuve
dun maître d'équipage. Elle vivait dans
l'île avec sa fille et pour le moment ses
deux fils naviguaient en mer. Mme Rosi-
ne prenait pas de pensionnaires, mais al]
vu de la lettre du capitaine Ross, elle COll-
sentit à me recevoir. Le soir de ma ren-
contre avec Marguerite Hénan, j'interro-
geai Mme Ross à son sujet et compris tout
de suite que j'étais tombé sur un véritable
mystère.
Comme tous les habitants de l'île — je
ne devais pas tarder à m'en apercevoir —
Mme Ross manifesta une sincère répu-
gnance à discuter le cas de Marguerite
Hénan. Cependant, ce soir-là même, j'ap-
pris que Marguerite Hénan passait jadis
pour la plus belle femme de l'île. Fille d'un
fermier à l'aise, elle avait épousé Thomas
Hénan, un fermier également riche. A part
les occupations ordinaires du ménage, elle
n'était pas habituée à travailler, ni même,
à la différence des autres femmes de l'île,
à donner un coup de main au travail des
champs.
— Mais où sont ses enfants ? deman-
dai-je.
— Deux de ses fils, Jacques et Timo-
thée, sont mariés et naviguent. La grande
maison près du bureau de poste appartient
à Jacques. Ses filles non mariées vivent
avec celles qui le sont. Et les autres sont
morts.
— Les Samuel ! interrompit Clara avec
une nuance de malice.
Clara était la tille de Mme Ross. une
jeune et forte personne aux traits agréa-
bles, avec des yeux noirs d\.ne remarqua-
ble beauté.
— Il n'y a pas de quoi plaisanter, re-
montra sa mère.
— Les Samuel ? demandai-je. Je ne
comprends pas.
— Ses quatre fils qui sont morts.
— Et tous les quatre s'appelaient Sa-
muel ?
— Oui.
— C'est étrange, remarquai-je dans le
silence qui se prolongeait.
— Très étrange, confirma Mme Ross en
s'activant au tricot posé sur ses genoux,
un des innombrables vêtements de dessous
qu'elle tricotait sans relâche pour les quar-
tiers-maîtres, ses fils.
— Et les Samuel sont les seuls qui soient
morts ? demandai-je dans un nouvel effort
de curiosité.
— Les autres vivent encore. Une belle
famille. Il n'y en avait pas de plus belle
dans toute l'île. Et jamais plus beaux gar-
çons n'en sont partis pour naviguer. Le
ministre les citait comme modèles. Et ja-
mais le moindre scandale n'a éclaboussé
les filles.
— Mais comment se fait-il qu'elle se
trouve seule dans sa vieillesse ? insistai-je.
Pourquoi ses propres enfants ne s'oeçu-
pent-ils pas d'elle ? Pourquoi cet isole-
ment ? Ne vont-ils jamais voir ni la
soigner ?
— Jamais aucun d'eux n'y est allé de-
puis plus de vingt ans. C'est elle qui a
attiré cette solitude sur sa tête. Elle les a
chassés de la maison comme elle a chassé
de la vie le vieux Tom Hénan, son défunt
mari.
— La boisson ? hasardai-je.
Mme Ross secoua la tête avec dédain.
Un long silence suivit, durant lequel
Mme Ross tricota plus résolument que ja-
mais.
♦ ♦
En regardant les curiosités exotiques
rapportées par les fils de la maison, je
réfléchissais au mystère de Marguerite
Hénan, qui avait poussé son mari à la
tombe et que ses enfants avaient aban-
donnée. Sinon à la boisson, à quoi attri-
buer cette décadence ? A quelque mons-
trueuse cruauté ? A quelque infidélité re-
tentissante — ou l'un de ces terribles cri-
mes que commettent parfois ces paysans
de l'ancien monde ?
Mais à mesure que je soumettais mes
hypothèses à Mme Ross, elle hochait la
tête :
— Vous n'y êtes pas, disait-elle. Mar-
guerite fut bonne épouse et bonne mère,
et je la crois incapable de faire du mal
à une mouche. Elle a élevé sa famille dans
la crainte du Seigneur et d'après les
bons principes. L'ennui, c'est qu'elle de-
vint lunatique... idiote.
