Titre : Le Petit Troyen : journal démocratique régional ["puis" journal quotidien de la démocratie de l'Est "puis" grand quotidien de la Champagne]
Éditeur : [s.n.] (Troyes)
Date d'édition : 1889-01-03
Notice du catalogue : http://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb32837632m
Type : texte texte
Type : publication en série imprimée publication en série imprimée
Langue : français
Description : 03 janvier 1889 03 janvier 1889
Description : 1889/01/03 (A9,N2610). 1889/01/03 (A9,N2610).
Description : Collection numérique : Bibliographie de la presse... Collection numérique : Bibliographie de la presse française politique et d'information générale
Description : Collection numérique : BIPFPIG10 Collection numérique : BIPFPIG10
Description : Collection numérique : Fonds régional :... Collection numérique : Fonds régional : Champagne-Ardenne
Droits : Consultable en ligne
Identifiant : ark:/12148/bpt6k4317821w
Source : Bibliothèque nationale de France, département Droit, économie, politique, JO-87978
Conservation numérique : Bibliothèque nationale de France
Date de mise en ligne : 12/03/2018
ABONNEMENTS
Aube et Départements limitrophes i
•CJn an, 18 francs. — Six mois, O francs. — Trois mois, 5 francs.
Autres Départements : Un an, 22 fr.; Six mois, tl fr.; Trois mois, 6 fr.
Le Numéro : 5 Centimes
Administration & Rédaction : Rue Thiers, 126, T ROY ES
Directeur politique : GASTON ARBOUIN
INSERTIONS
Les Annonces sont reçues au Bureau du Journal
A Paris : chez AUDBOURGr et O, 8, Place de la Bourse,
et dans les principales Agences de publicité.
»
UNE ANNÉE QUI FINIT
Je viens de brûler mon vieil almanach,
l’almanach que j'avais accroché, tout
doré, tout souriant, l’an passé, près de la
éhcminée. Je l’ai mis sur le feu, n’ayant
plus besoin de lui, content de le voir fi
nir. C’est d’abord le ruban, le petit ruban
rose, un peu jauni par ces douze mois,
qui s’est embrasé et a disparu. L’almanach
était encore intact ; je pouvais lire le
nom de ces jours à présent parcourus,dé
pensés, oubliés. Pauvre almanach ! com
me je lui avais — je m’en souviens —
Souhaité la bonne année, en lui disant :
— Réponds-moi l que m’apportes-tu
d’heureux !
On croit toujours que ces morceaux de
carton valent mieux que les autres. Mais
plus on avance,plus on s’aperçoit que les
hommes et les almanachs sc ressemblent
toujours.
***
Celui-ci cependant, sur le brasier, sen-
blait se plaindre. Il gémissait avant de
brûler et (les choses ont leurs agonies)
se tordait comme pour me dire : De quoi
suis-je coupable? Tout à coup la flam
me a éclaté, l’enveloppant, le caressant,
toute joyeuse de dévorer quelque chose —
qt quelle chose, une année ! Les colonnes
des mois sont devenues noires, le carton
s’est effeuillé, s’est divisé, tombant en
fragments où couraient de longues files
d’étincelles qui ressemblent à des armées
en marche.
Les noms de jours, les noms de mois
s’efiaçaicnt...
Je me suis trouvé devant un peu de
poussière noire — tout ce qui nous reste
d’une année finie, — des cendres l
***
Que i’ai bien fait de le brûler ! Au moins
il ne me reste rien sous les yeux des
journées qui viennent de finir. Le souve
nir seul, et c’est bien assez ! Je ne rever
rai pas ce carré de carton où je cher
chais les jours de fête, où je marquais
Chaque nom de saint ou de sainte par une
espérance — calendrier en avenir que je
m’étais construit et qui n’était qu’un ca
lendrier en Espagne.
Au feu, ces almanachs menteurs I
Pourquoi ne peut-on, avec eux, brûler
d’un seul coup le vieil homme, dépouiller
le passé, changer do peines comme on
Change de vêtements ?...
En Amérique, dans quelques cités in
dustrielles de l’Angleterre où les mai
sons sont construites en bois, on met le
feu tous les ans aux demeures. On se ré
chauffe aux débris des vieilles habita
tions, et l’on en construit à côté do nou
velles. «Je voudrais vivre ainsi, disait
un jour M. Michelet, dans un renouvelle
ment perpétuel ! >
***
Pourtant, je trouve qu’il vient vite —
et tout seul — ce renouvellement, et
qu’on n’a besoin de rien détruire. Les
choses tombent d’elles-mêmes, et les hom
mes et les sentiments. Qu’il en emporte,
de parcelles de chacun de nous, ce vieil
almanach, d’illusions détruites, d’amitiés
perdues, d’espoirs aux ailes brisées. Lais
sons tout cela partir, laissons s’envoler
les hirondelles 1
Mais comment tant de choses, dites-
moi, peuvent-elles tenir sur un morceau
de papier satiné? Trois cent soixante-
cinq jours ! C'est bien court, c’est bien
long.
Je ne regarde pas sans un certain fris
son l’almanach nouveau. S’il pouvait par
ler, s’il pouvait nous dire...
Bah ! qu’il se taise î Toute année nou
velle est une nouvelle maitresse.
On sait bien qu’elle nous trompera, que
ses serments sont de chrysocale ; on sait
qu’elle promet et ne tient pas, qu’elle
donne plus de morsures que de baisers,
que si elle a des lèvres elle a des ongles,
qu’elle est femme comme les autres, mais
on ne reculerait pas pour un empire. En
route.
Et d’ailleurs, cette année nouvelle, si
elle se joue de nous, elle en trompera
bien d’autres avec nous ! En fait de maî
tresses aussi, c’est une consolation.
***
A la place du vieil almanach en
cendres, j’ai accroché, non sans émotion,
l’almanach tout neuf, l’almanach brillant
de l’an nouveau.
Jules Claretie.
PAR FIL SPÉCIAL
INFORMATIONS DIVERSES
Paris, l 1 * janvier.
Les journaux
Beaucoup de journaux du soir ne paraissent
pas. Ceux qui ont paru publient exclusivement
une revue de l’année rappelant les faits de la
politique intérieure et extérieure.
