Titre : Gazette de France
Éditeur : Imprimerie de la Gazette de France (Paris)
Date d'édition : 1848-02-12
Contributeur : Genoude, Antoine-Eugène (1792-1849). Collaborateur
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb41265446t
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 12 février 1848 12 février 1848
Description : 1848/02/12. 1848/02/12.
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4492129p
Source : Bibliothèque nationale de France, département Philosophie, histoire, sciences de l'homme, 4-LC2-1
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 27/01/2019
lémciH » In «A»#»»!® Ilte rttA.M'E du 1» Février l#â». — (Ejiiieu de Paris. )
Cour «l’assises de la Haul
Présidence de M. de la
Audience du 7 février.
Mj .1 l ■ * i
lAFFAIRE CÉCILE COMlKTTKiS .—ACCUSATION DR MEUR
TRE IT DE VIOL CONTRE LE FRÈRE LÉOTADE. — IN-
- CI DENT D’ADDIBNC*. PARTIE CIVILE.
A dix heures un quart, les audienciers an
noncent l/i Cour.
M. le ) résident de La Baume, ayant à ses
côté M. de Castelbajac et Querilhac, mon
te sur le siège.
M. le procureur-général d’Oms est assisté
de MM. Dalguier, premier avocat-général.
,C.es magistrats sont en robes rouges. MM. les
greffiers sont placés au-dessous de la Cour et
portent la robe noire.
m. le président.—L’audience est ouverte;
nous recommandons le plus grand silence.
L’accusé n’est pas encore introduit.
. M. LE président. — Un de MM. les jurés
m’a fait passer un certificat constatant qu’il
est atteint d’ime infirmité chronique qui l'em
pêche de siéger.
La Cour, sur les conclusions conformesdu
ministère public, exempte ce juré.
ai. le PROC.URF.VR-c,ÉxÉRAi. requiert l’ad
jonction de deux jurés supplémentaires et
d'un troisième assesseur, à cause de la lon
gueur présumée des débats.
La Cour fait droit à ses conclusions.
m. lf. président.—Qu’on conduise l’accu
sé dans la chambre du conseil ; j’invite mes
sieurs les jurés à s’y rendre également pour
uu’il soit procédé au tirage au sort du jur.v
de jugement.
Au bout de dix minutes, la Cour rentre
en audience, et messieurs les jurés prennent
place dans l’ordre du tirage.
L’accusé est introduit. Il arrive d’un air
assez calme, s’incline profondément devant
ses défenseurs, s’asseqit en croisant ses mains
sur sa poitrine, et promène sur l’auditoire
des regards tranquilles ; il porte le costume
de son Ordre : la robe noire en bure à larges
manches pendantes, un petit rabat en toile
blanche et une calote noire, de dessous la
quelle ses cheveux sortent plats et arrondis
sur le front ; à côté de lui il dépose son cha
peau à bords larges et relevés en triangle.
On ne saisit pas bien d’abord l’expression
de sa physionomie; ses traits n’ont par eux-
méines rien de très saillant ni de repoussant;
il ne parait pas avoir plus de trente ans; il a
ce qu’on appelle bonne mine et ne paraît
avoir nullement souffert du séjour de la pri
son; son teint est brun et coloré, son nez é-
paté, sa bouche petite et pincée, les yeux,
enfoncés dans leur orbite et cachés sous d’é
pais sourcils, jettent des regards voilés, insai
sissables dans leur expression, mais parfois
somb:es, et annonçant une violence conte
nue. Son air calme se change parfois en une
expression sardonique et railleuse. Demain
l’interrogatoire nous le fera mieux connaître.
Le frère Léotade manifeste, dil-on, du
reste, une résignation en apparence fort
grande. « Qu’on me juge, dit-il, qu’on me
condamne.» Il y aurait dans son langage un
mysticisme assez prononcé, s’il est vrai,
comme on le prétend, qu’à cette demande
qui doit, aux termes de la loi, précéder l’in
terrogatoire du président des Assises : « Qui
avez-vous choisi pour avocat? » Il ait répon
du : o J’ai pris pour avocats Dieu, la Sainte-
Vierge, M. Gascet M. Saint-Gresse. »
M. le président. — Accusé, levez-vous :
quels sont vos noms?
l’accusé, en s’inclinant. — Louis Bona-
fous, en religion, frère Léotade.
D. Votre âge ? — K. Trente-six ans.
D. Votre profession ? — R. Frère profes de
la doctrine chrétienne.
D. Où êtes-vous né?— H. A Mouclor (Avey
ron).
D. Où demeuriez-vous? — R. A Toulouse,
à la communauté.
m. le président, s’adressant aux jurés a-
près leur avoir fait prêter serment.—Si pen
dant le cours de ces déliais, quelques-uns
d'entre vous viennent à penser que la vue des
lieux nourrait être utile pour l’intelligence
des déliais, vous voudriez bien nous en faire
part, et la Cour s’y transportera avec vous;
autrement il y aurait danger à ce que chacun
de vous exerçât isolément le droit qu’il a de
les visiter.
La parole est à l’avoué de la partie civile.
M e pujol, avoué de Bernard Combattes,
père de la victime. — Je demanderai qu’il
plaise à la Cour donner acte à Bernard Com-
bettes de sa constitution comme partie civile
aux débats qui vont s’ouvrir, tant contre
Louis Bonafous, en religion frère Léotade,
accusé de viol et de meurtre sur la fille du
concluant, que contre Jean Cazaneuve, en re
frère Irlide, directeur du pensionnat
lint-Jusenh, et le sieur Antoine-Bajau,
_ . igion frère Liéfroy, directeur du novi-
cialt tous deux représentant la communauté
'Vs frères de la doctrine chrétienne, établie à
oulouse, assignés à cet effet comme civile
ment responsables.
__ m cs boutau et Belot, avoués, posent, dans
l’intérêt de M. Jean Cazaneuve, en religion
frère Irlide, directeur du pensionnat de Saint-
Joseph, et d’Antoine Buzon, en religion frè
re Liefro.y, des conclusions en sens contraire.
m. le procureur-général.— La question
de compétence doit être soigneusement cir
conscrite dans les limites qui lui appartien
nent : il s’agit de savoir si on peut assigner
devant la Cour d’assises des personnes étran
gères au déliât; on dit que la Cour d’assises
est une juridiction spéciale, et qu’à moins de
textes formels, elles n'est pas compétente
sur les demandes en responsabilité. Or,
qu’est-ce qu’une demande en responsabilité?
c’est tout simplement une action en garantie;
or, il est de principe élémentaire en droit
que le juge de l’action principale doit être
aussi le juge de l’accessoire, que le juge du
fond est aussi le juge de l’exception. L’argu
ment qu’on tire des art. 174, 175, est fausse
ment appliqué selon nous, et sans analogie ;
nous pensons donc que, sans rien préjuger
sur le fond, il y a lieu de reconnaître que les
supérieurs Irlide et Liélroi ont été valable
ment assignés devant vous et par la partie ci
vile.
l a Cour rend, sur le siège, l’arrêt suivant :
« La Cour,
» Statuant sur l’incident soulevé par le défen
seur de l’accusé, tendant à faire déclarer par la
Cour la non recevabilité do faction des pero et
nièro de Cécile Comlieiies, en qualité de parties ci
viles, repousse les conclusions portées dans l’inté
rêt des frères Irlide et Lieiïroy.
m. le président. — Faites entrer les té
moins.
Les bancs qui leur sont réservés sont im
médiatement envahis. Les témoins à charge
sont au nombre de 91; ceux à décharge au
nombre de 9G. Nous remarquons, parmi les
principaux témoins assignés à la requête du
ministère public, les frères supérieurs Irlide
et Liéfroi.
m. le président.—Accusé, soyez attentif à
ce que vous allez entendre; on va donner
lecture de l’acte d’accusation et de l’arrêt qui
vous renvoie devant cette Cour.