Et pour me faire mieux comprendra, elle
se tapota le front.
— Mais j'ai causé avec elle tantôt —
objectai-je — et elle m'a produit l'effet
d'une femme très sensée et d'une luci-
dité remarquable pour son âge.
— Oui, tout ce que vous dites est_ vrai,
continua-t-elle tranquillement. Mais ce
n'est pas à cela que je fais allusion : je
veux parler de sa mauvaise tête et de son
obstination insensée. Il n'y a jamais eu
au monde de femme plus entêtée. Et tout
cela à cause du nom de Samuel, qui était
celui de son plus jeune frère, celui, pa-
raît-il, qu'elle aimait le mieux, et qui
se suicida par la faute du ministre pres-
bytérien qui avait omis de déclarer et de
faire bénir l'église neuve à Dublin. C'était
signe que le nom portait malheur, mais
elle ne voulut pas l'admettre, et les gens
jasèrent quand elle donna le nom de Sa-
muel à son premier-né, celui qui mourut
du croup. Et ne s'avisa-t-elle pas de re-
donner le nom au prochain ? Celui-ci pé-
rit à l'âge de trois ans, en tombant dans
un baquet d'eau bouillante. Tout cela, vous
dis-je, provient de son absurde entête-
ment.
« Il lui fallait un Samuel, et cette
obstination causa la mort de ses quatre
fils. Après le décès du premier, la mère
de Marguerite ne s'était-elle pas agenouil-
lée dans la poussière, à ses pieds, la sup-
pliant de ne pas donner ce nom de Sa-
muel à son prochain enfant '? Mais pas
moyen de la détourner de sa résolution
Marguerite Hénan n'en a jamais fait qu'à
sa façon et ne s'est jamais montrée aussi
obstinée qu'à propos de ce nom de Sa-
muel.
« Elle raffolait positivement de ce nom.
là. Le croiriez-vous ? Tous ses voisins
et même ses parents et alliés, sauf ceux
qui habitaient avec elle, se levèrent et
sortirent au moment du baptême du se.
cond... celui qui fut ébouillanté — a l'ins.
tant où le ministre, ayant demandé que:
serait le nom de l'enfant, elle répondit
Samuel. Ils se levèrent et quittèrent 13
maison. Et, sur le seuil, Fannie, sa tante
maternelle, se retourna et dit de façon f:
être entendue de tout le monde : « Pour
quoi donc veut-elle assassiner ce pauvre
gosse ? » Le ministre n'en perdit pas
une parole, et cela ne lui fit pas plaisir
Mais, comme il le dit plus tard à inor
Carry, qu'y pouvait-il faire ? Tel était
le désir de cette femme, et il n'y a pas de
loi pour empêcher une femme de donner
à son enfant le nom qui lui plaît.
« Il y eut un troisième Samuel. Et
quand il eut péri en mer, au large du car
de Bonne-Espérance, ne viola-t-elle pas
toutes les lois de la nature en mettant au
monde un quatrième fils '? Elle avait qua-
rante-sept ans, je vous le déclare : et à
cet âge-là, elle eut un enfant ! Pensez
donc, à quarante-sept ans ! Ce fut un
scandale pur et simple ! »
♦ ♦
De la bouche de Clara, le lendemain
matin, j'appris l'histoire du frère préféré
de Marguerite Hénan, et de-ci, de-là, au
cours de la semaine suivante, je reconsti-
tuai la tragique histoire de cette femme.
Samuel Dundee était le plus jeune de
ses quatre frères et, au dire de Sarah,
elle professait pour lui une véritable ado-
ration. Il naviguait, en ce temps-là,
comme patron d'un voilier de la ligne
Banks ; et il épousa Agnès Hewitt. On
dépeignait celle-ci comme un feu-follet,
une mince créature aux traits délicats,
douée d'une organisation nerveuse des plus
sensitives. Leur mariage avait été le pre-
mier qui fût célébré dans l'église « neuve »
et, après une lune de miel de deux semai-
nes, Samuel embrassa sa femme et alla
prendre le commandement du Lough-
bank, un quatre-mâts-barque.
