Titre : Journal des débats politiques et littéraires
Éditeur : [s.n.] (Paris)
Date d'édition : 1894-01-02
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Description : 02 janvier 1894 02 janvier 1894
Description : 1894/01/02 (Numéro Soir). 1894/01/02 (Numéro Soir).
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Description : Collection numérique : Histoire diplomatique :... Collection numérique : Histoire diplomatique : IIe République - Second Empire (1848-1870)
Description : Collection numérique : Histoire diplomatique :... Collection numérique : Histoire diplomatique : IIIe République (1870-1914)
Description : Collection numérique : Histoire diplomatique :... Collection numérique : Histoire diplomatique : d'une guerre à l'autre (1914-1945)
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Source : Bibliothèque nationale de France
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 15/10/2007
Le uu~azéro 0 e~ntim~s 7PAI-IS et D~r~T~l~zlEl~,T'T`~ ~e nuunLa~o 0 eenti~les. 1-
M~-tMtM .n n ~m~~a~a~m~~sa~ x,c,ys~a~`~r~.d:zw.
10 i' AiV ~3 s £
F~a.aa,.of~u^°~
1C6' APdI~~E
MARDI SOIR 2 JANVIER
1894
s;~$carrrsr~;
Placé du Louvre, 4
PRIX DE L'ABONNEMENT
POUR DEUX EDITIONS
mnls 6: mols Ca ia
~ts.
Départements. t8 Ir. ~6 ir. "~2 fr.
Alsace·Loeraüae
Union postale.. et, fr. 4;~ Ir. 84. fr,
1 POUR UNE ÉDITION SEULEMENT
Parie i
Départements. !O tr. 20 tr. 40 fx
Atsace-LorraInel 1
âtnïon postate:IlQ !r. SO 2G fr. G4 fc,
MAADI SOIR 2 JANVIER
-i89~.
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ET PUBLICITÉ
ti~ ne des Prètres=Saint-Geimain-l'Ausérroia, Il
ADRESSE THLf.GHAPHIQ,UB.
cseaTe-Pasis
POLITIQUES ET LITTERAIRES
TARIFS DE LA PUBLtCtTL
Annonces .1. 2 te, la lgpe:
aéolames. 4
Fatie·divers" i
SOMMAIRE
~$att;$mIN DU JOUR. FRANCE Lcgou-
oernement et t`andrchie. ETRANGER
Lea réceptions du Jour de L'an à l'étranger.
AU.JOUR LE JOUR Les plaisirs du Jour de
d'an avec Leurs suites. Rend Doumie.
LETTRE D~FâPAGNEï
iktl REVOLUTION BRÉSILIENNE. V. Notes d'ttn
tén70in.
LA NOUVELLE ANNÉE EN ANGLETERREï
ACTUALITÉS: Lcs anarchistes.
'HORS DE FRANCS Mémoires d'un nvnfiasaa-
de2br a~~gLais. Arvède Barine.
BULLETIN
FRANCE
Le gouvernement. et l'anarchte
Le gouvernement n'a pas cru avoir
accompli son devoir, tout-son devoir, en
réclamant des lois nécessaires et en pro-
mettant de les appliquer avec énergie; i
il:a.'a point .pensé que cette, manifesta-
ttbn platonique pût- suffire, et qu'il eût
acquis le droit, par une heure de fer-
meté, de montrer ensuite une longue
faiblesse jusqu'au jour où un nouvel at-
téiitaC provoquerait chez lui un nouvel
accès de résolution passagère. Il â coni:
pris, en un mot, que le grand point
n'était pas de répondre par une attitude
très courageuse à un acte très criminel,
mais qu'il fallait des actes, et, surtout,
l'esprit de suite dans l'énergie.
On doit l'en féliciter, et on doit le féli-
citer encore d'avoir renoncé, dans la
lutte contre l'anarchie, au système des
petits paquets, qui consiste il. perquisi-
~onner comme au hasard, tantôt adroite
et tantôt il. gauche, un jour à Paris et le
lendemain à l'autre bout de la France,
sans un plan bien arrêté, sans vue d'en-
semble, sans la préoccupation de saisir
d'un seul coup tous les fils des complots.
Les isolés ne sont point aussi solitaires
qu'on le prétend Ravachol avaitdescom-
plices et Vaillant tout au moins desconfi-
dents. Une battue bien organisée et bien
conduite aurait permis de traquer les uns
et les autres dans ces repaires dont par-
lait un, jour Gambetta et; vraisemblable-
ment, de rendre certains attentats im-
possibles. Dans tous° les cas; l'armée du
Crime, l'armée anarchiste efit ét6 tôut à
la fois démoralisée et disloquée.
Ce que les précédents ~inistéresvrÉ'o~ït
pas su ou n'ont pas osé entreprendre, le
Cabinet actuel vient de le faire avec
promptitude, avec décision; avec éner-
gie.
Naturellement, les journaux socialistes
1'en blâment, car ils sont remplis d'in-
dulgence pour les émûtes de Ravachol et
ne dissimulent point une arrière-sympa-
tliie poûç les Vaillant de l'avenir. Le Ra-
dical laisse entendre que ces perquisi-
tions et ces arrestations ne sauraient
porter bonheur aux ministres il en
donne une plaisante raison Il Le pays
n'aime pas- à être dérangé dans ses fê-
tes Il. Que le Radical se rassure le pays
ne s'est pas senti dérangé le moins du
monde, et il n'en est pas encore à croire
qu'il n'est plus de bonnes fêtes si les
EEUI~LETOa.DU JOURNAL DES'DÉBATS
du. mardi soir 2 janvier ,1 894
HORS DE FRANCE
Mémoires d'aa ambassadeur anglais
On ne passe pas un demi-siècle dans
les ambassades sans avoir quelque chose
à raconter. A moins d'être sourd et
aveugle, on sort de:là avec une provision
de souvenirs variés. I! y a de tout dans
les deux volumes parus des Réminis-
t.elaces diplomatiques (i) de lord Augus-
tus Loftus, ancien ministre d'Angleterre
auprès de diverses cours. Ce ne sont pas
de ces Mémoires qui font sensation par
tours révélations; où par àes vues dé gé-
nie, mais ils sont d'un homme du métier,
équitable 'dans ses jugements; il n'en
fallait pas davantage, dans la situation
de tord Loftus, pour donner du piquant
et de l'intérêt à tout ce qui sortirait de
sa plume.
Les mondanités officielles y tiennent
une place proportionnée à leur impor-
tance en diplomatie, ce qui n'est pas peu
dire. Un diplomate de carrière juge un
gouvernement sur un dîner. Au prin-
temps de 1837, Augustus -Lottus; qui
n'était encore qu'un gamin, avait accom-
pagné son père à Paris. il fut invité avec
lui aux Tuileries, où t'attendaient plu-
sieurs sujets d'étonnement. La famille
royale était presque en négligé, l'é-
tiquette de .la cour supprimant les
costumes de cérémonie à partir du
~;mai: L'apparition d'un autre couple an-
sis, constellé de broderies et de dia-
Dipto~natéc-XemPniseences aj tord AtH
~`z F ~(ius. vol:'I 1 et 11, i83?-I86R.
jours de réjouissances pourTes honnétes
gens ne constituent pas, pour les autres,
une trêve de Dieu.
La PetâtéRépublique s'étonne et s'indi-
gne. Elle s'étonne de voir le gouverne-
ment appliquer les « lois inutiles » qu'il
a su «arracher à la Chambre », et cet
étonnement nous cause une vive sur-
prise, Car, enfin, ces lois ne seraient
vraiment inutiles que si la faiblesse des
ministres les laissait dormir; et, d'autre
part, si le gouvernement était résolu à
ne pas se. servir de ces armes, à quoi
bon les forger? Elle s'indigne de l'arres-
tation de quelques socialistes puisqu'il
s'agit de réprimer l'anarchie, pourquoi
mettre en prison ces inoffensifs cito-
yens ? Inoffensifs est bientôt dit; mais
nous constaterons une fois encore, avec
les ministres, les magistrats et la police,
que les socialistes et les anarchistes sont
presque toujours des frères jumeaux. Ils
se ressemblent à ce point qu'il n'est pas
seulement difficile de les distinguer,
Mais.impossible de dire avec un semblant
de certitude où le socialiste finit et
l'anarchiste commence.
ÉTRANGER
Les réceptions du Jour de l'an
d l'd~·anger
Les discours prononcés hier à l'occa-
sion des réceptions du Jour de l'an par
les souverains, les hommes d'Etat ou les
ambassadeurs, et dont nous avons repro-
duit les principaux, n'ont rien eu, pour
la plupart, qui sorte du ton habituel de
ce genre d'éloquence l'on s'est félicité
généralement des progrès accomplis du-
rant l'année qui vient de s'écouler, tout
en manifestant l'espoir que ces progrès
seraient plus marqués encore dans l'an-
née où nous entrons et les quelques
points noirs qui peuvent se trouver aux
horizons particuliers des divers Etats'
n'ont guère eu l'honneur que de quel-
ques vagues allusions.