Le nouvel an à Paris. — Réception
à TElysée
Aujourd’hui, une réception a eu lieu à l’Ely
sée, à l’occasion du nouvel an, au milieu
d’une grande affluence.
Sur les boulevards l’affluence est considéra
ble.
On s’occupe beaucoup de la prochaine élec
tion de la Seine.
Dans les milieux politiques, il est toujours
question de la candidature de M. Vaequcrie,
mais cependant elle n’est pas encore officiel
lement arrêtée.
L’agitation en Crète
Malgré les démentis officieux, l’agitation
continue dans l’ile de Crète.
M. de Bismarck et les explorateurs
On mande de Berlin que M. de Bismarck
s’entretiendra la semaine prochaine avec plu
sieurs explorateurs relativement à l’Afrique
orientale dont la question doit venir prochai
nement devant le Reichstag.
LE CRIME DE BRADFORD
Les recherches de la police. — Curieuses
constatations de l’enquête. — Graves
présomptions
On télégraphie de Londres. janvier :
L’enquête continue au sujet du crime de
Braflford.
Hier, le père du malheureux John Gill a re
connu devant le coroner le corps de son fils.
Aucun fait nouveau n’est à constater dans
les recherches de la police. Cependant des
charges graves continuent à peser sur Barrett,
qui est toujours en prison.
Aucune nouvelle arrestation n’a été faite.
BarretLse montre plein de sang froid, et ré
pond avec assurance aux questions qui lui
sont posées.
M. J. W. Gravcn, qui est chargé de la dé
fense du prévenu, a eu hier matin avec son
client une longue conversation, à l’issue de
laquelle il a déclaré que, d’après sa conviction,
Barrett était innocent et qu’il pourrait exacte
ment rendre compte de l’emploi de son temps
depuis le moment où il est parti avec la vic
time, c’est-à-dire depuis jeudi matin, jusqu’au
moment du crime.
Quant à la police, elle continue à'être muette
sur le résultat de ses investigations.
On sait toutefois que les mutilations dont la
victime a été l’objet sont particulièrement ré
voltantes, et les constatations médicales qui
ont été faites, ajoutées à certains faits anté
rieurs au crime, rendront sans doute moins
obscurs les mobiles qui ont poussé l’assassin
à commettre son crime.
Des racontars de toutes sortes continuent à
courir sur le crime.
C’est ainsi qu’hier on annonçait qu’une des
oreilles de la victime avait été retrouvée ; d’a
près une autre rumeur, on aurait découvert
d’autres parties du cadavre.
Il y a cependant des raisons de croire que,
contrairement à ce que l’on supposait tout d’a
bord, presque toutes les parties du corps de la
victime ont pu être reconstituées.
Quant aux vêtements que portait John Gill,
ils ont été tous retrouvés ; ces vêtements sont
intacts et ne portent autre trace de violence.
Pour rapporter enfin un dernier bruit qui
circule, il convient de dire qu’une singulière
révélation aurait été faite à la police de Brad-
ford.
Voici de quoi il s’agit.
Mercredi soir, un tailleur, nommé Cahill,
habitant non loin de l’endroit où le crime a
été commis, était allé a un bail avec sa fem
me.
En rentrant chez lui, le jeudi matin, il s'a
perçut qu’on était entré dans sa maison et que
les meubles qui s’y trouvaient avaient été mis
sens dessus-dessous.
Jack l’Eventreur
Sur une table, il trouva une paire de cou
teaux qui étaient croisés l’un' sur l’autre, et à
côté, ur.e carte sur laquelle il lut avec épou
vante ces mots : #
« Neuf heures et demie. Prenez garde ! *
Jack l’Evbntreljr.
C’est le tailleur lui-même qui aurait rappor
té le fait à la police, et une perquisition au
rait été faite aussitôt au domicile de Cahill.
ENTENTE TURCO-RUSSE
On mande de Constantinople, 31 décembre :
Une réconciliation complète s’est opérée
entre le grand-vizir Kiamil Pacha et Joussouf
Riza Pacha, ce dernier adversaire de la triple'
alliance, de la politique de sir William White
et grand ami de la Russie.
Dans les cercles ottomans on attache à ce
rapprochement une trèr grande importâmes,
et on le considère comme l’indice d’une iden
tité de vues existant désormais entre les cabi
nets de Stamboul et de Saint-Pétersbourg.
ÉCRASÉ PAR UN TRAIN
On télégraphie d’Angers, 31 décembre t
On a découvert ce matin, à 2,500 mètres de
la gare de Saint-Serge, sur la ligne d’Angers à
Se gré, le cadavre d’un nommé Juguen, mar
chand de journaux.
Ce malheureux avait le crâne brisé et la
jambe gauche broyée. Ses journaux étaient
épars sur la voie, tout maculés de sang.
Cette mort est accidentelle.
Dans les poches du malheureux on a trouvé
30 francs.
Le cadavre a été transporté à la gare, et en
suite à l’amphithéâtre do l’hôpital d’Angers.
4- — : : —
PRÉPARATIFS MILITAIRES DE LA RUSSIE
Buda-Pesth, 31 décembre. — Des avis reçus
de la Bessarabie portent que des troupes nom
breuses continuent d’arriver dans cette pro
vince russe, bien que le pays soit déjà cou
vert de soldats. Des mesures rigoureuses
ont été prises contre les résidents étran
gers.
Les juifs ont dû partir. La plupart des Au
trichiens sont reconduits sous escorte à Un-
gheni. La moitié des monastères ont été fer
mes et leurs biens confisqués. La division d’ar
tillerie cantonnée à Radom est placée sur le
pied de guerre. Plus de 5,000 cavaliers irré
guliers, Khirgis, Samoièdes et Ostiaks, vien
nent d’ôtre enrôlés à Orcnbourg. Ils sont, dit-
on, destinés à détruire les voies ferrées en
pays ennemi.
LETTREDE PARIS
Les décorations. —- Les palmes acadé
miques. — L’année 1889
Paris, 31 décembre 1888.
Le printemps ramène les hirondelles,
l’automme les marchands de marrons, la
fin de l'année ramène les décorations.