Ce fut au sujet de cette église « neuve »
que le ministre commit une bévue : il
n'en était pas seul responsable, comme
me l'expliqua plus tard un des anciens :
la responsabilité en fut répartie sur tout
le Presbytère de Coughlpen, qui compre-
nait une quinzaine d'églises dans l'île et
sur la grande terre. La vieille église, ne
pouvant plus être réparée, avait été dé-
molie et la nouvelle fut construite sur les
mêmes fondations. Le ministre et le chef
du presbytère, assimilant ces fondations
à une carène de navire, ne conçurent
même pas l'idée que l'église neuve pÚt
être considérée légalement comme diffé-
rente de l'ancienne.
— Trois couples y furent mariés au
cours de la première semaine — dit Clara
— Samuel Dundee et Agnès Hewit les pre-
miers ; puis, le lendemain, Albert Mahan
et Minnie Duncan ; et, à la fin de la
semaine, Eddie Troy et Flow Mackin-
tosh. Les trois hommes étaient marins et,
au but de six semaines, ils avaient tous
rejoint leurs navires et étaient partis en
mer, sans se douter le moins du monde de
leur fausse position.
Le démon de la perversité dut se pâmer
de rire devant la situation. Tout concou-
rait à la. corser. Les mariages avaient été
célébrés dtins la première semaine de
mai, ce fut seulement au bout de trois
mois que le ministre, conformément à la
loi, adressa son rapport trimestriel aux
autorités civiles de Dublin. Il reçut une
prompte réponse l'avertissant que son
son église ne possédait pas d'existence lé-
gale, dès lors qu'elle n'était pas déclarée
selon la loi. Naturellement, le pasteur
s'empressa de remplir cette formalité,
mais on ne pouvait raccommoder les ma-
riages avec la même facilité. Les trois ma-
rins voguaient en mer et, bref, leurs fem-
mes n'étaient pas leurs épouses.
— Mais le ministre ne voulait pas alar-
mer les gens, dit Clara. Il resta coi et at-
tendit le retour des navigateurs. Il se
trouvait par hasard à l'autre bout de l'île
pour célébrer un baptême lorsque Albert
Mahan rentra à l'improviste, son navire
étant au bassin de Dublin. Neuf heures
du soir sonnaient quand le ministre, en
pantoufles et robe de chambre, apprit la
nouvelle. Il se lève d'un bond, demande un
cheval et une selle et court comme le vent
à la recherche d'Albert Mahan. Celui-ci
allait se mettre au lit et s'était déjà dé-
chaussé d'un pied quand le pasteur arrive.
« — Venez avec moi tous les' deux !
crie le pasteur hors d'haleine.
« — Pour quoi faire, alors que je suis
éreinté et en train de me coucher ? de-
mande Albert.
« — Pour que je vous marie légalement,
dit le ministre.
« Albert lui jette un regard sombre et
s'écrie :
« — Voyons, mon révérend, vous plai-
santez !
« Mais en lui-même, comme il me le
confia plus tard, il s'étonnait que le mi-
nistre s'adonnât au whisky si tard dans
la vie.
« Nous ne sommes pas mariés ! pro-
teste Minnie.
«Le révérend fait un signe de dénéga-
tion.
« — Et je ne suis pas Mme Mahan ?
« — Non, dit-il, vous n'êtes pas
Mme Mahan. Vous êtes tout simplement
Mlle Dunean.
« — Mais vous nous avez mariés vous-
même, dit-elle.
« — Je vous ai mariés sans vous ma-
rier, répond-il. Et là-dessus, il leur ra-
conte toute l'histoire. Albert remet son
soulier, tous deux s'en vont avec lui, et
cette fois ils sont mariés selon les règles.
Comme devait dire plus tard Albert Ma-
han :
« — Il n'y a pas beaucoup d'hommes
qui aient eu deux nuits de noces dans
l'île MacGill.
Deux mois après, Edclie Troy vint en
congé et fut promptement remarié. Mais
Samuel Dundee était parti pour un voyage
de trois années et n'arriva point au terme
fixé. Pour compliquer la situation, un pe-
tit garçon de plus de deux ans l'attendait
dans les bras de sa mère. Les mois se
passaient et la jeune femme dépérissait
d'inquiétude.
— Ce n'est pas pour moi que je me
tracassse — disait-elle fréquemment —
c'est pour ce pauvre enfant sans père. Si
un malheur arrivait à Samuel, dans quelle
situation se trouverait le petit ?