La lecture de ces deux documens est faite
in extenso, contrairement à ce qui se pratique
dans beaucoup de Cours. L’accusé Léotade a
toujours écouté cette lecture avec beaucoup
d’attention.
Le greffier, sur l’ordre de M. le président,
donne lecture de l’acte d’accusation, qui est
ainsi conçu :
ACTE D’ACCUSATION.
Lu procureur-général du roi près la Cour royale 1
de Toulouse, chevalier de la Légion-d’lloimeur.
Vu l’arrêt rendu le 5 août 18î7, par la Chambre j
des mis -s en accusation do ladite Cour, réunie à
la Chambre des appels de police correctionnelle,
en vertu d*uno ordonnance rendue le 13 juillet
dernier, par M. le premier président de la Cour {
royale de Toulouse : ladite ordonnance rendue en
conformité d’un réquisitoire du pvueureur-géné-
ral soussigné, et en exécution de l’article 3 du dé- :
cret du 6 juillet 1810, qui renvoie devant la Cour
d’assises du département de la Haute-Garonne, le )
nomme Louis Bonafous, en religion frère Léotade,
appartenant b l’institut dès frères de la doctrine
chrétienne do Toulouse, accusé du crime do viol
et de meurlie sur Cécile Combelites,âgéo de moins
de quinze ar.s ;
Vu l’art. 211 du Code d’instruction criminelle;
Après un nouvel examen des pièces de la procé
dure, expose ce qui suit :
Le 16 a 'ril dernier, à six heures et demie du
matin, le nommé Raspaud entra dans le cimetière
Saint-Aubin; il était accompagné du sieur Lovê-
que, concierge du cimetière, et du sieur Laroque,
menuisier. Ils so dirigèrent tous les trois vers l’O
ratoire (1), dont la porte fait face au mur qui sé
pare le cimetière du jardin des frères de la doc
trine chrétienne. Pendant que Levôquo et Laro
que entraient dans l’oratoire, Raspaud, demeuré
en dehors, s’étant retourné du côté du jardin des
frères, aperçut vers l’angle de jonction de ci mur
avec celui qui sépare le cimetière de la rue Ri-
quet, le cadavre d’une personne du sexe, dans une
position qui lui fit dire au premier aspect : « Voilà
une femme qui dort ! »
Mais s’étant rapproché du point où reposait la
personne qu’il avait aperçue, Baspaud reconnut
que c’était le cadavre d’une jeune lillo (2). Ce ca
davre paraissait reposer sur ses genoux el sur l’ex
trémité de ses pieds, la semelle obliquant et on
l’air, sur ses coudes, la face contre terre; les pieds
étaient dirigés du côte du jardin d< s frères ; la
tête, par son sommet, était dirigée du coté de la
chapelle ou oratoire; l’ensemble du corps était
placé obliquement par rapport aux deux murs du
jardin des frères et de la rue Riquet; au pied du
« (I) Voir le plan, chiffre 1.
I (2) Voir le plan, lettre Y, lieu où a été trouvé le
cadavre.
mur de la rue Riquet, et dans l’intérieur du ci
metière, étaient placés trois piquets : an sommet
de Vu ri de ces piquets on remarquait un mouchoir
fond bb u, h pastilles blanches, suspendu par s«vi
centre; les deux extrémités encore nouées, se di
rigeaient du ciV.é de la tête du cadavre.
Raspaud ayant voulu examiner de plus près la
position «lu cadavre, lui imprima un mouvement
de rotation, en lo prenant par l’épaule gauche. Ce
mouvement, sans rien changer b la position du
corps, relativement aux deux murs, avait cepen
dant modifié la situation de la face, qui, au lieu
d’être appuyée dbntro la terre, se trouvait ainsi
tournée en l’air, de manière que les yeux se diri
geaient vers le mur de la rue Riquet. Sauf cette
modification, qui n’affectait que sa partie supé
rieure, le cadavre est demeuré dans la même po
sition, et c’est dans cette position, ainsi modifiée,
qu’il a été vu successivement par le commissaire
do police, à sept heures et demie; par M. le juge
d’instruction, à huit heures, et enfin, par les mé
decins, a deux heures de l’après-midi : lo premier
examen qui fut fait de ce cadavre ne laissa pas de
doute qu’il ne fût celui d’une jeune fille qui avait
succombé victime du double crime de viol et de
meurtre.
Ce cadavre fut bientôt reconnu pour être celui
de Cécile Combettes, née lo 6 novembre 1832, et
par conséquent âgée de moins de quinze ans, le 15
avril dernier.
Cécile (’.ombettes était fille de deux honnêtes et
modestes artisans de cette ville. Son père, Bernard
Combettes, était employé comme ouvrier b l’usine
de M. Talabot. Su mère, Marie Torisse, exerçait
l’humble profession d’allumeuse de réverbères. A
l’époque où elle fut si cruellement frappée par la
mort de sa fille, Marie Terisse était au terme «fa
ne laborieuse grossesse; elle accoucha, en effet,
le 5 mai, vingt jours après l’événement.
Cécile Co libelles était employée comme simple
apprentie dans l'atelier du sieur Conte, relieur :
son apprentissage, commencé au mois d’avril
1816, devait finir à la même époque do cette an
née, c’est-à-dire peu de jours aptès la catastro
phe qui lui a ravi la vie.
Le 15 avril dernier, Cécile devait, selon son ha
bitude, so rendre dans l’atelier de son maître, fille
fut réveillée b six heures par sa grand’mère. A
sept heures, sa grand’mère revient, voit sa petite-
fille habillée avec son costume de tous les jours :
« Elle mangeait un petit morceau de pain, ayant
son panier, sans doute avec son déjeûner dedans,
à côté d'elle. »
Après avoir été chercher une cruche d’eau à la
fontaine de Peyrolières, Cécile partit avec son
panier, pour aller chez Conte, où elle arriva vers
sept heure s et demie.
Conte était le relieur de la maison des frères de
la doctrine chrétienne de Toulouse. Lo jeudi 15
avril, il devait remettre une grande quantité de
livres qu’il avait reliés. Le frère Liéfroi, directeur
du noviciat, l'avait engagé à venir avant dix heu
res du matin. Vers neuf heures Conte se dispose
à partir : il fait préparer deux corbeilles,l’une plus
grande, où il place la majeure partie des livres,
l’autre plus petite, où il dispose la partie des li
vres qui n’a pu se placer dans la plus grande.
La femme Roumagnac, dite Marion, prend sur
sa tête la corbeille longue : Cécile est chargée de
la plus petite. Accompagné de scs deux ouvrières,
Conte se dirige vers la rue Riquet, où est placée
l'entrée du noviciat (3b La porte, fermée b clé,
s’ouvre pour le laisser entrer, et so referme en
suite. Les deux corbeilles sont déposées b terre.
Conte dit b Marion : « Retournez au magasin.» Et
se tournant vers Cécile, il lui met à la main le pa
rapluie, qu’il avait déposé contre lo mur pour ai
der Marion b décharger sa corbeille, et lui dit:«Cé-
cilo, garde mon parapluie ; attends-moi lh pour
porter les corbeilles vides. » Marion ressort aussi-
tôt; la porto se referme sur ses pas ; elle affirme
qu’elle est sortie seule, et qu’elle a laissé Cécile
dans le corridor.
Conte, aidé du portier, monte les deux corbeil
les de livres dans la procure du frère directeur.
Le portier redescend aussitôt; Conte prolonge son
entretien avec lo frère directeur. Il avait non-seu
lement b vérifier les livres qu’il venait lui remettre,
mais b débattre encore le prix de deux mille vo
lumes b relier pour la distribution des prix. Con
te demeura avec le frère directeur jusqu'à dix heu-
r«*s un quart et quelques minutes. Cette heure est
fixée parle frère Lonen, qui a vu descendre Con
te, et qui, à ce moment, les yeux tournés vers
l’horloge, a vu qu’elle marquait au-delà de dix
heures un quart.