L'optimisme était de rigueur et nul n'a
manqué à cette règle il n'est pas jus-
qu'au roi Humbertqui, d'après les jour-
naux de Rome, aurait assuré les députa-
tions du Sénat et de la Chambre de son
ferme espoir « qu'il ne serait pas difficile
de surmonterles difficulté du moment»..
C'est d'âilteurs~ù Rome qu'ant-été pro-
noncées`les seules paroles qu'il soit
nécessaire de relever; celles du roi sont
déjà assez significatives, car elles mon-
trent toute la confiance qu'il a dans
l'homme d'Etat récemment appelé par
lui à la tête du gouvernement et dans la
vitalité et le patriotisme de la nation
italienne mais celles de M. Billot,
ambassadeur de France, qui. recevait la
colonie, le sont plus encore peut-être.
M. Billot, dans une allocution pleine
de tact, a déclaré que, si des incidents
regrettables avaient pu faire perdre
quelque chose à la France du terrain
reconquis dans la sympathie des Ita-
liens, il continuait pourtant d'estimer
que « malgré les apparences on était
plus près du but qu'on ne l'avait jamais
été », et les paroles du roi, si gracieuses
pour notre pays, qu'il a citées, sont une
preuve que l'espoir de l'ambassadeur
n'est pas tout à fait vain.
niants, fit encore ressortir la simplicité
dès autres convives. On se mit à table.
Un domestique posa une oie bouillie de-
vant. Loüis-Phitippè; qui la découpa.
C'était la royauté bourgeoise, spectacle
neuf pour des yeux britanniques.
Ce détail du découpage est noté avec
le même étonnement discret dans d'au-
tres Mémoires anglais sur le même
temps et sur le même monde (2), ceux de
lady Bloomfield, ancienne ambassadrice.
Eu 1843, la reine Victoria fut reçue par
Louis-Philippe au château d'Eu. Lady
Bloomfield faisait partie de la suite de la
reine. « Je fus un peu surprise, écrit-
elle, de voir le roi et la reine dé-
couper à dîner, Il La tenue de la maison
était à l'avenant. Le roi promena ses
hôtes dans la forêt, Il avait tout bonne-
ment commandé un relais de chevaux
de poste, et personne ne s'était préoc-
cupé,dél'état des chemins. « Les har-
nais étaient en corde, dit lady Blôèm-
field, et très primitifs. Les routes
étaient atroces, si étroites que les
cliars-à-bàncs poûvaient à péino passer,
avec des ornières d'une profondeur !ni--
mense, des pierres énormes en un
mot, elles ressemblaient plus au lit d'un
torrent de montagne qu'aux routes d'un
pays civilisé: Nous fûmes cahotés et se-
coués à être mis en pièces. Même dans
les jardins du château, les routes sont si
étroites et les tournants si courts, que je
fus bien contente quand la reine fut ren-
trée saine et sauve. Il
Il doit y avoir un peu d'exagération
dans ce récit. J'ai peine il. croire que la
reine Victoria ait couru des dangers
dans le parc d'Eu. L'émoi de ses dames
d'honneur prouve seulement qu'elles
aussi avaient un apprentissage il. faire,
en sortant de la Grande-Bretagne aux
moeurs aristocratiques.
(~I ~e~in~sce~ECes o( çourt and. diptcmatigue
ti(e. 1
C'est certainement la. situation inté-
rieure de l'Italie, et aussi la situation. in-
ternationale qui-en découle, qui sont
aujourd'hui, nul n'en saurait douter,
l'objet:des seules craintes des amis de la
paix. Nulle part ailleurs en Europe on
ne saurait voir le-prétexte à de bien sé-
rieuses inquiétudes: Les discours pro~
noncés à Rome devaient donc être ac-
cueillis avec plaisir, et leur.optimisme
même est une utile manifestation paci-
fique.
AU JOUR LE JOUR
LES PLAISIRS DU JOUR DE L'AN Av8C L8URS
SUITES
Comme tous les Français, M: Lebouc
est employé dans une administration. Il
sort du bureau chaque soir il cinq heures,
quand il n'y a pas d'heures supplémen-
taires. Il a encore quelques menues occu-
pations sur lesquelles il ne s'est jamais
expliqué clairement. C'est pourquoi, de-
puis des semaines, il aspire an-.g~yïer çi~
l'an qui lui vaudra deux cents francs de
gratification et un jour de repos. tLh ce
jour de paresse et de liberté; comme il en
a besoin t
Le soir de la Saint-Sylvestre, il a fallu
veiller tard. C'est ce soir-là que, de tout
temps, les Lebouc réservent pour « faire
leurs cartes de visite Car on dit tous les
ans que ce n'est plus la mode des cartes de
jour de l'an. Mais les gens bien élevés en
envoient tout de même: La bonne éduca-
tion est toujours la bonne éducation.
Dans une coupe de simili-bronze pla-
cée sur la table du salon; bien en vue, les
Lebouc empilent les cartes qu'on leur ren-
voie. Quand on a des relations, ça n'est pas'
pour s'en cacher.
Le matin du i" janvier M. Lebouc se
leva un peu plus tôt que de- coutume. Car
il était convoqué au bureau de bonne
heure afin de présenter ses devoirs au chef;
puis il irait chez le sous-chef, toujours of-
ciellement et en corps; puis,- individuel-
lement, il passerait chez quelques per-
sonnages dont la protection 'n'était pas à.
négliger. Il fallait pour cela être:« en te-
nue ». M. Lebouc passa sa. redingote de'
drap fin et son paletot de cérémonie. Il:
grelottait là-dedans, car le temps était froid
et il tombait de la neige. M. Lebouc était'
long et pâle. Il avait parfois une petite
toux sèche qu'il disstmnlait, n'ai'mânt pas;
à faire pitié. Il disait a Ça vient de la' ;.1
gorge, » Dans la rue M. Lèboüc eut un-ac--
cès et il se sentit un peu de fièvre. :1
Il avait rendez-vous avec M"'° Lebouc et';
sa fille Adèle à onze heures, au tramway'
de Levallois-Perret. Il se hâta, afin de ne
pas faire attendre ces dames. Elles avaient. 'i
pris des numéros à l'avance. On n'atten-
dit guère plus de trois quarts d'heure. On
allait, comme tous les ans, déjeuner chez
l'oncle Ernest. C'était un vieux célibataire
qui avait amassé de petites rentes. Il était
d'humeur joviale. « Oui, clamait-il, vous
venez voir si l'oncle Ernest y,est toujours.
On ne serait pas fâché de l'enterrer, celui-
là, parce qu'on est ses seuls parents. Mais
le coffre est-solide. J'ai bien peur que ça ne
soit pas encore pour cette année-ci: Il
Ces gentillesses gênaient visiblement Le-'
bouc, qui avait des goûts distingués. C'est
Les: diplomates anglais en voyaient
bien d'autres en Allemagne, où la -vieille
tradition monarchique, demeurée; pces-
que pure d'hérésies constitutionnelles,
aboutissait à une simplicité auprès de
laquelle les réceptions de Louis-Philippe
étaient dignes des Mille et Une Nuits.
Les princes germaniques avaient encore
assez de prestige pour pouvoir garder les
distances à trùspeudé frais, etils en pro-
f3taiènt, n'étant guère riches pour la plu-
part. Vers le temps de la visite au châ-
teau d'Eu, l'un d'entre eux donna un
bal auquel, pour ses péchés, il pria
un Anglais. Celui-ci était d'Eglise. Il
aurait dû, ce semble, goûter la sim-
plicité évangélique. Ce fut pourtant le
contraire. Le Révérend Wilkinson, écri-
vant aussi des raconte
que le prince de invitait ses sujets
à boire un verre de limonade et n man-
ger une sandwich au veau. Les sujets,
mettaient leurs galoches et allaient a pied
au palais, précédés d'une bonne portant
une:lantérne.Onlaissaitles gnlochesdans
le vestibule, on dansait jusqu'ân~inuitet
l'on avalait, avant de partir, une assiette
de soupe bien chaude, car la neige cou-
vrait le sol et le froid était vif. Une
danseuse ayant perdu ses chaussons
dans la salle de bal, le Révérend Wilkin-
son les ramassa, les mit dans sa poche,
et s'amusa beaucoup de ce que leur pro-
priétaire n'osa pas les réclamer. Il fut
probablement cause que la pauvre pe·
tite s'enrhuma en retournant chez elle 'a
pied;dans la neige. Quel snob!-
A Berlin même, la cour vivait sans
fracas; lord Loftus.y'arrivaenqualité
d'attaché l'année même de son diner
aux Tuileries (1837). Ville et habitants
avaient alors des allures modestes
« Berlin n'était qu'un village, en compa-
raison d'aujourd'hui. Socialement par-
lant, c'était un endroit beaucoup plus
agréable. Il régnait dans toutes les clas-
ses un contentement primitif, L'esprit
pourq>ioi-l'orïclé Ernestins3stait. Il le har-
celait. « Ce brave Lebouc! Lebouc émis-
saire, x Il ne manquait jamais cette plai-
santerie facile, qui le ravissait; Après le
repas, il sirotait longuement des petits
verres. Il fallait qu'on lui tînt compagnie.