Tous les ans, à la même époque, la môme
épidémie sévit avec la môme rigueur.
Les antichambres des ministères présen
tent alors un aspect inaccoutumé. Des
gens a l’aii*inquiet, se regardant entre
eux avec méfiance, sont rangés là, guet
tant le passage d’un ministre, d’un chef
de cabinet ou d’un directeur.
Voient-ils arriver cette proie attendue,
qu’ils se précipitent dessus, l’entourent,
et sur l’air de
«Mademoiselle, écoutez-moi donc ! *
entonnant à ses oreilles obsédées l’énon
cé de leurs droits au ruban. Je dois à la
vérité d’ajouter que les objurgations do
ce genre de solliciteurs restent généra
lement vaines ; mais cela ne les décou
rage pas. Un garçon de bureau de mes
amis me racontait qu’il avait vu pendant
23 ans le même monsieur revenir cha
que fin décembre reposer son éternelle
candidature. Toujours repoussé mais ne
s’avouant jamais vaincu, il est mort vierge
de tout ruban. Ses parents voulant lui
donner une consolation posthume et ten
ter une dernière démarche ont fait gra
ver sur son tombeau :
Ci-gitX...
Candidat perpétuel à la croix.
Priez Dieu qu'il l'ait dans le ciel.
Si les gens qui convoitent la décoration
sans y avoir aucun droit ne méritent
nulle considération il n’en est pas de
même, tant s’en faut, de ceux, pour qui
cette distinction est la récompense d’un
long exercice des fonctions publiques. De
ce nombre sont les instituteurs.
On a crée sous le nom de « palmes aca
démiques » une décoration destinée, dans
l’esprit de ses créateurs, à récompenser
les services rendus à l’instruction publi-
quo. Il semblerait donc que la grande ma
jorité de ces dinstinctions dut être ac
cordée aux plus vaillants des serviteurs
de la cause populaire, aux instituteurs. Il
n’en est malheureusement rien.
Par une déviation incompréhensible de
la règle primitive on en est arrivé à don
ner les palmes à tous, sauf aux institu
teurs. Etes-vous danseur, chanteur, co
médien, peintre, bureaucrate, n’avez-
vous en un mot aucun titre qui s’impose?
Vous pouvez poser votre candidature sans
conditions d’àge ni de services. Etes-vous
au contraire professeur ou instituteur?
Alors attendez, mon ami. La vieille bar
rière des règlements va se dresser de
vant vous, et vous n’aurez le droit de
postuler que si vous avez 25 ans d’eîisei-
gnement bien comptés, 25 ans de luttes
et de fatigues quotidiennes. Encore ne
toucherez-vous pas au but pour cela;
vous aurez seulement acquis le droit de
vous mettre à la queue et d’attendre, le
plus souvent sans espoir, le jour où votre
tour viendra.
C’est là une inconséquence fâcheuse
que nous signalons à qui de droit et à la
quelle il serait facile de remédier. D’au-*
tant [lus facile même que — considéra-
ration qui n’est pas à dédaigner par ce
temps de crise budgétaire — cette réfor
me ne coûterait rien... qu’un peu de
bonne volonté.
***
Et maintenant,chères lectrices et bien
veillants lecteurs permettez moi de vous
offrir les vœux les plus sincères pour
l’année 1889.J’espère que les événements
nous permettront de fêter cette grande
date avec le soin pieux qu’elle mérite et
de montrer au monde la France grande
et forte dans son auréole de gloire pacifi
que. Que 1888 emporte donc avec lui tou
te la boue qu’il a soulevée et que nous
n’ayons plus les oreilles rebattues de
« pots do vin » do « Numagillysme » de
« Boulangisme » en d’un tas de vilaines
choses en « isme »; que les femmes soient
plus aimables encore, si c’est possible#
avec leurs maris et les maris plus em
pressés auprès de leur femmes, que les
enfants soient toujous sages et les pa
rents jamais sévères, que les huches soient
toujours pleines, que les soucis s’envolent
loin, que le rire soit sur uos lèvres ; que
tout se trouve enfin pour le mieux dans
le meilleur des mondes. C’est la gràcê
que je vous souhaite.., et que je me sou
haite aussi d’ailleurs.
LACERVOISE-
1889!
Quelques heures à peine nous séparent
d’une nouvelle année. Sera-t-elle sem
blable à celle-ci? Non ! car diverses cau
ses contribueront à lui donner un tout
autre aspect.
1889 apparaît un peu comme le sphinx
accroupi dans les sables de l’Egypte.
Chaque parti fonde des grandes espé
rances, j’espère deviner l’énigme, qui lui
vaudra la puissance suprême.
Jamais pareil phénomène ne s’était vu,
dans les annales de l’Histoire Française.
En vain des théoriciens cherchent-ils
des similitudes, afin de faire croire à des
répétitions politiques. Rien n’a ressem
blé, ne ressemble à la situation actuelle.
Tout d’abord, uifbccueillement qui frisa
autant l’ironie que l’indifférence, aut
moins en apparence ouverte. Une forte
dose de scepticisme, de la gauloiserie à
profusion.
Puis, des secousses violentes, des fré
missements rapides, quand certaines
questions brûlantes, apparaissent dans
le fulgurant décor du Centenaire.
Q’u’on le veuille ou non, il faudra comp
ter avec le souvenir des Etats Généraux,
des actes immortels d une épopée à ja
mais inoubliable.
Sous son enveloppe narquoise, le Peu
ple, joué, dupé, trahi tant de fois, a con
servé le culte de la Révolution.
Il brisera toutes les coalitions monar
chiques, implantera la République, sur
des bases indestructibles.
Son enthousiasme, certes, s’est re*
froidi. Comment en pourrait-il être autre
ment?
Quand on analyse loyalement l’œuvre
accomplie depuis 1870, on reste écœuré
devant la faiblesse de cette œuvre.
En 1789, quelques années suffirent pour
changer de fond en comble, l’orientation
des destinées de la France.
Sur les ruines d’un passé féodal, Jac
ques Bonhomme édifia l’égalitaire socié
té, brisée plus tard, par Bonaparte.
Feuilleton n° 11
LE SUPPLICE DE L’AMANT
Sans doute, ils auraient dû se séparer,
se fuir : ils le voulaient; mais la passion
dominant leur volonté, ils ne l’avaient
pu.