Conte portait à la main les deux corbeilles vi
des; il s’informe auprès du portier de co qu’est de
venue Cécile. Le portier lui répond : « Elle sera
peut-être sortie pendant que je parlais à un mon
sieur, ou peut-être est-elle allée au pensionnat,»
en indiquant du doigt le tunnel.
Conte, ne trouvant pas Cécile pour emporter les
corbeilles vides, les dépose dans ie corridor, et les
envoie chercher dans la journée par un de ses
jeunes apprentis. Ç)unnt au parapluie, qu’avant do
monter chez le directeur il avait remis aux mains
de Cécile, il le retrouva contre le mur, b la place
même qu’occupait Cécile.
Conte, qui était resté plus d’une heure chez le
directeur, ne fut pas surpris de ne plus trouver
Cécile. Il pensa qu’ennuyée de l’attendre, elle é-
lait sortie et s’était rendue au magasin. En sor
tant du noviciat, Conte s’arrête chez son oncle,
le sieur Maître, ancien charron, rue do l’Etoile (i);
do là, il va arrêter sa place pour Auch; et enfin il
rentre chez lui vers onze heures. La dame Conte
n'ayant pas vu Cécile, s’informa d’elle b son mari;
(3) Voir le plan, lettre A.
(ï) Voir sur le plan la rue de l’Etoile.
celui-ci, di son côi«>, exprima la croyance qu’elle
était renin e.
Vers une h< tire, Ocite n’ayaut pas reparu, sa
famille en est insirui'e; la dame Conte, ainsi que
la femme BayUc, cette dernière, tante de Cécile,
vont la demander successivement soit au pension
nat de Saint-Joseph, soit au noviciat. Au pension
nat, le portier déclare qu’il ne l’a pas vue : au
noviciat le portier l'a vue,îmais ne peut affirmer
qu’elle soit sortie. La femme Baylac insiste pour
que des recherches soient faites. Le directeur est
prévenu : la seule réponse que la femme Baylac
reçoit pour calmer ses pressentimens, c’est que
les femmes ne peuvent pas circuler dans rétablis
sement, et que si Cécile y eût pénétré le matin,
elle aurait été rencontrée, etjqu’on l’aurait obli
gée à ressortir.
D’après les indications de Conte, des recherches
furent, faites dans plusieurs maisons, dans l’une
surtout située rue de l’Etoile, qui était désignée
comme suspecte. Toutes ces recherches furent in
fructueuses. Conte, que des affaires appelaient à
Auch, auprès du frère directeur de la maison des
frères établie dans cette ville, partit le 15 avril au
soir. 11 repartit pour Toulouse le 16, au soir,"et il
y arriva le 17 au matin.
Il n’est pas inutile, pour l’intelligence des faits
qui vont se dérouler, de coimaiire les relations de
Contd[avec(,lalmaison 'des’Jfrèros ^do' k la] doctrine
chrétienne.
Conte n’était pas seulement employé comme
relieur, apportant chez les fri-res son ouvrage pour
en recevoir le salaire; il était attaché à cet établis
sement depuis onze ans ; ses rapports avaient
commencé avant que le pensionnat de Saint-Jo
seph, dirigé par des frères de la doctrine chré
tienne, fût formé. Des rapports d’intimité s’éiaiont
établis entre Conte et le directeur, et même la
plupart des frères du noviciat et du pensionnat. Il
existait entre eux un échange continuel de lions
offices et de petits services. Il n’était pas chargé
seulement do la reliure des livres; il préparait les
objets nécessaires aux classes. Ces opérations si
multiples entretenaient des communica ions quo
tidiennes entre la maison des frères et l’atelier de
Conte. Ses ouvrières ou apprenties allaient fré
quemment soit au Noviciat, soit au pensionnat.
Cécile, notamment, avait été lo mercredi 14, au
noviciat, pour rapporter des cahiers rognés.
Si Conte avait besoin de quelques avances, il
n’avait qu’à s’adresser à l’un des directeurs. C’est
ainsi que quelques jours auparavant il avait obte
nu un prêt de 160 fr., en un mandat sur le direc
teur de la maison de Rodez.
Enfin, chaque fois qu’une fête était célébrée
dans la maison, Conte y était convié.
Les bénéfices que cette position procurait à Conte
ne peuvent pas être évalués à moins de deux
mille francs par an. Son père, aussi relieur, rece
vait la partie de l’ouvrage que son fils ne pouvait
pas faire.
Les explorations auxquelles la justice s’est li
vrée à l’occasion do la découverte du cadavre de
Cécile Combettes, ont eu un double but :
1" Bechercher d’abord le lieu où lo crime a été
commis;
2“ Découvrir ensuite l’auteur ou les auteurs du
crime.
PREMIÈRE PARTIE.
Résumé îles faits qui démontrent que le double at
tentat commis le 15 avril dernier, sur lu per
sonne de Cécile Combettes, a été accompli dans
la maison des frères de la doctrine chrétienne.
Nous avons laissé le cadavre de Cécile Combet
tes étendu dans le cimetière Saint-Aubin, pres
que à l’angle de jonction des deux murs, dont
l’un est mitoyen entre lo cimetière et la rue Bi
quet, et l’autre entre lo cimitière et le jardin des
frères (5).
A huit heures du matin, M. le juge d’instruc
tion arrive sur les lieux et constate la position du
cadavre telle que Baspaud l’a décrite. M. le juge
d’instruction, so préoccupant d’abord do l’hypo
thèse où le cadavre aurait pu être apporté et dé
posé dans le lieu où il a été trouvé, examine avec
le plus grand soin le mur de clôture du cimetière.
Aucune lésion, aucun désordre ne se prêtent à
cette hypothi'se. Une brèche placée au point où lo
mur joint l’oratoire (6), situé dans le cimetière,
fixe son attention. Mais cette brèche, déjà élargie
par les curieux qui l’ont escaladée ou qui s’y sont
appuyés, ne saurait se prêter à la pensée que le
corps de Cécile ait pu la traverser, pour être en
suite transporté et placé au point où il a été vu.
Le terrain placé au pied do ce mur, recouvert
d’herbes, et à l’état d’humidité, est exempt d’em
preintes qu’on y aurait certainement remarquées
si le meurtrier eût traversé et foulé cette partie
du sol. Les mêmes explorations avaient dé
jà été faites par les soins et sous l’inspection de
M. Lamarle, commissaire de police.
Mais arrivé vers l’angle de jonction du mur de
la rue Riquet et du jardin des frères (7), M. le
juge d’instruction constate sur le parement ex
térieur du mur du jardin des frères, et par con
séquent du côté du cimetière, une surface de
terre fraîchement tombée ; cette terre, qui forme
une espèce de mousse ou moisissurejquo l’humi
dité a produite sur la paroi do co mur, s’est dé
tachée et s’est arrêtée en poussière sur les aspé
rités du mur. Cette croûte a été enlevée par
te frottement produit par l'extrémité des bran
ches de cyprès qui forment le couronnement
du mur de >a rue Riquet; ces branches, en
s’affaissant, rencontrent la paroi du mur du
jardin des frères du côté du cimetière, et par
(5) Voir le plan, lettre V.
(6) Ibid, chiffre 1.
(7) Voir le plan, lettre V.
LÉRINDE.
A Entrée du Noviciat par la rue Riquet.
K Tunnel sous la rue Caraman.
I. Entrée du Pensionnat par le corridor.
M Passage qui conduit au Jardin et à la Cui
sine du Pensionnat.
N Passage découvert.