Lebouc; .qui n'avait pas l'habitude des li-
queurs .fortes, était incommodé. Dans le
tramway, au retour, il se trouva tout à fait
mal à l'aise. Une migraine atroce lui ser-
rait les tempes.
Il avait encore beaucoup de courses à
faire passer chez.le parrain d'Adèle, dé-
poser des étrennes diverses, toutes choses
qui devaient être faites ce jour-là. Madame
Lebouc .lui- en avait dressé une liste, une
longue liste, classée par quartiers. Il y en
avait faubourg Montmartre et dans les
quartiers du centre il y en avait dans des
quartiers lointains. Il y en avait boule-
vard Péreire, près des fortifications il
y en avait avenue de Saxe, près du
puits artésien, il y en avait boulevard de
fHôpital; non loin de la Salpêtrière. Et il
y en avait avenue de Saint-Maudé, Ma-
dame Lébouc avait dit Monsieur Le-
bouc, tu prendras un fiacre à l'heure. Ça
n'est pas tous les jours le premier de f~n: »
Elle avait ajouté: « Surtout n'oublie pas
Mademoiselle Euphrasie! » C'était une
vieille demoiselle connue dans la famille
pour son huméur suscéptible.
Lebouc resta quelque temps ahuri, mé-
ditantsa liste.Il héla un fiacre «A l'heure!»
Le cocher haussa les épaules et passa dé-
daigneusement. D'autres firent de même.
Quelques-uns ajoutèrent de gros mots. M.
Lebouc prit le parti d'aller à pied. Ce fut
une course folle. M:. Lebouc haletait. Par
instants,: il s'arrêtait, afin de respirer. Alors
l'humidité du soir le pénétrait. Il était en
nage et transi. Il n'avait plus des choses
qu'une notion vague. Huit heures étaient
sonnées quand il vint s'abattre chez le père
de Madame où avait lieu le dîner de fa-
mille.
On le reçut fraîchement. « Arriver en
retard, c'était mal commencer l'année 1.» »
Après le godiveau Madame Lebouc inter-
pella soudain son mari: « Monsieur Lebouc,
j'espère que tu n'as pas oublié Mademoi-
selle Euphrasie I » Lebouc faillit repartir.
Dans son ahurissement il avait oublié
Mademoiselle Euphrasie Pour sûr on se
~rouillérait. Ce fut une consternation.
Il était près de minuit quand on se sé-
para. Les omnibus étaient pleins. Les fia-
cres ne prenaient que des millionnaires.
On passa 'la Seine. On remonta vers les
hauteurs du boulevard Montparnasse. L'in-
fortuné Lebouc n'était plus qu'une_ toux.
La nuit fut épouvantable.
Ce matin il a fallu faire venir le docteur.
Il croit à une pleurésie, mais bénigne. En
somme, il est plutôt rassurant.Quinze jours
de lit; autant pour la convalescence, et il
n'y paraîtra plus. RENÉ DUUhrrC.
LETTRE ®'ESPAGNE
Madrid, le 31 décembre.
L'arrangement commercial franco-espagnol
et l'opinion. Le maréchal Martinez Cam-
pos et la solution de l'incident de Melilla.-
La maladie de M. Sagasta. La police et
le procès anarchiste de Madrid.
La nouvelle de la .conclusion d'un arrange-
ment entre la France et l'Espagne. pour éta-
de spéculation et- la passion de l'argent
n'avaient pas encore envahi. Les gens
vivaient simplement, et jouissaient de
l'existence, sans en demander davan-
tage. Il
La société était très peu nombreuse.
Il n'y avait pas de Parlement, aucune vie
politique rien n'attirait la noblesse,
qui passait l'été dans ses terres, l'hiver
dans les capitales des provinces. Le
monde de Berlin se composaitde la cour,
du corps diplomatique et des officiers,
« en tout trois cents personnes,-et c'est
tout au plus Il, Le roi, c'était alors
Fiédéric-Guillaume III, l'adversaire de
Napoléon Ie~, le roi donnait de loin en
loin un dîner à ses ministres ou à ses
généraux, et une seule fête par an, en
l'honneur du corps diplomatique. Cette
fête était un « déjeuner dansant », qui
commençait à dix heures du matin
« Comme il avait généralement lieu en
janvier, pendant les jours courts, il fal-
lait se raser à la chandelle. On~sèrvait le
repas à une heure, et ,la compagnie se
!retirait: avant six pourpea~~nettre':à-Sa
Majesté d'aller au théâtre.
Les trois cents personnes composant
la société berlinoise passaient leur temps
;les unes chez les autres à danser, flirter,
souper, jouer au whist ou au loto. Il n'y
avait ni luxe, ni cérémonies, et c'eût été
'charmant de simplicité et de bonhomie,
;si l'éteignoir posé sur l'Alléma~nè par
,,la Sainte-Alliance n'avait trop bien rem-
pli son office et à moitié étouffé les be-
soins nobles et généreux dans la nation
germanique. On se souvient qu'après
1815 les souverains allemands se dis-
pensèrent, purement et simplement de
tenir les belles promesses qu'ils avaient
prodiguées à leurs sujets pendant la
guerre de libération. Après avoir fait
miroiter devant leurs yeux l'espoir d'in-
stitutions libérales, ils avaient tranquille-
ment renoué la chaîne du passé et prouvé
qu'eux non, plus n'avaient rien appris et
blieleabases des relations commerciales des
deux pays en 1894 a produit, en général, une
bonne impression dans la péninsule:
Bien qu'il se manifeste des divergôncos d'o-
pinion dans la façon d'apprécier la valeur des
concessions qui sont faitesva;l'Espngne,'beau-
coup de gens les trouvant sans importance,
les esprits sages et les personnes impartiales
considèrent que, eu égard à la manière dont
les conservateurs avaient engagé la question,
la solution qui vient d'y être donnée est peut-
être la moins mauvaise que l'on pût espérer.
Elle a l'avantage de laisser la porte ouverte il.
de plus larges concessions, puisque les négo-
ciations pour la conclusion d'un traité de
commerce vont être reprises, et d'éviter la
rupture des relations commerciales entre les
deux pays, laquelle leur eût été très préjudi-
ciable. Une clause du nouveau modus vivendi,
qui est considérée comme ayant une grande
importance, est celle en vertu de laquelle la
France s'engage à poursuivre la contrebande
et les Sociétés d'assurances contre les risques
des fraudes douanières.
La seule partie du pays qui sera peu sa-
tisfaite du modus ùiuéndâ, et surtout de la
clause.en question, est la bande frontière de
la Catalogue, qui, d'ailleurs comme une
partie des Pyiénées-0t·iétitales,,ospérait que
l'application réciproque des tarifs maxi-
ma donnerait à l'industrie de la contre=
bande une prospérité extrême.
Par suite de l'examen des. comptes que les
ministres de la guerre et do la marine ont
fait faire, l'Espagne aurait dépensé dans l'ex-
pédition de Melilla de 30 à 35 millions de pié-
cettes. Mais en défalquant de ce chiure des
dépenses qui devront figurer au budget ordi-
naire, on arriverait, dit-on, il trouver que l'in-
demnité il. réclamer du Sultan s'élèverait 1
25 millions environ. Personne ne se fait
d'ailleurs l'illusion de croire que le Maroc
pourra payer cette somme et on se livre il. des
conjectures, plus ou moins empreintes de fan-
taisie, sur les avantages qui pourraient être
offerts à l'Espagne en compensation.
Quoi qu'il arrive des négociations enta-
mées avec le Sultan, l'opinion en attend l'is-
sue avec calme, elle a, en effet, une confiance
absolue dans le maréchal Martinez Campos;
dont la nomination comme négociateur a
causé une si grande satisfaction. Il est cer-
tain que, même si la solution donnée au con-
flit n'était pas aussi satisfaisante qu'on peut
l'espérer, du moment où le maréchal aura con-
tribué à l'amener, on n'en fera pas porter
toute la responsabilité sur le gouvernement.