Le Bureau Lloyd's porta manquant le
Loughbank, et les propriétaires cessèrent
d'envoyer à la femme de Samuel sa demi-
solde mensuelle. Mais ce fut surtout la
question de légitimité de l'enfant qui dé-
rangea l'esprit de sa mère. Quand tout
espoir du retour de Samuel fut abandonné,
Agnès Hewitt alla se noyer avec son bébé
dans le détroit. Et c'est ici que se corse
la tragédie. Le Loughbank n'était pas
perdu. Par suite d'une série de désastres
et de retards inénarrables, il avait fait,
sans pouvoir donner de nouvelles, un de
ces voyages prolongés qu'on enregistre
une fois ou deux au cours d'un demi-
siècle. Comme le démon devait se tenir
les côtes ! Samuel revint, et quand il ap-
prit la nouvelle, quelque chose se brisa
dans son cœur ou dans sa tête. Le len-
demain matin, on le trouva étendu sur la
tombe de sa femme et de son enfant, où il
avait essayé de se tuer. Jamais, dans
l'histoire de l'île MacGill, on n'avait en-
tendu parler d'un moribond aussi terrible.
Il cracha à la figure du ministre, le traita
de tous les noms et mourut en proférant
des blasphèmes effroyables, à tel point
que ceux qui le soignaient accomplissaient
leur besogne avec des mains tremblan-
tes et en détournant la tête.
Et malgré tout cela, Marguerite Hénan
donna à son premier-né le prénom de Sa-
muel.
♦ ♦
Comment expliquer l'obstination de
cette femme, ou peut-être l'obsession mor-
bide qui la poussait à baptiser ainsi l'un
de ses fils ? Son troisième enfant fut une
fille, à laquelle elle octroya son propre
prénom, et le quatrième fut encore un
garçon.
En dépit des coups dont le destin l'a-
vait déjà frappée, et de ruptures immi-
nentes avec parents et amis, elle s'entêta
à vouloir donner à son enfant le prénom
de son frère. Ses amies d'enfance lui
tournèrent le dos à l'église ; sa propre
mère, après une dernière supplication,
quitta sa maison en l'avertissant qu'elle
ne lui adresserait plus la parole de sa vie
si elle faisait baptiser son enfant sous
ce nom ; et la vieille dame tint parole
pendant les trente années qu'elle survécut.
Le ministre consentit à baptiser l'en-
fant sous n'importe quel nom, excepté ce-
lui de Samuel, et tous les autres ministres
de l'île MacGill firent la même restriction.
Marguerite Hénan songea un instant à
recourir à la loi, mais en définitive elle
porta l'enfant à Belfast et le fit baptiser
sous le nom de Samuel.
Et alors, comme un démenti donné à
l'île entière, il ne se passa rien d'anor-
mal. Le garçon grandit et prospéra. Le
maître d'école ne cessait de le vanter
comme le plus intelligent de tous ses élè-
ves passés et actuels. Doué d'une splendide
constitution, Samuel s'accrochait forte-
ment à la vie; à l'étonnement général, il
échappa aux malaises ordinaires de l'en-
fance. Il ignora rougeole et coqueluche,
oreillons et migraines. Il semblait cuirassé
contre les microbes et à l'abri de toute con-
tagion, et, au dire d'un ancien, « jamais
clou ni bouton n'apparurent sur cette peau
saine ». Il battit tous les records scolaires
en instruction comme en éducation phy-
sique, et il rossa tous les garçons de son
âge et de sa taille dans l'île MacGill.
-0 &
D'autres enfants virent à Marguerite.
Son cinquième fut un garçon qu'elle appela
Jacques. Trois filles suivirent en rapide suc-
cession, Alice, Sarah et Nora, puis un pe-
tit Timothée et encore deux filles, Florence
et^ Catherine. Cette dernière était la on-
zième et Marguerite Hénan, à trente-cinq
ans, se départit de ses prouesses. Elle
avait bien rempli son devoir envers l'île
MaeGill et la reine d'Angleterre. Il lui res-
tait neuf enfants en bonne santé. Tout al-
lait bien, et la mort des deux premiers sem-
blait avoir apaisé la malechance. Neuf en-
fants prospéraient, et l'un d'eux se nom-
mait Samuel.