(> Dépôt des coffres à avoine, loge suspendue
de lapins et escaliers de l’étage supérieur.
P Ecurie sans communication avec colle qui
suit.
Q Autres écurie.
B Vacherie avec escalier qui monte au gre
nier.
S Hangar ouvert sur la
Jardin.
T Orangerie.
X Guérite du factionnaire.
‘V Lieu où le cadavre a été trouvé.
3 Oratoire.
l’acide du côté du
1 f
les râclures qu’elles y provoquent, elles ont dé
taché la croûte dont nous venons de parler.
Sur le sommet du mur du jardin des frères, le
magistrat constate quelques plan les froissée».
La justice pouvant recueillir d’utiles rensrigne-
mons do l’état des p’antes qui couvrent 1rs murs,
M. le juge d’instruction a invité les médecins ap
pelés, à lui donner leur avis sur les divers acci-
dens qu’ils pourraient remarquer.
Les médecins après avoir décrit la pose du ca
davre, constaté que la tête était nue et les che
veux épars, font remarquer que « sur les cheveux
étaient des parcelles do terre de forme et do vo
lume variables. »
A travers les cheveux ils ont trouvé :
« lo Des parcelles de feuilles de cyprès; 2° un
pétale de fleur ; 3* un faisceau de filasse, long de
trois cetimètres, formé de quelques brins, mais
paraissant avoir été détaché d’une corde. »
Les médeciis examinent, successivement les
deux murs, soit du côté du cimetière, soit du
côté opposé.
Du côté du cimetière, ils constatent les mêmes
accidens que ceux qui sont consigné.; dans lo pro
cès-verbal de &L le juge d’instruction ; c’est-à -
dire l’ablation d’une croûte do terre verdâtre sur
la paroi du mur du jardin des frères. Après avoir
rapproché les parcelles de terre trouvées à travers
les cheveux de la victime, de cette surface do mur,
les experts ont- reconnu sur lo plus gros de ces
fragmens, un côté verdâtre, présentant l’aspet t
do la surface intacte du mur, et un autre côté do
la couleur et de l’aspect du la parti • du mur qui
leur a paru écorchée.
« Il nous a paru rationnel d’admettre, conti -
nuent les experts, que les fragmens de tenu trou
vés à travers les cheveux, provenaient do cette
déchirure, et qu’il en était de même de cette terre
pulvérulente que nous trouvions arrêtée sur les
aspérités des doux murs. »
Du côté de la rue Riquet, le mur n'a présente
aucune empreinte ni aucun accident qui pût fixer
l’attention des experts.
Mais du côté du jardin des livres, et tout-à -fait
à l’extrémité de ce mur, à cinquante centimètres
au-dessous do son couronnement, les experts dé
couvrent une touffe d’herbes qui paraît affaissée
comme si une main se fût appuyée sur ce point.
Un peu plus haut, et auprès du couronnement, ils
constatent la présence do quelques herbes cou
chées, et notamment des pieds de séneçon.
Les deux murs sont construits en terre, mais
leur couronnement n’était pas fait de la môme
manière : celui de la rue Riquet reposait sur des
branches de cyprès. Le mur du jardin des frères
était couvert de plantes abondantes, de graminées
et de plantes grasses, do senrçon. Auprès de l’an
gle de jonction des deux murs, les experts ont re
marqué quelques tiges de seneçon couchées et un
peu fanées. Comme ils avaient ‘découvert à travers
tes cheveux de Cécile un pétale de fleur, ils ont
été amenés à rechercher s’il existait sur le mur
du jardin des frères une fleur qui eût des pétales
semblables ; et ils ont trouvé sur le couronnement
do ce mur plusieurs pieds d i géranium, dont la
fleur avait des pétales semblables à celui iccueilli
dans les cheveux de Cécile. Poursuivant Uurs in
vestigations sur ce point, les experts découvrent,
lout-à-fait à l’angle des deux murs, un pied de
géranium dont une des fleurs, en plein épanouis
sement, avait perdu tous les pétales do sa corolle.
Les experts recherchent, avec le plus grand soin,
sur le sol du cimetière, autour du cadavre, et quand
il a été enlevé, sur la place qu’il occupait, une
plante de cette espèce; mais, disent-ils, nous n’en
avons trouvé que sur le mur.
Le couronnement du mur do la rue Riquet pré
sentait les dispositions d’un comble de forme pris
matique et triangulaire, reposant sur une couche
de branches de cyprès, formant une sorte d’avan
cement qui dépassait d’environ trente centimè
tres le niveau du mur, et tout à fait à l’angle tou
chant le mur des frères ; ces branches fennaienî
en haut l’angle de jonction des deux murs,de telle
sorte, qu’un corps jeté par-dessus, on suivant l’an
gle, devait, à son passage, les affaisser. Les ex
perts simulent avec la main cet affaissement, en
suivant de l’œil son effet, soit sur lu couronne
ment de terre du mur de la rue Riquet, soit sur
lo mur du jerdin des frères. Ils découvrent alors
successivement deux cassures sur le mur do la rue
Riquet : le premier soir, ces cassures leur paru
rent fraîches ; le lendemain, quoique le temps fût
resté pluvieux, elles étaient considérablement sè
ches ; preuves certaines qu’elles étaient récen
tes.
Dans ce mouvement d’affaissement dus branches,
l’extrémité dos plus voisines do l’angle allait ra
cler contre la paroi du mur des frères, et l’abla
tion de terre observée sur la paroi du mur du
jardin des frères a pu être prou ni te par ce méca
nisme.
Comme nouveau témoignage du passage d'un
objet volumineux par-dessus Te mur du jardin des
frères, les experts observent sur ce mur et à l’an-
glo de jonction avec celui de la rue Riquet, une
petite plante presque entièrement arrachée, néan
moins lestée encore frakhe, quoiqu’elle no tint
plus au sol où elle a végété que par deux filamens
du chevelu de la racine ; et tout b fait au haut de
la jonction des deux murs, était une petite bran
che de cyprès, qui attestait, par sa cassure ré
cente, qu'elle venait d’être séparée des autres
branches.
A travers les branches de cyprès, les experts
trouvent un peu do chanvre qui paraissait prove
nir des débris d’une corde.
Les experts examinent avec, le plus grand soin
la toiture de l’orangerie (8), qui fait une saillie
assez considérable sur le mur de la rue Riquet.
Un intervalle assez grand existe entre le sommet
do ce mur et la toiture des bâti mens. Au-dessou»
de cette toiture existe un tuyau do gouttière en
fer blanc, descendant obliquement sur le couron
nement du mur. A trente centimètres de l'avan
cement do la toiture, est un piquet en sapin qui,
malgré sa mobilité, ne paraît pas avoir été ébran^
lé.
Cette double circonstance de la présence de la
gouttière et du piquet, forme sur ce point un ob
stacle au passage d’un corps lourd et volumineux.
L’absence sur cette partie de toute espèce de dé
gradation, de tout affaissement de plantes, semble
être exclusive de l’idée que lo cadavre ou tout
autre corps pesant eût pu prendre un point d’ap
pui sur cette partie du mur.
Mais les experts, frappés des dégradations et
des écorchures qu’ils ont signalées sur le mur du
jardin des frères, concluent à la possibilité «qu’un
cadavre ait pu être jeté par-dessus le mur. »
La vue des lieux, la position du cadavre, les
obstacles signalés sur le mur do la ruo Riquet, ont
paru aux experts exclusifs de la possibilité que le
cadavre ait été jeté du côté de la rue Riquet. Ta
même impression a été produite sur le témoin Rar-
paud, qui, le premier, a aperçu le corps inanimé
de Cécile, et qui n’a pas hésit i à dire que toutes
ces circonstances lui ont fait penser « que le coris
était venu plutôt du côté des frères que du côté es
la rue Riquet. »
D’autres circonstances fortifient colle opinion.