Les conservateurs eux-mômes jugeront pru-
dent de ne pas attaquer le résultat de négo-
ciations conduites par lui.
D'ailleurs, l'opinion 8 est beaucoup apaisée
en ce qui concerne l'incident de Mélllla: On
le considère comme fini. La soumission des
chefs kabyles, l'autorisation donnée aux
Maures de revenir au marché du préside, et
enfin la rentrée du 2e corps d'armée, qui ues~
tera, A vrai dire, dans-les garnisons du Sud~
prêt il. se réembarquer, font croire la paix dé-
finitivemént rétablie.
Seuls, les gens qui voient de loin pensent
que l'établissement d'une zone neutre, même
consentie par les Kabyles, prépare des diffi-
cultés pour l'avenir. On se demande si des
demi-barbares, comme ceux du Riff, respec-
teront beaucoup les limites d'un territoire,
défendu seulement par un principe conven-
tionnel dont la portée leur échappe nécessai-
rement en grande partie.
On affirme que les Certes ne reprendront
leurs séances qu'au mois de février, il. cause
de l'état de santé de M. Sagasta. Ce dernier a
été fort mal soigné de sa fracture à la jambe;
ceux qui l'ont approché croient qu'il ne pourra
pas, de longtemps, se consacrer aux affaires,
et l'on discute sur l'opportunité de son rem-
placement provisoire.
rien oublié à l'école du malheur. En
Prusse, Frédéric-Guillaume III s'était
retrouvé; après la tempête, aussi con-
vaincu que jamais du droit divin des rois
et de la bonté des gouvernements abso-
lus. Il se refusait à toutes les réformes,
en vertu du principe que « le mieux est
l'ennemi du bien a.
En Autriche, Metternich pratiquait
pour son compte et recommandait aux
autres le système de la répression à ou-
trance. Il ne croyait pas, au moins dans
ses dernières années; à la victoire finale
de ses idées, et il tâchait de s'en conso-
ler avec le mot célèbre « Après moi,
le déluge. y A quoi les ~·ou.gés; conime
l'on disait en ce temps-li~, lui répondi-
rent un jour « Et après le déluge,
nous.
Les Etats secondaires et les petits Etats
respiraient plus ou moins librement, se-
Ion' le caractère du prince régnant.
Quand il était brave homme et facile; on
s'arrangeait mais quand il avait mau-
vais caractère, d'était terrible. Les Ha-
riovriens en savaient quelque chose. Ils
eurent pour souverain.de i837 à 185i; p
un prince, Ernest-Auguste, dont l'hu-
meur hargneuse est restée légendaire.
On disait de lui « Il n'est pas mé-
chant, mais si quelqu'un a un cor, on
peut être sûr qu'il marchera dessus (3)
Ernest-Auguste passa, en effet, quatorze
années de son règne à marcher sur les
cors de ses sujets, et cela en toute sécu-
rité de conscience. Il croyait très fer-
mement au droit divin; lequel entraî-
nait, dans son esprit, le droit de tara-
buster ses sujets.
C'est Ernest-Auguste qui a prononcé
un mot d'une vérité profonde, dans sa
naïveté, sur la transformation et le dépé-
rissement de l'idée monarchique dans le
monde moderne. « Avant ~848; disait-il
(3) Reminiscéiu;es of the court and times o/'
King Ernest of Hartover;:p~ lo Révérend Allix
Wilkitison.
Le procès des anarchistes accusés d'av.oté.
voulu faire sauter la Chambre se pour-
suit sans exciter grand intérêt, bien qu'il
révèle un rôle fort étrange que la police a
joué dans toute cette affaire. A vrai dire,
l'dme du complot, son véritable auteur est
l'agent secret Felipe Mung, qui était par-
venu à entrer dans le Cercle des travailleurs.
C'est lui qui excita les accusés à préparer les
bombes, et qui, sachant ce qui se préparait,
se garda bien de dénoncer les anarchistes
Debatz et Ferreira, laissant bien mûrir l'af-
faire pour qu'elle lui fit honneur. C'est ce qui
explique le peu d'intérêt excité parle procès
on appelle ici cotte affaire des bombes a une
comédie organisée par la police,).
LA RÉVOLUTION BRÉSILIENNE
NOTES D'UN TÉMOIN
Pendant que les événements que noüe
avons exposés se déroulaient dans la baio de
Rio; la révolution, petit il. petit, gagnait du
terrain dans les Etats. Le'JvurnatdésDé6ats
a tenu ses lecteurs accourant de la,guerre qui
se poursuit, depuis bientôt trois ans, dans l'Etat
de Rio-Grande do Sul, la partie la plus niéri-
dionale du Brésil. L'armée dite fédéraliste,
sous le commandement du vieux général
Tavaroz,hneééle sans trêve les troupes du gpu-
vornement,corrimandéespaule généralTèlfes;,
et, bien que jamais aucun succès décisif n'ait
couronné les opérations des deux camps; il a
toujours paru que l'avantage restait aux in:
surgés dont la tactique était bien simple:
épuiser les troupes du gouvernement par de
courts et fréquents combats; les obliger a àe
diviser en multipliant les points d'attaque; et,
dès qu'ils étaient serrés de près par les trou-
pes régulières, se mettre à l'abri derrière la
frontière voisine de l'Uruguay. Le chef du
mouvement est M. Silveira Martins, un l~épu·
blicain rallié qui, en adhérant il. la forme ré-
public aine, s'est fait le champion d'une revi·
sien de la Constitution destinée il. diminuer
les pouvoirs excessifs du Président, à déraci-
ner le militarisme qui étouffe le pays, et cL
établir:le régime parlementaire en laissant
aux différents Etats une large autonomie.
Il était naturel que l'amiral de Mello cher-
chût à combiner ses efforts avec ceux de Sit·~
veira Martins, et envoyât, hors de la baie,
des émissaires chargés de s'entendre avec le
chef de la révolution de Rio-Grando, on
même temps qu'ils feraient de la propagande
dans les Etats.
Dans la nuit du 17 septembre, les habitants
de Rio furent réveillés on sursaut par une
formidable canonnade c'était le croiseur
Repubtièa et le paquebot hallps qui forçaient
les passes. La vigilance des forts ne devait
pas être bien sérieuse, car les premiers coups
de canon furent tirés quand les deux navires
étaient déjà au large de 1'entrée. Quelques
jours plus tard, on apprenait que le Repu-
blrca s'était présenté devant le port de
Santos, dont un grand nombre d'habitants
s'étaient réfugiés dans la ville voisiné de
Saint-Paul après avoir tiré quelques
coups de canon, il avait viré de bord, faisant
route vers le Sud. Sa présence fut signalée en
différents points par les navires de coin:
merce il alla finalement à Desterro, la capi-
tale de l'Etat de' Sainte-Catherine, dont il
s'empara sans peine. Le capitaine de vais-
seau Lorena remit le commanàvnienÈ 'a son
second,.le capitaine de frégate Lara, et éta-
blit un gouvernement provisoire dont il fcit
proclamé le chef: L'amiral de Mollo tenait
beaucoup à cette formalité qui, dans son eé·
prit, devait aider les.puissances al lu recon.
,naître la qualité de belligérant.
L'exploit du commandant Lorvna-domta
sur la fin de sa vie, personne ~ie deman·
dait aux rois d'avoir de la cervelle. Il Et il
citait plusieurs monarques de la première
moitié du siècle, entre autres Charles X,
roi de France, comme étant connus pour
leur bêtise. L'exemple de Chartes X
n'était pas heureusement choisi, puis-
qu'il s'est fait renverser et que son man-
que de cervelle y a peut-être été pour
quelque chose; mais la remarque d'Er-
nest-Auguste n'en était pas moins très
juste au fond. L'idée d'exiger des sou-
verains d'avoir du mérite personnel
est récente, et c'est le signe d'une
grande décadence de la foi monar-
chique. Pour qui a gar,dé intacte la
croyance au droit divin, le prince est
ce qu'il est; cela ne regarde que la
Providence, qui a voulu qu'il fût ainsi,
et dont les desseins sont impénétrables:
Il est d'ailleurs bien indifférent que le
prince soit ceci ou cela, puisque Dieu
lui dicte ses résolutions.
Ecnést-Anguste était exécré; mais ce
diable d'homme était une exception dans
laCbnfédération germüi~iqué: Les'pr'in-
ces déljônnairès y pnédominsient; ~et l'an-
cien diplomate anglais'nous assure que
c'était, en général, avec un contentement
paisible que 1'Allemagne s'enfonçait
dans la matière. La Prusse donnait
l'exemple en s'acoquinant il. une vie
innocente sans doute, mais peu idéaliste,
où les cruchons de bière remplaçaient le
mouvement des idées. « Il y avait, dit
lord Loftus, une torpeur, un manque
d'énergie et de vitalité, qui paralysaient
la nation toute entière. La presse était
sévèrement surveillée, et la censure
avait beau être exercée avec douceur, il
suffisait qu'elle existât pour engourdir
les énergies morales et le coeur du peu-
ple. La pensée n'avait pas d'issue: Le
droit de réunion n'existait pas et tout
sentiment patriotique était écrasé. » Les r
Prussiens seraient morts de- gras-fondu
sans le levain révolutionnaire qui fer`
M~-tMtM .n n ~m~~a~a~m~~sa~ x,c,ys~a~`~r~.d:zw.