M. de Maugeney n’avait ni la jalousie
inquiète de certains maris, ni l’aveugle
ment de certains autres. Si jusqu'alors
sa défiance n’avait pas été éveillée, s’il
n’avait rien surpris, rien deviné, c’est
que sa femme, son idole, sa divinité, lui
semblait tellement au-dessus de toute
faiblesse, qu’il eût cru commettre un vé
ritable sacrilège en l’effleurant seulement
d’un soupçon. Aussi le premier qui lui
traversa l’esprit, lui causa-t-il l’impres
sion d’un désastre qui, en un instant, bri
sait tout autour de lui.
Une fois dans sa chambre, il se prit la
tête à deux mains, se demanda s’il avait
bien vu ce carnet dont Paule s’ôtait em
parée en rougissant, et cette chevelure
qui gardait comme des empreintes de bai
sers. Puis il se rappelait cet entrecroise
ment de regards où s’était révélée la cons
cience troublée de Paule, jusque-là si
limpide; il se rappelait l'atmosphère en
fiévrée, encore palpitante de cette cham
bré comme si l’ouragan l’eût traversée...
Mais faut de malheur, était-ce possible?
Et il repoussait de toute la force de sa
loyauté, la pensée même d’une pareille
trahison.
Cependant le doute, l’horrible doute
revenait ; et la jalousie l’étreignait de
nouveau de ses tenailles de feu, Non, il
ne s’était pas trompé. Nul ne possédait à
un plus haut point ce coup d’œil rapide
auquel aucun indice,aucun détail n’échap
pent, et cette pénétration des physiono
mies qui fait croire à une sorte de divina
tion. Sans doute Paule était honnête, elle
s’était crue assez forte pour résister;
mais il savait qu’il suffit parfois, pour
faire tomber une femme nerveuse, d’un
temps orageux, d’une mélodie berçante,
d’un partum capiteux.
A cette pensée, il lui montait au cer
veau un bouillonnement de colère qui
l’aveuglait.
Il se leva, marcha dans sa chambre
avec une agitation furieuse, s’accusant
d’imprudence, se reprochant sa confiance
idiote.
Toutefois,il parvint encore à se calmer,
à se rassurer.
Non, Paule, avec sa dignité hautaine,
n’était point une de ces natures fragiles :
le sens moral, chez elle, dominait les
nerfs; et quelle qu’eût été l’imprévu ou
la violence de l’attaque, elle avait dû
résister.
Quoique un peu tranquillisé par cette
dernière réflexion, uti doute terrible,
poignant, lui restait, et il se dit: J’obser
verai, je saurai.
VII
— Alors, disait Mme Debray à Davcrne,
de sa voix chantante un peu ironique,
comme ça, tout à coup, sans crier gare,
vous me faites une déclai'ation? Vous
voulez décidément que je vous traite en
ennemi ? Car un amoureux, pour moi, est
toujours un ennemi, qui en veut à mon
repos, qui complote contre ma tranquil
lité. De plus, vous êtes marié; et c’est
un amour criminel que vous osez m’of
frir.
Madeleine, le visage d’un rose doux
comme la rose de sa robe, était mainte
nant nonchalamment assise sur une cau
seuse; et Daverne, en attendant le dincr,
avait repris à ses côtés son attitude ado-
rative.
— Le crime double le bon heu i', répon-
dit-il d’une voix réellement émue.
— C’est possible, mais quelle fatigue !
Toujours se cacher, dissimuler, toujours
sur le qui-vive, l’oreille tendue, l’œil au
guet, le cœur palpitant; et puis y pensez-
vous? Que de dérangements! Sortir par
le froid, par la pluie ! Et les rendez-vous
manqués ! Et encore la jalousie, les re
mords ! Ah, ciel! que de peines, que
d’anxiétés, que de tortures 1 Et, je vous
le demande, au résumé, pourquoi ?
— Ces anxiétés, ces tortures, c’est la
passion, ce sont les félicités mêmes de
l’amour.
— Merci ! autant les travaux forcés !
— Eh bien ! n’aimez pas ; mais laissez-
vous du moins adorer. Laissez-moi vous
sei'vir. Pci'mettez-moi de vous entourer
de ces mille soins empressés et tendres,
de ces attentions respectueuses qui n’ont
rien d’inquiétant, qui ne pourront au con
traire, qu’assui’er votre repos, adorable
paresseuse ; car, au lieu de vous imposer
des fatigues, je m’appliquerai à vous épar
gner toute peine, tout dérangement. Ac-
ceptez-moi seulement comme votre ser
viteur.
— Mais votre femme, pourquoi ne la
servez-vous pas ?
— Je serai votre secrétaire, continua
Daverne, votre commissionnaire. Je ne
serai que ce que vous voudrez que je sois;
et quand je vous ennuierai trop, eh bien!
vous me mettrez à la porte.
— On me l’avait bien dit : vous êtes
fort dangereux. Vous savez trouver des
ai'guments iiTésistibles ; et je comprends
vos succès Mais,quantàmoi, décidément,
non.
— Madame est servie ! cria sur le seuil
de la porte le grand valet galonné.
— De grâce 1 supplia Daverne, sans se
laisser rebuter par ce refus formel, per
mettez-moi de commencer mes fonctions
de dévoué servant.
Il la souleva doucement, et lui offrit
son bras. a
— N’est-ce donc rien, lui murmura-t-il
d’une voix chaude et câline, que de lêhtir
autour de soi une affection réelle et pro
fonde, un cœur débordant de tendresse,
qu’une parole, un regard, un sourire font
palpiter ?
— J’avoue seulement que tout ce qui
sert à m’étayer ne m’est pas trop désa
gréable, répondit la belle indolente, en
s’appuyant avec une grâce alanguie sur
le bras de Daverne.
Tout le monde déjà se trouvait réuni
dans la salle à manger immense.
C’était une pièce magnifique et sévère
avec de hautes cheminées à chaque bout*
des tapisseries claires représentant des
chasses, dans des panneaux encadrés de
chêne sculpté. Sur des buffets flamands,
authentiques, du dix-huitième siècle, d’un
dessin à la fois fin et bizarre, l’argente
rie jetait son vif éclat; et sur la longue
table carrée, le linge éblouissant, sa note
gaie.