La joue gauche de Cécile était remplie de terre,
de manière à indiquer que cette partie de la face
avait foi i. i-i^nt râclé contre une paroi en t-rru ;
la parhv gauche des >élemens, paritculieie iont
(d) Voir le plan, lettre T.
Cour «l’assises de la Haul
Présidence de M. de la
Audience du 7 février.
Mj .1 l ■ * i
lAFFAIRE CÉCILE COMlKTTKiS .—ACCUSATION DR MEUR
TRE IT DE VIOL CONTRE LE FRÈRE LÉOTADE. — IN-
- CI DENT D’ADDIBNC*. PARTIE CIVILE.
A dix heures un quart, les audienciers an
noncent l/i Cour.
M. le ) résident de La Baume, ayant à ses
côté M. de Castelbajac et Querilhac, mon
te sur le siège.
M. le procureur-général d’Oms est assisté
de MM. Dalguier, premier avocat-général.
,C.es magistrats sont en robes rouges. MM. les
greffiers sont placés au-dessous de la Cour et
portent la robe noire.
m. le président.—L’audience est ouverte;
nous recommandons le plus grand silence.
L’accusé n’est pas encore introduit.
. M. LE président. — Un de MM. les jurés
m’a fait passer un certificat constatant qu’il
est atteint d’ime infirmité chronique qui l'em
pêche de siéger.
La Cour, sur les conclusions conformesdu
ministère public, exempte ce juré.
ai. le PROC.URF.VR-c,ÉxÉRAi. requiert l’ad
jonction de deux jurés supplémentaires et
d'un troisième assesseur, à cause de la lon
gueur présumée des débats.
La Cour fait droit à ses conclusions.
m. lf. président.—Qu’on conduise l’accu
sé dans la chambre du conseil ; j’invite mes
sieurs les jurés à s’y rendre également pour
uu’il soit procédé au tirage au sort du jur.v
de jugement.
Au bout de dix minutes, la Cour rentre
en audience, et messieurs les jurés prennent
place dans l’ordre du tirage.
L’accusé est introduit. Il arrive d’un air
assez calme, s’incline profondément devant
ses défenseurs, s’asseqit en croisant ses mains
sur sa poitrine, et promène sur l’auditoire
des regards tranquilles ; il porte le costume
de son Ordre : la robe noire en bure à larges
manches pendantes, un petit rabat en toile
blanche et une calote noire, de dessous la
quelle ses cheveux sortent plats et arrondis
sur le front ; à côté de lui il dépose son cha
peau à bords larges et relevés en triangle.
On ne saisit pas bien d’abord l’expression
de sa physionomie; ses traits n’ont par eux-
méines rien de très saillant ni de repoussant;
il ne parait pas avoir plus de trente ans; il a
ce qu’on appelle bonne mine et ne paraît
avoir nullement souffert du séjour de la pri
son; son teint est brun et coloré, son nez é-
paté, sa bouche petite et pincée, les yeux,
enfoncés dans leur orbite et cachés sous d’é
pais sourcils, jettent des regards voilés, insai
sissables dans leur expression, mais parfois
somb:es, et annonçant une violence conte
nue. Son air calme se change parfois en une
expression sardonique et railleuse. Demain
l’interrogatoire nous le fera mieux connaître.
Le frère Léotade manifeste, dil-on, du
reste, une résignation en apparence fort
grande. « Qu’on me juge, dit-il, qu’on me
condamne.» Il y aurait dans son langage un
mysticisme assez prononcé, s’il est vrai,
comme on le prétend, qu’à cette demande
qui doit, aux termes de la loi, précéder l’in
terrogatoire du président des Assises : « Qui
avez-vous choisi pour avocat? » Il ait répon
du : o J’ai pris pour avocats Dieu, la Sainte-
Vierge, M. Gascet M. Saint-Gresse. »
M. le président. — Accusé, levez-vous :
quels sont vos noms?
l’accusé, en s’inclinant. — Louis Bona-
fous, en religion, frère Léotade.
D. Votre âge ? — K. Trente-six ans.
D. Votre profession ? — R. Frère profes de
la doctrine chrétienne.
D. Où êtes-vous né?— H. A Mouclor (Avey
ron).
D. Où demeuriez-vous? — R. A Toulouse,
à la communauté.
m. le président, s’adressant aux jurés a-
près leur avoir fait prêter serment.—Si pen
dant le cours de ces déliais, quelques-uns
d'entre vous viennent à penser que la vue des
lieux nourrait être utile pour l’intelligence
des déliais, vous voudriez bien nous en faire
part, et la Cour s’y transportera avec vous;
autrement il y aurait danger à ce que chacun
de vous exerçât isolément le droit qu’il a de
les visiter.
La parole est à l’avoué de la partie civile.
M e pujol, avoué de Bernard Combattes,
père de la victime. — Je demanderai qu’il
plaise à la Cour donner acte à Bernard Com-
bettes de sa constitution comme partie civile
aux débats qui vont s’ouvrir, tant contre
Louis Bonafous, en religion frère Léotade,
accusé de viol et de meurtre sur la fille du
concluant, que contre Jean Cazaneuve, en re
frère Irlide, directeur du pensionnat
lint-Jusenh, et le sieur Antoine-Bajau,
_ . igion frère Liéfroy, directeur du novi-
cialt tous deux représentant la communauté
'Vs frères de la doctrine chrétienne, établie à
oulouse, assignés à cet effet comme civile
ment responsables.
__ m cs boutau et Belot, avoués, posent, dans
l’intérêt de M. Jean Cazaneuve, en religion
frère Irlide, directeur du pensionnat de Saint-
Joseph, et d’Antoine Buzon, en religion frè
re Liefro.y, des conclusions en sens contraire.
m. le procureur-général.— La question
de compétence doit être soigneusement cir
conscrite dans les limites qui lui appartien
nent : il s’agit de savoir si on peut assigner
devant la Cour d’assises des personnes étran
gères au déliât; on dit que la Cour d’assises
est une juridiction spéciale, et qu’à moins de
textes formels, elles n'est pas compétente
sur les demandes en responsabilité. Or,
qu’est-ce qu’une demande en responsabilité?
c’est tout simplement une action en garantie;
or, il est de principe élémentaire en droit
que le juge de l’action principale doit être
aussi le juge de l’accessoire, que le juge du
fond est aussi le juge de l’exception. L’argu
ment qu’on tire des art. 174, 175, est fausse
ment appliqué selon nous, et sans analogie ;
nous pensons donc que, sans rien préjuger
sur le fond, il y a lieu de reconnaître que les
supérieurs Irlide et Liélroi ont été valable
ment assignés devant vous et par la partie ci
vile.
l a Cour rend, sur le siège, l’arrêt suivant :
« La Cour,
» Statuant sur l’incident soulevé par le défen
seur de l’accusé, tendant à faire déclarer par la
Cour la non recevabilité do faction des pero et
nièro de Cécile Comlieiies, en qualité de parties ci
viles, repousse les conclusions portées dans l’inté
rêt des frères Irlide et Lieiïroy.
m. le président. — Faites entrer les té
moins.
Les bancs qui leur sont réservés sont im
médiatement envahis. Les témoins à charge
sont au nombre de 91; ceux à décharge au
nombre de 9G. Nous remarquons, parmi les
principaux témoins assignés à la requête du
ministère public, les frères supérieurs Irlide
et Liéfroi.
m. le président.—Accusé, soyez attentif à
ce que vous allez entendre; on va donner
lecture de l’acte d’accusation et de l’arrêt qui
vous renvoie devant cette Cour.
La lecture de ces deux documens est faite
in extenso, contrairement à ce qui se pratique
dans beaucoup de Cours. L’accusé Léotade a
toujours écouté cette lecture avec beaucoup
d’attention.