Jacques choisit la carrière maritime,
bien que ce fût moins une affaire de choix
qu'une obligation. Dans l'île MacGil!, les
aînés cultivaient la terre, les autres la-
bouraient les vagues. Timothée suivit
l'exemple de Jacques, et quand ce dernier
reçut son premier commandement, celui
d'un vapeur de cabotage de Cardiff, Ti-
mothée était second sur un grand navire à
voiles.
Cependant Samuel ne mordait guère à
la terre. La vie de fermier ne lui disait
pas grand-chose. Ses frères s'en allaient
en mer, non par vocation, mais faute d'au-
tre moyen de gagner leur pain; et l'autre,
qui n'avait pas besoin de partir, enviait
leur sort quand, au retour de lointains
voyages et assis près du feu dans la cui-
sine, ils narraient les merveilles des pays
d'outre-mer.
Samuel s'adonna à l'étude, et au grand
désappointement de son père, alla à Bel-
fast passer des examens et conquérir des
diplômes supplémentaires. Quand le vieux
maître d'école prit sa retraite, Samuel le
remplaça. En secret, cependant, il étudiait
la navigation, et Marguerite était char-
mée lorsque, assis près du feu avec ses
frères et en dépit de leurs brevets de se-
conds, il les embrouillait dans les détails
théoriques de leur profession.
Tom Hénan seul fut profondément scan-
dalisé lorsque Samuel, instituteur gentle-
man et héritier de la ferme Hénan, s'en-
gagea sur un navire en qualité de matelot.
Marguerite avait une confiance aveugle en
l'étoile de son fils, et tout ce qu'il faisait
lui paraissait judicieux. Conformément à
la veine attachée à la glorieuse person-
nalité de Samuel, jamais on ne vit un ma-
telot monter plus rapidement ,-.en grade.
Deux ans à peine après son entrée dans
le poste d'équipage, il passa derrière le
mât en qualité de second stagiaire. Cela
se passait dans un port fiévreux de la
Côte occidentale, et le comité de patrons
qui l'examina sur la science de la naviga-
tion, reconnut qu'il en savait plus long
qu'ils n'en avaient oublié eux-mêmes. Deux
ans après il partait de Liverpool, en qua-
lité de second sur la Starry Grace, ayant
en poche ses deux brevets de second et de
capitaine au long cours. Et alors se produi-
sit l'événement dont la prévision faisait
hocher la tête aux vieux insulaires.
0 e
Il me fut raconté par Gavin Macnab,
quartier-maître en ce temps-là à bord du
Starry-Grace, et originaire lui-même de
l'île MacGill.
— Je m'en souviens comme d'hier, dit-il.
Nous faisions route vers l'est et luttions
contre le mauvais temps. Il n'y eut jamais
un meilleur marin que Samuel Hénan. Je
me rappelle son expression ce matin-là,
tandis qu'il regardait les grosses vagues
qui nous arrivaient par l'arrière, et obser-
vait la façon dont se comportait le navire...
Le capitaine était en bas et passait ses
journées à boire. A sept heures Hénan ra-
mena le navire tête au vent, n'osant plus
le faire courir vent arrière dans cette mer
démontée. A huit heures, après déjeuner,
il descendit, et une demi-heure après le
capitaine monta, les yeux troubles, la dé-
marche incertaine et se cramponnant à
l'échelle. Ça bardait, je vous prie de croire,
et il restait là, clignant les yeux, hochant
la tête et marmottant tout seul.
« — Ote-toi de là ! » dit-il enfin à
l'homme de barre.
« — Mon Dieu ! » s'écria l'aide-second,
qui se tenait près de lui.
« — Le capitaine ne le regarda
même pas, il continuait son soliloque.
Et tout à coup il se redressa et re-
leva la tête en criant : « Mets la barre
dessus, mon bonhomme ! Que le diable
t'emporte ! Es-tu sourd à ne pas enten-
dre ? »
« Une vraie veine d'ivrogne ! La Starry
Grâce vira devant une tempête de tous les
diables, sans embarquer une goutte d'eau,
tandis que l'aide-second hurlait des ordres
et que l'équipage se précipitait affolé. Sur
quoi le capitaine hocha la tête avec satis-
faction et redescendit faire son plein de
whisky. Un véritable attentat contre nos
vies à tous, ni plus ni moins, car ce n'était
pas le moment, même pour le plus gros
navire du monde, de courir vent arrière.