Mme de Maugeney était descendue.
Comprenant qu’un soupçon terrible était
entré dans l’esprit de son mari, et qu’à
tout prix il fallait le détruire, elle avait
surmonté son anéantissement. <
Mais elle était fort pâle. Les mots son
taient avec peine de ses lèvres, qui s’qfc
forçant de sourire, se contractaient doit?,
loureusement.
M.-l. (UfflttiHu
Aube et Départements limitrophes i
•CJn an, 18 francs. — Six mois, O francs. — Trois mois, 5 francs.
Autres Départements : Un an, 22 fr.; Six mois, tl fr.; Trois mois, 6 fr.
Le Numéro : 5 Centimes
Administration & Rédaction : Rue Thiers, 126, T ROY ES
Directeur politique : GASTON ARBOUIN
INSERTIONS
Les Annonces sont reçues au Bureau du Journal
A Paris : chez AUDBOURGr et O, 8, Place de la Bourse,
et dans les principales Agences de publicité.
»
UNE ANNÉE QUI FINIT
Je viens de brûler mon vieil almanach,
l’almanach que j'avais accroché, tout
doré, tout souriant, l’an passé, près de la
éhcminée. Je l’ai mis sur le feu, n’ayant
plus besoin de lui, content de le voir fi
nir. C’est d’abord le ruban, le petit ruban
rose, un peu jauni par ces douze mois,
qui s’est embrasé et a disparu. L’almanach
était encore intact ; je pouvais lire le
nom de ces jours à présent parcourus,dé
pensés, oubliés. Pauvre almanach ! com
me je lui avais — je m’en souviens —
Souhaité la bonne année, en lui disant :
— Réponds-moi l que m’apportes-tu
d’heureux !
On croit toujours que ces morceaux de
carton valent mieux que les autres. Mais
plus on avance,plus on s’aperçoit que les
hommes et les almanachs sc ressemblent
toujours.
***
Celui-ci cependant, sur le brasier, sen-
blait se plaindre. Il gémissait avant de
brûler et (les choses ont leurs agonies)
se tordait comme pour me dire : De quoi
suis-je coupable? Tout à coup la flam
me a éclaté, l’enveloppant, le caressant,
toute joyeuse de dévorer quelque chose —
qt quelle chose, une année ! Les colonnes
des mois sont devenues noires, le carton
s’est effeuillé, s’est divisé, tombant en
fragments où couraient de longues files
d’étincelles qui ressemblent à des armées
en marche.
Les noms de jours, les noms de mois
s’efiaçaicnt...
Je me suis trouvé devant un peu de
poussière noire — tout ce qui nous reste
d’une année finie, — des cendres l
***
Que i’ai bien fait de le brûler ! Au moins
il ne me reste rien sous les yeux des
journées qui viennent de finir. Le souve
nir seul, et c’est bien assez ! Je ne rever
rai pas ce carré de carton où je cher
chais les jours de fête, où je marquais
Chaque nom de saint ou de sainte par une
espérance — calendrier en avenir que je
m’étais construit et qui n’était qu’un ca
lendrier en Espagne.
Au feu, ces almanachs menteurs I
Pourquoi ne peut-on, avec eux, brûler
d’un seul coup le vieil homme, dépouiller
le passé, changer do peines comme on
Change de vêtements ?...
En Amérique, dans quelques cités in
dustrielles de l’Angleterre où les mai
sons sont construites en bois, on met le
feu tous les ans aux demeures. On se ré
chauffe aux débris des vieilles habita
tions, et l’on en construit à côté do nou
velles. «Je voudrais vivre ainsi, disait
un jour M. Michelet, dans un renouvelle
ment perpétuel ! >
***
Pourtant, je trouve qu’il vient vite —
et tout seul — ce renouvellement, et
qu’on n’a besoin de rien détruire. Les
choses tombent d’elles-mêmes, et les hom
mes et les sentiments. Qu’il en emporte,
de parcelles de chacun de nous, ce vieil
almanach, d’illusions détruites, d’amitiés
perdues, d’espoirs aux ailes brisées. Lais
sons tout cela partir, laissons s’envoler
les hirondelles 1
Mais comment tant de choses, dites-
moi, peuvent-elles tenir sur un morceau
de papier satiné? Trois cent soixante-
cinq jours ! C'est bien court, c’est bien
long.
Je ne regarde pas sans un certain fris
son l’almanach nouveau. S’il pouvait par
ler, s’il pouvait nous dire...
Bah ! qu’il se taise î Toute année nou
velle est une nouvelle maitresse.
On sait bien qu’elle nous trompera, que
ses serments sont de chrysocale ; on sait
qu’elle promet et ne tient pas, qu’elle
donne plus de morsures que de baisers,
que si elle a des lèvres elle a des ongles,
qu’elle est femme comme les autres, mais
on ne reculerait pas pour un empire. En
route.
Et d’ailleurs, cette année nouvelle, si
elle se joue de nous, elle en trompera
bien d’autres avec nous ! En fait de maî
tresses aussi, c’est une consolation.
***
A la place du vieil almanach en
cendres, j’ai accroché, non sans émotion,
l’almanach tout neuf, l’almanach brillant
de l’an nouveau.
Jules Claretie.
PAR FIL SPÉCIAL
INFORMATIONS DIVERSES
Paris, l 1 * janvier.
Les journaux
Beaucoup de journaux du soir ne paraissent
pas. Ceux qui ont paru publient exclusivement
une revue de l’année rappelant les faits de la
politique intérieure et extérieure.
Le nouvel an à Paris. — Réception
à TElysée
Aujourd’hui, une réception a eu lieu à l’Ely
sée, à l’occasion du nouvel an, au milieu
d’une grande affluence.
Sur les boulevards l’affluence est considéra
ble.
On s’occupe beaucoup de la prochaine élec
tion de la Seine.
Dans les milieux politiques, il est toujours
question de la candidature de M. Vaequcrie,
mais cependant elle n’est pas encore officiel
lement arrêtée.
L’agitation en Crète
Malgré les démentis officieux, l’agitation
continue dans l’ile de Crète.