10 i' AiV ~3 s £
F~a.aa,.of~u^°~
1C6' APdI~~E
MARDI SOIR 2 JANVIER
1894
s;~$carrrsr~;
Placé du Louvre, 4
PRIX DE L'ABONNEMENT
POUR DEUX EDITIONS
mnls 6: mols Ca ia
~ts.
Départements. t8 Ir. ~6 ir. "~2 fr.
Alsace·Loeraüae
Union postale.. et, fr. 4;~ Ir. 84. fr,
1 POUR UNE ÉDITION SEULEMENT
Parie i
Départements. !O tr. 20 tr. 40 fx
Atsace-LorraInel 1
âtnïon postate:IlQ !r. SO 2G fr. G4 fc,
MAADI SOIR 2 JANVIER
-i89~.
DIRECTION, ADMINISTRATION
ET PUBLICITÉ
ti~ ne des Prètres=Saint-Geimain-l'Ausérroia, Il
ADRESSE THLf.GHAPHIQ,UB.
cseaTe-Pasis
POLITIQUES ET LITTERAIRES
TARIFS DE LA PUBLtCtTL
Annonces .1. 2 te, la lgpe:
aéolames. 4
Fatie·divers" i
SOMMAIRE
~$att;$mIN DU JOUR. FRANCE Lcgou-
oernement et t`andrchie. ETRANGER
Lea réceptions du Jour de L'an à l'étranger.
AU.JOUR LE JOUR Les plaisirs du Jour de
d'an avec Leurs suites. Rend Doumie.
LETTRE D~FâPAGNEï
iktl REVOLUTION BRÉSILIENNE. V. Notes d'ttn
tén70in.
LA NOUVELLE ANNÉE EN ANGLETERREï
ACTUALITÉS: Lcs anarchistes.
'HORS DE FRANCS Mémoires d'un nvnfiasaa-
de2br a~~gLais. Arvède Barine.
BULLETIN
FRANCE
Le gouvernement. et l'anarchte
Le gouvernement n'a pas cru avoir
accompli son devoir, tout-son devoir, en
réclamant des lois nécessaires et en pro-
mettant de les appliquer avec énergie; i
il:a.'a point .pensé que cette, manifesta-
ttbn platonique pût- suffire, et qu'il eût
acquis le droit, par une heure de fer-
meté, de montrer ensuite une longue
faiblesse jusqu'au jour où un nouvel at-
téiitaC provoquerait chez lui un nouvel
accès de résolution passagère. Il â coni:
pris, en un mot, que le grand point
n'était pas de répondre par une attitude
très courageuse à un acte très criminel,
mais qu'il fallait des actes, et, surtout,
l'esprit de suite dans l'énergie.
On doit l'en féliciter, et on doit le féli-
citer encore d'avoir renoncé, dans la
lutte contre l'anarchie, au système des
petits paquets, qui consiste il. perquisi-
~onner comme au hasard, tantôt adroite
et tantôt il. gauche, un jour à Paris et le
lendemain à l'autre bout de la France,
sans un plan bien arrêté, sans vue d'en-
semble, sans la préoccupation de saisir
d'un seul coup tous les fils des complots.
Les isolés ne sont point aussi solitaires
qu'on le prétend Ravachol avaitdescom-
plices et Vaillant tout au moins desconfi-
dents. Une battue bien organisée et bien
conduite aurait permis de traquer les uns
et les autres dans ces repaires dont par-
lait un, jour Gambetta et; vraisemblable-
ment, de rendre certains attentats im-
possibles. Dans tous° les cas; l'armée du
Crime, l'armée anarchiste efit ét6 tôut à
la fois démoralisée et disloquée.
Ce que les précédents ~inistéresvrÉ'o~ït
pas su ou n'ont pas osé entreprendre, le
Cabinet actuel vient de le faire avec
promptitude, avec décision; avec éner-
gie.
Naturellement, les journaux socialistes
1'en blâment, car ils sont remplis d'in-
dulgence pour les émûtes de Ravachol et
ne dissimulent point une arrière-sympa-
tliie poûç les Vaillant de l'avenir. Le Ra-
dical laisse entendre que ces perquisi-
tions et ces arrestations ne sauraient
porter bonheur aux ministres il en
donne une plaisante raison Il Le pays
n'aime pas- à être dérangé dans ses fê-
tes Il. Que le Radical se rassure le pays
ne s'est pas senti dérangé le moins du
monde, et il n'en est pas encore à croire
qu'il n'est plus de bonnes fêtes si les
EEUI~LETOa.DU JOURNAL DES'DÉBATS
du. mardi soir 2 janvier ,1 894
HORS DE FRANCE
Mémoires d'aa ambassadeur anglais
On ne passe pas un demi-siècle dans
les ambassades sans avoir quelque chose
à raconter. A moins d'être sourd et
aveugle, on sort de:là avec une provision
de souvenirs variés. I! y a de tout dans
les deux volumes parus des Réminis-
t.elaces diplomatiques (i) de lord Augus-
tus Loftus, ancien ministre d'Angleterre
auprès de diverses cours. Ce ne sont pas
de ces Mémoires qui font sensation par
tours révélations; où par àes vues dé gé-
nie, mais ils sont d'un homme du métier,
équitable 'dans ses jugements; il n'en
fallait pas davantage, dans la situation
de tord Loftus, pour donner du piquant
et de l'intérêt à tout ce qui sortirait de
sa plume.
Les mondanités officielles y tiennent
une place proportionnée à leur impor-
tance en diplomatie, ce qui n'est pas peu
dire. Un diplomate de carrière juge un
gouvernement sur un dîner. Au prin-
temps de 1837, Augustus -Lottus; qui
n'était encore qu'un gamin, avait accom-
pagné son père à Paris. il fut invité avec
lui aux Tuileries, où t'attendaient plu-
sieurs sujets d'étonnement. La famille
royale était presque en négligé, l'é-
tiquette de .la cour supprimant les
costumes de cérémonie à partir du
~;mai: L'apparition d'un autre couple an-
sis, constellé de broderies et de dia-
Dipto~natéc-XemPniseences aj tord AtH
~`z F ~(ius. vol:'I 1 et 11, i83?-I86R.
jours de réjouissances pourTes honnétes
gens ne constituent pas, pour les autres,
une trêve de Dieu.
La PetâtéRépublique s'étonne et s'indi-
gne. Elle s'étonne de voir le gouverne-
ment appliquer les « lois inutiles » qu'il
a su «arracher à la Chambre », et cet
étonnement nous cause une vive sur-
prise, Car, enfin, ces lois ne seraient
vraiment inutiles que si la faiblesse des
ministres les laissait dormir; et, d'autre
part, si le gouvernement était résolu à
ne pas se. servir de ces armes, à quoi
bon les forger? Elle s'indigne de l'arres-
tation de quelques socialistes puisqu'il
s'agit de réprimer l'anarchie, pourquoi
mettre en prison ces inoffensifs cito-
yens ? Inoffensifs est bientôt dit; mais
nous constaterons une fois encore, avec
les ministres, les magistrats et la police,
que les socialistes et les anarchistes sont
presque toujours des frères jumeaux. Ils
se ressemblent à ce point qu'il n'est pas
seulement difficile de les distinguer,
Mais.impossible de dire avec un semblant
de certitude où le socialiste finit et
l'anarchiste commence.
ÉTRANGER
Les réceptions du Jour de l'an
d l'd~·anger
Les discours prononcés hier à l'occa-
sion des réceptions du Jour de l'an par
les souverains, les hommes d'Etat ou les
ambassadeurs, et dont nous avons repro-
duit les principaux, n'ont rien eu, pour
la plupart, qui sorte du ton habituel de
ce genre d'éloquence l'on s'est félicité
généralement des progrès accomplis du-
rant l'année qui vient de s'écouler, tout
en manifestant l'espoir que ces progrès
seraient plus marqués encore dans l'an-
née où nous entrons et les quelques
points noirs qui peuvent se trouver aux
horizons particuliers des divers Etats'
n'ont guère eu l'honneur que de quel-
ques vagues allusions.