Courir ! Je n'ai jamais rien vu de pareil.
C'était inimaginable, et pourtant voilà qua-
rante ans que je bourlingue sur les mers,
en comptant mes années de mousse. C'était
effrayant, je vous l'affirme.
« L'aide-second était pâle comme un
mort : il resta seul pendant une demi-
heure, puis, n'y pouvant plus tenir, il des-
cendit appeler Samuel et le troisième se-
cond. Un fameux marin que ce Samuel :
mais c'en était trop pour lui. Il regarda
et observa, examinant la situation sous
toutes ses faces sans y trouver d'issue. Il
n'osait pas mettre en panne. Le navire
aurait été balayé de tous ses hommes et
agrès avant de se redresser. Il n'y avait
rien à faire qu'à continuer de courir. Et si
le temps empirait, nous étions perdus de
toute façon, car tôt ou tard cette mer dé-
montée nous emporterait par-dessus la
poupe.
« Vous ai-je parlé tout à l'heure d'une
tempête de tous les diables '? C'était encore
bien pis ! Satan en personne devait met-
tre la main au bouillon. J'ai vu pas mal
d'horreurs, mais je ne tiens pas à en re-
voir une pareille. Pas un homme de l'équi-
page n'osait se mettre dans son hamac.
Non, pas un ne se tenait dans, l'entrepont.
Groupés sur le rouf, ils regardaient en se
cramponnant. Les trois seconds se tenaient
sur le gaillard d'arrière avec les deux ti-
moniers, et le seul individu en bas était le
capitaine, qui ronflait, ivre-mort.
« Et alors je la vis venir, à un mille
de distance, dominant toutes les autres
comme une île... la vague la plus grosse
que j aie aperçue de ma vie. Les trois se-
conds, l'un à côté de l'autre, la regar-
daient, priant comme nous tous qu'elle ne
se brisât pas au passage. Mais il devait
en être autrement. A la dernière minute
au moment où elle se dressait comme une
montagne,_ surplombant l'arrière et ca-
chant le ciel, les trois officiers se disper-
sèrent, le second et le troisième se hâtant
vers le mât d'artimon pour y grimper, le
premier courant au gouverna'il pour y prê-
ter main-forte. C'était un homme brave ce
Samuel Héran. Il se précipitait au-devant
de cette mère de toutes les vagues, pensant
non pas à lui-même, mais au navire. Les
deux timoniers étaient attachés à la roue,
mais il voulait être prêt à les remplacer
s'ils étaient tués. La vague arriva. Nous
autres sur le rouf ne pouvions voir le gail-
lard d'arrière à cause des milliers de ton-
nes d'eau qui s'y déversèrent. Cette vague
nettoya tout. emporta tout, les deux se-
conds en train de grimper dans les hau-
bans d'artimon, Samuel Héran courant
vers le gouvernail, les deux timoniers at-
tachés à la barre, et la barre elle-même.
Nous ne devions plus revoir aucun d'eux,
car le navire coiffa en l'absence de gou-
vernail, et deux hommes de l'équipage fu-
rent arrachés du rouf, sans parler du
charpentier que nous ramassâmes à la
coupée d'arrière les membres en marme-
lade. »
Et ici intervint le miracle, la merveil-
leuse preuve de l'esprit héroïque de cette
femme. Marguerite Héran comptait qua-
rante-sept ans lorsque lui parvint la nou-
velle de la mort de Samuel; et peu de
temps après, l'incroyable rumeur se répan-
dit dans l'île. Je dis bien « incroyable »,
car les habitants eux-mêmes refusaient
d'y croire. Le docteur Hall s'en moqua, et
tout le monde en fit des gorges chaudes.
On attribua le commérage à Sarah Dack,
domestique des Hénan, la seule qui de-
meurât avec Marguerite et son mari. Sa-
ray persista clans son affirmation et fut
traitée de menteuse. Une ou deux person-
nes se risquèrent à questionner Tom Hé-
nan lui-même, mais leur audace ne leur
attira que jurons et reproches.