M. de Bismarck et les explorateurs
On mande de Berlin que M. de Bismarck
s’entretiendra la semaine prochaine avec plu
sieurs explorateurs relativement à l’Afrique
orientale dont la question doit venir prochai
nement devant le Reichstag.
LE CRIME DE BRADFORD
Les recherches de la police. — Curieuses
constatations de l’enquête. — Graves
présomptions
On télégraphie de Londres. janvier :
L’enquête continue au sujet du crime de
Braflford.
Hier, le père du malheureux John Gill a re
connu devant le coroner le corps de son fils.
Aucun fait nouveau n’est à constater dans
les recherches de la police. Cependant des
charges graves continuent à peser sur Barrett,
qui est toujours en prison.
Aucune nouvelle arrestation n’a été faite.
BarretLse montre plein de sang froid, et ré
pond avec assurance aux questions qui lui
sont posées.
M. J. W. Gravcn, qui est chargé de la dé
fense du prévenu, a eu hier matin avec son
client une longue conversation, à l’issue de
laquelle il a déclaré que, d’après sa conviction,
Barrett était innocent et qu’il pourrait exacte
ment rendre compte de l’emploi de son temps
depuis le moment où il est parti avec la vic
time, c’est-à-dire depuis jeudi matin, jusqu’au
moment du crime.
Quant à la police, elle continue à'être muette
sur le résultat de ses investigations.
On sait toutefois que les mutilations dont la
victime a été l’objet sont particulièrement ré
voltantes, et les constatations médicales qui
ont été faites, ajoutées à certains faits anté
rieurs au crime, rendront sans doute moins
obscurs les mobiles qui ont poussé l’assassin
à commettre son crime.
Des racontars de toutes sortes continuent à
courir sur le crime.
C’est ainsi qu’hier on annonçait qu’une des
oreilles de la victime avait été retrouvée ; d’a
près une autre rumeur, on aurait découvert
d’autres parties du cadavre.
Il y a cependant des raisons de croire que,
contrairement à ce que l’on supposait tout d’a
bord, presque toutes les parties du corps de la
victime ont pu être reconstituées.
Quant aux vêtements que portait John Gill,
ils ont été tous retrouvés ; ces vêtements sont
intacts et ne portent autre trace de violence.
Pour rapporter enfin un dernier bruit qui
circule, il convient de dire qu’une singulière
révélation aurait été faite à la police de Brad-
ford.
Voici de quoi il s’agit.
Mercredi soir, un tailleur, nommé Cahill,
habitant non loin de l’endroit où le crime a
été commis, était allé a un bail avec sa fem
me.
En rentrant chez lui, le jeudi matin, il s'a
perçut qu’on était entré dans sa maison et que
les meubles qui s’y trouvaient avaient été mis
sens dessus-dessous.
Jack l’Eventreur
Sur une table, il trouva une paire de cou
teaux qui étaient croisés l’un' sur l’autre, et à
côté, ur.e carte sur laquelle il lut avec épou
vante ces mots : #
« Neuf heures et demie. Prenez garde ! *
Jack l’Evbntreljr.
C’est le tailleur lui-même qui aurait rappor
té le fait à la police, et une perquisition au
rait été faite aussitôt au domicile de Cahill.
ENTENTE TURCO-RUSSE
On mande de Constantinople, 31 décembre :
Une réconciliation complète s’est opérée
entre le grand-vizir Kiamil Pacha et Joussouf
Riza Pacha, ce dernier adversaire de la triple'
alliance, de la politique de sir William White
et grand ami de la Russie.
Dans les cercles ottomans on attache à ce
rapprochement une trèr grande importâmes,
et on le considère comme l’indice d’une iden
tité de vues existant désormais entre les cabi
nets de Stamboul et de Saint-Pétersbourg.
ÉCRASÉ PAR UN TRAIN
On télégraphie d’Angers, 31 décembre t
On a découvert ce matin, à 2,500 mètres de
la gare de Saint-Serge, sur la ligne d’Angers à
Se gré, le cadavre d’un nommé Juguen, mar
chand de journaux.
Ce malheureux avait le crâne brisé et la
jambe gauche broyée. Ses journaux étaient
épars sur la voie, tout maculés de sang.
Cette mort est accidentelle.
Dans les poches du malheureux on a trouvé
30 francs.
Le cadavre a été transporté à la gare, et en
suite à l’amphithéâtre do l’hôpital d’Angers.
4- — : : —
PRÉPARATIFS MILITAIRES DE LA RUSSIE
Buda-Pesth, 31 décembre. — Des avis reçus
de la Bessarabie portent que des troupes nom
breuses continuent d’arriver dans cette pro
vince russe, bien que le pays soit déjà cou
vert de soldats. Des mesures rigoureuses
ont été prises contre les résidents étran
gers.
Les juifs ont dû partir. La plupart des Au
trichiens sont reconduits sous escorte à Un-
gheni. La moitié des monastères ont été fer
mes et leurs biens confisqués. La division d’ar
tillerie cantonnée à Radom est placée sur le
pied de guerre. Plus de 5,000 cavaliers irré
guliers, Khirgis, Samoièdes et Ostiaks, vien
nent d’ôtre enrôlés à Orcnbourg. Ils sont, dit-
on, destinés à détruire les voies ferrées en
pays ennemi.
LETTREDE PARIS
Les décorations. —- Les palmes acadé
miques. — L’année 1889
Paris, 31 décembre 1888.
Le printemps ramène les hirondelles,
l’automme les marchands de marrons, la
fin de l'année ramène les décorations.
Tous les ans, à la même époque, la môme
épidémie sévit avec la môme rigueur.
Les antichambres des ministères présen
tent alors un aspect inaccoutumé. Des
gens a l’aii*inquiet, se regardant entre
eux avec méfiance, sont rangés là, guet
tant le passage d’un ministre, d’un chef
de cabinet ou d’un directeur.