L'optimisme était de rigueur et nul n'a
manqué à cette règle il n'est pas jus-
qu'au roi Humbertqui, d'après les jour-
naux de Rome, aurait assuré les députa-
tions du Sénat et de la Chambre de son
ferme espoir « qu'il ne serait pas difficile
de surmonterles difficulté du moment»..
C'est d'âilteurs~ù Rome qu'ant-été pro-
noncées`les seules paroles qu'il soit
nécessaire de relever; celles du roi sont
déjà assez significatives, car elles mon-
trent toute la confiance qu'il a dans
l'homme d'Etat récemment appelé par
lui à la tête du gouvernement et dans la
vitalité et le patriotisme de la nation
italienne mais celles de M. Billot,
ambassadeur de France, qui. recevait la
colonie, le sont plus encore peut-être.
M. Billot, dans une allocution pleine
de tact, a déclaré que, si des incidents
regrettables avaient pu faire perdre
quelque chose à la France du terrain
reconquis dans la sympathie des Ita-
liens, il continuait pourtant d'estimer
que « malgré les apparences on était
plus près du but qu'on ne l'avait jamais
été », et les paroles du roi, si gracieuses
pour notre pays, qu'il a citées, sont une
preuve que l'espoir de l'ambassadeur
n'est pas tout à fait vain.
niants, fit encore ressortir la simplicité
dès autres convives. On se mit à table.
Un domestique posa une oie bouillie de-
vant. Loüis-Phitippè; qui la découpa.
C'était la royauté bourgeoise, spectacle
neuf pour des yeux britanniques.
Ce détail du découpage est noté avec
le même étonnement discret dans d'au-
tres Mémoires anglais sur le même
temps et sur le même monde (2), ceux de
lady Bloomfield, ancienne ambassadrice.
Eu 1843, la reine Victoria fut reçue par
Louis-Philippe au château d'Eu. Lady
Bloomfield faisait partie de la suite de la
reine. « Je fus un peu surprise, écrit-
elle, de voir le roi et la reine dé-
couper à dîner, Il La tenue de la maison
était à l'avenant. Le roi promena ses
hôtes dans la forêt, Il avait tout bonne-
ment commandé un relais de chevaux
de poste, et personne ne s'était préoc-
cupé,dél'état des chemins. « Les har-
nais étaient en corde, dit lady Blôèm-
field, et très primitifs. Les routes
étaient atroces, si étroites que les
cliars-à-bàncs poûvaient à péino passer,
avec des ornières d'une profondeur !ni--
mense, des pierres énormes en un
mot, elles ressemblaient plus au lit d'un
torrent de montagne qu'aux routes d'un
pays civilisé: Nous fûmes cahotés et se-
coués à être mis en pièces. Même dans
les jardins du château, les routes sont si
étroites et les tournants si courts, que je
fus bien contente quand la reine fut ren-
trée saine et sauve. Il
Il doit y avoir un peu d'exagération
dans ce récit. J'ai peine il. croire que la
reine Victoria ait couru des dangers
dans le parc d'Eu. L'émoi de ses dames
d'honneur prouve seulement qu'elles
aussi avaient un apprentissage il. faire,
en sortant de la Grande-Bretagne aux
moeurs aristocratiques.
(~I ~e~in~sce~ECes o( çourt and. diptcmatigue
ti(e. 1
C'est certainement la. situation inté-
rieure de l'Italie, et aussi la situation. in-
ternationale qui-en découle, qui sont
aujourd'hui, nul n'en saurait douter,
l'objet:des seules craintes des amis de la
paix. Nulle part ailleurs en Europe on
ne saurait voir le-prétexte à de bien sé-
rieuses inquiétudes: Les discours pro~
noncés à Rome devaient donc être ac-
cueillis avec plaisir, et leur.optimisme
même est une utile manifestation paci-
fique.
AU JOUR LE JOUR
LES PLAISIRS DU JOUR DE L'AN Av8C L8URS
SUITES
Comme tous les Français, M: Lebouc
est employé dans une administration. Il
sort du bureau chaque soir il cinq heures,
quand il n'y a pas d'heures supplémen-
taires. Il a encore quelques menues occu-
pations sur lesquelles il ne s'est jamais
expliqué clairement. C'est pourquoi, de-
puis des semaines, il aspire an-.g~yïer çi~
l'an qui lui vaudra deux cents francs de
gratification et un jour de repos. tLh ce
jour de paresse et de liberté; comme il en
a besoin t
Le soir de la Saint-Sylvestre, il a fallu
veiller tard. C'est ce soir-là que, de tout
temps, les Lebouc réservent pour « faire
leurs cartes de visite Car on dit tous les
ans que ce n'est plus la mode des cartes de
jour de l'an. Mais les gens bien élevés en
envoient tout de même: La bonne éduca-
tion est toujours la bonne éducation.
Dans une coupe de simili-bronze pla-
cée sur la table du salon; bien en vue, les
Lebouc empilent les cartes qu'on leur ren-
voie. Quand on a des relations, ça n'est pas'
pour s'en cacher.
Le matin du i" janvier M. Lebouc se
leva un peu plus tôt que de- coutume. Car
il était convoqué au bureau de bonne
heure afin de présenter ses devoirs au chef;
puis il irait chez le sous-chef, toujours of-
ciellement et en corps; puis,- individuel-
lement, il passerait chez quelques per-
sonnages dont la protection 'n'était pas à.
négliger. Il fallait pour cela être:« en te-
nue ». M. Lebouc passa sa. redingote de'
drap fin et son paletot de cérémonie. Il:
grelottait là-dedans, car le temps était froid
et il tombait de la neige. M. Lebouc était'
long et pâle. Il avait parfois une petite
toux sèche qu'il disstmnlait, n'ai'mânt pas;
à faire pitié. Il disait a Ça vient de la' ;.1
gorge, » Dans la rue M. Lèboüc eut un-ac--
cès et il se sentit un peu de fièvre. :1
Il avait rendez-vous avec M"'° Lebouc et';
sa fille Adèle à onze heures, au tramway'
de Levallois-Perret. Il se hâta, afin de ne
pas faire attendre ces dames. Elles avaient. 'i
pris des numéros à l'avance. On n'atten-
dit guère plus de trois quarts d'heure. On
allait, comme tous les ans, déjeuner chez
l'oncle Ernest. C'était un vieux célibataire
qui avait amassé de petites rentes. Il était
d'humeur joviale. « Oui, clamait-il, vous
venez voir si l'oncle Ernest y,est toujours.
On ne serait pas fâché de l'enterrer, celui-
là, parce qu'on est ses seuls parents. Mais
le coffre est-solide. J'ai bien peur que ça ne
soit pas encore pour cette année-ci: Il
Ces gentillesses gênaient visiblement Le-'
bouc, qui avait des goûts distingués. C'est
Les: diplomates anglais en voyaient
bien d'autres en Allemagne, où la -vieille
tradition monarchique, demeurée; pces-
que pure d'hérésies constitutionnelles,
aboutissait à une simplicité auprès de
laquelle les réceptions de Louis-Philippe
étaient dignes des Mille et Une Nuits.
Les princes germaniques avaient encore
assez de prestige pour pouvoir garder les
distances à trùspeudé frais, etils en pro-
f3taiènt, n'étant guère riches pour la plu-
part. Vers le temps de la visite au châ-
teau d'Eu, l'un d'entre eux donna un
bal auquel, pour ses péchés, il pria
un Anglais. Celui-ci était d'Eglise. Il
aurait dû, ce semble, goûter la sim-
plicité évangélique. Ce fut pourtant le
contraire. Le Révérend Wilkinson, écri-
vant aussi des raconte
que le prince de invitait ses sujets
à boire un verre de limonade et n man-
ger une sandwich au veau. Les sujets,
mettaient leurs galoches et allaient a pied
au palais, précédés d'une bonne portant
une:lantérne.Onlaissaitles gnlochesdans
le vestibule, on dansait jusqu'ân~inuitet
l'on avalait, avant de partir, une assiette
de soupe bien chaude, car la neige cou-
vrait le sol et le froid était vif. Une
danseuse ayant perdu ses chaussons
dans la salle de bal, le Révérend Wilkin-
son les ramassa, les mit dans sa poche,
et s'amusa beaucoup de ce que leur pro-
priétaire n'osa pas les réclamer. Il fut
probablement cause que la pauvre pe·
tite s'enrhuma en retournant chez elle 'a
pied;dans la neige. Quel snob!-
A Berlin même, la cour vivait sans
fracas; lord Loftus.y'arrivaenqualité
d'attaché l'année même de son diner
aux Tuileries (1837). Ville et habitants
avaient alors des allures modestes
« Berlin n'était qu'un village, en compa-
raison d'aujourd'hui. Socialement par-
lant, c'était un endroit beaucoup plus
agréable. Il régnait dans toutes les clas-
ses un contentement primitif, L'esprit
pourq>ioi-l'orïclé Ernestins3stait. Il le har-
celait. « Ce brave Lebouc! Lebouc émis-
saire, x Il ne manquait jamais cette plai-
santerie facile, qui le ravissait; Après le
repas, il sirotait longuement des petits
verres. Il fallait qu'on lui tînt compagnie.