La rumeur s'apaisa, l'attention générale
étant maintenue accaparée par le nau-
frage, dans les mers Chine, du Grenoble
dont tous les officiers et la moitié de
l'équipage étaient nés et mariés dans l'île
Jla cG ill.
Cependant la rumeur ne s'éteignit point:
Sarah la colportait de moins en moins
discrètement, Tom Hénan paraissait plus
sombre que jamais, et le docteur Hall,
après une visite à la maison Hénan, ne
s'en gaussait plus.
De fait, ce fut un garçon, et un merveil-
leux garçon. Le docteur Hall s'extasiait
sur sa perfection physique et sa force con-
sidérable et écrivit un mémoire pour signa-
ler à la Société médicale de Dublin le cas
le plus intéressant qu'il eût rencontré au
cours de sa longue carrière.
Quand Sarah révéla le poids prodigieux
du bébé, toute l'île la traita encore une
fois de menteuse. Mais lorsque le méde-
cin jura l'avoir pesé lui-même, l'île se tint
coite et accepta désormais tous les bavar-
dages de Sarah au sujet de la croissance
et de l'appétit de l'enfant.
Et cette fois encore, Marguerite Hénan
alla à Belfast et le fit baptiser sous le
nom de Samuel.
♦ ♦
— Il valait son pesant d'or, me dit
Sarah.
Sarah Dack, à l'époque où je la rencon-
trai, était une vieille fille de soixante
ans, munie d'une provision d'expériences
si tragiques que ses dires auraient con-
servé tout leur intérêt pour ses com-
mères alors même que sa langue eût mar-
ché pendant dix ans sans discontinuer.
— Il valait son pesant d'or, déclarait
Sarah Dack. Jamais il ne s'agitait. Assis
au soleil pendant des heures, il ne bou-
geait pas tant qu'il n'avait pas faim. Et
d'une force ! Quand il vous serrait la
main, on aurait dit un homme. Je m'en
souviens; quelques heures après sa nais-
sance, il me serra si fort que je poussai
un cri presque d'effroi. Avec cela une
santé merveilleuse. Il dormait et man-
geait et grandissait sans jamais inspirer
la moindre inquiétude. Jamais il ne fit
perdre à personne une nuit de sommeil,
ni même une minute, même quand ses
dents perçaient. Marguerite le faisait sau-
ter sur ses genoux et demandait si l'on
avait jamais vu plus beau petit gars dans
les trois royaumes.
« Il grandissait !... à proportion de ce
qu'il tétait. A un an on lui en aurait donné
deux. Il faisait bien des bruits de gar-
gouille dans la gorge et rampait à quatre
pattes, mais il fut lent à marcher et à
parler. On pouvait s'y attendre au train
où il poussait : tout s'en allait en force et
santé. Le vieux Tom Hénan lui-même se
réjouissait de le voir si solide. Le méde-
cin fut le premier à concevoir quelques
soupçons : je m'en souviens bien, et ce-
pendant j'étais loin de me douter de quoi
il retournait. Je le voyais faire passer des
objets devant les yeux de Samuel et pro-
duire des bruits forts ou doux, loin ou
près des petites oreilles. Puis le médecin
s'en allait les sourcils froncés et secouant
la tête comme si le gosse était malade.
Mais j'aurais pu jurer le contraire, moi
qui le voyais manger et grandir. Cepen-
dant le médecin ne disait rien à Margue-
rite et ce n'était pas mon affaire de de-
viner ce qui l'inquiétait.
« Je me souviens encore du jour où le
petit Samuel parla pour la première fois.
Agé de deux ans alors, il possédait la taille
d'un enfant de cinq ans, bien qu'il ne put
encore réussir à marcher. Il courait a
quatre pattes, heureux et content pourvu
qu'on lui donnât à manger promptement
et fréquemment, si fréquemment que c'eii
était extraordinaire. J'étais en train
d'étendre du linge à sécher quand le voilà
qui s'amène, balançant sa grosse tête à
droite et à gauche et clignant des yeux
au soleil. Et tout à coup il parla. J'en
fus tellement saisie que je faillis mourir
de frayeur, et je compris tout de suite les,
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