Le greffier, sur l’ordre de M. le président,
donne lecture de l’acte d’accusation, qui est
ainsi conçu :
ACTE D’ACCUSATION.
Lu procureur-général du roi près la Cour royale 1
de Toulouse, chevalier de la Légion-d’lloimeur.
Vu l’arrêt rendu le 5 août 18î7, par la Chambre j
des mis -s en accusation do ladite Cour, réunie à
la Chambre des appels de police correctionnelle,
en vertu d*uno ordonnance rendue le 13 juillet
dernier, par M. le premier président de la Cour {
royale de Toulouse : ladite ordonnance rendue en
conformité d’un réquisitoire du pvueureur-géné-
ral soussigné, et en exécution de l’article 3 du dé- :
cret du 6 juillet 1810, qui renvoie devant la Cour
d’assises du département de la Haute-Garonne, le )
nomme Louis Bonafous, en religion frère Léotade,
appartenant b l’institut dès frères de la doctrine
chrétienne do Toulouse, accusé du crime do viol
et de meurlie sur Cécile Combelites,âgéo de moins
de quinze ar.s ;
Vu l’art. 211 du Code d’instruction criminelle;
Après un nouvel examen des pièces de la procé
dure, expose ce qui suit :
Le 16 a 'ril dernier, à six heures et demie du
matin, le nommé Raspaud entra dans le cimetière
Saint-Aubin; il était accompagné du sieur Lovê-
que, concierge du cimetière, et du sieur Laroque,
menuisier. Ils so dirigèrent tous les trois vers l’O
ratoire (1), dont la porte fait face au mur qui sé
pare le cimetière du jardin des frères de la doc
trine chrétienne. Pendant que Levôquo et Laro
que entraient dans l’oratoire, Raspaud, demeuré
en dehors, s’étant retourné du côté du jardin des
frères, aperçut vers l’angle de jonction de ci mur
avec celui qui sépare le cimetière de la rue Ri-
quet, le cadavre d’une personne du sexe, dans une
position qui lui fit dire au premier aspect : « Voilà
une femme qui dort ! »
Mais s’étant rapproché du point où reposait la
personne qu’il avait aperçue, Baspaud reconnut
que c’était le cadavre d’une jeune lillo (2). Ce ca
davre paraissait reposer sur ses genoux el sur l’ex
trémité de ses pieds, la semelle obliquant et on
l’air, sur ses coudes, la face contre terre; les pieds
étaient dirigés du côte du jardin d< s frères ; la
tête, par son sommet, était dirigée du coté de la
chapelle ou oratoire; l’ensemble du corps était
placé obliquement par rapport aux deux murs du
jardin des frères et de la rue Riquet; au pied du
« (I) Voir le plan, chiffre 1.
I (2) Voir le plan, lettre Y, lieu où a été trouvé le
cadavre.
mur de la rue Riquet, et dans l’intérieur du ci
metière, étaient placés trois piquets : an sommet
de Vu ri de ces piquets on remarquait un mouchoir
fond bb u, h pastilles blanches, suspendu par s«vi
centre; les deux extrémités encore nouées, se di
rigeaient du ciV.é de la tête du cadavre.
Raspaud ayant voulu examiner de plus près la
position «lu cadavre, lui imprima un mouvement
de rotation, en lo prenant par l’épaule gauche. Ce
mouvement, sans rien changer b la position du
corps, relativement aux deux murs, avait cepen
dant modifié la situation de la face, qui, au lieu
d’être appuyée dbntro la terre, se trouvait ainsi
tournée en l’air, de manière que les yeux se diri
geaient vers le mur de la rue Riquet. Sauf cette
modification, qui n’affectait que sa partie supé
rieure, le cadavre est demeuré dans la même po
sition, et c’est dans cette position, ainsi modifiée,
qu’il a été vu successivement par le commissaire
do police, à sept heures et demie; par M. le juge
d’instruction, à huit heures, et enfin, par les mé
decins, a deux heures de l’après-midi : lo premier
examen qui fut fait de ce cadavre ne laissa pas de
doute qu’il ne fût celui d’une jeune fille qui avait
succombé victime du double crime de viol et de
meurtre.
Ce cadavre fut bientôt reconnu pour être celui
de Cécile Combettes, née lo 6 novembre 1832, et
par conséquent âgée de moins de quinze ans, le 15
avril dernier.
Cécile (’.ombettes était fille de deux honnêtes et
modestes artisans de cette ville. Son père, Bernard
Combettes, était employé comme ouvrier b l’usine
de M. Talabot. Su mère, Marie Torisse, exerçait
l’humble profession d’allumeuse de réverbères. A
l’époque où elle fut si cruellement frappée par la
mort de sa fille, Marie Terisse était au terme «fa
ne laborieuse grossesse; elle accoucha, en effet,
le 5 mai, vingt jours après l’événement.
Cécile Co libelles était employée comme simple
apprentie dans l'atelier du sieur Conte, relieur :
son apprentissage, commencé au mois d’avril
1816, devait finir à la même époque do cette an
née, c’est-à-dire peu de jours aptès la catastro
phe qui lui a ravi la vie.
Le 15 avril dernier, Cécile devait, selon son ha
bitude, so rendre dans l’atelier de son maître, fille
fut réveillée b six heures par sa grand’mère. A
sept heures, sa grand’mère revient, voit sa petite-
fille habillée avec son costume de tous les jours :
« Elle mangeait un petit morceau de pain, ayant
son panier, sans doute avec son déjeûner dedans,
à côté d'elle. »
Après avoir été chercher une cruche d’eau à la
fontaine de Peyrolières, Cécile partit avec son
panier, pour aller chez Conte, où elle arriva vers
sept heure s et demie.
Conte était le relieur de la maison des frères de
la doctrine chrétienne de Toulouse. Lo jeudi 15
avril, il devait remettre une grande quantité de
livres qu’il avait reliés. Le frère Liéfroi, directeur
du noviciat, l'avait engagé à venir avant dix heu
res du matin. Vers neuf heures Conte se dispose
à partir : il fait préparer deux corbeilles,l’une plus
grande, où il place la majeure partie des livres,
l’autre plus petite, où il dispose la partie des li
vres qui n’a pu se placer dans la plus grande.
La femme Roumagnac, dite Marion, prend sur
sa tête la corbeille longue : Cécile est chargée de
la plus petite. Accompagné de scs deux ouvrières,
Conte se dirige vers la rue Riquet, où est placée
l'entrée du noviciat (3b La porte, fermée b clé,
s’ouvre pour le laisser entrer, et so referme en
suite. Les deux corbeilles sont déposées b terre.
Conte dit b Marion : « Retournez au magasin.» Et
se tournant vers Cécile, il lui met à la main le pa
rapluie, qu’il avait déposé contre lo mur pour ai
der Marion b décharger sa corbeille, et lui dit:«Cé-
cilo, garde mon parapluie ; attends-moi lh pour
porter les corbeilles vides. » Marion ressort aussi-
tôt; la porto se referme sur ses pas ; elle affirme
qu’elle est sortie seule, et qu’elle a laissé Cécile
dans le corridor.
Conte, aidé du portier, monte les deux corbeil
les de livres dans la procure du frère directeur.
Le portier redescend aussitôt; Conte prolonge son
entretien avec lo frère directeur. Il avait non-seu
lement b vérifier les livres qu’il venait lui remettre,
mais b débattre encore le prix de deux mille vo
lumes b relier pour la distribution des prix. Con
te demeura avec le frère directeur jusqu'à dix heu-
r«*s un quart et quelques minutes. Cette heure est
fixée parle frère Lonen, qui a vu descendre Con
te, et qui, à ce moment, les yeux tournés vers
l’horloge, a vu qu’elle marquait au-delà de dix
heures un quart.