Lebouc; .qui n'avait pas l'habitude des li-
queurs .fortes, était incommodé. Dans le
tramway, au retour, il se trouva tout à fait
mal à l'aise. Une migraine atroce lui ser-
rait les tempes.
Il avait encore beaucoup de courses à
faire passer chez.le parrain d'Adèle, dé-
poser des étrennes diverses, toutes choses
qui devaient être faites ce jour-là. Madame
Lebouc .lui- en avait dressé une liste, une
longue liste, classée par quartiers. Il y en
avait faubourg Montmartre et dans les
quartiers du centre il y en avait dans des
quartiers lointains. Il y en avait boule-
vard Péreire, près des fortifications il
y en avait avenue de Saxe, près du
puits artésien, il y en avait boulevard de
fHôpital; non loin de la Salpêtrière. Et il
y en avait avenue de Saint-Maudé, Ma-
dame Lébouc avait dit Monsieur Le-
bouc, tu prendras un fiacre à l'heure. Ça
n'est pas tous les jours le premier de f~n: »
Elle avait ajouté: « Surtout n'oublie pas
Mademoiselle Euphrasie! » C'était une
vieille demoiselle connue dans la famille
pour son huméur suscéptible.
Lebouc resta quelque temps ahuri, mé-
ditantsa liste.Il héla un fiacre «A l'heure!»
Le cocher haussa les épaules et passa dé-
daigneusement. D'autres firent de même.
Quelques-uns ajoutèrent de gros mots. M.
Lebouc prit le parti d'aller à pied. Ce fut
une course folle. M:. Lebouc haletait. Par
instants,: il s'arrêtait, afin de respirer. Alors
l'humidité du soir le pénétrait. Il était en
nage et transi. Il n'avait plus des choses
qu'une notion vague. Huit heures étaient
sonnées quand il vint s'abattre chez le père
de Madame où avait lieu le dîner de fa-
mille.
On le reçut fraîchement. « Arriver en
retard, c'était mal commencer l'année 1.» »
Après le godiveau Madame Lebouc inter-
pella soudain son mari: « Monsieur Lebouc,
j'espère que tu n'as pas oublié Mademoi-
selle Euphrasie I » Lebouc faillit repartir.
Dans son ahurissement il avait oublié
Mademoiselle Euphrasie Pour sûr on se
~rouillérait. Ce fut une consternation.
Il était près de minuit quand on se sé-
para. Les omnibus étaient pleins. Les fia-
cres ne prenaient que des millionnaires.
On passa 'la Seine. On remonta vers les
hauteurs du boulevard Montparnasse. L'in-
fortuné Lebouc n'était plus qu'une_ toux.
La nuit fut épouvantable.
Ce matin il a fallu faire venir le docteur.
Il croit à une pleurésie, mais bénigne. En
somme, il est plutôt rassurant.Quinze jours
de lit; autant pour la convalescence, et il
n'y paraîtra plus. RENÉ DUUhrrC.
LETTRE ®'ESPAGNE
Madrid, le 31 décembre.
L'arrangement commercial franco-espagnol
et l'opinion. Le maréchal Martinez Cam-
pos et la solution de l'incident de Melilla.-
La maladie de M. Sagasta. La police et
le procès anarchiste de Madrid.
La nouvelle de la .conclusion d'un arrange-
ment entre la France et l'Espagne. pour éta-
de spéculation et- la passion de l'argent
n'avaient pas encore envahi. Les gens
vivaient simplement, et jouissaient de
l'existence, sans en demander davan-
tage. Il
La société était très peu nombreuse.
Il n'y avait pas de Parlement, aucune vie
politique rien n'attirait la noblesse,
qui passait l'été dans ses terres, l'hiver
dans les capitales des provinces. Le
monde de Berlin se composaitde la cour,
du corps diplomatique et des officiers,
« en tout trois cents personnes,-et c'est
tout au plus Il, Le roi, c'était alors
Fiédéric-Guillaume III, l'adversaire de
Napoléon Ie~, le roi donnait de loin en
loin un dîner à ses ministres ou à ses
généraux, et une seule fête par an, en
l'honneur du corps diplomatique. Cette
fête était un « déjeuner dansant », qui
commençait à dix heures du matin
« Comme il avait généralement lieu en
janvier, pendant les jours courts, il fal-
lait se raser à la chandelle. On~sèrvait le
repas à une heure, et ,la compagnie se
!retirait: avant six pourpea~~nettre':à-Sa
Majesté d'aller au théâtre.
Les trois cents personnes composant
la société berlinoise passaient leur temps
;les unes chez les autres à danser, flirter,
souper, jouer au whist ou au loto. Il n'y
avait ni luxe, ni cérémonies, et c'eût été
'charmant de simplicité et de bonhomie,
;si l'éteignoir posé sur l'Alléma~nè par
,,la Sainte-Alliance n'avait trop bien rem-
pli son office et à moitié étouffé les be-
soins nobles et généreux dans la nation
germanique. On se souvient qu'après
1815 les souverains allemands se dis-
pensèrent, purement et simplement de
tenir les belles promesses qu'ils avaient
prodiguées à leurs sujets pendant la
guerre de libération. Après avoir fait
miroiter devant leurs yeux l'espoir d'in-
stitutions libérales, ils avaient tranquille-
ment renoué la chaîne du passé et prouvé
qu'eux non, plus n'avaient rien appris et
blieleabases des relations commerciales des
deux pays en 1894 a produit, en général, une
bonne impression dans la péninsule:
Bien qu'il se manifeste des divergôncos d'o-
pinion dans la façon d'apprécier la valeur des
concessions qui sont faitesva;l'Espngne,'beau-
coup de gens les trouvant sans importance,
les esprits sages et les personnes impartiales
considèrent que, eu égard à la manière dont
les conservateurs avaient engagé la question,
la solution qui vient d'y être donnée est peut-
être la moins mauvaise que l'on pût espérer.
Elle a l'avantage de laisser la porte ouverte il.
de plus larges concessions, puisque les négo-
ciations pour la conclusion d'un traité de
commerce vont être reprises, et d'éviter la
rupture des relations commerciales entre les
deux pays, laquelle leur eût été très préjudi-
ciable. Une clause du nouveau modus vivendi,
qui est considérée comme ayant une grande
importance, est celle en vertu de laquelle la
France s'engage à poursuivre la contrebande
et les Sociétés d'assurances contre les risques
des fraudes douanières.
La seule partie du pays qui sera peu sa-
tisfaite du modus ùiuéndâ, et surtout de la
clause.en question, est la bande frontière de
la Catalogue, qui, d'ailleurs comme une
partie des Pyiénées-0t·iétitales,,ospérait que
l'application réciproque des tarifs maxi-
ma donnerait à l'industrie de la contre=
bande une prospérité extrême.
Par suite de l'examen des. comptes que les
ministres de la guerre et do la marine ont
fait faire, l'Espagne aurait dépensé dans l'ex-
pédition de Melilla de 30 à 35 millions de pié-
cettes. Mais en défalquant de ce chiure des
dépenses qui devront figurer au budget ordi-
naire, on arriverait, dit-on, il trouver que l'in-
demnité il. réclamer du Sultan s'élèverait 1
25 millions environ. Personne ne se fait
d'ailleurs l'illusion de croire que le Maroc
pourra payer cette somme et on se livre il. des
conjectures, plus ou moins empreintes de fan-
taisie, sur les avantages qui pourraient être
offerts à l'Espagne en compensation.
Quoi qu'il arrive des négociations enta-
mées avec le Sultan, l'opinion en attend l'is-
sue avec calme, elle a, en effet, une confiance
absolue dans le maréchal Martinez Campos;
dont la nomination comme négociateur a
causé une si grande satisfaction. Il est cer-
tain que, même si la solution donnée au con-
flit n'était pas aussi satisfaisante qu'on peut
l'espérer, du moment où le maréchal aura con-
tribué à l'amener, on n'en fera pas porter
toute la responsabilité sur le gouvernement.
Les conservateurs eux-mômes jugeront pru-
dent de ne pas attaquer le résultat de négo-
ciations conduites par lui.
D'ailleurs, l'opinion 8 est beaucoup apaisée
en ce qui concerne l'incident de Mélllla: On
le considère comme fini. La soumission des
chefs kabyles, l'autorisation donnée aux
Maures de revenir au marché du préside, et
enfin la rentrée du 2e corps d'armée, qui ues~
tera, A vrai dire, dans-les garnisons du Sud~
prêt il. se réembarquer, font croire la paix dé-
finitivemént rétablie.