Voient-ils arriver cette proie attendue,
qu’ils se précipitent dessus, l’entourent,
et sur l’air de
«Mademoiselle, écoutez-moi donc ! *
entonnant à ses oreilles obsédées l’énon
cé de leurs droits au ruban. Je dois à la
vérité d’ajouter que les objurgations do
ce genre de solliciteurs restent généra
lement vaines ; mais cela ne les décou
rage pas. Un garçon de bureau de mes
amis me racontait qu’il avait vu pendant
23 ans le même monsieur revenir cha
que fin décembre reposer son éternelle
candidature. Toujours repoussé mais ne
s’avouant jamais vaincu, il est mort vierge
de tout ruban. Ses parents voulant lui
donner une consolation posthume et ten
ter une dernière démarche ont fait gra
ver sur son tombeau :
Ci-gitX...
Candidat perpétuel à la croix.
Priez Dieu qu'il l'ait dans le ciel.
Si les gens qui convoitent la décoration
sans y avoir aucun droit ne méritent
nulle considération il n’en est pas de
même, tant s’en faut, de ceux, pour qui
cette distinction est la récompense d’un
long exercice des fonctions publiques. De
ce nombre sont les instituteurs.
On a crée sous le nom de « palmes aca
démiques » une décoration destinée, dans
l’esprit de ses créateurs, à récompenser
les services rendus à l’instruction publi-
quo. Il semblerait donc que la grande ma
jorité de ces dinstinctions dut être ac
cordée aux plus vaillants des serviteurs
de la cause populaire, aux instituteurs. Il
n’en est malheureusement rien.
Par une déviation incompréhensible de
la règle primitive on en est arrivé à don
ner les palmes à tous, sauf aux institu
teurs. Etes-vous danseur, chanteur, co
médien, peintre, bureaucrate, n’avez-
vous en un mot aucun titre qui s’impose?
Vous pouvez poser votre candidature sans
conditions d’àge ni de services. Etes-vous
au contraire professeur ou instituteur?
Alors attendez, mon ami. La vieille bar
rière des règlements va se dresser de
vant vous, et vous n’aurez le droit de
postuler que si vous avez 25 ans d’eîisei-
gnement bien comptés, 25 ans de luttes
et de fatigues quotidiennes. Encore ne
toucherez-vous pas au but pour cela;
vous aurez seulement acquis le droit de
vous mettre à la queue et d’attendre, le
plus souvent sans espoir, le jour où votre
tour viendra.
C’est là une inconséquence fâcheuse
que nous signalons à qui de droit et à la
quelle il serait facile de remédier. D’au-*
tant [lus facile même que — considéra-
ration qui n’est pas à dédaigner par ce
temps de crise budgétaire — cette réfor
me ne coûterait rien... qu’un peu de
bonne volonté.
***
Et maintenant,chères lectrices et bien
veillants lecteurs permettez moi de vous
offrir les vœux les plus sincères pour
l’année 1889.J’espère que les événements
nous permettront de fêter cette grande
date avec le soin pieux qu’elle mérite et
de montrer au monde la France grande
et forte dans son auréole de gloire pacifi
que. Que 1888 emporte donc avec lui tou
te la boue qu’il a soulevée et que nous
n’ayons plus les oreilles rebattues de
« pots do vin » do « Numagillysme » de
« Boulangisme » en d’un tas de vilaines
choses en « isme »; que les femmes soient
plus aimables encore, si c’est possible#
avec leurs maris et les maris plus em
pressés auprès de leur femmes, que les
enfants soient toujous sages et les pa
rents jamais sévères, que les huches soient
toujours pleines, que les soucis s’envolent
loin, que le rire soit sur uos lèvres ; que
tout se trouve enfin pour le mieux dans
le meilleur des mondes. C’est la gràcê
que je vous souhaite.., et que je me sou
haite aussi d’ailleurs.
LACERVOISE-
1889!
Quelques heures à peine nous séparent
d’une nouvelle année. Sera-t-elle sem
blable à celle-ci? Non ! car diverses cau
ses contribueront à lui donner un tout
autre aspect.
1889 apparaît un peu comme le sphinx
accroupi dans les sables de l’Egypte.
Chaque parti fonde des grandes espé
rances, j’espère deviner l’énigme, qui lui
vaudra la puissance suprême.
Jamais pareil phénomène ne s’était vu,
dans les annales de l’Histoire Française.
En vain des théoriciens cherchent-ils
des similitudes, afin de faire croire à des
répétitions politiques. Rien n’a ressem
blé, ne ressemble à la situation actuelle.
Tout d’abord, uifbccueillement qui frisa
autant l’ironie que l’indifférence, aut
moins en apparence ouverte. Une forte
dose de scepticisme, de la gauloiserie à
profusion.
Puis, des secousses violentes, des fré
missements rapides, quand certaines
questions brûlantes, apparaissent dans
le fulgurant décor du Centenaire.
Q’u’on le veuille ou non, il faudra comp
ter avec le souvenir des Etats Généraux,
des actes immortels d une épopée à ja
mais inoubliable.
Sous son enveloppe narquoise, le Peu
ple, joué, dupé, trahi tant de fois, a con
servé le culte de la Révolution.
Il brisera toutes les coalitions monar
chiques, implantera la République, sur
des bases indestructibles.
Son enthousiasme, certes, s’est re*
froidi. Comment en pourrait-il être autre
ment?
Quand on analyse loyalement l’œuvre
accomplie depuis 1870, on reste écœuré
devant la faiblesse de cette œuvre.
En 1789, quelques années suffirent pour
changer de fond en comble, l’orientation
des destinées de la France.
Sur les ruines d’un passé féodal, Jac
ques Bonhomme édifia l’égalitaire socié
té, brisée plus tard, par Bonaparte.
Feuilleton n° 11
LE SUPPLICE DE L’AMANT
Sans doute, ils auraient dû se séparer,
se fuir : ils le voulaient; mais la passion
dominant leur volonté, ils ne l’avaient
pu.
M. de Maugeney n’avait ni la jalousie
inquiète de certains maris, ni l’aveugle
ment de certains autres. Si jusqu'alors
sa défiance n’avait pas été éveillée, s’il
n’avait rien surpris, rien deviné, c’est
que sa femme, son idole, sa divinité, lui
semblait tellement au-dessus de toute
faiblesse, qu’il eût cru commettre un vé
ritable sacrilège en l’effleurant seulement
d’un soupçon. Aussi le premier qui lui
traversa l’esprit, lui causa-t-il l’impres
sion d’un désastre qui, en un instant, bri
sait tout autour de lui.