Conte portait à la main les deux corbeilles vi
des; il s’informe auprès du portier de co qu’est de
venue Cécile. Le portier lui répond : « Elle sera
peut-être sortie pendant que je parlais à un mon
sieur, ou peut-être est-elle allée au pensionnat,»
en indiquant du doigt le tunnel.
Conte, ne trouvant pas Cécile pour emporter les
corbeilles vides, les dépose dans ie corridor, et les
envoie chercher dans la journée par un de ses
jeunes apprentis. Ç)unnt au parapluie, qu’avant do
monter chez le directeur il avait remis aux mains
de Cécile, il le retrouva contre le mur, b la place
même qu’occupait Cécile.
Conte, qui était resté plus d’une heure chez le
directeur, ne fut pas surpris de ne plus trouver
Cécile. Il pensa qu’ennuyée de l’attendre, elle é-
lait sortie et s’était rendue au magasin. En sor
tant du noviciat, Conte s’arrête chez son oncle,
le sieur Maître, ancien charron, rue do l’Etoile (i);
do là, il va arrêter sa place pour Auch; et enfin il
rentre chez lui vers onze heures. La dame Conte
n'ayant pas vu Cécile, s’informa d’elle b son mari;
(3) Voir le plan, lettre A.
(ï) Voir sur le plan la rue de l’Etoile.
celui-ci, di son côi«>, exprima la croyance qu’elle
était renin e.
Vers une h< tire, Ocite n’ayaut pas reparu, sa
famille en est insirui'e; la dame Conte, ainsi que
la femme BayUc, cette dernière, tante de Cécile,
vont la demander successivement soit au pension
nat de Saint-Joseph, soit au noviciat. Au pension
nat, le portier déclare qu’il ne l’a pas vue : au
noviciat le portier l'a vue,îmais ne peut affirmer
qu’elle soit sortie. La femme Baylac insiste pour
que des recherches soient faites. Le directeur est
prévenu : la seule réponse que la femme Baylac
reçoit pour calmer ses pressentimens, c’est que
les femmes ne peuvent pas circuler dans rétablis
sement, et que si Cécile y eût pénétré le matin,
elle aurait été rencontrée, etjqu’on l’aurait obli
gée à ressortir.
D’après les indications de Conte, des recherches
furent, faites dans plusieurs maisons, dans l’une
surtout située rue de l’Etoile, qui était désignée
comme suspecte. Toutes ces recherches furent in
fructueuses. Conte, que des affaires appelaient à
Auch, auprès du frère directeur de la maison des
frères établie dans cette ville, partit le 15 avril au
soir. 11 repartit pour Toulouse le 16, au soir,"et il
y arriva le 17 au matin.
Il n’est pas inutile, pour l’intelligence des faits
qui vont se dérouler, de coimaiire les relations de
Contd[avec(,lalmaison 'des’Jfrèros ^do' k la] doctrine
chrétienne.
Conte n’était pas seulement employé comme
relieur, apportant chez les fri-res son ouvrage pour
en recevoir le salaire; il était attaché à cet établis
sement depuis onze ans ; ses rapports avaient
commencé avant que le pensionnat de Saint-Jo
seph, dirigé par des frères de la doctrine chré
tienne, fût formé. Des rapports d’intimité s’éiaiont
établis entre Conte et le directeur, et même la
plupart des frères du noviciat et du pensionnat. Il
existait entre eux un échange continuel de lions
offices et de petits services. Il n’était pas chargé
seulement do la reliure des livres; il préparait les
objets nécessaires aux classes. Ces opérations si
multiples entretenaient des communica ions quo
tidiennes entre la maison des frères et l’atelier de
Conte. Ses ouvrières ou apprenties allaient fré
quemment soit au Noviciat, soit au pensionnat.
Cécile, notamment, avait été lo mercredi 14, au
noviciat, pour rapporter des cahiers rognés.
Si Conte avait besoin de quelques avances, il
n’avait qu’à s’adresser à l’un des directeurs. C’est
ainsi que quelques jours auparavant il avait obte
nu un prêt de 160 fr., en un mandat sur le direc
teur de la maison de Rodez.
Enfin, chaque fois qu’une fête était célébrée
dans la maison, Conte y était convié.
Les bénéfices que cette position procurait à Conte
ne peuvent pas être évalués à moins de deux
mille francs par an. Son père, aussi relieur, rece
vait la partie de l’ouvrage que son fils ne pouvait
pas faire.
Les explorations auxquelles la justice s’est li
vrée à l’occasion do la découverte du cadavre de
Cécile Combettes, ont eu un double but :
1" Bechercher d’abord le lieu où lo crime a été
commis;
2“ Découvrir ensuite l’auteur ou les auteurs du
crime.
PREMIÈRE PARTIE.
Résumé îles faits qui démontrent que le double at
tentat commis le 15 avril dernier, sur lu per
sonne de Cécile Combettes, a été accompli dans
la maison des frères de la doctrine chrétienne.
Nous avons laissé le cadavre de Cécile Combet
tes étendu dans le cimetière Saint-Aubin, pres
que à l’angle de jonction des deux murs, dont
l’un est mitoyen entre lo cimetière et la rue Bi
quet, et l’autre entre lo cimitière et le jardin des
frères (5).
A huit heures du matin, M. le juge d’instruc
tion arrive sur les lieux et constate la position du
cadavre telle que Baspaud l’a décrite. M. le juge
d’instruction, so préoccupant d’abord do l’hypo
thèse où le cadavre aurait pu être apporté et dé
posé dans le lieu où il a été trouvé, examine avec
le plus grand soin le mur de clôture du cimetière.
Aucune lésion, aucun désordre ne se prêtent à
cette hypothi'se. Une brèche placée au point où lo
mur joint l’oratoire (6), situé dans le cimetière,
fixe son attention. Mais cette brèche, déjà élargie
par les curieux qui l’ont escaladée ou qui s’y sont
appuyés, ne saurait se prêter à la pensée que le
corps de Cécile ait pu la traverser, pour être en
suite transporté et placé au point où il a été vu.
Le terrain placé au pied do ce mur, recouvert
d’herbes, et à l’état d’humidité, est exempt d’em
preintes qu’on y aurait certainement remarquées
si le meurtrier eût traversé et foulé cette partie
du sol. Les mêmes explorations avaient dé
jà été faites par les soins et sous l’inspection de
M. Lamarle, commissaire de police.
Mais arrivé vers l’angle de jonction du mur de
la rue Riquet et du jardin des frères (7), M. le
juge d’instruction constate sur le parement ex
térieur du mur du jardin des frères, et par con
séquent du côté du cimetière, une surface de
terre fraîchement tombée ; cette terre, qui forme
une espèce de mousse ou moisissurejquo l’humi
dité a produite sur la paroi do co mur, s’est dé
tachée et s’est arrêtée en poussière sur les aspé
rités du mur. Cette croûte a été enlevée par
te frottement produit par l'extrémité des bran
ches de cyprès qui forment le couronnement
du mur de >a rue Riquet; ces branches, en
s’affaissant, rencontrent la paroi du mur du
jardin des frères du côté du cimetière, et par
(5) Voir le plan, lettre V.
(6) Ibid, chiffre 1.
(7) Voir le plan, lettre V.
LÉRINDE.
A Entrée du Noviciat par la rue Riquet.
K Tunnel sous la rue Caraman.
I. Entrée du Pensionnat par le corridor.
M Passage qui conduit au Jardin et à la Cui
sine du Pensionnat.
N Passage découvert.
(> Dépôt des coffres à avoine, loge suspendue
de lapins et escaliers de l’étage supérieur.
P Ecurie sans communication avec colle qui
suit.
Q Autres écurie.
B Vacherie avec escalier qui monte au gre
nier.
S Hangar ouvert sur la
Jardin.
T Orangerie.