Seuls, les gens qui voient de loin pensent
que l'établissement d'une zone neutre, même
consentie par les Kabyles, prépare des diffi-
cultés pour l'avenir. On se demande si des
demi-barbares, comme ceux du Riff, respec-
teront beaucoup les limites d'un territoire,
défendu seulement par un principe conven-
tionnel dont la portée leur échappe nécessai-
rement en grande partie.
On affirme que les Certes ne reprendront
leurs séances qu'au mois de février, il. cause
de l'état de santé de M. Sagasta. Ce dernier a
été fort mal soigné de sa fracture à la jambe;
ceux qui l'ont approché croient qu'il ne pourra
pas, de longtemps, se consacrer aux affaires,
et l'on discute sur l'opportunité de son rem-
placement provisoire.
rien oublié à l'école du malheur. En
Prusse, Frédéric-Guillaume III s'était
retrouvé; après la tempête, aussi con-
vaincu que jamais du droit divin des rois
et de la bonté des gouvernements abso-
lus. Il se refusait à toutes les réformes,
en vertu du principe que « le mieux est
l'ennemi du bien a.
En Autriche, Metternich pratiquait
pour son compte et recommandait aux
autres le système de la répression à ou-
trance. Il ne croyait pas, au moins dans
ses dernières années; à la victoire finale
de ses idées, et il tâchait de s'en conso-
ler avec le mot célèbre « Après moi,
le déluge. y A quoi les ~·ou.gés; conime
l'on disait en ce temps-li~, lui répondi-
rent un jour « Et après le déluge,
nous.
Les Etats secondaires et les petits Etats
respiraient plus ou moins librement, se-
Ion' le caractère du prince régnant.
Quand il était brave homme et facile; on
s'arrangeait mais quand il avait mau-
vais caractère, d'était terrible. Les Ha-
riovriens en savaient quelque chose. Ils
eurent pour souverain.de i837 à 185i; p
un prince, Ernest-Auguste, dont l'hu-
meur hargneuse est restée légendaire.
On disait de lui « Il n'est pas mé-
chant, mais si quelqu'un a un cor, on
peut être sûr qu'il marchera dessus (3)
Ernest-Auguste passa, en effet, quatorze
années de son règne à marcher sur les
cors de ses sujets, et cela en toute sécu-
rité de conscience. Il croyait très fer-
mement au droit divin; lequel entraî-
nait, dans son esprit, le droit de tara-
buster ses sujets.
C'est Ernest-Auguste qui a prononcé
un mot d'une vérité profonde, dans sa
naïveté, sur la transformation et le dépé-
rissement de l'idée monarchique dans le
monde moderne. « Avant ~848; disait-il
(3) Reminiscéiu;es of the court and times o/'
King Ernest of Hartover;:p~ lo Révérend Allix
Wilkitison.
Le procès des anarchistes accusés d'av.oté.
voulu faire sauter la Chambre se pour-
suit sans exciter grand intérêt, bien qu'il
révèle un rôle fort étrange que la police a
joué dans toute cette affaire. A vrai dire,
l'dme du complot, son véritable auteur est
l'agent secret Felipe Mung, qui était par-
venu à entrer dans le Cercle des travailleurs.
C'est lui qui excita les accusés à préparer les
bombes, et qui, sachant ce qui se préparait,
se garda bien de dénoncer les anarchistes
Debatz et Ferreira, laissant bien mûrir l'af-
faire pour qu'elle lui fit honneur. C'est ce qui
explique le peu d'intérêt excité parle procès
on appelle ici cotte affaire des bombes a une
comédie organisée par la police,).
LA RÉVOLUTION BRÉSILIENNE
NOTES D'UN TÉMOIN
Pendant que les événements que noüe
avons exposés se déroulaient dans la baio de
Rio; la révolution, petit il. petit, gagnait du
terrain dans les Etats. Le'JvurnatdésDé6ats
a tenu ses lecteurs accourant de la,guerre qui
se poursuit, depuis bientôt trois ans, dans l'Etat
de Rio-Grande do Sul, la partie la plus niéri-
dionale du Brésil. L'armée dite fédéraliste,
sous le commandement du vieux général
Tavaroz,hneééle sans trêve les troupes du gpu-
vornement,corrimandéespaule généralTèlfes;,
et, bien que jamais aucun succès décisif n'ait
couronné les opérations des deux camps; il a
toujours paru que l'avantage restait aux in:
surgés dont la tactique était bien simple:
épuiser les troupes du gouvernement par de
courts et fréquents combats; les obliger a àe
diviser en multipliant les points d'attaque; et,
dès qu'ils étaient serrés de près par les trou-
pes régulières, se mettre à l'abri derrière la
frontière voisine de l'Uruguay. Le chef du
mouvement est M. Silveira Martins, un l~épu·
blicain rallié qui, en adhérant il. la forme ré-
public aine, s'est fait le champion d'une revi·
sien de la Constitution destinée il. diminuer
les pouvoirs excessifs du Président, à déraci-
ner le militarisme qui étouffe le pays, et cL
établir:le régime parlementaire en laissant
aux différents Etats une large autonomie.
Il était naturel que l'amiral de Mello cher-
chût à combiner ses efforts avec ceux de Sit·~
veira Martins, et envoyât, hors de la baie,
des émissaires chargés de s'entendre avec le
chef de la révolution de Rio-Grando, on
même temps qu'ils feraient de la propagande
dans les Etats.
Dans la nuit du 17 septembre, les habitants
de Rio furent réveillés on sursaut par une
formidable canonnade c'était le croiseur
Repubtièa et le paquebot hallps qui forçaient
les passes. La vigilance des forts ne devait
pas être bien sérieuse, car les premiers coups
de canon furent tirés quand les deux navires
étaient déjà au large de 1'entrée. Quelques
jours plus tard, on apprenait que le Repu-
blrca s'était présenté devant le port de
Santos, dont un grand nombre d'habitants
s'étaient réfugiés dans la ville voisiné de
Saint-Paul après avoir tiré quelques
coups de canon, il avait viré de bord, faisant
route vers le Sud. Sa présence fut signalée en
différents points par les navires de coin:
merce il alla finalement à Desterro, la capi-
tale de l'Etat de' Sainte-Catherine, dont il
s'empara sans peine. Le capitaine de vais-
seau Lorena remit le commanàvnienÈ 'a son
second,.le capitaine de frégate Lara, et éta-
blit un gouvernement provisoire dont il fcit
proclamé le chef: L'amiral de Mollo tenait
beaucoup à cette formalité qui, dans son eé·
prit, devait aider les.puissances al lu recon.
,naître la qualité de belligérant.
L'exploit du commandant Lorvna-domta
sur la fin de sa vie, personne ~ie deman·
dait aux rois d'avoir de la cervelle. Il Et il
citait plusieurs monarques de la première
moitié du siècle, entre autres Charles X,
roi de France, comme étant connus pour
leur bêtise. L'exemple de Chartes X
n'était pas heureusement choisi, puis-
qu'il s'est fait renverser et que son man-
que de cervelle y a peut-être été pour
quelque chose; mais la remarque d'Er-
nest-Auguste n'en était pas moins très
juste au fond. L'idée d'exiger des sou-
verains d'avoir du mérite personnel
est récente, et c'est le signe d'une
grande décadence de la foi monar-
chique. Pour qui a gar,dé intacte la
croyance au droit divin, le prince est
ce qu'il est; cela ne regarde que la
Providence, qui a voulu qu'il fût ainsi,
et dont les desseins sont impénétrables:
Il est d'ailleurs bien indifférent que le
prince soit ceci ou cela, puisque Dieu
lui dicte ses résolutions.
Ecnést-Anguste était exécré; mais ce
diable d'homme était une exception dans
laCbnfédération germüi~iqué: Les'pr'in-
ces déljônnairès y pnédominsient; ~et l'an-
cien diplomate anglais'nous assure que
c'était, en général, avec un contentement
paisible que 1'Allemagne s'enfonçait
dans la matière. La Prusse donnait
l'exemple en s'acoquinant il. une vie
innocente sans doute, mais peu idéaliste,
où les cruchons de bière remplaçaient le
mouvement des idées. « Il y avait, dit
lord Loftus, une torpeur, un manque
d'énergie et de vitalité, qui paralysaient
la nation toute entière. La presse était
sévèrement surveillée, et la censure
avait beau être exercée avec douceur, il
suffisait qu'elle existât pour engourdir
les énergies morales et le coeur du peu-
ple. La pensée n'avait pas d'issue: Le
droit de réunion n'existait pas et tout
sentiment patriotique était écrasé. » Les r
Prussiens seraient morts de- gras-fondu
sans le levain révolutionnaire qui fer`
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