Une fois dans sa chambre, il se prit la
tête à deux mains, se demanda s’il avait
bien vu ce carnet dont Paule s’ôtait em
parée en rougissant, et cette chevelure
qui gardait comme des empreintes de bai
sers. Puis il se rappelait cet entrecroise
ment de regards où s’était révélée la cons
cience troublée de Paule, jusque-là si
limpide; il se rappelait l'atmosphère en
fiévrée, encore palpitante de cette cham
bré comme si l’ouragan l’eût traversée...
Mais faut de malheur, était-ce possible?
Et il repoussait de toute la force de sa
loyauté, la pensée même d’une pareille
trahison.
Cependant le doute, l’horrible doute
revenait ; et la jalousie l’étreignait de
nouveau de ses tenailles de feu, Non, il
ne s’était pas trompé. Nul ne possédait à
un plus haut point ce coup d’œil rapide
auquel aucun indice,aucun détail n’échap
pent, et cette pénétration des physiono
mies qui fait croire à une sorte de divina
tion. Sans doute Paule était honnête, elle
s’était crue assez forte pour résister;
mais il savait qu’il suffit parfois, pour
faire tomber une femme nerveuse, d’un
temps orageux, d’une mélodie berçante,
d’un partum capiteux.
A cette pensée, il lui montait au cer
veau un bouillonnement de colère qui
l’aveuglait.
Il se leva, marcha dans sa chambre
avec une agitation furieuse, s’accusant
d’imprudence, se reprochant sa confiance
idiote.
Toutefois,il parvint encore à se calmer,
à se rassurer.
Non, Paule, avec sa dignité hautaine,
n’était point une de ces natures fragiles :
le sens moral, chez elle, dominait les
nerfs; et quelle qu’eût été l’imprévu ou
la violence de l’attaque, elle avait dû
résister.
Quoique un peu tranquillisé par cette
dernière réflexion, uti doute terrible,
poignant, lui restait, et il se dit: J’obser
verai, je saurai.
VII
— Alors, disait Mme Debray à Davcrne,
de sa voix chantante un peu ironique,
comme ça, tout à coup, sans crier gare,
vous me faites une déclai'ation? Vous
voulez décidément que je vous traite en
ennemi ? Car un amoureux, pour moi, est
toujours un ennemi, qui en veut à mon
repos, qui complote contre ma tranquil
lité. De plus, vous êtes marié; et c’est
un amour criminel que vous osez m’of
frir.
Madeleine, le visage d’un rose doux
comme la rose de sa robe, était mainte
nant nonchalamment assise sur une cau
seuse; et Daverne, en attendant le dincr,
avait repris à ses côtés son attitude ado-
rative.
— Le crime double le bon heu i', répon-
dit-il d’une voix réellement émue.
— C’est possible, mais quelle fatigue !
Toujours se cacher, dissimuler, toujours
sur le qui-vive, l’oreille tendue, l’œil au
guet, le cœur palpitant; et puis y pensez-
vous? Que de dérangements! Sortir par
le froid, par la pluie ! Et les rendez-vous
manqués ! Et encore la jalousie, les re
mords ! Ah, ciel! que de peines, que
d’anxiétés, que de tortures 1 Et, je vous
le demande, au résumé, pourquoi ?
— Ces anxiétés, ces tortures, c’est la
passion, ce sont les félicités mêmes de
l’amour.
— Merci ! autant les travaux forcés !
— Eh bien ! n’aimez pas ; mais laissez-
vous du moins adorer. Laissez-moi vous
sei'vir. Pci'mettez-moi de vous entourer
de ces mille soins empressés et tendres,
de ces attentions respectueuses qui n’ont
rien d’inquiétant, qui ne pourront au con
traire, qu’assui’er votre repos, adorable
paresseuse ; car, au lieu de vous imposer
des fatigues, je m’appliquerai à vous épar
gner toute peine, tout dérangement. Ac-
ceptez-moi seulement comme votre ser
viteur.
— Mais votre femme, pourquoi ne la
servez-vous pas ?
— Je serai votre secrétaire, continua
Daverne, votre commissionnaire. Je ne
serai que ce que vous voudrez que je sois;
et quand je vous ennuierai trop, eh bien!
vous me mettrez à la porte.
— On me l’avait bien dit : vous êtes
fort dangereux. Vous savez trouver des
ai'guments iiTésistibles ; et je comprends
vos succès Mais,quantàmoi, décidément,
non.
— Madame est servie ! cria sur le seuil
de la porte le grand valet galonné.
— De grâce 1 supplia Daverne, sans se
laisser rebuter par ce refus formel, per
mettez-moi de commencer mes fonctions
de dévoué servant.
Il la souleva doucement, et lui offrit
son bras. a
— N’est-ce donc rien, lui murmura-t-il
d’une voix chaude et câline, que de lêhtir
autour de soi une affection réelle et pro
fonde, un cœur débordant de tendresse,
qu’une parole, un regard, un sourire font
palpiter ?
— J’avoue seulement que tout ce qui
sert à m’étayer ne m’est pas trop désa
gréable, répondit la belle indolente, en
s’appuyant avec une grâce alanguie sur
le bras de Daverne.
Tout le monde déjà se trouvait réuni
dans la salle à manger immense.
C’était une pièce magnifique et sévère
avec de hautes cheminées à chaque bout*
des tapisseries claires représentant des
chasses, dans des panneaux encadrés de
chêne sculpté. Sur des buffets flamands,
authentiques, du dix-huitième siècle, d’un
dessin à la fois fin et bizarre, l’argente
rie jetait son vif éclat; et sur la longue
table carrée, le linge éblouissant, sa note
gaie.
Mme de Maugeney était descendue.
Comprenant qu’un soupçon terrible était
entré dans l’esprit de son mari, et qu’à
tout prix il fallait le détruire, elle avait
surmonté son anéantissement. <
Mais elle était fort pâle. Les mots son
taient avec peine de ses lèvres, qui s’qfc
forçant de sourire, se contractaient doit?,
loureusement.
M.-l. (UfflttiHu
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