X Guérite du factionnaire.
‘V Lieu où le cadavre a été trouvé.
3 Oratoire.
l’acide du côté du
1 f
les râclures qu’elles y provoquent, elles ont dé
taché la croûte dont nous venons de parler.
Sur le sommet du mur du jardin des frères, le
magistrat constate quelques plan les froissée».
La justice pouvant recueillir d’utiles rensrigne-
mons do l’état des p’antes qui couvrent 1rs murs,
M. le juge d’instruction a invité les médecins ap
pelés, à lui donner leur avis sur les divers acci-
dens qu’ils pourraient remarquer.
Les médecins après avoir décrit la pose du ca
davre, constaté que la tête était nue et les che
veux épars, font remarquer que « sur les cheveux
étaient des parcelles do terre de forme et do vo
lume variables. »
A travers les cheveux ils ont trouvé :
« lo Des parcelles de feuilles de cyprès; 2° un
pétale de fleur ; 3* un faisceau de filasse, long de
trois cetimètres, formé de quelques brins, mais
paraissant avoir été détaché d’une corde. »
Les médeciis examinent, successivement les
deux murs, soit du côté du cimetière, soit du
côté opposé.
Du côté du cimetière, ils constatent les mêmes
accidens que ceux qui sont consigné.; dans lo pro
cès-verbal de &L le juge d’instruction ; c’est-à -
dire l’ablation d’une croûte do terre verdâtre sur
la paroi du mur du jardin des frères. Après avoir
rapproché les parcelles de terre trouvées à travers
les cheveux de la victime, de cette surface do mur,
les experts ont- reconnu sur lo plus gros de ces
fragmens, un côté verdâtre, présentant l’aspet t
do la surface intacte du mur, et un autre côté do
la couleur et de l’aspect du la parti • du mur qui
leur a paru écorchée.
« Il nous a paru rationnel d’admettre, conti -
nuent les experts, que les fragmens de tenu trou
vés à travers les cheveux, provenaient do cette
déchirure, et qu’il en était de même de cette terre
pulvérulente que nous trouvions arrêtée sur les
aspérités des doux murs. »
Du côté de la rue Riquet, le mur n'a présente
aucune empreinte ni aucun accident qui pût fixer
l’attention des experts.
Mais du côté du jardin des livres, et tout-à -fait
à l’extrémité de ce mur, à cinquante centimètres
au-dessous do son couronnement, les experts dé
couvrent une touffe d’herbes qui paraît affaissée
comme si une main se fût appuyée sur ce point.
Un peu plus haut, et auprès du couronnement, ils
constatent la présence do quelques herbes cou
chées, et notamment des pieds de séneçon.
Les deux murs sont construits en terre, mais
leur couronnement n’était pas fait de la môme
manière : celui de la rue Riquet reposait sur des
branches de cyprès. Le mur du jardin des frères
était couvert de plantes abondantes, de graminées
et de plantes grasses, do senrçon. Auprès de l’an
gle de jonction des deux murs, les experts ont re
marqué quelques tiges de seneçon couchées et un
peu fanées. Comme ils avaient ‘découvert à travers
tes cheveux de Cécile un pétale de fleur, ils ont
été amenés à rechercher s’il existait sur le mur
du jardin des frères une fleur qui eût des pétales
semblables ; et ils ont trouvé sur le couronnement
do ce mur plusieurs pieds d i géranium, dont la
fleur avait des pétales semblables à celui iccueilli
dans les cheveux de Cécile. Poursuivant Uurs in
vestigations sur ce point, les experts découvrent,
lout-à-fait à l’angle des deux murs, un pied de
géranium dont une des fleurs, en plein épanouis
sement, avait perdu tous les pétales do sa corolle.
Les experts recherchent, avec le plus grand soin,
sur le sol du cimetière, autour du cadavre, et quand
il a été enlevé, sur la place qu’il occupait, une
plante de cette espèce; mais, disent-ils, nous n’en
avons trouvé que sur le mur.
Le couronnement du mur do la rue Riquet pré
sentait les dispositions d’un comble de forme pris
matique et triangulaire, reposant sur une couche
de branches de cyprès, formant une sorte d’avan
cement qui dépassait d’environ trente centimè
tres le niveau du mur, et tout à fait à l’angle tou
chant le mur des frères ; ces branches fennaienî
en haut l’angle de jonction des deux murs,de telle
sorte, qu’un corps jeté par-dessus, on suivant l’an
gle, devait, à son passage, les affaisser. Les ex
perts simulent avec la main cet affaissement, en
suivant de l’œil son effet, soit sur lu couronne
ment de terre du mur de la rue Riquet, soit sur
lo mur du jerdin des frères. Ils découvrent alors
successivement deux cassures sur le mur do la rue
Riquet : le premier soir, ces cassures leur paru
rent fraîches ; le lendemain, quoique le temps fût
resté pluvieux, elles étaient considérablement sè
ches ; preuves certaines qu’elles étaient récen
tes.
Dans ce mouvement d’affaissement dus branches,
l’extrémité dos plus voisines do l’angle allait ra
cler contre la paroi du mur des frères, et l’abla
tion de terre observée sur la paroi du mur du
jardin des frères a pu être prou ni te par ce méca
nisme.
Comme nouveau témoignage du passage d'un
objet volumineux par-dessus Te mur du jardin des
frères, les experts observent sur ce mur et à l’an-
glo de jonction avec celui de la rue Riquet, une
petite plante presque entièrement arrachée, néan
moins lestée encore frakhe, quoiqu’elle no tint
plus au sol où elle a végété que par deux filamens
du chevelu de la racine ; et tout b fait au haut de
la jonction des deux murs, était une petite bran
che de cyprès, qui attestait, par sa cassure ré
cente, qu'elle venait d’être séparée des autres
branches.
A travers les branches de cyprès, les experts
trouvent un peu do chanvre qui paraissait prove
nir des débris d’une corde.
Les experts examinent avec, le plus grand soin
la toiture de l’orangerie (8), qui fait une saillie
assez considérable sur le mur de la rue Riquet.
Un intervalle assez grand existe entre le sommet
do ce mur et la toiture des bâti mens. Au-dessou»
de cette toiture existe un tuyau do gouttière en
fer blanc, descendant obliquement sur le couron
nement du mur. A trente centimètres de l'avan
cement do la toiture, est un piquet en sapin qui,
malgré sa mobilité, ne paraît pas avoir été ébran^
lé.
Cette double circonstance de la présence de la
gouttière et du piquet, forme sur ce point un ob
stacle au passage d’un corps lourd et volumineux.
L’absence sur cette partie de toute espèce de dé
gradation, de tout affaissement de plantes, semble
être exclusive de l’idée que lo cadavre ou tout
autre corps pesant eût pu prendre un point d’ap
pui sur cette partie du mur.
Mais les experts, frappés des dégradations et
des écorchures qu’ils ont signalées sur le mur du
jardin des frères, concluent à la possibilité «qu’un
cadavre ait pu être jeté par-dessus le mur. »
La vue des lieux, la position du cadavre, les
obstacles signalés sur le mur do la ruo Riquet, ont
paru aux experts exclusifs de la possibilité que le
cadavre ait été jeté du côté de la rue Riquet. Ta
même impression a été produite sur le témoin Rar-
paud, qui, le premier, a aperçu le corps inanimé
de Cécile, et qui n’a pas hésit i à dire que toutes
ces circonstances lui ont fait penser « que le coris
était venu plutôt du côté des frères que du côté es
la rue Riquet. »
D’autres circonstances fortifient colle opinion.
La joue gauche de Cécile était remplie de terre,
de manière à indiquer que cette partie de la face
avait foi i. i-i^nt râclé contre une paroi en t-rru ;
la parhv gauche des >élemens, paritculieie iont
(d) Voir le plan, lettre T.
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